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20/03/2015

Une femme à gros seins qui court le marathon d’Éric Dejaeger

Gros Textes, décembre 2014.

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78 pages, 8 euros.

 

  

On pourrait croire que ce titre – accompagné d’une illustration explicite de Sarah Dejaeger (toute ressemblance avec le nom de l’auteur n’est pas fortuite) est racoleur, et si certains tombent dans le panneau, ils seront punis de poésie, car Éric Dejaeger n’a rien à vendre et racoler n’est pas son genre, il aurait même plutôt tendance à rabrouer si on l’emmerde de trop près.

 

Le titre est celui du poème du même nom :

« Ce titre m’est venu

À l’esprit

En voyant une femme plantureuse

Faire du jogging »…

 

Si vous voulez connaître la suite, vous savez ce qu’il vous reste à faire, vous pourrez ainsi découvrir 66 autres poèmes d’un Dejaeger qui n’a pas peur de montrer sa sensibilité, un peu moins potache que dans les derniers recueils, celui-là nous rappelle plus les Pensées d’un ortieculteur (Les Ateliers du Tayrac, 2006) et Les contes de la poésie ordinaire (Mémor 2005). Le Dejaeger poète tranquille et assumé, compagnon fidèle (dit-il), père, grand-père, jardinier, fossoyeur de petites bêtes, dresseur de muret, contemplatif, paisible et lucide toujours, sans perdre son humour corrosif quand il s’agit d’épingler les travers de ses semblables et d’un monde à la con qui se croit korrekt et tout ça sans jamais se prendre trop au sérieux, surtout pas. Ce livre est dédié à ses « amies & amis qui comme moi s’amusent à écrire ». Ce côté ludique, fanfaron, d’une enfance qui vous collera toujours un poème dans le dos et « merde à celui qui le lit » et qui ne s’étonnera pas que les platanes puissent venger les escargots écrasés. Il y a du zen chez Dejaeger aussi, le recul du sage qui préfère grimacer comme singe que se pavaner la plume au fion et une attention non feinte à l’infime, au minuscule, c’est sans doute pour ça qu’il arrive que la part des anges, donne des ailes à sa plume. Et ce, pour notre plus grand bonheur, car la poésie de Dejaeger, elle est sacrément belle, avec une vraie simplicité, elle est du genre à vous mettre des petits frissons et des étoiles mouillées au coin des yeux. Dejaeger vous débusque l’amour sous un vieux pot à fleurs.

 

L’amour est un cloporte schlass

Qui cuve sous un vieux pot

À fleurs

 

Ne l’ennuie pas !

Ne le réveille pas !

Ne l’écrase pas !

Peut-être que comme dans les contes

Quand l’immonde bestiole

En sera quitte

De sa gueule de bois

Elle se transformera

En princesse charmante !

 

Et avec ça il vous offre son cœur à déguster, à l’échalote, déglacé à la Chimay bleue.

 

 

Cathy Garcia

de-jaeger.jpgÉric Dejaeger (1958-20**) continue son petit mauvaishomme de chemin dans la littérature, commencé il y a plus de trente ans. Il compte à ce jour près de 700 textes parus dans une petite centaine de revues, ainsi qu'une trentaine de titres chez des éditeurs belges et français. Refusant les étiquettes, qui finissent toujours par se décoller et valser à la poubelle, il va sans problème de l'aphorisme au roman en passant par le poème, le conte bref, la nouvelle, voire le théâtre. Sans parler de l'incontournable revue Microbe, qu'il commet depuis de nombreuses années, de mèche avec Paul Guiot.

 

Derniers titres parus :

Grand cru bien côté - Cactus Inébranlable éd.  (2014)

Grovisse de forme (avec André Stas) - Microbe (2014)

Ouvrez le gaz trente minutes avant de craquer l’allumette - Gros Textes (2014)

Un privé à bas bilan Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

Les cancans de Cancale et environs (recueil instantané 3) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 64 exemplaires (2012)

La saga Maigros – Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

NON au littérairement correct ! – Éd. Gros Textes (2011)

Un Grand-Chapeau-Noir-Sur-Un-Long-Visage in Banlieue de Babylone (ouvrage collectif autour de Richard Brautigan), Éd. Gros Textes (2010)

Je ne boirai plus jamais d’ouzo… aussi jeune (recueil instantané 2) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 65 exemplaires (2010)

Le seigneur des ânes – maelstrÖm réÉvolution (Belgique, 2010)

Prises de vies en noir et noir – Éd. Gros Textes (2009)

Trashaïkus – Les Éd. du Soir au Matin (2009)

De l’art d’accommoder un prosateur cocu à la sauce poétique suivi de Règlement de compte à O.K. Poetry et de Je suis un écrivain sérieux – Les Éd. de la Gare (2009)

Blog de l’auteur : http://courttoujours.hautetfort.com/

 

 

 

17/03/2015

Pieds nus dans R. de Perrine Le Querrec

Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, collection Pousse-café, février 2015.

 

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28 pages, 5 €.

 

 

Petit joyau ce pousse-café là, tête-bêche en plus : Pieds nus dans R. ou Barefoot in R. dans sa version anglaise, traduit en anglais par Derek Munn. Petit joyau car la plume de Perrine Le Querrec quand elle ne la laboure pas, vole au-dessus de la page, et il pleut des mots, il pleut de la langue de poète, de celle qui enivre, que l’on boirait encore et encore, jusqu’à tomber par terre ivre vivant ! Ce livre dédié à N. parle d’un il qui revient de R. pieds nus : j’ai perdu mes chaussure à R., me dit-il en arrivant. (…) R. qui se targue d’être la Ville, une ville tout en cadres en bordures en netteté. Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment perdre ses chaussures, sa raison, son assise et son apparence, comment se délacer - ô savoureux double sens -, s’égarer, se soustraire aux codes de R., nation d’ordre, de discipline où le premier pas de l’enfant est calculé à la courbe du rendement de R. ? Oui, comment ? Dans un rythme entrainant, envoûtant qui galope sur la page comme une épidémie de pieds nus justement, on se laisse gagner par l’exaltation liberterre de ce nudisme, deux pieds, nus de chair de veines et d’os, de pieds sans semblants, sans artifices ni parures. Ô délicieuse impudence, n’hésitez pas, emparez-vous de ces petites pages de rien du tout, énormes, qui dévalent, osez cette vision insupportable, crue, cruelle mordante, miraculeuse. N’hésitez pas, déchaussez vous !

 

Cathy Garcia

 

 

 

perrine le querrec.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Ses rencontres avec de nombreux artistes et sa passion pour l’art nourrissent ses propres créations littéraires et photographiques. Elle a publié chez le même éditeur Coups de ciseaux, Bec & Ongles (adapté pour le théâtre par la Compagnie Patte Blanche) et Traverser le parc et La Patagonie. Et puis No control, Derrière la salle de bains, 2012 ; Jeanne L’Étang,  Bruit Blanc, avril 2013 ; De la guerre, Derrière la salle de bains, 2013 ; Le Plancher, Les doigts dans la prose, avril 2013. Elle vit et travaille à Paris comme recherchiste indépendante. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons. Perrine Le Querrec est une auteure vivante. Elle écrit dans les phares, sur les planchers, dans les maisons closes, les hôpitaux psychiatriques. Et dans les bibliothèques où elle recherche archives, images, mémoires et instants perdus. Dès que possible, elle croise ses mots avec des artistes, photographes, plasticiens, comédiens.

 http://entre-sort.blogspot.be/

 

  

derek munn.jpgDerek Munn est né en Angleterre en 1956. Installé en France en 1988, il a enseigné l’anglais dans une école de langues à Paris pendant six ans. En 1994, il a déménagé dans le Sud-Ouest. Il a publié Mon cri de Tarzan, Laureli/Léo Scheer, Un paysage ordinaire, Christophe Lucquin Éditeur.

 

 

 

 

 

16/03/2015

Le mémo d'Amiens de Jean-Louis Rambour

éd. Henry, coll. La main aux poètes, octobre 2014. Vignette de couverture : Isabelle Clement.

 

 

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96 pages, 8 euros

 

 

« C’est un pays étrange, cette ville, avec tous ces gens », c’est sur cette citation du Clézio que s’ouvre ce recueil, qui bien que tenant dans la poche, pèse son poids de vies humaines et d’un siècle condensé. 90 « poèmes-photos », 90 portraits de 14 lignes. Une ville, Amiens et des gens, des habitants. Des prénoms, quelques noms, des histoires, des rêves, des ambitions, des douleurs, des misères, des saloperies aussi de tout un siècle découpé en guerres, en entre-deux, en révolutions.

 

« Ici Julia parle de la grande souffrance d’Amiens (…)

La grande souffrance dit-elle Deux guerres mondiales

À elle seule L’idée qu’on a pris forme humaine

Pour vivre la somme des malheurs la note élevée

Pris forme humaine pour offrir ses ruines »

 

Toute cette grande machinerie de l’Histoire à coups de bottes, de pieds résolus, de pieds nus, de pieds noirs, d’escarpins tourbillonnant après l’amour, la grande marche de l’Histoire à coups de bombes, de bulldozers, de bâtiments qui s’effondrent, de bâtiments qui se dressent, de fermes qui disparaissent, de zones et d’entreprises aux noms anglo-saxons qui engraissent. Et les gens, les gens qui vivent tout ça, des gens qui habitent, font et défont la ville, des gens venus de là et d’ailleurs, tout plein de mémoire et de trous.

 

On construit on construit Les ouvriers de Pi and Dji

Ont besoin de murs autour de leurs lits

De fenêtres pour imaginer des libertés

Sans compter qu’il y a Good Year Cyclam

Plastic Omnium Unither Scott Bader Vidam

Whirpool Faiveley Mersen France Sans compter

La guerre d’Algérie qui jusqu’ici distribue ses exils

 

Beaucoup de noms dans le mémo d’Amiens, un mémo c’est fait pour ça, pour ne pas oublier, les noms de personnes, noms de rues, de places, de quartiers et de ciel et de pays aussi laissés derrière, mais dont quelques graines sont venus les unes après les autres, fleurir la ville de couleurs nouvelles. De parfums nouveaux.

 

Geneviève, Rémi, Georges, Laurent, Isabelle, Lucienne, Léon… A eux seuls, les prénoms, tout un poème. Nemrod venu du Tchad jusqu’à cette ville d’Amiens où L’eau ne fait que glisser dans les tuyaux de cuivre et où la misère pourtant est belle de ses salle de bains/Et ses terrasses de café où la bière est en or. Là où Boris flotte avec les nuages des gitanes/La bière sa petite odeur d’urine d’âne surie.

 

Il y a le travail, ses travailleurs et ses exclus et il y a le foot. Daniel (…) estime qu’un ballon est un bon résumé/De l’aventure humaine Tous les globes d’ailleurs/Plus généralement Les globes et les nombrils.

 

Jennifer, Chaïma, Yliès, Caetano, Germain, Gilles, Jacqueline. Gilles qui se fait appeler Njango. Habib, Jésus, Anna et puis les épiciers, Monsieur et Madame Tellier. On ne pèse plus les pâtes/Le riz, la levure On ne râpe plus le fromage/On ne surveille plus l’intégrité des grains de café/On ne se fait plus servir  C’est le début du non-partage/On apprend le mot de self-service On s’en repaît (…) Le curé tente d’excommunier le chewing-gum/Mais en vain/On entre dans l’ère du self et du look

 

Le château d’eau du Pigeonnier devient le poste de surpression d’eau potable dépendant du département eau et assainissement/De la mairie d’Amiens sous la responsabilité de l’agent Matthieu Bernard.

 

Les temps changent, tout change mais la nuit a t’elle perdu la manie misérable d’accoucher ses cauchemars chats noirs/Ses ogres bossus aux manches de chandail/Luisantes de pailles et du mucus des limaces ?

 

Amiens sous la plume de Jean-Louis Rambour nous laisse découvrir son intimité, les dessous de ses visages innombrables, son grand théâtre…

 

Ch’est nous chés tchots/Conmédiens/Chés viux cabotants d’Anmiens*

 

Le mémo d’Amiens est un hommage poignant, sensible mais surtout pas mièvre, au contraire digne, lucide, sans concession, hommage aux femmes et aux hommes, d’où qu’ils viennent, qui forment le vrai ciment des murs d’une ville, qui la font tenir debout, en lui offrant encore un souffle d’humanité, aussi chargé soit-il.

 

Cathy Garcia

 

 

*(C’est nous les petits comédiens/les vieux cabotins d’Amiens, dans la chanson d’adieu des marionnettes traditionnelles picardes, par Maurice Domon)

 

 

 

Jean-Louis-Rambour.jpgJean-Louis Rambour né en 1952, à Amiens, vit toujours en Picardie.

