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09/06/2014

Avis de parution : Le chasseur immobile de Fabrice Farre par l'association "Le Citron gare"

avec des illustrations de Sophie Brassart (avis de parution ci-joint Bondecommandelechasseurimmobile.pdf).
 
Si vous souhaitez vous procurer ce recueil, vous pouvez faire un tour sur le blog http://lecitrongareeditions.blogspot.fr et écrire à Patrice Maltaverne.
 
Vous trouverez également ci-joint, pour partage, des extraits du numéro 56 de Traction-Brabant désormais disponibles sur le Cloud d'Orange, avec des poèmes d'Alain Minighetti, Jean-Baptiste Pédini, Christophe Lévis, Marc Tison, Jan Bardeau, Cathy Garcia, Jacques Laborde, Karim Cornali,
 
 
 
 
 
 
 
 

Le prénom a été modifié de Perrine Le Querrec

 

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Lu par Jean Azarel

 

« C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout ». Ce mantra lourd de sens encore caché, comme pour toute première fois, ouvre chaque paragraphe-confession du dernier livre de Perrine Le Querrec.

 

Car ici, tout est poids. Poids du corps saccagé, poids des corps qui saccagent, poids du souvenir, poids de la vie, poids du passé, du présent, de l’avenir.

« Le prénom a été modifié » raconte six mois de viol collectif d’une adolescente de 15/16 ans par une vingtaine de fous de banlieue sans visage, dans une cité dont on ne s’échappe pas.

Avec « la mort à la main », « ils ont décidé de grandir en remplissant une fille de sperme en la gavant de coups. C’est comme ça qu’ils sont devenus adultes puissants respectés dans le grand ensemble ». Et quinze ans plus tard des pères de famille que la narratrice croise au hasard de ses rares sorties... . « Le prénom a été modifié » raconte le pendant. L’après. L’inoubliable pendant. L’inoubliable après. L’avant, le bienheureux avant, reste en filigrane : lui aussi a été modifié.

 

A chaque rendu/déglutition de sa descente aux enfers terrestres, l’héroïne (sic) « s’assoit par terre étourdie » et le lecteur aussi. Au fil de soixante dix pages nerveuses, l’innommable est nommé, découpé, déchiqueté, mâché, ingéré, péniblement digéré. Il n’y a pas d’échappatoire. La douleur est si forte qu’elle obture quasiment l’idée de vengeance. Si le désir de mourir s’insinue, le désir de tuer est mort-né par trop plein d’horreur, anesthésié par les médicaments, bouffi par la bouffe, rien qu’une ligne sans illusion.

 

Vous avez dit « désir ? ». D’une écriture courte, sèche, serrée comme le cœur, Perrine le Querrec poursuit une œuvre de témoignage rare, à façon, sans concessions. Qui nous colle aux tripes l’outrance de l’outrage. Qui se fout du tabou. Ce court récit, littéralement Dantesque, plaira aux féministes, mettra mal à l’aise les bobos bien pensants, plongera dans l’épouvante les jeunes filles de bonne famille, fera pleurer les hommes comme moi. S’il pouvait briser les barrières du silence littéraire, ce serait merveilleux. « La guerre on pense toujours que c’est bruyant. La guerre c’est aussi un silence total. »

 

A la fin, arrive-t-elle trop tôt ou trop tard, il reste une grande lassitude et l’impérieux besoin d’aimer.

 

Jean Azarel / 8 juin 2014.

 

« Le prénom a été modifié » de Perrine Le Querrec, éditions « Les doigts dans la prose », 13 € port compris.

 

 

05/06/2014

La revue Alimentation Générale devient collection !

 

Après la revue, Alimentation Générale devient une collection !

Alimentation Générale, c'était la revue de bandes dessinées d'humour des éditions Vide Cocagne, dirigée par Terreur Graphique. Aujourd'hui, la collection vient perpétuer l'esprit de la revue, qui pendant 3 ans et 5 numéros, a recueilli la crème de la BD indépendante et lui a donné carte blanche pour des histoires courtes ou à suivre, rassemblant auteurs confirmés ou en devenir sans discrimination et dans la bonne humeur.

Pixel Vengeur ouvre le bal dès juin 2014 avec "Le petit livre noir en couleur de Dominique", et sera suivi de Geoffroy Monde, Fabcaro...

À terme, deux à trois livres viendront enrichir la collection chaque année. Voici les trois premiers, sur lesquels porte cette souscription :

 

Le petit livre noir en couleurs de Dominique, de Pixel Vengeur
Le premier livre de la collection narre la vie de Dominique, le tapir des Sunderbans. Celle-ci aurait pu se résumer à peu de choses, si sa mère n'avait pas eu l'idée de mettre bas sur les ruines d'un vieux cimetière indien... Dès lors, sa vie va être truffée d'obstacles, de malchances et de catastrophes, racontées ici le long des 64 pages couleurs du livre.

Et en bonus, un extrait en avant-première !

sortie 12 juin 2014

 

Serge et Demi-Serge, de Geoffroy Monde
Serge est un vieil homme, Demi-Serge est une demi-tête de renard. Ces deux-là sont déjà apparus sur le blog Saco : Pandemino, et pour Alimentation Générale, Geoffroy Monde les réunit pour de nouvelles aventures absurdes et hilarantes !

Cliquez ici pour une présentation détaillée et inédite de Serge et Demi-Serge !

sortie automne 2014

 

Talk Show, de Fabcaro
Collectionneurs d'apéricubes, écrivains du dimanche, défenseurs des causes inutiles... Tous sont interviewés sur le plateau télévisé de Talk Show, le long des strips désopilants de Fabcaro, auteur du recent "Carnet du Pérou" (éd. Six pieds sous terre).

Cliquez ici pour lire d'autres extraits inédits de Talk Show !

sortie premier trimestre 2015

 

Quelque part entre ses cousins Mauvais Esprit ou Fluide Glacial, Alimentation Générale a accueilli dans ses pages : Geoffroy Monde, Jürg, Olivier Besseron, Jorge Bernstein, Fabrice Erre, Emilie Plateau, Fabcaro, David Ziggy Greene, Tib-Gordon, Bob, Abdel de Bruxelles, Gilles Rochier, Nicoby, Pixel Vengeur, Matt Dunhill, Joseph Safieddine, Vincent Lefebvre, Fabien Tê, Thibault Soulcié, Thomas Gochi, Half Bob, Boris Mirroir, Fritz Bol, Guillaume Carreau, Pinpin, Alexis Horellou, Drangiag, Laurent Houssin, Mo CDM, Cécily, Wassim Boutaleb, Elosterv, Wandrille, Vincent Lévêque, Jacqueline Lee, Fabien Grolleau, James, Delphine Vaute, Lionel Serre, Damien Froidboeuf, Terreur Graphique, Pochep, Thierry Bedouet, Aurélien Ducoudray, Olivier Texier, Guillaume Guerse, Quentin Faucompré, Max de Radiguès...

La bande-annonce du 5ème et dernier numéro de la revue :

 

A quoi va servir le financement ?

Le financement va servir à lancer la collection en préparant dès le départ les trois premiers titres, et en s'assurant de la faire dans les conditions optimales.

Avoir un financement en amont de l'impression nous permet d'avoir une marge de manœuvre plus grande et ainsi garder des prix de vente raisonnables (autour de 15 € chaque livre).

 

A propos du porteur de projet

Vide Cocagne est une maison d'édition BD nantaise, qui outre son activité éditoriale promeut la Bande dessinée et les arts graphiques par l'organisation de festivals, d'événements et d'ateliers.

En 2014, Vide Cocagne sort pas moins de 10 livres, inaugure les collections Alimentation Générale et Épicerie Fine, et se déplace dans toute la France.

 plus d'infos sur le site internet / facebook / twitter / youtube

Les premiers auteurs de la collection

Pixel Vengeur fait ses premières armes en bande dessinées dans les années 80 dans des journaux tels que Viper, le Petit Psikopat Illustré et Rigolo. Puis il devient graphiste en jeux vidéo et découvre l’ordinateur. Il recommence à apparaître en tant qu’illustrateur dans différents mensuels, puis par revenir définitivement en 2000 à la bande dessinée. Il travaille aujourd’hui pour Fluide Glacial, le Psikopat et Spirou.

                         Le site de Pixel Vengeur

 

Geoffroy Monde est magique depuis 2004 et a souvent été élu meilleur espoir. Il raconte tout ça dans des albums publiés aux éditions Lapin et Warum, et sur son blog Saco : Pandemino. Des fois, il ment.

Le site de Geoffroy Monde

 

Fabcaro poursuit depuis une dizaine d'années son exploration de la bande dessinée d'humour entre expérimentation, autobiographie et absurde, seul ou officiant au scénario pour d'autres, alternant les albums pour des éditions indépendantes avec notamment Le steak haché de Damoclès, L'album de l'année ou La clôture, et albums plus grand public, parmi lesquels Z comme Don Diego (avec Fabrice Erre) ou Amour, passion et CX diesel (avec James). Il a également collaboré à divers magazines ou journaux comme Tchô !, L'écho des savanes, Psikopat, ZOO, CQFD, Kramix ou Fluide Glacial pour lequel il travaille actuellement, ou des revues comme Jade et Alimentation générale. Il est aussi l'auteur d'un roman, Figurec, paru en 2006 aux éditions Gallimard.

