Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/01/2017

Ce que nous avons perdu dans le feu, nouvelles de Mariana Enriquez

traduit de l’Espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet

Éditions du sous-sol, en librairie en à partir du 21 février 2017

 

Mariana-ENRIQUE-Ce-que-nous-avons-perdu-dans-le-feu-Editions-du-sous-sol.jpg

240 pages, 18 €.

 

 

 

Étranges, effrayantes, macabres ou le plus souvent même sordides, ces nouvelles de Mariana Enriquez ne peuvent laisser indifférent. Narrées pour une majeure partie d’entre elles à la première personne, elles nous enfoncent dans les côtés les plus obscurs de l’Argentine, à Buenos Aires le plus souvent, dans un contexte urbain et déshumanisé, où la pauvreté avance comme une gangrène. On peut penser effectivement à l’Uruguayen Quiroga ou même au Bolivien Oscar Cerruto, mais Mariana Enriquez possède une griffe très personnelle et très contemporaine. Ici le glissement vers le fantastique ou plutôt vers l’horreur surnaturelle, ce qu’on appelle le réalisme magique dans la littérature sud-américaine, est clairement un prétexte pour évoquer ou rappeler des faits qui n’ont rien de surnaturel, si ce n’est que leur cruauté semble absolument inhumaine. Que ce soit des cauchemars et des spectres d’une dictature et ses disparus qu’on ne peut faire que semblant d’oublier ou la violence effroyable d’une société où tous les pouvoirs qui se suivent sont corrompus, la misère, les bidonvilles, les ravages de la drogue, la sexualité prédatrice, le trafic d’enfants, la torture, les humiliations, l’exploitation, la pollution, les maladies, les difformités, la folie et la noirceur de l’âme, parfois érigées en culte. C’est de souffrance dont il est question, non pas seulement de la souffrance humaine, mais de la souffrance de tout le vivant.

 

La plupart de ces nouvelles sont terrifiantes, on y approche au plus près de la violence pure. Et de notre propre Ombre, car ce n’est pas seulement une férocité extérieure qui menace ou agresse les personnages ou la narratrice de ces fictions. Mariana Enriquez nous interroge de façon indirecte, sur nos propres sentiments et motivations les plus dissimulés, sur notre capacité réelle à aimer ou haïr, sur notre indifférence, notre désir de sauver ou d’être sauvé. Sadisme, masochisme, bourreau, victime, parfois la frontière est poreuse et les enfants peuvent être des tueurs. Mariana Enriquez nous tend un miroir magique dans lequel viennent se refléter nos propres difformités, nos attirances malsaines, notre violence intérieure, instinctive, celle que nous croyons si bien contrôler ou que nous ignorons complètement. C’est comme si elle nous mettait devant un abime, et cet abime c’est nous-mêmes, mais en aurons-nous conscience ?

 

Et l’auteur a du talent, elle nous happe instantanément dans chacune de ses histoires, fait monter la tension, provoque dégoût et fascination dans un même élan, et c’est sans doute là que tout se joue, dans cette ambivalence. C’est aussi un recueil éminemment politique qui pointe le délabrement et les inégalités de la société argentine, questionnement qui est valable pour l’ensemble du monde.

 

Foncer droit dans le mur c’est un peu comme ouvrir les portes de l’Enfer, n’est-ce pas ?

 

Cathy Garcia

 

 

 

Mariana-Enríquez.jpgMariana Enriquez (Buenos Aires, 1973) a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12. Elle a publié trois romans – dont le premier à 22 ans – et un recueil de nouvelles avant Ce que nous avons perdu dans le feu, actuellement en cours de traduction dans dix-huit pays. Certaines de ses nouvelles ont été publiées dans les revues Granta et McSweeney’s.

 

 

 

 

 

24/01/2017

Les dieux de la steppe d'Andreï Guelassimov

 

 traduit du Russe par Michèle Kahn

Actes Sud, novembre 2016

9782330064570.jpg

348 pages, 22,80 €

 

On s’attache vite à Petka, ce gamin dégourdi, inventif, ce bâtard, ce fils de pute comme la plupart l’appellent, puisqu’il n’a pas de père ou tout du moins on ne lui dit pas qui c’est. Petka vient d’adopter un louveteau en cachette, le sauvant ainsi d’une mort certaine, promettant d’apporter en échange aux militaires de la gnole que son grand-père vend en contrebande chez les Chinois, de l’autre côté de la frontière. Petka, dont la mère est très jeune et très dépressive, traîne surtout chez sa grand-mère Daria et le grand-père Artiom. Petka est la cible préférée de toute une bande de méchants garnements menée par Lionka l’Atout, véritable petit tyran, dont la mère fréquente beaucoup les militaires, tandis que le père est au front.

Nous sommes en 1945, dans un petit village au fin fond de la Sibérie nommé Razgouliaevka. Il n’y a pas grand-chose à manger, la vie semble comme au ralenti et l’un des jeux principaux des gamins consiste à chercher Hitler, qui se cacherait quelque part dans le coin. La guerre n’est pas tout à fait finie, une offensive contre les Japonais se prépare.

Il y a aussi à côté du village un camp de japonais prisonniers depuis les combats et leur défaite de Khalkin Ghol en 1939. Ces derniers travaillent dans les mines alentour. Il y en a une dans laquelle ils meurent les uns après les autres, on ne sait pas trop pourquoi. L’un des prisonniers, Hirotaro Minayaga, est médecin, il soigne comme il peut ses compatriotes, mais également les Russes. Les chefs du camp le laissent plus ou moins aller et venir dans la montagne pour ramasser des herbes. Hirotaro comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec cette mine. Au village, des bruits courent et les Bouriates sont depuis longtemps partis à cause d’elle. On dit que les femmes de leurs chamanes donnaient là-bas naissance à des enfants monstrueux. Et puis, il y a Valerka, sa mère y travaillait quand elle était enceinte. Valerka est le seul ami de Petka. Il a une santé fragile depuis sa naissance, personne ne comprend ce qu’il a mais il saigne tout le temps du nez.

Le roman a donc pour cadre la vie de ce village dont les hommes sont pour la plupart absents, morts ou encore au front, et puis celle des militaires et des prisonniers du camp, coincés là les uns comme les autres. Cette narration alterne avec la retranscription de morceaux d’un journal écrit en cachette par Hirotaro Minayaga à destination de ses fils, restés à Nagasaki avec leur mère, où la bombe n’est pas encore tombée. Dans ce journal, il raconte un peu de son présent mais surtout l’histoire de leur famille, ce qui nous plonge dans le Japon des samouraïs et dans l’histoire de la culture du tabac au Japon. On comprend aussi pourquoi Hirotaro qui aurait pu être évacué suite aux combats, a préféré rester prisonnier des Russes. Hirotaro est un personnage extrêmement attachant et un lien va finir par se tisser avec Petka, malgré le patriotisme exalté de ce dernier.

Le ton du roman est ironique, comique même, il y a une sorte de théâtralité, voire de bouffonnerie chez tous ces personnages, ce qui contraste avec le tragique et même le dramatique des situations. On sent ce côté exacerbé, excessif de l’âme russe, toujours prompte à se saouler et à chanter de vieilles chansons nostalgiques, le cœur au bord des lèvres. Il faut bien être excessivement vivant pour contrer la mort, le dénuement et le malheur omniprésents.

Les dieux de la steppe, qui sont-ils ? Les chars mythiques russes de la deuxième guerre mondiale, que l’on appelait « les maîtres de la steppe », ou bien les loups ou encore les esprits des ancêtres bouriates ? Sans doute un peu de tout ça mélangé, à une époque où dans ce fin fond de la Sibérie, le corned-beef et le whisky américain font bien plus rêver que la gnole locale ou des pères revenus du front en héros pathétiques et encombrants.

 

Cathy Garcia

 

269.jpgAndreï Guelassimov est né en 1965 à Irkoutsk. Après des études de lettres, il part à Moscou suivre au Gitis (l'Institut d'études théâtrales) les cours du prestigieux metteur en scène Anatoly Vassiliev. Spécialiste d'Oscar Wilde, il a enseigné à l'université la littérature anglo-américaine. Fox Mulder a une tête de cochon, son premier livre, a été publié en 2001. La Soif (Actes Sud, 2004), son second ouvrage, un récit sur la guerre de Tchétchénie publié en Russie en 2002, a confirmé sa place sur la scène littéraire russe. Il a été la révélation des Belles Étrangères russes en France à l'automne 2004, et son dernier roman vient d'être consacré par le Booker Prize des étudiants 2004.

