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30/11/2015

Lobby Planet Paris : cartographie d’une COP21 sous influence

 

L’Observatoire des multinationales publie conjointement avec plusieurs partenaires français et européens Lobby Planet Paris COP21, un guide des lobbies économiques qui tentent d’influencer la Conférence climat.

Le gouvernement français a décidé d’entraver la mobilisation de la société civile en vue de la Conférence climat en interdisant les manifestations sur la voie publique. Mais les multinationales et les lobbies économiques, elles, pourront continuer à s’en donner à cœur joie. Leur influence n’a cessé de s’accroître dans les discussions internationales sur le climat au fil des années, et la COP21 ne fera pas, loin de là, exception à la règle. Le secteur privé y sera omniprésent, au Bourget et Paris, dans l’enceinte même des négociations, dans ses coulisses, et à travers de multiples événements en dehors. Dans le contexte sécuritaire créé par les attentats qui ont frappé Paris, cette influence pourra s’exercer sans véritable contrepoids de la société civile.

Pour permettre aux citoyens, aux journalistes et aux militants de mieux s’y retrouver dans cette grande foire d’influence et de défense des intérêts économiques établis, l’Observatoire des multinationales, conjointement avec l’Aitec, Attac France, le Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute, publie un « Lobby Planet Paris spécial COP21 » (à télécharger ici) : un petit guide de l’influence des « criminels du climat » et de leurs lobbies dans le cadre de la COP. Organisé par thème, assorti de cartes pointant les principaux lieux d’influence autour de la Conférence, cet ouvrage présente les grandes entreprises, les institutions financières, les organisations internationales et les associations professionnelles mobilisés pour promouvoir le point de vue des milieux économiques sur le climat.

Qu’attendent les entreprises et que redoutent-elles de la COP ? Pourquoi le gaz, de plus en plus promu par les géants des énergies fossiles comme une « solution », n’est pas moins problématique que de brûler du charbon ? Pourquoi la société civile dénonce-t-elle les « fausses solutions » promues par les entreprises ? En quoi un « prix mondial du carbone », basé sur les fonctionnements du marché, et revendiqué par les milieux économiques, ne suffira-t-il pas à répondre à la crise climatique ? Pourquoi les sponsors de la COP21 sont-ils problématiques ? Quels sont les liens entre l’enjeu climatique et les projets actuels d’accords de libre-échange ? Comment les lobbies essaient-ils concrètement de peser sur la Conférence ? Telles sont quelques-unes des questions abordées dans ce petit ouvrage de 36 pages.

La COP des multinationales

Le gouvernement français affiche depuis plusieurs mois son intention de faire de la COP21 la « COP des solutions ». Elle sera surtout la « COP » des multinationales. Cette année, la plupart des grandes entreprises, y compris dans le secteur de l’énergie, affiche une attitude plus positive à l’égard de l’enjeu climatique, loin de leur image passée de réticence – voire de résistance – face à l’urgence de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

Ces firmes ont-elles réellement changé, ou continuent-elles au fond à défendre les mêmes positions, sous un léger vernis vert ? Une autre publication du Corporate Europe Observatory (également partie prenante du Lobby Planet) détaille les ingrédients de la « mauvaise cuisine climatique » que les multinationales concoctent pour la COP : une recette cuisinée à base de croissance économique et de compétitivité à tout prix, d’une bonne dose de gaz présenté comme une « énergie propre », d’un zeste de marché avec le « prix mondial du carbone » comme solution miracle, et servie en compagnie de « fausses solutions » technologiques plus ou moins hypothétiques. Un plat finalement très allégé en véritable transition énergétique, repoussé aux calendes grecques.

Le gouvernement français et les organisations internationales sont en tout cas prêt à y goûter. Cela se vérifie dans le choix de leurs convives : faire appel aux entreprises pour sponsoriser la COP21, y compris des firmes impliquées dans des activités très polluantes comme le charbon. Cela se vérifie dans le choix d’accueillir au Bourget, juste à côté du lieu des négociations, un espace commercial destiné à permettre aux entreprises de présenter leurs « solutions ». Cela se vérifie aussi dans le nombre d’événements dédiés aux entreprises ou aux « collaborations » entre public et privé organisés en marge de la COP, comme le salon Solutions COP21 (lire notre enquête).

Les multinationales occuperont aussi une place de choix dans l’« agenda des solutions » que le gouvernement français propose d’annexer à un futur accord international conclu à Paris. Or cet agenda des solutions n’inclut aucun garde-fou ni aucun critère sur ce qui constitue véritablement une « solution » pour le climat : toutes les entreprises, même les plus polluantes, peuvent y inscrire leurs initiatives, même les plus modestes ou les plus controversée. Après y avoir découvert avec effarement la présence de Total et d’autres majors pétrolières, ainsi que des projets d’« agriculture climato-intelligente », les ONG ont écrit à François Hollande pour lui demander leur exclusion de l’« agenda des solutions » [1]. Sans succès.

Lobby tours

Parallèlement à la publication du « lobby planet », des « lobby tours » seront également organisés : promenades commentées à La Défense ou dans le VIIIe arrondissement sur les traces des entreprises, cabinets de lobbying, associations professionnelles et organisations internationales qui placent leurs intérêts privés au dessus de l’avenir climatique.

Deux lobby tours sont proposés le 30 novembre et le 7 décembre à 11h30. Le jeudi 3 décembre à 11h30 aura lieu un « lobby tour » spécialement dédié aux entreprises nominées au « prix Pinocchio du climat », dont les résultats seront annoncés le même soir.

Les inscriptions pour ces lobby tours (durée : environ une heure et demie) se sont par courriel à l’adresse cop.lobbytours@corporateeurope.org.

- À lire : Lobby Planet Paris, Spécial COP21. Criminels du climat et marchandisation de la COP21 (français, pdf). Version anglaise ici.

[1Lire le compte-rendu du Monde.

 

Source : http://multinationales.org/Lobby-Planet-Paris-cartographie-d-une-COP21-sous-influence

 

 

29/11/2015

UN DÉTOURNEMENT MASSIF DE LA PUBLICITÉ DANS PARIS DÉNONCE LA MAINMISE DES NÉGOCIATIONS SUR LE CLIMAT PAR LES MULTINATIONALES"

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Plus de 600 œuvres d'art dénonçant la mainmise des multinationales sur les négociations climatiques durant la COP 21, ont été installées hier dans des espaces publicitaires parisiens, en amont du Sommet des Nations Unies qui démarre ce lundi.

Malgré l'état d'urgence interdisant tout rassemblement, suite aux attentats du 13 novembre à Paris,le projet Brandalism néologisme né de la fusion entre « Brand » (« marque » en français) et « vandalisme »), mené avec des activistes parisiens, a permis de placer dans toute la ville des centaines d'œuvres d'art non autorisées. Ces affiches soulignent les liens entre la publicité, le consumérisme, la dépendance aux énergies fossiles et le changement climatique.

Les œuvres d'art ont été placées dans des espaces publicitaires appartenant à JCDecaux - une des plus grandes entreprises de publicité en extérieur et sponsor officiel des négociations de la COP 21.

D'autres éminents sponsors des négociations climatiques tels qu'Air France, Engie (ex-GDF Suez) et Dow Chemicals sont parodiés dans les affiches, ainsi que des chefs d'Etat tels que François Hollande, David Cameron, Barack Obama, Angela Merkel et Shinzo Abi.

Les œuvres d'art ont été réalisées par 80 artistes renommés, originaires de 19 pays à travers le monde. On retrouve notamment les parisiens Alex One, Arnaud Liard, Millo and ZAD, Eube, Automedia, AntiCOP21.org, Anti ainsi que d'autres artistes de renommée internationale tels que Neta Harari, Jimmy Cauty, Paul Insect (collaborateur de Banksy), Escif ou Kennard Phillips - nombre d'entre eux ayant été représentés à Dismaland, l'exposition de Banksy en Angleterre cet été.

Joe Elan de Brandalism explique : « En sponsorisant les négociations climatiques, des pollueurs importants tels qu'Air France et Engie peuvent faire leur promotion comme s'ils faisaient partie de la solution, alors qu'ils font en fait partie du problème ».

Un des artistes ayant pris part au projet déclare : « Nous reprenons possession des espaces publicitaires car nous voulons dénoncer le rôle que la publicité joue en faisant la promotion d'un consumérisme insoutenable. L'industrie publicitaire nourrit nos désirs pour des produits qui reposent sur l'exploitation des énergies fossiles et qui ont un impact direct sur le changement climatique. De même que pour les négociations climatiques et les évènements parallèles sponsorisés par les grandes entreprises, la publicité en extérieur permet aux plus riches de s'assurer que leur voix soit entendue au-delà de toutes les autres ». Les œuvres d'arts ont été installées durant le « Vendredi noir » (« Black Friday »), le jour annuel de frénésie consumériste.

D'autres affichent appellent les gens à prendre la rue dans le cadre des « Climate Games », le plus grand jeu mondial de désobéissance civile [4], et à dénoncer la conférence « Solutions 21 » - une exposition des grandes entreprises qui se tient au Grand Palais durant les négociations climatiques.

Bill Posters de Brandalism indique : « Suite aux évènements tragiques du 13 novembre à Paris, le gouvernement a choisi d'interdire les mobilisations de la société civile, mais les évènements des grandes entreprises sont maintenus ». Les multinationales responsables du changement climatique peuvent continuer à faire du « greenwashing » autour de leur modèle économique destructeur, mais les communautés directement impactées par leurs activités sont réduites au silence. Il est maintenant plus important que jamais de dénoncer leurs mensonges et de mettre en lumière les enjeux de pouvoir derrière les négociations. Nous appelons à prendre la rue durant la COP 21 et à s'opposer à l'industrie des énergies fossiles. Nous ne pouvons pas laisser les négociations climatiques entre les seules mains des politiciens et des lobbyistes des grandes entreprises, qui sont les premiers responsables
du désordre actuel.

FIN.

 

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Rappel : Naomi Klein : «Il faut être fou pour croire aux conférences climat»

 

Par Christian Losson , Isabelle Hanne et Coralie Schaub — 8 avril 2015 à 19:46

 

La journaliste canadienne Naomi Klein sort un nouveau livre où elle appelle à un sursaut citoyen pour combattre le réchauffement en bâtissant une société plus juste.

De passage à Paris pour la sortie de son dernier livre, Tout peut changer (1), l’altermondialiste canadienne Naomi Klein enchaîne conférences et entretiens pour appeler à la convergence des mouvements anti-austérité avec ceux pour la défense du climat.

Quand avez-vous pris conscience de l’ampleur de la crise climatique ?

Je n’ai jamais nié le changement climatique. Mais je ne l’ai vraiment regardé en face qu’à partir de 2009, après avoir rencontré Angélica Navarro, une ambassadrice bolivienne. Elle comparait la question de la dette climatique [des pays du Nord, qui ont une responsabilité historique vis-à-vis de ceux du Sud, ndlr] aux réparations pour l’esclavage. Mais ce livre découle aussi du précédent, la Stratégie du choc, dans lequel je parlais de l’ouragan Katrina qui a ravagé La Nouvelle-Orléans en 2005. Katrina était un aperçu du futur que nous sommes en train de créer. De plus en plus de désastres, auxquels nous répondons avec de plus en plus de brutalité, d’inégalités, de militarisation. Cette frénésie de privatisations - des écoles ou de la police -, ces mercenaires qui sillonnaient les rues… C’était de la science-fiction.

Croyez-vous encore aux négociations de l’ONU pour répondre au défi climatique ?