 

 

 

Cyril C. Sarot - L’AD XVI / Ces traces laissées dans le sable

 

Une suite d’informations, d’observations ou de faits glanés au fil de mes lectures, de la vie et de ses hasards. Je les propose de manière brute, sans commentaires, car les choses me semblent parfois parler d’elles-mêmes, ou par les résonances et les échos provenant de leur simple mise en miroir.

Selon une étude de l’ONG Oxfam, les 67 personnes les plus riches de la planète détiendraient autant que les 3,5 milliards les plus pauvres.

Aux États-Unis, depuis le début de la crise, 95 % du peu de croissance créée a été accaparé par les 1 % les plus riches.

Lorsqu’ils collent un mot sur le rideau de fer du magasin afin d’expliquer une fermeture exceptionnelle, les propriétaires du petit bazar en bas de chez moi, qui ne sont que deux (mari et femme) prennent toujours le soin de signer « La direction ».

Vue à la télé, une adolescente expliquant que son seul rêve dans la vie serait de pouvoir dépenser sans compter.

Le traité de libre-échange transatlantique, en cours de discussion dans le plus grand secret entre les États-Unis et l’Union Européenne, prévoit la possibilité pour les investisseurs d’attaquer en justice les États qui prendraient des décisions nuisibles à leurs intérêts et à leurs profits (normes sanitaires trop lourdes, droit du travail trop contraignant, nouvelle législation environnementale, instauration d’un salaire minimum…).

Une enquête interne menée au début des années 2000 au sein de la Commission européenne aurait permis de déceler des traces de cocaïne dans 59 des 61 toilettes examinées.

Des logiciels malveillants introduits par la NSA dans des millions d’ordinateurs lui auraient permis d’en contrôler les caméras et les micros, sans que rien n’en témoigne, afin d’écouter les conversations et de prendre des photos dans la pièce où ils se trouvent.

Dès l’après-guerre, certains constructeurs automobiles américains ont travaillé le bruit de fermeture des portières afin qu’il soit « rassurant ».

Aux États-Unis, il existe des plages réservées à la pêche, surveillées par la police de la pêche, où le seul fait de s’asseoir sans pêcher constitue un délit.

Depuis 2011, en Allemagne, une loi protège le droit des enfants à faire du bruit, des crèches ayant dû fermer suite à la plainte de citoyens pour lesquels les cris des enfants créaient une souffrance, qui avait pour conséquence de déprécier leur bien immobilier.

En Belgique, une centaine de prisonniers volontaires (n’ayant commis aucun délit) a accepté de passer un week-end derrière les barreaux pour tester la nouvelle prison de Beveren.

Dans la rue, croisé un punk fumant une cigarette électronique.

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Cette brève pensée d’Eric Chevillard : « Misérable, éphémère, de passage, bien peu de chose certainement ; je constate néanmoins qu’il faut tout un océan pour effacer la trace de mon pied sur le sable. »

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Tout un océan, oui. Encore faut-il qu’il y ait la possibilité d’une trace. Encore faut-il qu’on puisse se projeter dans le monde pour y laisser son empreinte. Tant de gens semblent coupés d’eux-mêmes qu’elle paraît incertaine. Impossible, interdite, comme effacée d’avance. Il ne peut y avoir de projection dans le monde sans appartenance à soi : aucun moyen d’échapper à ce préalable. Rien ne peut être envisagé hors de ce regain d’être. Pour pouvoir être au monde, il faut d’abord être à soi.

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Je relis rarement L’Autrement Dit. Non seulement parce que l’expérience m’est généralement peu agréable, mais surtout pour éviter de tomber dans certains pièges ; comme celui de vouloir sembler à tout prix cohérent. Si je me relisais trop souvent, je m’appuierais certainement sur les idées déjà formulées, m’en servant comme de jalons, incité à rester dans leurs sillons, privilégiant celles susceptibles de rester dans la ligne (il m’est déjà arrivé plusieurs fois de me censurer moi-même, sur le mode du « je ne peux tout de même pas dire ça après avoir écrit ça »), alors qu’il faut savoir lâcher la bride à la pensée et à ses éventuelles contradictions. Elles sont les reflets fidèles du tumulte intérieur dont elles sont aussi l’expression. L’écriture permet (entre bien d’autres choses) d’organiser la pensée, d’essayer, par la recherche du mot juste, d’être au plus près de ce que l’on pense. Mais la consistance qu’on cherche à lui donner ne doit pas masquer la part d’hésitations et de doutes dont elle est également constituée (il me faut passer par tant d’échecs et de tâtonnements avant de pouvoir accoucher d’une idée qui tienne un tant soit peu la route !). Ce que l’on pense n’est jamais absolument et définitivement ce que l’on pense ; la tentation d’une parfaite cohérence peut écarter de la discontinuité naturelle de la pensée, et de l’instabilité intérieure dont elle témoigne.

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Ne pas se relire peut donc mener à se contredire, mais également à son contraire : se répéter. Cette redondance n’est d’ailleurs pas forcément un défaut : il peut m’arriver de me répéter volontairement, de manière à préciser ou à approfondir les choses ; sans compter les clous que l’envie me vient d’enfoncer. Ainsi l’ai-je déjà dit : l’emploi disparaît. Toujours sous l’effet des gains de productivité, des délocalisations et de la recherche de profits, de plus en plus en raison de la robotisation et du développement de l’économie de l’immatériel (une étude réalisée par deux chercheurs de l’université d’Oxford aboutit à la conclusion que lors des vingt prochaines années, 47 % des emplois actuels seront remplacés par des ordinateurs). On peut soit le regretter – voire s’en effrayer, réaction jusqu’à présent la plus commune – soit en profiter pour voir les choses autrement, se décidant enfin à prendre en compte les mutations en cours et les perspectives nouvelles que celles-ci pourraient offrir (nouveaux modes d’existence, plus grande appartenance à soi, revenus découplés du travail, temps libéré, esprit libéré, vie libérée…). Quoi qu’il en soit et en vertu de ce contexte, exiger des demandeurs d’emploi qu’ils trouvent à tout prix un travail semble garder peu de sens ; tout comme d’ailleurs exiger des entreprises qu’elles en créent.

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Ce slogan relevé sur le site d’Yves Pagès : « Work in regress / Dream in progress », en écho à ce propos d’André Gorz : « Une perspective nouvelle s’ouvre ainsi à nous : la construction d’une civilisation du temps libéré. Mais, au lieu d’y voir une tâche exaltante, nos sociétés tournent le dos à cette perspective et présentent la libération du temps comme une calamité. Au lieu de se demander comment faire pour qu’à l’avenir tout le monde puisse travailler beaucoup moins, beaucoup mieux, tout en recevant sa part des richesses socialement produites, les dirigeants, dans leur immense majorité, se demandent comment faire pour que le système consomme davantage de travail – comment faire pour que les immenses quantités de travail économisées dans la production puissent être gaspillées dans des petits boulots dont la principale fonction est d’occuper les gens. »

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Les occuper pourquoi ? Pour les distraire de quoi ? Les contraindre au néant qui les entoure ? Les contenir dans les filets du grand bizness globalisé ? Les conserver laborieux dans leur formol ? Je crois moins à une vaste opération de contrôle planifiée qu’à un enfermement de l’esprit généralisé, chez les dirigeants comme chez les dirigés. Tout le monde trempe dans le même bain. Chacun se noie dans un océan qui recouvre tout : plus d’ailleurs, plus d’issue, plus de rêve ; plus de sable, plus de plage, plus de grève. Ce ne sont plus les traces laissées sur le sable que cet océan-là efface, mais la possibilité même d’y laisser une trace. Le non-être plonge ses racines dans les eaux troublées du non-sens. Au point où l’on en est, penser, rêver, vivre, aimer paraît un engagement.

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De Flaubert : « Mais ne lisez pas comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non, lisez pour vivre. »

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Il suffit d’un beau vers, d’une belle phrase, d’une belle image pour que les larmes me viennent. Parfois d’un élément de pensée, saisissant et lumineux. J’ai alors l’impression que c’est le monde entier qui m’est offert. J’ai le sentiment aigu de ce qui m’est donné et j’en suis bouleversé. Mais ce sentiment dépasse de loin la simple volupté : il naît de la rencontre entre ce que je viens de lire ou d’entendre et quelque chose qui le dépasse. Comme si la beauté reçue était un écho à l’harmonie du monde. Comme si sa perception m’élevait à mon tour à sa hauteur. Tout à coup le présent s’élargit et je me sens transporté au cœur des choses. L’émotion est la conséquence et le moyen de ce transport ; je la sens qui se diffuse en moi, elle se déploie, s’écoule et se répand comme le jus d’un fruit dans lequel on vient de mordre. Je suis touché au plus profond et au plus précieux de ma sensibilité. Une multitude de choses entrent alors en résonance. Mes yeux s’embuent et l’émotion me serre la gorge. J’ai le cœur léger et lourd à la fois. Il m’arrive d’éclater en sanglots, sans plus savoir si c’est de tristesse ou de joie.

