14/07/2012
Deux poings, ouvrez les guillemets - Guillaume Siaudeau
Un très percutant Mi(ni)crobe (n°35), signé Guillaume Siaudeau, avec des illustrations de Magali Planès.
James "quand il sort du ventre
ses poings sont déjà fermés
(...)
Son coeur est
un taureau
qu'on jette dans l'arène"
"La première fois que James
voit son père
trancher le cou d'un gallinacé
il n'a que 10 ans
et le corps de l'animal
traversant la cour
lui souffle
"Dans la vie
il ne faut jamais lâcher"
C'est comme à l'école :
"Pensez à apprendre vos leçons
pour demain
pour après-demain
pour le restant de vos jours
et jusqu'à ce que
mort s'ensuive"
Il ya le vieux Sam qui
"chaque jour
montre au poteau
qui est le chef"
Frapper, cogner. parce que "quand les mains n'en peuvent plus d'être seules alors elles deviennent des poings"
Alors "James dompte les rings
apprivoise la victoire
la gloire cette bête
sauvage et volatile
qui court au fond du coeur"
"Ses gants sont deux montgolfières
s'échappant dans l'obscurité"
"Combattre
aimer
combattre
aimer
frapper ou embrasser
à la chaîne"
"tambouille
d'alcool
&
d'amour
Les jours qui passent
ont une odeur de nuit"
et un jour James choisira d'aller "ramper sous les étoiles".
Cathy Garcia
LE BLOG DE GUILLAUME SIAUDEAU : http://lameduseetlerenard.blogspot.fr/
Les MI(ni)CROBES sont de petits débordements de la revue Microbe. Chaque plaquette propose des textes d'un auteur ayant retenu l'attention de Paul Guiot ou d'Éric Dejaeger. Les exemplaires, tirés à un nombre très limité (une centaine), sont réservés à l'auteur, à un service de presse ciblé et aux lecteurs de Microbe ayant souscrit un abonnement « plus ». Aucune réédition n'est prévue.
http://courttoujours.hautetfort.com/archive/2012/06/17/mi...
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10/07/2012
Tryptique du veilleur de Louis Raoul
Note publiée sur : http://www.lacauselitteraire.fr/tryptique-du-veilleur-lou...
Cardère, 2012, 58 pages, 12 €
Parce que la vie nous pousse de l’avant tout en nous dépouillant, vient ce temps où il nous faut prendre de la hauteur, de cette nécessité-là peut-être est né Triptyque du veilleur. Une tour, une barque et une archère. Non pas un, mais une, selon le choix de l’auteur. Une archère, qui est aussi la flèche envolée, et la cible invisible de l’au-delà.
Il y a donc une tour dans la première partie, intitulée L’approche de la hauteur. Une tour de pierre, de chair et de vent.
« Prisonnier et gardien
Tu n’habites pas la tour
Tu es ses assauts et sa défense
Le poème qui la fonde ».
Mais voilà, « Entrer dans la tour n’est pas tout, il faut se faire accepter de la hauteur ».
Et qui dit tour, dit sentinelle, celle qui veille quand tout le monde dort.
« Les tours fécondent la nuit
Les sentinelles oubliées. »
Il est question de solitude dans ce recueil à l’écriture très concise, dépouillée, polie comme les pierres qui doivent s’ajuster parfaitement pour former une tour et on songe au Désert des Tartares de Buzzati. Au cœur de cette solitude, qui est le lot de chacun d’entre nous dans le voyage de l’existence, l’auteur se raccroche au poème, pierre de fondation, point d’ancrage et nous embarque dans la seconde partie du recueil, la Barque. C’est au lecteur qu’il s’adresse, un autre lui-même.
« Il faut rester là longtemps
Jusqu’à que ce que cette barque qui est vous
Prenne âge de toute part
Et le chant cèdera
Qui vous retenait au monde »
Qui dit barque dit traversée, se détacher des rives, du connu, se préparer à la grande fonte du soi.
« Il reste à mettre de l’ordre
Dans cette débâcle du dire
Vous n’êtes pas encore
De ceux qui signent d’une noyade
Au bas de l’eau ».
Il y a alors récapitulation, souvenance.
« Un portail
Vous attendait
Au bout de l’enfance
Que vous ne saviez pas
Tous ces temps d’orage
À jouer
Quand le ciel perdait ses clés
Sur les toits ».
Et puis,
« Vous entrez dans un autre pays
Une autre saison
La parole se fait maintenant plus lente
Elle peut dire ce bruit de paille
Dans le vent
D’une pluie coupée ».
Et c’est cette barque qui conduit
« Au pied de la tour
Qui est vous
Il vous faut rejoindre la hauteur »
S’ouvre alors la troisième partie du triptyque, l’Archère. Ce terme évoque la tension qui vise un ailleurs plus vaste, « cette nuit je me suis inventé une rupture », qui cherche à percer peut-être un secret, celui qui ne peut nous être dévoilé de ce côté-ci.
« J’ai attendu
Un improbable retour
(…)
Enfermé
Dans l’épaisseur
D’une vitre ».
Il est question de « cette quête du passage », de « rêve de voyage », un appel d’air, on pense à la symbolique du sagittaire, mais il nous faut redescendre de la tour et « Reprendre taille humaine »
« Avec la soif
Qui un des lieux du poème ».
Une solitude que l’auteur désire et ne désire pas, hantée par le manque.
« Je te cherche encore
Sachant l’inutile
J’interroge les rues de tes pas
J’essaie des portes
Dans la chambre-seconde
Où ton souffle habitait ».
L’auteur voudrait sans doute trouver une issue à cet enfermement dans le temps, se libérer des frontières.
« J’aimerais bien partir d’ici
Retrouver l’empreinte d’une crinière
Dans le vent
Un galop d’avant la parole
Il me suffirait pour cela
De siffler
Lascaux
Un cheval y manquerait ».
Il y a beaucoup de noblesse et de fierté dans ce recueil, taillé par un verbe d’artisan, quelque chose d’intemporel justement, l’ombre d’un chevalier qui demeure droit et digne, le regard fixé sur l’horizon et Louis Raoul le ponctue d’un final à la hauteur.
« Puis vient l’heure
D’une lance claire
Et haute
Saison d’orgueil
Et de victoire
Avec le vent
C’est une offrande de feuilles
Au pied de la tour ».
Cathy Garcia
Louis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Il a publié une quinzaine de recueils et a obtenu en 2008 le Prix de la Librairie Olympique pour son livre Logistique du regard publié chez N&B/Pleine Page. Parmi ses autres publications : Par peur de l’équilibre (L’Harmattan), Préface aux confins (Opales/Pleine Page), Sources du manque (Ex Aequo), Démantèlement du jour (Éclats d’encre).
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09/07/2012
Visage vive de Matthieu Gosztola
Ed.Gros Textes, photographies de l’auteur, 2011, 96 p. 7 €
Visage vive n’est pas de lecture aisée, car derrière une langue qui semble s’égarer, s’éteindre avant de se rallumer à nouveau, un peu comme des soubresauts, il y a cette tentative de dire l’indicible.
Il faisait un froid terrible
Dans le visage
De cet enfant là
Il n’y a pas de mots assez vastes, assez puissants pour contenir la douleur, sans doute la plus insupportable, de la perte d’un enfant. Aussi, par petites touches, ce texte se remémore, parle à l’enfant qui n’est plus, lui imagine même un futur, le tout accompagné de très belles photos de l’auteur, prises en Inde, pays de grande intensité spirituelle. Des photos dont toute la lumière et les vives couleurs aident peut-être à transcender la souffrance. Visage vive est un livre tendu comme une main au-dessus du vide et qui s’adresse aussi à tous ces autres « parents-funambules », qui subissent cette épreuve.
Ce n’est pas toi qu’on
Enterre
C’est moi dans ma vie de toi
Visage vive est un recueil qui avec amour, avec pudeur, tient en fragile équilibre entre l’écorchement du « pourquoi ? » et une difficile tentative d’acceptation de ce qui est, de ce qui a été et qui n’est plus.
Tu n’as jamais vu la mer
Tu es ce qui retourne à sa
Réception d’étoile
Mais, l’amour ne s’arrête pas aux frontières de la mort. Des êtres aimés qui les franchissent, demeure le souvenir, la présence intangible mais si puissante du souvenir. Ici l’écriture est comme une catharsis, les mots sont parfois comme retenus ou égarent leur sens dans la vacuité, ils tâtonnent comme des mains dans le noir et soudain ils se déversent à flots précipités, avec cette obsession du visage.
La peinture du visage n’a pas eu le
Temps
De sécher
Tout finalement tient dans le visage.
Tout est là dans le visage
Et je prends tout
Avec mon souvenir
Mon souvenir est déjà là même
Dans le présent du regard
Il y a vie dans visage, et la peur sans doute que la mémoire des traits ne finisse par disparaitre elle aussi.
Ton visage est identifiable à ce qui
Ne viendra jamais
Même avec les décibels des cris
Diminuer le silence
Alors par delà l’intolérable déchirure, les mots viennent pour divorcer du silence, tisser un fil auquel se raccrocher.
Je crois que c’est possible
De vivre car on est deux
Et ça a duré
Des mots que l’on voudrait magiques.
Je ferai si c’est
Nécessaire
Dans toute la pièce des
Moulinets
Avec les bras en récitant
Des incantations mais
Malheureusement je me réveille
La vie n’est pas un conte de fée
La mort est sourde à nos questions, elle est juste une réponse. Une réponse à la trop vive douleur du corps. Peut-être se fait-elle ainsi pardonner, elle vient apaiser les souffrances de l’enfant aimé, qui sont tout autant, sinon plus insupportables qu’elle. Reste alors un amour indéfectible et le pinceau des mots pour que visage vive.
Cathy Garcia
Matthieu Gosztola, né le 4 octobre 1981 au Mans. Doctorant en littérature et sciences humaines, il enseigne la littérature au Mans et à Paris. Il a écrit des critiques dans les revues Europe, Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Histoires Littéraires, La Main millénaire, remue.net, Poezibao, Terre à Ciel, La Cause littéraire, Contre-allées, ainsi que dans les revues de la Comédie-Française, des Presses Universitaires de Rennes et des éditions Du Lérot. Pianiste et compositeur de formation (sous la direction de Walter Chodack notamment), il donne des récitals, en tant qu’interprète ou improvisateur, qu’ils soient ou non reliés à la poésie comme lors du festival international MidiMinuitPoésie.
