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29/11/2017

Une histoire politique de l'alimentation - Du paléolithique à nos jours - Paul Ariès

 

51Op4TZOJuL._SX333_BO1,204,203,200_.jpgPourquoi l'alimentation est à l'origine des biens communs de l'humanité ? Comment les puissants, avec les rituels de la table et les politiques alimentaires, sont parvenus à construire l'(in)égalité des humains ? Qui, après avoir imposé au peuple de manger du pain, a voulu lui interdire les châtaignes et généraliser la pomme de terre ?

Au-delà des histoires sociales, religieuse, culturelle, de l'alimentation, l'auteur retrace son histoire politique, jamais traitée à ce jour. Ce fabuleux livre de Paul Ariès, est le fruit de trente ans d'enseignement et de recherches. Il montre comment la table française reste largement tributaire des tables passées. Vous saurez (presque) tout de ce que mangeaient et buvaient nos ancêtres, de la préhistoire à nos jours.

448 pages, Max Milo éd. 2016

 

 

 

Les Zindigné(e)s : Paul Ariès, vous publiez un ouvrage que nous étions nombreux à attendre… puisque vous nous en parliez depuis plus de vingt ans et qu’il correspond largement aux enseignements que vous donnez en histoire, sociologie et psychanalyse de l’alimentation… Depuis vingt ans, des urgences politiques, donc éditoriales, vous obligeaient à faire d’autres choix, alors que tout était déjà là, et à ne pas prendre les six mois nécessaire pour finaliser ce qui, à vos yeux, est sans doute le plus important. Les désillusions politiques ont donc parfois du bon… car elles vous ont permis de prendre du recul et le temps nécessaire pour ce retour aux fondamentaux de l’alimentation donc de l’histoire. Pourquoi écrire une histoire politique de l’alimentation, certes savoureuse mais tout de même sacrément copieuse, puisqu’il vous faut 450 pages pour construire cette grammaire politique de l’alimentation. J’avoue qu’après vous avoir lu je ne mangerai plus comme avant… Disons que je sais un peu mieux ce que manger veut dire…

Paul Ariès  : Beaucoup d’histoires de l’alimentation existent mais pas d’histoire politique, comme si nos façons de faire société, de régler nos conflits, de choisir qui sont nos amis et nos ennemis, de déterminer ce que nous considérons nous être commun, n’interféraient pas avec nos conceptions de l’alimentation et nos façons de passer ou de ne pas passer à table, avec nos définitions, toujours changeantes, qui permettent de dire qui a droit de participer au banquet, qui doit recevoir plusieurs parts, une pleine part, une demi-part, voire une mauvaise part.

Les Zindigné(e)s : vous écrivez aussi que l’humanité s’est humanisée à travers sa table et qu’elle pourrait fort bien se déshumaniser en déshumanisant sa table.

Paul Ariès  : l’humanité s’est humanisée à travers sa table en interposant entre elle même et ce qu’elle mange et boit toute une série de choix (entre ce qui est consommable et ce qui ne l’est pas, entre ceux qui ont droit au banquet et les autres, entre divers modes de cuisson, etc.), de valeurs (entre celles reconnues aux divers aliments et aux diverses façons de cuisiner, d’assaisonner, de manger), d’objets (du bâton à fouir à la broche et à la marmite), de savoirs et de savoir-faire (en matière de chasse et de cueillette, de stockage, de conservation, d’assaisonnement, de cuisson), de cultures (des cultures populaires aux cultures aristocratiques en passant par les aspects religieux ou scientifiques), de rituels (domestiques, religieux ou politiques), transformant ainsi les nutriments, qui concernent le seul corps biologique, en aliments. L’histoire de l’alimentation est donc d’abord celle de cette mise à distance, de cette ritualisation et symbolisation qui concourent au vivre ensemble.

L’humanité pourrait tout aussi bien se déshumaniser en déshumanisant sa table. Nous n’avons toujours pas appris, en plusieurs millénaires, à garantir le droit au banquet à l’ensemble de l’humanité, ce qui supposerait de concevoir une nouvelle symbolique, une nouvelle ritualité, d’autres pratiques. Au contraire, nous mangeons de plus en plus n’importe quoi, n’importe comment, n’importe quand, n’importe où, avec n’importe qui et pour n’importe quelle raison. Nous n’acceptons plus que la communauté puisse avoir son mot à dire sur nos façons de manger, et déjà de gaspiller, car nous ne savons plus ce que manger veut dire. Nous nous imaginons, contre tout ce que nous apprend l’histoire de l’humanité, que la table serait une affaire individuelle dont nous n’aurions pas à rendre compte ni anthropologiquement, ni socialement ou culturellement, ni, bien sûr, politiquement.

Les Zindigné(e)s : Pourquoi une histoire de l’alimentation ?

Paul Ariès  : Notre siècle ne fait pas exception : son principal défi n’est pas la conquête spatiale mais de savoir comment nourrir 8 milliards d’humains sans détruire les écosystèmes. L’histoire aurait dû, à ce sujet, nous vacciner contre une double illusion, hélas meurtrière. Celle selon laquelle la table d’aujourd’hui serait nécessairement mieux que celle d’hier et forcément moins bien que celle de demain. L’histoire de l’alimentation dément cette conception faussement progressiste : on mourait moins de faim dans l’Egypte des pharaons que sous Louis XV, et les mangeurs préhistoriques accédaient à une nourriture plus diversifiée que les Français du XIXe siècle.

Les Zindigné(e)s : Vous avez conscience que vous prenez un peu les lecteurs à contre-pieds…

Paul Ariès : L’histoire de l’alimentation n’est pas celle d’une longue marche triomphante vers un mieux, mais celle de conflits d’usages, avec l’alternative de mutualiser les stocks ou de laisser une minorité se les approprier, ou le choix entre détruire les châtaigneraies pour favoriser les pommes de terre ou le froment, et laisser le peuple vivre bien, à sa façon. En effet, les puissants n’ont pu imposer leur conception de l’agriculture et de l’alimentation qu’en interdisant au plus grand nombre, souvent brutalement, d’autres façons de manger et donc aussi de vivre. Nous ne sommes pas en mesure de dire ce qu’aurait été l’histoire de l’alimentation si ces autres choix populaires avaient été respectés. Les puissants (chefs de tribus, seigneurs, rois, aristocrates, bourgeois capitalistes) ne sont parvenus à leurs fins qu’avec le soutien des religions, et notamment, nous concernant, avec l’appui de l’Eglise catholique, toujours prête à dénoncer les prétentions des pauvres à vouloir manger aussi bien que les riches…Le péché de gula (« gourmandise ») est d’abord une arme de guerre contre les pauvres et non contre les riches.

Les Zindigné(e)s : vous écrivez aussi qu’il faut faire le deuil d’une autre illusion : l’idée que le « progrès technique » et que les innovations en matière agricole seraient à même de répondre aux espoirs.

Paul Ariès : Nos ancêtres se sont bercés de telles illusions depuis les grandes réformes de l’Antiquité jusqu’à la monarchie absolue et la Révolution. La pomme de terre républicaine n’a pas plus émancipé l’humanité que le pain moyenâgeux ou, demain, les biotechnologies alimentaires. Ce n’est pas par hasard si le XIXe siècle « progressiste », dont la mémoire collective n’a retenu que la légende dorée des grands gastronomes, fut un siècle particulièrement noir en matière d’alimentation populaire avec ses projets immondes de nourrir le peuple en utilisant tous les rebuts de l’industrie. Même dans la Grèce antique, les esclaves avaient droit aux délices du vin doux et à des banquets (rarement tout de même) pour honorer leurs morts ! La commensalité eut longtemps pour conséquence de rappeler aux humains qu’ils doivent tous, obligatoirement, manger et boire. Le capitalisme ayant inventé, avec son fonctionnement spécifique de l’argent, une autre équivalence générale entre les choses, Comus et Bacchus se sont trouvés rabaissés, pour ne pas dire simplement désacralisés.

Les Zindigné(e)s : Vous écrivez que faire une histoire de l’alimentation, c’est témoigner de cette profanation du vivant …

Paul Ariès : On peut parler en effet de profanation du vivant lorsque les sociétés ne se pensent plus comme nourricières, lorsque les enrichis ne perçoivent même plus ce qu’il y a d’immoral dans leurs excès et dans la démesure de leurs gaspillages alimentaires (estimés à 40 % de la production), lorsque les dirigeants n’imaginent plus ce que pourraient être des politiques alimentaires, alors que les Anciens avaient su déployer durant des siècles des lois somptuaires pour que les excès des uns ne privent pas les autres, et des lois annonaires pour garantir l’approvisionnement de tous et de chacun. La Révolution française n’est pas née ainsi d’une mauvaise récolte, mais de l’abandon par les puissants de cette « économie morale » que le peuple n’a jamais cessé d’appeler de ses vœux et qu’il appliquait parfois de force lors des réquisitions de grains et des ventes au juste prix.

Les Zindigné(e)s : Pourquoi une histoire politique de l’alimentation ?

Paul Ariès ; L’alimentation a été l’un des domaines où s’est forgée cette dimension humaine à laquelle on donnera bien plus tard le nom de politique. En effet, la politique exista bien avant la démocratie grecque et ses fameux banquets. J’aimerais convaincre le lecteur qu’on peut parler de politiques alimentaires dès la préhistoire et que les choix faits ne furent pas moins intéressés et passionnés que les nôtres. La politique ne naît donc pas avec les premières cités-Etats, comme Babylone, mais avec les grandes chasses, avec le stockage des denrées, avec les premiers banquets végétaux. Cette histoire témoigne d’un bricolage avec parfois des avancées foudroyantes, mais aussi des reculs durables. Ce bricolage a permis de faire vivre quelque chose qui dépasse le cadre des relations familiales, tribales et de simple voisinage. On fera toujours du neuf avec du vieux dans ce domaine, et on bricole à partir d’un « déjà-là ». La commensalité, qui a un sens précis dans le contexte familial, prend ici un autre sens. D’affaire privée, la maîtrise du feu devient l’un des fondements d’une communauté politique qui s’invente, serrée autour d’un commun. Ce n’est d’ailleurs pas tant la communauté qui se serre autour de son feu que ce foyer commun qui crée la communauté, comme ce n’est pas la communauté qui partage un banquet, mais ce banquet qui crée la communauté en tant que corps politique. En même temps, la politique, c’est la constitution de cet espace commun, soustrait aux seules logiques privatives, et la mise au point de modalités particulières de le gérer. La politique fut d’abord une banale affaire alimentaire avant de devenir cette chose abstraite qui exclut le plus grand nombre. Politique, l’apprentissage de la coopération, peut-être déjà au niveau de la cueillette, et, de façon certaine, avec les grandes chasses. Politique, la définition de territoires de cueillette et de chasse à défendre contre d’autres tribus ou contre les prédateurs. Politique, l’apprentissage de la sécurité collective avec la constitution de réserves et l’invention de méthodes variées et efficaces de gestion des stocks alimentaires. Politique, la maîtrise du feu comme fondement des futurs biens communs et des futures cités. Politique, l’invention de la commensalité car elle suppose de faire des choix en matière de répartition des morceaux, mais aussi en termes d’alimentation (ou pas) des plus faibles. Politiques, les premiers repas hospitaliers à la fonction diplomatique certaine ainsi que les premiers banquets funéraires ou sanglants. Que la politique se soit inventée avec des affaires de table, notamment, n’est pas si étonnant puisque la table est, comme la politique, une affaire de mélange (des peuples, des valeurs, des coutumes dans un cas, des arômes, des épices dans l’autre). Les Grecs anciens le savaient bien, qui obligeaient à toujours mélanger son vin avec de l’eau.

Les Zindigné(e)s : Pourquoi une histoire nationale de l’alimentation alors que vous sait passionné par la table chinoise ou hindoue ?

Paul Ariès  : Certes, l’histoire de l’alimentation est universelle, mais on ne peut la rendre intelligible qu’en acceptant de la circonscrire dans des territoires à chaque fois particuliers, tant sur les plans climatique, géographique, culturel, social que sur le plan politique. La France, dans son histoire, entretient un rapport spécifique à sa table parce qu’elle est, plus que d’autres, une nation politique. Etudier l’histoire politique française de la table, c’est se donner le maximum de chance de comprendre cet entrelacement du politique et de la nourriture, tel qu’il travaille toutes les sociétés, chacune à sa manière. Convoquer la longue durée, et même la très longue durée, est donc nécessaire puisque la table française reste tributaire des tables antiques bien au-delà du fameux triangle pain-vin-huile et de la tradition des banquets. Ce qui caractérise la table française, c’est ce rapport, toujours continué et renouvelé, entre contenu de l’assiette et politique, entre manières de table et politique, entre (contre-)utopies et politique, et ceci, de l’époque gallo-romaine à celle de l’empire carolingien, de la féodalité à la monarchie absolue, de l’humanisme de la Renaissance à celui de la philosophie des Lumières, de la Révolution de 1789 au xixe siècle, le « siècle noir ».

Les Zindigné(e)s : vous écrivez que le danger aurait été de faire l’histoire politique de l’alimentation des seuls puissants, évacuant ainsi le point de vue, également politique, du peuple sur les affaires de table.

Paul Ariès : Le peuple, loin d’être silencieux, est même plutôt têtu au cours des siècles, allant toujours chercher dans les mêmes directions les solutions aux questions alimentaires… Cette histoire populaire de la table a pourtant toujours été dépréciée, au point de ne retenir que le point de vue des puissants (et des savants), y compris sur des mesures souhaitées et revendiquées par le peuple. Les gens ordinaires n’ont pas principalement souhaité manger la même chose et de la même façon que les puissants, il faudra beaucoup de souffrances pour les faire renoncer à leurs propres conceptions et pratiques de table. La haine des distributions alimentaires gratuites, toujours recommencées depuis la Rome antique, en est un autre bon symptôme.

Les Zindigné(e)s : vous conviez vos lectrices et lecteurs à un très long voyage gastronomique puisqu’il nous conduit jusqu’à la préhistoire où vous évoquez non seulement le contenu de l’alimentation mais aussi la façon de manger. Vous parlez notamment des banquets végétaux bien peu connus. Vous expliquez le passage du paléolithique au néolithique non pas comme une évolution naturelle et pacifique mais comme un coup de force contre les populations indigènes… Pourquoi ce besoin de remonter si loin dans le temps ?

Paul Ariès  : j’ai voulu remonter jusqu’à la préhistoire, d’abord par gourmandise, pour déconstruire les idées reçues, mais aussi parce que remonter loin est le meilleur chemin pour parler de demain car cela permet d’entrevoir des invariants.

Les Zindigné(e)s : Vous présentez votre livre à la façon de la vieille table française en proposant, en guise de chapitres, 13 services successifs, mais dans lequel chacun(e) peut puiser à sa guise : les tables préhistoriques, la table mésopotamienne, la table égyptienne, la table grecque, la table romaine, la table gauloise, la table mérovingienne, la table carolingienne, la table clérico-féodale, la table de la monarchie absolue, la table républicaine, la table bourgeoise et enfin les tables industrielles du xxe siècle et du début du xxie siècle. Pouvez-vous pour les lecteurs des Zindigné(e)s nous résumer votre propos ?

