27/05/2016
Petit manuel de la transition (nouvelle édition augmentée)
Tout le monde le voit, ce système de compétition féroce et mondialisée fonce dans le mur. Les dégâts sociaux et écologiques s’accumulent, les inégalités explosent, la démocratie devient une coquille vide.
Mais comment imaginer la transition vers une société vivable ? Avec qui et comment ?
Les réponses, multiples, foisonnent déjà sous nos yeux, dans les mouvements de la société. Résistances et actions de désobéissance créative contre les lois du Medef et des transnationales, occupations de places et d’espaces libérés, construction des communs dans l’alimentation, le logement, la monnaie, Internet...
Même si la route est longue, elle peut être tracée. Ce petit manuel propose une stratégie à l’intention de tous ceux, aujourd’hui nombreux, qui se demandent si l’espoir est encore permis.
Attac veut ainsi permettre aux citoyens de s’engager pour faire de la politique autrement, sans carrières ni rivalités, au seul service du bien commun.
Dans cette nouvelle édition augmentée et mise à jour du Petit Manuel de la transition, Attac met en débat une multitude de propositions pour changer de modèle. Des propositions et une méthode : la construction de convergences. Car si les mouvements sociaux ne parviennent pas à travailler ensemble, nous serons emportés par les désastres qui s’annoncent.
sortie en librairie le 8 juin 2016.
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16/04/2016
Chronique : « L’Apparition » de Perrine LE QUERREC par Jean Azarel
Si le vœu du lecteur est de sortir indemne d’un livre, qu’il ne s’aventure pas dans celui-ci. A l’encontre des écrivains qui chantent les vertes prairies de l’enfance et ses sucreries, Perrine Le Querrec explore avec « l’Apparition » des territoires plus reculés aux ritournelles singulières.
« Trois pas du côté du banc, et trois pas du côté du lit. Trois pas du côté du coffre, et trois pas. Revenez-ici. » Dans le village intemporel d’Ici- Bas, le roman de Perrine lance ses dés au gré d’une aventure peu commune, et comme une pièce de monnaie tombe de manière exceptionnelle sur la tranche, le sort en est jeté entre prédestination au malheur, longue traîne des siècles de folie humaine, magie du hasard élémentaire.
Aux confins de la psychiatrie et des anciens mystères, Perrine Le Querrec fraye le chemin d’une écriture hallucinée au service d’une urgence à portée universelle. Elle est une des rares auteures contemporaines dont la forme rattrapée par la transe, rend grâce à la Matière tout en l’accouplant à l’Esprit par l’entremise d’un souffle tectonique qui se fond dans la langue. Leur osmose aux abois constitue le porté à connaissance de dégâts séculaires dont Perrine Le Querrec a hérité par contumace, et qu’elle transcende dans la ferveur d’un imaginaire contraint de se pacser avec la sauvagerie du quotidien.
Dans « l’Apparition », le miracle, avant d’être récupéré puis galvaudé par la cohorte des marcheurs du temple, s’entend au sens médiéval, quasi mystique, du terme. Il se débat dans l’espace d’une gouvernance des hommes par les dieux, les croyances, et leurs avatars. « - C’est tout juste si nous savions où se trouvait notre main droite, tellement nous étions isolés. »
« L’Apparition » raconte l’histoire de PetraPieraPierette, trois soeurs qui n’en font qu’une, et de Létroi, l’idiot du village qui les veille pour trois et s’arrime à Piera jusqu’au cataclysme. La chute finale de Piera retournée, lapidée par la multitude, nous renvoie à celle de Basile, engloutie par la foule, dans le un-happy end de « Têtes Blondes ». La geste incantatoire de Laitroi (orthographe à bascule), conjuguant scansion catatonique et mantra de longue haleine, clôt ce livre hors normes où, comme chez Rilke « Tout ange est terrible ». « Mon nom Létroit / Ma bien aimée apparue te rends en hâte à la montagne offrir tes trois trous des yeux de la bouche / Tu es juste des os de la peau du jus de pierre mon amour ». A la dernière ligne, le lecteur « s’assoit par terre étourdi ». La messe est dite, aussi profane que sacrée.
