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27/04/2021

Feux de Perrine Le Querrec

éditions Bruno Doucey, mars 2021

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75 pages, 14 €.

 

 

Et le poète de sa voix de feu

D’une aile d’oiseau attise les mots

 

On peut dire que dans ce recueil dont le titre dit clairement de quoi elle parle, Perrine Le Querrec fait ici feu de tout feu. Traversant quelques milliers d’années d’Histoire et explorant toutes les facettes de cet élément, les bénéfiques comme les dramatiques, elle déploie une sorte de fresque mouvante, un théâtre d’ombres de personnages que le feu met ou a mis, et parfois très cruellement, en lumière et peut-être plus particulièrement des femmes. Depuis celle qui dans la caverne a inventé le feu « Seins hanches ventre rond / Disparue à jamais » aux ouvrières sacrifiées, aux femmes indociles et veuves indésirables, aux militantes immolées en passant par les sorcières aux bûchers : femmes trop vives, feu aux femmes !

 

La ville silencieuse cadenasse ses oreilles

Qu’on démonte les cloches, qu’on fonde leur acier

Dans le feu des sorcières et des illuminés.

 

Des feux politiques donc, des feux de religion, des feux symboliques, des feux géologiques mais aussi des feux artistiques et littéraires. Des figures renaissent des cendres, comme Marguerite de Porète, béguine itinérante et première femme à avoir péri sur un bûcher de la place de Grève à Paris pour avoir eu trop d’esprit, une âme trop libre et un cœur trop flamboyant. C’était en 1310. Le feu a fait d’elle, et de tant d’autres, une immortelle.

 

Des feux de joie, des feux de guerre, « des feux autoritaires, des feux de dictatures / mais aussi / Des feux de résistance, des feux brûlants de vie. » L’ordre du recueil est chronologique, une traversée de l’Histoire dans le miroir des flammes, la grande Histoire collective et les histoires individuelles. L’humanité, écrit Perrine Le Querrec, se dessine à travers ses feux

 

Des feux qui ramènent une mémoire enfouie.

 

Feux salvateurs, feux destructeurs, feux de mémoire, feux de langues, c’est à un grand incendie que nous convie Perrine le Querrec en agitant ainsi les tisons de son écriture. Elle y convoque des poètes, écrivains, artistes disparus, très connus comme Gogol, Van Gogh, Nerval, Artaud ou moins connus comme Angus McPhee, un artiste brut écossais ou la poétesse Ingeborg Bachmann.

 

Depuis quand le soleil se couche

J’ai toujours l’impression

Que quelqu’un brûle.

 

Elle évoque Piotr Pavlenski, artiste dissident russe fiévreux et incontrôlable toujours actif, elle rend hommage aux victimes de guerres et de catastrophes plus ou moins naturelles. Elle évoque des corps et des lieux marqués au feu, dévorés par le feu mais, écrit-elle, depuis des millénaires la vie renaît de ses cendres / Il y a des racines que jamais le feu n’atteint.

 

Un questionnement plus discret souffle entre ces pages aussi, celui que soulèvent les flammes du désir, du sentiment amoureux.

 

Il y a un côté compilation dans ce recueil, une énumération qui parfois en étouffe même le souffle poétique, peut-être parce qu’il s’agit surtout de faire œuvre de mémoire. Pour qui connaît l’écriture de Perrine le Querrec, on sent qu’il y a là presque comme un chantier en cours encore, une récolte de braises plus ou moins vives dont chacune pourrait donner naissance à un développement. On sent ce qui chez elle a été attisé et qui est un peu trop énorme, trop violent aussi, pour pouvoir être contenu en 75 pages, mais c’est déjà un beau départ de feu car les livres aussi brûlent.

 

Savez vous

Les livres brûlent les doigts brûlent l’esprit brûlent les à priori

brûlent les ignorances brûlent les yeux brûlent les dictatures

saviez-vous

les livres brûlent

 

Le monde parfois semble n’être plus qu’un grand brasier.

  

Cathy Garcia Canalès

 

 

Fondazione0258-edited.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons.
Perrine Le Querrec
écrit de la poésie et de la prose. Sa langue est une architecture de mots, de silences, d’archives de trous et de pliures. Lorsqu’elle sort de la page, elle travaille en duo avec le contrebassiste Ronan Courty et forme l’autre moitié de PLY, duo avec le photographe Mathieu Farcy. Ses dernières parutions en 2020 : Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du dessert de lune, Rouge pute, Éditions La contre allée.

http://www.perrine-lequerrec.fr/

 

 

 

 

 

09/10/2019

Dé-camper de Florentine Rey

 

 

Gros Textes éd.2018

 

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50 pages, 9 €.

 

 

 

Avant que ne meure le temps d’aimer, comme le chante Barbara, avant de repeindre ou de redécorer, elle s’est désencombrée de tout ce qu’elle savait ne pas être elle pour tenter d’aller se trouver ailleurs. Seule.

 

« Elle se croit sans colère.

Rupture facile, pardon, grandeur d’âme ; elle flaire le mensonge, les bobards de la marchande de chimères, le cœur protégé par des ruses de sioux.

Sa colère c’est à elle qu’elle l’adresse.

Son cerveau cède le contrôle à des forces anciennes.

 

(…)

 

Son projet : mettre l’essentiel dans une valise et partir le plus loin de la ville, du béton, du plastique, des corps à la mode. »

 

Elle décampe donc pour aller camper seule dans le sud de la France. Une grande voiture, une tente, un carnet, un crayon. « Une assiette, un bol et trois couverts suffiront. » Une nouvelle tête :

 

« La crête c’est marrant, typé, mais pas joli. » Dixit sa mère.

« Toute la violence qu’elle essaie de contenir, elle la porte sur sa tête.

La coupe WOODY : une coupe de piqueuse de bois vert. »

 

WOODY à qui le PIVORE viendra tenir compagnie, le pic-vert vorace qui dévore les mots bavards, Maître PIVORE, le juge qui rendra son verdict : coupable de rien du tout, on remballe, on retourne sur la plage, écrivez, circulez.

 

Trouver ce qu’elle est hors des clichés. Femme ?

 

« Elle a une jupe dans la tête et les réflexes qui vont avec. Dans ses plis logent des chuchotements de nonnes, des histoires de sorcières, de la rage, de l’enfoui qui fait gonfler les jambes. »

 

Nomade.

Le mot la réconforte : perspective d’une identité la moins définie possible. »

 

Avec Dé-camper, Florentine Rey nous entraîne dans un inner-trip, avec des images, des mots bien à elle, une autodérision qui ne cache pas l’émotion à vif, la névrose, jouer avec les mots jusqu’à trouver la clé de l’énigme de soi, du mal-être. La quête d’une identité qui ne trahirait pas l’être dans sa réalité profonde, abyssale, mais comment émerger de cette mer en soi et affronter le large au-dehors peuplé d’Autres avec qui le contact s’avère difficile, compliqué. Malaise de l’incommunicabilité. Ne pas se noyer : ni hors de soi, ni en soi, sans pour autant chercher à se gaver pour contrer la peur, masquer la faim. Mâcher du chewing-gum, avaler du vide, mais mâcher quand même, mâcher jusqu’à plus de mâchoire, mâcher jusqu’à disparition. Jusqu’à l’apparition de Madame COUJOU, qui boursoufle, grosses joues, gros cou, qui gonfle.

 

« Elle élève la mâche au rang de drogue » mais « La mâche est toxique, ça devient dangereux. »

 

« Si elle reste bouche vide ?

Boucherie dans la bouche ? »

 

Camper, écrit-elle, c’est rétrécir l’habitation et retrouver de l’espace à l’intérieur de soi pour penser, créer.

 

« Ce qu’elle veut ?

Une vraie place dans le monde. »

 

Assumer la sensibilité et la déployer, la dire, se dire sans retenue, faire une force de ce que le monde lui renvoie comme étant un handicap : elle veut être encore plus sensible, sentir plus fort, en faire quelque chose.

 

« Elle dévoilera la planque du chasseur au chevreuil et fera témoigner les poules qui vivent à quinze sur un mètre carré de paille. Elle rencontrera des cochons qui souhaitent qu’on ferme leurs yeux avant qu’ils ne meurent. Les asticots lui montreront comment manger les morts. »

 

Décamper est le journal d’un accouchement d’un soi intégral, l’écriture sert de balancier entre le dehors et le dedans, le trop et le pas assez, tenter le pont de mots pour toucher l’autre sans se mettre en danger, sans creuser plus encore les blessures, celles qui lui donnent envie de se dissoudre, « de débarrasser son corps de tous ses organes, le remplir de sel et l’offrir à la mer ». L’écriture permet de toucher du mot les plaies, leur donner des coups de langue.

 

Femme-poisson, elle habite un château de sable. (…) Personne ne sait qu’elle creuse au centre du château. Un jour, elle coupera sa queue en deux pour se fabriquer des jambes et fuira par le fond du puits.

 

Dé-camper un recueil qui dit le pas pareil, la non-évidence de l’être au monde, la quête, la peur, le courage d’aller à sa propre source. Ce n’est pas un recueil de poésie, c’est de la poésie qui sourd d’un recueil au fur et à mesure où la source est désobstruée, c’est fort, c’est fragile, intime et bouleversant.

 

Cathy Garcia

 

 

 

 

rey 2.jpgFlorentine Rey est écrivain, poète et performeuse. Elle est née à Saint-Étienne en 1975. Des études de piano intensives affinent sa sensibilité, lui apprennent l’exigence mais l’isolent. Une année d’hypokhâgne lui fait rencontrer la philosophie. Elle entre ensuite à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy. À la fin de ses études, elle crée une structure de production artistique où se croisent l’art et la technologie. Six ans plus tard, la nécessité d’écrire et de créer la rattrape. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture et à la performance. Son travail interroge notamment le corps et le féminin. Son site :  https://florentine-rey.fr/

 

 

 

03/06/2019

Radicelles de Murièle Modély, photographies couleurs de Vincent Motard-Avargues

 

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préface de Dominique Boudou – éd. Tarmac, 2019. 40 pages, 18 €.

 

Murièle Modély a trop de talent pour être éditée, je ne me l’explique pas autrement, aussi quand enfin un de ses recueils voit le jour sur papier, c’est vraiment une grande joie que de tenir l’objet où l’écriture devient matière. Et pour une écriture aussi dense, un bel écrin s’impose.