Paul Ariès : J’ai pu établir au fil de cette histoire politique de la table que ce qui se joue autour de l’alimentation est autant une histoire d’amour que de désamour de l’humanité. Nos plus anciens ancêtres étaient déjà pleinement des humains au regard de leurs pratiques alimentaires, leur alimentation était beaucoup plus diversifiée qu’on choisit de la croire : ils assaisonnaient les denrées, ils mangeaient des symboles, ils aimaient déjà le gras, ils cuisaient leurs aliments bien avant de maîtriser le feu, ils savaient stocker de façon savante, ils organisaient des festins carnés ou végétaux selon les périodes, des festins funéraires, etc. Tout commença à mal tourner lorsqu’une minorité prétendit être la seule à pouvoir communiquer avec les morts et s’appropria les stocks, les beaux morceaux, les premières boissons enivrantes, excluant le plus grand nombre du droit au banquet. Cette minorité fit des festins autant d’occasions de se jeter des défis, d‘entrer en compétition pour prouver qui dominait les autres. Nos lointains ancêtres ont fait ainsi de la table un enjeu mais aussi un moyen politique. L’humanité, qui a vécu pendant la quasi-totalité de son histoire, de chasse et de cueillette n’était pourtant pas obligée de passer à l’agriculture et il fallut la colonisation de hordes venues de l’est du continent pour que les indigènes se soumettent à ce nouveau mode de vie. Les sociétés protohistoriques qui se développèrent bientôt en Orient n’inventèrent pas le plaisir de la table, mais beaucoup plus banalement la politique faite cuisine et la cuisine faite politique. Le séparatisme alimentaire des puissants ne cessera plus jamais de se développer depuis la constitution des premières cités-Etats, au point que la table prêtée aux dieux dans les légendes n’est qu’une copie des pratiques de table de ceux qui étaient parvenus à dominer les autres. Le pouvoir et la richesse se dirent de façon native à travers des banquets réservés aux puissants mais aussi à travers l’obligation, peu à peu admise, de nourrir à ses frais le petit peuple. Il ne faut pas cependant avoir une vision misérabiliste de l’alimentation du peuple à Sumer, à Babylone, dans la Mésopotamie, qui connurent moins de famines chroniques que la modernité. C’est pourquoi ces civilisations inventèrent toute une grammaire de l’alimentation qui leur subsistera, avec le système des rations ou des champs alimentaires, avec le duo pain/eau puis pain/bière, avec l’opposition croissante entre les aliments des riches et des pauvres.

Les Zindigné(e)s : vous dites que notre alimentation est toujours tributaire de celle de l’antiquité.

Paul Ariès  : L’Egypte fut la première civilisation à concevoir sa table comme un véritable langage au point qu’un même hiéroglyphe signifiait manger et parler. On lui doit encore beaucoup de nos symboles alimentaires. La Grèce introduira la notion de partage entre égaux, au point qu’un même mot signifiait manger et partager et que participer au banquet valait citoyenneté. La société qui inventa la démocratie moderne fut celle qui poussa le plus loin possible l’art du banquet, inventant une cuisine du sacrifice, élaborant des rituels. Les façons de passer à table, de s’asseoir ou de se coucher, de découper la viande, de faire circuler la parole avec le vin, de prôner le mélange vin/eau mais aussi d’autres denrées, constituent un langage qui sert à dire que diviser et unir la société se fait dans un même mouvement. La Rome antique hérita bien sûr de la grammaire alimentaire de l’Egypte et de la Grèce, mais elle apportera cependant une dimension essentielle en poussant plus loin la notion de plaisir. La République et l’Empire développeront des politiques alimentaires aux côtés des politiques agricoles, à travers les lois somptuaires limitant les excès de table, à travers aussi le principe des distributions alimentaires qui ne se réduisirent jamais au slogan panem et circenses (« du pain et des jeux »). La grammaire alimentaire, dont nous sommes encore largement les dépositaires, fit un bond considérable durant toute la civilisation romaine avec sa définition du statut politique des aliments, légumes, viandes et pâtisseries avec la pratique du prandium, avec l’importance de la question du pain, avec l’opposition plus politique que culinaire entre grillade, rôti et bouilli. Le convivium romain n’affiche plus certes la dimension politique du symposion grec et les Romains remplaceront le discours sur la frugalité et la simplicité par celui sur l’abondance et le luxe, mais les symboles alimentaires romains sont directement politiques.

Les Zindigné(e)s : J’ai eu le sentiment en vous lisant que les Gaulois savaient déjà dire non à la mal-bouffe...

Paul Ariès : La table gauloise choquera les voyageurs Grecs et Romains tant sa grammaire était différente. La vie politique des différents peuples gaulois était totalement rythmée par l’organisation de grands banquets qui pouvaient durer des semaines et réunir des milliers de convives, tant l’aristocratie avait le devoir non seulement de nourrir sa clientèle (le peuple), mais de gaspiller. Les banquets gaulois ont donc une fonction politique essentielle bien qu’il soit alors interdit de parler politique durant ces agapes et que des magistrats veillaient à cette discipline. Les Gaulois étonneront également Grecs et Romains, pas tant parce qu’ils boivent leur vin pur, mais parce que, bien qu’étant reconnus comme les meilleurs éleveurs et agriculteurs, ils ont toujours choisi de demeurer, parallèlement, des cueilleurs et des chasseurs… Les Romains prendront appui, lors de la conquête des Gaules, sur les riches Gaulois qui adopteront peu ou prou leurs manières de table contre celles que conservera alors le peuple des campagnes. Les « collabos » gaulois comme Ausone se feront les propagandistes de la table romaine créant ainsi un véritable clivage entre l’alimentation des nouvelles élites et celle du peuple.

Les Zindigné(e)s ; vous expliquez que contrairement aux idées reçues l’effondrement de l’Empire romain ne verra pas naître une table « barbare », bien au contraire.

Paul Ariès : La table mérovingienne sera riche et diversifiée grâce à la chasse et à la cueillette qui viendront compléter agréablement et utilement l’agriculture et l’élevage. Les Mérovingiens aimaient manger et boire mais autrement que les Gallo-Romains et les Francs, nouveaux maîtres du pays qui apportèrent avec eux des traditions culinaires assez singulières. La table conserva sa fonction politique comme marqueur identitaire mais aussi par l’organisation de banquets par/pour un roi, d’abord itinérant, traçant ainsi son royaume. Les anciens et les nouveaux maîtres réalisèrent cependant très vite un compromis politique sur le dos du peuple le renvoyant du côté de la barbarie et se réservant le statut de civilisé. Les barbares ne sont plus en effet ceux qui mangent de la viande et boivent du lait, mais ceux qui vivent des forêts, des marais et des landes, bref, également de la cueillette et de la chasse. Certains puissants appartenant à la nouvelle religion chrétienne écrivent alors des traités sur la bonne façon de manger afin de combattre ce qui reste du vieux paganisme gaulois, mais surtout afin de vaincre les hérésies chrétiennes très loin d’être toujours minoritaires en Gaule. L’Eglise va se mettre à prêcher la frugalité au peuple, réservant la gourmandise aux puissants. Sidoine Apollinaire et Anthime se feront même les avocats de la voracité carnée… Un banquet mérovingien sera d’abord le partage d’un cochon, signe d’identité nationale.

Les Zindigné(e)s  : je vous sens moins amoureux des tables carolingiennes…

Paul Ariès : Les tables carolingiennes se caractériseront assez vite par l’abandon du principe du roi nourricier (Dieu pourvoit à tout grâce notamment aux aumônes des riches) et par la haine de la chair… Cette christianisation de la table se fera par la répression des traditions alimentaires populaires : le peuple « christianisé » devra cesser de manger quatre fois par jour, il devra accepter de renoncer à désirer des aliments que l’Eglise dit être au-dessus de son rang, il devra bientôt accepter la suprématie, contre laquelle il s’insurgera, du pain contre la viande. « Manger chrétien » est austère du côté des puissants, mais du côté du peuple c’est la misère. La seule exception sera le boire « franc-chrétien » avec l’éloge du bon vin français opposé à la mauvaise bière anglaise.

Les Zindigné(e)s : Vous écrivez que la table qui suit l’époque carolingienne sera une table clérico-féodale reposant sur une dualisation presque complète de la table justifiée par l’Eglise et les médecins.

Paul Ariès : La table servira à dire la puissance du roi et de l’Eglise et la petitesse des gens de peu. L’invention du service à la française sera d’abord conçue comme un dispositif politique. La table clérico-féodale marque le passage du prince nourricier au nouveau prince prédateur. La table de la monarchie absolue sera celle d’un Etat cherchant à assurer son autonomie à l’égard du pape. A la religion gallicane va répondre bientôt l’invention d’une table gallicane fondée sur les contre-modèles que sont les façons espagnoles et britanniques de manger et de boire. Au respect rigide des préceptes de l’Eglise et de sa condamnation de la gula s’opposeront le « manger naturel » et le « manger rationnel » de la Renaissance puis de la philosophie des Lumières. La recherche de la symétrie et de l’esthétique correspond à une sécularisation. La monarchie absolue n’aura de cesse en effet d’inventer la « table absolue » avec de nouveaux produits, mais surtout avec une nouvelle mise en scène savante du repas : le service primera alors longtemps sur la cuisine malgré l’art des sauces et la « pâtisserie architecture ». Cette table « absolue » n’a qu’un seul gros défaut, celui d’abandonner totalement le peuple, en déconstruisant les mécanismes qui permettaient de lui assurer un minimum de subsistances. Le peuple ne cessera jamais de se révolter non pas d’abord parce qu’il avait faim, mais parce qu’il condamnait l’abandon des politiques alimentaires lié au succès des thèses libérales. Le principe de taxation des tarifs ne cessera plus jamais d’être une revendication populaire. La Révolution française s’explique aussi par ce refus de voir disparaître cette économie morale.

Les Zindigné(e)s  : vous tirez un bilan ambigüe de la révolution…

Paul Ariès  : La révolution tentera d’abord avec/ sous Robespierre de reconnaître le droit à l’existence de chacun, c’est-à-dire d’assurer politiquement, avec les lois sur le maximum, l’approvisionnement alimentaire. On rêve d’une alimentation structurée capable de structurer la pensée, on adopte le repas ternaire, on refuse la cuisine du tiède, celle du mélange car la table doit se faire pédagogique. Thermidor marquera le retour au libéralisme économique et la victoire définitive de la pomme de terre dite faussement « républicaine » contre la châtaigne, emblème d’une alimentation populaire contre laquelle s’élèvent la bonne société bourgeoise et l’Eglise catholique. Le peuple des villes et des campagnes doit trimer pour pouvoir manger et non faire la fête.

Les Zindigné€s : vous écrivez que la table bourgeoise du XIXe siècle sera celle d’un peuple livré aux appétits des gros.

Paul Ariès  : Le libéralisme économique couplé à l’aveuglement des élites explique les disettes qui frappent encore la France au xixe siècle et la crise du cheptel français, bien pire qu’ailleurs. Certes, le xixe siècle est l’âge d’or de la table bourgeoise, mais il est encore plus celui des contre-utopies alimentaires, lorsqu’on entend faire manger au peuple des os, avec le soutien constant des plus hautes autorités scientifiques et morales. Le xixe siècle sera celui des falsifications alimentaires que dénoncera Paul Lafargue.

On prônera même de rendre le peuple végétarien pour réduire les coûts de son alimentation et pour le « moraliser ». La grande cuisine prospère, mais comme langage des revanchards, et ce n’est pas par hasard que les grands cuisiniers et gastronomes que ce siècle se donnera furent tous des réactionnaires et des contre-révolutionnaires.

Les Zindigné(€)s : le XXe siècle n’est pas votre plat préféré..

Paul Ariès : Le xxe siècle commence seulement véritablement dans le domaine agricole et alimentaire avec la « révolution verte », c’est-à-dire avec l’adoption d’un modèle industriel. S’il résoudra l’approvisionnement alimentaire de ceux qui feront les Trente Glorieuses (mais cela ne signifie nullement qu’une autre agriculture n’eût pas été déjà possible), ce sera au prix de la fin des paysans, de la destruction des écosystèmes, du pillage du tiers-monde, de la destruction des cultures populaires de la table, et bientôt du retour des grandes peurs alimentaires…

Les Zindigné(e)s : que nous réserve le XIXe siècle ?

Paul Ariès  : Le xxie siècle naîtra avec le retour des famines, qui viendront s’ajouter à la malnutrition frappant toujours plus de 1 milliard d’humains, non plus en raison du climat, mais des choix politiques occidentaux d’agriculture et d’alimentation reposant sur l’extractivisme, les pétroaliments, les spéculations sur les matières premières agricoles, la concurrence déloyale d’une agriculture subventionnée au Nord contre celle des petits paysans abandonnés du Sud… L’humanité se trouve donc à la croisée des chemins : soit elle poursuit les tendances actuelles vers toujours plus d’artificialisation des denrées et vers la déstructuration de la table et elle inventera une agriculture sans élevage, grâce aux substituts de viande, et une alimentation sans agriculture digne de ce nom avec la généralisation des fermes verticales, soit elle choisira de reconnaître le droit à la souveraineté alimentaire et développera une véritable agroécologie reposant sur les savoir-faire de 1 milliard et demi de petits paysans. La seule façon d’assurer la transition écologique et donc également l’égalité sociale est de marier des politiques alimentaires qu’il nous faudra réinventer à des politiques agricoles à révolutionner. Nous devons tirer en effet toutes les leçons de l’histoire politique de la table pour compenser la diminution nécessaire du gaspillage énergétique (folie de notre époque : nous consommons 10 calories pour produire une seule calorie alimentaire) par un surcroît de culture. Ce n’est pas par hasard que la table des pays économiquement les plus pauvres est souvent la plus riche sur le plan culturel alors que les nations opulentes ont inventé la junkfood et la malbouffe. Ce choix est éminemment politique car il suppose de repenser la hiérarchie des normes juridiques pour faire toujours primer le droit à l’alimentation (reconnu officiellement dans la Déclaration universelle des droits de l’homme) sur le droit de propriété lucrative, car il exige d’avancer, grâce notamment aux milliards de repas de la restauration sociale, vers une alimentation relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, assurant la biodiversité, etc. Nous devons reconnaître que les cultures populaires de la table, celles qui subsistent comme celles qu’il faudra bien réinventer, tout comme les cultures paysannes, celles qui viennent du passé comme celles qui émergent, sont au cœur de la fabrique de l’humain. La table est donc bien éminemment politique dans ses deux versants : que mange-t-on ? comment mange-t-on ?, car elle suppose toujours à la fois de dire l’unité dans la division et de construire des communs. Bacchus et Comus doivent donc accéder pleinement à la citoyenneté pour pouvoir demain être à même de nourrir 10 milliards d’humains.

Source : https://www.legrandsoir.info/une-histoire-politique-de-l-...
 
 

30/10/2017

Françoise Sironi: «Les tortionnaires sont malades de la norme, ils ont un besoin absolu d’être dans le système»

 

 

Par Arnaud Vaulerin
 

La psychologue a pu longuement interroger Douch, le directeur du centre de torture et d’extermination S-21 dans le Cambodge des Khmers rouges. Elle publie un livre-enquête sur les criminels de masse et explique comment c’est avant tout leur humanité qu’ils veulent effacer.