Il faut être fou pour croire au processus onusien : depuis vingt-cinq ans qu’on essaye de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, celles-ci ont grimpé de 60% ! Je ne dis pas que c’est un processus inutile, ni qu’il faut l’abandonner. Mais y croire aveuglément et le laisser suivre son cours, seul, serait pure folie. Car le bilan, jusqu’ici, est consternant. Sans une pression immense, cela ne va pas s’améliorer. Le niveau de réduction d’émissions que les gouvernements mettent sur la table en vue de la conférence de Paris est totalement insuffisant pour maintenir la hausse des températures mondiales en dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

Vous n’attendez pas grand-chose, donc, de cette conférence de Paris ?

Je n’attends certainement pas un miracle. En 2009, la grosse erreur a été d’avoir des attentes disproportionnées. Cela a causé une vraie gueule de bois après l’échec du sommet. Un psychanalyste britannique a même parlé de «syndrome de Copenhague» pour décrire la profonde dépression dont a souffert toute une génération de militants convaincus que c’était leur dernière chance de sauver le monde. A Copenhague, ils étaient bien trop dans la supplication, sur l’air de «Obama, Merkel, sauvez-nous !» Il n’y aura pas de ça à Paris, et c’est une bonne chose.

Par contre, il y aura des actions de désobéissance civile, créatives et pacifiques, qui pourraient perturber ce processus inefficace. Les COP sont de plus en plus infiltrées par les entreprises. A Copenhague, je pensais naïvement qu’il y aurait des réunions sur la façon de parvenir à 100% d’énergies renouvelables, par exemple. Mais je n’ai eu droit qu’à un jargon incompréhensible. Et des sessions organisées par Exxon ou Shell, comme si c’était normal. Quand l’Organisation mondiale de la santé débattait de la régulation du tabac, l’industrie n’a pas eu le droit d’y mettre les pieds, car il y avait conflit d’intérêts. Pourquoi on ne le comprend pas dans ce cas-ci ?

Les citoyens doivent-ils se soulever ? Vous dites dans Tout peut changer que cette crise peut devenir une «occasion historique», un «catalyseur» pour bâtir une société meilleure.

Dans les huit prochains mois, on va énormément parler du changement climatique. Ça, c’est une opportunité. Les gens diront : «Ah oui, cette chose dont on a arrêté de parler après l’effondrement des banques ?» Je crois en la convergence des forces. Avec, d’un côté, une nouvelle vague d’activisme sur le climat, notamment autour du désinvestissement des énergies fossiles - regardez l’énorme campagne du Guardian, [qui a lancé une pétition en ce sens, ndlr] ! Et, de l’autre, les forces anti-austérité qui connaissent un nouvel élan, comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne. Mon espoir, c’est que ces mouvements se rassemblent et indiquent un chemin pour sortir de la crise économique qui soit aussi une réponse au changement climatique. Comment créer des millions d’emplois, démocratiser l’accès à l’énergie et aux transports publics, repenser la ville, le travail ? Comment bâtir une économie plus juste en tenant compte des limites de la planète ?

Pour l’instant, ces luttes ne convergent pas…

En France, vous avez des groupes, comme Attac, qui font depuis longtemps le lien entre la logique de l’austérité et l’urgence de la crise climatique. Mais c’est vrai qu’en général, ce lien est oublié. Pablo Iglesias, le leader de Podemos, que je respecte pourtant beaucoup, a par exemple dit que les gens se soucient plus de pouvoir mettre à manger sur la table que du changement climatique. Comme si c’était dissocié ! La tâche du mouvement pour la justice climatique est d’expliquer que le climat est lié à ces sujets du quotidien. Sinon, on n’y arrivera jamais. Car en face, un petit groupe d’intérêts - les entreprises des énergies fossiles et leurs investisseurs - est immensément motivé pour bloquer tout type d’action, parce qu’il a des milliards de dollars à perdre si nous laissons le carbone dans le sol. Très exactement 27 000 milliards de dollars, plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni, selon une recherche du groupe londonien Carbon Tracker Initiative menée en 2011.

Le secteur privé n’a aucun rôle à jouer dans la lutte contre le changement climatique ?

Bien sûr que si. Je ne dis pas qu’aucune entreprise ne peut aider, c’est une interprétation erronée de ma thèse. Je pense aussi que les incitations de marché peuvent jouer un rôle, par exemple pour encourager une transition vers les énergies renouvelables. Je crois en l’instauration d’une taxe carbone, à condition que cela soit progressif. Mais cela ne suffira pas. Le climatologue Kevin Anderson dit qu’aller moins vite sur la mauvaise route, ce n’est pas du tout pareil que prendre la bonne route. Ma critique est structurelle : le système actuel encourage la croissance économique à court terme, qui est incompatible avec les limites de la planète. Comment concilier une baisse de 8 à 10% par an des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés [nécessaire pour espérer respecter l’objectif des 2°C, ndlr] avec un tel système ? Aucun économiste ne vous dira que c’est possible.

Des ONG craignent une récupération par les multinationales, via des «fausses solutions», comme l’agriculture climato-intelligente…

Il y aura beaucoup de cela pendant la COP de Paris. C’est pourquoi il est crucial d’expliquer très clairement quelles sont les solutions justes, équitables. Lors du sommet de New York, en septembre, je me suis rendue au forum du secteur privé. L’ONU était si fière de la présence de tant de PDG. Il y avait une sorte de «Téléthon pour la Terre», les patrons avaient une minute pour dire ce qu’ils font pour sauver le monde. Y compris celui d’une compagnie pétrolière saoudienne ! En France, où vous avez de si puissants groupes dans l’eau, l’agrobusiness ou le nucléaire, vous aurez droit à un festival de fausses solutions.

Avez-vous été surprise par le succès de la marche mondiale pour le climat, qui a réuni 400 000 personnes lors du sommet de New York, en septembre ?

Je suis membre de l’ONG 350.org qui a coorganisé cette marche, et nous avons été soufflés ! Les manifestants venaient de tous horizons, y compris socialement. Mais j’espère que la prochaine fois, les ONG mettront en avant les gens déjà directement affectés par le changement climatique.

Que pensez-vous de l’ampleur du mouvement de désinvestissement des énergies fossiles ?

C’est incroyable. C’est aussi un mouvement initié par 350.org, à partir d’une conversation que j’ai eue avec l’auteur et militant Bill McKibben au sujet de la recherche pionnière du Carbon Tracker Initiative, dont je vous ai déjà parlé. Elle avertissait les investisseurs que la prochaine bulle, après celle des subprimes, sera celle du carbone. Car si l’on mettait en œuvre les mesures nécessaires au respect de l’objectif des 2°C, environ 80% des réserves revendiquées par les acteurs du charbon, du gaz et du pétrole dans le monde devraient être laissées sous terre. On ne peut pas brûler tout ce carbone. Le problème, c’est que les entreprises savent que quand nos gouvernants ont fixé cet objectif de 2°C, ce n’était pas contraignant. C’est comme cela qu’est née l’idée du désinvestissement. Certains groupes d’étudiants avaient déjà lancé des campagnes, visant les entreprises dans lesquelles leurs universités investissent. Mais il n’existait pas de stratégie ciblant l’ensemble du secteur des fossiles. Pourquoi personne ne l’avait suggéré avant ? C’est si évident ! Dès que nous avons ouvert le champ de bataille, les gens s’y sont rués. Qu’est-ce qui retenait cette énergie, avant ? C’est pour cela que j’ai tant écrit dans le livre sur la relation entre certaines grandes ONG et les compagnies des énergies fossiles.

Dans une tribune, vous avez demandé à la maire de Paris, Anne Hidalgo, de désinvestir. Avez-vous obtenu une réponse ?

Je crois avoir lu qu’elle y réfléchissait. Certaines villes ont déjà commencé à désinvestir, mais aucune capitale pour l’instant. Ce qui m’intéresse avec le désinvestissement, c’est que ça enclenche un processus qui délégitime moralement les profits issus des énergies fossiles. C’est un premier pas, permettant de diminuer l’emprise que ce secteur exerce sur notre système politique. Pour, in fine, améliorer les politiques publiques. C’est ce qui s’est passé avec l’industrie du tabac. Elle a dû accepter des tas de réglementations. Il y a dix ans, ce café aurait été enfumé !

Votre propos est très optimiste…

Quelle est l’alternative ? Les gens sont tentés de baisser les bras. Ils disent qu’il n’y a aucun progrès possible tant que nous vivons dans des «démocraties fossiles». Aux Etats-Unis, les frères Koch, qui financent le Tea Party, tirent leur fortune du pétrole… Certains parlent de prodiguer des soins palliatifs à la planète et de tout abandonner. La plupart du temps, ce sont des intellectuels des pays du Nord, privilégiés, qui pensent que tout ira bien pour eux quand ils regarderont le monde brûler depuis leur campagne anglaise. Mais j’ai appelé ce livre Tout peut changer parce qu’à partir du moment où vous vous engagez sérieusement sur le climat, ça a un effet domino. C’est excitant, car ça rassemble tous les sujets. Et c’est un combat pour la démocratie, la vraie.

(1) Editions Actes Sud, 640 pp., 24,80 €.

 

Source : http://www.liberation.fr/futurs/2015/04/08/il-faut-etre-fou-pour-croire-aux-conferences-climat_1237274

 

 

 

 

 

 

 

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Vient de paraître Dévore l'attente de Laurent Bouisset aux éditions du Citron Gare.

 

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Il s'agit d'un recueil de poèmes écrits entre 2004 et 2015 et brillamment illustrés par l'artiste mexicaine Anabel Serna Montoya.

Sur la quatrième de couverture, c'est écrit ça :

2004-2015, onze ans d'écriture, dix villes... ce premier recueil de Laurent Bouisset aime foutre le camp ! Chercheur d'or, pas vraiment... chercheur de doutes surtout ! Les vers au port rêvent de tempête. Les pages au fond de la jungle se déchirent. Au Mexique, nous voilà ! En Guyane, au Guatemala ou en Bosnie ! Le lecteur se retrouve en short, à faire la passe aux tigres, sur un playground bouillonnant de banlieue. Dévore l'attente... Dévore-la vite, avant qu'elle se régale de toi ! Dévore-la foutrement comme un jaguar ou même... une poule ! Mais d'ailleurs, oui, c'est vrai... l'attente de quoi ? Les réponse hasardées sont pas d'accord... et c'est très bien ! Au fil des rues, des peaux, des visages rencontrés... un funk brut ! Un Coltrane tournoyant oppose à l'ennui des images ! Folie de signes et sons jetés très vifs. Semis de douceur et coups de pied. Le livre entier s'unit pour le rappeler – le hurler même ! voire le rapper ! – à quel point le cancer le pire a pour nom : la torpeur.

Vous trouverez un peu plus de renseignements ici :

http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/2015/11/devore-la...

 

 

27/11/2015

L'Étreinte du serpent de Ciro Guerra (sortie le 23 décembre 2015)

 

http://diaphana.fr/film/el-abrazo-de-la-serpiente

 

Démocratie

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Moi, père d'une victime, je n'irai pas aux Invalides

Journaliste, écrivain, auteur de documentaires

Publication: Mis à jour:

 

 

Ma fille est morte au Bataclan le 13 Novembre, elle avait 17 ans.

Je n'irai pas à l'hommage qui sera rendu aux victimes à 10h30 aux Invalides parce que je considère que l'État et ses derniers dirigeants en date portent une lourde responsabilité dans ce qui s'est passé.

Une politique désastreuse a été menée par la France au Moyen-Orient depuis plusieurs années. Nicolas Sarkozy a largement contribué à la chute du régime de Khadafi en envoyant l'armée française combattre en Libye, en violation des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU qui interdisaient toute intervention au sol. Or, plusieurs sources affirmaient à l'époque que les Forces Spéciales étaient « en apesanteur » et avaient œuvré sur le terrain. La Libye n'était pas ennemie de la France, Nicolas Sarkozy avait reçu Khadafi avec les honneurs d'un chef d'État, et ce pays est devenu depuis un cauchemar chaotique où circulent librement armes et combattants.