Bibliographie :

Mur, La Grisière, 1971
Récits, Saint-Germain-des-Prés, 1976
Petite biographie d’Édouard G., CAP 80, 1982
Le poème dû à Van Eyck, L’Arbre, 1984
Sébastien, Cahiers du Confluent, 1985
Le poème en temps réel, CAP 80, 1986
Composition avec fond bleu, Encres Vives, 1987
Françoise, blottie, Interventions à Haute Voix, 1990
Lapidaire, CAP 80, 1992
Le bois de l’assassin, Polder, 1994
Le guetteur de silence, Rétro-Viseur, 1995
Théo, Corps Puce, 1996 / La Vague verte, 2005
L’ensemblier de mes prisons, L’Arbre à paroles, 1996
Le jeune homme salamandre, L’Arbre, 1999
Scènes de la grande parade, Le Dé bleu, 2001
Pour la fête de la dédicace, Le Coudrier, 2002
La nuit revenante, la nuit, Les Vanneaux, 2005
L’hécatombe des ormes, Jacques Brémond, 2006
Ce monde qui était deux, Les Vanneaux, 2007

Le seizième Arcane, Corps Puce, 2008 (préface de Pierre Garnier)
Partage des eaux, Ateliers des éditions R. & L. Dutrou, 2009 (dessins de René Botti)
Cinq matins sous les arbres, Vivement dimanche, 2009
Clore le monde, L'Arbre à paroles, 2009 (frontispice de Benjamin Rondia)
Anges nus, Le Cadran ligné, 2010
mOi in the Sky, Presses de Semur, 2011
La Dérive des continents, Musée Boucher-de-Perthes d'Abbeville, 2011 (huiles de Silère et préface de Pierre Garnier)
Démentis, Les Révélés, 2011 (livre d'artiste réalisé avec le peintre Maria Desmée)
La Vie crue, Corps Puce, 2012 (encres de Pierre Tréfois et préface de Ivar Ch'Vavar)
Au Commencement était la bicyclette, Université de Picardie Jules-Verne, 2014 (25 textes pour le catalogue d'une exposition du peintre Silère)


Jean-Louis Rambour a également publié des recueils de nouvelles et des romans : Les douze Parfums de Julia (sous le nom de Frédéric Manon), La Vague verte, 2000 (Prix du livre de Picardie Club de lecteurs 2001) ; Dans la Chemise d'Aragon, La Vague verte, 2002 (Prix du livre de Picardie 2003) ; Carrefour de l'Europe, La Vague verte, 2004 ; Et avec ceci, Abel Bécanes, 2007.

 

 

 

25/02/2015

Les paradoxes du lampadaire suivi de A NY, textes, collages et photos de Marc Tison

 

 

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Un recueil élancé, format vertical sur papier lisse et luisant comme une ville la nuit, un remix/réécriture d’un  texte publié  dans la revue collective  « Numéro 8 » en 2008 suivi de A NY, remix/réécriture d’un texte publié par « contre-poésie » en 2011.

 

« La ville est une arythmie (…) constance de la règle : l’urbain bruit ». Magistralement rendue ici par Marc Tison, la ville, sa schizophrénie jour/nuit, ses monstres, ses perditions et ses « fausses nostalgies des solitudes paisibles/Dans l’indifférence speedée des changements de métro ». Une langue qui claque, qui swingue, qui râpe et dérape sur le béton, le bitume, aiguillonne le lecteur, le pousse, le bouscule de boulevards rutilants en « sombres chemins de rescousses », de fantasmes en sordides réalités, sans jamais céder à la facilité d’un hymne bidon à une urbanité trop souvent à la limite du bidon elle aussi, au contraire l’auteur, lucide, nous livre la désintégration des romantismes/ Ravalement des façades à l’heure du dégueuli.

 

La ville accélère ses respirations, la ballade dans les rues des mémoires achève les souvenirs arnaques/A coup de béton, patchwork électrique de villes et d’ivresses, paradoxes du lampadaire quand l’agitation diurne mute au gris.

 

La ville picole/Sec siphone/Pour s’oublier.

(…)

A corps et à cris dans un 15 mètres carré

La ville fornique

Même absente d’amour

 

La faune urbaine dépecée ici sous la plume sans concession de l’auteur, la tendresse vient plus facilement avec la nuit, quand sortent les exclus du périmètre tendu au cordeau économique, quand des jeunesses mêlées d’affection bousculent/Les morales de contrition à Istanbul, quand les révoltes paraissent encore possibles ou en tout cas moins vaines, à contre jour du décorum constructiviste, de la ville en action concentriquel’homme urbain se regarde le nombril/Cyclope onaniste s’imaginant partouzer la foule.

 

Désabusé Marc Tison ? Non, pas totalement, car Reviendra le temps des cerises nous dit-il, Parce qu’il reste des cerisiers.

 

La ville appartient aux enfants sauvages

Pétris de justice

Quoiqu’en disent les connards qui

S’enfuient

Chaque week-end.

 

La ville… Métal et fleurs/parfumés au méthanol des distilleries clandestines/Au sous-sol des nouveaux immeubles/Déjà mis en ruine/En cours de démolition.

 

Et le poète écrit :

 

Le premier métro vient d’arriver

Encore je ne dormirai pas

Jamais

 

Tandis qu’il se rappelle avoir vu à New-York sur le ferry touristique un couple de retraités amérindiens tourner le dos à la statue de la liberté.

 

Et tant de choses encore… à lire* dans ce petit bijou qui palpite de l’énergie toujours inconcevable de l’espoir.

 

 

Cathy Garcia

 

 

*Les paradoxes du lampadaire suivi de A NY

24 pages. Format 10×21 fermé.

5€ (frais de port inclus) à commander à

Marc Tison 12 rue du ravelin 31300 Toulouse

 

 

 

 

Tison NB.jpgMarc Tison est né en 1956 entre les usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières. Lit en 1969 un premier poème de Ginsberg. Électrisé à l’écoute de John Coltrane et des Stooges. Années 70’s : performe des textes de Jacques Prévert sur les scènes de collège. Premiers écrits. Puis l’engagement esthétique devient politique. Punk et free. Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Premières publications dans des revues (dont Poètes de la lutte et du quotidien).  Écrit et chante plus d’une centaine de chansons dans plusieurs groupes jusqu’en 1992. En 1980, décide de ne plus envoyer de textes aux revues, le temps d’écrire et d’écrire des cahiers de phrases sans fin jusqu’en 1998 où il jette tout et s’interroge sur un effondrement du « moi ». Part alors à l’aventure analytique. L’an 2000 le voit déménager dans le sud ouest et rendre sa poésie de nouveau publique. Publication en revues (Nouveaux Délits n°50, Traction Brabant, Verso, Diérèse…), collectif Numéro 8, éditions Carambolage  2008. Publie Manutentions d’humanités, éditions Arcane 1, 2010 ; Topologie d’une diaclase, éd. Contre poésie 2012 ; Désindustrialisation, éd. Contre poésie 2012. L’équilibre est précaire, éd. Contre poésie, 2013. Trois affiches poèmes, éd. Contre poésie, 2013 ; quinze textes dans le livre d’artiste Regards du photographe Francis Martinal.  Engagé tôt dans le monde du travail. A pratiqué multiples jobs : chauffeur poids-lourd, concepteur- rédacteur publicitaire, directeur d’équipement culturel…. Il s’est spécialisé dans la gestion de projet de l’univers des musiques d’aujourd’hui. A élargi depuis son champ d’action à la gestion et l’accompagnement de projets culturels et d’artistes. Programme aussi des évènements liés à l’oralité, la poésie dite, et la « poésie action ».  Performances / installations d’action poésie (solo ou duo avec Éric Cartier) depuis 2011. http://marctison.wordpress.com/

 

23/11/2014

Grains de fables de mon sablier de Jean-François Mathé

illustrations de Charlotte Berghman,

Edition: Carnets du dessert de lune novembre 2014

 

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78 pages, 10 €   

 

Petit format à glisser dans la poche, beau papier, belles illustrations colorées et de la poésie tout plein, pour les enfants jusqu’à 103 ans.

En poésie, on voyagera, Nos rêves sont les seuls voiliers/Que le tour du monde désire, on voguera sur le Nil, même si c’est sur un lit, /Moitié face, moitié profil, /Bloqué par un torticolis. On appréciera le petit déjeuner servi par l’hôtesse de l’air Un croissant de lune/Dans un bol de thé. /Et si l’on est sage, /Avec notre thé/ On aura du lait, / mais juste un nuage.

On ne manquera pas de comprendre l’étonnement du chien à qui on ne donne jamais sa langue et qui ne voudra pas avoir pour copain le rouge-gorge qui n’aide à rien, il fait le beau/ Et quand je l’ignore, il babille.

Ces grains de fables s’écoulent au fil des pages, tantôt moelleux, tantôt croquants, souvent drôles et portés par des courants d’air de joyeuse impertinence, car le vent ne renonce pas à enseigner la liberté/À tout ce que l’on tient en cage, mais également mêlés de quelques pointes de cruauté, quand par exemple sous la dent, le grain cachait un petit ami : trop tard on l’a avalé !

On croisera toute une faune d’animaux et d’humains, on se moquera bien volontiers du général vertical qui est mort alité, on aura un brin de tristesse pour le petit garçon qui ayant peur de perdre sa maman qui embrasse un nouveau papa, tandis qu’il tourne sur le manège, voudrait qu’elle ait Toujours à son bras/Un seul papa d’bois. D’ailleurs la jalousie est un vilain défaut et dans le poème en pot la victime n’a pas de pot. Et en parlant de pot, vous en apprendrez aussi sur le triste mariage de la poule au pot.

On saura de même qu’il ne faut même pas confier ses secrets à l’ombre Elle est l’intérieur d’une oreille, mais on pourra cependant déplorer qu’il soit encore question de découverte de l’Amérique avec Christophe Colomb car qu’en pensent donc les « découverts » ? Alors que l’auteur ne manque pas de dire pourtant dans un autre poème, à propos d’un autre sujet, que Tout ça c’est l’Histoire,/Ses sombres saisons, /Ses fers, ses prisons,/Ceux qui s’en font gloire.

 

Cathy Garcia

 

AVT_Jean-Francois-Mathe_5038.jpgJean-François Mathé est né dans l’Indre en 1950. Professeur agrégé de lettres modernes en lycée, il a partagé son temps entre la passion pour son métier, la passion de la poésie, celle du dessin d’humour et celle de la chanson. Marié, une fille et deux petites-filles. Il a pris sa retraite en 2010 et vit dans un village du Poitou. Il a reçu en 2013 le Grand Prix International de Poésie Guillevic-Ville de Saint-Malo pour l’ensemble de son œuvre.

 

Charlotte Berghman a fait ses études à l’Institut Saint-Luc à Bruxelles, option illustration. Sa formation complétée d’un CAP lui permet d’enseigner l’art plastique. Actuellement, elle travaille comme animatrice artistique à mi-temps dans une maison de quartier. Elle reste ouverte à d’autres lieux comme maisons de jeunes, C.E.C, etc. Pour elle, l’illustration et l’animation sont intimement liées. On peut suivre son travail sur http://cha-berghman.blogspot.be/

 

 

Cette note a été publié sur La Cause Littéraire :  http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

15/11/2014

La Patagonie de Perrine Le Querrec

 

Préface de Jean-Marc Flahaut, Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, novembre 2014.

 

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103 pages, 13 €.

 

Lire Perrine Le Querrec c’est prendre un risque, prendre le risque de se faire engloutir. Les mots ici deviennent matière, tantôt gluante, paralysante, tantôt rêche, étrangleuse, tantôt lourde, étouffante, tantôt acérée, tranchante, de la matière sombre, grouillante et tremblante, puis soudain ils ont des ailes et tentent de s’échapper vers la lumière. Vers la Patagonie.

  

Ou bien ils s’écrasent. La pâte-agonie.

  

Il y est question d’enfance, de violence, de peur et de désespoir ravalés, d’extrême solitude. « Son enfance sent toujours le carnage ». Quelque chose qui ne se voit pas de l’extérieur, quelque chose que l’on peut trimballer en soi toute une vie, qui nous dévore de l’intérieur et personne ne s’en aperçoit. Personne ne s’en est jamais aperçu. Alors les mots tentent de donner consistance à cette grande béance, de faire apparaître l’indicible, l’invisible, tentative qui elle-même écartèle : faire à la fois apparaître et disparaître à jamais. Fuir.  « Il ne faut pas fermer la porte mais la claquer derrière soi et partir pour toujours ».

  

Les mots deviennent des encres à colorer le silence pour y faire apparaitre les non-dits, « la parole interdite embusquée derrière la porte close/la parole refusée bâillonnée en-dedans au dehors », des acides pour dissoudre ces murs qui retiennent les secrets qui rongent l’âme, des chimies diverses et variées pour que remontent de sous la terre tous les cadavres enterrés, les vers dissimulés. Toute la saleté enfouie.

  

On n’est pas dans l’écriture, on est dans l’alchimie, pour dégager la pierre passée au cou de celle qui se noie sans eau, pour dégager la pierre à écrabouiller le cœur. On ne lit pas Perrine Le Querrec, on avale, on mâche une réalité qu’elle nous enfourne, bouchée après bouchée, une réalité figée comme « sauce froide sur les tripes abandonnées dans l’assiette. »

  

De la douleur brute, interdite, non autorisée, non accueillie, à laquelle les mots ont ordre de donner forme, pour avoir prise sur elle, pouvoir la saisir à pleines mains et la briser, la détruire, l’achever en pleine tête.