Publications :
Sur la musicalité du vide, Atelier de l’agneau, 2001
Travelling, Contre-allées, 2001
Les Voitures traversent tes yeux, Contre-allées, 2002
Sur la musicalité du vide 2, Atelier de l’agneau, 2003, Prix des découvreurs 2007
Matière à respirer, Création et Recherche, 2003, Livre d’art en collaboration avec le photographe plasticien Claude Py
Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, Éditions de l’Atlantique, 2008, Photographies et poèmes agrémentés d’un dessin à l’encre de Chine de Zuzanna Walas
J’invente un sexe à ton souvenir, Minuscule, 2009
Une caresse pieds nus, Contre-allées, 2009
Débris de tuer (Rwanda 1994), Atelier de l’agneau, 2010
Un seul coup d’aile dans le bleu, Fugue et variations, Editions de l’Atlantique, 2010
Ton départ ensemble, La Porte, 2011
Un père (Chant), Encres Vives, 2011
La Face de l’animal, Éditions de l’Atlantique, 2011, Photographies et poèmes
Visage vive, Gros Textes, 2011, Photographies et poèmes
Contre le nihilisme, Éditions de l’Atlantique, 2011, Essai
Le génocide face à l’image, Éditions L’Harmattan, collection Questions contemporaines, 2012, Essai de philosophie politique
Traverser le verre, syllabe après syllabe, La Porte, 2012
Ariane Dreyfus, Éditions des Vanneaux, 2012, Essai
Note publiée sur : http://www.lacauselitteraire.fr/visage-vive-matthieu-gosz...
22:19 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)
14/06/2012
Aller simple, Erri de Luca
Gallimard 2012, édition bilingue, trad. de l’italien par Danièle Valin, 16,50 €
« Aller Simple, des lignes qui vont trop souvent à la ligne », marquées par le point final, le point fatal quelque part entre les deux rives méditerranéennes, cette grande bleue qui sépare le Sud, sa misère, ses tragédies, d’un Nord porteur de rêve, d’opulence et de liberté. C’est sur cet entre-deux que se déroule ce long et poignant poème d’Erri de Luca. Plus qu’un poème, c’est une ode mais aussi hélas un chant funèbre, découpé en voix et en chœur.
Ce chant prend source là-bas de l’autre côté, de là où les hommes, les femmes, les enfants, partent, quittent, prennent exil comme un oiseau prendrait envol, mais avec la mémoire des fers aux pieds. Ils viennent des « hauts plateaux incendiés par les guerres et non par le soleil », avec en tête une terre espoir, une terre accueil, une terre de paix. Italie, un mot « ouvert, plein d’air »…
Finie l’Afrique semelle des fourmis,
par elles les caravanes apprennent à piétiner.
Sous un fouet de poussière en colonne
(…)
le voyage à pied est une piste d’échines.
Le Sud, un terme pratique pour y caser tout ce qui attire et en même temps tout ce qui fait peur au Nord, bien confortablement installé dans ses chaussons soi-disant civilisés…
Nous nous détachons de la moitié du monde, non pas du Sud.
Et c’est la mer qui est la première destination, la mer qui accueille, la mer qui porte, la mère qui berce et sauve de l’invivable.
Bien des jours avant de voir la mer, elle était une odeur,
une sueur salée, chacun imaginait sa forme.
(…)
L’ancien près du feu discute avec les marchands
le prix pour monter sur la mer de personne.
Le prix non discuté de la traversée, c’est l’impossibilité de laisser derrière soi la peur, on embarque avec la mort.
Le marin est armé, il a peur de nous, sortis du désert,
il a des gestes de menace, les femmes couvrent leurs oreilles.
(…)
Ils ont déjà tué, on le sent au relent de leur peur,
la nuit renforce l’odeur des assassins.
Le temps devient alors incertain comme la terre se fait liquide, il faut faire confiance. Quelque chose est là de l’autre côté, une idée à laquelle il faut se raccrocher.
Nuit de patience, la mer voyage avec nous,
À l’aube l’horizon coule dans la poche des vagues.
Il n’y a « Pas d’oiseaux, ni de papillons, l’air sur la mer est stérile de vols » mais il y a la fatigue, la faim, la soif.
« Des poissons d’un saut de queue sortent comme un crachat » et l’on constate que « la mer se referme plus rapide que le désert ».
Et tout devient signe prémonitoire.
Impératif de sommeil, un de nous s’allonge,
ils le repoussent au-delà de l’espace interdit.
Ainsi sera la terre de l’arrivée, terrain clos interdit,
notre sommeil qui se heurte contre elle.
(…)
Nous y arriverons avec des enfants endurcis plus que des cals,
vagabonds avec leurs pères sur les écorchures de la terre.
La tension monte, Erri de Luca la traduit admirablement bien, sa poésie toute entière mise au service de cette histoire dramatique, une histoire qui se répète, un refrain maudit devrait-on dire, au rythme de la mer qui « monte et cogne, un de nous roule vers eux, l’autre pointe son fusil, le nôtre lève les mains. (…) Sans soir est arrivé son jour ».
Une violence en entraîne d’autres, et voilà que « Nous sommes sans gardiens et sans guide (…) Le bateau est un bout de terre pris à coups de bêche, les voyageurs dénouent leurs jambes, occupent les mètres ».
La mort y prend aussi ses aises.
Nous ne mettons pas les morts à la mer, ils servent pour la nuit
leurs corps préservent du froid, la mer est sans mouches.
(…)
À l’aube nous léchons la rosée sur la toile, sur le bois.
Solidaires et unis par le même espoir, si ténu soit-il, « Nous sommes égaux, la plus stricte égalité, jusqu’à la dernière goutte de buée ».
Le bateau est un radeau pour les naufragés du monde et arrive le moment où « Des mains m’ont saisi, douaniers du Nord, gants en plastique et masque sur la bouche. Ils séparent les morts des vivants, voici la récolte de la mer, mille de nous enfermés dans un endroit pour cent ».
La voici donc la terre d’accueil, la terre qui concentre tous les rêves, mais ce n’est même pas encore la véritable terre, c’est une île, un enclos, « une île n’est pas une arrivée ».
« Surveillés par des gardiens, nous sommes coupables de voyages », alors on en revient aux prières vers l’Orient, « leurs voix est le bruit des abeilles qui remercient les fleurs ».
Levain d’humanité pétri par la douleur,
Nous racontons les routes parcourues,
Des pas sur des millions de kilomètres finis face aux murs.
(…)
Nos enfants acrobates de voyage,
clowns, sorciers, petits soldats.
Ce sont eux, les enfants, qui portent ce qui reste de force et de courage, « ils se contentent même de rien (…). Ils brillent de sueur plus acharnés que nous, ce sont des buissons d’épines, la mort ne s’approche pas ».
Il n’y a donc nulle arrivée, nulle hospitalité, nul havre de paix.
Ils veulent nous renvoyer, ils demandent où j’étais avant
Quel lieu laissé derrière moi.
Je tourne le dos, c’est tout l’arrière qu’il me reste
(…)
Vous pouvez repousser, non pas ramener,
le départ n’est que cendre dispersée, nous sommes des allers simples.
Car ils ne sont pas venus pour prendre mais pour offrir, pour s’offrir corps et âme, chair à travail, boucs émissaires.
Vous êtes le cou de la planète, la tête coiffée,
le nez délicat, sommet de sable de l’humanité.
Nous sommes les pieds en marche pour vous rejoindre,
nous soutiendrons votre corps, tout frais de nos forces.
Avec la ténacité, l’obstination du désespoir, ils sont les sacrifices humains de notre époque qui se croit au-dessus de ça.
L’un de nous a dit au nom de tous :
D’accord, je meurs, mais dans trois jours je ressuscite et je reviens.
Après un texte d’une telle force, d’une beauté époustouflante à la hauteur du courage et des souffrances, pourtant innommables, que peuvent endurer celles et ceux que l’on appelle jamais par leur noms, car ce sont les anonymes, les sans-papier, les clandestines et clandestins de la terre, il est sans doute plus difficile d’apprécier à leur juste valeur les textes qui suivent dans la seconde partie de ce livre. Une partie divisée en quatre quartiers avec des poèmes très diversifiés qu’Erri de Luca présente comme des feuilles qui seraient le pays où il a « essayé d’habiter ». Dans le Quartier des pas reclus, il s’agit principalement de poèmes destinés à ce que l’on n’oublie pas ce qui ne doit pas être oublié, avec un hommage au prisonnier Ante Zemjlar, ce poète yougoslave qui au début des années cinquante passa cinq ans « sur l’Île Nue à casser des pierres blanches et les jeter ensuite dans la mer, dans l’Adriatique, car la peine est pure, sans valeur pratique, et la mer ne se remplira pas ». L'Île Nue, Goli Otok, la plus terrible des colonies pénitentiaires sous Tito. On notera aussi l’hommage aux Tsiganes d’Europe partis en fumée dans les camps de haute Silésie, ainsi qu’à d’autres prisonniers de différentes périodes comme Vincenzo Andraous, Paolo Persichetti, extradé en 2002 et condamné à 22 ans de prison pour sa participation aux luttes des années de plomb, mais aussi au poète bosniaque Izet Sarajlic, mort en 2002, qui a vécu le siège de Sarajevo, et bien d‘autres poèmes encore, évoquant aussi bien la seconde guerre mondiale que celle des Balkans.
Dans le Quartier d’histoires naturelles, Erri de Luca rend hommage aux mineurs du charbon, Courrière, Pas de Calais, 1906, et à la nature.
Dans le Quartier de l’amour sidéré, ce sont des poèmes d’amour ou à propos d’amour, un hommage à la Femme.
Et enfin, dans le Quartier du dernier temps, le poème se fait plus métaphysique, pour « serrer dans la bouche un psaume comme les dents du chien sur un os », et un hommage à la simplicité, à l’humilité, à ces valeurs qui font l’homme vrai, humain, « Vis en déserteur d’une guerre, proclame les vaincus non pas le vainqueur, trinque à l’insurrection des cibles », l’humain dans toute sa beauté mais aussi dans sa fragilité, sa chute, « ce soir parmi nous moi j’aime l’ivrogne qui perd le chemin de sa maison ».
On peut percevoir aussi un hommage à l’utopie dans le plus beau et véritable sens du terme, comme le présentait Théodore Monod, « L'utopie ne signifie pas l'irréalisable, mais l'irréalisé ».