François Hollande et Laurent Fabius se sont ensuite acharnés contre Bachar El Assad, poussant inlassablement les puissances occidentales à intervenir militairement pour renverser le régime syrien, alors que celui ci n'était pas l'ennemi de la France. Les frappes prévues furent annulées in extremis lorsque Barack Obama refusa d'engager les États-Unis dans cette aventure.

Cette ingérence de la France dans les affaires intérieures de pays souverains a été menée avec l'argument selon lequel les dirigeants syriens et libyens massacraient leur peuple. Certes. Comme Saddam Hussein et Muammar Khadafi, Bachar el Assad est un dictateur sinistre de la pire espèce. Mais il n'est pas plus exécrable que ceux actuellement au pouvoir au Qatar et en Arabie Saoudite, avec lesquels la France entretient d'excellentes relations diplomatiques et commerciales, et qui ont financé Daesh.

Cette érosion de la compétence politique est dramatique pour notre pays. Les derniers présidents ont agi avec une légèreté inconcevable, portés par des vues à court terme. Mais cet aspect n'est pas le seul en matière de responsabilité du monde politique.

Depuis plusieurs décennies, la République a laissé se développer des zones de désespoir, que le philosophe Jean-Paul Dollé nommait avec la justesse qui le caractérisait: "Le territoire du rien". Un urbanisme inhumain, sans lieux de loisirs, de culture, sans écoles dotées de moyens à la hauteur de l'enjeu, au sein duquel aucun sentiment humaniste et citoyen ne peut éclore. "Cités Dortoirs", "Quartiers sensibles", les termes ont évolué mais le problème demeure et le personnel politique l'a toujours traité avec indifférence. Raymond Barre promit "d'enrayer la dégradation physique et sociale des grands ensembles". Bernard Tapie fut ministre de la ville, Nicolas Sarkozy annonça un plan Marshall des banlieues et nomma Fadela Amara Secrétaire d'État chargée de la politique de la ville. Patrick Kanner l'est aujourd'hui et perpétue quarante ans d'échec.

Le divorce entre les français et leurs dirigeants est accompli, le contrat social est rompu, le gouffre entre le peuple et les élites est béant. Les atteintes importantes aux libertés publiques, votées avec empressement par l'Assemblée Nationale, ne régleront rien. L'extrême droite pourra toujours surenchérir et les assassins franchir les frontières.

La France est incapable de proposer un avenir à sa jeunesse, l'Europe est incapable de dépasser son actuel enlisement dans le libéralisme. Nos élus sont incapables de proposer une vision politique. Nos intellectuels, à de rares exceptions près, sont incapables de sortir de leur lucratif état d'histrions médiatiques. Je suis atterré par mon pays dévasté et je suis dévasté par la mort de ma fille.

 

Source : http://www.huffingtonpost.fr/eric-ouzounian/moi-pere-dune-victime-je-nirai-pas-aux-invalides_b_8653672.html

 

 

 

 

Kaboul : des milliers dans la rue contre les Taliban et Daesh

Des milliers de personnes, la plupart des membres de la communauté chiite hazara, une minorité d'Afghanistan, se sont rassemblés mardi 10 novembre pour manifester à Kaboul après la décapitation de sept membres de leur communauté.

 

 

 

 

 

Ces 28 banques systémiques en situation de créer un cataclysme financier mondial

François Morin et Olivier Berruyer tirent la sonnette d'alarme à propos de cet oligopole constitué de 28 banques systémiques "en situation de mettre en faillite l'ensemble du système financier mondial"

 

 

François Morin : l’oligopole bancaire, une « hydre mondiale » (Mediapart, le 15 juillet 2015)

 

 

« 28 banques gouvernent le monde », accuse François Morin. Revenant sur le pouvoir de cet oligopole mondial, l’économiste propose d’abattre cette hydre et de redonner le pouvoir de la monnaie aux États. (voir la liste de ces banques systémiques - pour la France : BNP Paribas, Crédit Agricole, Banque Populaire CE et Société Générale)

 

28 banques définies par le G20 à Cannes en 2011 comme étant systémiques, c’est-à-dire ayant la possibilité si elles font faillite de créer un krach mondial, pas simplement financier mais aussi économique. Ces banques sont de taille tout à fait gigantesque. (...) Le total des bilans de toutes ces banques est équivalent au total de la dette publique mondiale.
Donc des Etats faibles, endettés, face à une force phénoménale...
 
Il s’agir d’un oligopole qui occupe des positions dominantes sur les plus grands marchés de la finance globalisée ; par exemple ils occupent des positions dominantes sur le marché des changes (5 d’entre eux détiennent 51% des transactions sur le marché des changes), mais aussi sur les marchés obligataires, sur les marchés interbancaires, sur les marchés des produits dérivés... on retrouve toujours ces 28 banques dans des positions extrèmement dominantes sur ces marchés.
 
Ces banques dominent ces marchés mais aussi s’entendent entre elles, ont des comportement collusifs de façon régulière. C’est pour ça que cet oligopole est devenu aujourd’hui extrèmement dangereux pour la planète.
 
Manipulations en bande organisée sur des grands marchés (libor, marché des changes et bien d’autres).
 
Les amendes récentes ne dissuadent pas ce comportement collusif.
 
Les Etats sont otages du système financier.
 
Ces grandes banques ont été à l’origine de la crise financière de 2008...
Tous ces prêts toxiques se sont transformés en dette publique...
 
On a des politiques restrictives parce que les Etats ne maîtrisent pas leur monnaie, ne sont plus souverains en matière monétaire.
Les régulateurs financiers ont imposé aux banques des mesures presque superficielles. On a demandé aux banques de relever légèrement leurs capitaux propres (...) mais ce relèvement a été tout à fait minime...
 
On n’a pas cherché avec des lois de séparation à isoler leurs activités financières des activités de crédit. Fondamentalement ces logiques financières sont dangereuses à cause de l’énormité de ces produits financiers particuliers qu’on appelle des produits dérivés, qui ont été à l’origine de la précédente crise...
 
Toutes les conditions sont réunies pour qu’on ait un prochain cataclysme financier, qui peut survenir soit à travers le défaut d’un Etat, soit à travers le défaut d’une grande banque systémique, soit aussi avec des phénomènes de bankrun...
 
On a libéralisé de très grands marchés financiers, de très grands marchés monétaires, on a libéralisé les taux de changes, on a libéralisé les marchés de taux d’intérêts (...), ça a créé cette immense industrie de produits dérivés (hautement spéculatifs) qui aujourd’hui crée de l’instabilité permanente dans le système... En plus les Etats se sont déssaisis de la création monétaire (...) Ils se sont démunis complètement et on a créé à la place cet oligopole qui est aux manettes avec les banques centrales pour gérer ce processus. 
 
Il faut que les Etats se mettent d’accord sur un nouveau système monétaire international, où ils reprennent la main sur la création monétaire, mais dans un cadre international, pas seulement européen... Un nouveau Bretton-Woods...

 

 

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François Morin : "28 banques ont la capacité de déstabiliser le système monétaire et financier... (France 24, le 30 juillet 2015)

 

 

À l’heure où les États s’interrogent sur leur endettement et sur les risques d’une nouvelle crise bancaire, Caroline de Camaret reçoit François Morin l’auteur de "L’hydre mondiale" (Ed. Lux).


Économiste et professeur émérite de sciences économiques à l’Université Toulouse, François Morin connaît le système bancaire de l’intérieur, en tant qu’ancien membre du Conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique.
Dans son ouvrage, l’économiste accuse 28 banques de "gouverner le monde" et d’avoir "la capacité de déstabiliser le système monétaire et financier mondial".

Visitez notre site :
http://www.france24.com

 

 

Un bilan total de 50 000 milliards de dollars pour ces banques systémiques...

Les Etats sont dans une situation beaucoup plus difficile qu’en 2007-2008...

Il faut revenir aux causes de la crise financière.

 

 

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Des banques (systémiques) en situation de mettre en faillite l’ensemble du système financier mondial (BFM business, le 5 novembre 2014)

 

 

Le 5 novembre, Olivier Berruyer s’est penché sur la notion de banques systémiques dans Les Experts présenté par Nicolas Doze, sur BFM Business.

 

La banque française la plus exposée sur les marchés dérivés, c’est BNP. Elle a 1800 milliards de bilan ; elle a 70 milliards de fonds propres... Une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ? Il faut diminuer le risque, il faut empêcher le risque...

 

 

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Le 24 novembre 2014, Olivier Berruyer : Les banques centrales prennent des risques de plus en plus sidérants

 

 

"quand vous allez voir un reset des marchés financiers historique... L’Armaggedon... C’est comme ça que ça se passe depuis 2 ou 3 siècles..."

 

Source : Agoravox

 

 

 

Le ministre de l’Intérieur perd ses nerfs, confond et assimile le mouvement associatif au terrorisme

Communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme


Après avoir interdit les manifestations citoyennes autour de la COP21, voici que le ministre de l’Intérieur assigne à résidence M. Joël Domenjoud, en charge de la « legal team » de la coalition au motif qu’il ferait partie de l’ultra-gauche parisienne qui veut remettre en cause la tenue de la COP. M. Domenjoud est tenu de pointer trois fois par jour au commissariat.

Si l’on avait besoin d’une confirmation que l’état d’urgence est un danger pour les libertés publiques, cette mesure en attesterait tant elle révèle que la lutte contre le terrorisme n’est ici qu’un prétexte pour interdire toute voix dissonante.

Comme nous l’avions craint, l’état d’urgence s’accompagne de mesures de plus en plus arbitraires.

D’ores et déjà nous demandons la levée immédiate de l’assignation à résidence de M. Joël Domenjoud.

 

Paris, le 26 novembre 2015

 

 

Voir aussi l'article dans Libé : http://www.liberation.fr/france/2015/11/26/cop21-un-militant-de-la-coalition-climat-assigne-a-residence_1416493

 

 

 

 

26/11/2015

Dordogne : Perquisition administrative chez des maraîchers bio : « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? »

 

Etat d’urgence

par Camille Polloni


Le 24 novembre, le préfet de Dordogne a ordonné la perquisition d’une ferme du Périgord vert. À la recherche de « personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste », les gendarmes ont fait chou blanc. Sur les 1 233 perquisitions administratives menées en France, les abus commencent à s’accumuler.


La ferme d’Elodie et Julien, à mi-chemin entre Périgueux et Angoulême, figure dans une plaquette de l’office de tourisme au chapitre « vente directe de fruits et légumes ». Il faut croire qu’on la trouve aussi dans les petits papiers du préfet de Dordogne. Mardi matin à 7 h 20, depuis sa chambre avec vue sur l’arrière de la maison, un ami hébergé par le couple entend des claquements de portières et aperçoit la lumière de lampes torches. C’est une perquisition administrative. « Quand on est descendus, les gendarmes étaient déjà dans la cuisine », raconte Elodie, 36 ans. Elle ne sait pas si l’ami « a ouvert ou s’ils sont entrés tout seuls », de toute façon « la porte était ouverte ». Devant elle et son compagnon Julien, 34 ans, s’alignent « une dizaine » de gendarmes de Nontron, Ribérac et Verteillac.

Comme les maraîchers bio demandent des explications, les forces de l’ordre invoquent l’état d’urgence et leur montrent un ordre de perquisition signé par le préfet Christophe Bay (voir ci-dessous). Selon ce papier, faisant référence aux attentats du 13 novembre et à « la gravité de la menace terroriste sur le territoire national », « il existe des raisons sérieuses de penser » que, chez eux, « peuvent se trouver des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ». « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? », plaisante Elodie après coup. Installés depuis trois ans et demi en Dordogne, Julien et sa compagne ont une fille de deux ans, vendent des légumes de saison à Biocoop et le samedi au marché.