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Ces lignes d’Andreï Tarkovshi, extraites de son livre Le temps scellé : « Je ne parviens pas à croire qu’un artiste puisse créer uniquement pour « l’expression de soi ». Cette idée d’une expression qui ne tienne pas compte de l’autre est absurde. Chercher un rapport spirituel avec les autres est un acte éprouvant, non rentable, qui exige le sacrifice. Et tant d’efforts en vaudraient-ils la peine si ce n’était que pour entendre son propre écho ? »

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Pour la première fois depuis bien longtemps, cette année, j’ai apprécié les décorations de Noël. Non qu’elles aient été fondamentalement différentes des années précédentes, mais cette fois, au moins, je me suis autorisé à les apprécier. C’est que, jusqu’ici, au nom de ce que représente cette période de fièvre mercantile, je refusais les sensations que me procuraient ces jeux de lumières et leurs couleurs. En vertu d’une lucidité glaciale et vaniteuse, je m’interdisais de retrouver un peu de l’émerveillement qui était le mien lorsque j’étais enfant. Quelle connerie de se mutiler ainsi ! Quelle plaie d’être à ce point dogmatique vis-à-vis de soi-même !

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Faire preuve de lucidité : ok. Sonder les choses et ne pas se satisfaire des apparences : bien sûr. Mais le faire sans négliger son intériorité, sans la censurer, sans repousser l’équivoque au profit d’une conscience trop sûre d’elle et placée au-dessus de tout. Désolant de faire de sa raison la gardienne policière de ses émotions. En soi aussi, se méfier des instances supérieures.

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Le portrait type du parfait progressiste : prôner la tolérance, manger bio, être pour le mariage pour tous, ne pas croire en Dieu, détester Zemmour.

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Si je vous dis « j’ai compris votre douleur » et que je continue de vous appliquer les sévices qui sont à l’origine de cette douleur : je suis un menteur, un imbécile ou un pervers. Si je vous dis « j’ai compris votre message » et que je continue d’appliquer les programmes qui sont à l’origine de ce message : je suis un homme politique.

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Une lectrice m’écrit pour me dire que mes textes, trop longs, lui parlent peu, qu’elle aimerait plus de concision, qu’elle s’y sent souvent perdue, qu’elle a du mal à voir où je veux en venir, qu’elle peine à me suivre dans la succession des thèmes qui y sont abordés, bref, que tout cela ne lui convient guère (point de vue oh combien respectable !), même si, m’écrit-elle, « politiquement nous sommes du même bord ». Elle semble par là me signifier qu’elle et moi sommes de gauche, ce qui pourrait compenser, du moins en partie, l’ennui qu’elle ressent à me lire et l’obscurité de mes textes. Mais est-elle si sûre de ce qu’elle avance ? Mes convictions politiques apparaissent-elles si nettement entre ces lignes incertaines et absconses ? S’il y a une chose dont je me fiche ici de témoigner, c’est bien de mon « bord » politique ! Qu’importe si vous et moi penchons du même côté, puisqu’il s’agit ici de nous rencontrer et non de piloter un side-car ? J’admets volontiers apprécier la plume d’auteurs estampillés de droite, comme Léon Bloy ou Bernanos, leur langue à vif, la tension de leurs textes, leur verve pamphlétaire née de leur détestation des valeurs établies, du conformisme, de la bien-pensance consensuelle et de la tiédeur des débats qui en découle. Ces lectures suspectes suffisent-elles à me faire changer de bord ? Remettent-elles en question mes tropismes de gauche ? D’ailleurs, de quelle gauche s’agit-il ? Celle du pacte de responsabilité ? Du maintient du cap ? Du gouvernement de combat ? Être de gauche, après tout pourquoi pas. Mais s’il me faut être de gauche, alors c’est d’une autre gauche, informelle et bien à moi. Parce que moi, ma gauche, c’est celle de mon pote Laurent, paysan, qui pratique une agriculture naturelle et dont la façon de travailler semble en adéquation totale avec la façon de penser ; celle de mon pote Nico, qui un jour a quitté son boulot et vendu sa voiture pour s’acheter un appareil photo et nous délivrer sa vision talentueuse et singulière du monde ; celle de Juliette, riche de son attention aux autres et des amitiés nombreuses qu’elle sait faire vivre et perdurer ; celle de Christelle, vibrante de sa faculté à mettre du jeu entre le monde et elle et toujours prête à lâcher la bride à son imaginaire ; celle de Virlo, dont la présence et la parole sont si pleines d’images et de poésie ; celle de Nicole, dont les difficultés de la vie n’ont en rien altéré la fraîcheur ; celle de Camille, à la finesse d’esprit si pétillante ; celle de Luc, dont la conversation vous rend plus riche de son amour de la littérature et de la langue ; celle de Max, à l’intelligence contagieuse, qui ose la pensée et le partage de son questionnement du sens ; celle de tous les autres, que je ne cite pas ici, mais qui par leur présence et leur façon d’être au monde me le rendent plus beau et plus vivable. La voilà ma gauche ! Une gauche sans parti, libre et sauvage. Une gauche « vécue », qui évolue et se construit d’elle-même. Une gauche faite de rencontres, d’amitié et de confiance, à côté de laquelle l’autre, l’officielle, l’institutionnelle, n’est rien.

*

Ce genre de gauche, chacun porte la sienne. Elle est unique et intime. Qu’on l’appelle gauche ou non a d’ailleurs peu d’importance. Ce qui importe, c’est qu’on s’y reconnaît par l’intensité des liens qui la composent, et non par son appartenance au clan. Ce qui compte, c’est la force de ses liens et la densité de ses échanges. Des communautés se forment dans le cœur de chacun, qui le plus souvent s’ignorent. Elles se croisent et se rencontrent, mais sans avoir conscience d’elles-mêmes. Pourtant elles sont là, fertiles, changeantes, vivantes, faites d’expériences sensibles et de présences au monde. C’est là qu’il se passe réellement quelque chose, sans qu’on puisse définir exactement quoi. Et c’est dans cet indéfinissable, dans cet impalpable, dans ce qui s’échange en dehors de toute organisation ou structure – tout cela qui n’est pas directement évaluable et observable – que réside leur plus grande force.

*

De Georges Picard, extrait de son Journal ironique d’une rivalité amoureuse : « Je pense parfois à tout ce qui se trame ici et ailleurs, aux innombrables histoires qui se nouent – d’amour, de haine, d’intérêt – et même aux combinaisons aléatoires de la vie. Cela doit former un complexe infini de relations, désirées ou subies, dans l’hyper-réseau du monde. Pourtant, je suis prêt à croire que chaque événement influence mystérieusement l’équilibre général comme entrent en résonance les échos des galaxies les plus éloignées. Si c’est le cas, chacun assume avec sa propre histoire un peu de la finalité globale : personne ne peut se prétendre entièrement détaché des autres. Drôle de pensée qui me rend attentif autant à moi-même qu’à ce qui m’entoure. »

*

États d’être et résonances dans l’écheveau des relations. Cela compte et cela pèse. Précieuses sont les traces ainsi laissées dans le sable. Il y a dans l’informel bien plus de potentialités qu’on croit.

 

Allez en découvrir plus dans l'Autrement dit, le blog de Cyril C. Sarot qui se présente ainsi :

« Je ne me considère pas écrivain. Ni poète ni penseur ni artiste. Ce serait futile et arrogant. Comme l’a écrit Van Gogh dans une lettre à son frère Théo : « Je ne suis pas un artiste, comme c’est grossier – même de le penser de soi-même. » Ce qui ne m’empêche pas d’avoir une activité de création, d’écrire et de le faire avec exigence. D’exprimer des éléments de pensée par l’écriture, versifiée ou non. Sans, je le répète, jamais me prendre pour un poète, un penseur ou un écrivain.

Donc ni penseur ni écrivain ni poète ni artiste. Ce qui ne m’empêche ni de penser ni d’écrire. Résolument et dans la conscience de mes limites. Lexicales, culturelles, intellectuelles.

Je fais avec mes pauvres moyens. Mais avec mes pauvres moyens, je fais. »

 

Ici : https://lautrementdit.wordpress.com/

 

 

04/06/2014

TAFTA, le mécanisme de protection des investisseurs

Vidéo édifiante du CEO sur le mécanisme de protection des investisseurs

 

 

 

 

 

 

L’Anthropocène et ses lectures politiques

 

vendredi 23 mai 2014, par Christophe Bonneuil

Bien plus qu’une crise environnementale (dont le marché, la croissance verte ou la technologie nous sauveraient), l’Anthropocène signale une bifurcation de la trajectoire géologique de la Terre causé non pas par l’« Homme » en général, mais par le modèle de développement qui s’est affirmé puis globalisé avec le capitalisme industriel [1].