 

Note publiée sur  http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

 

22/01/2017

Le Louvre et les grands musées sont-ils sous l’influence de l’industrie pétrolière ?

 

par Olivier Petitjean  Source : http://multinationales.org/ 

Attaquées pour leur rôle dans le réchauffement climatique, les majors du pétrole cherchent à redorer leur image, y compris par le mécénat culturel. Des groupes comme BP, Shell ou Total émargent au budget de grands musées comme le Louvre. Une action désintéressée ? Pas totalement, parce que ces opérations de mécénat leur apportent des avantages en termes de fiscalité et de relations publiques. Dans certains cas, on observe même un lien direct entre les expositions proposées par ces musées et les priorités stratégiques des firmes pétrolières qui les financent. En Grande-Bretagne, les militants pour le climat ont réussi à enrayer la machine. Qu’en est-il de ce côté-ci de la Manche ?

En décembre 2015, alors que la Conférence sur le climat (COP21) bat son plein à Paris, des militants vêtus de noir pénètrent dans la Pyramide du Louvre et déversent de la mélasse sur le sol de marbre pour figurer une marée noire. Leur objectif ? Dénoncer le partenariat financier noué entre le prestigieux musée et deux firmes pétrolières, l’italienne Eni et la française Total. À l’extérieur, des activistes brandissent des parapluies noirs marqués de lettres blanches, pour former le slogan Fossil Free Culture (« culture sans énergies fossiles »).

Un grand nombre de ces militants sont britanniques, et leur action s’inscrit dans une campagne beaucoup plus virulente et beaucoup plus médiatisée outre-Manche, ciblant les partenariats des grandes institutions culturelles du Royaume-Uni avec les deux firmes pétrolières « nationales », BP et Shell. Cette campagne ne cesse de prendre de l’ampleur, avec le soutien d’artistes, sous la bannière de la coalition Art Not Oil. Avec quelques succès à la clé. Le Science Museum de Londres a mis fin à ses relations avec Shell, après la révélation d’une tentative d’influence de la firme pétrolière sur le contenu d’une exposition sur le changement climatique en 2015. Surtout, la Tate – institution chapeautant plusieurs musées, dont Tate Modern et Tate Britain –, particulièrement ciblée par les militants, a mis fin à ses relations avec BP après 26 ans de partenariat.

Climat : les opérations marketing de Total

Une dynamique équivalente peut-elle voir le jour en France ? C’est le pari que fait le mouvement pour le désinvestissement des énergies fossiles, sous la bannière de l’organisation 350.org, en lançant aujourd’hui une campagne appelant le Louvre à couper tout lien avec les firmes pétrolières en général et avec Total en particulier. « Les géants du charbon, gaz et pétrole, sponsorisent massivement le monde des arts, dénonce 350.org. Pour quelques milliers d’euros, ils achètent l’image de marque et la légitimité sociale de l’institution à laquelle ils se lient. Ainsi, ils détournent l’attention de leurs activités climaticides et des abus contre les droits de l’homme auxquels ils se livrent à travers le monde. » Pour ces militants, l’objectif est donc de « détruire la crédibilité et la légitimité de l’industrie des énergies fossiles auprès des décideurs et de l’opinion », comme l’explique May Boeve, directrice exécutive de 350.org, afin de les rendre aussi « infréquentables » que le sont devenus, dans la passé, les firmes faisant affaire avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, ou celles impliquées dans l’esclavage au XIXe siècle.

Confrontées à ces campagnes ainsi qu’aux questions de plus en plus insistantes de certains investisseurs, les majors pétrolières se donnent du mal pour lisser leur image. Pour éviter le dépôt d’une motion d’actionnaires lors de son Assemblée générale 2016, la direction du groupe Total a publié une « stratégie climat », dans laquelle elle s’efforce de montrer que son activité reste compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. L’analyse de ce document effectuée par l’Observatoire des multinationales, en collaboration avec 350.org, montre cependant qu’il s’agit fondamentalement d’une opération de marketing (lire la version complète de cette note). Total cherche surtout à légitimer la poursuite, pour les décennies à venir, d’investissements massifs dans l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, au moyen de nombreuses omissions et tours de passe-passe [1]. Les quelques annonces concrètes en matière d’énergies « nouvelles » paraissent marginales au regard des milliards de dollars consacrés par Total au pétrole et au gaz, et recouvrent souvent en réalité des technologies contestées et bien peu « vertes », comme les agrocarburants ou la capture-séquestration du carbone.

La fondation Total, omniprésente au musée du Louvre

La « stratégie climat » publiée par Total apparaît donc surtout comme un document de communication destiné à rassurer à la fois les investisseurs, ses propres employés, et les pouvoirs publics. Mais aussi les divers partenaires auxquels elle est associée via sa fondation d’entreprise, au premier rang desquels le Louvre. Depuis longtemps déjà, les grandes institutions culturelles françaises sont activement encouragées à recourir au mécénat des entreprises privées pour compenser la baisse des crédits publics. Nul établissement, à part le château de Versailles, n’a poussé cette logique aussi loin que le Louvre, en particulier sous la longue présidence de Henri Loyrette de 2001 à 2013.

Total est apparu d’emblée comme un partenaire central de cette nouvelle orientation. L’entreprise a financé plusieurs opérations d’envergure : la restauration de la Galerie d’Apollon (2004), la création du département des arts de l’Islam (2012), ou encore l’ouverture du Louvre-Lens (2012). Les montants investis par la firme ne sont généralement pas rendus publics. Mais dans le document de « Remerciement aux mécènes » pour l’année 2015, la fondation Total est omniprésente : en tant que membre fondateur du « Cercle Louvre entreprises » ; pour le financement de plusieurs expositions ; pour avoir financé la « Petite Galerie » (un nouvel espace créé en 2015 et destiné au jeune public) ; au titre des « projets scientifiques, restaurations et publications » ; et enfin, au titre des « programmes éducatifs et sociaux ». Seule Eni, autre entreprise pétrolière, peut se targuer d’une telle présence [2].

Et ces relations étroites ne s’arrêtent pas là, puisque Thierry Desmarest, ancien PDG et président d’honneur de Total, a longtemps siégé au conseil d’administration du musée, sur nomination du ministère de la Culture, aux côtés d’un autre grand patron, Henri de Castries, d’Axa. Une pratique très répandue dans les institutions culturelles françaises [3] : c’est ainsi par exemple que le conseil d’administration du Musée d’Orsay compte parmi ses membres la présidente de Coca-Cola Europe, que celui du Musée Rodin accueille Yannick Bolloré, fils de Vincent et PDG du groupe de conseil en communication Havas, ou encore celui du Palais de Tokyo une cadre dirigeante d’Engie.

Diplomatie pétrolière

Une partie des activités de mécénat de la fondation Total – le groupe ne s’en cache pas – est en relation directe avec les activités commerciales de l’entreprise. L’une des principales thématiques de cette fondation, les océans et la biodiversité, concerne directement Total en tant qu’opérateur offshore. La firme pétrolière affiche également son désir de valoriser la culture des pays dans lesquels elle opère, à travers des actions culturelles où elle joue à la fois un rôle de financeur et un rôle d’intermédiaire avec les autorités des pays concernés. « Ce qui est intéressant, c’est d’utiliser la culture pour mieux comprendre les communautés avec lesquelles on travaille. L’action de Total sera d’autant plus pérenne que les communautés avec lesquelles nous traitons se sentiront respectées », se justifiait il y a quelques années Catherine Ferrant, déléguée générale de la fondation Total, à Jeune Afrique.

Grand mécène du Musée du quai Branly depuis 2009, la fondation Total a ainsi soutenu pas moins de dix expositions, pour la plupart centrées sur les arts africains (Côte d’Ivoire, Nigeria, Congo), auxquelles s’ajoutent une exposition sur « Les Arctiques » en 2010 et une sur la Papouasie Nouvelle-Guinée en 2016. Autant de contrées où Total a des activités. Même constat pour l’exposition « Angola, Figures du pouvoir » en 2011 au Musée Dapper à Paris.