 

Après la revue Nouveaux Délits qui avait publié « Feu de tout bois », premier opus de sa collection Délits buissonniers, c’est de nouveau un revuiste qui tend la main à la talentueuse poète : Jean-Claude Goiri qui publie la revue FPM et a créé aussi les éditions Tarmac.

 

Radicelles est un duo, un vis-à-vis où la voix de la poète vient se frotter aux photographies couleurs de Vincent Motard-Avargue tandis que ces dernières entrent en résonance avec cette langue organique et accrocheuse.

 

On retrouve dans ce recueil, une thématique qui est précieuse à Murièle Modély, quasi obsessionnelle : l’île laissée derrière où sont plantées bien profond des racines lourdes de sang.

 

« Il te semble entendre encore

dans le sifflement du vent la déchirure de ton écorce »

 

L’île, sa langue, son histoire, ses chaînes, sa douleur, ses débordements….

 

« parl franssé ti fille/parl françé/parl franssais

ou la bo ékri com ou veu

tout’zafér la lé roug’, i rempli out tét

tout’marmaille la lé roug’

kan zot i aval, kan ou aval

la mor la mer ek zot doulér »

 

Français, créole, créole, français, les langues emmaillées tissent cette toile qui semble vouée à se défaire encore et encore.

 

« on te dit choisis

choisis ton camp, ta frontière, ton pays

raye tout le reste, choisis

pas de place pour à moitié, à demi, choisis

gratte, arrache, la chair, la peau

il ne restera plus qu’un peu de rouille sur la photo »

 

Le poème devient la seule embouchure par où peut s’écouler le bruyant silence imposé, poème, corps, peau, papier.

 

« tu n’en finis pas de danser

sur la table

de jouer du charbon

de noircir

écrire, ékrir

 

(…)

et des flots de salive qui ramènent dans la montée

du poème

ek in pé do sel sur la langue, le soleil »

 

Nostalgie d’un temps ensoleillé donc où tout coulait de source, sans déchirure :

 

« quand tu étais enfant, le bonheur était simple

il tenait dans le creux de tes paumes

s’écoulait jusqu’à tes dents de lait

le bonheur mordait tes boucles

mangeait ton cerveau nu

puis tu as grandi : tes dents sont tombées

la sagesse a poussé comme un buis

a figé son basalte dans ton verre

a fait taire le volcan et ta lave en fusion »

 

La mémoire cependant est un creuset où plusieurs générations laissent leurs traces, même infimes, même invisibles, elles demeurent.

 

« tu ne te souviens pas du mythe initial

qui te raconte

combien grinçaient les chaînes dans l’air pesant du soir

combien le ciel, la terre et la mer étaient noirs

(…)

la sueur mangeait leurs yeux

la moiteur dévorait leur langue

ils n’avaient pas d’histoires »

 

Le poème vient colmater les abimes, combattre l’oubli. Et nous lecteurs, gardons en refermant le livre comme la sensation en bouche de ces :

 

« vers roses

gras, lourds

au parfum de coriandre »

 

et cette main de feu dans les entrailles qui touille ensemble jouissance et douleur.

 

Cathy Garcia

 

murièle.jpgMurièle Modély est née à Saint-Denis (île de la Réunion) et vit aujourd’hui à Toulouse. Elle participe à des revues papier ou numérique et a publié quelques recueils : Penser maillée (2012), Je te vois (2014) et Tu écris des poèmes (2017) aux éditions du Cygne, Rester debout au milieu du trottoir, éditions Contre-Ciel (2014), Sur la table, éditions numériques Qazaq (2016), et Feu de tout bois, Délit buissonnier n°1, tiré à part de la revue Nouveaux Délits en juillet 2016.

 

 

 

 

12/11/2018

Cent lignes à un amant de Laure Anders

 

éd. La Boucherie Littéraire, coll. « Carné poétique », 6 juillet 2018

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72 pages dont une partie vierge, 10 €

 

« Il lui a dit :

Tes baisers, tu m’en feras cent lignes.

Voici ce qu’elle lui a répondu : »

Le contexte est posé : deux amants, l’un exige, l’autre obéit. Punition détournée de nos vieux souvenirs d’écoliers du XXe siècle, la contrainte ici favorise la création de la même façon qu’elle peut dans certains types de relations, décupler les sensations, aviver le plaisir. C’est un jeu entre adultes consentants. Le sujet est à la mode mais il est rare de voir la poésie s’en emparer sans tomber dans l’ouvrage de genre.

Le résultat donne un texte troublant et de toute beauté, entre dévotion et insolence, dont on ne saura jamais la part de réel et de fantasmagorie.  

 

« 5. Je vous embrasse sans foi ni loi, sans dignité

  1. Je vous embrasse avec de la salive sur les paumes
  2. Je vous embrasse les mains sales»

 

Cent lignes donc quatre-vingt dix-neuf commencent par « Je vous embrasse », seule la dernière ne respecte pas cette règle, le lien est dénoué, reste comme une trace de parfum qui demeurera longtemps après que l’amant aura quitté la pièce. L’essence même du désir : le manque.

Le vouvoiement avec lequel l’amante s’adresse à son amant impose une distance qui exacerbe et érotise, caractéristique des relations SM très codifiées, se soumettre peut être à la fois libératoire et exaspérant. Plaisir et rage s’y confondent.

 

« 10. Je vous embrasse aussi avec colère

  1. Je vous embrasse en me jurant que cette fois c’est la dernière
  2. Et puis je vous embrasse encore
  3. Je vous embrasse pour me débarrasser de vous
  4. Je vous embrasse avec l’espoir sournois de vous mordre »

 

Cent lignes pour se soumettre avec joie et dévotion, cent lignes pour se libérer presqu’à regret de cette possession. Les mots de l’amante honorent le désir mais en font également une tendre autopsie. Il y a des relations dont la fin est inscrite dès le départ, c’est la condition-même de leur intensité.

Le texte, le corps d’ouvrage noir sur fond rouge, se trouve au cœur d’un carnet vierge. Ces Cent lignes à un amant sont des braises que le lecteur pourra rallumer en posant ses propres mots ou dessins sur les pages blanches. Ce qui en fait aussi un bel objet avec un concept plutôt bien trouvé pour cette nouvelle collection nommée « Carné poétique ».

De quoi se faire plaisir et offrir du plaisir.

 

Cathy Garcia

 

7108c7F7B-L._UX250_.jpgNée en 1966, Laure Anders a écrit pour la jeunesse sous différents pseudos. Elle réside aujourd’hui en Bretagne, à Saint-Malo, où elle vit de la pêche, de la cueillette et, accessoirement, de la vente de parapluies aux touristes. Elle a publié un recueil de nouvelles chez Buchet/Chastel en 2015 : Animale.

 

 

 

 

 

 

29/10/2018

Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas d’Heptanes Fraxion

 

postface de Grégoire Damon

Ed. Cormor en nuptial, 2018

 

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110 pages, 16 €.


Il en a fallu du temps pour qu’enfin ce livre naisse, ce livre qui ne pouvait pas ne pas naître, quoique… Dans un monde à l’envers, quoi de plus normal, finalement, qu’un poète ne trouve pas d’éditeur — poète au sens le plus sincère et authentique du mot ? Un poète qui ne fait pas de concessions pour arrondir les arrêtes, lisser les recoins, cacher les taches et la bouteille mais qui colle depuis des années des post-it de poésie partout où il passe. Une bave poétique qui fait scintiller les murs, les vitrines menteuses, les poteaux, les portes closes, les poubelles, les panneaux tristes. Heptanes Fraxion, nous sommes pourtant nombreux à le connaître, lui qui balance sur le net ses textes à qui veut et dont quelques revues de poésie pas trop connes ont su se faire l’écho. Mais les éditeurs ?!

Ce livre devenait une nécessité et le voilà enfin ! Première publication d’une toute jeune édition belge lancée par Gaël Pietquin et il est beau ! Un bel objet à la hauteur de ce qu’il accueille : de purs morceaux de poésie pêchées à même le caniveau de la vie, de la poésie compulsive, boire, écrire, pisser, pleurer, jouir, échapper encore et toujours à ce qui nous broie, nous concasse en cube. Et sous ses airs de poésie qui n’en serait pas, non seulement elle vous saute à la gueule et vous saisit le cœur comme s’il était un steak, mais elle vous envoie un shoot de sagesse, de celle de ces moines qui se font passer pour des fous, des clochards, dotés de tous les vices. La vraie sagesse, celle qui ne s’affiche pas comme telle.

Le titre se suffit à lui-même: Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas.

Difficile cependant de tirer des citations de ce recueil, il faudrait tout citer ou rien, donc vous n’y couperez pas, il faut le lire et puis vu le temps qu’il a fallu pour qu’enfin il existe, à vous de le mériter un peu, de faire ce petit effort de rien du tout : être curieux des autres.

Cela dit, s’il fallait définir l’auteur en une seule de ses propres phrases, ce serait celle-ci et elle nous définit tous, qui que nous soyons, quoique nous en pensions : « le système est une erreur qui me transforme en anomalie ».

Après ce sont juste de petites mais essentielles différences de conscience :

historiquement personne ne sait grand-chose
alors autant rester disponible au merveilleux


Certains seront tentés de chercher des filiations à l’auteur, mais Heptanes Fraxion c’est du Heptanes Fraxion et vous ne le rentrerez dans aucune case, aucune famille, aucun style. Chez lui la poésie coule toute seule, même quand il pisse, se mouche ou éjacule et ça ne plaira pas à tout le monde et heureusement. C’est juste dommage pour ceux qui passeront à côté, ils rateront la chance d’avoir un petit post-it sur le cœur qui fera briller leurs yeux quelques secondes, le temps de VOIR, voir avec des yeux de voyant qui éclairent le monde et projettent leur propre lumière pour et sur les autres.

Ces autres qui sont très importants dans la poésie d’Heptanes Fraxion, omniprésents ces autres, qui l’emmerdent, qu’il emmerde « mais avec une putain de tendresse ». Et oui c’est un tendre le poète, sa chair est tendre, son cœur est tendre, normal, comme tous les écorchés vifs, alors il faut bien un peu de poésie dure pour faire la carapace, mais c’est une bonne dope la poésie !

douceur qui transperce
douleur qui transporte
livres qui consolent

Celui-ci vous consolera soyez-en sûrs, ce sera un bon ami, de ces flacons de secours que l’on garde pas loin, pour pouvoir boire une gorgée ou deux dans les mauvaises descentes, les crashs sentimentaux, les coups de crasse, les coups de froid, les licenciements, les burn-out, le goudron des jours et tenir bon. Notez bien cette phrase, elle un a sens littéral : tenir bon.