Une exploration sans fin. Il fallait un face-à-face avec le tueur, avec le criminel contre l’humanité, pour répondre à une question qui amène à penser l’impensable : Comment devient-on tortionnaire ? C’est le titre d’un livre-enquête ambitieux que signe la psychologue Françoise Sironi (photo DR), par ailleurs maître de conférences à l’université Paris-VIII et experte auprès des tribunaux pénaux internationaux. Elle a longuement rencontré Douch, le directeur du centre de torture et d’extermination S-21 dans le Cambodge des Khmers rouges qui ont exécuté au moins deux millions de personnes entre 1975 et 1979. A partir de cette histoire, Françoise Sironi explore les coulisses individuelles et collectives, les dimensions psychologiques et géopolitiques de la fabrique des tueurs de masse. Elle décortique les ressorts des exécuteurs et déconstruit la mécanique de la machine de mort mise en place par les nazis, les Khmers rouges, les Hutus rwandais ou les jihadistes de l’Etat islamique.

En reparcourant l’histoire de Douch et en vous intéressant également aux nazis et aux jihadistes, vous voulez démontrer que nous ne naissons pas tortionnaires…

En effet, je ne partage absolument pas l’idée qu’en chacun de nous il y a la pulsion de mort, la pulsion de vie. Depuis vint-cinq ans, je m’occupe des victimes et des auteurs de violence et les choses ne se présentent pas ainsi. Si c’était naturel d’être tortionnaire, les systèmes tortionnaires ne prendraient pas le soin de former les gens, ne forceraient pas les exécuteurs à s’habituer à la violence. Je pense aux précautions prises par les nazis avec la shoah par balle [distiller les ordres, compartimenter les opérations préalables aux meurtres, ndlr]. Je pense à Douch qui accompagnait certains exécuteurs qui avaient du mal à assassiner leurs proches car il ne fallait pas mollir, pas faiblir. Si tuer était inné, il n’y aurait pas besoin de forcer des gens à massacrer, comme on l’a vu au Rwanda, dans les Balkans, avec les nazis ou l’Etat islamique.

Ces tueurs souffrent-ils de maladie psychiatrique ? Cherchez-vous à montrer qu’il y a une forme de normalité dans l’anormalité ?

Je pars de mon expérience. J’ai réalisé seize entretiens de trois heures avec Douch à Phnom Penh. J’ai également fait des expertises de criminels accusés de génocide au Rwanda, des psychothérapies d’auteurs de violences collectives. Je me suis plongée dans les thèses de ceux qui assurent que ces tueurs sont des monstres. En 1945, on ne pouvait pas penser que les nazis faisaient partie de l’ordre de l’humanité, et c’est bien normal. Maintenant, si en tant que psychothérapeute, on considère que c’est normal de penser comme cela, alors je vais jardiner, je ne sers à rien. Ces tueurs ne sont pas nés monstres, ils le sont devenus. J’ai voulu être psychologue pour comprendre cela et tenter de soigner. Ce ne sont pas des malades mentaux. Ils ne rentrent pas dans les catégories de névrose, psychose, perversions, etc. Je crois plutôt qu’il faut établir une nouvelle nosographie [une classification des types de maladies] qui prenne en compte l’histoire collective et l’histoire singulière. Car il faut donner toute son importance au facteur géopolitique, historique, et comprendre que cela structure tout autant le psychisme humain que des éléments plus habituels, comme les manques précoces, les traumatismes, les problèmes relationnels.

A partir du cas de Douch, et sans tomber dans la caricature, arrive-t-on à dégager des traits communs pour tenter de dresser une sorte de portrait-robot du criminel contre l’humanité ?

D’abord, il faut dire que les profils et les causes pour lesquelles on va basculer peuvent être très diversifiés. Ensuite, on trouve en effet des dominantes. Ils ont tous renoncé à avoir une identité singulière. Après, dans leur histoire personnelle précoce, on va souvent recenser des vécus d’humiliations, d’ostracisme, des blessures narcissiques. Ce n’est évidemment pas cela qui va faire d’eux des bourreaux, mais c’est dans cela qu’ils vont puiser consciemment ou inconsciemment. Leur devenir tortionnaire va se nourrir de ce vécu traumatique qui peut être individuel ou collectif. Il faut se souvenir de la défaite de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale et de la manière dont cela a été ressenti par les futurs nazis. Ils renoncent à leur propre identité car ils ont des prêts-à-penser qui leur sont proposés : c’est simple, binaire, avec des bons et des méchants. Ils ont du mal à fonctionner dans la complexité du monde. Ils ont une aptitude à devenir des hommes-systèmes : ils se comportent comme le système dont ils font partie. Il y a une analogie entre la manière dont l’Etat totalitaire fonctionne et leur propre fonctionnement psychologique. L’individu, le sujet singulier disparaît, il est tué. Le psychiatre américain Robert Jay Lifton, qui a travaillé sur les médecins nazis, avait parlé du meurtre du moi, l’expression est juste.

Le meurtre du moi est-il un suicide ? Est-ce le parti nazi ou l’Angkar chez les Khmers rouges qui amène le tortionnaire en devenir à se nier ?

Là encore, il faut penser l’articulation entre l’individuel et le collectif. Effectivement, chez les Khmers rouges, c’est l’Angkar qui veut construire un homme nouveau avec une idée de la psychologie nouvelle exprimée dans les maximes du genre «éteignez vos cœurs», etc. On façonne des individus. Mais isolément, les individus veulent surmonter l’humain, la faiblesse. Douch va surmonter ce qui est déplaisant. Il va agir en conscience, c’est-à-dire faire son boulot sans état d’âme, voire avec beaucoup de zèle. Il ne faut pas mollir, pas faiblir. Avoir des états d’âme, ce n’est pas être un bon Khmer rouge. Lui-même donnait des leçons de déshumanisation, en quelque sorte. Ces tortionnaires veulent tuer l’humain en eux. La question de la responsabilité individuelle versus responsabilité collective est bien sûr une question de juriste, mais je voulais la traiter car cela concerne aussi le psychologique. Enfin, tous fonctionnent dans le clivage. Ils compartimentent leur vie. Quand Douch dirigeait S-21, des enfants étaient tués et, au même moment, il a eu trois enfants. La question lui a été posée, mais pour lui cela n’avait rien à voir.

Tous ont en commun une désempathie totale…

Certains sont devenus désempathiques très tôt, après une humiliation, un trauma. Pour d’autres, ça peut être plus tardif, mais tous auront à devenir désempathique pour tuer, torturer.

C’est «l’animalisation de la victime», comme l’a écrit l’historien Jacques Semelin (1)…

Oui c’est l’animalisation qui justifie également le zèle. Ils vont trouver toutes les raisons de détester l’autre. Ils sont obligés. Pour tuer, c’est l’indifférence dans ce type de contexte qui l’emporte plutôt que la haine. C’est vrai chez les nazis, les Khmers rouges ou les jihadistes. Cette totale indifférence est nécessaire pour tenir. Lorsque des torturés se mettent à parler à leurs bourreaux, en tentant d’établir une relation avec eux sur ce qu’ils vont faire après la séance, s’ils vont aller voir leur femme, serrer dans leurs bras leurs enfants, etc., les tortionnaires se remettent à torturer de plus belle, et souvent ils tuent. Pour eux, c’est insupportable. La désempathie est une nécessité psychique, une armure. C’est dur d’en sortir. J’ai été étonnée de voir comment Douch, lors des audiences au tribunal, redevenait le chef de S-21 quand il affrontait ses subordonnés au procès.

Est-ce pareil chez les nazis, chez les terroristes jihadistes ?

Ce sont des traits communs que l’on peut retrouver, en effet. Il y a la nécessité de cliver parce que si vous mettez en lien ce que l’on vous fait faire avec ce que vous êtes réellement, votre éducation votre passé, cela s’appelle la conscience unifiée. Et pour eux, c’est insupportable, c’est un danger.

C’est ce qu’a écrit Hannah Arendt au sujet d’Adolf Eichmann : «Qu’est-il arrivé à votre conscience ?»

Oui. C’est une question importante pour moi, que j’ai posée à Douch. Alors qu’il parle très bien français, il m’a dit qu’il ne la comprenait pas. J’ai vérifié avec l’expert cambodgien si cette incompréhension venait d’un facteur culturel, mais il ne s’agissait absolument pas de ça car nos discussions et nos échanges sur ce point précis ont été détaillés, contextualisés, traduits en khmer… Non, je crois qu’en lui posant cette question, je l’amenais dans une situation où il devait s’unifier, rassembler toutes ces parties clivées.

Douch a reconnu ses actes mais il n’y a pas chez lui de sentiment de culpabilité. Comment est-ce possible ?

Il a dit qu’il reconnaissait ses actes dans une responsabilité collective. Il a bien insisté sur cette question. Le sentiment de culpabilité s’accompagne d’une douleur psychologique, morale, d’une dépression. Pour certains, c’est très dangereux. Pour un auteur de ce type de crime, accéder à ce sentiment de culpabilité et à la pleine reconnaissance et conscience de ses actes, c’est très dangereux. Il y a des problèmes somatiques, des maladies, voire des suicides, comme si, inconsciemment, il y avait la connaissance que cela est périlleux et définitif. Douch a rencontré Dieu. C’est son nouveau système. Il est en prison. Il n’a aucune raison d’accéder à cette zone qui serait dangereuse pour lui.

Que voulez-vous dire quand vous écrivez que ces hommes sont «sur-adaptés» à leur environnement social, comme s’ils étaient «trop normaux».

Ils sont malades de la norme. Ils ont un besoin absolu d’être dans la norme du système. Ils veulent être tel qu’un autre les pense. Il y a un énorme besoin de reconnaissance qui va les amener à être extrêmement obéissants d’une manière aveugle. Douch obéit à ses maîtres à l’école, à ses supérieurs dans la clandestinité, puis à la machine de mort khmère rouge, et après il se convertit au christianisme, en convainquant quatorze familles d’en faire autant. Il devient un super chrétien. La dernière obéissance, c’est avec le tribunal. Il a absolument bien collaboré, obéi toute sa vie.

(1) Purifier et détruire, Seuil, 2005, 492 pp., 24,30 €.

Arnaud Vaulerin
 
Source : http://www.liberation.fr/debats/2017/10/27/francoise-siro...

COMMENT DEVIENT-ON TORTIONNAIRE? de FRANÇOIS SIRONI La Découverte, 766 pp., 28 €

 

 

15/10/2017

Celui pour qui « l’agriculture est un art révélant la chair du monde »

 

14 octobre 2017 / Juliette Kempf (Reporterre)

 

Fondateur de ProNatura en 1987, réseau pionnier de maraîchers et d’arboriculteurs biologiques, Henri de Pazzis a retrouvé la terre. Il la cultive sans hâte, oeuvrant à la « renaissance du blé », attentif à l’équilibre du monde : l’agriculture est, selon lui, une métaphysique.

  • Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône), reportage

Lorsque l’on arrive chez Henri de Pazzis, c’est la joie qui nous accueille, et une sorte de profonde tranquillité, malgré l’activité bien vive tout autour. Dans la canicule de ce début d’été, pénétrer dans le mas provençal aux larges pierres est une consolation, cette vieille bâtisse où il vit avec sa famille, en retrait de quelques kilomètres de la fournaise touristique Saint-Rémy-de-Provence. Nous échangerons, abrités par la fraîcheur du lieu en pleine après-midi, dans la douceur de l’aube et de la nuit tombée, et sous l’ardent zénith au milieu des 40 hectares de terre qu’il cultive pour y faire vivre des variétés de céréales anciennes.

L’homme qui a fondé ProNatura en 1987, réseau pionnier de maraîchers et d’arboriculteurs biologiques, et qui a animé son expansion inattendue jusqu’à ce que l’entreprise devienne l’un des principaux distributeurs de fruits et légumes bio en Europe, l’a quittée en 2014. Elle réalisait un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros, qui n’a pas cessé de croître depuis. Henri de Pazzis y avait fait entrer un fonds d’investissement en 2005, en pensant, « naïvement » convertir des financiers à la bio. Le conflit était devenu ouvert quand il entreprit de renforcer la relation avec des producteurs locaux et de choisir résolument une bio artisanale. C’est donc lui qui est parti, pour revenir à ses amours : la terre, qu’il avait déjà cultivée en tant que maraîcher dans les années 1980 avant de fonder ProNatura, et l’écriture.

« S’il pleut, on laisse pleuvoir » 

Nous rencontrons l’auteur de La Part de la Terre, l’agriculture comme art [*], le jour de la récolte des pois chiches. C’est l’été des premières récoltes, le commencement d’un long projet. « Je peux me permettre de prendre un peu de temps, d’expérimenter, de me tromper. » Sur les 6 hectares de pois chiches qu’il a semés, environ la moitié a été « perdue », envahie par les chardons. « Cela m’a permis de vivre l’un des premiers principes de l’agriculteur : tu es là pour la récolte, mais la récolte ne t’appartient pas », nous dit-il en souriant, et nous racontant avec poésie comment, un matin où il se rend aux champs, il découvre un très bel oiseau qu’il ne connaît pas se délectant des graines de chardon. « J’ai raté mes pois chiches, mais une autre dimension de la nature s’est dévoilée. » Cela lui rappelle la sagesse des paysans ardéchois auprès desquels il avait démarré, il y a plus de 30 ans, qui reconnaissaient la puissance qui les dépasse, et se répétaient en provençal : « S’il pleut, on laisse pleuvoir. »

« Cependant, la question de la technique est évidemment essentielle, et si tu te perfectionnes dans ton art, souvent la récolte sera abondante. » C’est bien comme un art qu’Henri de Pazzis conçoit et vit l’agriculture, au sens propre, « à la façon dont les anciens — les présocratiques — employaient invariablement les termes de tekhnè et de poïèsis. L’art est alors l’action de faire apparaître dans le monde quelque chose qui n’y était pas. À ce moment-là, l’œuvre d’Homère ou celle du menuisier sont équivalentes par nature », explique-t-il en regardant les grains de pois chiches tout frais, lovés dans la paume de sa main. Quand il écrit que « l’agriculture est art de révélation de la chair du monde », c’est à cette poétique qu’il se réfère, qui est transformation de soi-même, du monde, du visible et de l’invisible ; une opération complète.

« La nature est un principe agissant » 

« L’échelon de valeur entre l’art, la poésie et la technique apparaît plus tard, et correspond à un véritable changement de perspective. De l’unité originelle du monde et des choses, l’histoire voit se succéder une série de divisions. C’est le monde de Babel, le monde de la confusion des plans, du sens des mots. » La vision de « la nature » proposée par Henri de Pazzis est très emblématique de sa vision du monde. « La séparation entre la nature et la culture est une invention des sciences sociales en 1860 » quand, selon lui, « la nature est un principe agissant » que l’on retrouve derrière chaque phénomène. Nous contemplons le massif des Alpilles, qui fait face au mas, et notre regard navigue de cet horizon superbe à la bétonnière encore utile aux derniers travaux. Henri poursuit sa réflexion. Ainsi, notre mode de vie, nos constructions (même bétonnées) sont une production de la nature, de la même façon que le nid d’un oiseau.