 

Être fillette, puis femme, puis mère, la fillette enfermée dedans. Les nœuds gordiens de la famille. Le passé, le présent et le futur «l’effort du restant de sa vie ». Et ce sentiment de décalage permanent avec le dehors, avec l’autre. Incompréhensible. Alors il ne faut pas que ça se voit : « Tu es dehors. La tête haute. Les gens te saluent. Tu es des leurs. »

 

C’est cette chose avec laquelle on ne peut pas tricher qui donne tant de consistance, de densité, de force et de beauté, de magnificence même, à la langue de Perrine Le Querrec et la lire fait du bien. Peut-être pas à tout le monde, peut-être faut-il ce quelque chose en soi qui fait écho et que personne ne voit, dont personne ne s’est jamais aperçu. Un bien fou pour un mal fou. 

 

Ce petit quelque chose qui remonte à la genèse de l’être et qui fait que l’on est toujours au bord et « pas de cou autour duquel elle pourrait jeter ses bras pour s’accrocher, comme en a droit toute personne qui se noie. »

  

Toujours « trop près du bord. » et au loin pourtant, l’espoir encore d’une libre et vaste Patagonie.

 

Cathy Garcia

 

  

 

perrine le querrec.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Ses rencontres avec de nombreux artistes et sa passion pour l’art nourrissent ses propres créations littéraires et photographiques. Elle a publié chez le même éditeur Coups de ciseaux, Bec & Ongles (adapté pour le théâtre par la Compagnie Patte Blanche) et Traverser le parc. Elle vit et travaille à Paris comme recherchiste indépendante. http://entre-sort.blogspot.be/

 

 

Cette note paraîtra à La cause Littéraire.

http://www.lacauselitteraire.fr/

16/10/2014

Pistes noires de Jean-Baptiste Pedini

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 Ed. Henry, octobre 2014.

30 pages, 8 €

 

 

« Quelqu’un secoue des ombres à la fenêtre », ainsi débute ce petit recueil au format si sympathique de la collection La main aux poètes chez les Ed. Henry. Un livre qui bien au chaud sous sa couverture noir glacé, ornée d’une encre d’Isabelle Clément, tient dans la main, se glisse aisément dans la poche…

« Quelqu’un secoue des ombres à la fenêtre »… Pistes noires nous place dans la position de celui qui passerait sous cette fenêtre et la poussière d’ombres nous fait frissonner. « La ville respire fort », on l’entend parce que le silence qui enserre ce recueil de toute part est celui de l’hiver, l’hiver qui approche, l’hiver qui encercle, l’hiver qui saisit et nous transit, nous dépouille, nous isole et nous désole aussi parfois. On sait qu’il arrive quand on sent « Un air rude et compact. Derrière on devine une lame qui se démène pour passer au travers, pour desceller  les souches noires de la nuit. »

L’hiver, les ombres, la nuit, l’hiver est une longue nuit. « On dépèce le silence. On en garde un peu de fourrure. L’hiver avance sans relâche ». Quelle belle image que celui de cette bête de silence. Même le silence est dépouillé. « La main sur la poignée, on attend que ça passe. Que le soleil au matin vienne crocheter la serrure ». JB Pedini a la poésie qui coule de source, les phrases font mouche sans ostentation, c’est juste évident mais il fallait y penser, il fallait en être saisi et JB Pedini se laisse volontiers attraper. Hiver et poésie ont en commun cette capacité à nous étreindre, parfois même trop fort.

L’hiver et la neige semblent aller de pair, comme poésie et silence, le souffle en suspension puis « La neige a fini par fondre. Il n’en reste qu’un amas dense. Les chats s’y font les griffes. On les regarde s’acharner sur les monticules noirs qui ont poussé un peu partout. Quelques éclats sautent  dans les airs et vont se planter dans la nuit. Aucun de nous ne les retrouvera. Même l’aube a ses limites. »

En cette saison qui pousse à la solitude, chacun s’accorde cependant pour attiser le feu du jour. C’est beau mais ça nous cisaille aussi et les ailes gelées des oiseaux laissent des entailles dans le ciel.

Pistes noires, un morceau d’hiver à glisser dans sa poche, pour le plaisir de frissonner un peu.

 

Cathy Garcia

 

 

JB Pedini.pngJean-Baptiste Pedini, né à Rodez en 1984. Vit et travaille en région toulousaine. Publication dans de nombreuses revues dont Décharge, Voix d’Encre, Arpa,… Des parutions également chez Encre Vives, Clapàs et -36° édition. Un second recueil publié en 2012, prendre part à la nuit, dans la collection Polder coédité par Gros Textes et Décharge.

 

 

 

 

 

 

 

02/10/2014

Je te vois de Murièle Modély

 

Ed. du Cygne, septembre 2014

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112 pages - 13€

 

 

Le couple, « nous sommes ensemble et seul », colonne vertébrale de ce recueil, qui vient prendre et surprendre le lecteur, comme sait si bien le faire Murièle Modély avec cette langue et ce style bien à elle.

 

Dans Je te vois, il est question du corps, des mots, des maux du corps et du corps des mots dans l’aquarium du couple. Et donc de sexe forcément, presque un acte de survie, pour faire taire un temps les angoisses, pour que la tête se taise et que l’animal en nous « nos dents crissent nos mains aboient » fasse obstacle et contrepoids, le temps d’une rupture de conscience, à la banale horreur du monde, « ce rat crevé qui soubresaute ».

 

« je ne suis pas la première/à vouloir que le noir/m’arrache les cheveux/et le cuir/et le crâne/et les lobes/et les yeux/à vouloir que la baise/me fasse sentir mieux. »

 

« les jambes s’ouvrent, les yeux se ferment ». Le sexe dont Muriel Modély trace à grands jets les contours, où le creux appelle le plein parce que l’extérieur semble trop vide, le sexe comme une salutaire amnésie plus ou moins quotidienne, parce que « pendant que dans nos ventres se jouent sans anicroche/le va/ le vient/l’histoire la même/dans la répétition des coups de reins », on tient à distance la peur, la faim et la mort, et surtout, paradoxalement, « on tue la vie » comme si « la mort petite » faisait moins mal. « je veux juste ton sexe sous mes voiles de chair ».

 

Le couple, une protection : « je porte ta peau en rempart », contre un monde extérieur vécu comme aussi monotone qu’hostile. L’hiver est continu le présent nous bombarde/ses rayons dardent puis nous charrient/dans les allées des centres commerciaux. Un monde à mastiquer, où l’on consomme et se fait consommer. « Je nous vois aussi attablés et assis/lécher la poussière des fonds de verre ».

 

Ce recueil semble bâti sur des oppositions, des équilibres à trouver, comment passer sans dégât de la contraction à la dilatation, de la protection à l’ouverture. Toi/moi, homme/femme, vie/mort, sexe/mort, sexe/vie, dehors/dedans, désir/dégoût. Les mots mentent, les corps ne mentent pas, ou bien est-ce l’inverse ? Et l’auteur « déboule dévêtue dans les champs sémantiques ».

 

Avidité, turgescence, le jouir et le vomir. Le couple et la faille. Les corps s’unissent, les mots disent la dichotomie : « Je fais l’amour, tu baises. » Mais « qui en définitive pénètre l’autre ? ».

 

« la langue suce dissout/le réel ». Sexe et écriture tamisent le réel dont la violence peut devenir insupportable. On sent quelque chose qui se braque au fond du ventre. Peur ancestrale peut-être,  « rien à voir avec ces trucs de fille/le genre qui revient tous les vingt-huit du mois ».

 

Dans ce recueil, parfois les mots ne disent pas, tournent, évoquent, mais comme le sexe, une part de l’écriture permet sans doute à l’auteur de s’échapper par le trou des mots, mais en même temps, encore le paradoxe : « le mot n’est-il pas un pilon plus puissant/que n’importe laquelle de nos excroissances » ?

 

Sexe/mots qui déchirent, sexe/mots qui recousent et Murièle Modély de confier sa « fascination malsaine/ pour les cicatrices ».

  

Il y a dans ce recueil plus que les précédents peut-être, quelque chose de non-accouché et les mots tournent autour du point source de la douleur et même parfois semblent distraire l’attention du lecteur pour qu’il regarde ailleurs. Douleur trop vive ?

 

Le livre s’achève cependant dans une sorte d’apaisement, l’amour comme une couverture qui vient recouvrir et réchauffer les corps, mais y croit-on vraiment ?

 

Cathy Garcia

 

  

Muriele-Modely.jpgMurièle Modély est née en 1971 à Saint-Denis, à l’île de la Réunion et vit maintenant à Toulouse. Bibliothécaire de profession, elle commence à explorer l’écriture poétique sur son blog (www.l-oeil-bande.blogspot.fr.) avant de participer à des revues telles que Nouveaux Délits, Les tas de mots, Poème sale, Microbe, ou encore Traction Brabant.

 

Bibliographie :

 

- Penser Maillée, Éditions du Cygne, 2012 - Rester debout au milieu du trottoir, Éditions Contre-Ciel, 2014

 

 

 

 

 

 

 


12/06/2014

Juste après la pluie de Thomas Vinau

Alma éditeur, 30 janvier 2014

 

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81 pages, 17 euros.

 

 

 

Comme il l’écrit lui-même dans sa postface intitulée « Lignes de fuite » : « Ma poésie n’est pas grand-chose, elle est militante du minuscule, insignifiante, et je l’écris au quotidien, à la mine de rien. J’ai pensé à ce projet plus conséquent. Un gros livre de petits poèmes. » Pari osé, ce roman-poésie, car on sait bien, l’offre en poésie dépasse de loin la demande, beaucoup en écrivent, peu en lisent ; « je travaille beaucoup à la simplicité » nous dit Thomas Vinau, or rien n’est plus difficile à atteindre que la simplicité, cependant chacun pourra très certainement puiser dans ce « gâteau de miettes » quelque chose à son goût.  D’ailleurs, poésie du quotidien peut-être, mais comme le souligne l’air de rien l’intitulé de la postface, il semble qu’écrire de la poésie soit justement pour Thomas Vinau une façon d’échapper au quotidien, ou tout au moins de le rendre parfois plus respirable, plus supportable. C’était peut-être moins évident dans des recueils plus anciens, mais ici on peut distinguer plus nettement des fêlures, des fragilités, dans les constructions qui protègent un quotidien, qui est surtout celui de l’intimité, de soi, du couple, de la famille, comme à opposer à un monde devenu bien trop fou, bien trop agressif pour qui a la sensibilité à fleur de peau. « Tout va bien » écrit-il, « le monde court après le monde dans les paisibles chuchotements de nos agonies veloutées ». Fragile le poète certes, mais aussi « la solidité des parfums de pivoine lorsque tu me piétines ».

 

Poète… Spécialiste de « l’inutile indispensable ». La poésie aime peut-être l’ordinaire mais elle ne le laisse pas tranquille, quand elle s’engouffre dans le quotidien, elle le chahute, elle le transforme, le bouscule, le bascule et c’est ainsi que lorsque les yeux de Thomas Vinau « fouillent les ratures du paysage », ils  « distinguent un troupeau de fenêtres sauvages ».

 

Dans le quotidien, il y a ce trésor nommé instant présent, un puits sans fond dans lequel Thomas Vinau sait puiser quelques fulgurances, comme on remonterait quelques jolis poissons.

 

« Souvent j’ai l’impression

d’être un sachet de thé

dans l’eau tiède du monde

mais parfois me rattrape

la sensation violente

d’être une goutte d’eau

saturée de saveurs

dans une boite à thé »

 

Et la vie est « une petite rivière pleine et fraîche qui nous file entre les doigts » aussi le poète déplore

 

« le décès instantané

D’un petit matin frais

Fauché en pleine course

Par un quotidien trop pressé

 

aux dernières nouvelles

Le champ des possibles

S’écoule encore de son ventre

Sur la chaussée

 

 

Thomas Vinau a l’âme sauvage, qui le ramène autant que se peut vers la nature, l’enfance, ce qui est un peu la même chose.