Toute révélation des grades supérieurs s’acquière à l’arrache. Il est des extases trop profondément outragées pour ne pas exiger des suites littéraires. Au terme de la transmutation des métaux, fussent-il vils et douloureusement abrasifs, Perrine Le Querrec accouche de l’or fin. On ne saurait trop conseiller aux éditeurs qui ont compris que l’écrivaine est un trésor, de la laisser mettre bas sans péridurale ni entraves.
Perrine LE QUERREC, « L’Apparition », éditions Lunatique
Jean Azarel / Avril 2016
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07/04/2016
Nuit Debout : le réveil d’un rêve ? par Sarah Roubato
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http://www.sarahroubato.com/publiesdans/nuit-debout-le-re...
Jeudi 38 mars 2016
Dans ce pays, le rêve est difficile. Je ne parle pas du rêve qui se chante derrière un slogan et s’éteint une fois rentré chez soi, une fois l’euphorie passée, ni de la vague envie qui dort dans un lieu qu’on appelle un jour, quand j’aurai le temps. Je parle d’un rêve qui s’implante dans le réel. Un rêve qui connaîtra des jours maigres, qui trébuchera, qui se reformulera. Un changement qui ne se déclare pas, mais qui s’essaye, les mains dans le cambouis du quotidien. C’est un rêve moins scintillant que celui des cris de guerre et des appels à la révolution. Il ne produit qu’une rumeur qui gonfle, et vient s’échouer sur nos paillassons, à l’entrée de nos vies. Elle s’étouffera peut-être, à force de se faire marcher dessus par tous ceux qui ont plus urgent à faire.
C’est un pays où les gens passent plus de temps à fustiger ce qui ne va pas qu’à proposer des alternatives, où l’on dit plus facilement “Le probème c’est…” plutôt que “La solution serait…”. Et pourtant… c’est de ce pays qu’est en train de gronder une rumeur, celle d’un rêve qui se réveille, et qui passe sa Nuit Debout.
Il est facile de dire ce que nous voulons – une vraie démocratie, l’égalité des chances, le respect de la terre – et encore plus facile de dire ce que nous ne voulons pas. Bien plus difficile de dire comment nous voulons y arriver. Car voilà qu’il faut discuter, négocier, évaluer, faire avec le réel.
Pourtant, partout dans le monde, et ici aussi, des semeurs cultivent le changement. Manger autrement, se chauffer autrement, éduquer autrement, vivre ensemble autrement, s’informer autrement. Ils voient leurs aînés, leurs voisins de rue, de métro ou de bureau, n’être que les rouages d’un système auquel ils ne croient plus. Les miroirs sont brisés : les citoyens ne se reconnaissent plus dans leurs élus, dans leurs médias, dans leurs écoles. Et pourtant… pourtant ils votent encore sans conviction, ils écoutent encore la messe de 20 heures et disent à leurs enfants de bien faire leurs devoirs. Il sera toujours plus facile de changer une loi que de changer une habitude, une indifférence ou une peur. Chaque jour, les semeurs luttent contre ces ennemis, bien plus redoutables que ceux dont on veut bien parler.
La génération du Grand Écart
Et moi dans tout ça ? Moi la jeunesse, moi l’avenir, moi Demain ? On m’a collé sur le front bien des étiquettes, mais elles sont tombées les unes après les autres. Ça doit être le réchauffement climatique qui le fait transpirer.
On me parle d’une génération Y, à laquelle j’appartiendrais de par mon année de naissance et mon utilisation supposée des nouvelles technologies. Ou d’une catégorie sociale – jeune, sans emploi, précaire – basée sur mon statut économique. On me parle aussi d’une communauté culturelle, basée sur le pays d’origine de mes parents, et on m’appellera Français d’origine… Pourtant, c’est loin de ces catégories que se retrouvent les gens qui font partie de ma génération, celle qui ne se définit ni par l’âge, ni par la profession ni par le statut socio-économique, ni par l’origine ethno-culturelle. Ils ont 9 ans, 25 ans, 75 ans, vivent au coeur de Paris ou dans une bergerie au pied d’une montagne. Ils sont ouvriers, paysans, professeurs, artistes, chercheurs, médecins, croyants ou athées; leurs origines culturelles chatouillent tous les points cardinaux. Qu’est-ce qui nous lie ? Qu’est-ce qui forme notre nous ?