Cela prend un ton prophétique dans le poème « Après ».
L’humanité sera rare, métisse, bohémienne
Et elle ira à pied. Elle aura pour butin la vie
La plus grande richesse à transmettre ses fils.
Quelques poèmes épars encore, dans une dernière partie nommée L’hôte impénitent qui semble avoir été rajoutée au tout dernier moment, où l’on peut croiser aussi bien Chaplin que Guevara. C’est donc aussi toute une époque que l’on revisite à travers ces textes, d’un auteur sans doute aussi volubile que talentueux.
Cathy Garcia
Erri de Luca, né à Naples en 1950, est l’un des écrivains italiens les plus lus dans le monde. Il vit à la campagne, près de Rome.
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30/04/2012
Je n'en dirais guère plus de Jean-Michel Bongiraud
Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/je-n-en-dirais-guere-plus...
Ed. de l’Atlantique 2012
Édition à tirage limité et numéroté - 45 pages – 14 €
Il est pas mal question du doute dans ce recueil, mais en le refermant, c’est du titre que l’on doute. Difficile en effet de croire que Jean-Michel Bongiraud n’en dira guère plus, et on ne le souhaite pas en tout cas, car lire ce livre, c’est comme passer un moment en tête à tête avec un ami. Il ne s’agit pas ici juste d’une formule, mais d’un ressenti bien réel. L’auteur est comme assis en face de nous, le livre devient une table à laquelle on s’accoude, on partage un verre, voire plusieurs, et Jean-Michel Bongiraud nous ouvre son cœur, sans prétention, sans flonflons, sans faux semblants. Une telle simplicité est rare, une telle sincérité aussi. Elle mettra ceux qui sont prompts à juger sans doute mal à l’aise. Il y a quelque chose d’inconvenant, pour ceux qui ne jouent pas cœur sur table, à se livrer ainsi. C’est donc un livre qui fait du bien, qui remet les choses à leur place, la poésie dans la vie, l’homme au cœur de sa vie d‘homme, ni plus, ni moins et les mots tissent des ponts, car au centre de ce livre, il y a un irrépressible désir de partage.
Résoudre par les mots de tous les jours
l’équation de la vie
mesurer la distance
entre son ombre
et la main qui s’ouvre
montrer la lucidité
du poème
au regard qui le croise
Mais entre le désir et sa réalisation, le réel peut devenir un obstacle qui ne cesse de nous interroger.
Depuis quand les hommes
sont devenus si durs
et pourquoi leur langue
est-elle brutale et acerbe
Et c’est cela que Jean-Michel Bongiraud partage ici avec nous, les questionnements, les doutes, les élans et les dépits d’un homme parmi les hommes, et chacun de nous lecteur, devient l’ami auquel il offre sans retenue toute sa confiance.
pour vivre entre nous
que faudrait-il
un rire un ronronnement
une peau contre une peau
ou un tassement de vertèbres
au niveau du cerveau
L’auteur pour qui, on le sent, des mots comme humanisme et fraternité ont gardé toute leur puissance, n’a cure d’être considéré comme naïf, mais donne au contraire tout sa véritable signification à ce mot. Naïf, c'est-à-dire naturel, sans fard, sans apprêt, sans artifice.
ce monde est clair est simple
tel je vous le dis
il a ses qualités
et même celles que j’ignore
car tout n’a pas été dévoilé
et il est bien vivant et serein
et vous pouvez le voir
c’est un monde d’étonnement
Témoin de la beauté, il sait aussi la transmettre.
Les oiseaux sont des êtres
bien innocents et agréables
(…)
à part froisser l’air
ils ne font aucun mal
Et cette naïveté si on peut dire, n’est possible que parce que l’auteur est doté aussi d’une grande lucidité.
Un grain bouleverse la vie
on ne sait jamais
la raison de sa venue
(…)
On veut toujours savoir
si ce que l’on fait est juste ou non
suis-je élégant ai-je une belle bouche
pourquoi celui-ci ne dit pas bonjour
(…)
et je me demande
ce que cherche à dire ce poème
Il n’a pas peur de se voir tel qu’il est. L’écriture ici n’est pas un faire-valoir, mais un miroir qui ne ment pas.
J’aimerais apparaître
tel que je ne suis pas
un peu plus grand moins gros
plus cultivé plus spontané
mais je l’ai déjà dit
écris à longueur de page
(…)
d’ailleurs de quelle consolation
ai-je vraiment besoin
de changer de forme
ou de cesser la répétition
Jean-Michel Bongiraud n’est dupe ni de la vanité de notre condition, ni de la profondeur de notre ignorance, ni de notre petitesse face aux forces de l’univers, mais cela ne l’empêche pas d’aimer. Aimer la nature, aimer les oiseaux, aimer l’autre, égaré peut-être, mais vivant comme lui dans ce monde, où la beauté et l’horreur se partage la mise.
Nous chantons fort
et sans bien suivre la partition
nul ne l’a vraiment apprise
les plus purs la récitent
nuit et jour avec opiniâtreté
les autres avec nonchalance
mais ce n’est pas très cruel
comme jeu juste subtil
les vaches y arrivent et les girafes
je ne sais pas si les cafards le font
mais d’instinct chacun en est capable
au fond pour vivre
il suffit de suivre le troupeau
J’aime le murmure du vent
et la parade des oiseaux amoureux
les poules qui ponctuent leur pondaison
par un incessant caquètement
c’est la nature dans sa simplicité
comme un vin qui remplit le verre
il faut tout oublier pour le déguster
les voisins les enfants les supérieurs
dans le gosier tombe la poule
les oiseaux et les brins d’herbe
surtout il ne faut rien recracher
Il s’interroge sur ce qui le pousse encore et encore à user de mots pour se faire entendre.
Je pourrais rester tranquille
écouter cette même poule pleine d’orgueil
envahir le silence de cette après-midi paisible
elle non plus ne sait pas
ce qui la pousse à chanter
suis-je aussi orgueilleux qu’elle
à vouloir que tout le monde m’entende
mais elle a cessé son vacarme
je peux recommencer le mien.
Sans aucun doute, la réponse est dans ce livre. Rien n’a de sens ici-bas sans l’échange et la communication véritable, celle du cœur. En ces temps où les mots sont tellement galvaudés, vidés de leur sens, la poésie demeure une parole vraie qui peut permettre de nouer avec autrui une relation touchant directement à l’essentiel. En toute simplicité.
Cathy Garcia
Jean-Michel Bongiraud, est né en 1955 à Saint-Mard (Aisne). Il est l'auteur de plusieurs recueils de poésie ainsi que d'un essai, L'Empreinte humaine, ouvrage publié par les Éditions Editinter. Il a également fait paraître la revue Parterre Verbal entre 1992 et fin 2001 et depuis 2008, il anime la revue Pages Insulaires : http://parterreverbal.unblog.fr/ Il a écrit des articles pour différentes revues ou journaux, dont Le Monde Libertaire, Alternatives Libertaires...
Bibliographie :
Éditions Editinter : Fermentations poétiques ; Apesanteur fiscale ; le livre des silences ; Du bout de mes orteils ; Un livre pour la pluie ; L'herbe passagère ; Arpège précédé de Une quinte sous nos doigts ; L'Empreinte humaine
Éditions Encres Vives : A la fin du cri ; Les fruits de l'alphabet ; Mouvements ; Mains
Éditions Gros textes : Les mots de la maison ; Pages Insulaires ; Pour retendre l'arc de l'univers
Éditions L'Épi de seigle : Les mots du manœuvre ; La noisette
Autres éditeurs : Mots d'atelier, Edition le dé bleu ; Le cou de la girafe, Éditions l'Amourier ; L'ombre de la bêche, Éditions Alain Benoït ; Abeilles, Éditions des Vanneaux ; Sang et broussailles, Éditions Rafaêl de Surtis ; L'herbe et le néant (1994 première édition), Éditions En Forêt (Allemagne) ; Je n’en dirai guère plus, Éditions de l’Atlantique.
14:51 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)
29/03/2012
Bashō – Seigneur Ermite – L’intégrale des haïkus
Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/seigneur-ermite-l-integra...
Edition bilingue par Makoto Kemmoku & Dominique Chipot. Edition de La Table Ronde -Mars 2012. ISBN 978-2-7103-6915-8 - 480 pages - 25 €
Quel bel objet déjà ! Un écrin à la hauteur du contenu, la couverture est d’un vert qui fait aussitôt penser au jade, ce même vert se retrouve à l’intérieur pour le texte en version japonaise. Ce livre, dédié aux victimes et sinistrés du grand tremblement de terre du Tōhoku, région que Bashō a visité lors de ses voyages, s’ouvre sur une note concernant la traduction. Elle commence ainsi, ce qui résume bien le propos, « Traduire c’est trahir » et expose les difficultés auxquelles ont été confrontés les traducteurs et donc leurs partis-pris. Ensuite, une introduction aborde en un tour rapide, mais instructif, l’histoire de la poésie japonaise, suivie d’une biographie détaillée de Bashō, illustrée par quelques haïkus. Indispensable pour la compréhension de son œuvre. Nous entrons alors dans la chair même de l’ouvrage : l’intégrale des haïkus du maître en la matière, souvent précédé par des avant-propos de Bashō lui-même, classés par ordre chronologique.
Le premier est daté de 1663 :
La lune pour guide –
restez donc un peu avec nous
dans cette auberge !
Bashō ne s’appelle pas encore ainsi, il a vingt ans (en tenant compte, comme l’ont fait les traducteurs, de l’ancien principe japonais en vigueur jusqu’aux environs de 1945, qui voulait qu’un enfant ait un an le jour de sa naissance), il se prénomme Munefusa depuis peu (car ce fils de petit samouraï, et travailleur de la terre en tant de paix, est d’abord né sous le nom de Kinsaku). Son père étant décédé, il est depuis un an au service d’un fils de châtelain de deux ans son ainé, qui par amitié l’a invité à l’accompagner dans ses études, dont celle des premiers rudiments du haïkaï. Munefusa a alors pris le pseudonyme de Sōbō. En 1664, un premier hokku de Sōbō est publié dans un recueil de l’école Teimon, inestimable honneur pour un si jeune poète :
Très vieux cerisier en fleur –
cette femme bien conservée
aimerait aussi refleurir
La mort prématuré de son ami en 1666, l’oblige à quitter le clan. On sait peu de choses de cette période sauf le fait qu’il a probablement épousé une bonzesse, Jutei, qu’il continue à écrire de la poésie et qu’il est présent dans plusieurs anthologies, et ainsi sa réputation commence à se faire.