« Le G8, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ? »

Pendant deux heures quarante, les gendarmes fouillent chaque pièce en regardant « dans les placards, les coffres, la bibliothèque, les recoins, les boîtes », détaille Elodie. Ils semblent « très intéressés par les petits carnets, les coupures de presse. Les livres, moins. » Et demandent quelle surface fait la ferme, s’il y a des appentis. L’un d’eux prend les choses particulièrement au sérieux. « Il nous dit : “le G8, les sommets européens, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ?”, et mentionne aussi la COP 21. Visiblement, la perquisition a un rapport avec nos activités militantes. »



Cette impression se confirme lorsque les gendarmes évoquent enfin «  un truc tangible », une action à laquelle Elodie et Julien ont participé il y a trois ans contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : le blocage du péage autoroutier de Mussidan. « Je ne pense pas avoir fait une seule manif depuis », résume la maraîchère. «  La petite a deux ans. Je ne veux pas jouer la Sainte Nitouche, mais manifestation ou pas, qu’est-ce qui justifie ça ? » Le gendarme zélé explique aux habitants de la ferme « qu’avec l’état d’urgence, tout rassemblement est interdit, et qu’organiser une manifestation est illégal ». Elodie demande : « Si vous trouvez un papier disant que j’organise une manifestation, vous m’arrêtez ? » La réponse est oui. Mais ils ne trouvent rien de tel.

Les ordinateurs de la maison sont raccordés « à un appareil qui ressemblait à un disque dur externe, apparemment pour en copier le contenu », sans même avoir besoin de demander les mots de passe. « Il y a un ordi sous Ubuntu [un logiciel libre, ndlr] , et, là, ça n’a pas marché. » « Ils ont aussi branché les téléphones portables à une machine, en expliquant que le logiciel se déclenchait en fonction de mots-clés. » Un gendarme s’autorise une petite impertinence : « Je suis pas sûr que ça marche avec le péage de Mussidan. »

« Ils nous parlent d’extrême gauche et sous-entendent qu’on est islamistes ? »

Lorsqu’ils tombent sur des autocollants de la CNT, les gendarmes demandent de quoi il s’agit. « C’est mon syndicat », répond Elodie, affiliée à la Fédération des travailleurs de la terre et de l’environnement. Pas de questions supplémentaires sur ce point. L’ami hébergé est fouillé sans insistance. Le matériel agricole ne semble pas non plus susciter leur curiosité. La conversation prend un tour plus inquiétant quand les gendarmes voient écrit « Bruxelles » dans un carnet et sur la carte d’identité de Julien, qui a travaillé en Belgique où il a encore des amis. Ils veulent savoir si le couple y va souvent. Ce signe de fébrilité agace Elodie : « On parle de quoi là ? Ils nous parlent d’extrême gauche et d’un coup sous-entendent qu’on est islamistes ? On ne sait pas ce qu’ils cherchent. » Pour seule réponse, les habitants récoltent un « voyez ça avec le préfet, nous on exécute les ordres ».

À 10 heures, après avoir fait signer un compte-rendu de perquisition reconnaissant qu’ils n’ont rien trouvé, les gendarmes repartent comme ils sont venus. Les maraîchers pensent quand même « qu’il faut que ça se sache ». Comme beaucoup de militants, ils craignent les conséquences de l’état d’urgence. « C’est vrai que notre préfet a la réputation d’être un peu rigide. Mais là on s’aperçoit que dès que la loi le permet, des individus se sentent libres de faire ce qu’ils veulent sur leur territoire. Visiblement, la brèche est ouverte. »

1 233 perquisitions, 165 interpellations, 142 gardes à vue, 230 armes saisies

La préfecture, que nous avons contactée, refuse de commenter ce cas particulier. « Nous préparons un communiqué de presse pour la fin de la semaine sur le nombre de perquisitions administratives, mais rien d’autre », nous répond-on. Lundi, un premier bilan départemental avait été rendu public : 26 perquisitions administratives en Dordogne depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, dans la nuit du 13 au 14 novembre. Une arme de collection, détenue illégalement, a été remise aux gendarmes et détruite. Impressionnant bilan pour la Dordogne.

Sur l’ensemble du territoire, on dénombrait mardi 1 233 perquisitions administratives, conduisant à 165 interpellations, dont 142 gardes à vue, et la saisie de 230 armes. Un certain nombre d’abus et de bizarreries sont déjà signalés : citons par exemple une fillette de 6 ans blessée à Nice, un TGV évacué pour un film d’action, un trompettiste retenu sans motif Gare du Nord, un restaurant investi par la police en plein service… Au point que les recensions de ces dérapages ont été systématisées par La Quadrature du Net et remplissent les pages des journaux.

Le ministre de l’Intérieur croit-il désormais ce qu’il lit dans la presse ? Ce mercredi, Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il allait envoyer une circulaire à tous les préfets « pour que ces perquisitions se fassent, même si on est dans un état d’urgence, dans le respect du droit ». C’est sûr que si personne ne prévient les préfets que les droits doivent être respectés…

 

Camille Polloni

Bastamag.net

 

25/11/2015

Tunisie, 13 novembre, Mabrouk Soltani, 16 ans

Vendredi 13 novembre 2015, Mabrouk Soltani  égorgé, au mont Mghilla, à quelques kilomètres de son village, par des terroristes qui l’accusaient d’être un délateur. Son cousin, 14 ans, qui l’accompagnait, assista à la scène et fut chargé de ramener la tête au village, dans un sachet. Le cousin finit par parcourir les kilomètres séparant la montagne du village, pour donner le sachet à la mère de Mabrouk. L’info se propagea. La tête passa la nuit au frigo. Le lendemain, les citoyens du village se chargèrent de chercher le corps. Ils le trouvèrent à quelques kilomètres. Gardé par ses chiens.

Son cousin Nessim témoigne...

"Le même jour où la France pleurait ses morts, la Tunisie qui se réveillait choquée par le massacre perpétré par des terroristes à Paris, apprenait dans la douleur et l'effroi la décapitation, dans la région de Sidi Bouzid, d'un jeune garçon de 16 ans. Terrible est l'histoire de ce crime abject. En témoigne le récit du cousin du défunt.
En écoutant la vidéo, c'est une gifle que l'on se prend. Le discours sonne comme un cruel rappel à la réalité : chez certains, la misère semble être reçue en héritage, la galère pour destin. Persuadés d'être condamnés à ne jamais en sortir, ils prennent leur mal en patience. Mais quand le malheur vient s'ajouter à la misère, alors il n'y a plus de mots pour décrire l'accablement de ces gens, devant l'acharnement du destin. On écoute alors le cri d'un cœur meurtri par la douleur, les lamentations d'un jeune qui aurait voulu s'en sortir, et l'on devine l'ampleur du désespoir... On devine oui. Et l'on se tait, impuissant." Sirine Farhat

 

Pour en savoir plus consulter l'article de Azyz Amami et Ines Tlili publié sur rue89 :

http://rue89.nouvelobs.com/2015/11/23/sidi-bouzid-a-paris-elements-comprendre-terreur-262235

 

 

Islamophobie ou prolophobie ?

Source  : http://www.monde-diplomatique.fr/2015/02/BREVILLE/52625

Au lendemain des assassinats perpétrés à Charlie Hebdo et dans le magasin Hyper Cacher, des élèves ont refusé d’observer la minute de silence en hommage aux victimes. Un des arguments avancés par les récalcitrants touchait aux « deux poids, deux mesures » de la liberté d’expression en France : pourquoi parle-t-on autant de cette tuerie alors que des gens meurent dans l’indifférence au Proche-Orient ? Pourquoi Charlie Hebdo pourrait-il injurier une figure sacrée de l’islam quand Dieudonné se voit interdire de critiquer les juifs ? La question est jugée si cruciale que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, a estimé, le 15 janvier dernier, qu’il était nécessaire de former les enseignants pour y répondre.

A n’en pas douter, la formation proposée reprendra l’argument développé par les principaux médias et partis politiques depuis le début de l’affaire des caricatures : il existe une différence de nature entre des dessins considérés comme blasphématoires par des croyants et des propos antisémites constitutifs d’un délit car portant atteinte à la dignité des personnes. Il est également probable que l’explication ne fera pas taire tous les rebelles. Car le cas de Dieudonné et des caricatures masque un problème plus profond : des éditorialistes et des intellectuels comme Alain Finkielkraut, Eric Zemmour, Philippe Tesson, mais aussi des journaux comme Le Point, L’Express, Valeurs actuelles ou encore Le Figaro, peuvent afficher leur rejet de l’islam, tantôt décrit comme une croyance rétrograde, tantôt comme une « menace pour l’identité de notre pays » — selon les mots d’un sondage commandé par le site Atlantico.fr, dont on peine à imaginer qu’il évoque de la sorte une autre religion. « La popularité de Dieudonné tient au fait que, pour lui, si on peut s’en prendre impunément ou presque aux Noirs, aux Arabes, aux musulmans, en un mot aux “subalternes”, il est quasiment impossible (...) de toucher à un seul cheveu des juifs ou de toucher à Israël, sans être immédiatement taxé d’antisémitisme (1) », estime l’ethnologue Jean-Loup Amselle.

Ce fonctionnement de la liberté d’expression est interprété de diverses manières. Certains le justifient par le génocide juif et un antisémitisme séculaire au sein de la société française, qui obligeraient à rester constamment sur ses gardes. Pour d’autres, il reflète une islamophobie profondément ancrée dans les mentalités, héritée de la période coloniale, qui rend tolérables aux yeux de tous les propos hostiles aux musulmans. Quant à eux, les adeptes des théories du complot voient dans ce déséquilibre le signe de la prétendue mainmise des juifs sur les médias et les organes de pouvoir : en alimentant la haine de l’islam, le « lobby juif » légitimerait les interventions occidentales dans le monde arabe pour, au final, favoriser les desseins d’Israël ou de Washington. Ce type de discours, produit et relayé par les sites d’Alain Soral ou de Thierry Meyssan, rencontre un succès grandissant. Il profite, pour s’implanter dans les esprits, du vide théorique et politique laissé par le reflux des formations progressistes.

Ces interprétations, pour différentes qu’elles soient, reposent sur une même approche ethnoculturelle, qui définit les groupes sociaux selon leurs origines ou leurs religions (les « juifs », les « musulmans », les « Arabes »...). Mais le « deux poids, deux mesures » observé en matière de discours stigmatisants se prête à une tout autre lecture, essentiellement sociale. Les juifs sont implantés en France de très longue date, dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. Beaucoup s’installent entre la fin du XIXe siècle et le début de la seconde guerre mondiale, fuyant les pogroms et la montée du nazisme en Europe centrale et orientale. Ouvriers, artisans ou petits commerçants, les juifs arrivés dans l’entre-deux-guerres vivent souvent dans des quartiers pauvres et délabrés, où ils se heurtent au racisme de leurs voisins français. Comme nombre de réfugiés, ils disposent parfois d’un capital culturel supérieur à la moyenne de leur pays d’origine (un trait également observé parmi les réfugiés afghans, syriens ou africains). Puis une nouvelle vague, issue de la décolonisation de l’Afrique du Nord, se produit après 1945. Au fil des décennies, certains descendants de ces premiers arrivés s’élèvent dans la société, au point d’occuper aujourd’hui des postes de pouvoir, notamment dans les milieux journalistique, politique et universitaire — c’est-à-dire ceux qui produisent, orientent et contrôlent les discours publics.