L’ingéniosité de l’espèce humaine — et qui fait la spécificité de sa nature —, livrée au seul esprit de démesure, conduit aux pires destructions, comme en témoigne l’histoire de l’agriculture. En défrichant les forêts pour se lancer dans de grandes cultures nécessaires à un mode de vie sédentaire, l’homme a créé nombre de déserts. « Pour parler de ce que nous voyons, je parle plutôt de paysage. » Henri de Pazzis ne considère pas sa recherche agricole comme une façon de dominer le monde, ou même de le maîtriser, mais de « l’habiter ». Et de se prendre lui-même en exemple : « Si je ne parviens pas à maîtriser ma propre nature en tant qu’individu, comment puis-je maîtriser quoi que ce soit d’autre ? En faisant de l’agriculture, tu maîtrises ton propre exercice, c’est cela la beauté du métier, et tu t’achemines vers la maîtrise de ta propre nature. En étant menuisier, tu n’atteins pas le bois, tu ne peux que t’atteindre toi-même ; c’est la même chose pour l’agriculteur. »

Tout cela est une métaphysique. Henri de Pazzis ne pense pas que la technique permettra de résoudre l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, mais qu’une révolution ne pourra s’accomplir que par « une pensée profonde et vécue liée à l’éprouvé de l’unité indivisible du monde », dont il entend une remarquable expression, entre autres, dans le « mia physis » de Cyrille d’Alexandrie au IVe siècle de l’ère chrétienne.

« En tant qu’agriculteur, je m’incline devant le blé. C’est moi qui le sers et non lui qui me sert » 

Henri n’oublie pas la mission qu’il s’est donnée en revenant ici, au milieu des terres et des machines agricoles avec lesquelles il lui faut composer pour parvenir à la réalisation de ses projets. Contribuer, avec d’autres « chercheurs d’or » avant lui — tels que Jean-François Berthelot, Nicolas Supiot, Jean-Christophe Moyses, et bien d’autres — à la « renaissance du blé ». Il y a peu d’aliments qui aient une histoire aussi extrême que celui-ci. Nourriture de base pour une grande partie de l’humanité depuis des millénaires, le pain est aussi celle qui a été la plus « violentée », jusqu’à devenir parfois un véritable poison. En témoignent les nombreuses intolérances actuelles au « gluten », dues aux variétés de blé moderne, plus productives mais très éloignées du « blé des origines », qui remplissait ses fonctions nourricières et symboliques.

« En tant qu’agriculteur, je m’incline devant le blé. C’est moi qui le sers et non lui qui me sert. » Et, avec lui, nous plongeons les mains avec tendresse dans des sacs emplis de Meunier d’Apt, de Touselle de Nîmes, de Florence Aurore ; nous humons l’odeur délicate des grains dorés et charnus. Il s’agit, avant tout, de recueillir les semences de variétés anciennes et nobles, non commercialisées. Il en a reçu d’amis, de collègues, quelques dizaines de kilos. Les récoltes de cette année serviront à ressemer l’année prochaine, et à procéder, pas à pas, « à la multiplication du pain » !

Henri a décidé d’investir dans un trieur mécanique dans des silos, parce que la problématique que rencontrent souvent les céréaliers bio est de devoir vendre leur production aux coopératives et donc de ne pas pouvoir aller au bout du choix variétal. Avec ces outils, il va pouvoir trier chacune des variétés semées, et révéler leur unicité dans chaque farine, qu’il espère confectionner lui-même avec le moulin à meules de granit qui lui est destiné dans 2 ans. Son idéal serait d’aboutir à la fabrication du pain, pétri à partir de la farine fraîchement moulue ; mais pour cela, fidèle à sa philosophie, il ne veut pas se hâter, ni chercher à raccourcir le temps dont les choses ont besoin pour se réaliser. Ayant bien conscience de l’ambiguïté de l’agriculture, dont il expose l’histoire dans son livre, il reconnaît être « sur le fil du rasoir ». Comment faire pour que l’activité agricole humaine, même biologique, se fasse en harmonie de nature avec le paysage, et non dans une séparation, une forme de destruction ? « Il y a un équilibre à trouver. »

« La seule chose importante est le combat, le cheminement, dont peu importe l’issue » 

Concernant la crise écologique que traverse l’humanité, Henri de Pazzis ne s’inquiète pas pour la Terre. Si l’homme doit être expulsé, il le sera, mais « la nature nous survivra largement, elle changera de forme ». D’ailleurs, animé par une joie subtile et un profond amour de la beauté, il pense que « l’homme mourra de tristesse bien avant de mourir de faim » s’il ne restaure pas ce lien qui le fonde avec l’ensemble du monde, et qu’il continue à le profaner — « le rendre profane autant que le violer ». Toute la technique moderne ne parviendra pas à remplacer « la complexité, la vitesse de transformation de ce qui est là ». « Comment veux-tu vivre sans entendre le chant des oiseaux ? »

Un silence nous accorde d’y goûter, et la méditation se poursuit autour du complexe épisode biblique de Caïn et Abel qui reste une énigme pour lui : la ville et l’agriculture ont été conçues en même temps, n’ont jamais existé l’une sans l’autre, et nous nous rappelons qu’il fut un temps où « l’on était capable de dormir sous la voûte du ciel ». Et cela, sans pour autant idéaliser le nomadisme et l’élevage, puisque le végétal lui-même, lié à l’homme qui cultive, l’est aussi au symbolisme du « Paradis terrestre ». Il est d’ailleurs le seul règne capable de se nourrir directement de lumière, note Henri de Pazzis, pour qui « le véritable adversaire n’est pas l’agriculteur conventionnel », dont il parierait facilement de la conversion si lui-même fait bien son travail — pour ses voisins de terre par exemple — mais « l’anti-métaphysique ».

« Finalement, comme on le retrouve dans l’idéal chevaleresque, la seule chose importante est le combat, le cheminement, dont peu importe l’issue. Il faut être debout, en marche, en guerre, bien que ce soient des termes compliqués à utiliser aujourd’hui. » Peut-être est-il possible, grâce à de telles réflexions, de les réentendre dans la profondeur de leur sens symbolique ; et que l’action écologique soit une œuvre plénière de retrouvailles avec l’unité du vivant.


 

28/09/2017

Contre la haine Plaidoyer pour l'impur de Carolin Emcke

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Traduit de l'allemand par Elisabeth Amerein-Fussler

Essais -Seuil éditions
Date de parution 28/09/2017
17.00 € TTC
224 pages
EAN 9782021365337

Carolin Emcke conduit une analyse à la fois littéraire et philosophique des contextes qui expliquent la haine xénophobe, raciale, sociale et sexiste minant nos sociétés. Elle étudie les processus d’invisibilisation qui préparent les conduites haineuses et déconstruit les présupposés théoriques de la haine : naturalisation des identités, désir d’homogénéité et culte de la pureté. Ce livre réalise un équilibre rare entre description des situations concrètes de montée en puissance des passions tristes (Europe et États-Unis notamment) et analyse des causes. Le ton est descriptif avant d’être normatif, même si l’auteur ne cache pas son parti pris en faveur d’une démocratie sensible, accordée à une certaine expérience de l’amour : l’aspect le plus remarquable du livre tient dans ce lien établi sans aucune naïveté entre la politique et la sphère des sentiments.

Le projet littéraire de Carolin Emcke n’a pas d’équivalent en France : il s’agit d’articuler journalisme au meilleur sens du terme et philosophie. Les enjeux fondamentaux liés au devenir de la démocratie dans la globalisation, à la guerre et aux droits civiques sont restitués au plus près de l’expérience, parfois sur la ligne de front elle-même. Ce point de vue original confère un ton militant, mais jamais dogmatique, à ce livre. La haine n’y est pas envisagée comme une abstraction mais comme une possibilité ouverte par la modernité et à laquelle cette même modernité permet de répliquer. L’amor mundi revendiqué par Carolin Emcke se confronte à la réalité de l’extrême qu’elle a observé avec autant de courage que de finesse sur des théâtres d’opération divers (Kosovo, Liban, Irak, etc.). L’alliance entre le sérieux habermassien et la lucidité d’une femme qui a regardé la guerre en face n’est pas habituelle dans notre pays où les ponts entre philosophie et journalisme ont été coupés.

Carolin Emcke, née en 1967, a étudié la philosophie, les sciences politiques et l’histoire à Londres, Francfort-sur-le-Main avec Jürgen Habermas, dont elle est proche, et Harvard. Elle a été reporter de guerre de 1998 à 2013 et a notamment couvert les guerres du Kosovo, du Liban et d’Irak. Elle collabore depuis 2007 avec l’hebdomadaire Die Zeit. Outre le prestigieux Friedenspreis de la foire de Francfort 2016, elle a reçu le prix Theodor-Wolff (2008), le prix Otto-Brenner (2010) et le prix Lessing (2015).

 

 

26/09/2017

Black Lives Matter - Le renouveau de la révolte noire américaine de Keeanga-Yamahtta Taylor

 
 
 
couv_3101.jpgParution : 22/09/2017
ISBN : 9782748903171
Format papier : 408 pages (12 x 21 cm)
24.00 € + port : 2.40 €

 

"Le meurtre de Mike Brown par un policier blanc a marqué un point de rupture pour les Afro-Américains de Ferguson (Missouri). Peut-être était-ce à cause de l’inhumanité de la police, qui a laissé le corps de Brown pourrir dans la chaleur estivale. Peut-être était-ce à cause de l’arsenal militaire qu’elle a sorti dès les premières manifestations. Avec ses armes à feu et ses blindés, la police a déclaré la guerre aux habitants noirs de Ferguson."

Comment le mouvement Black Lives Matter a-t-il pu naître sous le mandat du premier président noir ? L’auteure revient sur l’"économie politique du racisme" depuis la fin de l’esclavage, le reflux des mouvements sociaux des années 1960 et l’essor d’une élite noire prompte à relayer les préjugés racistes et anti-pauvres. Elle défend le potentiel universaliste de BLM : afro-américain et tourné contre les violences policières, il peut parfaitement rallier d’autres groupes et s’étendre à une lutte générale pour la redistribution des richesses.

Au sommaire : Introduction. Le réveil noir dans l’Amérique d’Obama - 1. Une culture raciste - 2. Des droits civiques à l’indifférence à la race - 3. Des visages noirs aux cimes du pouvoir - 4. Une justice à deux vitesses - 5. Barack Obama : la fin d’une illusion - 6. Black Lives Matter : plus qu’un moment, un mouvement - 7. De #BlackLivesMatter à la libération noire
 

21/09/2017

La Faim de Martín Caparrós

 
 
9782283028865-3dac6.jpgTraduit par Alexandra Carrasco
Langue d'origine : Espagnol (Argentine)

25 000 hommes, femmes, enfants meurent chaque jour de faim ou de malnutrition à travers le monde. Aucun fléau, aucune épidémie, aucune guerre n’a jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, exigé un tel tribut. Et pourtant, la nourriture ne manque pas : la planète ploie sous l’effet de la surproduction alimentaire et le négoce va bon train.

Comment documenter ce paradoxe sans tomber dans la vaine accumulation statistique ? C’est la question qu’explore Martin Caparrós en partant à la rencontre de ceux qui ont faim, mais aussi de ceux qui s’enrichissent et gaspillent à force d’être repus. Leurs histoires sont là, rendues avec empathie et perspicacité par l’auteur. Fouillant sans relâche les mécanismes qui privent les uns de ce processus essentiel, manger, alors que les autres meurent d’ingurgiter à l’excès, le texte livre une réflexion éclairante sur la faim dans le monde et ses enjeux, du Niger au Bangladesh, du Soudan à Madagascar, des États-Unis à l’Argentine, de l’Inde à l’Espagne.

Un état des lieux implacable et nécessaire.

  • Buchet-Castel
  • Date de parution : 01/10/2015
  • Format : 15 x 23 cm, 784 p., 26,00 EUR €
  • ISBN 978-2-283-02886-5

http://www.buchetchastel.fr/la-faim-martin-caparros-97822...

 

« La faim de Martin Caparrós est formidable ! Un livre fascinant, utile et extraordinairement érudit. Un récit de grande qualité littéraire. »

Jean Ziegler

 

 

 

 

 

 

15/06/2017

Ruines de Perrine LE QUERREC lu par Jean Azarel

 

 

3839097360 Ruines.jpg« Berlin 1953 / Unica / Voit Hans, son fantôme du Paradis / Enfant recherché. Hans / <Voit Unica, sa poupée incarnée / Enfant détournée. » Abasourdi, scotché, électrisé, saigné, comme vous voudrez, par la lecture du dernier ouvrage de P.L.Q (P.L.Q : je persiste et signe dans l’utilisation des initiales), j’ai d’abord cru que je n’en dirai rien tant la postface de Manuel Anceau est juste et parfaite. Mais comment rester silencieux et garder pour soi ce qui impose d’être partagé ; puisque comme l’a chanté Jean-Louis Murat « ce qui n’est pas donné est perdu, ce que tu gardes est foutu ». Il est vrai aussi, « Ruines » confortant l’aveu, que je suis définitivement amoureux  de cette langue posologique et de son auteure. Jusqu’à trépas. (Et au-delà d’après certains.) Car l’écriture de Perrine le Querrec (en toutes lettres) est maudite comme le cinéma de Philippe Garrel est maudit. Un petit cercle de lecteurs chez l’une, un quarteron de spectateurs chez l’autre, même si le temps aidant à la connaissance du talent, le cercle des fidèles s’élargit lentement. Tant il est vrai que la vérité fait toujours peur, quand elle n’est pas carrément effroyable.

Ainsi de l’histoire d’Unica Zürn, poupée de chair docile, et d’Hans Bellmer, homme jasmin vénéneux manipulateur, que résume en pages serrées, quasi télégraphiques parfois, le livre factuel et sans parti-pris de Perrine Le Querrec. Unica l’unique, femme précieuse, songe-plein de créativité naïve, brutalement transmutée « à l’insu de son plein gré » en créature fantasmée, hybride et changeante à l’infini, au prix fort de moult humiliations et perversions que d’aucuns verront comme la manifestation de la face obscure de l’amour. Eradication de l’intégrité corporelle, explosion de l’identité sexuelle, dégâts consubstantiels d’une ivresse à contre corps et contre cœur quand la folie, la et les ruine(s) devancent l’appel de la déchéance biologique commune. Si l’automate avec qui Casanova fait l’amour ( ?) dans le film éponyme de Fellini n’est pas loin, ici la cruauté supplante pour un temps le désespoir : l’être humain est toujours là, sommé de contempler sa rivale qu’il nourrit, et contraint au spectacle. « Le trou violet foré jusqu’à l’os / Une blessure sans cesse à combler / Et Hans aura beau manipuler / Trop tard / Dans le combat engagé / Armes blanches, voiles noirs, chairs roses / Ils y laisseront leur peau / Et Unica sa raison troussée. »

Perrine le Querrec nous mène là où elle se tient : en équilibre  sur la pente la plus raide de la montagne. Tout en haut, les cimes sont blanches, en apparence immaculées, mais de quoi sont elles faites ? Pour le savoir, on dévale avec elle tout en poursuivant l’ascension (P.L.Q écrivant, nous lisant), trouvant dans les sauts de page les entrées de secours indispensables pour ne pas risquer la sortie de piste définitive. « ….elle veut juste qu’il sache / Unica est là/ il peut la contempler / …. Unica allongée, hors mot, hors sexe un reproche / informulé, une plainte de vent ».

Littéralement, ce livre cardiologique, récit d’irréparable, d’enfermement, de remords imprudemment décrétés éternels par Bellmer, est à baiser : sans cesse, (à) la vie, (à) la mort, au sens pieux ou païen, comme on voudra, goulûment ou frugalement, c’est selon, avec frénésie ou dévotion, ça ne change rien à l’affaire. Il y a du Pasolini, version « Salo » dans ces Ruines-là, on ne sort pas indemne de la marche, ou alors on a rebroussé chemin depuis belle lurette. Le sommet de la montagne qu’on toucherait presque de la main est toujours aussi loin, les cimes toujours aussi blanches, presque immaculées (de quoi sont elles faites ?), mais le lecteur, souffle court en noir, blanc, et rature d’une mise en page touchée par la maladie, traverse avec le guide Le Querrec des contrées intimes qu’il pensait  inavouables.