Les gens pauvres
peuvent voir aussi les esprits
dans les fleurs de chardon-ogre
Le goût pour la contemplation est là, ainsi que l’appel au voyage.
Distrait
par la fleur de calebasse
longtemps
La lune des moissons
si claires ce soir…
vivre n’importe où
Fleur, lune, des éléments récurrents dans la poésie traditionnelle japonaise, comme les saisons et d’autres éléments de la nature. Déjà on sent aussi chez lui une aspiration à la solitude, il fuit les mondanités.
Trop de fêtards
pour admirer les fleurs
à Hatsuse
En 1672, il s’installe à Edo (aujourd’hui Tôkyô), où il devient fonctionnaire tout en continuant la poésie.
Enchanté par la valériane
comme par une belle femme,
perdant patience, je l’ai cassée
De 1672 à 1675, il côtoie différentes écoles, celle de ses débuts, l’école de Teimon, qui influençait la poésie à Kyoto, mais aussi celle de Danrin (la Forêt des bavardages), plus libre, venue d’Osaka, et qui a supplanté le Teimon à Edo. C’est d’ailleurs Bashō qui mettra un terme au conflit entre les deux écoles, en élevant le haïkaï (moins raffiné que le renga – art poétique très ancien autorisé seulement pour l’élite à la Cour) au rang de véritable poème.
La maison bourgeoise,
pour quêter le médecin
elle envoie un cheval !
Bashō se retrouve écartelé entre une carrière de fonctionnaire et le désir de se livrer tout entier à la poésie. Certains de ses nombreux admirateurs sont fortunés et peuvent lui permettre donc de lâcher sa carrière sans trop se soucier de problèmes d’argent, problèmes dont il ne se soucie guère de toute façon. Il est naturellement plus attiré par le spirituel que le matériel, ce qui a d’ailleurs donné à croire à ceux qui, plus tard, ont étudié sa vie, qu’il avait été moine, alors que son sacerdoce était uniquement littéraire.
C’est en 1675 qu’il change de pseudonyme en prenant celui de Tosei.
Contemplant la lune près des montagnes,
elle est rarement si claire
vue d’Edo, polluée
En 1680, il a 37 ans, il abandonne son métier de fonctionnaire pour ne vivre que de son art et il créé sa propre école, le Shōmon (l’École de l’authenticité) dont l’enseignement se base sur la profondeur spirituelle et la subtilité esthétique. La même année, un de ses disciples, riche marchand, lui offre un ermitage dans les faubourgs de Fukagawa, une ville de la banlieue d’Edo. Un lieu parfait pour le poète, peu à l’aise avec sa notoriété grandissante et son aisance financière, et qui commençait à se tourner vers le zen.
Nuit sous les fleurs –
ascète raffiné à l’excès
je me surnomme « Seigneur ermite »
Un an plus tard, un autre disciple lui offre un bananier et l’ermitage est baptisé bashō-an, l’ermitage au bananier. C’est ainsi que vient le nom de plume par lequel il sera immortalisé : Bashō, le Maître « bananier ».
Violent typhon dans les feuilles de bananier –
toute la nuit le rythme de la pluie
dans la cuvette
En1682, l’incendie qui détruit Edo n’épargne pas le monastère, le temps que ses disciples le reconstruisent, Bashō entame le premier d’une longue série de voyages spirituels et poétiques, mais ce n’est que deux ans plus tard qu’il commencera à noter ses impressions dans des journaux.
N’oublie pas mon haïku
Dans la fraîcheur du col
de Sayo no Nakayama
Voyager lui permet de se recueillir sur des lieux célébrés par ses prédécesseurs poètes, retrouver sa famille, des amis et ses disciples, mais avant tout à se frotter à l’impermanence, en risquant ses os sur les routes, pour peaufiner son art, comme l’indique le titre de son carnet de voyage à Ueno : Journal d’un voyageur résigné à y laisser ses os. Bashō a une santé fragile, il souffre de maladies chroniques et de plus les routes à cette époque sont peu sûres, il y a là un véritable défi d’aventurier, mais il faut voir dans ce choix, une dimension tout à fait initiatique au sens spirituel.
Le vent me transperce
résigné à y laisser mes os
je pars en voyage
Son regard sur le monde, contemplatif bien-sûr, est aussi empreint de compassion :
Poètes émus par les cris des singes
Entendez-vous l’enfant abandonné
Dans le vent d’automne ?
Et non dénué d’humour :
Les nuages défilent -
Un chien qui pisse partout
cette averse d ‘hiver.
Après le voyage à Ueno, il reste deux ans sédentaire à l’ermitage reconstruit, ce sera sa période la plus longue sans voyager. Il se consacre à l’enseignement de son art et à une perpétuelle recherche pour l’améliorer. Il lui arrive cependant souvent de souffrir de la solitude.
Lune et neige
mes seuls compagnons de l’année –
Fin de l’année
C’est durant cette période, en 1686, qu’il publie son poème sans doute le plus célèbre :
Vieil étang -
Une reinette y plongeant,
chuchotis de l’eau
En 1687, il reprend la route. Son amour de la nature est de plus en plus présent dans son art mais aussi un intérêt pour l’esthétisme du Furyu, un idéal artistique du moyen-âge. Cette année là, il écrit aussi des haïkus où il se décrit lui-même :
Cheveux longs
et visage pâle -
La pluie de juin
Soleil d’hiver
je suis une ombre gelée
sur son cheval
Il serait trop long de détailler encore sa biographie, mais à la lecture de ces haïkus, on apprend beaucoup sur la vie, les traditions, les mœurs de l’époque, y compris la nourriture et les tenues vestimentaires. 973 notes indispensables en fin d’ouvrage permettent d’approfondir la compréhension de ces haïkus, de percevoir leur subtilité et de tout ce qu’ils évoquent du quotidien de cette époque.
Bashō ne cessera plus de voyager, malgré les maladies, de ville en ville, de temples bouddhistes en sanctuaire shintoïstes. Souvent il rédigera un haïku à la mémoire d’un(e) défunt(e).
Ces carnets de voyages sont un hymne permanent à la « beauté émouvante et mélancolique des choses » (awaresa ou encore mono no aware).
La bise semble
aiguiser les rocs
entre les cèdres
Le voyageur toujours en mouvement tend vers l’équilibre entre vide et profusion, au rythme de l’alternance des saisons.
Saumon séché
et maigreur du bonze vagabond
dans les grands froids
La lune, la pluie, le froid, les fleurs, le vent, habitent une majorité de poèmes et les maladies qui l’affectent, Bashō les efface d’un seul haïku :
De toute façon
il ne m’est rien arrivé –
Herbes de pampas fanées sous la neige
Il a alors 48 ans. Il mourra sur la route, à Osaka, en 1694 à l’âge de 51 ans, laissant pour ultime consigne à ses disciples :
« La fleur du haïkaï est dans la nouveauté »
Il est reconnu comme étant le père du haïku et le plus grand poète du genre, mais suite à un délitement de son école après sa mort, c’est le peintre et poète Buson (1716-1788), qui cinquante ans plus tard, redonnera son blason au Maître.
Cathy Garcia
Les traducteurs :
Dominique Chipot. Haïjin français, auteur du guide d'écriture Haïkudo, la voie du haïku (Ed. David et Tire-Veilles 2011), il est cofondateur de Gong, la première revue francophone de haïku, et fondateur de l'Association pour la promotion du haïku francophone. Fondateur de l'association pour la promotion du haïku (www.100pour100haiku.fr)), il anime des conférences, des ateliers, des expositions et dirige Ploc! la lettre du haïku.
Makoto Kemmoku est membre de la revue de haïku Ashibi (Azalée) et traducteur en japonais de plusieurs livres, entre autre, Le Roman de la rose. Il a publié avec Dominique Chipot deux autres ouvrages, en plus de celui–ci : Du rouge aux lèvres. Haïjins japonaises (La Table Ronde, 2008 et Points 2010) et La lune et moi. Haïkus contemporains (Points 2011).
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16/03/2012
Else comme absentée de Lou Raoul - Editions Henry 2011
ISBN 978-2-917698-89-1 - 40 pages - 6 €
J’avais déjà fait une note pour Else comme absentée, mais si j’en avais assez bien saisi la forme, j’étais passée à côté du fond, aussi Lou Raoul m’a proposé de lire aussi Sven, paru la même année chez Gros texte. Ces deux recueils auraient pu être effectivement rassemblés en un seul. Je retrouve dans Sven la même écriture concise et imagée que j’avais aimée dans Else, et qui me donne par moment l’impression de feuilleter un album photo. Le cadre est le même : maison, jardin, campagne, la vraie, celle où l’on cuisine le lapin, élève des poules, travaille aux champs pour nourrir les animaux l’hiver. Mais, derrière cette apparente et tranquille immuabilité, s’ouvrent des puits comme une « ambulance dans la nuit verte d’avril » et c’est bien là où parler de ce livre devient difficile. J’avoue avoir faillit y renoncer, mais ce serait dommage car il mérite vraiment d’être lu, tout comme Sven d’ailleurs, et plutôt deux fois qu’une. Mais voilà, l’écriture de Lou Raoul ne dit pas tout, à l’image de ces gens justement de la campagne à qui la pudeur fait préférer le silence, là où d’autres donneraient dans les cris et les larmes.
Else d’abord, rien que le titre est mystérieux. On peut y lire Elle se… et la phrase reste en suspens, devient question. Elle se quoi ? Elle se qui ?
Else c’est aussi « autre » dans la langue de Grande-Bretagne. Ce serait donc ça ? L’autre comme absentée. L’autre soi, couchée sur le papier, à qui l’auteur s’adresse par un tu. Une sorte de dédoublement pour dire sans dire. Au lecteur de deviner. Pas que ce soit un jeu non, mais simplement la parole de l’auteur est si authentique justement qu’elle ne peut qu’être pudique. C’est de vraie vie dont il s’agit ici, par petites touches, une vie ancrée à la terre, pleine d’odeurs, de solitude aussi. D’ailleurs Else comme absentée démarre sur ces mots « T’enfuir, t’enfouir ». Fuir quoi ? La coiffeuse et ses questions déplacées, « vous avez commencé les achats ? », la furie commerciale de noël et « les tables dressées pour des repas, puis des décors, des scintillants, des pièces chaudes » ? Else ne fête pas noël, Else « vomit toutes ces odeurs, parfums, sucrés, ces bras pressés, ces bouches portables dans la rue ». Else préfère « un ancien sac de pomme de terre sur son corps doux ».