 

Je me sers

d’un toboggan d’enfant

comme chaise longue

je me sers

de l’herbe haute comme déodorant

je me sers

du ciel foutraque

comme cahier de brouillon

 

D’ailleurs le poète a beau viser l’horizontalité, même s’il sait qu’ « on fait pisser nos rêves à la laisse comme des chiens », il ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel et se dire que Dieu a l’haleine chargée

 

« dans sa dent creuse

 un soleil

endormi »

 

Et les poètes sèment leurs innombrables poèmes que les oiseaux du malheur ne manqueront pas de dévorer, c’est pourquoi il faut en semer beaucoup, beaucoup, afin que certains puissent avoir la chance de germer. Ne serait-ce que pour continuer à nous bousculer le quotidien.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

AVT_Thomas-Vinau_240.jpgThomas Vinau est né en 1978 à Toulouse. Auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de poèmes, il publie en 2011 son premier roman, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, aux éditions Talma. Un road-movie d’inspiration autobiographique, à « l’écriture pudique et organique », qui fait le tour des blogs littéraires et fait sortir le jeune auteur de son microcosme littéraire. Influencé par les poètes américains (Richard Brautigan), et militant du minuscule, Thomas Vinau signe en 2012 un Bric à brac hopperien, portrait du peintre américain Edward Hopper « réalisé à partir de listes, de notes et de chutes autobiographiques » (Ed.Talma). Thomas Vinau vit aujourd’hui près du Lubéron, plante des radis et taille des lilas, écoute les insectes grouillants qui organisent le monde,  non loin des chauves-souris qui s’endorment, la tête au pied des mots. Bibliographie complète : http://bibliothomasvinau.blogspot.fr

 

 

 Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

 

 

 

19/04/2014

Rester debout au milieu du trottoir de Murièle Modély

 

avec des photographies de Bruno Legeai – Ed. Contre-Ciel, 2014

 

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78 pages, 12 €



Rester debout au milieu du trottoir ou en tout cas comme planté devant la porte derrière laquelle se déroule ce recueil. On le lit comme on regarderait à travers un œilleton, captant des images, mais surtout des odeurs et des sons. L’imagination galope, mais ce qui se passe réellement reste hors d’atteinte. Des images de Lui et d’Elle, l’homme et la femme et parfois la fille. C’est d’ailleurs peut-être à travers le regard de celle-ci que nous avons accès à une dimension où tous les temps sont ramassés en un seul, celui « Des faux souvenirs, des vrais cauchemars ». Un recueil comme une multitude de mini-scènes de théâtre à huis-clos, sans public, étouffant. Pas de mise en scène, juste du brut de vie, qui arrache le gosier si on le boit trop vite. Il se dégage de l’ensemble une profonde sensation de malaise, mais toujours chez Murièle Modély cette écriture organique, à la fois subtile et racleuse de fond, dérangeante parfois à la limite de la nausée. C’est comme si au lieu de la lire, on l’avalait, page après page comme

 

« vieille soupe

 

mayonnaise pour œufs

 

flan

tarte

soufflé

 

farce pour trou »

 

A avaler comme on avalerait chaque jour d’une vie qui n’a rien d’un gâteau, avec l’amour à déglutir.

 

« L’amour c’est comme ça

Un appendice planté

Direct dans les gencives »

 

De l’amour un peu et de solitude beaucoup.

 

« le poids des jours qui toquent

leur morne cliquetis

Son fol ressassement

 

contre le chambranle

les femmes que l’on baise

 

les hommes que l’on brise

et les billets souillés dont on bourre

 

les ventres »

 

Les magnifiques photos en noir et blanc de Bruno Legeai, ces corps ou parties de corps plus ou moins floutés, participent à donner cette impression d’avoir pénétré une intimité qui, paradoxalement, nous envahit tout en demeurant hors de portée.

 

Une intimité qui parle à nos sens plus qu’à notre tête.

 

« l’impression quand

même d’être pilonnée

par la pluie drue

qui tombe »

 

Sons, textures et odeurs, de cuisine, de rue, d’urine, de tabac, « l’odeur lactée qui monte des draps sales », des odeurs de l’homme « sa vieille odeur de cale » et de la femme et « la puanteur douce qui monte de la rue ». Et puis des malheurs, d’homme et de femme…

 

« dans l’arrière salle sur les carreaux cassés

les jambes écartées entre l’urinoir et le lavabo froid »

 

Murièle Modély a ce don des phrases qui cognent «  je suis vide comme une vieille seringue » et la poésie comme liant, vient alléger, illuminer, « lécher l’heure ». Elle opère son travail alchimique, une sorte de catharsis pour conjurer le poids de ces vies dont on hérite de ceux et celles qui nous précèdent et nous mettent au monde comme « dans une boite à chaussures dans un magasin quelconque » et ces rêves qui se fracassent, « cette farce des nouveaux départs »,  tandis qu’on reste planté « debout au milieu du trottoir".

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

Muriele-Modely.jpgMurièle Modély est née en 1971 à Saint-Denis, à l’île de la Réunion et vit maintenant à Toulouse. Bibliothécaire de profession, elle commence à explorer l’écriture poétique sur son blog (www.l-oeil-bande.blogspot.fr.) avant de participer à des revues telles que Nouveaux Délits, Les tas de mots, Poème sale, Microbe, ou encore Traction Brabant.

photo © H.B. 

 

Bibliographie :


- Penser Maillée, Éditions du Cygne, 2012
- Rester debout au milieu du trottoir, Éditions Contre-Ciel, 2014

 

 

 

 

10/04/2014

Le Cow-boy de Malakoff de Thierry Roquet

édition Le pédalo ivre, mars 2014

 

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75 pages, 10 €.

 

 

 

Le Cow-boy de Malakoff est un héros presque solitaire qui vit avec « une squaw du Maroc, une berbère au sang pur et noble » et une fillette qu’il appelle « mon trésor ». Le Cow-boy de Malakoff vit dans « l’immensité poussiéreuse d’un tipi d’avant-guerre » au troisième étage sans ascenseur, « il n’y a pas de digicode, pas de boîte aux lettres (juste une fente dans la porte) ». Le Cow-boy de Malakoff a un lasso de sept mètres, 10 000 vaches qui paissent « jusqu’au quai de la ligne 13, station plateau de Vanves-Malakoff » et des « crocodiles qui viennent de la cave (les larmes d’encore plus loin). Le cow-boy de Malakoff écrit des poèmes « - Je ne sais pas faire autre chose, ma chérie… » et son ranch donne sur l’open space « ce sont des quartiers à perte de vue des immeubles des villes et encore des villes qui s’étendent à l’infini » qu’il peut observer depuis la fenêtre rectangulaire de son tipi deux pièces. Une fenêtre sur les rebords de laquelle « les rayons du soleil s’échouent comme des merdes ». Le cow-boy de Malakoff  mène « un vide sédentaire », et même si un vague espoir demeure « comme les oiseaux cherchent la branche au dessus des nuages d’où ils pourront s’élancer vers la rivière poissonneuse qui coule dans le couloir du bus 191 entre deux blocs de béton et un supermarché », le cow-boy de Malakoff sait que le désert est à la porte «  - De quoi tu parles, mon chéri ? – De ce qui nous entoure ; referme la porte derrière toi, s’il te plaît. ».

 

« Dans le décompte des jours indifférenciés », le cow-boy de Malakoff met un pas devant l’autre, bon gré, mal gré, parce qu’il le faut bien :

 

« - c’est comme ça qu’on avance, je crois

un peu comme une mouche

attirée par

le cul d’une vache. »

 

Même si parfois, « les jours de peur irraisonnée quand je n’ose plus foutre les pieds dehors », ce n’est que pour aller du lit à la salle de bains, roulant du cul justement « comme John Wayne », « en imitant Robert Mitchum devant la glace beuglant d’une voix virile : - Do you want à biggest target ? ».

 

« Satori par ci, Satori par là », c’est pourtant bien de la sagesse que le cow-boy de Malakoff ramène à coups de poèmes-lasso.

 

« Succession de hauts et

de bas

de doux vallons

et de hautes montagnes

pierreuses

le temps

d’une vie

présente les mêmes aspérités

qu’une toile

entre les mains

d’un maître

qui n’en finirait plus

de boire un

dernier verre

puis

de tout recommencer

sans trouver

jamais la justesse

à la fin. »

 

Le cow-boy de Malakoff, alias Thierry Roquet, a une fois encore, mais peut-être plus encore dans ce recueil là, le don de ré-enchanter le désenchantement. Ce recueil plein d’amour et jamais sans humour est comme une canette d’oxygène pour un chinois de Pékin, un espace intérieur illimité pour les cowboys urbains. A lire à cheval sur un bon vieux canapé. Hiiiiiiiii haaaaaa !

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

 

roquet.jpgNé en 1968 en Bretagne, Thierry Roquet vit à Malakoff (banlieue sud de Paris). Après une adolescence boutonneuse et solitaire, des études assez vite écourtées, divers boulots alimentaires, des lectures marquantes, une belle histoire d’amour, un enfant et un licenciement (presque) à l’amiable, s’oriente vers l’écriture (du quotidien) petit format… mais longue durée. Ne compte pas s’arrêter là. Inch’allah !

 

 

 

 

 

 

04/04/2014

Ouvrez le gaz 30 minutes avant de craquer l’allumette d’Éric Dejaeger

avec des photos & illustrations de Pierre Soletti, précédé d’aimables considérations générales de Jean L’Anselme – Tirage limité et numéroté - Ed. Gros Textes 2014.

 

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48 pages, 13 euros  (+ 2 pour le port)

 

 

Quelle classe ! C’est un véritable livre d’artiste là, qui donne la part belle (pleine page, papier glissant sous les doigts) aux illustrations, dont une bonne partie sont des photos - prises pour beaucoup dans et depuis un appart d’un Xème étage d’un quelque part qui ressemble à beaucoup d’autres en zone urbaine. Le genre d’illustrations qui convient parfaitement au titre du livre et qui annoncent à la fois la couleur : noir, blanc et un rouge bien vif et l’odeur… Ici les poèmes viennent se coller à l’image, parfois comme des post-it ou s’insérant dans les lignes du décor, s’excusant presque d’être là.

 

Le jour se lève

vu sa gueule de bois

à dégoûter une tronçonneuse

il s’enfile deux Dafalgans®

effervescents

&

retourne se pieuter.

 

Et c’est bien du Dejaeger que nous sommes en train de lire et c’est vrai que la poésie de Dejaeger c’est un peu ça, des textes courts écrits comme avec une gueule de bois perpétuelle, qui fait qu’on va direct à l’essentiel, on ne s’encombre pas (déjà assez encombré comme ça) et surtout on ne peut définitivement pas se laisser emmerder et encore moins se prendre au sérieux ou se jouer la comédie. Gueule de bois ne signifie pas langue de bois bien au contraire, la langue, même pâteuse, ne s’en laisse pas conter, elle tire à vue et elle décape. Efficace, comme ces tampons en paille de fer pour nettoyer les cendriers…   Normal, elle a pris sa dose de détergent… Tout en prend pour son dégradé et les poètes pour commencer, jamais si bien servi que par soi-même. Pas de place pour le vernis, les fioritures pompeuses, les m’as-tu vu quand je prends la pose… Dejaeger lui ce qu’il veut c’est

 

de la poésie

qui casse,

qui merde,

qui vomit

& qui te répond quand tu l’appelles

 

et quoiqu’en dise le titre de ce livre, il se moque bien de la posture du poète dépressif suicidaire, d’ailleurs c’est un Titre à la con

 

(…)

Ne participez pas

plus encore

au réchauffement

de la planète !!

 

C’est que sous ses airs de méchant débonnaire, l’humour de Dejaeger n’est pas idiot pour autant, bien au contraire, faisant fi de la bonne conscience obligatoire, il lui reste la seule et véritable conscience qui vaille : la sienne.

 

- J’en ai ras le bol !

- Ça arrive…

- Dis, Éric, toi qui a toujours le moral, c’est quoi ton secret ?

- Je n’ai pas de morale

- C’est une philosophie comme une autre

- Je n’ai pas de philosophie.

 

Mais de la poésie, il en a le Dejaeger, une pleine cargaison, d’abord parce qu’il sait que la poésie, c’est service à volonté, il y en partout et qu’elle peut décapiter coca cola et transformer un cumulo-nimbus en attentat pâtissier, avec un beau clin d’œil

 

en pensant que là-haut

Noël Godin

a enfin réussi à entarter

le soi-disant

créateur

 

 

Et qu’elle peut même sortir d’un tube de gel douche

 

«  Le plus génial :

un gel

au lait de pêche !

En me savonnant

je pense

à une jolie fermière

occupée à traire

une pêche »

 

Lire Dejaeger c’est comme partir à la pêche justement, sachant qu’on peut y aller peinard, on ramènera toujours quelques beaux poissons et même peut-être des poissons volants !

 

La poésie

passe beaucoup mieux

avec

un coup dans l’aile

de la poésie,

bien entendu :

je ne suis pas un ange !

 

A lire donc, avec une offrande de bière pour les poissons.

 

 

Cathy Garcia

 

 

A commander sur le site des Éditions Gros Textes. http://grostextes.over-blog.com/2014/01/eric-dejaeger.html

 

 

eric dejaeger.jpgÉric Dejaeger (1958-20**) continue son petit mauvaishomme de chemin dans la littérature, commencé il y a plus de trente ans. Il compte à ce jour près de 700 textes parus dans une petite centaine de revues, ainsi qu'une trentaine de titres chez des éditeurs belges et français. Refusant les étiquettes, qui finissent toujours par se décoller et valser à la poubelle, il va sans problème de l'aphorisme au roman en passant par le poème, le conte bref, la nouvelle, voire le théâtre. Sans parler de l'incontournable revue Microbe, qu'il commet depuis de nombreuses années, de mèche avec Paul Guiot.