L’Anthropocène, c’est – pour des siècles peut-être – notre époque, notre condition, notre problème. C’est le signe de notre puissance « géologique », mais aussi de notre impuissance politique. L’Anthropocène, c’est une Terre dont l’atmosphère est altérée par les 1400 milliards de tonnes de CO2 que nous y avons déversées. C’est un tissu vivant appauvri et artificialisé. C’est un monde plus chaud et plus lourd de risques et de catastrophes, avec un couvert glaciaire réduit, des mers plus acides et plus hautes, des climats déréglés..., avec son flot de souffrances humaines, de dérèglements et violences géopolitiques possibles. Habiter de façon plus sobre, moins barbare, plus équitable et solidaire la Terre est notre enjeu.

Plus encore que la « crise environnementale » des années 1970 – que les acteurs pouvaient encore voir comme récente et comme un bref moment de crise de quelques décennies –, l’Anthropocène interpelle aussi les mouvements se revendiquant de l’émancipation par son ampleur massive, tant passée que future. Par ses racines profondes dans le productivisme, l’extractivisme et l’industrialisme des deux derniers siècles, il questionne un rapport au « progrès », à la technique et à l’économie qui a trop longtemps dominé la gauche [2]. L’Anthropocène apporte une réfutation massive, géologique, au projet moderne d’émancipation-arrachement, au rêve d’un devenir humain et social coupé de toute détermination naturelle : les Modernes ont cru que leur liberté impliquait de s’arracher à toute détermination naturelle et ils se découvrent aujourd’hui liés à la Terre par mille rétroactions, rattrapés par le retour de Gaïa, avec ses lois, ses limites et sa violence, dans la sphère politique et sociale. L’Anthropocène matérialise enfin ce pourquoi l’altermondialisme ne saurait se limiter à la critique du néolibéralisme dans la nostalgie implicite du bon temps du productivisme keynésien d’après-guerre, dont la facture en terme de dette écologique et d’échange inégal s’avère immense.

1. Un constat scientifique aux enjeux anthropologiques

Cette nouvelle époque géologique, débutant avec la « révolution thermo-industrielle » (Alain Gras) ou encore le « capitalisme fossile » (Elmar Altvater), et succédant à l’Holocène, a été proposée à partir de 2000 par plusieurs scientifiques des sciences du système Terre, tels Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, spécialiste de la couche d’ozone. Depuis, le concept d’Anthropocène est devenu un point de ralliement entre scientifiques des sciences dures, intellectuels des sciences sociales et militants écologistes, pour penser cet âge dans lequel le modèle de développement actuellement dominant est devenu une force tellurique, à l’origine de dérèglements écologiques profonds, multiples et synergiques à l’échelle globale.

À la base, un constat scientifique incontestable. Premièrement, les activités humaines sont devenues la principale force agissante du devenir géologique de la Terre. Deuxièmement, en termes d’extinction de la biodiversité, de composition de l’atmosphère et de bien d’autres paramètres (cycle de l’azote, de l’eau, du phosphore, acidification des océans et des lacs, ressources halieutiques, déferlement d’éléments radioactifs et de molécules toxiques dans les écosystèmes…), notre planète sort depuis deux siècles, et surtout depuis 1945, de la zone de relative stabilité que fut l’Holocène pendant 11 000 ans et qui vit la naissance des civilisations. Dans l’hypothèse médiane de +4°C en 2100, la Terre n’aura jamais été aussi chaude depuis 15 millions d’années. Quant à l’extinction de la biodiversité, elle s’opère actuellement à une vitesse cent à mille fois plus élevée que la moyenne géologique, du jamais vu depuis 65 millions d’années. Cela signifie que l’agir humain opère désormais en millions d’années, que l’histoire humaine, qui prétendait s’émanciper de la nature et la dominer, télescope aujourd’hui la dynamique de la Terre par le jeu de mille rétroactions. Cela implique aussi une nouvelle condition humaine : les habitants de la Terre vont avoir à faire face, dans les prochaines décennies, à des situations auxquelles le genre Homo, apparu il y a deux millions et demi d’années seulement, n’avait jusqu’ici jamais été confronté, auxquelles il n’a pas pu s’adapter biologiquement et dont il n’a pu nous transmettre une expérience par la culture.

2. Récits et politiques de l’Anthropocène

Mais l’Anthropocène, méga-objet dramatique qui envahit l’espace public, n’est-il pas vecteur d’apathie et arme de dépolitisation ? Un discours surplombant, pensant les évolutions à l’échelle planétaire géologique ne fait-il pas perdre tout sens à l’engagement ? Puisque la crise écologique est désormais un problème d’ampleur géologique, alors cela nous dépasserait et il faudrait laisser le problème aux experts scientifiques ? Puisque le changement de trajectoire du système Terre est déjà quasi irréversible à l’échelle humaine [3], alors tout changement individuel, toute action collective serait inutile et il ne resterait (aux privilégiés) qu’à continuer cyniquement à « manger » la planète ? À « adapter » les sociétés aux changements globaux, en raillant la naïveté dérisoire des alternatives des militants, des décroissants, des « bio », des chasseurs-cueilleurs en extinction, des transitionneurs et autres colibris ?

On voit comment le sublime de l’Anthropocène pourrait désarmer toute velléité de changement radical des modes de production, de vie et de consommation. Pour sortir de la complaisance fataliste et post-démocratique, il s’agit de « repeupler les imaginaires » (Stengers), de nous approprier politiquement l’Anthropocène. Un pas en ce sens est de décoder les récits dominants, et de multiplier les récits alternatifs et féconds. Face à cette situation radicalement nouvelle dans l’histoire de la Terre et l’histoire humaine que représente l’Anthropocène, il existe au moins quatre visions du monde, quatre méta-récits de ce qui nous arrive, à nous et à notre Terre nourricière, quatre trames idéologiques invoquant l’Anthropocène en autant de discours et de « solutions » divergents. Les expliciter, les comparer, les critiquer, c’est déjà rouvrir le champ du politique.

2.1. L’Anthropocène naturaliste et technocratique des institutions internationales

Le premier type de discours, naturalisant, est celui qui domine dans les arènes scientifiques internationales. Les scientifiques qui ont inventé le terme d’Anthropocène n’ont pas simplement avancé des données fondamentales sur l’état de notre planète et promu un point de vue systémique sur son avenir incertain. Ils en ont aussi proposé une histoire qui explique « comment en sommes-nous arrivés là ? ». Ce récit peut être schématisé ainsi :

Nous, l’espèce humaine, avons depuis deux siècles inconsciemment altéré le système Terre, jusqu’à le faire changer de trajectoire géologique. Puis vers la fin du XXe siècle, une poignée de scientifiques nous aurait enfin fait prendre conscience du danger et aurait pour mission de guider une humanité égarée sur la mauvaise pente [4].

Ce récit du passé, qui met en avant certains acteurs (« l’espèce humaine » comme catégorie indifférenciée) et certains processus (la démographie, l’innovation, la croissance…), préconditionne une vision de l’avenir et des « solutions », qui place les scientifiques comme guides d’une humanité désemparée et ignorante et fait du pilotage du « système Terre » un nouvel objet de savoir et de pouvoir.

Mais qui est cet anthropos indifférencié ? Le Grand récit officiel de l’Anthropocène orchestre le retour en fanfare de « l’espèce humaine », unifiée par la biologie et le carbone, et donc collectivement responsable de la crise, effaçant par là-même, de manière très problématique, la grande variation des causes et des responsabilités entre les peuples, les classes et les genres : jusque récemment, l’Anthropocène fut un Occidentalocène ! La catégorie d’espèce ne peut servir de catégorie explicative qu’à des ours polaires ou des orang-outans qui souhaiteraient comprendre quelle est donc cette autre espèce qui menace ainsi leurs conditions de vie [5]… Et encore, il s’agirait là d’orangs-outans ou d’ours mal formés en « humanologie », qui ne sauraient discerner les « mâles dominants », les asymétries de pouvoir, le long de la chaîne qui relie le recul de la banquise aux sources majeures d’émission de gaz à effet de serre (seules 90 entreprises sont ainsi responsables de plus de 63 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1751 [6]), ou qui relie les bûcherons et travailleurs indonésiens des palmeraies, les consommateurs européens et les géants de l’agro-alimentaire.

Certes, la population humaine a grimpé d’un facteur dix depuis trois siècles, mais que signifie cette hausse globale impactant un « système Terre » lorsqu’on observe qu’un Américain du Nord possède une empreinte écologique 32 fois supérieure à celle d’un Éthiopien, que la consommation énergétique d’un soldat américain a été multipliée par 228 entre la première et la seconde guerre mondiale [7], ou que la moitié la plus pauvre de l’humanité ne détient que 1 % des richesses mondiales (contre 43,6 % pour les 1 % les plus riches) [8] ?