En fait c’est ça qui m’avait échappé à la première lecture, j’avais oublié le début et la fin, bercée entre deux par le bon air de la campagne, le soleil, le jardin, cette vie à l’apparence paisible. Au début du recueil, ce décompte des jours du vingt au trente décembre, faut que ça passe, et ça passe, « tu t’perds de vue, Else, jusqu’aux premières minutes en plus des soirs de janvier où. » Parfois les phrases s’arrêtent ainsi, brusquement, comme Else, elles s’absentent. Comme une photo qui manquerait dans un album, laissant juste l’empreinte du cadre vide. Et là on passe à un nouveau chapitre, Ilse Else, et le voile s’épaissit. Ilse ?
Et l’auteur comme si de rien n’était nous plonge d’un coup dans le quotidien, un poulailler, une cour intérieure, des tiges de rhubarbe, la cuvette d’épluchures pour l’âne, le ragoût de lapin mais trop de sauge, c’est amer. Pas anodin ça, ce mot amer. Et une voix, une silhouette d’homme, et là je sais maintenant, c’est Sven, l’homme de Norvège, un homme dans la vie d’Else « son souffle dans tes jours éclairant ton visage ». Du bonheur ? Et c’est le passé qui s’engouffre dans le recueil, et tout se voile à nouveau, « « des traces disent rien du temps passé présent venant c’est hier ça tient pas debout. (…) c’est une odeur de tilleul en fleurs tandis que tu fouilles boîtes archives poésie (…). ». S’ouvre soudain le puits « revient la mort malade couler dans ton sang » et l’ombre du crabe, « juste une poignée de jours entre temps avant de reperdre tous tes cheveux tu achètes une nouvelle coiffure » aussitôt effacée, sans même une virgule entre les deux par « un homme bricole que t’entends siffloter dans les jardins, y’a du soleil de juillet, sur toi, et sur tes sœurs, quoiqu’il advienne ».
Serait-ce là, en quelques phrases que se trouve le secret d’Else comme absentée ?
« toi sans blessure tu deviens Ilse ».
Et là s’ouvre un nouveau chapitre, un nouveau mystère : Else comme absentée ou orcanète. Orcanète ? Une fleur, une fleur méditerranéenne dont la racine sert à teindre en rouge, du henné en quelque sorte. On songe au sang bien-sûr mais aussi aux cheveux, qui reviennent souvent dans ce recueil.
Puis la page s’ouvre sur un décor presque idyllique, intemporel,
« un homme dans le champs
comme il voit le printemps, comme il coupe les tiges de maïs (…)
qu’aux brebis il distribue
les jaunes épis aux matins d’hiver
des travaux, des saisons, des brebis, des agneaux »
(…)
« aux gestes mesurés
est un homme dans le champ
ne dépend que de toi
que tu le suives et sois sur ses pas »
Et c’est là qu’à ma première lecture, j’ai commencé, comme Else peut-être, à oublier tout le reste et me suis plongée dans le présent d’une vie bonne et simple, rude aussi, dans ce coin de campagne bretonne, à la douceur se mêle toujours quelques échardes, « les peaux sèches cartonnées des animaux, morts animaux » « toutes les peintures s’écaillent dedans » mais Sven est là. Lou Raoul évoque l’homme essentiellement par la voix, qui chante, sifflote, par les mains qui travaillent, ramassent, bricolent, une présence rassurante, « et lui ce jour ses yeux sont bleus autant que son pull ». Et la vie s’écoule, et on suit le regard d’Else
« l’ombre des cyprès déplacée et puis des toiles d’araignées, des morceaux de jute, des bouts de cageots, des ficelles nouées
sur le rebord de la fenêtre un gobelet de plastique bleu
la poudre de lait des petits veaux »
Et le printemps est là, il éclate dans le regard d’Else, des pages et des pages de printemps, d’été
« c’est dans la cour
comme un poème
où t’éparpilles les chevelures des pissenlits »
et puis brusquement arrive « comme une silhouette en imper gris » et « le matin si froid si frêle » et voilà que tout se voile de nouveau devient mystère
« tu poses un ange
devant la porte
où est celui
que plus personne
la main de l’ange
parfois t’y penses
t’y penses encore
t’y penses sans cesse »
et le livre s’achève
« comme à une pluie
une pluie qui pleut
depuis trois jours
discontinue
sur Brest, Brest même »
et je me dis alors que, oui, le livre est à l’image de ce climat breton, si changeant, et où le soleil peut laisser place instantanément à la pluie, un voile qui obscurcit tout et puis de nouveau le soleil, un peu comme la vie finalement, avec ses creux et ses pleins.
Cathy Garcia
Lou Raoul vit en Bretagne où elle est née en 1964. Depuis 2008, elle publie poèmes et textes dans diverses revues (Comme en Poésie, Décharge, Gros Textes, Liqueur 44, N4728, Traction-Brabant, Trémalo, Verso... ). Un recueil Roche Jagu / Roc'h Ugu (Éditions Encres Vives / Collection Lieu) est paru en 2010, suivi en février 2011 par Sven (Éditions Gros Textes) et en mars 2011 par Les jours où Else (Éditions Isabelle Sauvage), Else comme absentée fin 2011 aux Éditions Henry. quand elle / prairie jaunes tanaisies prévu pour 2012 aux Éditions Isabelle Sauvage. Son travail d'écriture, qui oscille entre poésie et prose narrative, croise aussi le spectacle vivant et les arts plastiques. Son blog ouvert en 2010 accueille textes et photographies : http://friches-et-appentis.blogspot.com/ (faites un copier/coller de l'adresse car apparemment le lien ne fonctionne pas directement mais l'adresse est bonne)
10:07 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (2)
27/01/2012
Vide alentour de Jean-Baptiste Pedini
Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/vide-alentour-jean-baptis...
Encres Vives (Coll. Encres Blanches n°488) 2011 - 16 pages – Préface de Patrice Maltaverne - Prix 6.10€
Le vide on ne s’y fait pas, écrit Jean-Baptiste Pedini, en 10 poèmes qui tournent autour de ce vide alentour. Le vide, il le creuse, le fouille, le traque, tente de lui donner forme en quelque sorte, de lui donner sens. Des poèmes comme des corps pour englober ce qui échappe, questionne pourtant, obsède même. Le vide révèle comme une éternelle insatisfaction.
« on décompose espaces
gestes
fouilles au corps
toujours plus simples
toujours à rechercher
d’autres possibles. »
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Vers le silence de Max Pons, Ed de La Barbacane 2011
Note publiée sur La Cause Littéraire :
Max Pons est un amoureux, un grand amoureux de l’humain et des pierres, amoureux au sens le plus courtois du terme, comme les troubadours de langue d’Oc. Dans ce recueil, admirablement préfacé par Michel Host, il nous offre un cheminement de haut vol poétique « Vers le silence ».
Fidèle à sa passion minérale, le recueil s’ouvre sur la pierre, mais une « Pierre de caresse/ Pierre maternelle ». Max Pons, qui fut pendant si longtemps gardien et guide du Château de Bonaguil, un château-fort, allégorie de la forteresse quasi imprenable du féminin, connait mieux que personne les liens secrets qui se tissent entre la pierre et les forces de la nature et ce que je retiens de l’ensemble de ce nouveau recueil, ce rassemblement de fragments, de morceaux de ce territoire qui est le sien, c’est que tout, de la pierre à la chair, de la terre au ciel, transpire et conspire un puissant chant d’amour.
« Arc en pleine caresse
Ton plaisir pointe vers le ciel
Ton désir vient de la terre
Et l’homme hésite
À franchir le seuil. »
Le poète déploie ses antennes en toutes directions, attentif et précis, c’est un amant d’expérience, porteur d’histoire, la sienne, mais aussi de celle des Hommes
« Voici des portes qui s’ouvrent sur d’autres portes.
Voici des fenêtres qui croisent leurs bras puissants sur la nudité blessante de la lumière.
Et puis voici d’autres yeux encore. D’autres croisées de lumière. »
Et de tous leurs questionnements.
« En ces lieux de foudre, à l’odeur d’Histoire, retournant à la domination de l’élément aquatique, quelle est donc cette force sauvage qui habite la somptueuse gésine minérale dans la quiétude des mousses.»
En homme avisé, le poète sait que malgré tout le chemin parcouru, il n’y a pas de réponse définitive à ses interrogations, mais que l’essentiel reste encore et toujours à vivre.
« Inventer la survie
Débusquer le mouvant
Jusqu’à l’immobilité lucide
Au seuil du sanctuaire »
Et que la vie est désir, sans cesse renouvelé, comme le fleuve va à la mer
« Je te parlerai des libellules des premiers émois
et des éclairs de chaleur sur la robe mouillée des soirs.
Et de cette cascade qui bat de sa chevelure
le dur silence. »
Et le poète chante et honore la Source
« Devant ce val délicatement veiné
À la naissance d’un fleuve d’ombre et de feu
Estuaire au limon de vie
Devant ces meules lourdes de louanges
Cette fête de courbes
Ce langoureux ballet
Paysage pour la grande faim du dehors et du dedans »
Un chant qui se fait « profond » et « vérité primitive ». « Faire l’amour », voilà la « Pureté retrouvée » et revient l’homme qui savait parler aux pierres
« Du fond de ma caverne charnelle
Je te bâtis »
Que le poète se donne tout entier à son chant ne l’empêche nullement d’être lucide et ô combien !
« Inéluctable marche
D’ultime vérité. »
Et son regard saisit le moindre détail qui témoigne de l’infime et infinie beauté
« La marmite ronronne
Près du chat. »
Comme seuls savent le faire ceux qui ont envisagé la mort en face, car nul n’est plus habile qu’elle à nous faire ressentir le précieux bonheur de l’instant
« Au fil,
Le linge blanc
- Lessive de l’œil -
Le linge qui raconte des êtres. »
Mais si le temps, à Max Pons comme à nous tous, est compté, le poète magicien a plus d’un tour dans sa plume :
« - Il faut bien passer le temps,
Dit l’un.