Le Louvre est un partenaire de choix pour de telles opérations, particulièrement lorsqu’elles s’inscrivent également dans les priorités diplomatiques du gouvernement français. L’année 2010 a été riche de ce point de vue, avec l’exposition « Sainte Russie » sponsorisée par Total, GDF Suez et Gazprom, dans le cadre de l’Année de la Russie en France. Puis, quelques mois plus tard, « Routes d’Arabie », sponsorisée par Total et la compagnie pétrolière nationale saoudienne Aramco. Au même moment, Total et Aramco finalisaient leur projet de construction d’une raffinerie géante à Jubail, à l’Est de l’Arabie saoudite. À une moindre échelle, la fondation Total a aussi soutenu l’exposition de 2015 sur « L’épopée des rois thraces », réalisée en partenariat avec la Bulgarie – au moment même où Total s’apprêtait à lancer des forages pétroliers et gaziers au large des côtes bulgares en Mer noire.

Des expositions sous influence

En Grande-Bretagne, les militants de Art Not Oil ont mis en lumière des documents suggérant que BP a utilisé son tel mécénat à des fins diplomatiques, et même directement influencé certains choix muséographiques. BP a ainsi financé l’acquisition d’une œuvre d’artistes aborigènes australiennes incluse dans une exposition du British Museum, à un moment où elle était au centre des critiques en Australie du fait de ses projets de prospection offshore dans la Grande Baie Australienne – des projets qu’elle vient d’abandonner.

La même entreprise a financé au printemps 2016, toujours au British Museum, l’exposition « Villes englouties : les mondes perdus de l’Égypte », présentant des découvertes archéologiques récentes dans le delta du Nil, alors même qu’elle était en négociation avec le gouvernement égyptien sur le lancement de forages gaziers dans la même zone. Cette exposition avait été présentée précédemment à Paris à l’Institut du monde arabe sous le titre « Osiris, mondes engloutis d’Égypte », avec le soutien de… la fondation Total ! Dans le communiqué de presse de lancement de l’exposition, l’ambassadeur égyptien en Grande-Bretagne y va d’ailleurs franco : « Nous remercions nos partenaires au Royaume-Uni, comme BP, de travailler avec nous à l’exploitation de nos ressources pour développer notre économie. » Qui a dit qu’art et business ne faisaient pas bon ménage ?

Intentions douteuses

En France, ces pratiques ne sont l’apanage exclusif de Total. Le Musée du Quai Branly, soutenu par de nombreuses fondations d’entreprises, a parfois défrayé les chronique par ses choix peu judicieux. Ce fut notamment le cas en 2011 pour une grande exposition sur la civilisation Maya, sponsorisée par l’entreprise pétrolière franco-britannique Perenco, qui exploite des gisements pétroliers au Guatemala, en zone maya, dans des conditions très controversées (lire notre article). La presse s’en est alors largement fait l’écho.

Les musées français jurent la main sur le cœur que les fondations qui les soutiennent ne se mêlent pas de leurs choix muséographiques, mais ne semblent pas immunisés contre des pratiques similaires à celles mises au jour en Grande-Bretagne. « Les mécènes sont très à cheval sur la liste des œuvres retenues pour une exposition », confiait ainsi au Monde la directrice du mécénat du Quai Branly.

Privatisation d’espaces et location de la « marque »

« Une forte visibilité en tant qu’entreprise citoyenne », « des relations publiques de prestige », « une opportunité de valoriser la culture d’entreprise en interne », sans oublier « des avantages fiscaux substantiels ». C’est ainsi que le Louvre essaie d’attirer les entreprises sur son site internet dédié, louvremecenat.fr. De nombreuses contreparties matérielles sont offertes aux généreux donateurs. Selon les services du Louvre, elles représentent jusqu’à 25% des sommes versées par ces donateurs. Si l’on y ajoute les 60% de déduction fiscale [4] permis par le régime juridique des fondations d’entreprise, ce ne seraient en fait que 15% des dons qui seraient « à charge » pour les mécènes. Parmi les avantages offerts, la gratuité pour tous les salariés des entreprises donatrices. Au moment même où cette mesure a été instaurée en faveur des employés de Total, la direction du Louvre essayait – en vain, à cause de la levée de boucliers – de revenir sur la gratuité pour les artistes et les enseignants. Tout un symbole.

Les bénéfices réels pour le Louvre de cette politique sont très difficiles à évaluer en l’absence de chiffres précis. En 2015, le mécénat d’individus ou d’entreprises a rapporté au Musée 16 millions d’euros, loin derrière les subventions publiques (99 millions) et la billetterie (61 millions). Encouragé par l’État, le Louvre a aussi développé un politique extensive de privatisation de ses espaces – y compris le Jardin des Tuileries, géré par l’établissement du Louvre – pour abonder ses caisses. En 2015, ces activités ont généré 15 millions de revenus.

L’opération « Louvre Abou Dhabi », négociée au plus haut niveau, représente un nouveau pas franchi dans cette logique de commercialisation : la « location » du nom du Louvre pour trente ans aux Émirats arabes unis rapportera 400 millions d’euros au musée, à quoi s’ajouteront un autre milliard à partager avec d’autres institutions françaises pour le prêt d’œuvres à l’émirat. Une manne dont le Louvre s’est servie pour se créer un « fonds de dotation », placé sous l’égide d’un conseil où figurent plusieurs dirigeants d’Axa.

« Nous ne sommes pas là pour soupçonner les gens fortunés »

Il y a aussi des abus retentissants. Ce sont par exemple les « publi-expositions » organisées par le Louvre en partenariat avec des entreprises du secteur du luxe, comme avec l’horloger Breguet en 2009. Mais le plus grand scandale à ce jour reste « l’affaire Ahae », du nom de ce leader de secte sud-coréen qui a réussi, moyennant des dons sonnants et trébuchants, à faire exposer ses photographies de qualité anodine dans le jardin des Tuileries, puis dans le pavillon de l’Orangerie à Versailles. Les directeurs des deux institutions se sont fendus de préfaces dithyrambiques pour le catalogue officiel de ces deux expositions, entièrement financées par Ahae, mais présentées comme des expositions officielles. Quelques mois plus tard, le pot aux roses est révélé grâce à une enquête du journaliste Bernard Hasquenoph [5].

L’affaire fit scandale jusqu’en Corée du Sud où le naufrage dramatique d’un ferry appartenant à Ahae a provoqué au même moment des dizaines de morts, parmi lesquels de nombreux adolescents. Suite à ces événements, le ministère de la Culture a proposé la mise en place d’une charte éthique du mécénat. Le Musée du Louvre s’était pourtant déjà doté d’une telle charte au début des années 2000 [6], laquelle n’a manifestement pas servi à grand chose.

Jusqu’ici, ce sont surtout les problématiques fiscales liées au mécénat qui ont retenu les critiques. N’y a-t-il pas en effet une certaine schizophrénie de la part de l’État à se priver d’un côté de ressources – avec les déductions fiscales pour encourager le mécénat privé – tout en réduisant de l’autre côté les subventions qui permettent le fonctionnement des institutions culturelles, sous prétexte de contraintes budgétaires ? À quelques exceptions près, l’origine des fonds privés, qui prennent une place de plus en plus importante dans les institutions culturelles, n’a pas suscité de débats. « Nous ne sommes pas là pour soupçonner les gens fortunés », s’est défendue la présidente de l’Établissement du Château de Versailles, Catherine Pégard, suite au scandale Ahae.

Pour les militants de 350.org, il est temps de se poser la question beaucoup plus sérieusement, car c’est la vocation même de ces institutions qui peut s’en trouver dénaturée : « Le Musée du Louvre a une responsabilité morale incontournable face à la crise climatique, en tant que courroie de transmission entre les civilisations et les cultures, mais aussi en tant que lieu d’éducation. Ses partenariats avec Total et Eni entrent en contradiction avec ses missions. »

Olivier Petitjean

— 
Photo : Human Cost, Duveen Gallery, Tate Britain. Action et performance organisée en 2011 par Liberate Tate, pour l’anniversaire de la marée noire du Golfe du Mexique provoquée par une plate-forme pétrolière de BP. Durée 87 minutes, une minute par jour de pollution.