C’est une posture partagée. Le geste que nous imprimons dans le monde, celui par lequel un sculpteur pourrait nous saisir. La génération rêveuse et combattante de 68 était celle du poing levé et des yeux fermés. La nôtre sera celle qui voit ses pieds s’écarter à mesure que grandit une faille qui va bientôt séparer deux mondes. Celui du capitalisme consumériste en train d’agoniser, et l’autre, celui qui ne connaît pas encore son nom. Un monde où nos activités – manger, se maquiller, se divertir, se déplacer – respectent le vivant, où chacun réapprend à travailler avec son corps, s’inscrit dans le local et l’économie circulaire, habite le temps au lieu de lui courir après. Un monde où les nouvelles technologies n’effacent pas la présence aux autres, et où la politique s’exerce au quotidien par les citoyens.
C’est un monde qui jaillit du minuscule et du grandiose ; du geste dérisoire d’un inconnu qui se met à nettoyer la berge d’une rivière aux Pays-Bas, et du projet démentiel d’un ingénieur de dix-neuf ans pour nettoyer les océans avec un immense filtre.
Chacun choisit son geste pour répondre à la crise : beaucoup attendent que ça passe, et ferment les yeux en espérant ne pas se retrouver sur la touche. D’autres, inquiets de voir s’amenuiser les aides et les indemnisations, s’acharnent à colmater les brèches d’un monde en train de se fissurer. Ils descendent dans la rue pour préserver le peu que le système leur laisse pour survivre. Certains réclament un vrai changement, pendant que d’autres, loin des mouvements de foule, l’entreprennent chaque jour. Quand les deux se rencontreront, ce sera peut-être le début de quelque chose.
À la fin de chaque journée, je ressens toujours la même courbature. C’est le muscle de l’humeur qui tire. Je fais le grand écart, entre enthousiasme et désespérance. J’ai l’espoir qui boite. On avance comme on peut.
J’avance en boitant de l’espérance
Chaque semaine, j’entends parler d’un nouveau média – une revue papier à cheval entre le magazine et le livre, un journal numérique sans publicité, une télé qui aborde les sujets dont on ne parle pas. Des gens qui cherchent une autre manière de comprendre le monde, qui pensent transversal et qui prennent le temps de déplier les faits. Et chaque soir pourtant, je vois la même lumière bleutée faire clignoter les fenêtres à l’heure de la messe de 20 heures. Dans une heure, ce sera le Grand Débat. La Grande Dispute de ceux qui nous gouvernent. Les voilà penchés au-dessus du lit de notre société malade, comme ces médecins qui débattaient pendant des heures sur la façon de bien faire une saignée.
– Il faut tirer la croissance par le coude gauche !
– Non ! Par le droit !
– C’est ce que vous répétez depuis vingt ans, et regardez le résultat ! C’est par le troisième orteil qu’il faut la tirer ! Et le chômage il faut le réduire en lui faisant subir un régime drastique !
– Certainement pas ! Il faut lui tronçonner les cervicales ! Il perdra d’un coup vingt centimètres !
– Si vous faites ça vous allez avec une repousse par les pieds ! la seule solution c’est d’attaquer le problème aux extrêmités : élaguer les membres inférieurs et postérieurs, 2 cm par an.
Droite, gauche, centre essayent de nous faire croire qu’ils ne sont pas d’accord.
Je fais défiler la roulette de ma souris. Ça y est, Boyan Slat, dix-neuf ans, qui avait lancé l’idée d’un filtre géant pour nettoyer les océans, a obtenu la première validation de son expérience. Je souris, et fais défiler la page. Prochain article : Berta Caceres, une femme qui luttait contre la construction d’un barrage sur des terres autochtones a été assassinée dans les Honduras. Mes mâchoires se resserrent. Mon doigt hésite. Sur quel article cliquer ? Vers quel côté de la fente aller ? Les deux visages se font face devant mes yeux. Deux combattants, deux espérants, qui nous offrent à la fois toutes les raisons d’y croire, et toutes les raisons de renoncer. Tant pis, je cliquerai plus tard. J’ai un rendez-vous. C’est important, les rendez-vous. Surtout à Paris.