 

Jean Azarel / 14 juin 2017

 

28/04/2017

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon - les prédateurs au pouvoir

A lire : Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, Les prédateurs au pouvoir. Main basse sur notre avenir, Textuel, 2017, 64 pages.

 

Pourquoi certains électeurs vont-ils voter pour un candidat qui ne leur ressemble pas et qui ne semble même pas défendre leurs intérêts ? Pourquoi acceptons-nous ce fossé qui s’élargit chaque jour davantage entre une classe dominante et les autres ? Comment l’argent est-il devenu une arme de destruction massive aux mains d’une oligarchie ? C’est à ces questions que tentent de répondre les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, dans leur ouvrage Les prédateurs au pouvoir, dans un style clair et corrosif. Pour eux, Marine Le Pen, François Fillon ou Emmanuel Macron ne sont que différents visages de cette oligarchie prédatrice qui a fait main basse sur notre avenir. Rencontre.

Basta ! : Face à l’augmentation des inégalités, à l’intolérable situation dans laquelle se trouvent une partie de la population qui subit le chômage, pourquoi la question du partage des richesses n’est-elle pas plus centrale dans cette campagne ?

Monique Pinçon-Charlot : Il est difficile aujourd’hui de parler des inégalités abyssales, dont la concentration se fait pourtant à une vitesse complètement folle. En 2010, 388 multimilliardaires possèdent la moitié des richesses de l’humanité. En 2016, cette richesse est concentrée entre les mains de seulement 8 super riches ! Mais cela reste tabou car ces richesses ne sont pas le résultat de mérites, de réalisations favorables à l’humanité, mais de spéculations, de prédations sur les ressources naturelles, dans tous les domaines d’activité économique et sociale. Elles sont destructrices pour la planète et pour l’humain, mais sont passées sous silence. Une partie du problème vient du fait que ce sont des patrons du CAC40 qui sont massivement propriétaires des grands médias, qui relaient volontiers la « voix de leur maître » (lire notre enquête « Le pouvoir d’influence délirant des dix milliardaires qui possèdent la presse française »).

Dans ces conditions, comment des responsables politiques qui ne s’attaquent pas aux causes de ces inégalités arrivent-ils à nous faire croire qu’ils œuvrent pour le bien de tous ?

  1. P.-C. : On ressent un désarroi très profond chez les Français avec cette élection présidentielle : ils ne comprennent plus rien ! Ils sentent qu’il y a quelque chose de vicié, de pervers, de cynique dans cette situation, qu’ils sont lobotomisés par les médias, qu’ils n’ont pas les moyens de penser car ils sont dans un brouillard sémantique, idéologique, linguistique. Ils sont en quelque sorte tétanisés, sidérés. Et la classe politique est dans une bulle. On nous dit que le système est démocratique, mais quand on voit comment un ouvrier comme Philippe Poutou est traité... Il n’y a pas d’ouvriers à l’Assemblée nationale, alors qu’ouvriers et employés représentent aujourd’hui encore 52% de la population active ! Un tel décalage entre réalité des classes moyennes et populaires et ce qui se passe au Parlement est problématique.

Comment est-ce possible que des responsables politiques ne voient pas où est le problème, à acheter des costumes de luxe, à se faire payer des cadeaux par des « amis » ?

  1. P.-C. : C’est plus grave que cela. Il y a un processus qui se construit dès la naissance, de recherche d’entre-soi, d’être avec son semblable. C’est aussi un processus d’évitement et de ségrégation du non-semblable. Petit à petit, cela construit le dominant comme s’il venait d’une autre planète, comme s’il était d’une autre « race »… Comme pour la noblesse, avec son prétendu « sang bleu » : la différence était marquée dans la définition même du corps. Et dans la déshumanisation de l’autre, du dissemblable. L’autre, ils s’en fichent… du moment qu’il continue à voter pour eux.

Mais comment expliquer que François Fillon ait encore autant de supporters ?

  1. P.-C. : C’est une question centrale. Pourquoi est-il à un niveau encore si haut dans les sondages malgré la gravité de ce qui lui est reproché ? Les 30 années que nous avons passées à travailler sur l’oligarchie nous ont permis de nous mettre dans leurs têtes – celles de François Fillon et des proches qui le soutiennent, celles des super riches. Ils se sont construits avec un sentiment d’appartenir à une classe sociale, une classe hétérogène évidemment mais suffisamment solidaire pour capter tous les pouvoirs. Ils sont entre eux en permanence : cela permet la construction d’un sentiment d’impunité collective et d’immunité psychologique. Chaque individu se construit une non-culpabilité, une « non mauvaise conscience ». Ce sont des gens « à part », qui estiment qu’ils ne peuvent pas être punis sur le plan pénal, en matière de fraude fiscale ou de corruption. Ils considèrent que les institutions doivent les protéger. Cette classe a une fonction : défendre les intérêts de la classe. Ils ne peuvent pas penser en termes moraux, de culpabilité, cela ne les habite pas. La culpabilité, ça, c’est pour nous ! Eux, ils font leur job de prédation. C’est plus fort que de la corruption, que du vol : on bouffe les autres.

Michel Pinçon : Ce sont des gens aimables, propres sur eux, qui présentent bien, mais ont souvent des casseroles. La sous-évaluation des biens pour les impôts ou l’évasion fiscale, cela va de soi ! Ils estiment qu’ils ont suffisamment travaillé, ils ont hérité de leur parents, ils ont fait fructifier, on ne va pas venir le leur prendre... Il y a une logique dynastique dans cette accumulation. Le fait de transmettre aux enfants, de continuer la dynastie (ou de la fonder). Ils font venir les enfants l’été pour les former dans l’entreprise familiale.

  1. P.-C. : Un peu comme dans l’affaire Fillon…
  2. P. : Malgré les conflits entre eux, cette classe bourgeoise est solidaire sur le fond. L’analyse en terme de classe sociale, ce n’est pas une foutaise, un truc d’autrefois. Il y a une classe bourgeoise qui existe par son niveau de richesses, la propriété des moyens de production, matérielle, mais aussi par la conscience qu’elle a d’elle-même. Et par le fait de veiller au grain pour que ça dure.

On peut comprendre pourquoi ceux-ci votent pour François Fillon. Mais pourquoi les classes populaires votent-elles pour des responsables qui ne leur ressemblent pas ? Dont les intérêts semblent contradictoires avec les intérêts de la classe populaire, comme pour Donald Trump ?

  1. P. : Cela n’a pas été toujours le cas. Dans la période après guerre, le Parti communiste représentait une force sociale considérable. Il y avait notamment chez les ouvriers une conscience de l’existence de classes, de leur appartenance à une classe qui ne possède pas les moyens de production. La chute de l’URSS a été vécue comme l’échec des espoirs de fonder une société qui fonctionne autrement. Avec la destruction de la conscience de classes, l’expression politique peut aller vers des choix non conformes aux intérêts des classes populaires.
  2. P.-C. : Quand Ernest-Antoine Seillière a pris les rênes du Medef [de 1998 à 2005, ndlr], il a procédé à une « refondation sociale », c’est-à-dire une inversion de la théorie marxiste de la lutte des classes : les riches sont devenus des « créateurs de richesses ». Et les ouvriers, qui sont les créateurs de richesses et de plus-value selon la théorie marxiste, sont devenus des « charges » et des variables d’ajustement. C’est un processus de déshumanisation très fort. Les ouvriers qui votent pour le Front national sont des gens perdus, qui ne comprennent pas ce qui leur est arrivé. Ils votent d’ailleurs pour Le Pen en disant : « On va peut-être se faire avoir, mais on aura tout essayé ». Et ils ne vont pas être déçus ! Car Le Pen, c’est la dernière alternance de l’oligarchie.

Le Front national a un discours virulent contre les « élites » françaises. Il participe selon vous de cette oligarchie qu’il dénonce ?

  1. P.-C. : Le Front national, c’est une dynastie familiale. Une dynastie des beaux quartiers, avec de l’argent, des biens immobiliers, une famille assujettie à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Une dynastie avec un rapport très décomplexé à l’argent public et qui traine ses casseroles : sous-déclaration des biens au fisc, emplois fictifs, surfacturation des frais de campagnes pour prendre du fric à l’État. On est bien dans le registre de l’oligarchie, de la délinquance en col blanc. C’est une dynastie familiale devenue parti politique, avec trois générations, un phénomène de népotisme assez unique en France. Autre élément, dont parle peu la presse, la forte présence d’anciennes familles de la noblesse parmi les hauts dirigeants du FN.

Marine Le Pen a un discours très critique envers l’oligarchie européenne, mais elle contribue à préserver l’opacité de sa bureaucratie ! Les gens ignorent tout des votes de Marine Le Pen : sur la question de l’évasion fiscale, elle s’est opposée à la création d’une commission d’enquête sur les Panama Papers. Deux de ses proches, Frédéric Châtillon et Nicolas Crochet, sont épinglés comme possédant des comptes offshore, selon les Panama Papers. Les eurodéputés du FN ont aussi voté pour le secret des affaires. Mais Marine Le Pen feint toujours de se bagarrer contre l’opacité de la bureaucratie européenne... C’est une imposture (lire notre enquête « Au Parlement européen, les votes méprisants du FN et de Marine Le Pen à l’égard des travailleurs »)

Pourquoi ces éléments sont peu relevés par les médias ?

  1. P.-C. : Parce que les médias ne font pas leur travail. Depuis trente ans, la classe oligarchique a ouvert un boulevard au Front national. Celui-ci a pour stratégie de casser la gauche radicale, de la détourner, de prendre sa parole, son programme, ses électeurs. Résultat : les gens ne comprennent plus rien.

Comment situez-vous Emmanuel Macron ? Vous dites qu’il a réussi un tour de passe-passe pour parvenir à faire croire qu’il n’est pas membre de cette oligarchie, malgré sa « parenthèse Rothschild » et ses liens avec le monde de la finance ?

  1. P.-C. : Emmanuel Macron, il est parfait. C’est l’oligarque parfait. Qui convient parfaitement aux familles sur lesquelles nous avons mené nos études sociologiques. Il n’est « ni de droite ni de gauche »...
  2. P. : … Donc « ni de gauche ni de gauche » !
  3. P.-C. : Voilà… Il représente la pensée unique. Nous sommes dans un monde orwellien, mais il n’y a plus besoin de parti unique : nous avons la pensée unique ! Emmanuel Macron en est un porte-parole absolument extraordinaire. Il connaît des gens dans tous les recoins de l’oligarchie. Il se fait financer par des banquiers anglo-saxons, américains, dont il refuse de donner les noms. Il veut supprimer l’ISF et affirme que c’est une mesure de gauche... Quand on analyse ses discours, on se rend compte que c’est un vide absolument abyssal. C’est pour nous la caricature du conformisme qui se transforme en une espèce de « progressisme radieux » et fallacieux.
  4. P. : Il peut faire illusion. L’illusion de la capacité, de l’expérience. Il apparaît comme un changement serein. Mais il propose une régression sociale sans précédent.

D’où vient son succès ? De l’attrait du « neuf » ?

  1. P.-C. : C’est plus grave que cela. Il peut être le levier pour l’oligarchie mondialisée, celle qui se cache derrière l’idée de mondialisation pour mieux faire passer la marchandisation généralisée de la planète. Macron serait du bon côté du manche. Et un élément décisif. Nous sommes passés à une étape de plus vers un totalitarisme qui ne dit pas son nom. Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont pas tenu leurs promesses : les responsables politiques mentent. Mais là, avec Macron, on est passé au foutage de gueule : « Je ne prends même pas la peine de faire un programme parce que de toute façon je ne le tiendrai pas ». Cela montre à quel point on méprise le peuple. C’est une violence de plus à l’égard des classes populaires et moyennes.

Vous affirmez dans votre ouvrage que « les prédateurs au pouvoir ont fait main basse sur notre avenir ». Quelles sont leurs motivations ? Qu’est-ce qui pousse les plus riches à ces comportements de prédation ?

  1. P.-C. : Il ne s’agit pas d’accumuler pour accumuler. L’argent est devenu une arme pour asservir les peuples. En ne payant plus d’impôts, ils construisent le déficit et la dette – qui n’a pas vocation à être remboursée : c’est une construction sociale, comme le « trou de la sécurité sociale ». Ils spéculent sur le réchauffement climatique et accélèrent la marchandisation de la planète. On spécule même sur le travail social, comme l’accompagnement des sans-abri, qui devient un nouveau marché financier, avec la création des « contrats à impact social ». C’est une destruction de tout ce qui peut ressembler à de la solidarité sociale, par ces oligarques, par le système capitaliste.

La seule raison de vivre des nantis est « l’enrichissement, les pouvoirs qui lui sont liés et l’euphorie de vies hors du commun », écrivez-vous…

  1. P. : Un des gains importants est la création d’une dynastie. C’est quelque chose qui a des effets un peu magiques. Cela donne une immortalité symbolique. Vous avez des rues de Paris qui porte votre nom de famille...
  2. P.-C. : La reproduction des privilèges passe par les familles, par la transmission au sein de la confrérie des grandes familles. On a fait la Révolution il y a plus de deux siècles, mais ce sont encore des grandes familles qui tiennent les rênes de presque tous les secteurs d’activité. La bourgeoisie a singé la noblesse après la Révolution et a inscrit les privilèges et richesses dans le temps long de la dynastie.

La situation peut-elle s’améliorer ?

  1. P.-C. : On nous dit que la richesse des plus riches bénéficie à tous. Mais cette « théorie du ruissellement » fait partie de la guerre idéologique ! Le fossé s’élargit chaque jour davantage entre la classe dominante et les autres classes. L’ascenseur social n’existe plus. Il y a un antagonisme irréductible, qui appelle à un changement radical, à une révolution. Il faut que les titres de propriété leur soient enlevés ! Et que ceux qui travaillent dans les entreprises prennent les rênes et les responsabilités.
  2. P. : La situation est pire qu’avant car il n’y a plus d’unité populaire en face du pouvoir de l’argent. Si Emmanuel Macron est élu, cela risque de s’aggraver encore, car c’est un faux-semblant. Il est perçu comme le Messie…
  3. P.-C. : … alors que c’est le baiser du diable. Et que cette violence de classe atteint les gens dans leur être profond. Nous ne sommes pas du tout dans le « tous pourris ». Ce que nous disons, c’est qu’il faut prendre le problème dans sa globalité, puisque tout est lié : évasion fiscale, réchauffement climatique... Nous voulons mettre en lumière le fonctionnement d’une classe sociale, propriétaire des moyens de production et prédatrice du travail d’autrui. Car c’est vraiment une guerre de classes que mènent les plus riches contre les peuples.

 

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

21 avril 2017 - Bastamag

07/04/2017

Armand Gatti

 

Bon voyage Monsieur Gatti, vous étiez et restez un grand homme de cœur !

 

Bio et bibliographie d'Armand Gattihttp://www.armand-gatti.org/index.php?cat=biographie

 

 

Extrait du livre biographique de Frédéric Mitterrand. La récréation. 