[1Par exemple, le fait que les scénarios énergétiques sur lequel se base Total suppose un déploiement massif du nucléaire et des technologies (non prouvées, coûteuses et risquées) de capture-séquestration du carbone. Ou encore la manière dont Total escamote le débat sur les émissions de gaz à effet de serre du gaz de schiste en se référant à une étude réalisée par le Ciraig, et dont les conclusions réelles sont étrangement éloignées de ce qu’en tire la firme française pour sa communication (voir sur ce sujet la note de l’Observatoire des multinationales).

[2Le Louvre, que nous avons contacté dans le cadre de la préparation de cet article, n’a pas répondu à nos sollicitations.

[3Voir la recension exhaustive réalisée par Bernard Hasquenoph sur son site spécialisé Louvre pour tous. Thierry Desmarest et Henri de Castries ont cédé leur place au CA du Louvre en 2014, seul ce dernier ayant été remplacé par une autre dirigeante d’Axa. De Castries reste impliqué dans le conseil d’administration du fonds de dotation du Louvre ainsi que dans la Société des Amis du Louvre.

[4Les entreprises peuvent détruire les fonds apportés à leurs fondations d’entreprise de leurs impôts à hauteur de 60%, dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires hors taxe, ce qui a été décrit comme « le dispositif fiscal le plus avantageux en Europe ». Dans le cas de Total, ces avantages fiscaux paraissent néanmoins marginaux par rapport aux autres mécanismes qu’elle peut mobiliser pour minimiser son ardoise fiscale.

[5Cf. son site « Louvre pour tous » et son livre Ahae. Mécène gangster, Max Milo, 2015.

[6À lire ici.

 

 

La détention des migrants, un business en pleine expansion

 

par Olivier Petitjean Source : http://multinationales.org/

 

Les centres de détention administrative de migrants sont de plus en plus nombreux en Europe et à ses frontières. Ils sont aussi de plus en plus privatisés, avec des conséquences négatives sur les conditions d’hébergement et les conditions de travail des employés, et plus largement sur le respect des droits et de la dignité humaine. En témoigne la récente révolte de migrants dans le centre de Cona, en Italie. De l’autre côté, des entreprises privées nationales ou multinationales profitent d’un marché estimé à un milliard d’euros par an.

Dans les premiers jours de janvier 2017, un groupe de migrants africains a retenu pendant quelques heures les employés du centre de détention de Cona, dans la région de Venise en Italie, et mis le feu à des meubles. Ils protestaient contre la surpopulation du centre, qui hébergeait alors environ 1500 personnes, et contre les mauvaises conditions d’accueil. La révolte a été déclenchée par le décès au centre de Sandrine Bakayoko, une Ivoirienne de 25 ans. Malade depuis plusieurs jours, elle n’aurait pas été pris en charge à temps.

Comme c’est souvent le cas en Italie, le centre de détention de Cona était géré par une « coopérative », appelée Ecofficina, qui faisait déjà l’objet d’une enquête administrative. La structure a en réalité très peu à voir avec l’économie sociale et solidaire ; Ecofficina semble avoir été créée expressément pour capter l’argent public consacré à la détention des migrants, sur fond de connivences politiques [1]. Déjà en 2014, le scandale « Mafia Capitale » avait mis en lumière le rôle de la mafia dans le secteur des centres de rétention en Italie, et la complicité de certains politiques.

Les événements de Cona illustrent aussi les conséquences de la tendance croissante à la privatisation de la gestion des centres de détention des migrants à travers tout le continent. Un rapport publié par Migreurop il y a quelques mois, intitulé La détention des migrants dans l’Union européenne : un business florissant, dresse un tableau alarmant. On comptait en 2015 260 centres de détention de migrants dans l’Union européenne, à quoi il faut en ajouter une centaine hors des frontières communautaires. Ce qui représente une capacité d’accueil théorique (largement dépassée dans les faits) de 50 000 personnes, et un budget de près d’un milliard d’euros par an. La détention administrative des migrants – dont les fondements juridiques sont problématiques, la plupart d’entre eux étant arrivés de manière légale – a aussi et surtout un « coût énorme pour les détenus en termes de droits et de dignité ou d’intégrité physique et mentale. (Tentatives de) suicides, automutilations, troubles psychiques, dépressions, mais aussi traitements dégradants, intimidations, agressions verbales et physiques, viols, etc. sont régulièrement recensés dans ces lieux d’enfermement. » Avec quelquefois des décès à la clé, comme celui de Jimmy Mubenga, un Angolais mort étouffé en 2010 dans l’aéroport Heathrow, entre les mains d’employés de l’entreprise G4S. Le tout pour une « efficacité » douteuse (du point de vue des politiques souhaitées par les gouvernements), puisque l’Union européenne estime que moins de 40% des détentions administratives donnent lieu à des reconduites à la frontière.

Multinationales de la détention de migrants

Mis à part au Royaume-Uni, qui dans ce secteur comme dans d’autres a poussé très loin la logique de privatisation, les centres de détention restent généralement gérés formellement par les pouvoirs publics, mais une partie de plus en plus importantes des « services » qu’ils impliquent (entretien, restauration, hôtellerie, voire accueil et conseil) sont sous-traités à des entreprises. Les prestataires sont encore souvent des entreprises nationales, mais de grands groupes internationaux spécialisés commencent à émerger. Des multinationales comme G4S, Serco ou Geo ont pris leur essor grâce aux privatisations britanniques et ont étendu leurs activités ailleurs dans le monde, comme en Australie, aux États-Unis, et désormais en Grèce pour G4S. La française Sodexo s’est également impliquée dans le secteur, vu comme une extension de ses activités dans les prisons. Gepsa, filiale d’Engie déjà très présente sur le marché de la détention des migrants (comme sur celui des prisons) en France, est également devenue leader en Italie à travers son partenariat avec l’« association culturelle » Acuarinto, et en proposant des tarifs de 20 à 30% inférieurs à ceux de ses concurrents.

En France, beaucoup de grands noms du CAC40 sont impliqués dans la détention des migrants. Outre Engie via sa filiale Gepsa, Bouygues est un autre acteur majeur du secteur, chargé de la construction des centres de rétention dans le cadre de contrats de PPP. En 2010, quatre travailleurs sans-papiers employés sur un chantier par une filiale du groupe de BTP ont été arrêtés par la police et placés en détention… dans le centre même qu’ils avaient contribué à construire. Veolia (pour le centre de rétention de Strasbourg) et Vinci (pour ceux de Marseille et de Sète) sont également sur le créneau, de même que le groupe de restauration collective Elior ou l’entreprise de nettoyage Onet.

‘Low cost’ et déresponsabilisation

La motivation derrière la tendance générale à la privatisation des centres de détention en Europe est on ne peut plus claire : une pression à la baisse sur les coûts, qui se répercute sur les conditions de détention. Dans le centre de détention de Rome, le modèle « low cost » proposé par Gepsa et Acuarinto pour obtenir le marché se serait notamment traduit par « une diminution de l’assistance psychologique auprès des détenus et de l’argent de poche qui leur est distribué, ainsi que par des manquements en matière de restauration et de santé ». La course à la réduction des coûts a également des conséquences sur les conditions de travail, comme l’a rappelé le mouvement social des employés du centre de rétention du Mesnil-Amelot en 2013. Enfin, la logique de privatisation renforce également la situation de non-droit dans laquelle se trouvent déjà de fait les migrants détenus, en diluant les responsabilités entre pouvoirs publics et prestataires privés. Illustration : G4S n’a pas du tout été inquiétée par la justice britannique suite à la mort de Jimmy Mubenga.

Est-il possible de faire mieux ? Un pays au moins, la Suède, a fini par renationaliser entièrement la détention administrative des migrants suite à une série d’abus chez les prestataires. Pas encore une situation idéale, mais sans doute une condition pour réintroduire un peu de droit et de dignité humaine dans un secteur qui s’enfonce rapidement dans la direction inverse.