En sortant je descends mon sac de cartons, papiers et plastique. La beine à recyclage est pleine à craquer. Tant pis, je vide mon sac dans la poubelle. Dans la rue, mon téléphone sonne. Pas le temps de mettre l’oreillette. Je m’enfile quelques ondes dans le cerveau. Au bout du fil, un ami qui vit dans un hameau de douze habitants dans le sud : “Depuis quatre jours on s’est occupé à sauver un magnolia centenaire de la tronçonneuse municipale”. Ils étaient quatre, ils se sont enchaînés à l’arbre. Le magnolia est sauvé – Je souris. Mais quelque chose m’aveugle. C’est le panneau publicitaire à l’entrée du métro. Cet écran consomme autant que deux foyers – Je me crispe. L’année dernière, la municipalité de Grenoble n’a pas renouvelé les contrats avec les publicitaires, et les remplace progressivement par des arbres – Je souris. Une dizaine de chaussures Converse et Nike me ralentissent. Un groupe d’adolescents. Les bouteilles de Coca et de Sprite dépassent de leurs sacs plastiques. Ils se passent un sac de chips et une barquette de Fingers au Nutella. Il paraît que c’est pour eux qu’il faut qu’on se batte – Je me crispe. Il y a deux semaines, Ari Jónsson, un étudiant en design de produits islandais, a présenté son invention : une bouteille en bioplastique qui se dégrade en fertilisant naturel – Je souris. J’avance en boitant de l’espérance.
Serait-il impossible de vivre debout ?
Depuis une semaine, des milliers de personnes ont décidé de se mettre debout. Sans porte-parole, sans leader charismatique – par manque ou par choix ? – comme pour dire que le mythe de l’homme providentiel était de l’autre côté, et qu’il fallait trouver autre chose.
Je ne sais ce qui transforme une manifestation en mouvement populaire. Je sais que le vote d’une foule n’est pas la démocratie. Qu’un slogan n’est pas une proposition. Qu’il faut de l’humilité pour que sa parole porte loin. L’art de la parole publique n’est pas de parler de soi devant les autres, mais de parler des autres comme de soi. Je sais que si tous ceux qui se sentent dépossédés de leurs droits se retrouvent pour parler, c’est déjà beaucoup. Je sais que Paris n’est pas la France, et que beaucoup d’idéaux écrits sur le bitume sont déjà mis en oeuvre dans les campagnes, loin des micros des grands médias. Si nos Nuits Debout ne deviennent pas un Podemos, elles auront au moins été le laboratoire d’exploration d’un changement démocratique. Un laboratoire où tous les possibles sont permis. Il faut avoir le courage de donner une chance à ses rêves. Histoire de dire qu’au moins, on aura essayé.
photo : Francis Azevedo
Sarah Roubato vient de publier Lettres à ma génération chez Michel Lafon. Cliquez sur le livre pour en savoir plus et ici pour lire des extraits.
et ici pour voir ma note de lecture à son sujet :
http://delitdepoesie.hautetfort.com/archive/2016/02/08/le...
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28/03/2016
Un extrait de "DIEU CROIT-IL EN DIEU?" rencontres au-delà des dogmes, de Patrick Lévyt
préface d'Albert Jacquard, chez Albin Michel/Question de, 1993, 520 pages, 149 Fr, réédition, 1997.
CHAPITRE XXVI
CHEIKH ASSAM
NON AUCUN DIEU. QUE DIEU
Quand on vint solliciter sa direction spirituelle à Ibn Hûd, il interrogea: "Dans quelle voie? Celle de Moïse, celle de Jésus ou celle de Mahomet.
Le village, couleur ocre-beige, me donnait l'impression d'être tout entier construit en terre battue. La poussière recouvrait tout, telle une couche de peinture, uniformisant toutes formes visibles dont on eût pu croire qu'elles fussent sorties du sol comme des champignons de la pluie.
Les silhouettes des hommes et des femmes glissantes ou immobiles dans leurs robes blanches ou noires ne modifiaient pas cette impression de lune habitée. Le petit marché faisait une maigre mais salutaire exception colorée qui me semblait être une concession récréative à un univers uni et sévère. Le sang des boucs abattus à la boucherie coulait dans un sable qu'on recouvrait de sable.
Ce hameau, que les cartes géographiques ignorent, charmait la paix dans la solitude des contreforts des chaînes des Himalaya Pakistanaises. Il était relié au pays par une petite route rapiécée et un câble électrique qui acheminait le courant sporadique d'une modernité suspecte.