(Ed. Robert Laffont, octobre 2013, pp.385-386).

 

Samedi 26 mars 2011

Armand Gatti, c'est une terra incognita pour le ministère. On en est resté à sa collaboration avec Jean Vilar, qui remonte à plus de soixante ans, et au soutien que lui accordait Malraux, ce qui n'est pas tout récent non plus. On lit distraitement les articles qui lui sont consacrés et qui rendent compte de ses expériences théâtrales avec des jeunes partis en vrille, des détenus, des immigrés qui n'ont jamais eu droit à la parole, et tant pis si les critiques sont toujours élogieuses, on ne va pas voir ses spectacles; on lui accorde juste assez d'argent pour se donner bonne conscience, ce qui n'est vraiment pas grand‑chose. On en a un peu peur, comme de tout ce qui est inclassable et ne rentre pas dans les tiroirs bien rangés du ministère. Sa réputation d'agitateur libertaire inflexible, la petite bande qui travaille avec lui et qu'on ne connaît pas, tout ce militantisme sur le front de la misère culturelle et de l'abandon social qui n'a jamais été récupéré par la gauche du confort intellectuel, ça sent trop le phalanstère, le loin d'ici, le vieux et le passé. Au fond, il a bientôt quatre‑vingt‑dix ans et on attend qu'il meure, le communiqué de condoléances bien senti du ministre est déjà dans les tuyaux. Je veux aller le voir, je veux l'aider, je veux qu'il puisse continuer.

Une petite rue au fin fond de Montreuil. Des entrepôts en ruine et des restes d'usine. Décor d'Alexandre Trauner.

Je m'attends à tout : un accueil maussade, une arrivée comme celle d'un chien dans un jeu de quilles, voire pas d'accueil du tout et la porte close. C'est tout le contraire, une gentillesse et une empathie merveilleuses. Dans son pavillon bourré de souvenirs d'une vie follement aventureuse dédiée à tous les combats contre l'injustice, il m'embarque pour une formidable traversée du siècle portée par un verbe magnifique. Autour de lui, des gens qui ont la moitié de son âge qui l'accompagnent, le soulagent de sa fatigue, mettent en forme les projets qu'il porte. Rien d'une secte, juste un engagement obstiné et désintéressé. A côté, l'atelier théâtre avec le toit qui fuit, le chauffage qui marche mal et plusieurs spectacles par an qui fond salle comble.

 

Parution : 24 Octobre 2013 / Format : 1 x 240 mm / Nombre de pages : 726 / Prix : 24,00 € / ISBN : 2-221-13307-2

 

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02/04/2017

Bernard Maris expliqué à ceux qui ne comprennent rien à l'économie

 

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Relié - Les Échappés - Paru le : 29/03/2017
 
« Il était animé d’une flamme dès qu’il parlait d’économie, car pour lui, parler de l’économie, c’était parler de l’homme, de la vie des gens, de ce dont les gens ont besoin », se plaît à nous rappeler Gilles Raveaud, disciple, collègue et ami de Bernard Maris.
Bernard Maris était un économiste original. Original, car il redonnait sa juste place à l’humain au sein de ladite « science économique ». Cela faisait sourire nombre de ses confrères qui le reléguaient au rang d’économiste médiatique, préférant s’appuyer sur les chiffres pour asséner leurs démonstrations.

Dans une prose simple et fluide, Gilles Raveaud synthétise l’œuvre de Bernard Maris, et rend hommage à cette personnalité qui manque cruellement au paysage intellectuel français.
En parcourant l’œuvre de Bernard Maris, on se rendra compte que cette discipline n’est pas réservée à une élite et qu’il existe d’autres chemins que ceux présentés par les économistes mainstream, les politiques libéraux, les patrons du Medef & co.

À la façon, distanciée et ironique, de Bernard Maris d’appréhender l’économie, les dessinateurs Coco, Félix, Juin, Riss, Vuillemin et Willem apportent leur touche personnelle à l’ouvrage !

 

Source : http://lesechappes.com/fr/ouvrages/bernard-maris-explique...

 

 

23/03/2017

Nos ancêtres les Arabes de Jean Pruvost

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Ce que notre langue leur doit

La langue arabe offre à la langue française force mots, sans que personne ne s’en doute. Que la langue arabe vienne en troisième position après l’anglais et l’italien a de quoi surprendre.
Dans l’alimentation, par exemple, une pastèque, des artichauts, des aubergines, des épinards à l’estragon, une mousseline, un sorbet arrosé de sirop, en buvant de la limonade ou une orangeade, pour finir avec un café, sans sucre, et un alcool, tout cela vient du monde arabe. Pour la mode, une jupe de coton, un gilet de satin, un caban ou une gabardine… Pour le savant, l’algèbre, les algorithmes, les chiffres
Tous les domaines de l’existence sont ainsi répertoriés pour rappeler les mots arabes que nous utilisons, qu’il s’agisse de la flore, de la faune, des parfums et bijoux, de l’habitat, des transports, de la guerre, des couleurs, des fêtes, de la musique, des lettres et des arts, des religions, etc. Sans oublier les effets sur notre langue de la colonisation, de la guerre d’Algérie, du rap…
Pour Lavisse, « Nos ancêtres les Gaulois » étaient avant tous des barbares et sans les Romains et la civilisation arabe, qui a irrigué tous le Moyen Âge, la Renaissance aurait encore tardé.
Jean Pruvost nous offre une nouvelle fois l’occasion de nous plonger dans le grand voyage des mots de la langue française.
 
 
 
Nos ancêtres les arabes Jean Pruvost / Ed. JC Lattès
 
 
Jean Pruvost est professeur émérite de lexicologie et d'histoire de la langue française à l'Université de Cergy-Pontoise. Il est aujourd’hui président du Comité d’évaluation au CNRS. Il donne chaque matin trois chroniques radiophoniques de langue : sur France Bleu Île de France ; sur RCF et sur Mouv’, il est Doc Dico avec pour chronique « Les mots du rap ».   
 
 
 
note de moi-même : et le mot douane aussi, vient de l'arabe....  ;-)
 
 
 
 
 
 
 
 
 

16/03/2017

Le Livre noir de la médecine - Docteur Dominique Michel Courtois et Maître Philippe Courtois

 
 
« Plus de 450 millions d'actes médicaux sont réalisés chaque année. Dans ce contexte, n’ayons pas peur de le dire, nous assistons aujourd’hui à un suicide de la médecine française, soumise aux lobbies des laboratoires, au mutisme des pouvoirs publics et à des connivences malsaines entre les organismes prétendument de défense et de contrôle. Et c’est vous qui en êtes les victimes innocentes…
Vous êtes ou vous serez les consommateurs obligés d’actes médicaux, de médicaments et, peut-être, les victimes. Ce livre vous aide à vous défendre à armes égales contre le corps médical, les organismes de santé et les assurances.
Pour ne plus jamais être une victime, mais un patient reconnu et respecté. »
 
Toute puissance de l’industrie pharmaceutique,  connivence de certains médecins praticiens, laboratoires sans scrupules, erreurs médicales à répétition : le Dr Dominique-Michel Courtois, médecin expert sur RTL, et son fils, Maître Philippe Courtois, avocat spécialisé dans la défense des victimes de dommages corporels, brisent l’omerta, preuves à l’appui, dans un document choc.

26/02/2017

Petit guide de déradicalisation économique à usage électoral

 

Alors que nous allons bientôt élire le prochain président de la République, il est indispensable d’alerter sur les conséquences des propositions des candidats à cette élection. C’est un des objectifs du livre intitulé L’intégrisme économique, qui sort le 1er mars prochain.

 

 

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Une question est à l’origine de L’intégrisme économique
[1]. Pourquoi continue-t-on de promouvoir les recettes économiques néo-libérales alors que près de 40 ans d’application ont montré leurs effets pervers : multiplication des crises financières ; explosion des inégalités combinée à une hausse de la précarité et de la pauvreté qui fragilisent la cohésion sociale ; dégradations environnementales toujours plus importantes, etc. ? Leurs promoteurs continuent pourtant d’affirmer qu’il n’y a pas d’alternative et que de telles politiques économiques bénéficieront à tous, tôt ou tard.

 

Et si, derrière cette rhétorique de façade, l’objectif n’était pas de servir l’intérêt général mais celui d’une minorité ? C’est ce sillon que nous creusons tout au long de cet ouvrage. L’économie n’y apparaît plus comme une science objective et neutre mais plutôt comme une religion ou, pire, comme un intégrisme religieux qui tente d’imposer une lecture rigoriste d’évangiles économiques dont les dogmes peuvent être rassemblés en dix commandements (l’austérité budgétaire tu prôneras ; la dépense publique tu diminueras ; plutôt que les plus riches, les pauvres tu taxeras ; la libéralisation financière tu assureras ; etc.). Tout en promettant le paradis économique à tous, l’intégrisme économique cherche en réalité à imposer un Ordre néolibéral qui ne bénéficie qu’à ses promoteurs. Pour ce faire, il dispose d’une armée de disciples dont la mission est de convaincre les foules de la bonté du Dieu qu’il vénère, le Marché, et de dénoncer toute pensée hérétique.

Ce livre fournit les clés permettant de comprendre les dérives sectaires de l’intégrisme économique. Nous dévoilons tout d’abord son mode opératoire, c’est-à-dire la façon dont il exerce son pouvoir, en particulier en utilisant la manipulation (chapitre 1). Nous décortiquons ensuite ses dogmes – les dix commandements – et faisons apparaître toute la cohérence d’un projet politique, mené par une minorité pour son propre profit, qui dessert la plus grande partie de la population mondiale (chapitre 2). Nous démasquons enfin ses adorateurs (missionnaires du FMI, inquisiteurs européens, apôtres économiques et clergé médiatique) et déconstruisons leur rhétorique intégriste (chapitre 3). Ce parcours nous conduit à dessiner les contours d’une indispensable dé-radicalisation des esprits touchés, ou seulement tentés, par l’intégrisme économique (épilogue).

L’intégrisme économique fait peser de lourdes menaces sur la démocratie comme sur le débat d’idées. C’est en effet une approche intégriste de la construction européenne qui l’entraine aujourd’hui dans une fuite en-avant anti-démocratique, comme le montre le traitement de la crise grecque, et participe du rejet croissant du projet européen, ce que traduit le Brexit. C’est aussi une vision intégriste de l’économie qui condamne toute approche alternative. La croisade contre le pluralisme des idées au sein de l’université a été menée en 2014 par l’apôtre Saint Jean Tirole, tout juste canonisé par l’intermédiaire de son « prix Nobel d’économie ». Elle se poursuit aujourd’hui à l’appel de Pierre Cahuc et André Zylberberg – dont le récent pamphlet a suscité de nombreux débats[2] – qui se lancent dans une chasse au « négationnisme économique » et appellent à l’épuration de toute pensée dissidente. Face au dogmatisme des intégristes économiques, il est essentiel de réaffirmer que l’économie est toujours plurielle et éminemment politique, et de montrer que d’autres voies sont possibles.

L’introduction de ce livre est reproduite ci-dessous.

 

Introduction : Le dieu Marché

Selon le dictionnaire Larousse, l’intégrisme est « une attitude et une disposition d’esprit de certains croyants qui, au nom du respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution ». Si une bataille s’est engagée contre l’intégrisme religieux et ses idées rétrogrades, un autre intégrisme, économique celui- là, sévit plus sournoisement. Il n’a pas eu besoin de recourir à des moyens barbares pour s’imposer. Mais, comme l’intégrisme religieux, il vénère un dieu, le Marché en l’occurrence, et défend une tradition, celle de l’économie néolibérale, avec les dogmes sur lesquels elle repose – austérité, concurrence, libéralisation, etc. –, et ne tolère aucune remise en question. Les prosélytes du Marché, c’est-à-dire les intégristes économiques, nous somment d’agir en son nom et de l’adorer, car lui seul œuvrerait pour le bien de tous. Ils le placent ainsi au centre de toutes nos décisions.

Les intégristes économiques peuvent être rangés en deux catégories. D’un côté, les théologiens et les évangélistes, à savoir les économistes orthodoxes les plus fanatisés, construisent la doctrine et élaborent les tables de la loi, dont les dogmes peuvent être rassemblés en dix commandements. De l’autre, le clergé, composé des principaux responsables politiques et des milieux d’affaires, avec leurs relais médiatiques et économiques, se charge de diffuser une lecture rigoriste des évangiles économiques. Malheureusement, de trop nombreux citoyens, dont l’esprit a été perverti par la propagande intégriste, ont également prêté allégeance à un mouvement qui les dessert pourtant largement.

Bien que nous n’en ayons pas toujours pleinement conscience, l’intégrisme économique nous entoure et rythme nos vies au nom du Marché. Pas un jour en effet sans analyses ou débats sur la croissance: est-elle suffisante ? Va-t-elle revenir ? Quand reviendra-t-elle ? Comment la faire revenir ? Pas un jour non plus sans indications sur les cours de la Bourse et l’évolution du sacro-saint CAC40, baromètre économique de nos sociétés « modernes » qui nous dit le temps qu’il fait sur des marchés financiers dont l’état de santé conditionnerait le nôtre. Pas un jour encore sans questionnements sur l’évolution des prix dont on nous assure qu’ils dépendent d’une loi de l’offre et de la demande quasi divine, puisque assurant le bon fonctionnement du Marché. Pas un jour enfin sans lamentations sur les (mauvais) chiffres du chômage et considérations sur le type d’offrandes au Marché qui permettraient de le réduire.

L’intégrisme économique s’est tellement immiscé dans les esprits que de nombreuses informations sont traitées principalement sous l’angle de leur coût économique, reléguant au second plan les aspects sociaux, politiques, environnementaux ou encore psychologiques, quand ils ne sont pas tout simplement occultés. Ainsi en est-il des conflits sociaux, où le coût économique à court terme d’une grève, évalué en points de croissance perdus pour faire plus sérieux, l’emporte sur l’intérêt des revendications pour le bien-être de la population. De même, l’impact d’une catastrophe naturelle est réduit à une facture de réparations à venir et laisse dans l’ombre la détresse psychologique des personnes touchées par l’événement, donc les moyens de la traiter.

Cette fascination pour le Marché a de quoi interroger. Les intégristes économiques, qui sont devenus les oracles des temps modernes, interprètent le réel, livrent leurs prophéties – sous forme de prévisions économiques – et promettent de nous conduire vers la Terre promise de l’abondance. L’intégrisme économique se présente pourtant comme une science, sérieuse et objective de surcroît, et, à ce titre, se pare d’un formalisme mathématique supposé lui fournir ses galons de science exacte. Dans les faits, il est l’instrument du pouvoir exercé par une minorité à son propre profit et s’emploie à nier toute existence d’alternative, promettant l’enfer – sur terre, dans ce cas – aux récalcitrants, aux hérétiques, bref, à tous ceux qui douteraient de la véracité de ce catéchisme.

Depuis près de quarante ans, nous avons laissé prospérer la religion du Marché et avons accepté de nous soumettre à ses dérives intégristes, ce qui nous a conduits à intérioriser des dogmes économiques qu’il devient de plus en plus difficile de questionner. Face à un tel aveuglement, il est indispensable de comprendre les dérives sectaires de l’intégrisme économique, ce qui implique de dévoiler son mode opératoire (le mode d’exercice de son pouvoir) afin de décortiquer ses fondements (les dogmes) et de démasquer ses adorateurs (les disciples), qu’il convient de déradicaliser pour leur faire retrouver le chemin de la raison (scientifique), de la tolérance et de l’intérêt général, donc celui de l’espoir.