 

Derniers titres parus :


Buk you ! – Ouvrage collectif autour de Charles Bukowski – Éd. Gros Textes (France, 2013)

Les cancans de Cancale et environs (recueil instantané 3) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 64 exemplaires (2012)

La saga Maigros – Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

NON au littérairement correct ! – Éd. Gros Textes (France, 2011)

Un Grand-Chapeau-Noir-Sur-Un-Long-Visage in Banlieue de Babylone (ouvrage collectif autour de Richard Brautigan), Éd. Gros Textes (France, 2010)

Je ne boirai plus jamais d’ouzo… aussi jeune (recueil instantané 2) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 65 exemplaires (2010)

Le seigneur des ânes – maelstrÖm réÉvolution (Belgique, 2010)

Prises de vies en noir et noir – Éd. Gros Textes (France, 2009)

Trashaïkus – Les Éd. du Soir au Matin (France, 2009)

De l’art d’accommoder un prosateur cocu à la sauce poétique suivi de Règlement de compte à O.K. Poetry et de Je suis un écrivain sérieux – Les Éd. de la Gare (France, 2009)


Blog de l’auteur : http://courttoujours.hautetfort.com/

 

 

28/03/2014

J'emmerde... de Marlène Tissot

Préface de Fabrice Marzuolo.

 

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éditions Gros Textes, 2014

90 pages, 6 €

 

 

J’emmerde… Déjà le titre a quelque chose de jouissif en soi, une petite revanche à lui tout seul, mais Marlène Tissot rajouterait certainement : j’emmerde la revanche et elle aurait bien raison. Ce recueil s’il vous tombe entre les mains, attention il colle et si vous l’ouvrez, juste histoire d’y jeter un œil, en attendant d’avoir le temps de le lire, vous saurez que déjà vous emmerdez « le temps de…. ». Ce sera de suite et maintenant, et vous ne le lâcherez pas tant que vous ne serez pas arrivés au bout, à la fin, avec ce magistral « j’emmerde les fins de moi difficiles »…

 

De ce recueil, on serait tenté de citer chacune des déclarations d’emmerde, chacune percutant le lecteur en trois phrases et un seul round. Aucune ne parait inutile, surfaite, et chaque lectrice-lecteur y trouvera forcément résonnance avec son ressenti propre, voire avec le sale…

 

J’emmerde l’équitation

 

On ne galope pas très loin

en étant à cheval

sur ses principes

 

Marlène Tissot a ce don qui ne cesse d’enchanter, ce don de la pirouette tout en emmerdant la pirouette. L’art du paradoxe, la nécessité surtout de la contradiction, écorchant au passage tout ce et ceux qui se voudrait ceci ou cela… Ne se prenant elle-même pas au sérieux (surtout pas, quel ennui !), elle a ainsi une intégrale liberté que bien des jaloux-jalouses pourraient lui envier.

 

J’emmerde la haute couture

 

Broder ce qui faut de dérision

sur le bord des jours

pour éviter qu’ils ne s’effilochent

 

Et sage avec ça… C'est-à-dire dotée d’une compréhension profonde et in-situ de la complexité et de la vanité humaine.

 

J’emmerde l’aqua-bonisme

 

Mettre les poissons dans un bocal

et les laisser nous regarder

tourner en rond

 

*

 

J’emmerde les proverbes

 

Quant on veut, on peut

mais quand on peut

souvent, on ne veut plus

 

 

Un mélange goûteux de désespoir et de jubilation...

 

J’emmerde les grands discours

 

Rester fidèle à cette petite voix

qui chante des berceuses

à nos terreurs

 

*

 

J’emmerde les courbes de croissance

 

En devenant adulte on ne grandit pas

on ne fait que rétrécir

notre aptitude à nous émerveiller

 

 

Avec une pointe d’acidité…

 

J’emmerde les évidences

 

Les choses parlent d’elles-mêmes

les gens aussi

assez souvent

 

 

Pour le plaisir, en guise d’amuse-bouche, comme on dit dans les restaurants qui n’osent pas dire amuse-gueule,  voici donc quelques-unes des perles de ce recueil qu’il faudrait garder toujours en poche, un genre de spray antidépresseur, voire pour éloigner quelques emmerdeurs et emmerdeuses. Marlène pourrait rajouter : j’emmerde l’égalité des sexes, et elle aurait bien raison, car elle est basée sur de fausses données, il y en a toujours un qui finit avant l’autre.

 

J’emmerde le strip-tease intégral

 

Je préfère la vérité

débraillée

à la vérité nue

 

 

Mais trêve de….

 

J’emmerde les blablas

 

Les mots sont des adultes consentants

on peut les coucher là, l’un par-dessus l’autre

et leur faire dire ce que l’on veut

 

 

Procurez-vous vite ce livre et osez donc…

 

J’emmerde la chasse au trésor

 

Chercher

ce qu’il reste de bonté

en chacun de nous.

 

 

Parce qu’en plus l’éditeur fait partie de ces artisans fous du monde de l’édition indépendante qu’il faut absolument soutenir, et donc acheter ses livres.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

Une partie de ce recueil a été publié sous le même titre « J’emmerde… » dans le Mi(ni)crobe n°43, de la revue belge Microbe http://courttoujours.hautetfort.com/

 

 

 

f36881_d52e90571b2cc9f39ec344470ae53c12.jpgMarlène Tissot est venue au monde inopinément le 10 juin 1971. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Écrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.

 

 

Biblio :

Sous les fleurs de la tapisserie, éd. Le Citron gare, 2013.
Les Choses ordinaires, Kiss my Ass éd., 2013.
Buk You, collectif, éditions Gros Textes, 2013.
Je me souviens, c'est dimanche, éd. Asphodèle, coll. « Confettis », 2013.
Mailles à l'envers, éd. Lunatique, coll. « Roman », 2012.
Mes pieds nus dans tes vieux sabots bretons, éd. La Vachette alternative, coll. « 8pA6 », 2011.
Nos parcelles de terrains très très vagues, éd. Asphodèle, coll. « Minuscule », 2010.
Celui qui préférait respirer le parfum des fleurs, éd. La Vachette alternative, coll. « 8pA6 », 2010.

 

Son site : http://monnuage.free.fr/

 

Les éditions Gros Textes : http://grostextes.over-blog.com/

 

 

 

 

 

09/03/2014

Démolition de Jean-Christophe Belleveaux

 illustrations de’Yves Budin

Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, 2013.

 

 

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78 pages, 11 euros.

 

  

Démolition de Jean-Christophe Belleveaux se lit une fois puis se relit, en espérant cette fois en ressortir moins essoufflé. Démolition aurait pu aussi bien s’intituler débordements et suffocation, car il s’agit principalement ici d’évacuer un trop-plein, comme annoncé dans la première phrase du recueil, en italique, comme l’auteur se citant lui-même :

 

 

Le monde est trop plein, ma poitrine en déborde

 

  

Pas de majuscule, on y entre de plein pied ou comme un de ces pavés dans la mare et les retours à la ligne n’ont rien de convenu, mais donnent le ton saccadé qui nous place d’emblée dans la tête de l’auteur, comme à bord d’un véhicule à embarquement immédiat. Nous voilà secoués, soubresautés, subissant des embardées avec toutefois quelques moments où le trajet semble s‘apaiser mais pas pour longtemps. Le chemin n’a rien d’une autoroute, mais bien plutôt un de ces chemins de terre, pleins de trous et de bosses, qui mènent on ne sait où, l’idée même d’une destination étant hors de propos.

 

  

faire bonne figure, s’accommoder

d’infinitifs qui ont le style

d’une serpillière

 

je suis fatigué

 comme tout le monde

  

tout le monde trop-plein

de trop de choses

 

 

Et la plume de l’auteur contredit sa fatigue en étant ici pareille à un moteur qui s’emballe et qui chercherait à se faire taire lui-même. Des sentiments de vanité et désenchantement prennent le lecteur à la gorge et lui donnent envie à lui aussi, de recracher le trop-plein, la dégueulasserie qui frôle souvent le dégoût de soi.

 

  

je ne vais pas continuer à écrire

 « les vaches se tiennent debout sous la pluie »

 par exemple

 

je ne vais pas non plus

sortir sous la pluie

ni me taire ni mourir tout de suite

 

 

Il y a au départ de l’écriture une plaie, impossible à refermer. Les mots en guise de cautérisation, autant verser de l’eau dans un trou de sable.

 

Je lèche ma plaie

J’écris avec ma langue

 

 

Celui qui écrit ne peut que continuer à écrire, dans une vertigineuse mise en abîme, une toile dont on finit par voir la trame à force de l’user, écrire même pour dire rien.

 

mais plus pur que le rien

pourquoi en voudrais-je

de cette baudruche

 

pureté brûle, viole,

met des fils de fer barbelés

 

 

Pour interroger le silence. Deux mots déjà, deux mots de trop. À devenir fou. Les mots sont à la fois le fond où l’auteur se noie et le radeau qui le sauve.

 

 

seulement voilà

ça s’effrite dedans, ça craque

et l’écriture jette ses oiseaux noirs

sur la page étale

 

 

(…)

 

je ne peux plus compter

sur le mauvais ficelage

de ce radeau

 

Les mots, filet balancé au néant, pour y pêcher quoi ?

 

Donnez-moi de l’amour

à cause de mes phrases

beaucoup d’amour anonyme

non prononcé

 

 (…)

 

j’aligne les mots les signes

les hameçons

Qui ne pêchent rien

j’aligne

 

 

(…)

 

c’est un tango absurde avec le manque

 une posture à foutre en l’air

 à coups de revolver

 

 

Et puis il y a tous ces voyages, ces échappées dont les images restent gravées, des mots encore et cette atroce certitude qu’ils ne réparent rien, que les mots ne résolvent rien, ne ressuscitent rien.

 

je me suis bagarré avec tout ça, j’ai fait du doute un habit à peu près supportable

la grande fatigue, elle, me jette au bord de l’impudeur : tout déballer, faire le tri ou alors foutre le feu tout de suite à l’entière baraque

 

  

Démolition, c’est le poète qui se débat avec sa solitude.

  

sommes-nous

l’ange et moi

symétrique aussi

sommes-nous

l’ange de l’autre

 

 

(…)

 

puis–je étrangler

au nœud coulant de mon blabla

ma solitude

 

Car celui qui se construit de mots en vient à douter de sa propre consistance.

 

et puis ça se fissure

on ne sait pas bien

on n’a plus

qu’une vapeur d’âme

un crachin

 

 

(…)

 

RIEN

 

Se débrouille pour me dissoudre

 

 

Reste à rire de soi, que ce soi de maux soit de mots, soit ! Le pied de nez de celui qui ne saurait vivre sans eux, même s’il est tenté de les démolir, comme un taulard voudrait casser les briques des murs qui l’enserrent.

 

et pas de pioche encore

pour les briques du mur

mais ça viendra

ça va casser futur proche

ça s’éboulera langue et sourire

boomerang.

 

  

Et le lecteur en reprendra bien encore une fois.

A noter aussi, les superbes illustrations d’Yves Budin.

 

  

Cathy Garcia

 

 

  

belleveaux2.jpgJean-Christophe Belleveaux naît par hasard en 1958 à Nevers-en-France. Se prolonge par faiblesse, notamment dans la vaine animation d'une revue de poésie, "Comme ça et autrement" durant sept années, dans de vagues études de Lettres et de langue thaï, en résidence d'écriture et lectures publiques, dans de tenaces errances à travers les fuseaux horaires et le labyrinthe existentiel. Mourra par rencontre, comme tout un chacun.

 

 

 

 

 

18/10/2013

L’Amour d’Amirat suivi de Né nu, Oiseaux mohicans, Kilroy was here, Daniel Biga

Préface de Jean Orizet, Cherche Midi, Collection Points Fixes, mai 2013

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 335 pages, 19,50 €

 

 

Dans la première partie, la plus cohérente on dira, L’Amour d’Amirat (1984), l’auteur a quitté la ville pour vivre, et accessoirement écrire, dans un hameau abandonné sur les hauteurs des Alpes du Sud. Il a quitté son métier d’enseignant pour aller y vivre quasi comme un ermite et y cultiver un jardin, aussi bien extérieur qu’intérieur.

 

ici à la montagne il n’y a que moi

qui tourne et pète dans mon couchage

il n’y a que moi et le froid

la nuit qui n’en finit pas

l’inondation des souvenirs

En totale osmose avec la nature qui l’environne, il demeure là-haut même en hiver, et on songe en lisant toutes les pensées et anecdotes qu’il confie au papier, à Thoreau, mêlé de Li Po, Nan Shan et Castaneda, avec des accents libertaires récurrents de ces années soixante-huitardes où le désir d’un retour à la terre était motivé par une critique virulente et pertinente d’un système, autant que par une attirance certaine pour une liberté absolue et donc fantasmée – ou presque, car l’utopie, encore une fois, n’est pas l’irréalisable mais ce qui n’est pas encore réalisé, dixit Théodore Monod.

 

On perd le sens du vivre quand La pensée s’emballe Le mental tournant à vide voudrait rentabiliser le moindre geste hiérarchiser chaque action Ainsi vient l’impression de « perdre son temps » alors qu’on perd seulement le sens du vivre


Cela dit, Biga n’a pas des rêves communautaires, c’est un individu pleinement affirmé, volontaire et il a parfaitement conscience que liberté égale indépendance et responsabilité.