- Non, lui répond l’autre :
Il faut l’agrandir. »
La lucidité sans l’humour serait torture. Max Pons sait qu’il est bon de garder l’œil amusé et le sens de la facétie :
« Il y a sur la table
Une salière à lunettes
Ne manquant pas de sel.
Il y a l’éclatement même
De la vérité. Personne ne
S’y retrouve.
(…)
Et c’est ainsi qu’il voit le monde
Tel qu’il est, au grand étonnement
De la réalité
Et des paroles rassurantes… »
Et le poète, une main sur la chair, l’autre sur la pierre, tel un vieux sage sur la terrasse nous suggère de
« Tourner longuement
La petite cuiller.
Deux sucres, voulez-vous ?
La poésie est infusion… »
Et nullement pressé de nous voir partir, il nous donne à boire encore et encore de sa belle et bonne poésie, dans un recueil qui s’étire comme un chat
« Et vient le petit jour, longue robe flottante.
Demeure un goût d’amour, tel un oiseau perdu
De ses ailes frappant la cage de nos gorges »
En s’inspirant aussi de gravures de Maya Mémin et quelques dessins que son ami Zadkine lui avait confiés, avant de poser un point que l’on espère non final, en faisant sienne cette phrase de Cocteau
« On ne se consacre pas à la poésie, on s’y sacrifie ».
Cathy Garcia
Max Pons est né le 24 février 1927 aux alentours de Fumel. Il passe les premières années de son enfance à Vitry-sur-Seine en banlieue parisienne. Sa famille rejoint le sud-ouest de la France dont elle est originaire juste avant 1939. Dès lors, avec les terres, situées entre Quercy et Périgord, vont commencer un dialogue ininterrompu avec cet homme qui aime à répéter avoir vu le jour sous le signe des Poissons et du calcaire. « C’est à l’âge de cinq ans que je fis connaissance avec Bonaguil, lors d’un déjeuner sur l’herbe en famille, nous devions être dix-sept, oncles, tantes, cousins et mes parents.» C’est dans le cadre de ces pierres qu’il rencontrera de très nombreux poètes devenus par la suite ses amis comme André Breton, Eugène Guillevic, Pierre Albert-Birot, Jean Follain, Jean Rousselot venus visiter le château dont il est à la fois l’historien, le conservateur et le poète de 1954 à 1992. Au service des autres et de la poésie, il fonde en 1963 la superbe revue La Barbacane et quelques temps après l’édition du même nom, dont le poète Charles Dobzynski dans la revue Europe a pu écrire à juste titre « Ce sont très souvent, on le sait, les petits éditeurs qui font grandir la poésie, qui font surgir le neuf vierge et vivace là où on ne l’attendait pas. La Barbacane est une de ses revues qui édite des ouvrages d’une qualité bibliographique exceptionnelle, bien qu’à des prix tout à fait abordables, ce qui est en soit une performance ». A près de cinquante ans, la revue est toujours vivante ! Et la revue Nouveaux Délits née dans le Lot 40 ans après, a eu le plaisir d’inviter Max Pons et la Barbacane pour une rencontre poétique à St Cirq-Lapopie en septembre 2009. Max Pons est depuis 2011 citoyen d'honneur de la ville de Fumel. Il a reçu le Grand Prix de Poésie de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre en 2011. Amoureux de la culture espagnole, il a séjourné une dizaine d’années à Barcelone et il est aussi un traducteur hors pair.
Bibliographie :
Vers le Silence, itinéraire poétique, Préface de Michel Host, Éditions La Barbacane 2011
Une Bastide en Quercy : Montcabrier, La Barbacane, 2009.
Les Armures du silence, La Porte, 2002
Poésie de Bretagne, aujourd'hui, anthologie, La Barbacane, 2002
Formes et paroles, poèmes de Salvador Espriu, trad. Du catalan, La Barbacane, 1978
Voyage en chair, Regards sur Bonaguil, La Barbacane, 1975
Ecriture des pierres, étude sur des graffitis XVIe et XVIIe siècles, La Barbacane, 1971 (épuisé)
Calcaire, Rougerie, 1970 et 1981
Bonaguil, château de rêves, Privât, 1959
Evocation du vieux Fumel, Privât, 1959 (épuisé)
A propos de Douarnenez, La Barbacane, 1999
Le Château des mots, La Barbacane, 1988
Vie et légende d'un grand château fort, La Barbacane, 1987
Nouveaux regards sur Bonaguil, La Barbacane, 1979
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Eaux promises de Porfirio Mamani-Macedo
traduit de l’espagnol par Max Alhau
Edilivre 2011 – 44 pages – 10 €
***
Mon vieux visage amoureux continuera d’être orphelin de tout, quelque part où personne ne se souviendra de lui. (…) Maintenant, je cherche seulement un visage dans la neige, un signe, une étreinte pour apaiser l’hiver de mon être.
Ainsi débute Eaux Promises de Porfirio Mamani-Macedo.
Exil, errance, solitude, boue, poussières, vent, fleuve, rêve et mémoire, et comme une marche forcée qui n’arrivera jamais nulle part, car nulle issue possible à la douleur et à la perte imposée par l’exil.
Le premier recueil de Porfirio Mamani-Macedo que j’ai lu il y a quelques années, lorsque j‘avais publié Porfirio dans la revue Nouveaux Délits (n°5, mai 2004), c’était Voix au-delà des frontières, dans lequel il raconte son arrivée en Espagne, après avoir quitté le Pérou, et cette terrible et double peine de celui qui est à la fois l’étranger en territoire inconnu et l’exilé d’un pays aimé mais désormais interdit. Dans Eaux Promises, Porfirio reprend ce thème si important de son vécu, toute la douleur associée et se fait porte-voix de cette condition d’exilé, errant, clandestin, fuyard, de tout temps et de partout. Ode universelle à ceux, toujours plus nombreux, qui ne sont sur cette terre plus que des ombres en transit.
Seules tes traces diront que tu es passé
Je retrouve dans ce recueil cette belle voix, amoureuse de beauté et de fraternité, hantée par la déchirure et une immense solitude.
Combien nous désirons la pluie en chemin, combien nous cherchons l’amour, seuls, parmi les heures interminables lorsque nous traversons un pont, un parc, une montagne pour voir ce qu’il y a de l’autre côté !
Cette douce voix d’homme qui implore que cesse enfin la violence.
La parole, pas la guerre. La voix, pas les armes. Plus de bruit, mon âme est brisée. Plus de chemins à travers les montagnes de la haine et de la douleur.
Porfirio Mamani-Macedo nous renvoie l’écho de ce vide vertigineux qu’est celui de l’errance, le désert sans consolation du déracinement et la si frêle béquille de l’espoir.
Faisant route vers des terres inconnues, des hommes et des femmes, malheureux, vieux, malades, doivent encore marcher attendant le soir ou l’aube qui les sauvera.
Arrachés à leur vie comme des pierres par un fleuve en furie, il leur faut marcher, marcher toujours, fuir l’intolérable, l’injustifiable, l’atroce.
Que n’éclate plus, ô mon dieu, le feu dans la chair, que l’on n’entende plus le bruit d’un homme tombant, le corps criblé.
(…)
Que d’enfants sans lumière sur les chemins ! Que de cadavres serrés dans la terre comme une boue maudite ! O vent, éloigne ce siècle en ruine rempli de honte et de folie !
Il faut marcher encore et encore, hommes, femmes, enfants, jetés hors de leur foyer, de leur pays, poussés sur les routes, broyés contre les frontières, dispersés dans les brumes de contrées où ils ne sont pas les bienvenus, les yeux emplis de peur et le cœur en miettes.
Sur le chemin glissant et étroit, ombre après ombre, s’avancent les pas des exilés.
(…)
Etire ton cou, cygne enchaîné, pour voir ceux qui s’éloignent. Le chemin qu’ils suivent ne les conduits vers aucune porte.
(…)
Que te dire, cloche ancienne, en ce soir de printemps, car ce ne sont pas des ombres qui passent mais des plaies ouvertes qui cheminent ; ce sont des rêves brisés que les vents obscurs soufflent.
Et Porfirio Mamani-Macedo aussi, continue à marcher et à maintenir vive la mémoire, à ressasser, car il le faut, le souvenir.
Qu’elle est loin la mer que je ne vois pas ! Qu’elle est loin la vieille montagne où je suis allé m’asseoir après un après-midi interminable ! Qu’elles sont loin ces aubes sans mère, sans fruit, sans café !
(…)
Quelque part je resterai, vieille montagne. Toi qui m’as vu franchir la frontière comme le vent entre la pluie, préserve mon silence dans un bois.
Car le souvenir, aussi douloureux soit-il, ne doit pas s’effacer, car à l’auteur comme à tous les exilés, la mémoire est tout ce qui leur reste, le souvenir, leur seul et unique bagage.
Tu avances, absorbé, silencieux, tu te consumes jour après jour. Tous les tiens ne vont pas avec toi. Peut-être un jour les rencontreras-tu, peut-être un jour te rencontreront-ils, peut-être ne vous rencontrerez-vous jamais.
Et Porfirio Mamani-Macedo marche et mâche le chagrin et l’indéfectible solitude.
Les pas gris que je fais et qui m’attendent, rue après rue, sont des épines qui emmêlent mon âme.
(…)
Car malgré l‘appel des Eaux Promises,
Il n’y a pas de rivages sur cette mer que je traverse. Toute parole prend l’eau et tout écho s’éloigne avec les vents. Il pleut des souvenirs oubliés, des chemins que l’on ne parcourra plus, des paysages dont mes yeux noirs ne pourront plus jouir.
Nulle issue à l’errant sinon de marcher encore et encore et la boucle incessamment est bouclée autour du cou de l’espoir.
Un spectre m’arrête derrière chaque porte. Là, j’attends encore que tu sortes ou que tu arrives, voix humaine, pour consoler mon âme.
Cathy Garcia
Porfirio MAMANI MACEDO est né à Arequipa (Pérou) en 1963. Docteur es lettres à la Sorbonne Nouvelle. Il a obtenu son diplôme d’avocat à l’Université Catholique Santa María, et a fait ses études de Lettres à l’Université Nationale de San Agustin (Arequipa).
Ses blogs :http://porfiriomamanimacedo.blogspot.com/ et http://letrasdeporfirio.blogspot.com/
Bibliographie :
La Luz del camino. (poésie) Lima, Hipocampo Editores, 2010.