Et comment croire que ce n’est que depuis quelques décennies que nous « saurions » quels dérèglements nous imprimons à la planète ? Une amnésie sur les savoirs, les contestations et alternatives passées de l’industrialisme ne sert-elle pas une vision politique particulière, dépolitisante de la situation actuelle, qui place les scientifiques et leurs sponsors comme guides suprêmes d’une humanité, troupeau passif et indifférencié ? Or, l’histoire nous apprend au contraire que les alertes scientifiques sur les dégradations environnementales globales et les contestations des dégâts de l’industrialisme ne datent pas d’aujourd’hui, ni même des décennies post-1960 : elles sont aussi anciennes que le basculement dans l’Anthropocène. Il existait autour de 1800 une théorie largement partagée d’un changement climatique global causé par la déforestation alors massive en Europe de l’Ouest [9]. Certes, de telles théories sont aujourd’hui largement complétées et corrigées (de même que la science du climat du XXIe siècle corrigera celle du XXe) ; certes, les données scientifiques d’aujourd’hui sont plus denses, massives, globales, mais il est historiquement faux et politiquement trompeur de faire passer les sociétés du passé pour inconscientes des dégâts – environnementaux et sanitaires et humains – du capitalisme industriel. Ceux-ci furent contestés par mille luttes ; non seulement par les romantiques ou les classes assises sur la rente foncière, mais aussi par des lanceurs d’alerte scientifique, des artisans et ouvriers luddites, et par les multitudes rurales au Nord et au Sud qui perdaient alors les bienfaits des biens communs agricoles, halieutiques et forestiers appropriés, marchandisés, détruits ou pollués [10]. Ainsi, un précurseur du socialisme, Charles Fourier, écrivait en 1821 un essai sur « La détérioration matérielle de la planète » dont l’« industrie civilisée » (son terme pour désigner le nouveau capitalisme industriel libéral auquel il opposait un stade supérieur plus juste et harmonieux, l’« association ») était considérée comme la cause agissante.

Plutôt qu’un « on ne savait pas », nous devons donc penser l’entrée et l’enfoncement dans l’Anthropocène comme la victoire de certains intérêts qui ont fabriqué du non-savoir sur les dégâts du « progrès », comme le déploiement de grands dispositifs (idéologiques et matériels) et de « petites désinhibitions » [11] par lesquels les oligarchies productivistes de différentes époques ont pu jusqu’ici réprimer, marginaliser ou récupérer les contestations socio-écologiques.

Et, plutôt qu’une vision du monde où la société est passive et ignorante, attendant que les scientifiques sauvent la planète (avec la géo-ingénierie, les agro-carburants, la biologie de synthèse ou les drones-abeilles remplaçant la biodiversité naturelle, et autres « solutions » techno-marchandes « vertes »), il convient de reconnaître que c’est dans l’ensemble du tissu social et des peuples que se trouvent les savoirs, les initiatives et les « solutions » qui « sauveront la planète ».

En somme, ce premier récit de l’Anthropocène pose d’importants constats, mais surtout d’immenses obstacles à toute perspective d’éco-politique émancipatrice ; il s’apparente par son caractère technocratique et dépolitisant à ce qu’André Gorz avait appelé « éco-fascisme » ou à ce que Félix Guattari avait nommé « écologie machinique ».

2.2. Le « bon Anthropocène » piloté des post-environnementalistes technophiles

Un deuxième grand récit, post-environnementaliste , célèbre l’Anthropocène comme l’annonce (ou la confirmation) de la mort de la nature comme externalité. Ce récit est intéressant en ce qu’il questionne le dualisme nature/culture fondateur de la modernité occidentale et qu’il critique certaines idéologies de « protection de la nature » qui excluaient de fait les populations d’une nature supposée « vierge ». Il ouvre aussi le chantier philosophique d’une nouvelle pensée de la liberté qui ne soit pas l’illusion trompeuse d’un arrachement à tout déterminisme naturel ou d’une domination de la nature. Une pensée de la liberté qui assume ce qui nous attache et nous relie à notre Terre et qui réconcilie l’infini de nos âmes à la finitude de la planète.

Par contre, en célébrant l’ingénierie généralisée d’une techno-nature, les tenants de cette vision (de certains sociologues et philosophes post-modernes à certains idéologues du think-tank post-environnementaliste états-unien du Breakthrough Institute [12], en passant par certains écologues post-nature) prônent non pas une humilité à l’âge de l’Anthropocène, mais un nouveau « pilotage planétaire ». « Avant on a fait de la géo-ingénierie sans le savoir, mal », nous disent-ils en substance ; « mais, maintenant, on va gérer la planète avec toute notre technoscience » et forger un « bon Anthropocène ». Ainsi, pour Bruno Latour, qui a fortement inspiré cette pensée post-environnementale, le péché de Victor Frankenstein ne fut pas d’avoir créé un monstre, mais de l’avoir abandonné inachevé [13]. On va donc réparer le monstre de Frankenstein et, « promis juré », il va mieux fonctionner que le monstre initial et permettre à l’humanité d’accomplir plus avant son destin de pilote de la planète.

Prolongeant le techno-optimiste du premier grand récit, le post-environnementalisme s’éloigne de son naturalisme par son constructivisme radical. Il conçoit la nature, mais aussi l’espèce humaine, comme un construit socio-technico-économique, ouvrant la porte au trans-humanisme.

Cette vision prométhéenne et manipulatrice s’accommode également fort bien du capitalisme financier contemporain, de sa « croissance verte » et de la privatisation-marchandisation en cours des « services écosystémiques » de toute la planète. Quoi de plus constructiviste en effet que la marché, si habile à couper les objets et les sujets de leurs attachements sociaux et écologiques pour les reformater indéfiniment en marchandises circulant dans de nouveaux réseaux ? Mais que gagnera-t-on et que perdra-on à dénier toute altérité à la nature, toute antériorité engendrante à la Terre sur l’humanité ? Et à poursuivre le culte des monstres de laboratoire et à accélérer la déconstruction-reconstruction marchande du monde ? Cette idéologie post-environnementaliste et techno-béate de l’Anthropocène participe donc plus du projet néolibéral de faire du système Terre tout entier un sous-système du système financier que d’un projet d’émancipation des peuples de Gaïa et de transition juste et démocratique.

2.3. L’anthropocène comme effondrement et politique de décroissance

Une troisième lecture de l’Anthropocène, catastrophiste, insiste sur l’intangibilité des limites de la planète, à ne pas outrepasser sous peine de basculement. Cette lecture reprend les alertes des travaux des scientifiques [14] et leur appréhension non linéaire de l’évolution des systèmes complexes. On sort du régime d’historicité progressiste forgé par la modernité industrielle du XIXe siècle [15] : l’histoire n’est plus celle d’un progrès, d’une croissance indéfinie ou d’un fatum innovateur ; elle est discontinue et « désorientée » [16], faite de points de basculement et d’effondrements à anticiper collectivement (cf. l’importance des travaux sur la résilience, sur la pensée politique du mouvement des villes en transition et sur la permaculture). Cette vision fait également écho aux travaux de la « théorie politique verte » [17] et au projet politique de la décroissance, qui renouvellent la pensée de la démocratie et de l’égalité à partir du constat de la finitude. Si l’on prend au sérieux l’Anthropocène dans cette perspective, on ne peut plus penser la démocratie sans ses métabolismes énergétiques et matériels et l’on ne peut plus, dans un monde fini, différer la question du partage des richesses par le rêve d’un gâteau économique grossissant sans fin.

Si elle reprend les constats scientifiques des dérèglements écologiques globaux, cette troisième vision ne partage pas la foi en des « solutions » techno-scientifiques pour sauver la planète des deux premières visions. Elle insiste au contraire, pour éviter un anthropocène barbare, sur la nécessité de changements vers la sobriété des modes de production et de consommation : c’est donc d’initiatives alternatives, de savoirs et de changements dans tous les secteurs de la société, et non pas uniquement par en haut (techno-science, green business, ONU), que dépend l’avenir commun. Ce qui n’exclut pas la planification écologique démocratique, du local au global, d’une résilience et d’une décroissance assumée, équitable et joyeuse si possible, de l’empreinte écologique. [18]

2.4. L’Anthropocène de l’éco-marxisme comme échange écologique inégal

Une quatrième lecture de l’Anthropocène, éco-marxiste, consiste à relire l’histoire du capitalisme au prisme non seulement des effets sociaux négatifs de sa globalisation comme dans le marxisme standard (cf. la notion de « système-monde » d’Immanuel Wallerstein et celle d’« échange inégal »), mais aussi, simultanément, de ses métabolismes matériels insoutenables (fait de fuites en avant récurrentes vers l’investissement de nouveaux espaces préalablement vierges de rapport extractivistes et capitalistes) et leurs impacts écologiques.