Les immigrés de culture musulmane, eux, sont plus nombreux à arriver en France après la seconde guerre mondiale, et surtout à partir des années 1960, en provenance du Maghreb puis d’Afrique subsaharienne, parfois recrutés par l’industrie en fonction de critères physiques. Leurs enfants et leurs petits-enfants grandissent dans une société en crise, frappée par un chômage de masse et une précarité croissante dont ils sont les premières victimes et qui amenuisent leurs chances d’ascension sociale. Si certains se hissent au rang des classes moyennes et même supérieures, ils demeurent globalement peu représentés dans les plus hautes sphères (2). Fréquemment attaqués par les médias et les dirigeants politiques, les étrangers et les Français musulmans ont peu d’armes pour se défendre dans l’arène publique, ce qui permet au discours raciste de fonctionner à plein régime. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Roms, groupe le plus dépourvu de ressources pour s’opposer aux discours stigmatisants, font l’objet d’attaques plus rudes encore, depuis M. Jean-Marie Le Pen, qui juge leur « présence odorante et urticante », jusqu’à M. Manuel Valls, selon lequel « les Roms ne peuvent pas s’insérer en France, dans leur majorité » et ont donc « vocation à rentrer chez eux ».

La situation actuelle des juifs et des musulmans fait écho, par certains aspects, à celle des migrants russes et arméniens de l’entre-deux-guerres. Les Russes émigrent en France après les révolutions de 1905 et, surtout, de 1917 ; leur nombre s’élève à soixante-douze mille en 1931. La plupart travaillent dans l’industrie automobile ou comme chauffeurs de taxi, et appartiennent aux catégories populaires. Mais le groupe compte également une élite généralement francophone, souvent issue de la noblesse ou de la bourgeoisie : des peintres, des journalistes, des éditeurs, des écrivains si bien insérés dans le milieu culturel parisien qu’ils impulsent une « mode russe » dans les années 1920. L’ensemble du groupe profite de cette réussite, bénéficiant d’un « traitement de faveur (3) » qui le met à l’abri des brimades frappant d’autres migrants.

Les Arméniens, par exemple. Arrivés en France après le génocide de 1915, ils occupent presque exclusivement des emplois non qualifiés. Quoique peu nombreux (dix-sept mille en 1931), ils sont jugés d’emblée « inassimilables ». « Si les Russes sont loin du peuple français à bien des égards, ils ont en général un niveau culturel qui permet des contacts. Avec les Arméniens, ce contact même est difficile (4) », considère ainsi Georges Mauco, la tête pensante des politiques migratoires pendant les années 1930 et sous le régime de Vichy. Ainsi la condition sociale détermine-t-elle puissamment la perception des migrants comme celle de leurs descendants, par le truchement du bouclier institutionnel qu’elle procure aux uns et dont elle prive les autres. Pourtant, depuis trente ans, cette grille de lecture est de moins en moins mobilisée : on lui préfère une analyse culturelle, qui envisage les problèmes des migrants selon des critères d’origine.

Le tournant intervient entre 1977 et 1984. Pendant les trois décennies précédentes, la thématique de l’immigration est peu présente dans les discours publics. Les médias évoquent les étrangers incidemment, quand ils parlent de logement, d’emploi ou d’économie. Loin de ses positions des années 1930, la droite salue alors l’apport des travailleurs étrangers. Ainsi, après la mort de cinq ouvriers africains asphyxiés dans leur sommeil par les fumées d’un feu mal éteint dans un foyer d’Aubervilliers, Le Figaro explique, sur un ton qu’on ne lui connaît plus : « Qui veille à la santé de ces infortunés transplantés ? Ils balaient les rues lorsque les caniveaux sont gelés, puis ils tentent de triompher de la tuberculose qui les mine ou de l’oxyde de carbone ! Voilà le sort de ces déshérités. Il importe d’y apporter d’urgence un remède (5). »

La situation change avec la crise économique en 1975 et, plus encore, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. En moins de trois ans, la question des « travailleurs immigrés » cède le pas au « problème des Arabes », de la « deuxième génération » et, par ricochet, des musulmans. Des événements qu’on analysait autrefois de manière sociale sont désormais abordés selon un biais ethnique.

En juillet 1981, des jeunes affrontent la police dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise (6). Comme en 1976 et en 1979, mais, à l’époque, la presse locale avait cantonné l’affaire à la rubrique « faits divers ». Passée dans l’opposition, la droite entend cette fois profiter de l’événement pour affaiblir le nouveau gouvernement, qui vient de régulariser cent mille clandestins. Aussi transforme-t-elle ces affrontements en fait de société, témoignant du « problème de l’immigration », alors même qu’on pouvait y voir le résultat de la dégradation physique et sociale des grands ensembles de logements sociaux ou du désœuvrement des jeunes dans un contexte de chômage endémique et de « désouvriérisation » massive. « Dans les quartiers à forte densité maghrébine, la situation devient explosive. Le gouvernement, en supprimant les expulsions d’individus douteux, encourage donc les dévoyés », écrit Le Figaro le 7 juillet 1981. Dès lors, ce que l’historien Gérard Noiriel appelle le « filon national-sécuritaire » sera exploité sans relâche par ce journal, qui dénonce tour à tour les régularisations de sans-papiers ouvrant « en grand la porte de notre pays à l’invasion et à l’aventure » (22 septembre 1981), les « bandes de loubards (...) essentiellement d’origine maghrébine » (5 juillet 1982), ou encore la « loi des immigrés » qui régirait le quartier des Minguettes (22 mars 1983).

Ce discours se teinte d’une coloration religieuse au moment des grèves dans l’industrie automobile — un secteur durement touché par la crise, dans lequel la main-d’œuvre étrangère constitue plus de la moitié des effectifs. Le mouvement commence à l’automne 1981 et atteint son point culminant en 1983-1984. Ce qui n’était au départ qu’un simple conflit du travail, rappelant par certains aspects le mouvement de grève spontané qui naquit de la victoire du Front populaire en 1936, est alors présenté comme un affrontement culturel. Sous prétexte qu’ils demandent, entre autres, l’ouverture de salles de prière dans les usines — une pratique encouragée par le patronat dans les années 1970, qui y voyait un moyen d’assurer la paix sociale (7) —, le gouvernement et la presse accusent les grévistes d’être manipulés par les ayatollahs iraniens. Ces travailleurs « sont agités par des groupes religieux et politiques dont les mobiles ont peu à voir avec les réalités sociales françaises », explique le premier ministre Pierre Mauroy le 11 janvier 1983.

Même son de cloche au Figaro, qui ajoute : « Les plus optimistes comptent sur les facultés d’assimilation des populations étrangères, comme cela s’est produit dans le passé avec les colonies italiennes et portugaises. Mais l’exemple n’est hélas plus valable. L’origine culturelle de la nouvelle immigration constitue un obstacle difficile à surmonter. » Or les Portugais n’ont pas toujours eu aussi bonne presse. Longtemps leurs pratiques religieuses ostensibles et empreintes de superstition leur furent reprochées, au point qu’ils furent décrits, dans l’entre-deux-guerres, comme une « race exotique », plus difficile à intégrer que les Italiens (8). Lesquels furent, auparavant, jugés moins intégrables que les Belges...

Quand elle ne s’aligne pas sur la position de ses adversaires, la gauche des années 1980 répond aux attaques contre l’immigration maghrébine en valorisant la « culture beure », reprenant, de manière inversée, le discours culturaliste de la droite. Libération, qui joue un rôle actif dans cette entreprise, ouvre dès septembre 1982 une rubrique « Beur » qui informe sur les événements artistiques supposés intéresser les membres de cette « communauté ». Puis le quotidien soutient activement la Marche pour l’égalité et contre le racisme, qu’il rebaptise « Marche des beurs » et dont il détourne le sens, et accompagne la création de SOS Racisme par des proches du Parti socialiste, contribuant ainsi à déplacer le regard de la lutte pour l’égalité à celle contre les discriminations. Le Monde se réjouit que « les enfants de la seconde génération immigrée s’emparent de la chanson, du cinéma, du théâtre » (4 juillet 1983), tandis que l’hebdomadaire Marie-Claire célèbre la « crème des beurs » (avril 1984). Mais, si la culture de l’élite gagne en légitimité, la base, dont les conditions d’existence se dégradent sous l’effet de la désindustrialisation, reste en butte au mépris.

En moins de trois ans, le débat sur l’immigration a été vidé de son contenu social. Depuis ce renversement, les étrangers et leurs descendants sont sans cesse rappelés à leur « communauté », à leur religion, au risque d’accentuer le fossé entre les Français « autochtones » d’un côté, les immigrés et leurs descendants de l’autre. Les sujets directement liés à l’immigration (le racisme, les discriminations, etc.) sont abordés comme des problèmes culturels, alimentant les préjugés, le fantasme d’un « choc des civilisations » et la poussée de l’extrême droite. Quelle que soit sa cause, tout événement géopolitique, social ou même sportif impliquant une majorité d’acteurs d’origine arabe ou musulmane ravive immanquablement le débat sur l’islam, l’immigration et la place de ces derniers dans la République : guerre du Golfe, attentats du 11-Septembre, conflit israélo-palestinien, affrontements entre jeunes et policiers en banlieue, footballeurs d’origine algérienne s’abstenant de chanter La Marseillaise, etc.

Or le sentiment d’appartenance à une « communauté » arabe ou musulmane n’est pas une donnée naturelle. Il se construit au fil des politiques publiques (création de structures comme l’Union des organisations islamiques de France, en 1983, financement d’associations...), mais aussi de ces événements qui renvoient les populations immigrées à leurs origines. A cet égard, la guerre du Golfe (1990-1991) a joué un rôle fondateur. Alors que les bombardiers alliés décollent vers Bagdad, quelques élèves de collège et de lycée dénoncent la domination de l’Occident et affichent leur solidarité avec le monde arabe. « Saddam, c’est un Arabe en butte à l’ostracisme de tous, comme nous dans nos cités. Pour une fois, nous ne nous sentons pas humiliés, mais défendus », déclarait alors un lycéen (9). Ces réactions, très minoritaires, déclenchent aussitôt un débat sur la loyauté des enfants d’immigrés. « Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, le beur de Saint-Denis se sentira toujours proche de ses frères qui conspuent la France dans les rues d’Alger et de Tunis », écrit Le Figaro Magazine (25 janvier 1991). Par réaction, les enfants d’immigrés affirment davantage leurs origines et leur religion stigmatisées. Selon les sociologues Stéphane Beaud et Olivier Masclet, cette guerre joue « un rôle important dans la construction d’une conscience plus “raciale” que sociale chez les enfants d’immigrés maghrébins, d’autant plus enclins à penser la société sous la forme d’oppositions successives — Eux/Nous, Occidentaux/Arabes, Français/immigrés, riches/pauvres, etc. — qu’ils sont eux-mêmes marqués par leur expérience de diverses formes de relégation (10) ».

L’idée que les populations arabe et noire posent un problème inédit dans l’histoire de l’immigration a progressivement gagné l’ensemble du spectre politique. Elle divise même la gauche radicale, dont certains courants postulent la singularité des immigrés « postcoloniaux » et de la manière dont ils seraient perçus par les « Blancs ». « Le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s’y réduire, la politique coloniale », indique l’appel des Indigènes de la République lancé en 2005. « C’est bien en tant qu’Arabes, que Noirs ou que musulmans que les populations issues des anciennes colonies sont discriminées et stigmatisées (11) », estime Sadri Khiari, l’un des fondateurs du mouvement. Selon lui, la « violence spécifique dont les Noirs et les Arabes sont l’objet ou qu’ils portent dans leur mémoire en tant que descendants de colonisés et émigrés-immigrés (...) détermine des revendications qui n’appartiennent qu’à eux, comme celles relatives aux discriminations raciales, au respect de leurs parents, à l’abrogation de la double peine ou, pour les musulmans, au droit d’avoir des lieux de prière dignes et de porter le voile. En réalité, même lorsque leurs exigences sont identiques à celles de leurs voisins blancs, eh bien elles sont différentes (12) ».