Olivier Petitjean

 

[1Voir ici et .

 

 

 

 

Exposition aux ondes : les tests biaisés des fabricants de téléphones portables

 

http://multinationales.org/
Photo : thoroughlyreviewed.com CC

Les niveaux d’exposition aux radiofréquences affichés par les fabricants de téléphones comme Apple ou Samsung sont-ils fiables ? Si leurs appareils respectent en apparence les normes européennes dans ce domaine, c’est parce que les tests sont réalisés dans des conditions très éloignées des conditions d’utilisation réelles, avec des téléphones à quelques centimètres de distance des corps. Pour les organisations et les experts qui alertent sur les risques des ondes électromagnétiques, c’est un scandale du même ordre que le Dieselgate.

En Europe, une réglementation de 1999 a fixé la valeur à ne pas dépasser à 2 W/kg pour l’exposition de la tête et du tronc, et à 4 W/kg pour les membres. Les fabricants respectent bien ces normes… du moins quand l’appareil n’est pas placé au contact du corps. Pour faire certifier leurs modèles, ils font en effet procéder à des essais en laboratoire. (...) Or, si, pour les tests au niveau de la tête, la réglementation impose que la mesure soit faite téléphone collé à l’oreille, pour ceux au niveau du reste du corps, elle laisse les industriels libres de fixer la distance à laquelle est placé l’appareil. Et de la choisir en sorte, précisément, que la limite d’exposition ne soit pas dépassée.

À l’exception des modèles les plus récents, pour lesquels la distance lors des tests a été raccourcie, celle-ci était jusqu’ici d’environ 15 mm, avec un maximum de 25 mm. Ces quelques millimètres font toute la différence avec la vie réelle, dans laquelle le portable est couramment porté dans la poche de chemise, de veste ou de pantalon, au contact presque direct avec la peau. Rappelons que même quand l’utilisateur ne téléphone pas, son mobile, lorsqu’il est en veille, reste connecté et source de radiofréquences.

L’Agence nationale des fréquences (ANFR), l’établissement public chargé du contrôle de ce secteur, a fait procéder à ses propres évaluations, (...) avec, cette fois, l’appareil au contact du corps. Les résultats sont très différents. Ils sont rapportés dans l’avis de juillet 2016 de l’Anses. En 2015, peut-on y lire, « 89 % des téléphones mesurés au contact par l’ANFR présentaient un DAS supérieur à 2 W/kg et 25 % un DAS supérieur à 4 W/kg ». Quelques-uns atteignaient même 7 W/kg. Ces dépassements ne concernent pas l’exposition de la tête, mais du reste du corps.

 L’intégralité de l’article est sur le site du Monde (payant)

 

 

— 

Dans une mine au milieu du désert australien, Sodexo met les travailleurs sous surveillance totale

 

http://multinationales.org/

Il y a quelques mois, Sodexo annonçait avoir signé avec Rio Tinto, le géant minier, un contrat de 2,5 milliards de dollars australiens (1,8 milliards d’euros) pour gérer pendant dix ans ses installations minières dans l’Ouest de l’Australie. Selon le quotidien britannique The Guardian, ce contrat inclut la mise en place d’une dispositif totalement inédit de surveillance des moindres mouvements des travailleurs employés sur le site, qui pourrait impliquer l’utilisation de drones. De quoi inquiéter aussi bien les défenseurs des libertés individuelles que les syndicats.

Dans un coin perdu de l’Ouest de l’Australie, Rio Tinto possède un immense exploitation de fer : la mine de Pilbara. Celle-ci fonctionne sur le modèle du fly in fly out, c’est-à-dire que les mineurs viennent y travailler par avion pour une certaine période de temps, avant de repartir chez eux se reposer, et ainsi de suite. Selon le Guardian, le complexe comprend « trois ports, six villages, trois aéroports, 15 sites opérationnels, 42 sites d’hébergement, 134 équipements, 336 bâtiments commerciaux et 3259 bâtiments résidentiels ». La gestion de l’ensemble est confiée, depuis cette année, à l’entreprise française Sodexo, qui y a mis en œuvre des « innovations » qui suscitent beaucoup d’inquiétudes.

Voici ce qu’en dit le Guardian :

Dans le cadre de ce contrat, Sodexo est en train d’accroître considérablement la surveillance des installations de Rio Tinto à Pilbara à travers une plateforme qui transmet en direct un flux d’informations vers une station de supervision à Perth employant 50 personnes.

« Cela nous donne des aperçus et des données chiffrées utilisables en temps réel sur nos équipements et le mouvement des individus, la satisfaction de nos clients, et même les dépenses effectuées sur le site », nous a écrit Weston [un cadre local de Sodexo, NdE]. « Notre but est d’en arriver au point où nous pouvons avoir une information individualisée sur où et comment les employés passent leur temps et dépensent leur argent, afin d’améliorer leur qualité de vie. »

« À terme, Sodexo projette d’ajouter des capteurs aux réverbères et aux poubelles, et nous avons déjà des expérimentations prévues avec des drones. »

Sont d’ores et déjà mis en oeuvre le traçage par GPS des mouvements des véhicules, ainsi que des réseaux d’eau intelligents qui alertent les opérateurs sur le déclin des ressources ou sur la dégradation des canalisations à un point où elles requièrent une réparation.

Lire l’intégralité de l’article sur le site du Guardian (en anglais).

Inquiétudes

Ces révélations ont suscité l’inquiétude aussi bien des défenseurs de la vie privée et des libertés individuelles que des syndicats et des médecins du travail. Les premiers soulignent les multiples utilisations problématiques qui pourraient être faites de ces données : surveillance et répression des activités syndicales, identification des éventuels lanceurs d’alerte, collaboration avec des enquêtes policières et judiciaires, etc. Les seconds craignent les conséquences pour l’emploi et les conditions de travail. À un moment où l’industrie minière australienne a connu de nombreuses restructurations et suppressions d’emploi, l’installation de ces dispositifs de surveillance pourrait avoir pour effet d’augmenter encore la pression sur les salariés, voire fournir à Rio Tinto les données nécessaires pour mettre en œuvre des mécanismes d’automation supplémentaire de ses opérations.

Sodexo est surtout connue en France pour ses prestations dans le domaine de la restauration collective, mais la firme française a depuis longtemps étendu ses activités à la gestion intégrale d’équipements collectifs comme des prisons ou des centres de détention pour migrants. Elle a également développé des services dans la « motivation » et la « qualité de vie » des salariés.

Le Guardian précise avoir tout d’abord été approché par Sodexo pour publier un article promotionnel sur les nouvelles expérimentations que la firme mettait en œuvre dans la zone de Pilbara. Lorsque les journalistes ont commencé à s’intéresser de plus près aux dispositifs effectivement mis en place et à leurs implications, Sodexo et Rio Tinto ont cherché à entraver leurs efforts. Suite à la publication de l’article du quotidien britannique, Sodexo a précisé que l’utilisation de drones n’était qu’un projet, et que les données collectées l’étaient conformément à la législation australienne.

Reste que l’entreprise française a clairement conçu son contrat australien comme un projet pilote qu’elle pourrait vendre ensuite à d’autres entreprises ou à des collectivités locales. Bienvenue dans le meilleur des mondes.

Olivier Petitjean

— 
Photo : Wikimedia Commons CC

 

 

11/01/2017

Sur la piste du mythe du chef Seattle

 

Par Olivier Le Naire avec Philippe Coste (aux Etats-Unis), publié le
source : L'Express
La seuls photo connue du chef Seattle. Sa légende commence en 1887, quand le Seattle Sunday Star publie une première transcription de ses propos.

La seuls photo connue du chef Seattle. Sa légende commence en 1887, quand le Seattle Sunday Star publie une première transcription de ses propos.

DR

Tout beau, tout faux: l'Express part sur la trace de quelques cas exemplaires de mystification. Fin du bal avec le discours de ce chef amérindien, en 1854, chantant ses terres et sa civilisation. Un texte devenu culte pour les Américains... jusqu'à ce que l'on découvre que la parole du vieux sage avait été tronquée, déformée, récupérée.