Et de la moindre goutte de lumière sur une joue, du moindre brin d’herbe, du moindre trou dans le grillage, savoir profiter.

Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas
Le soleil va vers le vide
Je suis bien là


Cathy Garcia

 


IMG_20180306_215234.jpg« Poète obscur rasta chauve chien de métal parasite pédé Heptanes Fraxion fils d’une prostituée et d’un ecclésiastique vit à Toulouse où il ne s’occupe ni de ses enfants ni de ses deux chiens ».

Son blog : http://heptanesfraxion.blogspot.com/
Ses albums avec le musicien Jim Floyd : https://soundcloud.com/jim_floyd/albums

La Maison (à compte d'éditeur) Cormor en nuptial, anagramme de « L'amen-corruption », publie essentiellement de la prose poétique, percutante, originale et sans tabou. Les auteurs qui la représentent sont des individus viandés, couillus-décousus, des crapauds, des crocs, des persécutés. Contact pour commander : cormorennuptial@gmail.com

 

 

 

 

 

 

15/04/2018

Zoartoïste (suivi de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses) de Catherine Gil Alcala

 

éditions La Maison Brûlée, 28 novembre 2016

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136 pages, 15,00 €.

 

Théâtre et poésie, théâtre poétique et poésie théâtrale, il faut ici lâcher la rive du connu. Certains renonceront de suite, d’autres oseront plonger au cœur du maelström. Ce n’est pas de lire, qu’il s’agit ici, mais d’expérimenter un état de conscience éclatée, une transe, un démembrement de la raison, qui nous culbutent. Manipulant dans son grand chaudron – visions, rêves, mythes et symboles, qu’elle touille comme prise de démence, Catherine Gil Alcala convoque la magie des mots pour pulvériser le réel et nous faire voir à travers le miroir ce qui est de l’ordre – ou plutôt du désordre – du grand chaos universel. Pythie au verbe noir et flamboyant, elle pousse les mots à leur paroxysme pour nous faire basculer de l’autre côté, du côté du grand rire salvateur, où rien n’est sérieux, tout est primordial.

Et chaque scène se nomme d’ailleurs non pas scène, mais miroir.

L’onde radiophonique qui traverse l’univers, Grand négateur limonade, Le Mort, Les fils de l’orage, Maman tintamarre, Samsara bondissant, Le jongleur dans l’horloge, Les mantras du vent, sont quelques-uns des personnages de ce théâtre fou. Fous comme peuvent l’être les Clowns sacrés.

Et Zoartoïste au centre du théâtre déclare :

« Les paroles innommables clouent des sortilèges dans le ciel.

Des nations en marche me piétinent sur la pointe des pieds en remontant leur montre dans un battement de cœur synchronisé. 

(…)

Je tourbillonne dans les vents qui font rouler la roue de toutes les vies… allant et venant du sentiment océanique à la déréliction du vieillard et du nouveau-né dans l’intimité glaciale de la mort… »

Zoartoïste et on entend aussitôt zoo, art, taoïste, Zohar même mais aussi Artaud.

 

« Zoartoïste… prononce une voix de noyé dans un rêve, c’est le nom d’une divinité animale du monde archaïque ou d’un démiurge industrieux dans la dent creuse d’une caverne tellurique. »

Et Les Fils de l’Orage, quand ils s’adressent au Mort, lui disent :

« L’écho du tonnerre retentit, les enfants jouent le rite tape-pierre de l’orage.

La fin et le début du temps s’enroulent et se déroulent simultanément sur l’axe des pôles.

Un sifflement sourd tout le jour t’enfonce sous la terre des ancêtres.

(…)

Une jouissance t’étrangle, la peur de ta propre annihilation, comme une amante jalouse, t’embrasse trop fort. »

Le texte gicle comme un fruit mûr, parfois même au bord de la décomposition, riche de ses sucs, parfois poisseux et toujours enivrants, hallucinatoires.

Quand La Femme déracinée parle, elle raconte :

« Le soleil se lève sur la sidération du paysage dévasté, les rats et les goules aux dents longues accourent au dîner des cendres.

(…)

Je suis devenue une âme errante au corps de nuage, je rencontre tour à tour chacun des esprits qui zozotent en dansant sur le fil de la nuit, mes amis sont les oiseaux-mouches et tous les êtres minuscules. »

Et la Tête coupée révèle :

« La plage blanche silencieuse de l’état mental parle à travers la bouche ouverte des poissons… quelque chose a été oublié au fond de la mer pendant la traversée des morts… »

L’Agonisant lui a jeté les clés de sa maison dans le puits et a mis ses lunettes noires pour aller se promener tout le long de la nuit. L’Onde Radiophonique qui traverse l’univers dit qu’il est possédé et que « mille minutes saoules tournent à l’envers ». Baron Kriminel bat les cartes et les vévés coulent des doigts des esprits.

Celui qui en sait un peu sur le vaudou reconnaîtra sans doute le Baron Samedi avec son chapeau haut de forme.

Et d’ailleurs, Catherine Gil Alcala n’est-elle pas un peu possédée aussi par toutes ces voix, qu’elle convoque d’un tour de plume ?

« Nuage cheval, ton galop glisse, icône hallucinée… »

Lecteur, pour lire ce livre, mieux vaut déposer en entrant, ta raison dans la benne aux encombrants. La comédienne-poète-chamane t’invite dans un grand jeu sacré. Rite des morts et des renaissances, Le Jeu de l’Univers.

 

Cathy Garcia

 

 

IMG_6401_redim500.jpgCatherine Gil Alcala est auteure, metteur en scène, performeuse. Elle a longtemps navigué entre la poésie, le théâtre, la musique, les arts plastiques... Expérimenter en toute liberté pour traduire le langage de l'inconscient, de la folie... qui sont ses thèmes de prédilection. Deux créations en 2000 sur des trames oniriques dans un théâtre essentiellement d'images : Coquillage, en écoutant son sang couler dans son corps à la galerie Les Filles du Calvaire et au Lavoir Moderne Parisien, et Zoartoïste à la galerie Eof. Puis elle collabore avec Ioan Marinel, musicien tzigane, sur des improvisations et des musiques traditionnelles, et sur des créations de théâtre musical : Je, soussigné, doute... sur des textes d'Adolf Wolflï et De l'éternité et du temps, entremêlant des textes de Plotin en grec ancien et des glossolalies. Depuis quelques années elle privilégie l'écriture. Notamment, elle écrit et met en scène son long poème érotique et surréaliste Maelström excrémentiel au théâtre Les Déchargeurs, puis au festival d'Avignon, et sa pièce sur la folie créative Lorsqu'un homme sait tout à coup quelque chose qu'il ne devrait pas savoir. James Joyce fuit au 59 Rivoli, dans le cadre des Nuits Blanches. Elle conçoit une expo-performance de poupées et de poèmes Doll'art ou les Épopées de Pimpesouée et des performances musicalo-poétiques avec ses aphorismes Les contes défaits en forme de liste de course, au Musée du Montparnasse et dans le cadre du Printemps des poètes. Elle écrit Une nouvelle ville, vie... dans le cadre du « Bocal Agité » à Gare au Théâtre. En 2015, elle publie aux Éditions de la Gare Une Nouvelle ville, vie... dans l'ouvrage collectif Bocal urbain / Vivre la ville demain, et aux Éditions La Maison brûlée : James Joyce Fuit... Lorsqu'un homme sait tout à coup quelque chose suivi de Les Bavardages sur la Muraille de Chine, en janvier 2016 : La Tragédie de l'Âne suivi de Les Farces Philosophiques, en novembre : Zoartoïste et autres textes, en juin 2017 : La Somnambule dans une Traînée de Soufre.

 

http://www.lamaisonbrulee.fr/

 

 

 

 

01/04/2018

Lame de fond de Marlène Tissot

 

 

La Boucherie littéraire

coll. Sur le billot, 2016, réimpression 2017

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74 pages, 12 €.

 

« Rien ne dure éternellement, mais tout continue à continuer »

 

Lame de fond a quelque chose du carnet intime que l’on emporte partout avec soi pour y noter nos météos intérieures, sauf que dans Lame de fond, le besoin d’écrire est motivé par un évènement précis : la perte. La perte et l’absence définitive d’un être cher et ce besoin soudain, cette urgence de tout plaquer, pour aller le retrouver sur les lieux qui rallumeront la mémoire. Partir les mains vides avec cette part de soi plus ou moins enfouie que la douleur vient raviver.

Ici l’être cher — mais l’auteur ne le dit pas, on le devine au fil des pages — c’est un grand-père, un grand-père vieux loup des mers adoré, un homme des grands espaces, un homme libre.

« Avec toi, tout est permis. Avec toi, on chahute l’apparence des choses ordinaires, on colorie le monde. »

Mais il ne s’agit surtout pas de rendre un hommage édulcoré au disparu.

« Non, tu n’étais pas parfait. Mais c’est ainsi que je veux me rappeler de toi. Avec chacun des fils dont ta peau d’homme était tissée, les rêches comme les soyeux. »

Et le lieu vers lequel le deuil renvoie l’auteur est un espace-temps, celui de Cancale en Bretagne et celui de l’enfance. Car avec les êtres chers qui nous quittent, ce sont comme des parts de nous qui s’en vont et que seule la mémoire peut convoquer. L’écriture sert alors de catalyseur et de fixateur.

« Des détails en forme de graines semées dans le terreau de l’enfance. Giboulée de souvenirs. Tout cela me semble tellement loin et si présent pourtant. Comme un paysage miniature dans une boule à neige. »

L’écriture de Marlène a toujours été juste, précise, percutante. Dans  Lame de fond elle se polit comme un galet roulé par la mer dans le sable. La douleur non seulement ramène à l’essentiel, mais dénude aussi ce qu’on pourrait appeler l’âme. Il est impossible de tricher avec la mort, elle met le doigt sur toute notre fragilité, met en relief tout ce qui est creux, vide et artificiel en nous et dans nos vies.