Ce discours, qui contribue à mettre en concurrence des causes légitimes (celle des classes populaires « blanches » et celle des « minorités ») en privilégiant ce qui les sépare au détriment de ce qui les rapproche, s’appuie sur un postulat discutable : si les Noirs et les Arabes sont discriminés, est-ce essentiellement en fonction de leur couleur de peau ou bien en tant que pauvres ? L’exemple des « contrôles au faciès », à l’origine de fréquents affrontements entre jeunes et policiers, éclaire la problématique. En 2007-2008, deux sociologues ont suivi discrètement des patrouilles de police aux abords des stations de métro Gare-du-Nord et Châtelet - Les Halles, à Paris (13). Passant au crible cinq cent vingt-cinq contrôles, ils constatent que les personnes identifiées comme « noires » ou « arabes » ont respectivement 6 et 7,8 fois plus de risque d’être contrôlées que les Blancs. Mais une autre variable s’avère tout aussi déterminante : l’apparence vestimentaire. Les personnes vêtues d’une « tenue jeune », en particulier celles qui arboraient un « look hip-hop », présentent 11, fois plus de risque d’être contrôlées que celles portant une « tenue de ville » ou « décontractée ». Autrement dit, un « Blanc » avec un survêtement et une casquette — la panoplie de la jeunesse populaire de banlieue — est plus exposé à la répression policière qu’un « Noir » portant un costume et une cravate.

Evidemment, la frontière entre ces variables n’est pas étanche. La jeunesse d’origine immigrée est nettement surreprésentée dans la population affichant un « look hip-hop ». Les discriminations raciales s’ajoutent aux inégalités sociales pour les renforcer, rendant ces deux problèmes indissociables. Le choix d’insister sur tel ou tel critère — la couleur de peau ou l’appartenance aux classes populaires — est à la fois politique et stratégique. Il participe de la définition des fractures de la société française. Souligner la composante sociale des inégalités permet de combattre l’idée que les populations d’origine maghrébine et africaine constitueraient un problème spécifique, totalement distinct des précédentes vagues migratoires et des classes populaires dans leur ensemble.

Benoît Bréville

 

 

24/11/2015

Brésil : respect des droits humains dans la filière du jus d’orange

 


Le jus d’orange est le jus de fruit le plus consommé dans le monde. Il représente une source de profits considérable pour les supermarchés qui contrôlent le marché européen, mais pas pour les travailleuses et travailleurs du Sud. La plupart de celles et ceux qui récoltent et transforment les oranges vivent en effet dans une extrême pauvreté, comme au Brésil, d'où provient plus de la moitié du jus d’orange échangé sur le marché mondial. Les supermarchés doivent non seulement améliorer leur pratiques d’achat mais également mettre en œuvre leur devoir de vigilance sur leur chaine d’approvisionnement en jus d’orange pour garantir le respect des droits humains.

Par votre signature, vous exigez des principales chaines de supermarchés européens qu’elles fassent respecter les droits humains dans leur filière d’approvisionnement en jus d’orange.

 

Signer ici :  http://appels-urgents.peuples-solidaires.org/appel-urgent...

 

 

 

 

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23/11/2015

Jardin du Causse (extrait) par Jacques Vincent

 

Texte enregistré en 2014 pour le spectacle de théâtre de rue « Lèche-vitrines » créé par la compagnie Tintamar (http://cie.tintamar.free.fr/).


Composition musicale et interprétation: Magali Robergeau, prise de son et montage: Alexis Fifis

Éditions À tire d’ailes, © Gathy Garcia 2004

 

https://voixentendues.wordpress.com/2015/11/21/jard...

 

 

22/11/2015

Birmanie: les mines de jade, un "pillage" équivalent à la moitié de la richesse nationale

Pour comprendre que les 90 morts en Birmanie là, ce n'est pas un accident.........

 

Hpakant (Birmanie) (AFP) - La Birmanie a vendu sur le marché mondial en 2014 près de 27,5 milliards d'euros de jade, dix fois le chiffre officiel selon un rapport publié vendredi. La population assiste quant à elle, impuissante, au pillage de ses ressources naturelles à coups de pelleteuses.

"Ici, c'est chez nous", s'insurge Daw Kareen, habitante de la région minière de Hpakant, dans le nord de la Birmanie, montrant en contrebas les bulldozers grignotant la falaise sur laquelle est perché son village. Les éboulements ont déjà emporté plusieurs habitations.

"Nous avons essayé de les arrêter", explique à l'AFP cette femme de 44 ans, dénonçant le fait que la police et l'armée "vivent sous le contrôle" des grosses compagnies minières.

La somme avancée par l'ONG Global Witness pour le marché du jade représente près de la moitié du Produit intérieur brut (PIB) de ce pays qui reste l'un des plus pauvres d'Asie du sud-est, en dépit d'une forte croissance depuis l'ouverture de l'ex-Etat paria en 2011.

Rien que vers la Chine, selon les chiffres officiels de Pékin, plus de 12 milliards de dollars (10,6 milliards d'euros) de jade birmane ont été importés en 2014, souligne Global Witness, dénonçant un "possible plus grand pillage de ressources naturelles de l'Histoire moderne".

La région des mines de Hpakant, berceau du jade, est accessible au bout d'une route escarpée.

Malgré les réformes, le plus grand secret continue d'entourer ce marché du jade, qui reste la chasse gardée des vieilles élites.

La population est confrontée à une extraction intensive par les grandes compagnies minières, à coups de pelleteuses dans les falaises au-dessus desquelles sont construits leurs villages.

Depuis plusieurs mois, à l'approche des élections, le ballet des pelleteuses s'est intensifié dans la région de Hpakant, afin d'extraire le maximum de jade avant que le vent ne tourne, témoignent habitants et acteurs du secteur.

L'opposante Aung San Suu Kyi a en effet promis de lutter contre la corruption et l'opacité de l'économie, une fois la probable victoire de son parti aux législatives du 8 novembre.

 

- 'L'enfer sur Terre' -

 

Autrefois terre de jungles luxuriantes, la région de Hpakant est désormais constellée de collines à nu, à force de multiplier les carrières.

Des dizaines d'habitants tentant de trouver du jade dans les remblais laissés par les pelleteuses des grosses compagnies minières sont morts dans des éboulements de terrain, rien que ces derniers mois, selon les ONG.

Ces drames de la pauvreté sont parfois mentionnés dans la presse locale, sans que rien ne change dans la vie de ces légions de mineurs illégaux, tentant leur chance dans les mines à la nuit tombée.

"C'est l'enfer sur terre", témoigne un travailleur social souhaitant garder l'anonymat.

Mais dans la région de Hpakant, les mineurs illégaux risquant leur vie au quotidien s'accrochent à leur rêves de fortune.

"Si je creuse tous les jours dans ce trou, j'espère un jour devenir riche", explique Thein Zaw Win, jeune mineur de 20 ans ayant fuit la misère des plaines du centre de la Birmanie.

Car dans les boutiques clinquantes de Pékin ou de Hong Kong, le jade, dit "pierre du paradis" , est un symbole de vertu qui se vend très chère.

L'engouement des Chinois pour la précieuse pierre aux diverses nuances de vert accélère la déforestation de cette région septentrionale de l'Etat Kachin.

"Dans 50 ans, nous irons voir notre jade exposée en Chine", se désole un marchand de jade, alors que selon Global Witness, jusqu'à 80% de la précieuse pierre verte est directement sortie de Birmanie, en toute illégalité, notamment par la région des mines de Hpakant, en Etat Kachin, frontalière de la Chine.

Lors de sa récente visite électorale dans la région, la candidate Aung San Suu Kyi n'a pas poussé jusqu'à Hpakant. Mais ses promesses de lutte contre l'opacité de l'économie font rêver les habitants. "Je veux vraiment un gouvernement qui se soucie de nous", explique Daw Kareen.

D'autant plus que le marché du jade nourrit les combats qui se poursuivent dans cette région, située en Etat Kachin.

Le jade est aussi une source importante de revenus pour l'Armée d'indépendance kachin (Kachin Independence Army, KIA), un des groupes armés ethniques les plus actifs dans ses combats avec le pouvoir central.

 

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20151023.AFP4102/birmanie-les-mines-de-jade-un-pillage-equivalent-a-la-moitie-de-la-richesse-nationale.html

 

 

21/11/2015

Puerto Apache de Juan Martini

 

traduit de l’espagnol (Argentine) par Julie Alfonsi et Aurélie Bartolo

éd. Asphalte, octobre 2015.

 

puerto-apache.jpg

224 p., 21 €.

 

 

Puerto Apache est un polar social, trempé dans un humour noir et amer sur des airs de cumbia, qui à travers le récit d’un seul narrateur, aborde le quotidien d’un des bidonvilles autogérés de Buenos Aires. Bâti sur une ancienne friche industrielle sur la rive du río de la Plata, c’est un des lieux où ont atterri bon nombre de personnes pendant la crise monumentale qui a frappé l’Argentine, au début des années 2000. Des exclus porteurs d’un élan malgré tout, qui espéraient donner à ce lieu une forme de dignité.

 

Et celui qui raconte, c’est Le Rat.

 

Le Rat, c’est le fils du Vieux, celui qui tient les rênes de Puerto Apache, qui fait marcher la boutique… Les filles surtout. Comme tout lieu à la marge, faut bien se débrouiller, car même si les habitants s’autoproclament comme « un problème du XXIe siècle », ils savent bien que ce n’est pas de l’extérieur qu’il va se résoudre ce problème. Alors tout le monde se débrouille et la débrouille ça finit souvent par tremper dans la magouille, on fait un peu de rapine, des petits trafics, des petits boulots, comme faire passer des messages chiffrés, juste des chiffres, c’est ce que fait le Rat pour le Pélican, un caïd de la ville. Ça paye un peu et le Rat ne se pose pas trop de questions, rien de mal, juste délivrer des chiffres, jusqu’au soir où trois hommes déboulent chez lui et l’embarquent pour un passage à tabac conséquent et incompréhensible. Alors là ça rigole plus, de plus une bande d’inconnus font une descente aussi dans le bidonville, foutent le feu, tabassent le Vieux qui ne s’en remettra pas et quand un chef de meute est sur la touche, les rivalités explosent.

 

Déjà la vie à Puerto Apache, ce n’est pas facile, mais là ça pue vraiment. Des poissons de plus en plus gros viennent là où il y a de l’argent à se faire et le sang coule, le sang ça attire les gros prédateurs, ceux qui ne vivent pas dans la marge, ceux qui jouent dans une autre cour, plus spacieuse, qui trempent dans la magouille sans en avoir l’air, bien à l’abri de leur impunité de politiciens. Les corrompus qui se débarrassent des gêneurs et raflent toute la mise : les trafics, les hommes de mains et les belles pouliches comme Marú.

 

Marú, le Rat il l’a dans la peau, il y a bien sa femme Jenifer et ses deux enfants, mais Marú c’est Marú. C’est la petite amie du Pélican, elle aussi bosse pour lui mais dans ses restaurants où elle prend de plus en plus de responsabilités. Elle aime l’argent Marú, elle ne vit pas à Puerto Apache, mais dans un chouette et vaste appartement, toujours grâce au Pélican, mais le Rat en est certain, celui qu’elle préfère, c’est lui. Et il vit son histoire avec elle sans trop se cacher.