 

Je ne serai jamais plus libre – je veux dire jamais plus indépendant je veux dire jamais plus responsable de moi je veux dire jamais plus individu je veux dire jamais plus seul qu’en ce moment


On se régale à la lecture de cet Amour d’Amirat et on se laisse entraîner par moments dans une sorte d’enfance intérieure, que seul le contact avec la nature sait aussi bien nous faire retrouver. Richesse du non-faire, plaisir de la contemplation.

 

Plusieurs fois par jour je découvre un insecte inconnu chaque fois c’est comme s’il était créé pour moi seul


On y goûte la solitude de l’auteur parfois si douce, si pleine et parfois angoissante, rongeuse.

 

Hier

je cherchais quelqu’un pour pleurer dans ses bras

et d’autres matins

je sors dans le monde et le monde m’appartient


Il y tant de vie tout autour d’Amirat, végétale, animale, et humaine parfois, d’autant plus généreuse qu’elle est rare. Le contact avec l’autre devient précieux, se goûte comme un nectar, un vin délectable, surtout si cet autre est du sexe féminin à peau douce et chaude. Car, que ce soit en solitude ou pas, ce qui revient sans cesse sous la plume de Daniel Biga, c’est le mot amour, mais pas n’importe quel amour, non, l’Amour avec un grand A, l’essence même du vivre, la Source de tout.

 

L’amour avec la peur l’amour stérile l’amour sans amitié l’amour injuste par manque insuffisance que ce soit dans un lit un nid dans les buissons l’amour s’il n’est pas expansion universelle dans chaque fibre de matière chaque rayon de conscience l’amour sans amour est inutile


Quand on passe aux parties suivantes, Né nu (1974-1983), et plus anciennes comme les Oiseaux mohicans (1966) et Kilroy was here (1972), nous sommes déjà familiarisés avec l’auteur. Le mot est exact, nous avons appris à mieux le connaître sur les hauteurs d’Amirat, alors on le suit plutôt avec plaisir dans ses pérégrinations mentales, ses élans poétiques, sensuels aussi bien que métaphysiques, dans un fourre-tout jovial où on croisera encore Castaneda aussi bien que des hexagrammes du Yi King.

 

Le pouvoir est du jour

mais la puissance est de nuit


Des films, de la musique, des livres, des rencontres, des souvenirs, des voyages, un concentré de vie distillé à la plume un peu froutraque de poète et toujours cet art de vivre, cette quête de simplicité qui tranche avec l’air confiné des années 80 où le consumérisme allait devenir roi, un roi toujours pas détrôné d’ailleurs, et mis à l’honneur, l’acuité des sens, la pas trop sainte trinité corps-cœur-âme dans une spiritualité ancrée à la terre, reliée aux plus anciens élans mystiques de l’humanité, en ces temps ou ces lieux où le prêtre s’appelait chaman.

 

Ce matin le simple fait de

Respirer l’air du monde

Est une éclatante aventure


C’est de cette respiration que naît la poésie de Daniel Biga, tout aussi naturelle, sans fioritures, sans ronds de jambes. La poésie du vivre, un point, c’est déjà beaucoup.

 

Tu es libre

Tu es vivant

avec ta souffrance et ta joie

tu es un immense regard


Une poésie qui questionne autant qu’elle se passe parfois du questionnement pour entrer directement dans le vif de l’expérience, mais une quête est là, toujours en filigrane. Celle du sens d’être au monde et on pense aussi aux portes de la perception qu’ont tenté d’ouvrir, voire de forcer parfois, toute une génération avide d’expériences à la fois fortes et transcendantes.

 

Si toute porte se ferme c’est qu’elle peut aussi s’ouvrir

Il faudra que j’aille jusqu’au bout

de celui que je ne suis pas

pour trouver celui que je suis vraiment

et seule la peur de perdre celui que

je ne suis pas

me freine et m’arrête

« cependant tu ne peux forcer le mûrissement d’un fruit sans en altérer la qualité : patience »


Cheminant vers la sagesse d’une part, on sent chez Biga également un amour constamment renouvelé pour la jeunesse, un amour qui frôle parfois la nostalgie. L’auteur est comme avide d’un éternel printemps, ce qui ne l’empêche pas de porter un regard lucide sur le monde, mais c’est cela sans doute qui lui a donné l’énergie nécessaire pour rompre avec certaines convenances, quand confort marche avec conformisme. Pas de résignation chez Biga, mais l’acte poétique comme acte de perpétuelle régénération, sans hésiter à user de provocation. C’est cela sans aucun doute qui lui a permis de connaître et de partager l’Amour d’Amirat, et qui fait de Daniel Biga, assurément, un poète, peintre également, que ne renierait pas la Beat Generation.

 

Cathy Garcia

 

 

Daniel_Biga_c_M__Durigneux.jpgDaniel Biga est né à Nice en mars 1940 où il est revenu vivre aujourd’hui. Après une enfance Varoise (Fayence puis Ste Maxime) il vit l’exil citadin et le « lycée buissonnier » (ou plutôt portuaire) dans sa ville d’origine où il découvre la poésie et l’art. Il poursuit ses études à l’École Municipale de dessin (Villa Thiole) à Nice puis accomplit son service militaire (en Algérie en guerre). À son retour à Nice, il pratique des dizaines de petits métiers et passe une licence de lettres. Il peint et expose dans « les marges » de l’École de Nice et publie en 1966 son premier recueil, Oiseaux Mohicans, qui, réédité à la Librairie St Germain des Prés en 1969, sera salué par la critique comme un événement poétique. Il enseignera ensuite à l’École Régionale des Beaux Arts de Nantes, puis sera président de la Maison de la poésie de Nantes. Il a publié plus d’une trentaine d’ouvrages.

Bibliographie :

Oiseaux Mohicans, autoédition en 1966, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1969

Kilroy was here ! éd. Saint-Germain-des-Prés, 1972

Octobre, éd. Pierre-Jean Oswald, Paris, 1973

Esquisses pour un schéma du rivage de l’Amour Total, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1975

Moins ivre, éd. revue Aléatoire, Nice, 1983

Pas un jour sans une ligne, Fonds École de Nice, 1983

Histoire de l’Air, éd. Papyrus, Paris, 1983

L’Amour d’Amirat, éd. Le Cherche-Midi, Paris, 1984

Né nu, éd. Le Cherche-Midi, 1984

Bigarrures, éd. Telo Martius, Toulon, 1986

Oc, Les Cahiers de Garlaban, Hyères, 1989

Stations du Chemin, éd. Le Dé Bleu, La Roche-sur-Yon, 1990

C’est l’été !, éd. Cadex, Montpellier, 1990

Sur la page chaque jour, entretiens avec Jean-Luc Pouliquen, Z’éditions, Nice, 1990

Eclairs entrevus, éd. Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 1992

Le bec de la plume, éd. Cadex, 1994

Carnet des refuges, éd. L’Amourier, Coaraze, 1997

Mammifères, livre d’artiste avec Gérard Serée, éd. L’Amourier, 1997

Sept Anges, éd. L’Arbre, Aizy-Jouy, 1997

La chasse au Haïku, éd. du Chat qui tousse, Cordemais, 1998

Détache-toi de ton cadavre, éd. Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 1998

Éloges des joies ordinaires, éditions Wigwam, Rennes, 1999

Le Chant des Batailles, 1ère éd. L’Amourier, 1999, 2ème éd. L’Amourier 2007

Dits d’elle, éd. Cadex, 2000

Arrêt facultatif, Gros textes, 2001

Cahier de textes, La belle école, Nantes, 2001

L’Afrique est en nous, éd. L’Amourier, 2002

Capitaine des myrtilles, éd. Le Dé Bleu, 2003

Le poète ne cotise pas à la sécurité sociale, éd. Le castor astral, 2003

Dialogues, discours & Cie, éd. Tarabuste, 2005

Poévie, éd. Gros Textes, 2005

L’apologie de l’animal, éd. Collodion, 2005

Le sauvage des quatre-chemins, éd. Le castor astral, 2007

Impasse du progrès, éd. Traumfabrik, 2008

Méli-Mémo, éd. Gros Textes, 2011

 

  

Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/

09/10/2013

Requiem de Marie-Josée Desvignes

avec 12 encres de l’auteur et des photos d’Hélène Desvignes

 

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Cardère éditions septembre 2013
 
108 pages, 14 €

 

Requiem comme son nom l’indique est une pièce maîtresse et bouleversante. Il s’agit bien comme son titre l’indique d’un hommage à un défunt, une cérémonie du souvenir, mais aussi une pièce d’un puzzle jusque-là resté inachevé, qui vient donc combler un manque, refermer autant que possible une plaie béante, car le défunt, ici, n’a jamais eu d’existence, il n’a jamais été reconnu parmi les vivants et donc impossible de le compter parmi les morts.

Pas de pleurs, sauf les miens, en silence, toujours – loin des autres, quelque chose de honteux – faut cacher.

Il faut cacher et il faut oublier, lui a-t-on dit, et le silence est tombé comme une chape sur la mère. Cette mère qui ne l’a pas vu elle, seul le père l’a vu, l’enfant. Cet enfant non viable, lourdement handicapé, mort peu de temps après avoir été tiré du ventre, deux mois avant terme. Cet enfant qu’il fallait oublier, ne pas nommer, juste un blanc dans la lignée familiale.

Je peux le voir ?… veux le voir…

« … vaut mieux pas, c’est mieux pour toi… »

Pas même enterré. Impossible oubli, impossible deuil de celui qui pourtant avait un nom : Julien.

L’enfant subtilisé – en-volé – enfermé dans la salle des blouses blanches – curiosité monstrueuse, jouet pour la science, je l’ai nommé.

Requiem pour réparer, la mère et l’enfant qui a été, quoiqu’on en dise, qui a été, qui a connu sa mère, dans son ventre, sa mère qui l’a connu, senti, dans son ventre à elle, avec toute cette douleur en partage, elle et lui, lui et elle.

« Il n’y a rien eu – ne s’est rien passé – Vous oublierez – vous êtes jeune – vous en ferez d’autres – c’est mieux ainsi de toute façon – un enfant handicapé ».

Requiem pour dire enfin, pour parler, pour raconter. Requiem pour nommer, tout : l’enfant, la souffrance, la peur, le chagrin, la colère, la vie, la mort. Requiem pour recoudre le ventre-tombe et le lien, entre la mère et l’enfant, la mère et le père, la mère et le monde. Car une femme qui donne la mort en donnant la vie a elle aussi un pied dans la tombe, et elle vit ainsi, à cheval, ici pour les vivants, mais là-bas pour le défunt, elle vit et ravale, étouffée par le silence imposé, comme pour mieux… Mieux pour qui ? Mieux pour quoi ?

À défaut de l’enfouir dans la terre, c’est en moi que je l’ai enfoui, longtemps…

Pas de place pour un enfant qui n’a pas existé aux yeux de la société, une société qui se veut parfaitement organisée, qui ne reconnaît que les enfants officiellement nés, vivants, normaux. Il faut continuer à vivre et un enfant est déjà là, l’aîné, bien vivant. Mais l’aîné de qui ?

Le temps passe vite – occupé à faire grandir des enfants – raison contre folie du monde. Personne jamais ne viendra écouter sa douleur, personne – pas même l’homme qui vit près d’elle. Et lui – où sa peine ?

Requiem qui monte, prière et lumière pour éclairer tout ce noir, tout ce temps dans le noir, parler à cet enfant, qui lui aussi, et peut-être plus encore, a besoin d’amour.

Agrippée aux marches du temps,

je prends dans mes bras cet enfant de la nuit

et sa douceur tremblante

et mon cœur s’ouvre immense

sur un Amour infini

m’unit à la consolation ultime

Et on vibre profondément à l’unisson avec ce chant, cette voix de femme, de cœur de mère, qui vient dénouer un silence impossible, un silence toxique. La poésie ici prend toute sa signification, elle enrobe peu à peu la mémoire-douleur, pas pour l’oublier, bien au contraire, mais pour la reconnaître, l’accueillir et la transcender. Poésie guérisseuse qui vient faire le travail que la société des Hommes n’a pas fait, n’a pas permis, alors qu’elle aurait dû.

L’enfant porté sept mois, qui l’a connu ? – ceux qui l’ont vu ?… ses yeux fermés ont fermé ceux du monde, elle ne l’a pas vu, elle, seule l’a connu.

Requiem est une œuvre saisissante, poignante, dont on ne sort pas indemne et aussi une parole véritablement essentielle pour toutes celles et ceux qui, hélas, ont traversé ou auront à traverser cette épreuve.

 

Cathy Garcia

 

 

 

L53mariejosee.jpgMarie-Josée Desvignes, née d’un père sarde et d’une mère sicilienne, dans un quartier très cosmopolite du sud de la France. « Peu faite pour les lettres » au dire de ses professeurs, elle déserte la littérature pendant dix ans, durant lesquels elle porte ses cinq enfants comme aujourd’hui ses livres, avec amour et passion. Poète et formatrice en écriture, Marie-Josée Desvignes est également professeur de Lettres. Elle est l’auteur d’un essai sur les ateliers d’écriture, et nombre de ses poèmes sont parus en revues (Décharge, Arpa, Poésie première, Gros textes, Encres vagabondes, Encres vives, Friches, Filigranes, L’Échappée belle, Lieux d’être, Landes, Pan poétique des muses…). Requiem est son premier recueil publié.