« Quel contrat tacite nous oblige à penser en terme d’avenir professionnel, de confort matériel, en termes de consommation, de concurrence, d’efficacité, de sacrifices, en termes de famille à fonder, d’enfants à éduquer, de vacances à planifier ? Doit-on nécessairement être raisonnable, responsable, capable d’adapter sa ligne de conduite à la société, se fondre dans la masse ? (…) Est-ce qu’on se laisse décolorer l’âme sans même le remarquer ? »

Dans toute famille, on peut espérer qu’il y ait au moins une personne qui nous transmette quelque chose qui a à voir avec l’essentiel, c’est le cadeau le plus précieux que l’on puisse faire à quelqu’un, c’est comme un nécessaire de survie. Le grand-père que Marlène évoque est de ceux-là, aussi son absence a la capacité de la rendre à elle-même avec une force et une acuité telle que la douleur de la perte devient une leçon de vie, intense.

« Cours ma belle ! Nage dans le ciel. »

La douleur anesthésie mais l’amour qui transcende la perte exacerbe au contraire tous nos sens, nous rend plus vivants que jamais. Et la mort du grand-père fait germer, dans le cœur de celle qui écrit, le noyau de l’enfance.

« Je marche à reculons, à rebrousse-temps et j’ai enfin l’impression d’avancer dans la bonne direction. »

Marlène nous offre un très beau livre, sensible, il ne peut laisser indifférent, il vient nous toucher, nous bouleverser, au plus secret de nous-mêmes, là où nous planquons nos plus grandes joies et nos plus grandes peines. Comme une lame de fond, il nous prend et nous retourne.

« Je trinque à ton éternité en buvant l’horizon, d’un trait. »

« Tu m’avais prévenue : “tout n’est que commencement.” »

 

Cathy Garcia

 

SDFS.jpgMarlène Tissot est venue au monde inopinément. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix ans et demi et capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Écrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.

 

 

04/01/2018

Des abribus pour l’exode de Marc Tison

images et peintures de Raymond Majchrzak

éditions Le Citron Gare, novembre 2017

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82 pages, 10 €.

 

Sensations vivaces qui imprègnent le mental, maintiennent sous tension le réseau de nerfs, scarifications émotionnelles sur le corps de la mémoire qui n’accepte pas la reddition, ni la soumission. Mémoire du corps jamais rassasiée de cette ivresse qui nous propulse dans le corps de l’autre. Sexe, musique, jeunesse, pures sensations qui lancent les rêves à l’assaut des horizons, pied sur l’accélérateur.

 

On ne va plus dans les étoiles. Les fusées sont dépiécées. La tête en feu de joie c’était pourtant bien là, claquant le réel à l’enchantement du voyage.

 

Il y a si peu de temps. Il y a si peu de soi.

 

Mémoire du corps accro à l’intensité, à la sensation de liberté, aussi illusoire soit-elle.

 

Il y a tant d’espaces délabrés que tu revisites plein d’espoir, incrédule. L’avant ne s’est pas peint d’éternité.

 

Le passé n’existe plus, mais le monde a-t-il mieux à offrir ? Tel est le questionnement qui sourd de ce recueil de Marc Tison. Abribus pour l’exode, tentations en lignes de fuite.

 

L’alcool me flambe toujours au crépuscule

pour saluer les jours brûlés à l’ennui.

Je ne suis pas si fragile

 

Un recueil pas tout à fait nostalgique, ou pas seulement, même lors d’un retour dans le Nord, à Denain.

 

« Je reviens à mon pays, intérieur, affranchi, en orpailleur. (…) Entre les usines désarmées, les terrils décapités, il reste sur les bars de poussière, les traces rondes des bocks de bières. Les jukebox remisés chuchotent mémoriels des Ep gravés pour des bals rock et ouvriers. »

 

Le poète pratique un art magique. Avec ses mots, il peut souffler sur les braises, réanimer à volonté la flamme. Ce n’est pas sans danger d’user de ce pouvoir et l’hypersensibilité permanente lui interdit de s’abrutir dans un confort étanche. Convocation lucide de sensations dont le corps ne parvient pas à se défaire au point parfois de ne pouvoir dormir. La révolte est intacte, la conscience vive et les injustices demeurent insupportables.

 

« Au cœur de l’Europe chrétienne on aime son prochain. (…) Ha qu’est ce qu’on l’aime son prochain quand il est courageux et qu’il reste noyé dans la mer. »

 

Insupportable comme la tiédeur, la médiocrité, l’hypocrisie, le mensonge, le vide de sens contemporain.

 

« Les animateurs des émissions d’actualité et de divertissement des chaines de télévision ont des trous dans leurs mots. A travers passent d’immenses tristesses de rien. Alors les téléspectateurs tombent dedans.

Ceux qui n’ont pas de parachute s’écrasent méchamment le dedans de la tête. »

 

Même la musique est creuse. « Les notes juteuses - qui touchent le corps – se sont tirées des clips maniérés. Parties continuer la fête ailleurs.

 

(…) Nous appelons alors musiques les dérangements sonores qui habillent les cliquetis des caisses enregistreuses des supermarchés. »

 

« Au quotidien on se fait à toutes les crapuleries (!?!) » Ce n’est pas un constat résigné, mais un « !?! », car non poète, tant que ton corps est vivant, il vibre ! Il n’est pas dupe mais il sait encore ressentir.

 

« Prends le matin nu en embrassade. Tu l’effleures et tu lui souffles des siroccos. Ta bouche pleine du sucre des figues fraîches de l’aube.

 

Fais l’amour, alors fais l’amour comme se maquillent les rêves. Dans tes yeux explosent des couleurs, des rouges mélangées de jaunes et d’ailleurs. »

 

Mais il faut savoir qu’après chaque shoot de sensations intenses, il y a la redescente. Amertume et dégoût guettent l’insurgé, les focus sur le monde attisent la rage et la nuit, seul espace de rêve, exige l’insomnie.

 

« Une communication interlope avec les fantômes de tes désirs. (…) Le sommeil t’attend. Tu n’en veux pas. Pourtant les draps frais sentent si près la mélancolie de l’enfant. Cet état qui t’apeure.

Comme un licol sur l’encolure d’un mustang. »

 

Le poète est en cavale, ce n’est pas la mort qu’il fuit, ni même la vieillesse, mais bien ce licol à l’encolure. Semant au vent ses brassées de mots indomptables, cet « autochtone des plaines d’exodes » ne se rendra jamais, parce qu’ayant su saisir l’essentiel de sa vie et de ses folies, il le convoque autant qu’il lui plait pour des fêtes intimes subtiles qui passent au travers des mailles de n’importe quel filet.  De toutes les pertes, il sort vainqueur. Il a gagné la plus belle des libertés, sa liberté intérieure.

 

« J’abandonne le champ des batailles en friches. J’abandonne la routine des ultimes charges.

 

J’en reviens à l’absolu.

 

L’absolu silence. D’où se recompose le mystère. La parole et le chant.

 

L’absolue virginité. D’où nait l’amour. La complexité absolue du vivant.

 

L’absolu lointain. D’où se mesure l’avenir. Son effacement conjuré de promesses.

 

(…) Toute disparition fera un renouvellement.

 

 

Pas de nostalgie donc, ou pas seulement. Trop de saveur encore dans la bouche, pour cultiver les regrets.

 

(…) Dans l’espace existentiel de millions d’années lumières, je ne saurais pas l’omniscience. Ça n’a pas d’importance.

 

Ma vie idiote est une merveille. »

 

 

Et quand c’est l’âme qui jouit, il n’y a plus aucune limite.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

tison nb_031433651bfd190a9d553ddfeb391298.jpgMarc Tison est né en 1956 entre les usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières. Engagé tôt dans le monde du travail. Il a pratiqué dans un premier temps de multiples jobs : de chauffeur poids-lourd à rédacteur de pages culturelles, en passant par la régie d’exposition (notamment H. Cartier Bresson) et la position du chanteur de rock. Puis il s’est spécialisé dans la gestion et l’accompagnement de projets culturels et d’artistes. S’est mis à l’écriture de poésie très tôt comme la juste expression des sensations vivaces. Habite maintenant dans le Tarn où il continue, heureusement troublé, l’exploration des univers à réinventer.

  

Raymond Majchrzak est né en 1955 à Escaudain (59), pays minier et industriel, à quelques kilomètres de Denain. Il a fait les beaux arts à Valenciennes. Il peint et travaille des images numériques. Il déroule aussi de longues improvisations musicales plus ou moins électroniques pour lui même à longueur de temps. 

 

Pour commander le recueil auprès de l'association le Citron Gare, p.maltaverne@orange.fr

 

 

 

20/11/2017

Tu écris des poèmes, Murièle Modély

 

éditions du Cygne, novembre 2017

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95 pages, 12 €.

 

 

« Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien-sûr à l’île de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine| dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens| à bride abattue| jusqu’à respirer sur la table| l’odeur de langue coupée. »

 

Le poème sourd de l’intérieur, il vient dire quand dire est trop difficile, voire impossible. « Tu écris des poèmes| lorsque tu sens le réel se dérober| dès l’instant où personne ne te comprend| et vice et versa où tu ne comprends personne ». Alors le poème jaillit du cratère, du gouffre : « comme le poème, tu as un trou au milieu de la phrase ». Chez Murièle Modély, les poèmes suintent de ce trou, forment le corps du poète. « Tes poèmes sont n’importe quelle partie de ton corps| n’importe laquelle (…) sauf la tête. » 

 

Le poème est l’hameçon — l’âme-son — au bout du fil, lancé à la mer des réseaux sociaux — à l’amer ? —  où « le vers même minuscule » doit « s’ébrouer contre un dièse ». Et la poète du XXIe siècle pêche des émoticônes, elle n’écrit plus, elle tapote, elle a mal au clavier, mais reste « la danse des canines| leurs morsures affairées dans la pulpe des doigts » pour conjurer le banal qui tue.

 

Le banal et ses petites phrases assassines quand l’amour est un point d’interrogation.  « Il dit – passe moi le sel |  et la mer chavire le poème ». Pour ne pas sombrer, la poète n’en finit plus de rafistoler son radeau, elle fait corps avec lui. Le poème est son mat, sa colonne vertébrale, il est une « torsion vibrante au niveau du pubis » et dans le naufrage quotidien, il sublime son cri, tandis que « dans la vie de tous les jours », elle avale un cachet ou achète «  des choses inutiles| en bonne jouisseuse compulsive d’objets. » Pour combler le gouffre, taire les angoisses, alors que le poème lui il sait. Il sait parce qu’il est le corps des angoisses, le corps qui dit, le corps qui suinte.