 

Mais se faire casser la gueule comme ça, sans explication, le Rat ça ne lui convient pas du tout. Alors il ne lâche pas l’affaire, il veut savoir qui et pourquoi. Ce n’est pas un idiot le Rat, il sait lire et écrire, il réfléchit, il aime les mots, l’ «intellectuel du ghetto » comme l’a surnommé son ami Cúper. Alors il raconte les évènements à sa manière, souvent cocasse, d’une manière assez décousue, avec des bonds subits dans le futur et puis des retours en arrière, parfois c’est presque monotone pourtant, glauque, étouffant. Puerto Apache c’est un piège. C’est comme foutu, il ne peut y avoir de futur, à part finir avec une ou plusieurs balles dans le corps ou en taule pour vingt ans. Toti, son voisin travelo a eu de la chance, quand la télé est venue faire un reportage sur Puerto Apache, il a eu un coup de foudre pour un des types de la télé et l’attirance a été réciproque, alors il a pu quitter Puerto Apache pour aller vivre avec son nouvel ami.

 

C’est ça, il n’y a pas d’autres alternatives, Puerto Apache c’est un problème insoluble, la seule issue, c’est de se tirer.

 

Ce que Juan Martini met en évidence ici, et sans fioriture, c’est que bien que la pauvreté ne soit pas forcément synonyme de criminalité, il n’est pas possible d’être un enfant de chœur dans un bidonville, mais la pauvreté avant tout est synonyme de vulnérabilité, et la vulnérabilité attirent les gros prédateurs, la pègre à col blanc, sans scrupule, toute pleine de convoitise, qui sait user des autres, surtout ceux considérés comme les plus négligeables, pour satisfaire ses appétits aussi insatiables que dégueulasses.

 

C’est l’intérêt majeur de ce roman, son côté quasi documentaire.

 

Cathy Garcia

 

 

JM.jpgJuan Martini est un écrivain argentin, né en 1944. Pendant la dictature militaire, il s'exile en Espagne et dirige une collection de romans noirs dans une grande maison d'édition. Il vit actuellement à Buenos Aires, où il donne des ateliers d'écriture. Il est l'auteur d'une quinzaine de romans et recueils de nouvelles. Son œuvre, profondément inspirée par le genre policier et caractéristique d'une certaine littérature de l'exil, est considérée comme incontournable du panorama littéraire argentin.

 

Note publiée sur le site de la Cause Littéraire

20/11/2015

Lettre à ma génération : moi je n'irai pas qu'en terrasse

 

Salut 

On se connaît pas mais je voulais quand même t’écrire. Il paraît qu’on devrait se comprendre, puisqu’on est de la même génération. Je suis française, je n’ai pas trente ans. Paris, c’est ma ville. J’ai grandi dans une école internationale où on était plus de quatre-vingt nationalités. J’ai beaucoup voyagé et je parle plusieurs langues. J’ai « des origines » comme on dit maghrébines. Je suis auteur compositeur interprète, artiste, et même un peu anthropologue.

J’ai toujours adoré les terrasses. La dernière fois que j’étais à Paris j’y ai passé des heures, dans les cafés des 10e 11e et 18e arrondissements. J’y ai écrit un livre qui s’appelle Chroniques de terrasse. Il est maintenant quelque part dans la pile de manuscrits de plusieurs maisons d’édition. Ça fait drôle d’y penser maintenant. J’aurais envie de rajouter quelques pages. Pourtant aujourd’hui, ce n’est pas en terrasse que j’ai envie d’aller.

Depuis plusieurs jours, on m’explique que c’est la liberté, la mixité et la légèreté de cette jeunesse qui a été attaquée, et que pour résister, il faut tous aller se boire des bières en terrasse. C’est joli comme symbole, c’est même plutôt cool comme mode de résistance. Je ne suis pas sûre que si les attentats prévus à la Défense avaient eu lieu, on aurait lancé des groupes facebook « TOUS EN COSTAR AU PIED DES GRATTE-CIELS ! » ni qu'on aurait crié notre fierté d’être un peuple d’employés et de patrons fiers de participer au capitalisme mondial, pas toi ? 

On nous raconte qu’on a été attaqués parce qu’on est le grand modèle de la liberté et de la tolérance. De quoi se gargariser et mettre un pansement avec des coeurs sur la blessure de notre crise identitaire. Sauf qu'il existe beaucoup d’autres pays et de villes où la jeunesse est mixte, libre et festive. Vas donc voir les terrasses des cafés de Berlin, d’Amsterdam,  de Barcelone, de Toronto,  de Shanghai, d’Istanbul, de New York ! 

On a été attaqués parce que la France est une ancienne puissance coloniale du Moyen-Orient, parce que la France a bombardé certains pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources, parce que la France est accessible géographiquement, parce que la France est proche de la Belgique et qu’il est facile aux djihadistes belges et français de communiquer grâce à la langue, parce que la France est un terreau fertile pour recruter des djihadistes.

Oui je sais, la réalité est moins sexy que notre fantasme.  Mais quand on y pense, c’est tant mieux, car si on a été attaqué pour ce qu’on est, alors on ne peut pas changer grand chose. Mais si on a été attaqué pour ce qu'on fait, alors on a des leviers d’action : 

- S'engager dans la recherche pour trouver des énergies renouvelables, car quand le pétrole ne sera plus le baromètre de toute la géopolitique, le Moyen-Orient ne sera plus au centre de nos attentions. Et d'un coup le sort des Tibétains et des Congolais nous importera autant que celui des Palestiniens et des Syriens. 

- S'engager pour trouver de nouveaux modèles politiques afin de ne plus déléguer les actions de nos pays à des hommes et des femmes formés en école d'administration qui décident que larguer des bombes, parfois c'est bien, ou qu'on peut commercer avec un pays qui n'est finalement qu'un Daesh qui a réussi.

- Les journalistes ont montré que les attentats ont éveillé des vocations de policiers chez beaucoup de jeunes. Tant mieux. Mais où sont les vocations d’éducateurs, d’enseignants, d’intervenants sociaux, de ceux qui empêchent de planter la graine djihadiste dans le terreau fertile qu’est la France ?

Si la seule réponse de la jeunesse française à ce qui deviendra une menace permanente est d’aller se boire des verres en terrasse et d'aller écouter es concerts, je ne suis pas sûre qu’on soit à la hauteur du symbole qu’on prétend être. L'attention que le monde nous porte en ce moment mériterait que l'on sorte de la jouissance de nos petits plaisirs personnels.  

Ma mixité

Qu’on soit maghrébin, français, malien, chinois, kurde, musulman, juif, athée, bi homo ou hétéro, nous sommes tous les mêmes dès lors qu'on devient de bons petits soldats du néo-libéralisme et de la surconsommation. On aime le Nutella qui détruit des milliers d’hectares de forêt et décime les populations amazoniennes, on achète le dernier iphone et on grandit un peu plus les déchets avec les carcasses de nos anciens téléphones, on préfère les fringues pas chères teintes par des enfants du Bengladesh et de Chine, on dépense des centaines d'euros en maquillage testé sur les animaux et détruisant ce qu'il reste de ressources naturelles. 

Ma mixité, ce sera d’aller à la rencontre de gens vraiment différents de moi. Des gens qui vivent à huit dans un deux pièces, peu importe leur origine et leur religion. Des enfants dans les hôpitaux, des détenus dans les prisons. Des vieilles femmes qui vivent seules. De ce gamin de douze ans à l'écart d'un groupe d'amis, toujours rejeté parce qu'il joue mal au foot, qui se renferme déjà sur lui-même. Des ados dans les banlieues qui ne sont jamais allés voir une pièce de théâtre. Ceux qui vivent dans des petits villages reculés où il n'y a plus aucun travail. Les petits caïds de carton qui s'insultent et en viennent aux mains parce que l'un n'a pas payé son cornet de frites au McDo. D'habitude quand ça arrive, qu'est-ce que tu fais ? Tu tournes la tête, tu ris, tu te rassures avec un petit "Et ben ça chauffe !" et tu retournes à ta conversation. Si tous ceux qui ont répondu à l'appel Tous en terrasse ! décidaient de consacrer quelques heures par semaine à ce type d'échange... il me semble que ça irait déjà mieux. Ça apportera à l'humanité sans doute un peu plus que la bière que tu bois en terrasse.

Ma liberté

Je ne vois pas en quoi faire partie du troupeau qui se rend chaque semaine aux messes festives du weekend est une marque de liberté. Ma liberté sera de prendre un autre chemin que celui qui passe par l’hyperconsommation. D’avoir un autre horizon que celui de la maison, de la voiture, des grands écrans, des vacances au soleil et du shopping.

Ma liberté sera celle de prendre le temps quand j'en ai envie, de ne pas m'affaler devant la télé en rentrant du boulot, d'avoir un travail qui ne me permet pas de savoir à quoi ressemblera ma journée.

Ma liberté, c'est de savoir que lorsque je voyage dans un pays étranger je ne suis pas en train de le défigurer un peu plus. C'est vivre quelque part où le ciel a encore ses étoiles la nuit. C'est flâner dans ma ville au hasard des rues. C'est avoir pu approcher une autre espèce que la mienne dans son environnement naturel. 

Ma liberté, ce sera de savoir jouir et d'être plein, tout le contraire des plaisirs de la consommation qui créent un manque et le besoin de toujours plus. Ma liberté, ce sera d'avoir essayé de m'occuper de la beauté du monde. "Pour que l'on puisse écrire à la fin de la fête que quelque chose a changé pendant que nous passions" (Claude Lemesle).

Ma fête

Ma fête ne se trouve pas dans l’industrie du spectacle. Ma fête c'est quand j'encourage les petites salles de concert, les bars où le musicien joue pour rien, les petits théâtres de campagne construits dans une grange, les associations culturelles. Passer une journée avec un vieux qui vit tout seul, c’est une fête. Offrir un samedi de babysitting gratuit à une mère qui galère toute seule avec ses enfants, c’est une fête. Organiser des rencontres entre familles des quartiers défavorisés et familles plus aisées, et écouter l'histoire de chacun, c'est une fête.  

La fête c’est ce qui sort du quotidien. Et si mon quotidien est de la consommation bruyante et lumineuse, chaque fois que je cultiverai une parole sans écran et une activité dont le but n’est pas de consommer, je serai dans la fête. Préparer un bon gueuleton, jouer de la gratte, aller marcher en forêt, lire des nouvelles et des contes à des jeunes qui sentent qu’ils ne font pas partie de notre société, quelle belle teuf !

N’allez pas me dire que je fais le jeu des djihadistes qui disent que nous sommes des décadents capitalistes… s’il vous plaît ! Ils n’ont pas le monopole de la critique de l’hyper-consommation, et de toute façon, ils boivent aux mêmes sources que les pays les plus capitalistes : le pétrole et le trafic d’armes. 

Voilà. Je ne sais pas si on se croisera sur les mêmes terrasses ni dans les mêmes fêtes. Mais je voulais juste te dire que tu as le droit de te construire autrement que l'image que les médias te renvoient. Bien sûr qu'il faut continuer à aller en terrasse, mais qu'on ne prenne pas ce geste pour autre chose qu'une résistance symbolique qui n'aura que l'effet de nous rassurer, et sûrement pas d'impressionner les djihadistes (apparemment ils n'ont pas été très impressionnés par la marche du 11 janvier), et encore moins d'arrêter ceux qui sont en train de naître. 

Ce qu’on est en train de vivre mérite que chacun se pose un instant à la terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la société où il vit. Et qu isait... peut-être qu'un peu plus loin, dans un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles,  il apercevra la société qu’il espère.

 

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/sarah-roubato/201115/lettre-ma-generation-moi-je-nirai-pas-quen-terrasse

 

Merci à elle !!!