Que nous apporte cette vision plus matérielle (comme la troisième et la première) et plus politique (comme la troisième) de l’Anthropocène ? Prenons tout d’abord la question du basculement dans l’Anthropocène au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle. Le récit institutionnel-naturaliste (1er) et le récit constructiviste-technophile (2e) mettent en avant l’inventivité d’un Watt créant des machines à vapeur plus puissantes, techniquement supérieures à toutes les autres sources d’énergie et qui les aurait donc « naturellement » supplantées, requérant alors des quantités croissantes de charbon. Pourtant, on peut opposer à ce récit simpliste un autre récit, plus empiriquement fondé et plus politique. Dans Une grande divergence, Kenneth Pomeranz explique pourquoi l’Angleterre, et non la région chinoise du delta du Yangzi, a pris la voie de l’industrialisation et l’hégémonie mondiale. Les deux sociétés qu’il compare montraient un niveau de « développement » économique et technologique équivalent vers 1750 et furent confrontées à des pressions analogues (plus forte en Angleterre) sur leurs ressources (terre, bois). Une double contingence favorable explique selon Pomeranz la voie anglaise : la proximité de gisement de charbon utilisable (alors qu’ils étaient distants de plus de 1500 km de Shanghai) et la situation de l’Europe au carrefour géographique de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Asie, situation qui avait permis une accumulation primitive aux XVIe et XVIIe siècle et qui, autour de 1800, permettait à l’Angleterre d’importer/capturer des ressources cruciales à son développement industriel : de la main-d’œuvre esclavagiste cultivant le coton (évitant ainsi des millions d’hectares de prairies pour des moutons pourvoyeurs de laine), du sucre (4 % de l’apport énergétique alimentaire en Angleterre en 1800), du bois, puis du guano, du blé et de la viande. Kenneth Pomeranz montre les liens – aux incidences écologiques majeures – entre essor industriel britannique et mise au travail d’« hectares fantômes » de la périphérie de l’empire. Ainsi en 1830, la consommation de sucre (antillais) du pays correspond à l’apport de 600 000 hectares de bonnes terres à céréale ou pomme de terre, celle de coton (américain) à 9,3 millions d’hectares de pâturages à ovins et celle de bois (Amérique et mer Baltique) à plus de 400 000 hectares de forêts domestiques. Au total, (bois, coton esclavagiste, sucre, etc.), une Angleterre maîtresse des mers. On atteint ainsi plus de 10 millions d’hectares (soit l’équivalent de la surface agricole utile anglaise) de production annuelle drainée vers l’Angleterre. [19]

C’est cet échange écologique inégal qui a placé la Grande-Bretagne au centre d’un flux de ressources qui permit son entrée dans l’ère industrielle. Ce basculement dans l’Anthropocène n’est pas sans lien, également, avec les guerres napoléoniennes qui inaugurèrent, en réponse au blocus continental, le transport massif à grande distance de bois d’Amérique du Nord, rendant ainsi possible en retour l’émigration de masse vers l’Amérique du Nord, autre facteur clé de l’augmentation de l’empreinte écologique humaine. Enfin, les guerres napoléoniennes jouèrent un rôle clé vers la dérégulation des pollutions qui permit la naissance d’un capitalisme chimique [20] qui joue depuis deux siècles un rôle « anthropocénique » considérable (acides, colorants, engrais chimiques, biocides, aérosols…).

Ainsi appréhendée, la « révolution industrielle » n’est pas le processus linéaire poussé par le génie technologique de quelques savants et entrepreneurs européens (premier récit), mais plutôt le nœud d’une configuration géopolitique globale. D’ailleurs, l’adoption des machines à vapeur n’avait rien d’évident ni de nécessaire. Au début du XIXe siècle, il n’existe que 550 machines à vapeur contre 500 000 moulins à eau en Europe, et le charbon est plus cher que l’énergie hydraulique. Ce n’est que lors de la récession de 1825-1848, couplée au métier à tisser automatisé comme réponse patronale aux « indisciplines » et aux revendications ouvrières, ainsi que dans une logique de concentration de la main-d’œuvre, que la machine à vapeur fut adoptée dans l’industrie textile. Plutôt que le produit abstrait et indifférencié d’une « entreprise humaine », l’Anthropocène résulte de choix technico-économiques faits par certains groupes sociaux, en vue d’exercer un pouvoir sur d’autres, qui souvent résistèrent [21]. Et ce basculement initié par une poignée de personnes (en 1825, la Grande-Bretagne est responsable de 80 % des émissions mondiales de CO2) entraîna l’humanité et la Terre dans un devenir anthropocénique par le jeu de la concurrence économique, de la guerre et de la domination impériale.

Prenons comme deuxième exemple la pétrolisation du monde au XXe siècle : elle est encore le résultat de choix politiques opérés pour maintenir et stabiliser le capitalisme. Tout au long du XXe siècle, le pétrole est plus cher que le charbon, qui passe pourtant de 5 % de l’énergie mondiale en 1910, à plus de 60 % en 1970. Cette pétrolisation est tout d’abord le fait de la suburbanisation et de la motorisation. Ce processus a été activement encouragé par les dirigeants américains conservateurs dès 1920. La maison de banlieue leur paraissait être le meilleur rempart contre le communisme en redéfinissant l’environnement politique et social du travailleur : elle casse les solidarités ethniques et sociales qui avaient été le support des solidarités ouvrières. La maison individuelle et la voiture qui l’accompagne jouent aussi un rôle essentiel de discipline sociale par l’intermédiaire du crédit à la consommation : dès 1926, la moitié des ménages américains sont équipés d’une voiture, mais les deux tiers de ces voitures ont été acquises à crédit.

À l’époque où dominait le charbon, les mineurs possédaient le pouvoir d’interrompre le flux énergétique alimentant l’économie (cf. le succès de la première grève générale anglaise de 1842). Acteurs clés du mouvement ouvrier, les mineurs et cheminots contribuèrent à l’émergence de syndicats et de partis de masse, à l’extension du suffrage universel et à l’adoption des lois d’assurance sociale. Dès lors, la pétrolisation de l’Amérique puis de l’Europe prend un sens politique : affaiblir les mouvements ouvriers et les luttes sociales. Le pétrole est beaucoup plus intensif en capital qu’en travail, le travail humain d’extraction se fait en surface (et en grande partie dans ce qui était le « tiers-monde »), il est donc plus facile à contrôler que les puissants syndicats de mineurs ou de cheminots. Un des objectifs du plan Marshall était ainsi d’encourager le recours au pétrole afin d’affaiblir les mineurs et leurs syndicats et d’arrimer ainsi les pays européens au bloc occidental [22].

Plus généralement, dans la lecture éco-marxiste, l’Anthropocène apparaît comme la « seconde contradiction » du capitalisme, son incapacité à maintenir les conditions écologiques d’une vie sur Terre. À condition de ne pas basculer dans un aplatissement de la question écologique dans le vieux cadre marxiste ni dans l’annonce prophétique (déjà faite par Lénine…) de l’auto-écroulement du capitalisme sous le poids de ses contradictions, cette perspective présente l’intérêt d’inscrire la matérialité des flux de matière et d’énergie et des processus écologiques dans une histoire critique du capitalisme.

Elle permet de repenser la croissance occidentale des deux derniers siècles en termes d’échange écologique inégal, selon lequel les économies dominantes du centre du système-monde capturent non seulement des heures de travail, mais aussi des hectares et des ressources finies à la périphérie tout en externalisant des dégâts écologiques et de l’entropie.

Elle permet aussi de sortir du fétichisme technologique (qui fut longtemps partagé et propagé par le marxisme) en reliant les gains de productivité technique au centre du système-monde à une dégradation environnementale et sociale au plan planétaire. Ainsi, pour un éco-marxiste comme Alf Hornborg, le développement technique est le produit d’une accumulation au centre du système-monde permis par un échange écologique inégal avec la périphérie (dans le cadre d’un « jeu à somme nulle » sur une planète finie) : dans le capitalisme fossile, le « progrès technique » au centre est la contrepartie d’une perte d’efficacité globale et d’une dégradation écologique et thermodynamique de la planète [23]. Cette lecture offre des convergences avec la troisième lecture, post-progressiste et technosceptique, de l’Anthropocène.

Enfin, la lecture éco-marxiste offre des prises théoriques et politiques pour décoder les stratégies actuelles de l’oligarchie mondiale pour « néolibéraliser » la nature et faire du système Terre dans son entier un sous-système du système financier (pénétration généralisée de l’action environnemental publique – nationale, européenne et onusienne – par les intérêts privés, durcissement de la propriété intellectuelle sur le vivant, approches néolibérales de la résilience et des « risques » environnementaux, green bonds, marchés du carbone, REDD, marchandisation-compensation écologique…).