Deux conversations avec des inconnus m'y avaient conduit. L'une, à Dharamsala, avec un jeune étudiant occidental de l'école de rhétorique de Sa Sainteté le Dalaï Lama, m'avait amené à connaître l'existence d'un sage érudit dont il avait entendu parlé et la région où il habitait. L'autre, dans un autocar avec un voyageur pakistanais m'avait tracé l'itinéraire final. Il avait entendu parler de celui que je cherchais sans même savoir son nom mais dont la sagesse parmi les fidèles commençait à être proclamée. Je m'y suis rendu dans le petit camion qui ravitaillait, deux fois par semaine, cette population isolée.
Le vent par rafales poussait d'invisibles obstacles et soulevait un brouillard de poussière sous un soleil de fer rouge qui me cuisait les joues.
- Salam alekoum!
- Alekoum salam!
Ici, on se saluait en se croisant. Les passants lançaient sur moi des regards discrets mais curieux.
Je me promenais en quête d'une inspiration. Comment découvrirais-je l'homme que je cherchais? Comment demander? Irai-je à la mosquée interroger le muezzin? Je voulais éviter d'ébruiter la raison de ma présence. J'attendais un événement, une occasion.
- Salam alekoum! avais-je lancé alors que j'allais croiser un homme sur la route.
- Alekoum salam, répondit-il en traînant sur la dernière syllabe comme pour arrêter ma marche. Je m'étais arrêté. Nous demeurâmes face à face, immobile et silencieux. Sa longue Kurta encore assez blanche le couvrait jusqu'aux genoux. Un turban coiffait son crâne. Sa barbe noire cachait la plus grande partie de son visage gratté par le vent et le sable comme un rocher millénaire; de la terre s'accumulait dans ses rides. Je ne voyais vraiment que ses grands yeux noirs brillants, et leurs longs cils nonchalants qui m'assuraient qu'il était vivant.
- Que cherches-tu ici? me demanda-t-il dans un anglais de petite école.
Je ne me sentais ni l'envie, ni la force de répondre à l'interrogatoire dont on afflige les étrangers, ou d'entretenir une conversation qui me demanderait de sortir de mon univers et de l'impression d'irréel que m'offrait ce lieu.
- Je regarde les arbres, les hommes, les fourmis et le ciel, et j'écoute ce que je vois.
Il rit, je souris.
- Que te disent-ils?
- La patience... la paix, l'action... et le temps dis-je très lentement.
- La joie est sur toi! s'exclama-t-il.
- Quelle te caresse aussi.
- In cha Allâh (Qu'il plaise à Dieu) dit-il en traînant sur la dernière syllabe et en ouvrant les mains devant lui comme pour accueillir son souhait.
Il me dévisagea. J'acceptais cette interrogation muette. Puis il me posa quand même les "dix questions". D'où viens-tu? Où vas-tu? Restes-tu? Es-tu déjà venu? Que penses-tu de notre pays? Pourquoi voyages-tu? Avec qui? Pourquoi es-tu venu ici? Où es-tu allé déjà? Quand, pourquoi, où, combien de temps?
- Je suis toujours pour toujours où je suis, jusqu'à ce que j'aille ailleurs voir et faire la même chose, autrement. C'est partout le même monde, presque les mêmes hommes, les mêmes questions, les mêmes ignorances. C'est toujours avec moi que je suis, et c'est pour cette rencontre avec toi que je suis venu.
- Allalou Akbar! (Allâh est grand).
J'enchaînai, comme dans la prière:
- La ilâha illah-lâh. (Il n'y a de Dieu que Dieu)
Il écarquilla ses grands yeux.
- Es-tu musulman?
- S'il n'y a qu'un Dieu, je suis musulman aussi.
J'avais insisté sur aussi.
- Mais... connais-tu Mahomet, le prophète? insista-t-il.
- Je connais les prophètes, dis-je en feignant un ton de savant.
- Dans ce village habite un Cheikh, que Dieu le bénisse, qui enseigne la foi. Viens avec moi, je te conduirai chez lui.
La chance s'ouvrait-elle à mon dessein? Cet homme me conduirait-il chez celui que je cherchais? Je n'en doutais pas. J'acquiesçai. Il se présenta: Abdoul Azis.