 

Son blog : http://www.sarahroubato.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

19/11/2015

Illska d'Eiríkur Örn Norddahl

 

trad. Eric Boury

Métailié août 2015

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600 pages, 24 €

 

Illska est une pièce monumentale, en taille pour commencer, presque 600 pages bien denses. Illska est comme une immense tapisserie murale au tissage parfois très resserré, où les motifs sont formés d’un mélange de temps qui finissent presque par se confondre : passé et présent historiques, passé et présent des individus, des protagonistes de cette histoire, avec une toile de fond amplement maculée du sang de l’Holocauste et notamment d’évènements qui se sont déroulés en Lituanie. Comme fil conducteur de la trame : l’idéologie populiste de droite (lire « fasciste ») en Europe aujourd’hui et tout particulièrement en Islande, et surtout comment l’Histoire et la politique viennent interférer en permanence, parfois même de façon obsessionnelle et souvent pour le pire, dans la vie intime des personnages du roman.

Personnages dont les trois principaux sont Agnès, Omar et Arnor, tous trois Islandais, mais seul Arnor est réellement de souche comme on dit.

Agnès est d’origine lituanienne et ses parents sont retournés vivre là-bas, dans cette petite ville de Jurbakas, où se sont déroulés tous les « évènements » pendant la guerre. Le grand-père paternel d’Agnès, Romualdas, était devenu milicien, comme son frère Mykolas, qui lui était chef de la police, et Romualdas avait même endossé l’uniforme de la gestapo. Ils avaient ainsi assassiné, entre autres, les arrière-grands-parents maternels d’Agnès qui eux étaient Juifs, et proches amis pourtant des arrière-grands-parents paternels. Les parents d’Agnès ignoraient ce fait lorsqu’ils se sont rencontrés et aimés, sans quoi il n’y aurait sans doute jamais eu d’Agnès Lukauskai, mais ils l’ont su plus tard et cela explique aussi l’obsession d’Agnès depuis toute jeune, pour l’Holocauste.

Cela explique moins, alors qu’elle vit avec Omar, pourquoi elle va tomber dans les bras d’Arnor, une fascination certes proche de la haine, mais fascination tout de même. Arnor est un néonazi islandais, qu’elle voulait interroger dans le cadre de son mémoire sur la montée du populisme en Europe, mais un néonazi qui méprise Hitler, un personnage étrange, solitaire, bien plus intelligent, plus érudit que la plupart de ses congénères. Et très mignon avec ça.

Agnès et Omar auront un fils, mais peut-être est-il d’Arnor ? Omar mettra le feu à leur maison avant de s’envoler pour l’Europe sur les traces de l’Holocauste, comme s’il allait y trouver la réponse à cette question : pourquoi Arnor ?

Il est impossible de résumer Illska, mais nous saurons tout, et dans le moindre détail, tout du passé, du présent de la vie de chacun, de leur famille et de l’horreur d’un passé plus lointain encore qui sera narré au présent, comme si on y était. Et tout ça se mélange, avec d’autres histoires, de voisins, de copains étudiants et d’autres personnages qui tracent le portrait d’une Islande un peu moins flatteur que celui que le pays voudrait se donner. Cette tapisserie gigantesque non dénuée d’humour, mais un humour bien noir, pèse son poids de malheur, d’erreurs et de destins qui se percutent.

Illska est à la fois un roman sur le couple, la famille, la parentalité et surtout comment cela peut devenir des valeurs refuge – souvent à tort et travers – pour contrer le vide intérieur qui est le lot de bon nombre d’entre nous dans la société actuelle, et pas seulement en Islande, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’amour véritable. Illska tourne beaucoup autour de la question de l’identité, de l’appartenance ou du refus d’appartenance et par extension, évoque le danger identitaire, et c’est donc avant tout une très ambitieuse œuvre sociopolitique, avec un regard qui se dote d’un recul historique. On en ressort comme essoufflé, avec un goût amer en bouche, car quelle que soit l’époque ou l’idéologie, lorsque le mal est en marche, qu’il est légitimé, qu’on peut classer les individus en désirables ou indésirables, que le meurtre et donc toute les humiliations imaginables sont tolérés, encouragés ou même légalisés, alors l’horreur dépasse tout. Illska est un vertige. Cette tapisserie aux motifs qui alternent sans arrêt et de plus en plus vite, peut donner mal à la tête.

Ce qu’il en ressort c’est que tout le monde se retrouve un peu victime, un peu bourreau, rien n’est tout noir, tout blanc, le mal entraîne le mal tout autant parfois que de vouloir à tout prix faire le bien, et seul l’amour, le véritable, c’est-à-dire celui qui sait pardonner, aurait la possibilité d’arrêter le sang que l’on fait couler, mais ce n’est pas facile, ce n’est jamais gagné, car « toute violence nous prive d’humanité. Que nous soyons celui qui frappe ou celui qui encaisse les coups ».

 

Cathy Garcia

 

Eiríkur-Örn-Norðdahl-©-Philippe-Matsas1-300x460.jpgEiríkur Örn Norđdahl est né à Reykjavik en 1978 et a grandi à Isafjordur. Il a commencé à écrire vers 2000, mais la nécessité l’a amené à faire d’autres choses pour gagner sa vie. Il a vécu à Berlin en 2002-2004 puis dans plusieurs pays d’Europe du Nord, en particulier à Helsinki (2006-2009) et en Finlande (2009-2011) et dernièrement au Viêtnam. En 2004, il a été un des membres fondateurs du collectif poétique d’avant-garde Nyhil, en Islande. En 2008, il a reçu le Icelandic Translators Award pour sa traduction du roman de Jonathan Lethem, Les Orphelins de Brooklyn. Il a obtenu une mention Honorable au Zebra Poetry Film Festival de Berlin en 2010 pour son animation poétique, Höpöhöpö Böks. En 2012, Norddahl a reçu le Icelandic Literary Prize, catégorie fiction et poésie, ainsi que le Book Merchants’ Prize pour son roman Illska.

 

Note paru sur : http://www.lacauselitteraire.fr/illska-eirikur-oern-norddahl

 

 

Lettres contre la guerre, Tiziano Terzani,

 

Lettres contre la guerre

Intervalles (traduit par Fanchita Gonzalez Batlle).....

Trois jours après les attentats du 11 septembre 2001, Tiziano Terzani, grand reporter qui connaît bien le monde en général et le monde musulman en particulier, retiré depuis quelques années en Inde en quête de spiritualité, publie une lettre intitulée Une bonne occasion. Et si ces attentats étaient la bonne occasion pour tout remettre à plat, discuter et ne pas céder à le violence qui entraînera toujours une violence encore plus grande. Quelques jours plus tard, une autre journaliste italienne publie un livre d'une rare violence contre les musulmans. Tiziano Terzani décide alors de reprendre la plume dans diverses régions du monde pour lui répondre et témoigner de ce qu'il voit et vit au contact des musulmans de Kaboul, Peshawar, Quetta.

Ce livre écrit entre le 14 septembre 2001 et le 7 janvier 2002 rassemble 8 lettres prônant la paix, la tolérance et l'entente entre le peuples. Tiziano Terzani après avoir été grand reporter sur tous les grands conflits s'est tourné vers l'Inde et sa spiritualité, s'est posé et est devenu aux yeux de beaucoup d'Italiens le visage de la paix. Il est décédé d'un cancer en 2004. Ce livre a précédemment été publié chez Liana Levi en 2002.

Difficile d'aborder le thème de la tolérance, de l'amour entre les peuples, de la compréhension de l'autre alors qu'il y a quelques jours des attentats terribles traumatisaient Paris, la France entière et bien plus largement encore, quelques mois tout juste après le massacre de Charlie Hebdo. Je me permettrais donc de citer T. Terzani qui intitule sa dernière lettre Que faire ? Et maintenant allons-nous céder à une surenchère dans la violence ? "C'est peut-être ce qui m'a fait penser que l'horreur à laquelle je venais d'assister était... une bonne occasion. Le monde entier avait vu. Le monde entier allait comprendre. L'homme allait prendre conscience, se réveiller pour tout repenser : les rapports entre États, entre religions, les rapports avec la nature, les rapports entre hommes. C'était une bonne occasion pour faire un examen de conscience, accepter nos responsabilités d'Occidentaux et faire peut-être enfin un saut qualitatif dans notre conception de la vie." (p.15) Une grande partie de la réflexion de l'auteur est basée sur sa conception de la vie et des rapports entre les hommes : "... je suis vraiment convaincu maintenant que tout est un et que, comme le résume si bien le symbole taoïste du Yin et du Yang, la lumière porte en elle le germe des ténèbres et qu'au centre des ténèbres il y a un point de lumière." (p.15) Mais il ne s'est pas arrêté à sa réflexion, il est retourné sur le terrain voir comment vivaient les gens en Afghanistan, au Pakistan. Et chaque témoignage est aussi l'occasion pour le journaliste de raconter l'histoire du pays, celle qui explique pourquoi et comment on en est arrivé là. Évidemment, les États-Unis sont montrés du doigt : "Chalmers Johnson répertorie les manigances, les complots, les coups d'État, les persécutions, les assassinats et les interventions en faveur de régimes dictatoriaux et corrompus dans lesquels les États-Unis ont été impliqués ouvertement ou clandestinement en Amérique latine, en Asie et au Moyen-Orient depuis la fin de la seconde guerre mondiale." (p.40). Pour ce "vieux professeur de Berkeley University, peu suspect d'antiaméricanisme ou de sympathies gauchisantes", les attentats sont des contrecoups de cette politique étrangère agressive, les États-Unis sont devenus le Diable aux yeux du monde islamique. L'Europe étant à la remorque des États-Unis, il est loin le temps ou le ministre des affaires étrangères français osait s'opposer à une décision de faire la guerre, elle est elle aussi la cible potentielle d'attentats et l'atroce nuit parisienne du 13/14 novembre est là pour le confirmer.

A chaque fois que Tiziano Terzani apporte des informations, il les confronte à sa réflexion, à ses questions. Il ne prétend pas détenir la vérité, il pose des questions légitimes, il met en doute les certitudes des autres. Ces textes ont quasiment quinze ans et pendant ces années, rien n'a changé. Ou plutôt, si, tout a changé : les positions des uns et des autres se sont durcies. Tellement, qu'il paraît même difficile de parler de la même manière -utopiste- que le journaliste italien. Jusqu'où pourra continuer cette violence ? A-t-on le droit au nom de nos principes occidentaux de s'immiscer dans les politiques de certains pays ? Notre indépendance énergétique doit-elle primer sur la vie des habitants des pays producteurs ? Nos sociétés sont tellement différentes. Le monde que nous proposons, nous Occidentaux, globalisé, mondialisé, abreuvés que nous sommes de culture américaine -même si la France résiste encore un peu à l'envahissement par son cinéma, sa littérature, son mode de vie- est une violence faite à certains pays pas prêts et pas désireux de s'y soumettre. Et qui serions-nous pour l'imposer ?

Mon billet peut sembler brouillon, maladroit et il l'est sans doute. Lors de ma lecture j'ai sans cesse hésité entre l'admiration pour la réflexion de cet homme, sa sagesse et la peur que la violence monte toujours plus haut. J'ai fini ma lecture le 13 novembre au soir. Le matin suivant je me réveille avec les annonces des attentats parisiens et j'écris mon billet ce même jour, à chaud ; j'y mélange les réflexions de Tiziano Terzani et les miennes. J'ai apprécié que cet homme puisse me donner un autre angle de vue, me donner des informations pour continuer ma réflexion : je ne suis sûr de rien, j'écoute et lis beaucoup avant de me faire une opinion et lorsque j'y arrive elle peut encore varier en fonction de ce que je lis et entends. Ce dont je suis sûr cependant, c'est que ce bouquin va rester longtemps en moi et près de moi, je vais même le conseiller à tous ceux qui comme moi s'interrogent sur cette violence et cette haine qui explosent. Et à tous ceux qui savent déjà tout, je le leur conseille également, il les fera peut-être réfléchir et les bousculera dans leurs certitudes.

Source :

http://www.lyvres.fr/2015/11/lettres-contre-la-guerre.htm...