 

La poésie de Murièle Modély surgit d’un tréfonds moite et obscur, d’une préhistoire qui ne trouve pas sa place dans un monde aux lignes bien droites qui avance et « déroule sous ses semelles| les choses concrètes et laides ». Alors Murièle Modély écrit « avec la langue, à quatre pattes dans la rue », elle « lèche l’herbe, les cailloux, les traces de pas ».

 

Elle écrit des poèmes, des « poèmes rouges, menstrués et vibrants » et dit l’essentiel en trois lignes :

 

« tu as la sensation

quand tu écris

d’être. »

 

 

Et le lecteur à la lire, se sent lui aussi plus vivant, la poésie de Murièle Modély pulse et bat comme le cœur d’un volcan sous la terre.

 

Cathy Garcia

 

 

 

201410161645-full.jpgMurièle Modély est née en 1971 à Saint-Denis, île de la Réunion. Installée à Toulouse depuis une vingtaine d'années, elle écrit depuis toujours, essentiellement de la poésie qu’elle publie régulièrement sur son blog : https://l-oeil-bande.blogspot.fr/. Elle présente un penchant fort pour les regards de côté, elle cherche encore et toujours la mer, elle guette sous la lettre le noir / le blanc... Elle a participé par ailleurs à des revues poétiques ou sites : Nouveaux Délits, Microbe, Traction Brabant, L'Autobus, FPDV, etc. Tu écris des poèmes est son troisième recueil publié aux éditions du Cygne, elle a publié également Rester debout au milieu du trottoir aux éditions Contre-Ciel et Sur la table chez Qazaq.fr, ainsi qu’un délit buissonnier de Nouveaux délits, Feu de tout bois, en 2016.

 

 

05/08/2017

Civilisé de Walter Ruhlmann

 

Urtica, juillet 2017

 

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42 pages, 7 € (port inclus).

 

 

 

La tendreté est un mot de boucher

 

Civilisé est à prendre à rebrousse-poil, car ce terme prend ici une connotation péjorative. Walter Ruhlmann nous livre un recueil sans concession, sombre, parfois brutal et désespéré.

 

J’écrase les mégots dans des tasses de thé,

je sens le gaz souffler à mes narines,

un air marin de pacotille.

 

Éros et Thanatos se livrent à une danse plutôt macabre et c’est Thanatos qui mène. Civilisé fait partie de ces recueils qu’il est bon pour un auteur de cracher, le genre de crachat qu’on balancerait à son reflet dans la glace, un reflet que l’on a du mal à supporter. Éros ici est dénudé de ses rêves et parures, le reflet dans la glace est sans pitié, reste alors le sexe et la mort, et quand même le sexe a un goût trop amer, reste la mort qui nous dévisage. Civilisé, c’est déjà mourir à son être le plus profond, c’est peut-être le trahir. Walter Ruhlmann se dévisage lui-même ici, se débite même, corps tout entier, sucs et tripes. Un regard impitoyable qui englobe ses semblables et dissemblables.

 

Elle navigue en radeau sur des rivières d’éthers,

des lacs de méthadone brûlée,

des ruisseaux de lisiers.

 

Le glauque, l’infâme hantent ces pages, et la mort du père est une blessure qui demeure à vif.

 

Père

j’écris depuis le sac

enfermé comme un chat

prêt à être noyé

 

Le corps se délite et la peur, la douleur, deviennent rage.

 

J’aurais besoin de profondeurs,

De ces abysses incommensurables :

Les trous béants, les failles sans fond,

Les caves ouvertes comme des bouches prêtes à sucer.

 

(…)

Superficie douteuse, superficiel je suis,

les profondeurs me recrachent, elles me vomissent

 

Walter Ruhlmann comme le figure l’illustration de Norman J. Olson en couverture, se livre nu, plus encore, il nous déroule ses entrailles, matière et odeur et comme le hurle le titre du dernier poème « Tu pue sapiens ». Il y a pourtant comme une quête sous-jacente dans ce recueil, une quête de pureté sans avoir besoin de se trahir, pureté que l’auteur va chercher dans un passé mythique personnel où les princes auraient des ailes, mais toute histoire a une chute, tout nous ramène au sol et le sol à la pourriture. Difficile de trouver une rédemption à la condition humaine, le civilisé n’a jamais eu cette innocence originelle où les anges ne salissent pas leurs ailes et où la chair ne serait pas corruptible. Civilisé cherche à tâtons dans le noir, la moiteur, la profusion des corps, sa nature perdue et ce jusqu’à l’excès et la turpitude.

 

J’ai passé tant de nuits à baiser,

sucer des queues tendues,

caresser des peaux ternes, des poils gris

 

(…)

Un hôtel sans limite

le ciel seul comme frontière

 

(…)

Et j’attendais mon tour

le cul dressé à plaire

 

La nature qui elle-même dans ce recueil nous renvoie souvent une image sombre et abjecte.

 

Chacals, vautours, freux, scolopendres

tous viendront goûter à ma viande

 

Civilisé veut dire mentir et c’est de ce mensonge obligé que suppure la haine de soi. Ici les mots deviennent des armes de vérité, pour dire ce qui ne se dit pas, pour dire ce que le civilisé est censé taire.

 

Inspirer la fumée par tous tes orifices,

le cul branché en permanence sur les fourmilières chatoyantes

chatouillé des cuisses à la nuque

anus gonflé par les piqûre d’insectes,

ou par la bite de tes contemporains :

vas te faire enculer.

 

Il y a de la noirceur, de la lucidité et aussi beaucoup de tristesse dans ce recueil.

 

Tu ne détestes rien, tu aimes ce qui vient,

tu n’es qu’un trou de plus

avalant les ruisseaux gras,

goûtant leurs flots infâmes

 

Mais on ne peut s’empêcher de voir au-delà de cette obscurité, car la force qui habite ce recueil est de celle qui sait crever les ténèbres.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

Walter.jpgWalter Ruhlmann enseigne l’anglais. Il a dirigé mgversion2>datura de 1996 à 2017 et les éditions mgv2>publishing de 2008 à 2017. Walter est l’auteur de recueils de poèmes en français et en anglais et a publié des poèmes et des nouvelles dans diverses revues dans le monde entier. Son blog : http://thenightorchid.blogspot.fr. Certains des textes de Civilisé sont parus dans Axolotl, Le capital des mots, Journal de mes paysages, Mes paysages écrits, Libellé, Le livre à disparaître, Microbe, Mots à maux, Nouveaux délits, Traction-Brabant & mgversion2>datura.

 

 

 

15/04/2017

Fragments de Corinne Pluchart

Éditions Vagamundo 2016

 

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144 pages, 13 €.

 

 

Fragments est un recueil de silences, et n’est-ce pas le plus difficile à atteindre avec des mots : le silence ? Ici, ils sont de différentes textures, ponctués de souffle, recueillis comme une prière ou « le silence brutal –coupant la gorge » Les images sont comme des petites taches devant les yeux, des taches de bleu souvent, ou plus grises, plus sombres comme la pierre, le granit.

 

- et de s’écorcher les genoux

sur la ténacité des pierres.

 

Il y a le vide, l’absence,

 

L’absence de l’autre

son seuil

et la pluie derrière

brouillant les peaux.

 

Le vide et l’absence dans lesquels s’engouffrent la mer ou la lumière.

 

Bords cousus

un à un par la lumière

plus bas – la mer

 

Sur ton front, cicatrices bleues.

 

Il y a l’appel de l’horizon et puis des angles qui reviennent, ainsi que le mot disloqué. Fragments, fragiles, translucides, comme des fragments de peaux, lorsque celle-ci perd d’elle-même pour mieux se régénérer. Transmutation. L’espace extérieur et l’espace intérieur fusionnent, dans une sorte d’alchimie par laquelle l’esprit cherche à s’élever, à s’arracher au plus dense, au rugueux, au douloureux mais dont la réalité n’est pas niée.

 

le monde –

comme une bavure à l’intérieur.

 

Fragments est divisé en quatre temps : Déflagration, Silence, Passage, Seuil. On sent que c’est un recueil qui a demandé une longue maturation, qui sous une apparente simplicité touche à quelque chose d’infiniment spirituel qui échappe aux mots et dont la nature se fait à la fois le réceptacle et le catalyseur. C’est très beau et presque pur, comme une larme.

 

Nul horizon

Pour enfouir la blessure silencieuse

Et l’azur noué,

Comme un linceul de lumière.

 

Cathy Garcia

 

 

photo-pluchart.jpgCorinne Pluchart est née le 7 mars 1966, à Meaux, en Seine-et-Marne. Elle vit à Sains, où elle enseigne en école maternelle. Depuis l’adolescence, elle écrit, marche, interroge, observe le paysage, l’océan. Elle compose en écriture et peinture, mue par un profond désir de lumière. De l’abbaye du Mont-Saint-Michel jusqu’au lointain Finistère, son pays de cœur, le chemin la traverse dans une solitude amie. Fragments est son premier livre publié. Son blog : http://corinne.pluchart.over-blog.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10/10/2016

Allant vers et autres escales, Colette Daviles-Estinès

 

illustration en couverture de Diane Saint-Honoré

 

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éd. de l’Aigrette, septembre 2016.

45 pages, 16 €.

 

 

 

Voici des poèmes qui ne tiennent pas en place, comme l’indiquent la diversité des lieux mentionnés au-dessous avec les dates d’écriture et il semblerait que la raison d’être de cette sorte d’instabilité, soit à chercher dans un lointain ailleurs dont l’auteur aurait pu être arrachée, quelque part sur les vastes continents d’Afrique ou d’Asie, où seraient restés dispersés des morceaux d’elle-même. La bougeotte, parce que difficile de trouver sa place quand on vit une forme d’exil, de déracinement.

 

Un poème vient confirmer ce ressenti, bref et clair :

 

Mon pays

 

Je sais d’où je viens

Je suis d’Expatrie

 

C’est cette « mémoire métisse » qui donne peut-être sa particularité à la langue de Colette Daviles-Estinès, une langue mouvante, chantante, teintée de lumière, de vent, de poussière, une langue du voyage, qui a dû mal avec les rives qui enserrent, un besoin d’espace et de large.