Nous marchâmes en silence l'un derrière l'autre dans un dédale de ruelles pierreuses, étroites et quasi désertes. Nous foulions des éclats de pots et traversions des nuages de fumées montant autour de feux de détritus. Nous longions, en les rasant pour en prendre l'ombre, des murs de terre percées de portes basses et carrées. Mon guide s'arrêta devant la seule de la ville qui fût ouverte.
- C'est ici, dit-il avec respect, avant d'avancer dans une cours intérieure étonnamment paisible que quelques arbres baignaient d'une ombre protectrice. Au fond, je découvris une maison basse de briques brunes dont la porte était ouverte. Abdoul appela:
- Cheikh Assam! Cheikh Assam!
J'étais arrivé.
Il n'attendit pas de réponse pour entrer, il se déchaussa et m'invita à le suivre. Nous entrions dans une tanière. Nous fûmes immédiatement dans la nuit. Je ne voyais rien, pas même la kurta blanche de mon guide. Pendant un instant j'eus l'impression d'être seul, seul au monde. Mes yeux ne s'habituaient pas assez vite au changement de clarté. J'avançai d'abord à tâtons avant de me souvenir qu'avec un peu de confiance, si on se laisse porter par lui, le corps sent les choses lorsque les yeux ne voient pas. Au bout de la salle, un homme assis ranimait la braise d'un foyer creusé à même le sol en terre battue. Il portait un turban et une robe blanche. Une bougie était placée à coté de lui. Il l'allumait. Je me suis installé sur un tapis posé sur un autre tapis. Peu à peu je pus distinguer la longue barbe grise de celui que j'étais venu trouver, puis les contours de son visage, anguleux, sévère. Il n'avait pas de moustache. Ses yeux ne m'apparaissaient que dans des éclairs lorsqu'il tournait un peu la tête et que les petites flammes du feu s'y reflétaient. Pourquoi ce feu dans ce climat torride? Pourquoi ces volets clos en plein jour?
Abdoul et cheikh Assam se parlèrent d'abord très calmement en Ourdou, puis demeurèrent silencieux. Longtemps. Je savais qu'ils m'examinaient, autrement que par le regard. Consciemment, je rassemblai mes forces pour les dissoudre. Je fis l'effort de cesser de percevoir, de cesser d'analyser, de cesser de penser. Je me fis plus paisible, plus immobile intérieurement, moins attentif à moi-même, comme absent, pourtant lucide, vigilant; je réduisis ma présence.
Le Cheikh bougea et se racla la gorge comme pour me prévenir qu'il allait parler. Il me posa quelques-une des dix questions. Puis, il me demanda dans un chuchotement, dans un anglais parfait:
- Quelle est ta religion?
Il avait une voix douce, presque suave, pourtant plutôt aiguë, mais sans force, comme s'il se parlait à lui-même.
- En Inde je suis hindou, ici je suis musulman, ailleurs je suis parfois juif, chrétien ou bouddhiste. J'écoute, partout ce que l'on dit de Dieu.
- Allalou Akbar. Allâh, qu'Il soit exalté, est le seul Dieu. Cela veut dire le tout incluant est le plus grand.
- C'est une formule mathématique!
- Beaucoup plus que cela. Allâh est plus grand que l'addition de tout, et beaucoup plus petit que chaque fraction du tout. Car plus grand n'est pas une quantité mais une qualité. Quelle est la religion de ton père insista-t-il?
Je n'avais pas envie de répondre à cette question.
- Si la religion se transmettait avec la naissance, on n'aurait pas besoin de l'étudier, ni de se parfaire, et personne ne pourrait se convertir.
Il hochait la tête imperceptiblement, longtemps après que j'eus achevé ma remarque.
- Dieu comme héritage commence par être la langue de ton père, m'expliqua-t-il d'une voix douce et patiente, mais certainement, on peut changer de religion.
Il ne me demanda rien pendant quelque temps. Je questionnai:
- Ne faut-il pas dépasser la religion?
- Pour dépasser une chose, il faut d'abord la connaître. Nombreux sont les chemins de la vérité. Toutes les religions révèlent la vérité.
Il s'exprimait avec emphase dans des certitudes qu'il montrait solides mais qui me paraissaient suspectes, par principe.
- Mais où la cachent-elles, dis-je.