 

 


 

[1] Eric Berr, L’intégrisme économique, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, 176 pages.

[2] Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique. Et comment s’en débarrasser, Paris, Flammarion, 2016.

 

 

24/02/2017

Vient de paraître : Le vin des crapauds - Saïd MOHAMED, Bob De GROOF (linogravures)

 

aux Ed. des Carnets du Dessert de Lune 

poésie, février 2017

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70 pages (carré, collé) 19 x 29 cm, 18 €



Préface :



Pas dit qu’on en boirait de ce vin là, mais on a bien envie d’en savoir plus, alors on ouvre la bouteille… Et d’entrée, c’est l’uppercut, un relent d’enfance qui marche au pas et de pourriture tranquille… Et on sait très vite que oui, nous allons boire tout notre saoul, parce que voici venu l’heure du néant, et Saïd Mohamed en dix lignes nous crache le portrait du monde et ses victoires qui ne sont que défaites/Des noces d’étreintes de sang et de merde.
Un uppercut crescendo, et on n’en sort pas indemne.
Le vin des crapauds a vieilli pendant 21 ans dans la cave du poète, et il a le goût acide d’un mauvais vin nouveau, sans doute parce que le malheur, la violence, la bêtise, l’ignorance, les injustices, sont toujours les mêmes, en grappes lourdes, noires, amères, toujours plus grosses et grasses.
Nous récoltons sur nos mains le sang de nos enfants,
Tandis que nos maitres boivent le divin nectar
Des bénéfices de cette boue pétrie aux alliances vénales
Le poème ici fait sauter le bouchon de la bouteille, celle du vin des fous, du vin des nausées, du vin dont s’enivrent ceux qui ont trop vu œuvrer les bouchers adulés par un bétail sans mémoire. Il ne s’adresse même plus à ceux-là mais à l’acier lui-même, non sans ironie.
Bel acier cherche ta voie dans les entrailles,
La viande chaude et le sang doux.
Couvre-toi de gloire, bel acier.
Le vin des crapauds, pauvres crapauds, c’est pour trinquer et vomir à tous les morts pour rien, qui pavent les siècles de leurs chairs pourries.
Je voulais du vin et du silence, dit le poète, mais puisqu’il faut supporter le vain des maux, voilà le vin des mots rances.
Il faut le boire, comme on dit, jusqu’à la lie et faire la nique d’un rire sans dents aux horreurs, car du poète c'est le lot que de la guerre/ devoir encore extraire l'or de l'amour, nommer l’innommable et égrener les mots magiques, envers et contre, envers et contre… Des cendres de l’espoir, on peut toujours tracer des signes. Vraiment ?
Le poète ici, dérisoire manchot face à un énième tsunami de ténèbres, s’écroule de lui-même.
Je ne suis pas ignoble, j'ai honte de vivre.


© Cathy Garcia, le 9 novembre 2017

 



Postface: 


Le vin des crapauds a été écrit en grande partie pendant la première guerre d’Irak, de 1990-91 Certains de ces textes ont été publiés dans la revue Kitoko Jungle Magazine de Guido Kuyl en Belgique, avec des dessins de Bob De Groof. Ensuite, Jacques Morin en a fait en 1995 un numéro de Polder avec des dessins de Fatmir Limani qui publiait lui aussi dans Kitoko. Que Jacmo soit ici remercié.
Devant les événements récents et ceux à venir provoqués par ce Nouvel Ordre Mondial, comme il a été qualifié, et qui a désigné l’Axe du Mal, les Bons et les Méchants. Ce qui n’est rien d’autre qu’un plan pour détruire les vieilles civilisations en les assujettissant mieux aux lois du marché. Construire du nouveau, sur les cendres de l’ancien qui obéit mieux à son maître. Il m’est apparu essentiel de republier l’ensemble de ces textes qui ont été retravaillés et auxquels des nouveaux poèmes sont venus s’ajouter, dont certains ont été publiés par Alain Boudet sur la Toile de l’un.
Bob De Groof, à qui j’ai fait part de mon projet, a tout de suite accepté de s’y investir et pendant un an il a travaillé à la gouge sur les grandes plaques de linogravure. Un tirage de tête sur velin d’Arches et au format 50 x 65 cm en a été fait à vingt exemplaires sur BFK Rives 250 grammes dans l’atelier à Fleur de Pierre par l’ami Étienne de Champfleury sur sa presse Marinoni Voiron de 1912.
Jean-Louis Massot des Carnets du Dessert de Lune qui me publie depuis Souffles en 2006 en fait ici une nouvelle édition. La maquette est de Morgane Pambrun typographe tombée dans les lettres dès sa plus tendre enfance et ensuite formée à l’école Estienne. Des expositions des 14 linogravures sont prévues dans diverses galeries à Paris, Bruxelles, Düsseldorf.
Ces textes et ces dessins sont notre façon de dire « Non à l’horreur ! »


Les auteurs :


Saïd Mohamed est né en Basse-Normandie d’un père berbère, terrassier et alcoolique et d’une mère tourangelle lavandière et asociale. Nomade dans l’âme, il est tour à tour, ouvrier imprimeur, voyageur, éditeur, enseignant à l’école Estienne. A aussi publié en poésie au Dé bleu et à Décharge dans la collection Polder, aux éditions Tarabuste.
Il a obtenu le prix Poésimage en 1995 pour Lettres Mortes, le prix CoPo pour l’éponge des mots en 2014. Boursier du CNL en 2015. Son blog : http://ressacs.hautetfort.com


Bob De Groof est peintre, collagiste, graveur-imprimeur, et photographe. Il a fait des assemblages, installations, du street art et a sculpté des totems.
Des expositions de ses œuvres ont eu lieu en Belgique, France, en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis. À travers les années, il a exposé une quarantaine de fois individuellement et a participé à une cinquantaine d’expositions de groupe. Ses travaux se trouvent entres autres dans des collections de pays aussi divers que les États-Unis, la Russie et le Maroc.
Faisant la connaissance de Saïd Mohamed pendant leur collaboration respective au fanzine KITOKO JUNGLE MAGAZINE, plus récemment ils ont décidé de réaliser un vieux rêve : la réédition et illustration du poème apocalyptique « Le Vin des Crapauds » écrit par Saïd.
Son site : http://www.bobdegroof.eu/tekst/engels/welkom.htm

 

Pour passer commande :

http://www.dessertdelune.be/store/p826/Le_vin_des_crapaud...

 

 

04/01/2017

Misère de l'espace moderne. La production de Le Corbusier et ses conséquences - Olivier Barancy

 

couv_3086.jpgIl est enfin admis ouvertement que Le Corbusier était un fasciste bon teint. On tolère ses mensonges et sa mégalomanie. On sourit en le voyant mépriser ses (riches) clients. Un observateur impartial découvrira vite qu’il n’a rien inventé, gommant les auteurs dont il s’est attribué les idées. La seule réelle compétence de Le Corbusier fut la promotion de son image publique au détriment de la qualité de son œuvre construite – catastrophique. Mais de tout cela on ne tire aucune conséquence, la plupart des critiques refusant de voir le monde cauchemardesque qu’il voulait édifier. Ce qui n’aurait aucune importance si Le Corbusier n’était devenu le modèle pour les architectes de l’après-guerre qui ont couvert la France de barres et tours en béton. Et si, aujourd’hui, ses théories ne faisaient les affaires des bureaucrates de Chine et de Russie.

Deux types de villes semblent aujourd’hui se distinguer. La plupart des cités comme Amsterdam, Prague ou Paris sont désormais partiellement préservées et destinées à une population privilégiée, tirant une partie de leurs ressources du tourisme international ; la tendance est à la réduction de la surface des chaussées, à la création de rues piétonnes dédiées au commerce de deuxième nécessité et à la “protection” des quartiers anciens. En contrepartie leurs périphéries sont devenues des non-villes. Ailleurs, en Amérique du Nord ou du Sud et singulièrement en Asie, la priorité est donnée à la voiture, l’habitat vertical proliférant de vingt étages est l’unité minimale de base, tandis qu’on se ravitaille dans des centres commerciaux gigantesques situés en périphérie urbaine. Les bidonvilles, bien loin d’être éradiqués, s’accroissent.
   La responsabilité des professionnels de l’aménagement, évidente, n’est pas récente. Les architectes n’ont jamais ressenti la nécessité d’encadrer l’exercice de leur profession par des principes éthiques. Pour promouvoir leur ego, les architectes organisent entre eux des concours de beauté, se remettent réciproquement des prix et des médailles d’or, révélant ainsi leur absence de sens moral.

Fondé sur l’analyse de la production (bâtie ou théorique) de Le Corbusier, ce livre montre l’imposture du créateur, le caractère totalitaire de ses projets et la misère spatiale qu’il a engendrée, de son vivant jusqu’à aujourd’hui.

 


168 pages (12 x 21) 14€
ISBN : 9782748903041


27/12/2016

Trop intelligent pour être heureux, Jeanne Siaud-Facchin

 Comment définir cette population, au delà de ce que les médias montrent, de l’impression trompeuse d’un simple effet de mode et des débats de terminologie, et pourquoi s’en préoccuper? Le mythe d’un surdoué « hyper-performant » et « sur-avantagé » domine dans les esprits (y compris chez certains thérapeutes), avec en fond les confusions régnant autour de la notion d’intelligence, alors même que les psychologues reçoivent de plus en plus de patients, enfants et adultes en souffrance, présentant ce profil singulier, vulnérables psychiquement, car leur mode de fonctionnement est atypique. L’intellect et l’émotionnel se mêlant en eux de manière permanente, leur personnalité se construit singulièrement avec ces ressources-là, puissantes mais avec des bases inhabituelles, qui doivent être reconnues, intégrées et exploitées pour devenir une force et non source de trouble. La terminologie utilisée est souvent discutable en raison des confusions que les différents termes impliquent, le terme « zèbre » que [je] leur préfère et ai choisi a l’avantage de les affranchir de ces a priori : le zèbre, difficilement apprivoisable, se fond dans le décor tout en s’y distinguant par des caractères (leurs rayures) propres à chaque individu… ça colle.

Les recherches en neurosciences menées sur cette population tendent à démontrer des particularités neurobiologiques, et viennent en appui des observations des thérapeutes sur la singularité de cette pensée. Mais elles ne disent pas comment vivre avec les difficultés qu’elle pose au niveau du « ressentir », du « dire », du « faire ». Et c’est pourtant tout l’enjeu, dont la reconnaissance constitue le point de départ, y compris chez l’adulte, car ce mode de fonctionnement ne disparaît pas avec les années et, bien souvent, le surdoué vit avec un image erronée de qui il est, presque étranger parmi les autres, en recherche, en souffrance.

Si l’on reprend les éléments du développement d’une personne surdouée, on note que dès la naissance, il existe des singularités (langage, motricité, comportement). Les premières réactions de l’entourage poseront les premières bases de l’estime de soi. Durant l’enfance viennent s’ajouter les problématiques d’adaptation de ces particularités avec la scolarité, c’est alors que naissent les premières désillusions, l’ennui, les difficultés de socialisation qui vont entamer cette estime et une certaine confiance en l’autre. C’est là aussi que les relations avec les adultes et notamment les parents vont se complexifier. A l’adolescence, les problématiques identitaires, les choix de vie nécessaires et une lucidité affinée viendront encore renforcer angoisses, sentiments de vacuité et écorner un peu plus l’image de soi. Des pathologies spécifiques pourront alors apparaître, nécessitant des prises en charges psychologiques adaptées à ce fonctionnement singulier. Arrivée enfin à l’âge adulte, la personne surdouée demeure avec ce sentiment de différence, l’impression de ne pas vraiment être un « adulte » tel qu’elle l’imaginait.

Se découvrir surdoué implique un dépassement de l’image de soi, souvent négative, et une prise en compte de toutes les composantes de la personnalité des surdoués, au delà de la sur-efficience. A l’âge adulte cela débute souvent par l’intermédiaire de diagnostics posés dans l’entourage ou à travers des rencontres, des lectures, qui font office de miroirs. Sauter le pas vers le bilan psychologique est difficile et courageux, et ce sera le seul moyen pour valider ses hypothèses. Le diagnostic se fait à partir d’une évaluation intellectuelle (en général, il s’envisage à partir d’un score de QI de 130) associée à une exploration de la personnalité par un psychologue expérimenté. La démarche diagnostique est toujours une démarche globale, d’autres éléments (hors QI) devront impérativement être considérés, et seul le psychologue peut effectuer ce travail. Quel que soit le résultat, le bilan permet à la personne de mieux se comprendre. Plusieurs étapes se distinguent dans le cheminement post-bilan : soulagement, puis doutes (tests, compétence du psychologue… tout est bon lorsque l’on se trouve avec cette difficulté de se reconstruire une image différente de soi), puis colère (sentiment de gâchis, peur de ne pas se montrer à la hauteur, maintenant que l’on sait). Le diagnostic est un choc qui fait parfois perdre le nord, et après lequel l’objectif « faire » (en faire quelque chose) masque celui bien plus essentiel d’ « être », d’être enfin soi. Se faire accompagner pourra alors être d’une aide précieuse. On pourra choisir de le dire à certaines personnes de son entourage pour être enfin compris ou pas, ce qui importe surtout c’est ce que le diagnostic va changer dans le regard que l’on porte sur soi, car c’est ce regard-là qui modifiera celui des autres. On pourra choisir encore de rencontrer d’autres personnes concernées par la douance et parfois cela fera avancer très vite si l’on sait en contourner les écueils (ghettoïsation notamment).

Si chaque personnalité est unique, on relève plusieurs facettes communes. On peut tout d’abord noter qu’une certaine typologie se dessine chez les surdoués : ceux qui acceptent le cadre (qu’ils s’étouffent dans une vie banale, au risque de développer des dépressions ou qu’ils utilisent toute leur énergie à réussir engoncés dans ce cadre, à ne montrer aucune faiblesse au risque de développer une angoisse chronique), ceux qui s’affrontent au cadre (créatifs, mais frustrés, en colère, souvent découragés), ceux qui évoluent sans cadre (vivant leur vie mais errants dans le flou, désabusés). Bien entendu, ces groupes ne sont pas figés et l’on peut passer de l’un à l’autre au cours de la vie. Quel que soit son fonctionnement, accéder au sentiment de réussite est vital mais souvent utopique pour un surdoué, or l’idée traditionnelle de ce qu’est la « réussite » ne convient généralement pas à l’image qu’il s’en fait lui. Le bonheur semble un idéal lointain pour cet adulte dont l’âme d’enfant demeure vivace, accolée au sentiment contradictoire d’être « sans âge » (hypermaturité), et de n’être pas indépendant d’un contexte global (dans l’espace et dans le temps). Il est perpétuellement tiraillé entre ce qu’il pense et ce qu’il peut mettre en application, en décalage aussi, et souvent en difficulté lorsqu’il s’agit de vivre le moment présent.