 

Je dévide les rives dont je m’éloigne

Pour mieux leur donner sens

Le devoir d’aller

Le droit de me tenir au large

 

Quand on n’est pas de quelque part, alors on n’est de nulle part et donc de partout, et il y a ce besoin de bouger vissé au corps en même temps que de s’enraciner, une envie d’ailleurs et le besoin d’un ici, solide sous les pieds.

 

C’est le choix que l’on fait de ne pas savoir où poser le bonheur.

 

Partir, revenir, quitter, retrouver, les poèmes de Colette sont des poèmes de transhumance et sous la limpidité et le chatoiement de la langue on devine une certaine détresse, un sentiment de perte. Mais il y a aussi dans la bouche, des soleils juteux comme des mangues, une force sous-jacente, sans doute puisée dans la nature dont Colette Daviles-Estinès sait capter et transcrire la beauté, qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs et ce souffle qui la traverse, la transcende.

 

Un vent liquide houle

Feuillette les champs de cannes

Et quel que soit l’hiver

C’est de la même eau d’ambre

Que la lumière des blés aux torrents de tes ciels

 

L’enfance, nourrie de ce qu’ici on nommerait exotisme, mais qui pour Colette est racines multiples et métissées d’une humanité sans doute plus proche de sa source, a gardé toute sa puissance évocatrice, sa faculté de s’émerveiller, de rêver.

 

C’est une chose heureuse

 

Habiter le seuil d’une porte ouverte

adossée à la lumière

 

Et on ne peut que l’aimer cette petite fille aux allumettes qui craque la flambée des horizons.

 

Cathy Garcia

 

 

14611033_2134495340108416_7075519955427617011_n.jpgColette Daviles-Estinès Naissance au Vietnam en 1960, enfance en Afrique, paysanne durant 30 ans dans les Alpes de Haute-Provence. Les aléas de la vie l'ont amenée à être aujourd'hui citadine. Quelques-uns de ses textes ont été publiés dans diverses revues de poésie comme la Barbacane, Le Journal des Poètes, Écrit(s) du Nord, La Cause Littéraire, Le Capital des Mots, Incertain Regard, Ce Qui Reste , la Revue 17 secondes, Paysages Écrits, Nouveaux Délits. Allant vers et autres esacles est sont premier recueil édité. Son blog : http://voletsouvers.ovh/

 

 

 

 

03/08/2016

Le ciel déposé là, Jean Baptiste Pedini

 

Édition L’Arrière-Pays, juin 2016

 

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54 pages, 9 €.

 

 

 

Jean-Baptiste Pedini écrit comme un peintre, à petite touches, de bleu, de noir, d’aube et de lumière, avec des cristaux de sel et des étoiles qui traversent la nuit « à toute allure, suspendues à la tyrolienne du ciel », le ciel déposé là non sans quelques éraflures, angoisses, diffuses toujours, mais d’autant plus tenaces.

 

« Les mots comme des entailles sur les nuages. On les dit à voix basse. On y tient. Le matin sort les griffes. »

 

On retrouve ici la mer, dont le ressac donne le rythme, vide, plein, vide, plein. Dans l’écriture de Jean-Baptiste Pedini, il y a comme des trous sous la trame où quelque chose est tapi, quelque chose attend et cette sensation contraste avec la douceur apparente du peintre à petites touches. Le calme semble toujours sur le point d’accoucher.

 

Il y a la musique des mots, enfilés les uns après les autres, les uns aux autres, des perles sur un collier aux reflets changeants, toutes aussi précieuses les unes que les autres et pas une de trop. C’est beau, comme des bulles qui « vont dans le ciel, reliées en un chapelet d’ombres ». Tellement beau qu’on se laisse bercer et que le sens qui demeure toujours un peu comme caché, voilé, nous importe moins que cette berceuse qui va chercher nos douleurs, nos malaises, tout ce qu’on ne sait pas trop dire alors on ne le dit pas, et la musique nous berce sans pour autant effacer totalement l’inquiétude.

 

Il y a de la solitude dans l’écriture de Jean-Baptiste Pedini, une distance qui permet au regard de voir, de sentir, un pas de côté qui parle aussi à notre propre solitude, celle inhérente à la condition humaine, seule et reliée, comme ces perles sur le fil du collier. Le fil, l’âme qui respire sous l’eau du poème.

 

Dans Le ciel déposé là, Jean-Baptiste prend la lumière au bout de ses pinceaux, « une lumière monocouche qui en recouvre tous les recoins » ou qui « entre goutte à goutte pour surprendre l’enfance » et l’ombre jaillit alors aussi de toute part car « la lumière est friable, l’obscurité la réconforte ».

 

Un antidote au quotidien, cette lumière ocre que l’on prélève tel un sérum.

 

Pour échapper à l’ennui peut-être, chaque instant est comme sacralisé, happé dans une transcendance alors que rien pourtant ne demeure figé, car il faut « vider le jour cul-sec. En sentir les dépôts tandis que la mort presse ».

 

Cathy Garcia

 

 

201607201223-full.jpgJean-Baptiste Pedini est né en 1984 à Rodez. Vit et travaille en région toulousaine. Publications dans de nombreuses revues dont Décharge, Voix d'encre, Arpa, N4728. Des livrets publiés chez Encres Vives, Clapàs, – 36° édition et La Porte. Bibliographie : Prendre part à la nuit (Polder, 2012), Passant l'été (Cheyne éditeur, Prix de la vocation, 2012), Pistes noires (éditions Henry, 2014), Plein phare, Éditions La Porte, 2015.

 

 

 

 

 

21/07/2016

Seul le bleu reste de Samaël Steiner

 

avec des estampes de Judith Bordas, éditions le Citron Gare, juin 2016

CouvertureSeullebleureste2.jpg

88 pages, 10 euros.

 

 

Une traversée, voici ce qu’évoque ce recueil de Samaël Steiner. Ombre et lumière tissées par une langue dense et sensuelle. Traverser et être traversé et Seul le bleu reste. Des villes, des lieux, traversés par des corps, des corps qui marchent, des corps qui glissent,

 

« Nous allons ensemble,

la rue n’est plus bordée de portes

mais de larges entailles, par lesquelles

on peut se glisser

et apparaître ailleurs et autrement »

 

des corps qui se touchent, des corps et des êtres que seul un voile de peau sépare, des corps qui se désirent, des êtres qui s’aiment, des corps ouverts souvent comme des fruits ou des poissons, des corps qui tombent, des corps comme des morceaux de pays traversés de guerre. « les corps sont là/la tête traversée » comme celle du danseur de la place Maïdan :

 

« Il danse,

il a un trou rouge à l’arrière de la tête. »

 

Ces corps « dont ne reste plus que cet amas de nerfs, noués

et cette peau qui sans ton être n’est même

pas le début d’un tambour »

 

car voilà, le corps ne se suffit pas, il doit être habité, comme est habité ce recueil, habité d’âme et d’un cœur qui bat, pas seulement pour lui-même mais aussi et surtout pour l’autre.

 

« Ton bras est ouvert tout le long de la rue,

les passants longent tes veines pour rejoindre le fleuve. »

 

Et la parole elle-même est traversée, transpercée, poésie vêtue de jour et de nuit, de vie et de mort, qui puise à même les peaux et les os, en elle toutes frontières, limites, se dissolvent et le cœur de ce recueil tissé de routes et de passerelles, c’est bien ça, un chemin allant de l’unicité à l’union, l’universel « simplement un homme pour traverser la nuit » et qui dit union, dit aussi perte et séparation, le corps de l’autre et la maladie et la mort dans le corps de l’autre, et toujours l’amour, l’amour qui éblouit et bouleverse le lecteur, tout particulièrement dans les derniers poèmes du recueil.

 

« Je t’aime avec tendresse,

je t’aime à retourner une ville »

 

Et seul le bleu reste, magnifique, sombre et lumineux à la fois, comme le sont les estampes de Judith Bordas qui l’accompagnent.

 

Cathy Garcia

 

 

arton414-9cb40.jpgSamaël Steiner est auteur à la fois pour le théâtre, la poésie et des enregistrements radiophoniques et éclairagiste (formé à l'ENSATT de Lyon pour le théâtre également, la danse et le cirque) deux pratiques qui se nourrissent l’une l’autre. Sa rencontre avec l'auteur, acteur et metteur en scène André Benedetto à qui est dédié ce recueil, fut décisive, autant pour le théâtre que pour la poésie. Ses précédents recueils ont été publiés dans de nombreuses revues, en France et à l'étranger. Vie imaginaire de Maria Moline de Fuente Vaqueros, récit poétique, est paru aux éditions de l'Aigrette en mars dernier. Seul le bleu reste est son deuxième livre.

Judith Bordas est plasticienne ainsi qu'auteure pour le théâtre et la radio. Auteure d'images imprimées (linogravures, eaux-fortes, monotypes), auteure de partitions pour corps et voix sur une scène ou à la radio, son travail de plasticienne est multiple.

 

 

Pour commander :

http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/2016/06/seul-le-b...

 

 

 

 

04/02/2016

Le pyromane adolescent suivi de Le sang visible du vitrier, James Noël

 

Points Seuil, novembre 2015

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160 pages, 6,90 €

 

Le pyromane adolescent porte bien son nom, pour l’effusion de mots dans l’élan d’un printemps qui déborde, chaque poème semble être un premier jet, que le poète laisse derrière lui, sans se retourner, une poésie qui tient autant du chien fou que du félin sautant de toit en toit, agile séducteur.

Aussi c’est surtout l’énergie qu’on en retiendra, une énergie sincère, désordonnée, fougueuse

 

de beaux fruits qui exploseront de rire

dans le jus de la bouche

 

L’urgence de mettre un flux incessant et fiévreux de mots sur le désir comme sur les plaies, car

c’est l’encre qui fait que

le poète

trouve dans l’horizon

domicile fixe

 

Éros donc pour un pyromane adolescent tout entier dans sa dévotion aux filles de feu aux innombrables prénoms, de Montréal, de Rome ou de Bahia, filles des îles et de partout où elles incendient le regard. Pyromane papillonnant de l’une à l’autre, impossible pour ce « buveur de kérosène » de résister à l’appel des flammes.