D'abord se laisser bercer par ce texte comme on écouterait couler une rivière, s'abandonner à sa beauté, sa poésie, sa pureté. Puis frémir lorsqu'il s'agite, gronde et se révolte. Respecter ses silences aussi. Nous sommes en 1854, sur les territoires encore sauvages du Nord-Ouest américain. A Washington, Franklin Pierce, 14e président des Etats-Unis, a confié à son chargé des Affaires indiennes la délicate mission de négocier l'achat de 2,5 millions d'acres (plus de 1 million d'hectares!) de leurs terres ancestrales aux peuples indiens Duwamish et Suquamish. Ecoutons, dans une de ses multiples traductions françaises, la longue réponse orale du chef Seattle - il a depuis donné son nom à la capitale de l'aéronautique américaine- à cette proposition. 

"Peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre? Etrange idée pour nous! Si nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l'air, ni du miroitement de l'eau, comment pouvez-vous nous l'acheter? Le moindre recoin de cette terre est sacré pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque grève sablonneuse, chaque écharpe de brume dans le bois noir, chaque clairière, le bourdonnement des insectes, tout cela est sacré dans la mémoire et la vie de mon peuple. La sève qui coule dans les arbres porte les souvenirs de l'homme rouge. Les morts des hommes blancs, lorsqu'ils se promènent au milieu des étoiles, oublient leur terre natale. Nos morts n'oublient jamais la beauté de cette terre, car elle est la mère de l'homme rouge; nous faisons partie de cette terre comme elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos soeurs, le cerf, le cheval, le grand aigle sont nos frères; les crêtes des montagnes, les sucs des prairies, le corps chaud du poney, et l'homme lui-même, tous appartiennent à la même famille." On imagine volontiers la stupeur du gouverneur Stevens, le représentant de Washington, en entendant cette adresse qu'il est chargé de transmettre au président des Etats-Unis. Surtout quand, durant tout ce discours long d'une demi-heure, le grand Seattle garde une main posée sur la tête de son interlocuteur, connu pour sa petite taille. 

 

Seattle poursuit : "L'eau étincelante des ruisseaux et des fleuves n'est pas de l'eau seulement; elle est le sang de nos ancêtres. [...] Nous savons que l'homme blanc ne comprend pas nos pensées. Pour lui, un lopin de terre en vaut un autre, car il est l'étranger qui vient de nuit piller la terre selon ses besoins.  

Le sol n'est pas son frère, mais son ennemi, et quand il l'a conquis, il poursuit sa route. Il laisse derrière lui les tombes de ses pères et ne s'en soucie pas. [...] Apprenez à vos enfants ce que nous apprenons à nos enfants, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils crachent sur eux-mêmes. Nous le savons : la terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la terre. Nous le savons: toutes choses sont liées comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses sont liées." 

 

Ces paroles sont devenues quasi sacrées aux Etats-Unis, où la repentance pour les exactions commises contre les "natives" a commencé à prendre sa véritable ampleur voilà une cinquantaine d'années. A l'entrée des réserves, dans les musées et les parcs, le discours de Seattle est affiché partout. Le livre pour adolescents Brother Eagle, Sister Sky, reprenant le "discours du chef Seattle", agrémenté de dessins de l'illustratrice Susan Jeffers, s'est vendu à plusieurs millions exemplaires dans le monde. Et chaque année, à la Journée de la Terre, il est lu religieusement dans des centaines de villes. Al Gore, dans son livre Sauver la planète Terre, publié en 1992, a repris de longs passages de ce fameux discours. Même George W. Bush y fait régulièrement allusion. 

Incohérences et anachronismes

Las, ce texte digne d'un Abraham Lincoln ou d'un Martin Luther King défendant la cause des Indiens d'Amérique est un faux. Ou plutôt une copie du discours original de Seattle, mais une copie déformée, triturée, arrangée au fil de l'Histoire et des intérêts de ceux qui voulaient s'accaparer non seulement sa mémoire, mais aussi ses mots. Car cette version moderne du texte, qui a tant de succès encore aujourd'hui, a été rédigée en... 1971, par un certain Ted Perry - scénariste texan à qui la commission de radio et de télévision baptiste du Sud avait commandé un film sur l'environnement. Lorsque ledit film est diffusé quelques mois plus tard sur la chaîne ABC, les producteurs se gardent bien de préciser que ces paroles attribuées à Seattle ne sont qu'une très libre adaptation du discours d'origine. Et c'est ainsi que, bouleversés par ce discours, des milliers de téléspectateurs réclament le texte de Perry, qui va alors se répandre comme une traînée de poudre. 

Seuls quelques connaisseurs ou érudits- en particulier parmi les Indiens de la réserve des Duwamish- relèvent à l'époque les incohérences ou anachronismes de ce vrai-faux discours. Il faudra attendre le tout début des années 1990 pour qu'un ethnologue allemand, Rudolf Kaiser, dévoile la vérité.  

SOLENNEL Poster récent reprenant des éléments du discours de Seattle, dont le fameux "la terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la terre".

SOLENNEL Poster récent reprenant des éléments du discours de Seattle, dont le fameux "la terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la terre".   DR

Comment Seattle aurait-il pu, en effet, regretter la "vue des collines en pleine fleur ternie par des fils qui parlent", quand, relève Kaiser, le télégraphe ne devait faire son apparition sur ces terres que plusieurs années plus tard? Comment le vieux chef aurait-il pu voir "un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l'homme blanc qui les avait abattus d'un train qui passait", quand il est aujourd'hui prouvé qu'il n'y avait, à cette époque et en ce lieu, pas plus de bisons sur la prairie (ils paissaient à 1 000 kilomètres de là!) que de "cheval de fer fumant", cette ligne ayant été construite bien plus tard? 

Un texte reconstitué de mémoire

Alors, un imposteur, Perry? Pas vraiment. Ou alors imposteur malgré lui, car le malentendu qui subsiste encore aujourd'hui est dû à une cascade assez extraordinaire de circonstances et de louvoiements avec la vérité qui montrent comment se construisent les mythes. 

Ted Perry, faussaire malgré lui.

Ted Perry, faussaire malgré lui.    DR

Le début de l'imposture remonte au 29 octobre 1887, lorsque, trente-trois ans après les faits, le Seattle Sunday Star publie, sous la signature du Dr Henry Smith, la première transcription écrite des propos. Smith, qui était présent à l'entrevue d'origine entre le chef indien et le gouverneur Stevens, donne une version pour le moins personnelle de ce texte, qu'il reconstitue de mémoire, et dans un style emphatique à consonance très catholique qui n'a, d'après les spécialistes, pas grand-chose à voir avec la façon dont Seattle devait s'exprimer. Par-delà les questions de langage ou les flous de la mémoire, David Buerge, un des grands spécialistes de l'histoire du Nord-Ouest américain, explique aujourd'hui à L'Express: "Cette transcription de Smith s'inscrit dans un contexte particulier. Il la publie au moment où une certaine classe moyenne commence à débarquer à Seattle et supplante les pionniers. Voilà pourquoi il tend à faire, volontairement ou non, un parallèle entre le sort de ces pionniers et celui des Indiens." 

Durant près d'un siècle, de multiples versions de ce texte vont circuler. Le fameux discours est, par exemple, souvent cité par les journaux américains lors de la crise économique et sociale des années 1930. Mais, cette fois, pour rappeler que ceux qui détiennent le pouvoir ou l'argent doivent se montrer justes avec leur peuple. Seattle, défenseur des opprimés! Jusqu'au jour où, en 1969, un professeur de littérature de l'université du Texas - William Arrowsmith- restitue ce discours dans une adaptation plus moderne, le publie, et... le lit en public lors du premier Jour de la Terre, en avril 1970.  

PIEDESTAL Statue du chef, érigée à Seattle en 1912.

PIEDESTAL Statue du chef, érigée à Seattle en 1912.       DR

C'est le moment où la vague écologiste et hippie déferle sur une Amérique qui, en pleine guerre du Vietnam, doute de ses valeurs comme de son modèle, synonyme, aux yeux de beaucoup, de gaspillage, de pollution, de domination. Parmi les auditeurs d'Arrowsmith, le scénariste Ted Perry, qui prépare justement un film écologiste. Il s'empare donc du personnage et du discours de Seattle pour réaliser une oeuvre de semi-fiction, avec le succès que l'on sait. 