 

Note parue sur La Cause Littéraire : http://www.lacauselitteraire.fr/requiem-marie-josee-desvi...

08/08/2013

Passant l’été de Jean-Baptiste Pedini

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Cheyne éditeur, 2012.

Prix de la vocation de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet.

64 pages, 16 €.

 

 

Passant l’été peut faire penser à ces tableaux de front de mer, un peu rétros, avec cette lumière mélancolique d’un été qui semble toujours sur le point de finir. Des tableaux qui, à trop les regarder, finissent par nous rendre tristes sans qu’on sache pourquoi.

 

Il y a dans ce recueil la nostalgie du souvenir et en même temps son refus.

 

On ne raconte rien de l’enfance. (…) De ces jours qui nous doublent sur la ligne d’arrivée. (…) On ne raconte rien de cette nostalgie absurde. De ces pelures en vrac qui s’entassent n’importe où. Un peu plus loin, selon le sens du vent.

 

Il y a une sorte d’amertume vaguement nauséeuse et des points colorés qui jaillissent ci et là, mais toujours comme l’ombre d’un drame qui plane imperceptiblement. « Ce soir les rires roulent sur la plage. On les entend tomber des gorges avant de s’évanouir ». Même la chaleur estivale peut prendre des allures menaçantes. « Le soleil brille. Les rayons traversent la ville comme des rouleaux compresseurs. Ils sont lourds et opaques et quand ils happent les passants on ne voit plus rien après. » On sent comme un effort, une sorte de répétition, la mer ne coule pas de source, quelque chose quelque part a cassé, on ne sait trop quoi, mais toujours est-il que ce n’est pas un recueil joyeux, ni même malheureux d’ailleurs. C’est un étrange mélange de douceur aux couleurs un peu fanées et de violence toute contenue.

 

Mais il y a aussi une sorte de détachement, de regard pensant qui se regarde passer l’été, un regard affiné, dont l’acuité peut devenir douloureuse, « pour voir si les ressacs peinent eux aussi à se calmer ». Un regard qui peut se faire critique sur ces autres vacanciers par exemple, qui sont là, sur la plage « sans lever les yeux de leur viande. Sans écouter, siffler ou renifler. Sentir l’odeur iodée du vent. Sans être. » Et ces lieux, dont finalement le statut de vacancier nous empêche peut-être de profiter réellement. « C’est quand il commence à pleuvoir que la plage reprend des couleurs. On découvre que les corps en pillaient la matière. Ils n’en laissaient qu’un contour fait de boutiques de souvenirs et de résidence lasses. D’odeur de frites et de crèmes bon marché. »

 

Le lecteur qui plonge dans ce recueil en ramènera cependant un bon nombre de perles, qui ne perdront pas leur brillance, même exposées à l’air libre. Ainsi on y surprend le soleil qui « gratte à la fenêtre » et des « fantômes au cul nu » avec des « pelles en plastique ».

 

« On pousse la bienséance dans les orties. On crache dans la main tendue du matin. Et sur les oiseaux qui sifflotent. »

 

Jean-Baptiste Pedini distille une poésie toujours plus subtile, à partir de presque rien, en esthète doté d’une véritable profondeur, mais aussi d’un recul qui n’exclut pas l’humour, comme ces sages poètes chinois ou japonais qui ont gardé la fraîcheur malicieuse de l’enfance. On baigne dans ce qu’on peut appeler un véritable art poétique. Un « Prix de la vocation » bien mérité.

 

Ainsi l’écriture sincère opère aussi au fil de son déroulement, son rôle de guérisseuse  « Il y a cette main qui promène un rouleau sur le ciel. Qui repeint pour de bon. Qui efface les restes. Qui prolonge l’été au dessus de nos têtes. » Et donc passant l’été, arrive le moment où « Au fond de l’arrosoir l’eau a des reflets des rivières. L’automne arrive à grands pas. »

 

Et on sent et ressent que c’est presque un soulagement.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

JB Pedini.pngJean-Baptiste Pedini, né à Rodez en 1984. Vit et travaille en région toulousaine. Publication dans de nombreuses revues dont Décharge, Voix d’Encre, Arpa,… Des parutions également chez Encre Vives, Clapàs et -36° édition. Un second recueil publié en 2012, prendre part à la nuit, dans la collection Polder coédité par Gros Textes et Décharge.

 

 

28/01/2013

Les poètes et l’univers de Jean-Pierre Luminet

 

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Cherche-Midi, octobre 2012

 

430 pages 19,50 €

 

 

 

 

Cependant la nuit marche, et sur l’abîme immense

Tous ces mondes flottants gravitent en silence,

Et nous-mêmes, avec eux emportés dans leurs cours

Vers un port inconnu nous avançons toujours !

 

Alphonse de Lamartine in Les étoiles

 

 

Voilà donc un ambitieux, projet qui a donné naissance à une conséquente anthologie, dont voici la troisième édition (la première date de 1996). C’est Jean Orizet, qui à l’origine avait demandé à Jean-Pierre Luminet, astrophysicien réputé mais aussi poète et lecteur de poésie, s’il voulait bien réunir un choix de poèmes inspirés par l’astronomie afin d’en faire une anthologie. Jean-Pierre Luminet explique dans sa préface de 1996, ses hésitations premières et puis finalement, comment et pourquoi il s’était lancé dans cette recherche cosmo-poétique.

Cette anthologie est divisée en plusieurs chapitres, chacun précédé d’une présentation des poètes choisis, mais aussi du contexte scientifique. Pour chaque chapitre, un poème par auteur, le texte est parfois tronqué quand il est trop long, et le tout classé dans l’ordre chronologique, du plus ancien au plus récent, ce qui permet de saisir l’évolution de la vision poétique en corrélation avec celle des découvertes en astronomie.

Le premier chapitre, intitulé Nocturne, se consacre à la nuit, de Sapho à Jacques Réda, et au regard porté par les poètes sur ce vaste et noir abime  qui s’ouvre sur l’espace infini.

Le deuxième, « Firmament » aborde plus particulièrement les étoiles, commençant par « Phénomènes » d’Aratus jusqu’au Varech primordial de Michel Cassé (un inédit).

Troisième chapitre, entrée du Roi-Soleil, inauguré par L’Hymne au Soleil d’Akhenaton et finissant sur un extrait de Soyez polis de Prévert, Le Soleil est amoureux.

Les comètes et autres météorites sont les reines « Vagabondes du ciel » du quatrième chapitre, honorées par Isaac Haben et Roger Caillois, en passant par William Blake et Walt Whitman entre autre.

Le cinquième tourne autour de « L’harmonie du monde », « De la Nature » d’Héraclite à L’équation du feu de Jean-Marc Debenedetti, s’y mêleront Sénèque, Dante, Milton, Voltaire ou encore Charles Dobzynski et bien d’autres.

L’Appel de l’infini retentit au sixième chapitre, y répondront, Lucrèce aussi bien que Philippe Soupault, en compagnie de Byron, Lamartine, Mallarmé, Supervielle et d’autres encore.

Le septième chapitre est le royaume de la Reine de la Nuit, la lune bien entendu, incontournable compagne, chère aux poètes et aux amoureux. Orphée lui chantera louange et même Claude Roy dans sa Lune démodée.

C’est le huitième chapitre, et non pas le septième, qui assiste à La Naissance des mondes, avec Hésiode, Agrippa d’Aubigné, Laforgue, Couquiaud, Pierre Emmanuel et d’autres sages-poètes.

Des Apocalypses célestes secouent le neuvième chapitre, initiées par des Oracles prophétiques : « La fin du monde », tirés d’une anthologie de poésie grecque parue chez Stock en 1950, jusqu’à la Sphère non radieuse d’André Verdet.

Dans le dixième chapitre, il est temps de partir pour des Voyages cosmiques avec Dante et Michaux et d’autres poètes cosmo-voyageurs.

Le onzième est parcouru de Somnambules à commencer par Platon, finissant par René Char, qui croiseront sans les voir, Jacques Peletier du Mans, André Chenier, Goethe et d’autres encore tel Népomucène Lemercier.

Et enfin dans le douzième et dernier chapitre, il est question du Sentiment cosmique, porté par Omar Khayyam et Djalâl-od-Din Rûmi, aussi bien que Saint-John Perse, Tardieu, Bonnefoy, Rousselot et Orizet et beaucoup d’autres encore.

Chacun des quelques 160 poètes qui figurent dans cette anthologie, dont et non des moindres, Artaud, Baudelaire, Giordano, Cendrars, Guillevic, Jarry, Maïakovski, Novalis, Rilke, Yeats et tant d’autres, bénéficie de quelques lignes de présentation en fin d’ouvrage. Bien-sûr, il y a comme dans toute anthologie des absents, mais on trouvera tout de même ici un choix très riche, quasiment pour tous les goûts.

Comme toute anthologie également, il va de soi que cet ouvrage, comme l’écrit Jean-Pierre Luminet lui-même, s’accommode mal d’une lecture continue et que ce livre doit être dégusté à petite doses.

C’est dans tous les cas un formidable outil de travail pour les enseignants par exemple ou toute personne ayant besoin de chercher des textes poétiques en lien avec l’astronomie, et d’une façon plus vaste encore, en lien avec l’univers dans toutes ses dimensions, physiques et métaphysiques. Un ouvrage à mettre donc dans toutes les bibliothèques.

 

Cathy Garcia

 

 

 

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 Né en 1951, Jean-Pierre Luminet est directeur de recherches au CNRS, astrophysicien à l'observatoire de Paris-Meudon et spécialiste de réputation mondiale pour ses travaux sur la cosmologie et la gravitation relativiste. Ses résultats scientifiques les plus importants concernent les trous noirs et la cosmologie, notamment ses fameux modèles "d'univers chiffonnés" dans lesquels la forme complexe de l'espace engendre des images fantômes. La communauté astronomique a rendu hommage à son œuvre scientifique en donnant le nom de "Luminet" à la petite planète n°5523, découverte en 1991 au mont Palomar. Membre de l'American Association for the Advancement of Science, de l'Académie des sciences de New York, de l'Académie nationale de l'air et de l'espace, chevalier des Arts et des lettres, il a été lauréat du prix international Georges Lemaître 1999 pour son travail de recherche. Parallèlement à ses travaux de science pure, J.-P. Luminet s'est toujours attaché aux rapprochements entre les diverses formes de l'invention humaine. Il a publié une vingtaine de livres, plus de trois cents articles pour des revues spécialisées, périodiques, dictionnaires et encyclopédies. Il est coauteur de plusieurs films et documentaires pour la télévision. J.-P. Luminet a également une importante activité dans les domaines artistique et littéraire. Écrivain et poète, il a publié deux romans salués par la critique et traduits en plusieurs langues, et plusieurs recueils de poésie. Il s'intéresse aux relations entre science et art et a collaboré avec divers artistes pour la conception d'œuvres inspirées par les découvertes scientifiques.

 

27/12/2012

L’éponge des mots – Saïd Mohamed

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Les Carnets du Dessert de Lune – 2012.

128 pages, 12€.

 

 

 

L’éponge des mots est un livre sans commencement, ni fin, dans lequel on entre, puis on s’assoit et on écoute. On écoute un compagnon qui nous passerait la bouteille, on boirait à même le goulot, sans faire de manières, avant de la repasser à un autre, qui serait là aussi, quelque part au bord du monde, parce que toutes les routes ont déjà été arpentées, tout a été dit, et pourtant nul n’a encore trouvé le remède au mal de vivre.

 

L’éponge des mots éponge le trop plein.

 

Pas de gloire à se combler d’alcool

Pour s‘inventer des cataplasmes.

 

Boire encore et tordre le cou aux sortilèges.

 

Capitaine au long cours veillant sur l’histoire du hasard.

 

Taillader son chemin dans l’aventure des rues lisses.

 

 

Tel un Ulysse qui ne retrouvera jamais son port. Les mots eux-mêmes deviennent éponge pour absorber le trop plein d’amertume, de vanités, de désillusions, de chagrins rouillés. Un trop plein qui n’a d’équivalent que la béance du manque d’amour.

 

Revenir sur ton ventre noyer ma détresse à l’hôtel des carnages

en soudoyant le gardien de nuit

après une errance de bar en bar

pour resquiller la lumière

 

Lorsqu’on va chercher très loin ce que l’on ne trouvera jamais, le voyage devient errance, parce que depuis longtemps nous sommes perdus à nous-mêmes.

 

Dans cette nuit espagnole, tu pointes un doigt vers le ciel

et désignes l’aube avec sa rivière

roulant des perles noires.

 

(…)

Je jure de ne plus savoir retourner chez moi.

 

Car vivre c’est Être au monde avec ses pertes de lumière, des voiles trouées et ces haubans qui sifflent au moindre vent.

 

Dans L’éponge des mots, Saïd Mohamed nous livre son désenchantement, et à chaque page pourtant, on trébuche sur des pépites. Si les larmes sèchent vite aux vents des quatre coins du monde, les mots eux, n’ont pas fini de couler.

 

nous ne sommes pas devenus fou subitement,

cela a demandé du temps.