 

« si je viens nu

ouvre ta nuit

portes et fenêtres »

 

Une légèreté trop rageuse cependant pour ne pas voir à travers le sang du vitrier, son pays « cette mine d’oubli » où « les rafales raturent », son île écartelée et « le beau naufrage du vivre ».

 

une terre sur pilotis

avec du sang dans son parterre

terre ligotée

 

par l’ombre de Thanatos,

 

le couteau

par malheur

détient un sens aiguisé

des entrailles

de la vie

 

Chaque poème ou presque de la seconde partie, y est cependant dédié à une personne précise, souvent un poète, peut-être pour contrer justement par les vivants et la mémoire de ceux qui ont vécu, cette drôle de bête que

 

la mort

qui nous colle à la peau

jusqu’à nous déboussoler

pour nous faire tomber

dans le domaine public

des astres et des trous noirs

 

Éros contre Thanatos, faire l’amour à mort et sans vainqueur, car comme le dit la passante qui avait du chien, ce qui compte poète, c’est que « t’as le cœur qui sent bon ! »

 

Le poète qui nous dit

 

je rends les armes

et vous recommande

une seule bombe sous le manteau

le mot d’amour

 

Cathy Garcia

 

 

1201838154.jpgJames Noël, né en 1978, est un écrivain, chroniqueur et poète prolifique. Il occupe une place emblématique dans les lettres haïtiennes contemporaines. Cofondateur de la luxuriante revue IntranQu’îllité, James Noël écrit régulièrement pour Mediapart et a coordonné plusieurs anthologies, dont Anthologie de poésie haïtienne, disponible en Points Poésie.

 

Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

 

Dévore l’attente, Laurent Bouisset

 

avec des images d’Anabel Serna Montoya,

Édition Le Citron Gare, novembre 2015

http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/

 

CouvertureDévorel'attenteLaurentBouisset.jpg

 

85 pages, 10 €.

 

 

Avec Dévore l’attente, le ton est donné, l’auteur a les crocs, il a faim, il en veut. Il exulte, ressent et aspire le monde par tous les pores, autant qu’il en recrache venin et sueur. Il en veut le poète et il en veut aussi à ceux qui commettent l’indifférence.

 

Comment ils font pour faire ?

Comment ils actionnent, eux ?

Et ils actionnent quoi ? Du chiffre

encore ? Et du numéralisable ?

 

Alors il balance, il crache, il tempête, il fait claquer les mots, la rage, va se perdre pour mieux se retrouver, entre banlieue lyonnaise, Guyane et Guatemala, entre Mostar, Mexique et Marseille. Il fonce vers le suicide de son je-cage.

 

Dévore l’attente, c’est de l’impatience brute, des poèmes en désordre chronologique rassemblant une bonne dizaine d’années de vie, soulignés par de belles photos en noir et blanc et des peintures d’Anabel Serna Montoya, une énergie difficile à contenir, même les mots n’y suffisent pas, M’emmerdent les mots ! Je jette la feuille ! Explose mon Bic !, le cri peut-être mais alors quelle solitude car crier c’est tout seul

 

L’énergie du poète là elle est physique, adolescente au meilleur sens du terme, elle a les yeux trop ouverts pour ne pas voir, elle grimpe aussi haut qu’elle dégringole aussi vite, le spleen et l’idéal, toute en pulsions, répulsions, impulsions, alors elle cherche un exutoire, écrire comme crier, ou partir dribbler, ou partir tout court, loin, très loin et là l’énergie elle trouve des combats à mener. Car partout et surtout loin, il y a la beauté mais aussi l’injustice, la misère, la violence… et un monumental sentiment d’impuissance. Ce choc que tout voyageur ne peut éviter, le vrai voyageur, à nu.

 

On voudrait le foutre à poil le monde et puis on réalise à quel point il est déjà nu et si maigre par endroit, on lui voit les os et le cœur aussi, qui bat boum boum jusqu’à exploser et on ne peut l’oublier cette explosion là, bien loin des tympans du Paris chic qui au passage en prend plein la gueule dans un long poème nommé La explosión del fruto gigantesco.

 

Dévore l’attente ne fait pas dans la dentelle, c’est un peu oui, l’explosion d’un fruit gigantesque presque trop mûr et ça gicle de partout, férocement, mais la vie dans laquelle on a beau mordre, persiste à demeurer intacte, alors

 

Accroupis face à l’œuf intact

À l’âge mûr

 

Nous rêvons sidérés l’éclat

D’un hiver lent.

 

Mais nulle résignation cependant chez Laurent Bouisset, il ne lâche rien, les crocs bien plantés dans la chair du vivre, Il ne partage pas ce défaut d’enthousiasme, dit il dans un poème nommé Coltrane et on y croit volontiers.

 

Ah si le monde pouvait n’être qu’un grand festin sans barbelés

 

Cathy Garcia

 

 

Laurent Bouisset.jpgLaurent Bouisset est né à Lyon en 1981. Après avoir chanté et joué dans divers groupes de rock, il a décidé de se consacrer à l'écriture poétique et romanesque au début des années deux mille. Plusieurs de ses textes sont parus dans les revues Traction-brabant, Verso, Décharge, Nouveaux Délits, Pyro, Fureur et mystère, Incertain regard... Co-fondateur, en compagnie du peintre guatémaltèque Erick González, du blog de création collective http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ où sont publiées ses réécritures et traductions de poètes latino-américains : Il lit régulièrement ses textes sur les ondes de Radio Galère, à Marseille (dans l'émission « DATAPLEX, RESISTANCES MUSICALES), et travaille à leur mise en musique (et en voix) en compagnie du musicien-photographe Fabien de Chavanes (https://soundcloud.com/ecriture-pentue/). Enfin nu le silence, son deuxième long poème (après Java dans Chaoïd n°10) est paru dans l'anthologie Triages 2014 des éditions Tarabuste.

 

Des extraits lus par l'auteur :

 

 

 

 

 

 

27/01/2016

Jan Bardeau & compagnie

 

illustration Seb Russo, mgv2>publishing, août 2015

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40 pages, 5€ (plus frais de port)

 

 

Jan Bardeau s’empare des mots, les triture, les malaxe, les lance contre les murs, d’où ils rebondissent, l’écho parfois est effrayant, car ce jeu faussement léger, non exempt de plus ici d’autocontraintes, c’est pour révoquer le vide, la solitude crasse, « la hideur abrupte », le dur « qui courbe & brise & broie, bousille le beau » et gripper les mécanismes froids et déshumanisants d’un système entonnoir qui se gave de lui-même. 

 

Jan Bardeau & compagnie, c’est un duo : Jan Bardeau et Seb Russo. Jan avec ses mots, Seb avec ses dessins, ses corps d’encre qui se tordent, se vident, se déforment, dégoulinent, étirés, vrillés, enchaînés. Et le poète est comme ce clodo au nez de clown. Clodo ou ouvrier ? C’est un peu du pareil au même non ? Un pas de trop et hop, à la casse.

 

« petites mains jusqu’à ce qu’ils les prennent sur leur tronche, les petites mains »

 

Nous sommes tellement nombreux à être des clowns plus ou moins fatigués. Nous amusons parfois la galerie des portraits poudrés, cette basse haute-cour où « les uns parlent d’importance, les autres s’imprègnent de l’art de picorer » et « s’évertuant à favoriser la guerre de chacun contre tous ».

 

Et chacun « se toise, arrondit le jarret sans arrêt ».

 

Nous sommes nés, nous petites gens, comiques muets accrochés à nos barreaux à l’image de ce Buster Keaton qui nous interpelle en couverture et surtout en quatrième, derrière, là où on range les oubliés et où on peut lire :

 

« Gerber le nœud qui me suffoque, abandonner toute réalisation, m’épargner l’uniformité des lendemains, m’extraire du passé stratifié, enfin choisir, choisir enfin, puisque le limon des possibles s’assèche, que ne demeure que l’attente. »

 

Alors Jan Bardeau choisit des mots (c’est ce qu’il nous reste non ?), et sous un air nonchalant, l’air de ne pas y toucher, il en fait des tableaux, des trouées dans la ville. L’insatisfaction chronique peut aussi être un bon lubrifiant pour le moteur, les sens restent en alerte, et « les vaches, queue en balancier ponctuent la rondeur des collines. »

 

Insatisfaction, c’est la moindre des choses non, vous avez vu la gueule du monde où « les caddies s’agglomèrent » ?

 

« Cette civilisation va clamser sous ses déchets, d’avoir becqueté comme une truie insatiable. »

 

Alors l’ouvrier résigné, complice malgré lui, produit toujours plus et encore ce qui le dépossède et de son verbe de poète retourne le quotidien, ce « somnambulisme insane »  comme un gant, on en voit alors battre les veines et le cœur à nu qui s’emballe pour un rien, car « seuls nos cuirs durcissent & se racornissent ».

 

« Je me gorge et regorge de lyrisme, dégorge le cynisme, mes crocs réclament la viande du concret pour emplir le vide qui ravine un univers édifié sur la carence. »

 

Le poète est un pauvre comme les autres, mais il respire encore, et ce trop clairvoyant, ce trop respirant, offre à qui veut les fruits de ce souffle, il tend ses mots à ses alter-egos et se demande « comment pulvériser les cailloux incrustés sous leurs paupières. » ? Cependant le poète est un solitaire aussi, pas forcément par goût, mais plutôt de l’autodéfense.