Conclusion : multiplier les récits

Bien entendu, les troisième et quatrième lectures, les seules qui se réapproprient les alertes scientifiques dans des perspectives émancipatrices et qui pourraient se féconder l’une l’autre à travers de multiples lignes de convergences possibles, apparaissent comme les plus intéressantes pour un altermondialisme écologiquement conscient. Elles offrent une boîte à outils pour imaginer et construire collectivement des stratégies de résistance à la fuite en avant des grands projets inutiles et imposés du productivisme (dont le dernier en date est la géo-ingénierie), des alternatives systémiques au capitalisme industriel aujourd’hui financiarisé, des stratégies de résilience solidaire et de réorganisation en cas d’effondrement local (cf. la Grèce) ou global, une transition d’ambition trans-locale et trans-séculaire, mais sans posture démiurgique (acceptation d’un passé et d’un devenir communs avec notre matrice la Terre, dans l’humilité volontaire), vers une sortie de l’Anthropocène, vers un vivre ensemble dans une nouvelle époque géologique que l’on pourrait nommer « Écocène » puisque l’Oikos est la maison partagée.

Mais peut-être que même ces deux lectures, catastrophiste/décroissante ou éco-marxiste, restent encore trop surplombantes et occidentales pour prétendre constituer la base des discussions dans le mouvement « alter » au plan international. Peut-être sont-elles trop prisonnières d’une vision du monde « mono-naturaliste » de la modernité occidentale, trop prise dans un géo-savoir-pouvoir sur la Terre, héritier d’une posture de domination-extériorité, de l’entreprise coloniale et de la culture de la guerre froide. Le point de vue du long terme géologique et du « système » Terre, considéré de l’extérieur (au moyen de la technosphère spatiale notamment), ne tend-il pas à placer au pouvoir global certains groupes et à marginaliser certains peuples, certaines voix et certaines visions de la Terre ? Sans idéaliser les constructions complexes que sont la Pachamama ou le buen vivir, ni voir les peuples amérindiens en bon sauvages écologistes, il reste que le perspectivisme amérindien offre un contrepoint théorique essentiel au mononaturalisme (qui structure chacune des quatre grandes lectures discutées ici) et donne à penser d’autres perspectives possibles sur les problèmes écologiques planétaires [24].

Aussi importe-t-il de multiplier encore les récits, de permettre l’inscription/traduction des enjeux de l’Anthropocène dans une multiplicité de visions du monde et de permettre leur mise en discussion dans un dialogue interculturel ouvert au sein dans la nébuleuse « alter » (en évitant autant que possible les concepts flous aisément récupérables par le développementalisme gouvernemental comme le buen vivir menace de l’être). « Quelles paroles faut-il semer, pour que les jardins du monde redeviennent fertiles ? » se demandait la poétesse Jeanine Salesse. Sans doute, de multiples paroles plutôt qu’un seul récit du match de « l’espèce humaine (ou du capitalisme) face au système Terre » ; venant de voix multiples et ancrées dans des lieux tous uniques puisque l’hégémonie du global, de la mobilité et d’un regard dé-terrestré sur la Terre appelle au contraire à une réhabilitation du lieu et des liens.

Notes

[1Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.

[2Pour une critique de la colonisation des résistances anti-industrielles des mouvements ouvriers et socialistes par une gauche bourgeoise et progressiste tout au long du XIXe et du XXe siècle, voir Jean-Claude Michéa, Les Mystères de la gauche, De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Paris, Climats, 2013.

[3Même dans l’hypothèse d’un arrêt immédiat des émissions de gaz à effet de serre, il faudrait des siècles pour retrouver une trajectoire climatique préindustrielle.

[4Cette synthèse carricature à peine les positions exprimées dans : Paul J. Crutzen, «  Geology of mankind  », Nature, vol. 415, 3 janv. 2002, p. 23  ; Will Steffen, Jacques Grinevald, Paul Crutzen et John McNeill, «  The Anthropocene : conceptual and historical perspectives  », Philosophical Transactions of the Royal Society A, vol. 369, n° 1938, 2011, 842–867.

[5Cf. Andreas Malm and Alf Hornborg, «  The geology of mankind  ? A critique of the Anthropocene narrative  », The Anthropocene Review, published online 7 January 2014.

[6Richard Heede, «  Tracing anthropogenic carbon dioxide and methane emissions to fossil fuel and cement producers, 1854-2010  », Climatic Change 122 (2014), pp. 229-241. Pour une ébauche d’histoire différenciée et politique des émissions de gaz à effet de serre, voir Bonneuil et Fressoz, op. cit., p. 115-140.

[7Pour les données, voir Fressoz et Bonneuil, op. cit., 2013, p. 89 et 166-167.

[8Rapport Global Wealth Databook du Crédit Suisse, 2012, p. 89, consulté le 15 avril 2013.

[9Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, «  Le climat fragile de la modernité, Petite histoire climatique de la réflexivité environnementale  », La Vie des idées, 20 avril 2010.

[10François Jarrige, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2014.

[11Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse, Paris, Seuil, 2012.

[13Bruno Latour, «  Love your monsters  », dans M. Shellenberger et T. Nordhaus (dir.), Love your monsters, Post-environmentalism and the Anthropocene, Breakthrough Institute, 2011, 16-25.

[14A. Barnosky et al., «  Approaching a state shift in Earth’s biosphere  », Nature, vol. 486, 7 juin 2012, 52-58.

[15François Hartog, Régimes d’historicité, Présentisme et Expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003  ; Marcel Gauchet, L’Avènement de la démocratie, I : La révolution moderne, Paris, Folio, 2013, 163-198.

[16Cf. le dernier n° de la revue Entropia, «  L’histoire désorientée  », 2013.

[17Cf. les travaux d’Andrew Dobson, Bruno Villaba, Luc Semal, Mathilde Szuba...

[18Agnès Sinaï (dir.), Penser la décroissance, Politiques de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2013  ; Michel Lepesant (dir), L’antiproductivisme : un défi pour la gauche  ?, Lyon, Parangon, 2013  ; Paul Ariès, Le socialisme gourmand, Paris, La Découverte, 2013.

[19Kenneth Pomeranz, Une grande divergence, La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel, 2010.

[20Fressoz, 2012, op. cit.

[21Andreas Malm, Fossil Capital, The rise of steam power in the Brittish cotton industry, c. 1825-1848, and the roots of global warming, Lund Univ., 2014.

[22Timothy Mitchell, Carbon Democracy, Paris, La Découverte, 2013.

[23Alf Hornborg, Global ecology and unequal exchange, London, Routledge, 2013.

[24Eduardo Viveiros de Castro, Métaphysiques Cannibales, Paris, PUF, 2005  ; Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

À propos de l'auteur

Membre de la commission Écologie et société du Conseil scientifique d’Attac.

 

https://france.attac.org/

 

 

Thomas Coutrot : « 59% de la dette publique est illégitime »

Qu’est-ce que la dette publique ? A qui profite-t-elle ? Et comment peut-on vraiment la résorber ? le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique publie un audit précis de la dette française. Thomas Coutrot nous éclaire sur cette dette qui sert parfois de prétexte aux pires décisions politiques.

 

 

Cette étude a été réalisée par un groupe de travail du Collectif pour un Audit citoyen de la dette publique. Elle se veut une contribution au nécessaire débat public sur des questions cruciales : d’où vient la dette ? A-t-elle été contractée dans l’intérêt général, ou bien au bénéfice de minorités déjà privilégiées ? Qui détient ses titres ? Peut-on alléger son fardeau autrement qu’en appauvrissant les populations ? Les réponses apportées à ces questions détermineront notre avenir.

 

Résumé du rapport

59% de la dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêt excessifs

Tout se passe comme si la réduction des déficits et des dettes publiques était aujourd’hui l’objectif prioritaire de la politique économique menée en France comme dans la plupart des pays européens. La baisse des salaires des fonctionnaires, ou le pacte dit « de responsabilité » qui prévoit 50 milliards supplémentaires de réduction des dépenses publiques, sont justifiés au nom de cet impératif.

Le discours dominant sur la montée de la dette publique fait comme si son origine était évidente : une croissance excessive des dépenses publiques.

Mais ce discours ne résiste pas à l’examen des faits. Dans ce rapport nous montrons que l’augmentation de la dette de l’État – qui représente l’essentiel, soit 79%, de la dette publique – ne peut s’expliquer par l’augmentation des dépenses puisque leur part dans le PIB a chuté de 2 points en trente ans.

Si la dette a augmenté c’est d’abord parce que tout au long de ces années l’État s’est systématiquement privé de recettes en exonérant les ménages aisés et les grandes entreprises : du fait de la multiplication des cadeaux fiscaux et des niches, la part des recettes de l’État dans le PIB a chuté de 5 points en 30 ans.

Si l’État, au lieu de se dépouiller lui-même, avait maintenu constante la part de ses recettes dans le PIB, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de 24 points de PIB (soit 488 milliards €) à son niveau actuel.

C’est ensuite parce que les taux d’intérêt ont souvent atteint des niveaux excessifs, notamment dans les années 1990 avec les politiques de « franc fort » pour préparer l’entrée dans l’euro, engendrant un « effet boule de neige » qui pèse encore très lourdement sur la dette actuelle.

Si l’État, au lieu de se financer depuis 30 ans sur les marchés financiers, avait recouru à des emprunts directement auprès des ménages ou des banques à un taux d’intérêt réel de 2 %, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de 29 points de PIB (soit 589 milliards €) à son niveau actuel.