 

D’abord, on a vu l’étrange plaie

qu’est la joie dans les yeux des autres.

 

(…)

 

Pris dans la tourmente des loups dépouillés

qui guettent l’étrange et le dérisoire.

 

Partout avec ces mots de pauvre, aller

dans la perception des miroirs

en traversant sur les passages cloutés.

 

 

Les mots vomissent leur impuissance à changer le monde.

 

Il n’est de sommeil plus puissant

Que notre intelligence à ne pas vivre

 

(…)

L’idiot va à ses ratages comme à une science exacte,

Seule raison valable pour achever cette bouteille.

 

Quelle autre sagesse peut évoquer un tel carnage ?

 

 

Le voyageur va chercher ailleurs quelque chose qui lui ferait croire qu’il vit plus intensément.

 

La dentelle des jours nous pousse à faire escale

dans les ports aux romances inachevées,

à chercher dans la multitude des petits riens

ces choses de peu qui manquent le plus.

 

 

Plus c’est loin et plus on espère trouver cet autre chose qui nous ferait nous-mêmes autre.

 

J’ai connu les ventres outragés et le rire des singes,

L’ombre du feu avec dans la bouche

Les cendres des morts comme seule preuve de vie

Et combien de corbeaux, de singes, de najas,

D’étranges banyans et d’immenses

Oiseaux de nuit.

 

Mais il y a quelque chose de définitivement voué à l’échec dans cette quête, des courants contraires aux chercheurs d’intensité, des trésors éphémères qui fondent comme goutte d’eau au soleil.

 

Des éclats de possibles,

des bribes de rien dans le silence résorbé des villes

et des hommes de papier mâché

au bar des illusionnistes.

 

(…)

Partout être à contretemps,

à contre-emploi, à contresens du flux

dans le décalage permanent,

fuir quand tout converge.

 

Grande est la désillusion, quand on découvre les coulisses de ce qui n’apparait au final, comme rien d‘autre qu’un grand cirque pathétique.

 

Qu’auront nous dit vraiment ?

 

Le silence est préférable à ces babils,

ces faux-savoirs,

ces mensonges appris comme une leçon.

 

Ces bribes de rien, de tout, d’abject aussi, récitées par cœur

quand le plus grand dénominateur commun ouvre sa gueule

dans l’immonde barnum du tube cathodique,

ce rectum de la pensée qui souille

tout ce qu’il touche.

 

Saïd Mohamed sait ce qui pousse à Parcourir le monde comme le sang bat les veines à la recherche de l’instant qui rend caduc tous les autres. (…) et la promesse toujours la promesse d’autres choses encore.

 

Le voyage, la fuite, la solitude et l’oubli impossible.

 

Accolé aux murs des villes, ton visage, ton sourire obsédant, ton ventre au mien accroché, où dedans le vent s’engouffre, dans le salpêtre, la crasse, l’odeur des poubelles, je t’ai cherchée.

Dans le repli de l’indifférence j’ai appris à regarder avec cette habitude à qui rien n’échappe, en tous lieux j’erre seul, heurté à la raison qui maintient les êtres dans leur camisole. Partout où tu as posé les pieds, je retourne la terre. J’hésite à te nommer, pour laisser en friches ces souvenirs qui me reviennent, m’accablent et me jettent dans les bras d’hier.

 

Saïd Mohamed sait qu’il est difficile de vivre en ignorant son ombre, elle se tord et crie si on marche dessus.

 

Tout au long de son livre on sent peser cette ombre qu’aucune destination, si lointaine fut-elle, aucun alcool, ne sauraient dissiper.

 

Tous ces arbres morts qui s’évertuent à lancer au ciel des branches pour s’y pendre…

 

Et pourtant, nous confie t-il, ma raison demeure dans l’agitation du monde, de ces villes juchées les unes sur les autres, où dans l’ennui les hommes se laminent, se chevauchent.

 

Dans la troisième partie du livre, il nous ramène à un « Ici et maintenant ». Une sagesse que connaissent tous ceux qui savent qu’il est vain de tenter d’être ailleurs, que dans ce laps de temps présent. Et si les souvenirs sont toujours là, en filigrane, il est temps de tirer un trait et Saïd Mohamed est sans doute un de ces êtres brûlés au feu de la passion comme de la lucidité, cette lucidité féroce qui pousse à n’importe quel extrême pour lui échapper, en vain.

 

Nous n’avons pas grandi malgré le poids sur nos épaules.

Prisonnier de l’enfance, on croit être devenu un autre

en refusant l’idée que seul le corps change.

 

L’éponge des mots est comme un fleuve qui s’écoule, qui déborde parfois, puis se calme à nouveau, qui remonte le temps aussi bien qu’il file vers une hypothétique embouchure.

 

On relit ce qu’on a écrit sans le reconnaître.

Ivresse de la prière païenne qui se nourrit d’elle-même

À laquelle aucun parler n’est comparable.

Ce mystère ne nous appartient pas.

En bouche vient le fleuve,

Message jamais interrompu ni commencé.

 

Il y a l’ombre, mais aussi un flot de lumière, au sein même de ce qui peut sembler comme un constat désespéré.

 

Dire l’instant émerveillé devient insolence

Aux hommes obscurcis par trop de misère.

 

L’auteur sait qu’avec les mots on peut tout inventer et il a gardé Des affamés (…) les vertus de l’illumination, les tenailles du silence et la tyrannie de l’aube.

 

En d’autres termes, le chant et la soif du poète, mais il s’interroge sans cesse, il nous interroge.

 

Comment apprécier l’insolence des moineaux et convaincre l’ombre du bien-fondé de la lumière

Survivre aux ratages de l’existence et à cette nostalgie qui éreinte.

 

Il faut avoir touché le fond pour en connaître la texture réelle et savoir si bien en rendre compte.

 

Le mal de vivre n’a pas de nom, inquiétude rebelle, cœur sans raison.

 

Le voyageur a vu la face périmée du rêve et le poète l’a bue jusqu’à la lie.

 

L‘insulte nous a cueillis au cœur de la joie. Déplumé l’oiseau aux sept couleurs. Sidaïque l’oncle Jo des Amériques. La petite Jeanne s’injecte de l’héroïne.

Comme des orphelins, efflanqués nous ne croyons plus en rien. Nous avons vu tant de désastres, de boue ruisseler des montagnes, de louves pleines les flancs ronds, de vagabonds pointer sur la carte du ciel une étoile rouge.

 

Et comme ces marins condamnés à errer d’île en île, lui comme nous sommes étrangement ballotés entre l’histoire d’un monde aux urgences de grisaille et l’impatience de vivre.

 

Saïd Mohamed n’a certainement pas fini d’essorer, encore et encore, L’éponge des mots, et c’est tant mieux !

 

 

Cathy Garcia

 

 

said_mohamed par bénédicte Mercier.jpg©photo de Bénédicte Mercier

 

Saïd Mohamed, né en 1957, en Basse-Normandie, d’un père berbère, terrassier et alcoolique et d’une mère tourangelle lavandière et asociale, il a passé son enfance et son adolescence à la DASS. Nomade dans l’âme, il a été tour à tour, ouvrier imprimeur, voyageur, éditeur, chômeur, enseignant. Chef de fabrication dans le secteur éditorial, il a enseigné au BTS édition à Toulouse et poursuit désormais son enseignement à Paris, dans le cadre de la prestigieuse École Estienne.

 

Romans
Un enfant de cœur, Éditions EDDIF, Casablanca, 1997.
La Honte sur nous, Éditions Paris Méditerranée, 2000. Éditions EDDIF, Casablanca, 2000 (réédition 2011, Ed. Non–lieu).
Le Soleil des fous, Éditions Paris Méditerranée, 2001.
Putain d’étoile, Éditions Paris Méditerranée, 2003.

Poésie
Terre d’Afrique, S’éditions, 1986.
Mots d’absence, Le Dé Bleu, 1987.
Délits de faciès, Le Dé Bleu, 1989.
Femme d’eau, Polder, 1990.
Le Vin des crapauds, Polder, 1995.
Jours de pluie à New York, de cendres à Paris et de neige à Istanbul, Encres Vives, 1995. Réédition 2001.
Lettres mortes, Poésimage, 1995.
Chaos, Éditions Ecbolade, 1997.
Point de fuite, Propos de Campagne, 1998.
Instants fragiles, Le Maghreb Littéraire, Toronto, 1999.

Liesse à Marrakech, Encres vivres, 2001.

16/07/2012

Promesse achevée à bras nus, Éric Barbier

 

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Editions Rafael de Surtis, Collection Pour une Terre interdite, 2011,

56 p. (tirage limité et numéroté), 15 €

 

 

 

Écrire, effraction dans la voix de l’autre »

 

La poésie d’Eric Barbier puise à une source limpide comme celles des montagnes qu’il affectionne. Dans ce recueil, il se livre à un questionnement qui n’attend pas de réponse. Le poète semble même s’être délivré du besoin de réponse, pour être simplement le témoin d’une nature où se concentre l’essentiel de l’Homme.

 

« De quoi témoigner ?

l’esprit se déposant en limon

sur la croyance de l’automne

croit ensemencer ce qui n’attend rien »

Eric Barbier sait à merveille capter les langages de cette nature, pour entrer peut-être encore plus profondément en communion avec elle, et s’en faire l’écho. Une poésie d’altitude, à la fois terrienne et transcendante, qui vise le détachement sans l’indifférence.

 

« Il restera paisible dans son ordre

Chaque nuit retrouvera de quoi occuper le ciel »

 

Le poète s’abandonne à la nature pour guérir aussi ses douleurs d’homme, les saisons de l’une font les saisons de l’autre, la nature se fait miroir pudique des émotions.

 

« Il faudra adoucir l’œil pris dans l’hiver

Pour enfanter à nouveau

Les usages du temps »

 

Mais, il n’est en vérité d’autre temps que celui de l’instant présent, « l’aujourd’hui, seul aujourd’hui », et le questionnement du poète est plus une façon de se livrer à la contemplation, qu’un interrogatoire angoissé.

 

« Ici

s’attarde un présent anachronique

(…)

demain s’y devine dans les soupçons

des valérianes détrempées d’aurore »

 

et

« entre les pages pliées

du matin qui s’avance

viennent des semences d’or libre »

 

L’or du temps peut-être, cher à Breton, mais ici, point de surréalisme, la réalité est suffisamment riche pour que l’on ne ressente nul besoin de s’en évader. La poésie naît de caresses inattendues entre les mots et ce que l’œil perçoit. La contemplation ouvre une porte sur l’éternité.

 

« La reprise lumineuse d’un œillet

vient m’absenter de ce temps

langueur longée de houx

la paix construit son regard »

 

Il y a, oui, comme une grande paix dans ce recueil, qu’on a envie de lire et relire afin de mieux s’en imprégner. Une paix cependant non exempte d’ombres, comme la montagne, l’homme a son ubac, ou son ombrée comme on dit dans les Pyrénées. Cela dit, chez Éric Barbier, même l’inquiétude est calme.

Toujours cette quête d’équilibre, grâce au recul, celui que permet justement l’ascension d’une montagne.

 

« retrouver une distance

se tenir sur le fil

encore lâche du jour

 

s’y dresser encore à nu

dans l’équilibre empierré de la mémoire »

 

Ainsi, dans la plus grande simplicité, toute la magnificence du monde s’offre au regard du poète, en « vol fou des hirondelles dans le ciel de cuivre bleu ».

 

On note au détour d’un mot, d’une phrase, un vide, une absence. L’auteur s’adresse aussi à « celle qui n’est pas là ».

 

« Le manque se croit-il désir ? »

 

Mais ce manque, aussi cruel soit-il, se répand en amour diffus pour tout ce qui l’entoure. La solitude s’illumine au contact d’une nature prodigue, elle en devient presque jouissance, plénitude en tout cas.

 

« J’erre dans la démesurée douceur

du songe »

 

Et c’est la nature encore, qui enseigne le nécessaire détachement.

 

« le souvenir d’une robe s’accroche à l’indifférence

d’un alisier »

 

Le défilé des saisons est une médecine de l’âme, « des fruits viennent l’oubli cueille les siens ».

 

Sans aucun doute, Éric Barbier est un poète des hauteurs, qui chemine, humble et discret, sur des chemins de sagesse, et en le lisant, on ne peut s’empêcher de penser parfois à ces poètes errant comme, par exemple, Bashô.

 

Cathy Garcia

 

Eric Barbier.jpgÉric Barbier est un poète de Tarbes, ville dans laquelle il est aussi bibliothécaire. Pierre Colin, autre écrivain et poète tarbais, le présente ainsi : « Pourquoi écrire ? » se demande Eric Barbier. Et il répond « Pour inscrire ce témoignage de quelques heures éparses… pour résister à tout et d’abord à soi-même ». La poésie d’Eric Barbier est rebelle aux modes de communication actuels. Elle s’inscrit dans l’étrangeté, la mise en déséquilibre du signe. Elle n’est pas dans une modernité de la mélancolie ou de la beauté. Elle invente de l’inconnu pour ouvrir une brèche vers la réalité de demain.

 

 

Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/promesse-achevee-a-bras-n...