 

« Sollicités à l’entr’aide par la nécessité, sans doute désapprendrions-nous nos balivernes & nous guiderions-nous mutuellement vers la bonté, sans doute, mais je crains mon semblable, ce salopard, & le déteste. »

 

 

Cathy Garcia

 

Pour commander :

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Jan Bardeau_n.jpg« Il lui a demandé d'écrire les biographies des deux auteurs qui nous occupent ci-devant, ceux-là, oui, Russo, Bardeau, Barreau, Dusso, voilà, eux, lui il veut bien écrire des biographies, qu'il lui a répondu, mais il ignore s'il en est capable et il ne connaît pas forcément si bien leurs vies, aux deux, là, oui, ceux-là, alors tant pis il s'y colle quand même mais qu'il ne se plaigne pas si c'est loupé. Le premier, là, lui, est un anglo-berrychon, et l'autre issu de l'immigration ritalienne de Sicilie, du sud, en bas, toc, pile vers la mer, boum ; lui, il écrit des trucs mais souvent plus souvent il ne les écrit pas, et c'est plutôt mieux comme ça, lui, par contre, il dessine des trucs, et souvent il les dessine, et bon, bof, des fois c'est bien, des fois c'est pas bien. ». Jan Bardeau a commis aussi Nocturne intra-neural (UPNT n° 6, mai 1998), et plus récemment Jardin de poussières (non signé) et une plaquette avec son complice Seb Russo encore, Le voyage somnambule. Patrice Maltaverne en parle ici : http://poesiechroniquetamalle.centerblog.net/rub-jan-bard.... Le site de Seb Russo, c’est ici : http://www.seb-russo.com/seb-graphiste/

 

31/07/2015

Le violon pisse sur son powète d'Eric Dejaeger

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Un clin d'œil posthume à Pierre Autin-Grenier

une flopée d'aphorismes drôlement grinçants

 spéciale dédicace à tous les powètes

qui se reconnaîtront même s'ils ne le veulent pas

 

Parmi les morceaux les plus tendres :

 

 

Ceci n'est pas un powème peut en être un pour le powète.

 

*

 

Le powète continue à écrire pour se convaincre qu'il restera incompris

 

*

 

le poète rêve sans arrêt. De Gallimard en particulier.

 

*

 

Pleine lune ! Les powètes vont surpowéter !

 

*

 

Quand le powète donne une lecture publique, les cinq personnes présentes sont priées d'applaudir (à tout casser si possible).

 

 

 

ça vous a ouvert l'appétit ?

rendez-vous aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune

http://dessert-de-lune.123website.be/354029100/product/13...

Collection Pousse-Café

 

Couverture Le poète écorché

collage d'André Stas

 

20 pages

6 euros

 

 

 

27/07/2015

asinus in fabula de Guido Furci

Cardère, avril 2015

 

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61 pages,12 €

 

Comme une comptine à tue-tête, un refrain qui s’entête, asinus in fabula, c’est bizarre, c’est étrange et ça remue en dedans, ça nous embarque, nous entraîne comme un manège un peu fou, une comptine un peu noire, un peu effrayante même, « comme les coiffures des années 80 », comme le joueur de flûte de Hamelin qui viendrait chercher les mots pour aller les perdre quelque part, loin, là où ils ne pourraient plus dire le « cauchemar cauchemardesque », parce qu’ici les mots tricotent un texte de douleur et il faut absolument le détricoter. Au beau milieu des mots, un âne s’envole pour la lune, car il a les oreilles en forme d’hélice, vrillées c’est sûr, à force d’écouter la ritournelle qui s’emballe, tricote, détricote, et à la fin, les mots se répètent mais c’est raturé, barré, terminé, annulé. Asinus in fabula c’est dans la tête, un manège dans la tête qui rend un peu fou, un peu cruel et absurde, comme la mort quand elle prend un enfant de trois ans, un enfant comme Nicolas qui avait une maladie rare, Nicolas le cousin de Marion, moi je ne l’ai pas dit, c’est dans le livre et ça n’y est pas, c’est comme ça qu’on peut parler de ce qui ne tient pas dans les mots, alors on les jette en l’air, on les bat, on les mélange, on les rebat

 

Avant que la nuit tombe

Avant de tomber par terre

 

asinus in fabula c’est drôle parfois car le rire c’est du désespoir barré, c’est de l’enfance, de la poésie, de la poésie dans un livre, mais peut-être pas, peut-être que « c’est juste un courant d’air », qui s’échappe par une portée de silence.

 

Cathy Garcia

 

 

guido furci.jpgGuido Furci (1984) a fait ses études à l’université de Sienne et à l’université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Il a également été élève de la sélection internationale à l’École normale supérieure de Paris (section Lettres et Sciences Humaines) et visiting scholar au département de littérature française de l’université de Genève. Actuellement boursier de la FMS (Fondation pour la Mémoire de la Shoah), il poursuit son travail de thèse entre la France et les États-Unis. A déjà publié : Figures de l’exil, géographies du double. Notes sur Agota Kristof et Stephen Vizinczey (par Marion Duvernois et Guido Furci) – Giulio Perrone Editore, Rome, 2012 ;  Fin(s) du monde (textes rassemblés par Claire Cornillon, Nadja Djuric, Guido Furci, Louiza Kadari et Pierre Leroux, Centre d’études et de recherches comparatistes, université Sorbonne nouvelle Paris 3) – Pendragon, Bologne, 2013.

 

 

Pour se procurer asinus in fabula : http://www.cardere.fr/ficheLivre.php?idLivre=252

 

 

 

 

02/06/2015

Indalo de Christian Saint-Paul – Encres Vives n°441

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avril 2015. Format A4, 16 pages, 6,10 €.

 

C’est à une très belle flânerie andalouse que nous convie Christian Saint-Paul dans ce 441ème Encres Vives, placé sous le signe de l’indalo, la figure préhistorique qui est devenu le symbole de la ville et de la province d’Almeria, et qu’on pouvait déjà voir peint sur les maisons en guise de protection contre les orages et le mauvais œil. Christian Saint-Paul a le don de nous faire vivre les paysages, les lieux et leur histoire au travers de son regard de poète doublé d’un talent de conteur, et il ne fait pas que raconter ce qu’il a vu, il nous le fait voir, littéralement, c'est-à-dire ressentir aussi.

 

« La nuit encore/le soleil étouffant/mutile la fermentation du sommeil/Nous vivons désormais/lovés dans ce désert/où la terre n’est que/poussière montant au ciel/ »

 

Christian Saint-Paul a le regard d’un poète convaincu, tel Machado, de l’absolu nécessité d’être homme, en toute humilité, un homme à qui rien n’échappe, ni la beauté des lieux ni « des îlots d’immeubles/parsemés le long d’avenues/vides – sans utilité-/témoignent de la chute folle de la finance. »

 

Le poète ne fuit pas le malaise, il l’affronte, le dénonce et ainsi « Nous apprenons à apprivoiser le vide/créé par l’appétence de l’homme. »

 

Pas d’Andalousie sans l’ombre de Llorca, pas d’Espagne sans le souffle fiévreux d’un Don Quichotte, les eaux fortes de Goya et les « yeux noirs de feu névrotique » d’un Cordobès. Christian Saint-Paul nous emporte à la rencontre de l’âme andalouse, du duende tapi dans ses tréfonds. Une âme trempée « dans le souffre du soleil ». Ombre et lumière, voilà l’Andalousie et « la Bible infinie des étoiles ».

 

Des pierres, des fantômes et des Vierges tristes, des enfants vifs sous des peaux brunes, de la ferveur et des brasiers lumineux. Des plaies de guerre, le sang des fusillés et des religions qui se côtoient dans de grands jardins, où coulent des fontaines, des forteresses et « les indénombrables châteaux en Espagne ! », des prières et « des rancœurs d’un autre âge qui agitent les cargos aux amarres. »

 

Indalo est un beau périple, oui, qui ne peut laisser indifférent, car pourrait-il y avoir meilleur guide qu’un poète amoureux de la terre qu’il foule, et dont il sait voir, tous temps confondus, l’endroit et l’envers, le visible et l’invisible, le bonheur comme les larmes ?

 

Cathy Garcia

 

 

St-Paul-200px.jpgChristian Saint-Paul, est un poète véritablement passionné de poésie, de la poésie qui met l’humain et la relation à l’autre au premier plan. Il anime depuis plus de 25 ans l’émission, « Les Poètes » (le jeudi de 20h30 à 21h) sur Radio Occitanie (98.3 Mhz) avec son compère Claude Bretin et de nombreuses émissions ont été consacrées à la poésie du monde. On peut les réécouter ici :

http://www.lespoetes.fr/emmission/emmission.html

Il avait créé sa revue, « Florilège », avec un autre poète, Michel Eckhard, dans le courant des années soixante. Brel avait accepté de les parrainer. Nous sommes encore avant 68, Christian Saint-Paul entre alors à Sciences Po, mais s’engage aussi activement dans la lutte antifranquiste. Il créera une autre revue, « Poésie toute » et plus tard encore en 1983, « Le Carnet des Libellules » où il publiera de nombreux auteurs.

 

Christian Saint-Paul a publié :

 

Les peupliers (Jeune Force Poétique Française éd., 1966) Les murènes monotones (Jeune Force Poétique Française éd., 1967) L’homme de parole (Caractères éd., 1983), préface de Michel Eckhard Prélude à la dernière misogynie (De Midi éd., 1984), avant-propos de Jean Rousselot, couverture illustrée par Gil Chevalier et illustrations intérieures de Jean-Pierre Lamon et de Lucie Muller. Les murènes noyées (Carnets des Libellules éd., 1985) Les murènes monotones (De Midi/Poésie Toute éd., 1987) Transgression (Carnets des Libellules éd., 1987), préface de Claude Vigée A contre-nuit (La Nouvelle Proue éd., 1988), préface de Jean-Pierre Crespel Tendre marcotte (Carnets des Libellules éd., 1988), avant-propos de Michel Eckhart Les ciels de pavots (Encres Vives éd., 1991) Pour ainsi dire (Encres Vives éd., 1992), préface de Jean Rousselot Akelarre, La lande du bouc (Encres Vives éd., collection Lieu N°108, 2000) L’essaimeuse (Encres Vives éd., 2001) Ton visage apparaît sous la pluie (Encres Vives éd., collection Encres Blanches N°61, 2001), couverture illustrée par Patrick Guallino, postface de Alem Surrre-Garcia L’unique saison (Poésies Toutes éd., 2002), préface de Gaston Puel, postface de Monique-Lise Cohen Des bris de jours (Encres Vives éd., 2003), couverture illustrée par Christian Verdun, postface de Michel Cosem L’enrôleuse (Encres Vives éd., 2006), postface de Georges Cathalo Tolosa melhorament (Encres Vives éd., collection Lieu N°184, 2006), édition bilingue occitan/français, postface de l’auteur. Entre ta voix et ma voix, la malachite noire de la voix d’une morte (Multiples, 2009) Les plus heureuses des pierres (Encres Vives éd. N°361, 2009) Vous occuperez l’été (Cardère éditions) Hodié mihi, cras tibi (Encres Vives éd., Collection Lieu n°217, 2010)