L’impact combiné de l’effet boule de neige et des cadeaux fiscaux sur la dette publique est majeur : 53% du PIB (soit 1077 milliards €). Si l’État n’avait pas réduit ses recettes et choyé les marchés financiers, le ratio dette publique sur PIB aurait été en 2012 de 43% au lieu de 90 % comme le montre le graphique ci-contre.

Au total, 59% de l’actuelle dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêts excessifs.

La hausse de la dette publique provient pour l’essentiel
des cadeaux fiscaux et des hauts taux d’intérêt

Source : Insee, comptabilité nationale ; calculs CAC



Le rapport d’audit propose aussi une évaluation des impacts des paradis fiscaux ainsi que de la crise financière de 2008 dans l’envolée de la dette publique.

Au total, il apparaît clairement que la dette publique a été provoquée par des politiques économiques largement favorables aux intérêts des créanciers et des riches, alors que les sacrifices demandés aujourd’hui pour la réduire pèsent pour l’essentiel sur les salariés, les retraités et les usagers des services publics. Cela pose la question de sa légitimité.

Le rapport se conclut par une série de propositions destinées à alléger le fardeau de la dette (près de 50 milliards d’euros d’intérêts par an et plus de 100 milliards de remboursements) pour rompre avec le cercle vicieux des politiques d’austérité et financer les investissements publics dont l’urgence sociale et écologique n’est plus à démontrer.

La réalisation d’un audit de la dette publique effectué par les citoyens ou sous contrôle citoyen, devrait permettre d’ouvrir enfin un véritable débat démocratique sur la dette publique. Ce débat devrait amener à déterminer quelle partie de cette dette est jugée par les citoyens comme illégitime. Les premières évaluations ici proposées par le groupe de travail du Collectif pour un audit citoyen se veulent une contribution à ce débat.

Ont participé à l’élaboration de ce rapport : Michel Husson (Conseil scientifique d’Attac, coordination), Pascal Franchet (CADTM), Robert Joumard (Attac), Evelyne Ngo (Solidaires Finances Publiques), Henri Sterdyniak (Économistes Atterrés), Patrick Saurin (Sud BPCE)

Lire le rapport complet : https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rappor...

 

 

Brésil - 1999

 

Et encore une fois, le Brésil...

 

 

Aéroport de Sao Paulo sous la pluie, escale avant Rio, et l'avion redécolle. Musique latino sur les oreilles. Je ne sais pas encore que je suis au Brésil. Appréhension. Manque de sommeil, angoisse, je suis presque maussade. Non, je n'ai vraiment pas encore réalisé que ce que je vois là en bas, à travers le hublot, c'est le Brésil. Pour la quatrième fois !

  

Chaud le Brésil, une chaleur qui dilate le cœur, qui enfièvre les regards, une chaleur lourde et lascive qui ruisselle entre les cuisses. Bouffées douces de maconha, frisson vert acidulé des caïpirinhas, déloyales et délicieuses. Chaud et le temps s'étire tout en longueur, en langueurs moites et palpables, traversé de violents éclairs qui déchirent l'atmosphère imprégnée de sensualité. Le cœur est à l'orage.

 

Chaud et pourtant demeure le qui-vive, l'urgence, le vacarme des rues, le grondement des moteurs, les cris, les sifflements, le crissement des pneus sur l'asphalte. Au coin d’une rue, sur le trottoir, des fleurs, des bougies dont la cire a coulé, des fruits… Rituels macumba. Les postes de radio égrainent leur musique, rythmes salsa qui font danser des oreilles aux orteils. Poussière humide, friture et jasmin, étalages bariolés de fruits charnus et sucrés. Le son des voix se confond avec le reste, séduction de la langue, musique de vie.

 

La magie suinte de la terre et des murs fendillés, magie blanche, magie noire, magie du sang mêlé. Mulato, caboclo, cafuzo… Petits chats sauvages, rapazes, pivetes, enfants des favelas. La vie est à ce point tordue qu’on va jusqu’à donner aux bidons-villes un nom de fleur sauvage. La favela est une fleur qui poussait sur les mornes… Y fleurit-elle encore entre les entassements d’ordures, de tôles et les coulées de boue ? Favela da Rocinha, Morro da Babilônia... Multitude d'enfants aux corps têtus et fragiles. Leurs peaux crasseuses gorgées de soleil. Leur regard fier et farouche, brûlant de hardiesse, de curiosité. Ces enfants me fascinent et la violence de leur enfer encore une fois me révolte.

 

Je vois le vaste océan là-bas, qui lèche et sanctifie le rivage de ses langues d'écumes, raconte en boucle sa longue histoire, ses peines infinies. Le vieil océan qui pour combler sa solitude, à l’heure où le soleil chavire, berce la lumière moribonde, pendue aux flots de la baie de Guanabara. C’est Iemanja la déesse, qui nous protège et charrie nos débris, nos ordures, nos scories. Une fois l’an, pour l’honorer, les fidèles vêtus de blancs de l’umbanda, jette dans ses bras bleus des brassées de glaïeuls et plantent des milliers de petits soleils sur ses flancs ensablés. Il se peut qu’au même moment, certains finissent sous un bus, écrasés, en robes blanches ensanglantées. A Rio, le drame est un fait divers. 31 décembre 1994, minuit moins cinq. Ceux qui étaient avec moi s’en souviennent encore. Jamais encore je n’ai pu raconter ça par écrit. Heureusement après, il y a eu Paraty, puis Sao Paolo, 1995, Belo Horizonte et Ouro Preto, 1998 et aujourd’hui Rio encore. La boucle est bouclée, mais ici je n’écris pas. Ici je vis, je vis à fond.

 

 

Chaud… et la chaleur boit à même les corps, en extrait les plus intimes parfums pour les répandre ensuite, huiles saintes sur la terre. Terre de feu, de sang, qui rend fou, vivant, obscène et entier, tellement la mort est omniprésente ! Une terre où les sans-terres luttent sans arme, une terre où l’enfant sans père, ni mère, voudrait bien pouvoir laisser couler des larmes. Trop grandes richesses côtoient trop grande détresse.

 

Terre de bois rouge, ma terre-aimant ! C'est encore toi que je vois à travers le hublot, mais c'est déjà le retour et comme à chaque fois, je n'ai pu que vivre, vivre vite et beaucoup, même trop parfois. Et maintenant en escale à Sao Paulo, sans quitter l'avion, je pense à quoi ? Je sais que je reviendrai un jour, dans six mois, dans un an, je n'en sais rien et cela n'a aucune importance.

 

 

Cathy Garcia, janvier 1999

 

 

 

Brésil : des « street artist » ont réalisé des graffitis anti coupe du mode un peu partout dans le pays, en voici quelques-uns

 

Source : http://www.demotivateur.fr/article-buzz/des-graffitis-ant...

 


Non, je n'irai pas à la Coupe du Monde au Brésil #ChangeBrazil

 

Cette coupe 2014 semble être l'occasion d'un réveil global des consciences, la situation n'est pas nouvelle au Brésil, loin loin loin de là, elle est même meilleure qu'il y a 20 ans d'une certaine façon, puisque classe moyenne augmentant, conscience sociale et politique semblent avoir augmenté aussi... de même chez nous ? Espérons-le ! Le Brésil et l'Amérique latine est un formidable réservoir d'énergies à changer le monde... Soutenons-les !

cg, 4 juin 2014

 

 

 

01/06/2014

Microbe 83 et Grovisse de forme

 

Microbe 83.jpgLe 83e numéro du Microbe est sorti (depuis un moment) !

Au sommaire :
Jean-Marie Alfroy
G
abrielle Burel

Grégoire Damon
Sandrine Davin
Xavier Frandon
Cathy Garcia (et on m'offre la quatrième de couv !)
Paul Guiot
Cédric Landri
Catfish McDaris
Fabrice Marzuolo
Louis Mathoux
Bénédicte Montjoie
Raymond Penblanc
Morgan Riet
Basile Rouchin
Les illustrations sont de Matt Mahlen

 

avec en prime pour ceusses qui...

Couverture Grovisse.jpgGROVISSE DE FORME
par André Stas & Éric Dejaeger

Il devait paraître en juillet, mais comme les éditions Microbe sont toujours à l’avance sur les autres, il a été envoyé avec le Microbe 83 de mai.

Au départ, une idée de Dédé sur une règle de grammaire très pointue du plus célèbre grammairien francophone autant que belge. À l’arrivée, la règle illustrissimée par des dizaines d’exemples multiclastes, entortitordus, calemboufoireux et pires.

Les zauteurs sont certains que personne ne fera mieux. Sauf eux !

Éditions Microbe (2014)
Tirage numéroté et limité à 130 exemplaires
28 pages
ISBN : néant
et certainement qu'à cette heure, y'en a plus...dommage, parce que ça fait bien marrer, ça détend les orpions et même que parfois ça fait réfléchir (un peu)

 

http://courttoujours.hautetfort.com/