Tres poéticas entre la guerra civil española y el exilio (essai): Miguel Hernández, Rafael Alberti, Max Aub. Lima, Fondo Editorial de la Universidad Mayor de San Marcos, 2009
Lluvia después de mi caída y un Requien para Darfur, (poésie) Lima, Hipocampo Editores, 2008.
La sociedad peruana en la obra de José María Arguedas (essai), Lima, Fondo Editorial de la Universidad Mayor de San Marcos, 2007
Représentation de la société péruvienne au XXème siècle dans l'œuvre de Julio Ramón Ribeyro. (essai)Paris, Editions L'Harmattan, 2007
Avant de dormir,(nouvelles) L’Harmattan 2006.
Poème à une étrangère. (poésie) Editinter, 2005.
Un été en voix haute, (poésie) Trident neuf, 2004.
Voix au delà des frontières, (poésie) L'Harmattan 2003.
Flora Tristan : La paria et la femme étrangère dans son œuvre, (essai) Editions L'Harmattan, 2003.
Voix sur les rives d'un fleuve, (poésie) Editions Editinter, Paris, 2002.
Le Jardin et l'oubli, (roman) Editions L'Harmattan, Paris 2001.
Au-delà du jour, (poèmes en prose) Editions Editinter, Paris 2000.
Début de la promenade, (poésie) Editions Encres Vives, France.
Les Vigies (nouvelles) Editions L’Harmattan, Paris 1997.
Dimanche, (récit) Editions Barde la Lézarde, Paris 1995.
Ecos de la Memoria, (poésie) Editions Haravi, Lima, Pérou 1988.
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Il fut un temps ... l'ailleurs, Damien Corbet
Cardère Ed. 2011, 80 p. 15 €. ISBN 978-2-914053-56-3 .
Alors il y a quelque chose qui m’a intriguée dès les premières pages du livre, c’est l’âge de l’auteur. Né en 1991, est-il indiqué en quatrième de couverture, soit à peine 20 ans et cette écriture pourtant dénonce un vécu de plusieurs vies déjà, quelque chose qui tiendrait du juif errant imbibé de beatnik ! Etrange recueil oui, qui nous entraîne en divers lieux dans un défilé chronologique, d’abord comme à travers le prisme d’anciens clichés que l’auteur aurait retrouvés dans une vieille malle voyageuse ou quelques tableaux dénichés chez un antiquaire…
Cela commence à « Rio de Gens’héros », le 1er janvier 1750 :
Sur les tambours pulpeux du visage des hommes, les femmes lançaient l’envie d’un mouvement de bassin. Il y avait des jeunes à qui l’on conte l’amour comme le plus beau des sacres, qui couraient dans les rues, le cœur au bout d’une canne à pêche.
Puis Saint-Pétersbourg en 1763 :
Il est 16 heures et le ciel tombe déjà. On oubliait les places les jours de pendaison, on oubliait les virtuoses funambules, un cheveu sur la langue, et l’on laissait la scène aux astres, se pendant aux cordes d’un tableau sinistre ; le soir est un spectacle.
Et Belle-Ile où le 27 mai 1823, « Sur le quai, lorsque le vent soufflait et chantait, coincé aux creux des pierres, il y avait une femme qui courait après son châle et son châle après le vent ».
Au gré de la lecture, nous remontons donc le temps, de port en fête, de guerre en défaite, et attrapons le tournis du vent et de la valse, d’images en images nous tournoyons, un peu hagards, traversés de foudres poétiques d’une maturité évidente.
Les murs crachent le jour comme un appel à l’aide puis s’étouffent au clair de lune. Les hommes s’étendent, certains pendus, valsant aux mélodies du vent, et d’autres s’arment de cordes pour faire tomber le ciel.
Après Singapour 1892, Minnesota 1905, le Paris occupé de 1944 et d’autres lieux encore, nous retrouvons presque avec soulagement le quai du présent où nous pourrons, pensons-nous, rencontrer enfin cet auteur prodige qui déjà nous disait, le 14 décembre 1999, « Bienvenue dans ma chambre».
Mais non ! Ne voilà t-il pas que le temps nous dépasse, et sans reprendre souffle, 2010, 2045, 2096 et puis à nouveau Singapour, 1992, Ephèse 1956, Marrakech 1820, avec la sensation de courir après l’auteur qui lui-même erre, navigue, valse contre le sein des femmes, « femmes des rues, femmes du monde » qui ne sont peut-être qu’une seule et même…
Se retrouver face à une femme, c’est être retenu en éveil par une énigme.
Et qui pourrait s’appeler Juliette, le 18 octobre 2275 :
C’était
Avant-hier
Peut-être même demain
Peut-être
Trop tard
D’avoir compris
Quand il était bien trop tôt
Pour te laisser partir
Le 17 mars 2368, l’auteur avoue « Je crois que je suis perdu »… Nous aussi et nous y avons pris goût.
Alors on cherche,
On se noie
Au fond d’un verre
D’une branche d’un
Métier
Poche’tronc
Au point d’prendre racine
...
(…) Alors on s’imagine, seul une sèche à la main, les femmes en mosaïques, les cœurs en italiques, un penchant pour l’alcool et les baisers satins.
(…) Alors on cherche… un chemin pour se perdre encore plus, et prendre l’espérance des bateaux papiers…
Et on cherche encore en septembre 2453, et qu’importent les dates, et qu’importe le temps, hier, demain, aujourd’hui, fuite et poursuite, quête et renoncement.
J’ai regardé les hommes se laisser mourir d’amour lorsqu’ils tournaient page après page le visage de leur femme, lorsque pétale après pétale, ils espéraient blanchir leurs erreurs dans les plis d’une paupière.
On voyait des hommes dans les rues la tête sautant au ciel comme des bouchons de champagne les soirs de fête, et même après la mort, demander les étoiles.
Que Venise soit « un cimetière où les rêves se meurent de peur d’être communs » en octobre 2537 ne nous surprend plus, car en « Août 2686, quelque part, enfin je crois, lorsque les têtes tombent sur un lit telle une ville qu’on brode de périphériques, alors on part, le regard loin derrière, lorsqu’au passé les âges s’estompent sur un parterre de briques… »
Et l’auteur nous laisse écartelés entre les siècles, avec quelques remugles d’odeurs, de celles qui collent aux voyageurs, et difficile là de ne pas avoir une pensée pour Rimbaud, une autre pour Kerouac. L’auteur donc, nous lâche comme ça, « là où le temps n’a pas d’emprise… quelque part… » sur cette phrase superbe et assassine :
« La sagesse n’est qu’une perfection de l’égocentrisme ».
Cathy Garcia
A propos de l'écrivain
Damien Corbet
Depuis qu’il est né en 1991, Damien Corbet écrit. Dans sa chambre, au café, au lycée, en mangeant, en lisant, en dormant, en marchant, seul ou accompagné, à la plume ou au clavier, Damien écrit, sola gratia. Une obsession, une respiration exclusive qu’il partage avec quelques jeunes amis. Il suit obstinément une règle digne du plus ultra des luthériens, sola scriptura : écrire dix textes par jour. Son écoute musicale, permanente et éclectique, sola musica (de Bach au hard-rock, en passant par la pop, le jazz, etc.), s’entend dans son écriture, juste, naturellement précise et étonnamment mûre. Pour se faire connaître, il « poste » régulièrement une toute petite partie de sa production sur divers forums de l’Internet et sur son propre site (http://archange-poetique.kazeo.com).
A lire aussi sur la Cause Littéraire :
http://www.lacauselitteraire.fr/il-fut-un-temps-l-ailleur...
15:35 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)
Ces missiles d'allégresse d'Anna Jouy
Note publiée sur La Cause Littéraire
http://www.lacauselitteraire.fr/ces-missiles-d-allegresse...
Editions de l’Atlantique 2011
Avec une reproduction de mon collage Rouge de Zèbre
Edition à tirage limité et numéroté – 45 pages - 15 €
***
Et la femme fut… Et la femme fuit, de toute part, comme une passoire, et s’enfuit en flaques,
comme un étang pris entre deux écluses
comme une flaque
en rivières,
batik de soupirs teinture de lapements assurant les rivières
incrusté du venin d’ecchymoses
aspire tantôt au puits,
je cherche le noir profond des cuves le noir du puits et le blanc de la mémoire
tantôt à l’océan,
Tête basse collée contre mon souffle j’ouvre les passages secrets pour que l’ailleurs m’inonde. Ses mots radeaux ses bouées légères. J’y bois j’y pense : l’océan l’océan…
Et la femme fut… Funambule, elle marche sur le fil de la lame, inspirée, emportée dans son propre vertige, ciel et chute, elle enfle, elle gémit, elle crisse, elle grince.
Plutôt que d’évoquer l’écriture d’Anna Jouy, il faudrait parler de sa langue. Cette langue amoureuse qui chante, envoûtante, qui claque, qui appelle, cherche la peau, cherche à toucher, cherche la langue de l’Autre,
je te bois te suce papille contre papille ma langue dans ton vin
l’Autre, le mâle et sa male mort, pour enrober de salive et dissoudre ce bonbon amer, la lancinante solitude,
je te bois solitaire muette les yeux cousus d’épigrammes
La solitude comme un jardin de couvent, de fleurs et d’épines.
Dans le déambulatoire je passe je passe à l’endroit à l envers
Toutes laines à la lune
Et la femme fume, comme l’eau jetée sur le feu… Vapeur, désir.
Infusion de sueurs sur les toiles du lit
Toujours ce fleuve qui embrasse sa source
(…)
Et la femme toute entière dans son désir de fusion, fustige la mort qui emporte le vif amant.
Qu’est-il arrivé au feu pour qu’il brûle ta peau et te foute en jachères de vivre
(…)
Je t’ai perdu comme une trace dans une eau de fortune
Perdu comme un doigt dessinant l’océan
Et le noir qui se noie sans cesse dans le noir
Et la douceur tangue avec la douleur, et la langue se tord, en chant de souffrance appelant la sentence
Je veux entortiller ma langue la nouer d’épicentre la tirer au fusil comme un oiseau nié de migration
Et la femme fut… Futile, elle aimerait, mais la nacre des ongles
Je les aiguise lames d’émeri contre corne de poudre pour l’affûtage du futile. De quoi est-ce que je pitonne mon parcours de vie ? Ongleries et nacres.
et l’ombre de la dentelle, ne peuvent taire le trou, le manque, et la terre devient baume
Terre. Je m’allonge me glisse au sol et tente des épousailles d’herbe. (…) Mise à terre qui me rend si aérienne et qui arrose mon ventre d’un azur chaud déleste mes membres de leurs comités d’entreprise subtilise mes « marche ou crève ».