Être un adulte surdoué n’est pas simple, et cela tient autant à la manière dont la personnalité s’est construite qu’au fonctionnement spécifique qui perdure, avec des facettes qui peuvent se retrouver chez d’autres types de personnalités, mais dont l’intensité n’a pas d’égales : lucidité acérée, sentiment de peur omniprésent, sentiment de culpabilité, sensation d’incomplétude, ennui permanent, envie, empathie, hypersensibilité et hyperconscience, sentiment de solitude, amitiés ambivalentes entre engagement indéfectible et repli lié à la peur de la déception, incompréhension réciproque entre soi et le monde, idéalisme, hypercontrôle, absences… chacune de ces caractéristiques colore la personnalité d’une teinte unique. Chacune de ses caractéristiques recèle en elle de nouvelles sources de douleur psychique potentielle.

Pour le cas de la femme surdouée, d’autres éléments encore sont à prendre en compte. Elle adoptera plus fréquemment une stratégie d’hyperadaptation qui pourra finir par devenir très lourde à porter (douleurs cristallisée plutôt qu’extériorisées), d’autant qu’elle trouvera rarement une aide extérieure (elles intimident). Si elle est mère, il lui faudra également gérer les relations avec son enfant (souvent surdoué également) et avec le monde scolaire, ce qui la replacera face à ses propres démons, notamment face à cette peur de ne pas être à la hauteur. Quant à construire un couple… il lui faudra pouvoir réussir à être elle-même sans faire peur ou être vécue comme « castratrice »…

Si l’on considère ce couple, on notera que, fréquemment, les deux personnes qui le composent sont surdouées, leurs failles et leurs forces répondant positivement à celles de l’autre. Le diagnostic lorsqu’il n’est pas posé avant la formation du couple va apporter un élément nouveau, le couple sera nécessairement repensé et réajusté à la lumière de cette nouvelle information. Parfois une thérapie sera nécessaire. Un couple de surdoués n’est pas nécessairement un couple heureux, de nombreux paramètres entrent en ligne de compte…

Pour finir, il paraît important de parler des surdoués qui vont bien, car ils existent, même si les psychologues les connaissent moins (ils ne consultent pas). On peut cependant appréhender, à travers les enfants et adolescents qui grandissent sereinement, les composantes probables de l’accès à l’épanouissement pour un surdoué avec principalement une estime de soi solide, et un développement mesuré entre adaptation et affirmation de soi. A l’âge adulte, la résilience, la plasticité cérébrale, la capacité à saisir les petits bonheurs de la vie et à utiliser ses ressources particulières (intelligence, hypersensibilité, créativité, capacité à rebondir, empathie, énergie notamment) seront les clés du mieux-être, rien n’est donc perdu. Un surdoué devra simplement garder en tête les mécanismes qui peuvent laisser place à des pathologies et peuvent faire sombrer. Les thérapeutes, eux, devront retenir que si la douance n’est pas une pathologie, elle peut induire une souffrance qui se manifestera d’une manière toute particulière. Connaître et reconnaître ce fonctionnement sera indispensable à un diagnostic correct et une prise en charge adaptée.

« Rien n’est jamais joué tant que l’on est en vie »!

 

 

 

03/12/2016

Peti rappel : Escadrons de la mort, l'école française

Petit retour en arrière, pour se souvenir que les méthodes "qui ont fait leurs preuves" pendant les dictatures latino-américaine notamment, ont été élaborées en France, - voir notamment La guerre moderne du Colonel Trinquier.............(beurk)

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9782707153494.jpg- et surtout voir ou revoir le documentaire de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, une école française (et lire son livre du même nom, paru en 2003) - "Dans les années 1970 et 1980, les dictatures militaires du Cône sud de l’Amérique latine ont férocement réprimé leurs opposants, utilisant à grande échelle les techniques de la « guerre sale » (rafles, torture, exécutions, escadrons de la mort…). C’est en enquêtant sur l’organisation transnationale dont s’étaient dotées ces dictatures — le fameux « Plan Condor » — que Marie-Monique Robin a découvert le rôle majeur joué secrètement par des militaires français dans la formation à ces méthodes de leurs homologues latino-américains. Dès la fin des années 1950, les méthodes de la « Bataille d’Alger » sont enseignées à l’École supérieure de guerre de Paris, puis en Argentine, où s’installe une « mission militaire permanente française » constituée d’anciens d’Algérie. De même, en 1960, des experts français en lutte antisubversive, dont le général Paul Aussaresses, formeront les officiers américains aux techniques de la « guerre moderne », qu’ils appliqueront au Sud-Viêtnam. Des dessous encore méconnus des guerres françaises en Indochine et en Algérie, jusqu’à la collaboration politique secrète établie par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing avec les dictatures de Pinochet et de Videla, ce livre — fruit d’une enquête de deux ans, en Amérique latine et en Europe — dévoile une page occulte de l’histoire de France, où se croisent aussi des anciens de l’OAS, des fascistes européens ou des « moines soldats » agissant pour le compte de l’organisation intégriste la Cité catholique…"

 

 

 

 

 

 

25/10/2016

Benjamin Péret, l’astre noir du surréalisme par Barthélémy Schwartz

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Libertalia

350 pages – 18€

ISBN : 9782918059882

 

Ce volume comprend une anthologie

de poèmes et un cahier iconographique en couleur

 

En librairie depuis le 20 octobre 2016

* * *

« Qu’est-ce que le surréalisme ? C’est la beauté de Benjamin Péret écoutant prononcer les mots de famille, de religion et de patrie. » (André Breton)

De Dada au surréalisme, Benjamin Péret (1899-1959) est l’un des principaux acteurs des mouvements d’avant-garde qui ont secoué la poésie et l’art moderne au XXe siècle. C’est aussi l’un des moins connus du public. Peu de rééditions, de très rares monographies. Le sort s’est acharné contre ce grand poète dont le rôle et l’importance ont généralement été minimisés par les historiens du surréalisme.

Son engagement dans les mouvements révolutionnaires de son temps, notamment pendant la révolution espagnole aux côtés du POUM et des anarchistes, n’est peut-être pas étranger à cette occultation. Sur sa tombe, au cimetière des Batignolles, ses amis ont fait inscrire une épitaphe qui résume sa vie de révolté permanent : « Je ne mange pas de ce pain-là. »

Cette biographie (suivie d’une petite anthologie et d’un cahier iconographiques en couleur) replace la trajectoire de Benjamin Péret dans les enjeux utopiques du surréalisme, un mouvement qui voulait à la fois « transformer le monde » (Marx) et « changer la vie » (Rimbaud).

 

L’auteur :

Barthélémy Schwartz est né à Paris en 1963. Coanimateur de la revue de bande dessinée Dorénavant (1986-1989), du collectif Ab irato (en 1992), puis de la revue de critique sociale Oiseau-tempête (1997-2006), il a publié Le Rêveur captif (L’Apocalypse en 2012).

 

Mots-clés

Altérité – amitié – amour – anthropophagie – automatisme – Dada – Brésil – Colère – Communisme – conte – dèche – dissidence – Espagne – exil – expérience – expulsion – groupe – guerre – hasard – héritage – humour – inculpation – indien – insolence – Internationale – invectives – marge – marginalité – marxisme – maudit – Mexique – mythe – Poésie – Politique – populaire – prison – rage – rêve – révolte – révolution – rire – scandale – sommeil – subversion – surréalisme – utopie

 

 

 

www.editionslibertalia.com/

04/10/2016

Le Messie du Darfour, entretien avec Abdelaziz Baraka Sakin

 

« Sans l’humour, je ne pourrais pas écrire sur le conflit du Darfour »

 
Juillet 2016, retrouvailles après l’exil. Des femmes revienennt dans leur village de Sehjanna après en avoir été chassées par la guerre au Darfour.

« Il est plus facile de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille que de faire entrer un janjawid au royaume de Dieu. » La mise en exergue de la célèbre maxime de Jésus qu’Abdelaziz Baraka Sakin emprunte aux Evangiles et détourne avec malice donne le ton du Messie du Darfour, septième roman de l’écrivain soudanais et son premier traduit en français.

Ce roman épique, à la fois drôle et violent, nous plonge au cœur du conflit du Darfour, qui, depuis 2003, a fait plus de 300 000 morts ainsi que des millions de réfugiés et de déplacés dans cette région de l’ouest du Soudan. D’un bout à l’autre de ce chaos sanglant, une figure sombre, Abderahman, une femme au nom d’homme qui veut se venger des miliciens, les janjawid, en en tuant au moins dix, et une figure lumineuse, un messie d’un genre nouveau qui veut aider les hommes à croire en leur pouvoir. Né au Soudan en 1963, Abdelaziz Baraka Sakin, dont les racines sont au Darfour et au Tchad, est l’écrivain le plus lu dans son pays.

Lire aussi :   Amnesty International accuse le Soudan d’attaques chimiques au Darfour

Ecrits en langue arabe, ses livres abordent la dictature et la guerre civile au Soudan. Ils ont suscité la colère de Khartoum qui les a fait détruire et interdire en 2009 quand l’auteur a reçu le prix Tayeb Salih. Depuis, l’écrivain vit en Autriche, où il a obtenu l’asile politique.

« Le Messie du Darfour » a une forme très particulière. A partir d’une intrigue principale, vous déroulez plusieurs récits : l’enfance d’Abderahman, victime de la violence des « janjawid », tante Kharifiyya qui l’a recueillie enfant, les origines d’Ibrahim Khidir, soldat enrôlé de force dans l’armée soudanaise… Pourquoi avoir choisi cette construction ?

Abdelaziz Baraka Sakin Je m’intéresse beaucoup à la forme, car je considère que le roman n’est pas l’art de l’histoire, mais l’art de construire une histoire. Je suis très influencé par les contes populaires soudanais. Au Soudan, dans les familles, les femmes racontent des histoires avant d’aller dormir. Et donc, dans mes livres, je pars toujours d’un fil conducteur auquel j’accroche progressivement d’autres histoires. Je m’inspire aussi beaucoup du cinéma, car j’essaie d’exposer des scènes plutôt que d’écrire sur des thèmes.

Il y a un contraste dans votre roman entre scènes de guerre et scènes de la vie quotidienne au Darfour.

Pour moi, la violence au Darfour est un élément nouveau. Le Darfour que j’ai connu est le pays de l’hospitalité et de la gentillesse. Je voulais souligner le contraste entre deux mondes très différents. En premier plan, la guerre et, en arrière-plan, ce qui est là depuis toujours : la beauté des paysages et cette montagne, le djebel Marra.

Dans Le Messie du Darfour, les femmes sont les premières à se battre…

Enfant, j’étais très attaché à ma mère. Pour moi, elle constituait le monde entier. Mon père est mort quand j’étais jeune et j’ai vu ma mère accomplir des tâches que même les pères ne faisaient pas seuls. Avant que les islamistes ne prennent le pouvoir au Soudan, les femmes étaient libres dans leur manière de vivre, de penser, de s’habiller. A cause de la guerre civile, les femmes ont toujours été chefs de famille parce que les maris étaient au front. Aujourd’hui, alors qu’il y a toute une série de lois édictées par les islamistes au pouvoir qui vont à l’encontre de leur liberté, les femmes continuent à se battre contre le gouvernement. Bien plus que les hommes.

Votre roman peut se lire comme une histoire de la violence au Darfour dans laquelle les « janjawid » ont le premier rôle…

Si un jour, vous rencontrez un janjawid, vous comprendrez pourquoi je les décris ainsi. Ce ne sont pas des êtres humains. Ce sont des professionnels du crime. Ils sont analphabètes, n’ont pas de religion et ne savent pas apprécier la poésie. Ils ont été conçus pour tuer. Les janjawid sont des mercenaires qui viennent essentiellement des pays voisins. Ils ont été chassés de leur propre terre. Le gouvernement soudanais les a acceptés au Darfour, à condition qu’ils prennent par la force la terre qu’ils souhaitaient occuper. Bien sûr, d’autres personnes y vivaient. Ils ont poussé 90 % des peuples du Darfour à fuir vers les villes ou vers des camps au Soudan ou au Tchad. C’est une épuration ethnique.

Vous n’hésitez pas à vous moquer des « janjawid » dans votre livre…

Quand un sujet est triste, je préfère en parler de manière détournée. Sans l’humour, je ne pourrais pas écrire sur le conflit du Darfour.

Qui est le messie du Darfour ?

Il est la combinaison entre Jésus – selon la tradition musulmane et chrétienne – et Bouddha. Ainsi, il porte le message d’amour et le message du retour vers soi-même. Le bouddhisme m’intéresse parce que c’est une spiritualité : Bouddha n’est pas un prophète mais un professeur. Le messie est une première étape, mais ce n’est pas la solution. La seule solution est politique. Il faut chasser les islamistes du pouvoir. Les Frères musulmans sont arrivés par un coup d’Etat. Il faut les faire partir par des élections démocratiques. Ensuite, il faudra la liberté pour tous. Les Soudanais doivent pouvoir être musulmans, chrétiens… ou bouddhistes.

Vous avez toujours été très critique à l’égard du régime soudanais. Vous ne craignez pas les représailles ?

Je ne suis pas un héros et je ne cherche pas à mourir en martyr. Je suis très pacifique, mais ce pacifisme est l’arme dont le gouvernement a le plus peur. C’est mon arme. Je ne demande à personne de faire comme moi. Je n’ai jamais cherché à être en conflit direct avec Khartoum. J’ai toujours vécu à la campagne, très loin des autorités. C’était ma manière à moi de leur échapper.

Pensez-vous retourner un jour au Soudan ?

Le problème, c’est la censure. On peut continuer à écrire au Soudan à condition de ne pas écrire sur ce qui se passe vraiment. Soit on écrit des histoires d’amour, soit on écrit de manière symbolique, ou mieux, on écrit pour le gouvernement. Le pire, c’est que la censure est exercée par des écrivains qui travaillent pour le régime. Il y a chez eux un mélange d’opinions politiques et d’amertume d’auteurs ratés qui vont se venger en attaquant d’autres écrivains. Etre écrivain au Soudan, c’est se taire ou bien travailler pour le gouvernement.

Le Messie du Darfour, d’Abdelaziz Baraka Sakin, traduit de l’arabe (Soudan) par Xavier Luffin, éd. Zulma, 208 pages, 18 euros.

 

Source : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/09/30/sans-l-humour-je-ne-pourrais-pas-ecrire-sur-le-conflit-du-darfour_5006050_3212.html

 

 

29/09/2016

Sophie Djigo - Les Migrants de Calais

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http://agone.org/contrefeux/lesmigrantsdecalais/

 

« Calais » est le nom d'une absurdité, produit de la cacophonie des politiques internationales d'immigration : ni le gouvernement français, ni la municipalité ne veulent que s'installent ses hommes et ses femmes qui, coincés dans les « jungles », ne cherchent qu'à poursuivre leur chemin vers l'Angleterre. Ce que les migrants nous donnent la charge de penser, c'est tout à la fois la difficulté de vivre dans un lieu qu'on a pas choisi et notre responsabilité dans cette situation (devenue) invivable. Que signifie une vie en transit ? Quelle alternative peut-on raisonnablement envisager ?

Indissociablement enquête sociologique et philosophique, ce livre explore la condition des migrants, en adoptant leur point de vue, à travers une analyse du vocabulaire où on les enferme, depuis lequel on les regarde et par lequel ils se racontent. Leur traitement révèle la politique d'accueil de l’État français, ses liens contradictoires avec l'idée même de démocratie et la façon dont la France, en dépit de sa longue tradition de défense des libertés et des droits humains, ne représente plus un « bien » pour les êtres en quête d'asile.

À paraître le 21 octobre 2016
216 pages (12 x 21 cm) 16.00 €
ISBN : 9782748902990