La puissance d'un mythe se mesure sans doute au fait que, même lorsque l'on sait qu'il ne s'appuie pas sur une base réelle, on désire encore y croire. C'est le cas de ce discours fameux, qui continue à être une référence même si, dans la foulée des révélations de l'Allemand Rudolf Kaiser, le New York Times a publié, en 1992, un article expliquant la vérité. Dans une lettre à Kaiser, Perry a confessé qu'"il avait été horrifié" de voir son adaptation confondue avec le véritable discours du chef Seattle, et le mythe devenir plus fort que la réalité. Il va même plus loin : "Pourquoi sommes-nous si disposés à accepter un texte de la sorte lorsqu'il est attribué à un chef indien? Parce que nous voulons placer les premiers habitants de ce continent sur un piédestal pour esquiver la responsabilité de nos actes."L'autre explication est aussi, peut-être, que Perry a trop bien travaillé. Et son texte, fidèle à l'esprit sinon à la lettre des propos du vieux chef, résonne si juste aux oreilles d'un monde à la dérive que l'on en a besoin aujourd'hui. Mais quand David Buerge parle, à propos de Seattle, du "plus grand prophète manufacturé" de notre époque, il pourrait aussi rappeler les cas de Jésus ou Mahomet. Leurs paroles, elles aussi, ont été si déformées qu'ils ne les reconnaîtraient sans doute pas aujourd'hui. 

 

 

 

10/01/2017

Le vrai visage de l’Europe forteresse

 

 
 .

Les dirigeants européens et le gouvernement grec ont affirmé que les réfugiés sont à l’abri de la vague de froid.

 Voici la réalité en trois petites minutes (filmée le 7 janvier 2017).
 .
Collectif Anepos
 .

 
– – – – – – –
 
ACTIONS EN COURS (janvier 2017)
Liste globale des besoins pour le prochain convoi solidaire vers la Grèce du 23 janvier (Eric, Yannis, Nathalie et Cyril) :
Points de collectes permanents : Toulouse, Plaisance du Touch, Albi, Revel, Mazamet, Béziers, Nîmes, Martigues, Marseille, St-Savournin, Nice, Lyon.
Si vous souhaitez déposer à l’un de ces points de collectes, demandez le contact téléphonique au collectif : anepos@no-log.org
Points de collectes ponctuels : Aussillon le 18/01, Lavaur le 19/01, Castres le 20/01, Mâcon le 07/02.
Détails : http://jeluttedoncjesuis.net/spip.php?article16
Les colis légers peuvent également être envoyés par la poste à :
Anepos – BP10 – 81540 Sorèze (nous contacter si besoin d’autres détails)
Collectes de fournitures et autres formes de solidarité :
Cuisine sociale gratuite l’Autre Humain (Athènes, Lesbos, etc.)
 
 
 

12:16 Publié dans AGIR | Lien permanent | Commentaires (0)

09/01/2017

Comment la consomation des pays riches met en danger la biodiversité du monde entier

 

 

Le travail au-delà de l’emploi : comment rompre avec les politiques traditionnelles de lutte contre le chômage.

 

Source : LE MONDE |

 

Pierre-Yves Gomez signale que l’individu, contrôlé par « ceux qui détiennent le capital et la technologie », a été formaté « à ne considérer comme relevant du travail que le temps contrôlé par les entreprises ou les administrations. Au point de méconnaître le fait que, sur cent heures travaillées, un Français en effectue en moyenne une moitié comme salarié et l’autre sous des formes autonomes ou auto-organisées, domestiques, associatives ou collaboratives ».

La crise de ce modèle et la révolution technologique (et son corollaire uber) aidant, l’économiste imagine deux perspectives en forme d’alternative : la fondation d’une nouvelle société qui se fonderait sur le travail auto-organisé et indépendant ou une société dans laquelle les entreprises récupéreraient ces formes auto-organisées à leur profit, pour favoriser la flexibilité, avec pour conséquence un accroissement de la précarité.

Le philosophe Bernard Stiegler part du même constat, évoquant même ces « entreprises de prédation dont Uber est devenu le symbole » : « l’avènement du Web en 1993 aura eu la même portée économique et politique que l’avènement de la chaîne de montage de la Ford T en 1913. L’une comme l’autre auront bouleversé les économies industrielles », dit-il. Mais avec à la clef très peu d’emplois. Et l’hostilité à leur encontre des populations.

Redistribution

Il faut dès lors « revaloriser le travail » (progressivement éliminé par l’emploi salarié) « dans un contexte de dépérissement de l’emploi, ce qui signifie aussi qu’il faut redistribuer une part significative des gains de productivité issus de l’automatisation en rémunérant le travail hors emploi ».

Cette « économie contributive » « repose sur un revenu contributif conditionnel, comme l’est le régime des intermittents, complémentaire du revenu minimum d’existence, qui lui est en revanche inconditionnel ».

« La combinaison de ces deux nouvelles formes de redistribution, conçues comme deux aspects d’une nouvelle réalité macroéconomique et d’une nouvelle dynamique industrielle, rendra les économies contemporaines durables, désirables et capables de retrouver la rationalité qui leur fait désormais tellement défaut », conclut Bernard Stiegler.

Cette inquiétude liée à l’automation est partagée par l’économiste Roger Sue pour lequel « entre 40 % et 60 % des emplois seraient menacés à échéance d’une vingtaine d’années » et qui met en avant déstructuration et précarisation de l’emploi, sources de tensions sociales et politiques, dont témoignent les récentes élections, tant en Europe qu’aux Etats-Unis.

Des raisons d’espérer

Rejoignant l’analyse de M. Gomez sur l’opposition entre salariat et autres formes de travail, auto-organisées, Roger Sue constate que face au service public – santé, services à la personne, culture, environnement, etc. – incapable de répondre à la demande, « les associations et autres ONG sont devenues des acteurs économiques majeurs » où « l’emploi n’a cessé de s’y développer ».

Ce qui lui donne des raisons d’espérer : le travail ne manque pas. M. Sue voit plus une chance dans le succès de l’économie collaborative qui « permet l’extension des échanges de savoirs, savoir-faire, produits ou services ». Or, écrit-il, « une société plus dense et plus relationnelle génère plus de travail au sens large. Le centre de gravité de l’économie se déplace ainsi vers la société civile, où se développe une richesse inédite et méconnue qui s’oppose moins à l’économie marchande qu’elle ne la stimule en lui offrant talents et débouchés ».

Avant de conclure que « la politique de l’emploi devrait amplifier ce cercle vertueux pour ne laisser personne au bord du chemin et inciter à l’engagement et à la citoyenneté, valeurs associées au travail dès son origine » et promouvoir « le volontariat, entre bénévolat et salariat », qui « montre la voie, particulièrement avec le service civique ».
Pierre-Yves Gomez signale que l’individu, contrôlé par « ceux qui détiennent le capital et la technologie », a été formaté « à ne considérer comme relevant du travail que le temps contrôlé par les entreprises ou les administrations. Au point de méconnaître le fait que, sur cent heures travaillées, un Français en effectue en moyenne une moitié comme salarié et l’autre sous des formes autonomes ou auto-organisées, domestiques, associatives ou collaboratives ».

La crise de ce modèle et la révolution technologique (et son corollaire uber) aidant, l’économiste imagine deux perspectives en forme d’alternative : la fondation d’une nouvelle société qui se fonderait sur le travail auto-organisé et indépendant ou une société dans laquelle les entreprises récupéreraient ces formes auto-organisées à leur profit, pour favoriser la flexibilité, avec pour conséquence un accroissement de la précarité.

Le philosophe Bernard Stiegler part du même constat, évoquant même ces « entreprises de prédation dont Uber est devenu le symbole » : « l’avènement du Web en 1993 aura eu la même portée économique et politique que l’avènement de la chaîne de montage de la Ford T en 1913. L’une comme l’autre auront bouleversé les économies industrielles », dit-il. Mais avec à la clef très peu d’emplois. Et l’hostilité à leur encontre des populations.