La terre accueille et l’eau coule, en bain,
cette tiédeur d’huiles et des transparences de moire
en larmes,
la journée tient sur le crin d’un archet. Et je bascule entre joue et salières…
en rivière,
entre baies et comètes, l’obscur des rivières
coule entre les seins,
la soif dégouline entre mes seins la gorge rigole. Une rivière sue.
se fait feu entre les cuisses
l’intérieur de moi immense large comme ces bras ouverts profond comme l’antre d’un volcan empli de ces sueurs de ces odeurs magiciennes
et l’eau et la terre, forment la boue de la langue pour lancer ces missiles d’allégresse, ce cri engouffré, noyé de silence. L’eau…
Elle finira bien par m’ensabler quelque part sur une anse de bras
Dans ce recueil intense, se concentre toute la splendeur d’une femme débordante de suc, qui marche vers son zénith.
J’ai l’espace d’aimer comme un arbre en hiver. Ma peau devient si douce qu’elle ouvre tous les sens. (…) Je vais vers l’âge à tâtons de bonheur. On pourrait même m’en aimer.
Cathy Garcia
***
Anna Jouy vit en Suisse romande où elle travaille dans un centre de formation pour jeunes femmes en grandes difficultés. Agée de 55 ans, elle a commencé par écrire et mettre en scène des pièces de théâtre, se spécialisant ensuite dans l’élaboration de spectacles musicaux et poétiques ainsi que dans l’écriture de chants pour divers compositeurs d’art choral. Elle s’est fait connaître dans sa région également en publiant plusieurs romans policiers dont les actions étaient intimement liées à sa ville, Fribourg, ainsi qu’un recueil de nouvelles. Ces missiles d’allégresse est le quatrième de ses recueils de poèmes, tous édités en France dont chez le même éditeur Au crible de la folie, paru en mai 2009. Le blog d’Anna Jouy : http://annajouy.over-blog.fr/
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Damier du destin, Encres Vives n°386, septembre 2010
Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/damier-du-destin-gilles-l...
Dans Damier du Destin, les pions deviennent des oiseaux et les joueurs abandonnent le jeu des miroirs, ne reste qu’une ample respiration, un fil qui se déroule, à la fois fragile et solide car il noue une éternité à une autre
la vallée vouée à ton silence
à ton frisson qui s’arrête à mi-mort
à l’étrange paix de la clôture sans limite
du ciel qui tombe en semaisons de lettres
livres ouverts pulvérisés
fragments de phrases tous égaux indifférents
que le vent même a quittés
Quel beau poème ciselé come une pierre, le sculpteur s’appelle Temps et même lui finit par disparaître pour ne laisser que la pierre, qui devient douce, douce et lisse au toucher de l’eau, douce et légère au toucher de l’air
On serait prêt
parfois
à jeter sa vie avec les vieux papiers
les années gravées
dans les encres fantômes
Quel beau chant de vie pour saluer l’ombre de la mort qui simplifie et allège, décille le regard sur l’essentiel
on deviendrait cette eau de crête
docile à la première pente
on serait ce sculpteur
dont le bras va choisir
s’il tranche ou non le poignet du héros
La mort, toujours présente, l’autre face des choses que même l’enfant pressent…
voici que les murs tirent
leurs doigts noirs sur l’été
(…)
il écoute le sang
claquer comme la peur
entre les piliers de pierre
L’ombre sans laquelle nous ne pourrions goûter la lumière, mais contre laquelle nous jouons sur le damier du destin
victoire sur l’ombre loup
qui rampe sous les armoires
en fixant les cendres
Quel beau poème traversé de douleur aussi, de perte, que les mots distillent avec pudeur
le ruisseau longe à l’infini l’histoire des absents
l’arrivant
devine au craquement de l’air
que l’on est mort ici d’attendre le visage
qui donnerait un sens à toutes ces fenêtres
Mais toujours l’envol, l’immensité où se perdre pour se ressourcer
le souffle efface
véhicules avions paroles
repousse les oiseaux
vers l’aveuglement bleu
vaste comme l’exil
Oui il s’agit bien là d’une « Odyssée d’être », d’un
texte dévoré de suspens
qui nous emporte et nous garde
sur une barque mince
et d’une traversée qui doit se faire, de soi vers soi, de l’ombre à la lumière
la faille est à franchir
absolument
l’abîme bleu et froid
et d’un chant que les poumons offrent à une nature qui n’a pas besoin de nous.
Le poète maîtrise ici parfaitement cet art du silence et de la contemplation, dans un monde où nous ne faisons que passer, laissant nos quelques « traces piétinées » d’infatigables bâtisseurs
silence d’anciennes familles
histoire
ouverte au forceps
bâtie au cordeau
la pierre, l’arcade, l’écusson
Mais toujours sur ce damier du destin, les pions deviennent oiseaux, et les joueurs abandonnent le jeu des miroirs
L’oiseau
le sang de l’oiseau
l’aile
a l’aigu de sa force
face au vent
l’oiseau cabré
figure
du destin en attente
Cathy Garcia
15:34 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)
J’ai les ailes de l’aigle blanc de Christian Saint-Paul
Encres Vives éd. n°384, Juillet 2010
Ce long poème, qui commence ainsi :
« En moi j’ai découvert
ce miroir noir
qui dissout l’inutile »
se lit d’un seul coup, sans presque reprendre souffle, tellement il nous tient suspendus à la beauté et à la fluidité des mots, à ce langage qui est lui-même souffle. Le chevalier dont il est question n’ignore pas dans sa quête que la vie et la mort puisent à la même source, et l’homme qui écrit, fait de ses mots des ailes, qui le portent, le transportent, tel l’aigle blanc et noir. Et alors même que l’esprit connaît le moyen de s’élever, l’homme reste lucide cependant à sa condition de tâtonneur terrestre.
Il sait les masques, et le nécessaire dépouillement.
« Simplement sans trop chanceler
s’arrachant aux rêves suicidaires
des mauvaises journées de la ville
détruire sa propre identité
étreindre son ennemi
soulever les sarcophages
et vider la mort de ses masques
livrant les os au bec
De l’aigle blanc et noir »
Il sait la vanité, la fragilité.
« La destinée petit à petit s’installe
cœur de fer
brisant la nuque de la sagesse
à cet endroit vide
non couvert par l’armure des certitudes »
Il sait la lumineuse exaltation du don et les chutes inévitables, il sait la nécessité de la confrontation avec l’ombre.
« Il retourne à l’oppressante
Conjuration des ombres et du fleuve »
Il sait le doute et l’esquive, et surtout, surtout, il sait que rien n’arrête la roue du temps.
« Et l’aigle ne compte plus son âge
son vol crisse
dans la misère osseuse »
Nul besoin d’analyser ce que Christian Saint-Paul nous révèle ici, sinon qu’il s’agit tout simplement de la vie, nul besoin de creuser les symboles, simplement entrer dans le fleuve du recueil et en ressortir à la fin lavé, illuminé de l’intérieur et en imaginant l’auteur comme en paix avec lui-même.
Cathy Garcia
15:33 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)
Tu t’en vas, de Magali Thuillier, publié en 2004 aux Ed. du Dé Bleu
Tu t’en vas. Un titre qui déjà marque le ton, non pas une injonction, mais un constat. Le constat clinique d’une réalité contre laquelle l’auteur ne peut rien. Tu, c’est la grand-mère de la narratrice et ce livre qui s’adresse à elle, raconte à travers ce dialogue à sens unique, un double départ. Le premier, c’est le faux-départ, mais aussi le plus douloureux, le plus insupportable, je dirais même littéralement le plus dégueulasse. La grand-mère tant aimée ne s’habite plus, elle n’est plus là « Une étrangère s’est glissé dans ton corps. Elle prend ta voix. Elle vit chez toi. Elle me vouvoie. Je ne lui réponds pas. J’attends que tu reviennes. Reviens ». C’est la maladie, l’Alzheimer, jamais citée, mais décrite, à petites touches implacables, presque à contre cœur, comme on évacue un peu de pus d’une plaie pour ne pas que l’infection se propage, envahisse tout, jusqu’à la moindre parcelle d’amour.
C’est la maladie qui peu à peu voile et vole la grand-mère adorée. « Pas voir les signes de la maladie. Pas les voir. Pas voir. Au revoir. Pas tout de suite. Pas ma grand-mère. Pas toi. Pas moi. Pas ».
Lire la suite ici : http://www.lacauselitteraire.fr/tu-t-en-vas-de-magali-thu...
15:32 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)
Nos parcelles de terrain très très vague de Marlène Tissot
Ed. Asphodèle - 7 €
Marlène Tissot ! J’ai eu la grande joie de publier plusieurs fois dans la revue Nouveaux Délits, la première fois dans le numéro 6 (juillet 2004), et qui sera également dans le numéro 39 (avril 2011). Son écriture, faussement légère, mais véritablement sincère, raconte la vie, la vraie, celle de tous les jours, avec des mots qui tapent au cœur de la cible, c’est-à-dire ton cœur à toi, lectrice-lecteur. Marlène, vous ne la trouverez pas dans les salons, mais plutôt dans la cuisine. Marlène c’est la perle qui tombe d’un paquet de chips, c’est le talent à la fois le plus naturel et le plus discret qui soit. Marlène, c’est à petites touches, une peinture du quotidien, sans fard, sans fioriture, mais avec une maîtrise parfaite de la lumière et une grande lucidité. Derrière ce qui pourrait sembler fragilité, tristesse, il y a une grande force, celle de prendre de front ce qui est, avec un sens aigu de l’observation, et d’en extraire tout le jus pour en tirer un peu de ce sublime nectar de poésie. De quoi nourrir les jours… « Les jours qui s’échouent, avec parfois leur gueule de déchet, sur l’étendue incertaine de nos terrains très très vagues ». Elle a donc publié en 2010, « Nos parcelles de terrain très très vague » aux Ed. Asphodèle dans la très attachante collection Minuscule. A lire et à relire.
Lire la suite ici : http://www.lacauselitteraire.fr/nos-parcelles-de-terrain-...
15:28 Publié dans CG - NOTES DE LECTURES POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0)