Redistribution

Il faut dès lors « revaloriser le travail » (progressivement éliminé par l’emploi salarié) « dans un contexte de dépérissement de l’emploi, ce qui signifie aussi qu’il faut redistribuer une part significative des gains de productivité issus de l’automatisation en rémunérant le travail hors emploi ».

Cette « économie contributive » « repose sur un revenu contributif conditionnel, comme l’est le régime des intermittents, complémentaire du revenu minimum d’existence, qui lui est en revanche inconditionnel ».

« La combinaison de ces deux nouvelles formes de redistribution, conçues comme deux aspects d’une nouvelle réalité macroéconomique et d’une nouvelle dynamique industrielle, rendra les économies contemporaines durables, désirables et capables de retrouver la rationalité qui leur fait désormais tellement défaut », conclut Bernard Stiegler.

Cette inquiétude liée à l’automation est partagée par l’économiste Roger Sue pour lequel « entre 40 % et 60 % des emplois seraient menacés à échéance d’une vingtaine d’années » et qui met en avant déstructuration et précarisation de l’emploi, sources de tensions sociales et politiques, dont témoignent les récentes élections, tant en Europe qu’aux Etats-Unis.

Des raisons d’espérer

Rejoignant l’analyse de M. Gomez sur l’opposition entre salariat et autres formes de travail, auto-organisées, Roger Sue constate que face au service public – santé, services à la personne, culture, environnement, etc. – incapable de répondre à la demande, « les associations et autres ONG sont devenues des acteurs économiques majeurs » où « l’emploi n’a cessé de s’y développer ».

Ce qui lui donne des raisons d’espérer : le travail ne manque pas. M. Sue voit plus une chance dans le succès de l’économie collaborative qui « permet l’extension des échanges de savoirs, savoir-faire, produits ou services ». Or, écrit-il, « une société plus dense et plus relationnelle génère plus de travail au sens large. Le centre de gravité de l’économie se déplace ainsi vers la société civile, où se développe une richesse inédite et méconnue qui s’oppose moins à l’économie marchande qu’elle ne la stimule en lui offrant talents et débouchés ».

Avant de conclure que « la politique de l’emploi devrait amplifier ce cercle vertueux pour ne laisser personne au bord du chemin et inciter à l’engagement et à la citoyenneté, valeurs associées au travail dès son origine » et promouvoir « le volontariat, entre bénévolat et salariat », qui « montre la voie, particulièrement avec le service civique ».
 

A lire aussi :

France : « Une société de castes, où chaque groupe méprise l’autre et se sent méprisé », par Marion Fontaine, maître de conférences à l’université d’Avignon. Une dynamique d’humiliation et de mépris place les classes populaires en marge du débat politique. La gauche doit répondre à leur quête de reconnaissance et de fierté, estime l’historienne.

« Les querelles du PS sur la question économique sont aussi vieilles que le socialisme lui-même », par Mathieu Fulla, chercheur permanent au Centre d’histoire de Sciences Po. L’économie est pour le PS une arène politique dangereuse où se règlent les luttes intestines. Le sujet est source d’un embarras persistant, que la droite sait exploiter pour lui faire un procès en incompétence.

 

 

Équateur. Des défenseurs des droits des peuples autochtones en danger après l’arrestation de leur chef

 

Publié le 04.01.2017.  Source : Amnesty International

Le 21 décembre, des agents de la police nationale sont entrés de force dans les locaux de la Fédération interprovinciale des centres shuars et achuars, dans la province de Morona Santiago, et ont arrêté le chef de cette organisation, Agustín Wachapá.

Son arrestation s’ajoute à une série d’actes de violence, de harcèlement et de pression subis par des membres de la communauté indigène shuar aux mains des autorités de l’État en raison de leur opposition à un projet de mine de cuivre à Morona Santiago.

Parallèlement à l’arrestation d’Agustín Wachapá, le ministère de l’Intérieur a déposé plainte le 20 décembre contre l’organisation équatorienne Action écologique, qu’il accuse de violences après la publication sur ses réseaux sociaux d’informations évoquant l’impact environnemental que pourraient avoir les activités minières dans cette région et les atteintes aux droits humains que le projet risquerait d’entraîner.

Face à cette procédure administrative, Action écologique risque d’être fermée avant la fin de l’année 2016.

« Les autorités équatoriennes sont tenues de protéger le peuple shuar des attaques qui le visent, et elles ne doivent pas imposer d’états d’urgence ni arrêter des dirigeants autochtones. Ces actes d’intimidation ne font qu’accroître les tensions et menacer les vies d’encore plus de personnes », a déclaré María José Veramendi, chercheuse d’Amnesty International chargée de l’Amérique du Sud.

Amnesty International appelle les autorités de l’Équateur à respecter scrupuleusement les garanties d’une procédure régulière dans le cas d’Agustín Wachapá et à mettre fin à l’état d’urgence et aux actes de harcèlement dans la province de Morona Santiago. L’organisation demande en outre au ministère de l’Intérieur d’abandonner sa demande de dissolution et de fermeture d’Action écologique, de garantir les droits de la défense tout au long de la procédure administrative et d’appliquer les recommandations figurant dans la résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations unies relative à la protection des défenseurs des droits humains, qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’institutions, qui interviennent dans le domaine économique, social ou culturel.

 

 

05/01/2017

Mahmoud Salameh (MS Graphic)

 

M. Salameh.jpg

 

 

 

 

 

04/01/2017

Misère de l'espace moderne. La production de Le Corbusier et ses conséquences - Olivier Barancy

 

couv_3086.jpgIl est enfin admis ouvertement que Le Corbusier était un fasciste bon teint. On tolère ses mensonges et sa mégalomanie. On sourit en le voyant mépriser ses (riches) clients. Un observateur impartial découvrira vite qu’il n’a rien inventé, gommant les auteurs dont il s’est attribué les idées. La seule réelle compétence de Le Corbusier fut la promotion de son image publique au détriment de la qualité de son œuvre construite – catastrophique. Mais de tout cela on ne tire aucune conséquence, la plupart des critiques refusant de voir le monde cauchemardesque qu’il voulait édifier. Ce qui n’aurait aucune importance si Le Corbusier n’était devenu le modèle pour les architectes de l’après-guerre qui ont couvert la France de barres et tours en béton. Et si, aujourd’hui, ses théories ne faisaient les affaires des bureaucrates de Chine et de Russie.

Deux types de villes semblent aujourd’hui se distinguer. La plupart des cités comme Amsterdam, Prague ou Paris sont désormais partiellement préservées et destinées à une population privilégiée, tirant une partie de leurs ressources du tourisme international ; la tendance est à la réduction de la surface des chaussées, à la création de rues piétonnes dédiées au commerce de deuxième nécessité et à la “protection” des quartiers anciens. En contrepartie leurs périphéries sont devenues des non-villes. Ailleurs, en Amérique du Nord ou du Sud et singulièrement en Asie, la priorité est donnée à la voiture, l’habitat vertical proliférant de vingt étages est l’unité minimale de base, tandis qu’on se ravitaille dans des centres commerciaux gigantesques situés en périphérie urbaine. Les bidonvilles, bien loin d’être éradiqués, s’accroissent.
   La responsabilité des professionnels de l’aménagement, évidente, n’est pas récente. Les architectes n’ont jamais ressenti la nécessité d’encadrer l’exercice de leur profession par des principes éthiques. Pour promouvoir leur ego, les architectes organisent entre eux des concours de beauté, se remettent réciproquement des prix et des médailles d’or, révélant ainsi leur absence de sens moral.

Fondé sur l’analyse de la production (bâtie ou théorique) de Le Corbusier, ce livre montre l’imposture du créateur, le caractère totalitaire de ses projets et la misère spatiale qu’il a engendrée, de son vivant jusqu’à aujourd’hui.

 


168 pages (12 x 21) 14€
ISBN : 9782748903041


03/01/2017

Microbe 99

Microbe 99

mic 99_couvn.jpgc'est l'avant dernier numéro (snif) de la célébrissime revue belge Microbe, avec Mireille Disdero aux commandes pour ce numéro où j'ai le plaisir de figurer en très bonne compagnie (illustrations d'Alissa Thor ainsi que les photos ci-dessous) :

 

Mic 99_n.jpg