Il ne répondit pas tout de suite, il me regarda comme s'il allait trouver une réponse sur moi.
- Là où tu peux apprendre à la trouver.
Je ne compris pas qu'il parlait de la découvrir en soi. J'insistai, non tant pour démonter quelque chose, que pour essayer d'éviter d'établir entre nous un rapport de catéchisme.
- Lorsqu'on ne trouve pas la vérité, on ne reçoit que l'ordre d'obéir. C'est avilissant. Quel Dieu peut-on connaître dans l'obéissance aveugle? L'homme qui aime Dieu ne doit-il pas répandre la vérité que Dieu lui a montré, l'offrir, comme s'il l'offrait à Dieu.
Je citai un vers de din 'Attâr:
"Pour ton âme demande au Seigneur la connaissance afin que tu répandes pour Lui tout ce qu'il te donne.
Le cheikh goûta cette évocation.
- La connaissance est exigeante, on ne doit pas la donner, mais seulement en montrer la voie à ceux qui la cherchent. Certains ont besoin d'espoir et de devoir.
Il parlait anglais avec application, en roulant les r plus qu'il ne faut; sa voix, bien qu'aigrelette contenait une force de volonté puissante, de la patience et de la précision. Mais ses longs silences, nombreux, étaient plus forts encore que les mots qu'il prononçait. Je repris:
- Certains hommes ne savent pas même questionner, on leur suggère ou leur ordonne de croire; cela n'a pas de sens. On ne peut croire malgré soi; nul ne peut forcer la foi, et une religion est hypocrite qui se contenterait d'une foi d'apparence. Au nom d'un nécessaire ordre collectif, les docteurs des dogmes se sont appropriés Dieu et le Bien, et privent l'individu de la vérité ou de la connaissance qui sont essentielles à sa liberté.
- Que crois-tu que contiennent ces vérités?
- Au-delà de la loi, il y des directions qui mènent l'homme et son âme vers l'absolu.
Il approuva.
- Ici on ne s'occupe que de l'âme, ajouta-t-il. La seule guerre sainte est une guerre contre soi-même, personne d'autre. Que cherches-tu?
- Dieu, directement... La présence... Et la connaissance de la mort, dis-je en essayant de faire semblant de ne pas hésiter.
- Que sais-tu de la mort?
Je fus surpris par cette si simple question. On ne sait rien sur la mort que des théories; on la croit inconnaissable.
- Je ne connais la mort que par ce qui meure, dis-je enfin honnête.
- Tu ne connais donc que le temps, répondit-il sur le ton du médecin qui fait un examen du corps.
- La connaissez-vous?
La conversation se déroulait lentement. Quelques mots étaient jetés dans le silence et la ténèbres. Dans cette lenteur, tout était possible. Même changer. Je me sentais déjà un peu dépassé.
- Depuis des millénaires, les sages ont percé son secret, se contenta-t-il de répliquer tout en balançant sa tête.
- Puis-je le connaître, dis-je trop vite.
Il réfléchit longuement.
- Cela dépend de ce que signifie connaître, finit-il par avancer prudemment.
- Pourquoi la mort est-elle un secret? demandais-je pour éviter sa question.
- Parce que la vie ne veut pas la connaître. Les hommes en ont peur et la fuient; la mort est mystérieuse et injuste pour la vie qui ne se comprend pas. Telle est la nature du secret: la mort ne se cache pas, l'homme se dissimule.
"Cette connaissance n'est pas facile à porter. Si tu ignores que tu possèdes un trésor, tu ne crains pas les brigands. Mais si quelqu'un viens te dire que cet objet, auquel tu ne prêtais guère attention, est un trésor, alors tu le caches, tu t'inquiètes, ou bien, pour vaincre l'inquiétude, tu te détaches de lui, tu penses à lui comme s'il ne t'appartenait pas de toute façon... L'homme est son propre trésor, il prend la mort pour un brigand, et il est inquiet.
- Acceptez-vous de me parler de la mort?
- C'est un très simple secret, c'est un long chemin. Combien de temps comptes-tu rester ici?
- Le temps qu'il faudra... Le temps... de mon permis de séjour.
Je ne savais pas à quoi je m'engageais. Cet homme m'inspirait confiance. C'est pour cette rencontre, que j'avais entrepris ce long voyage. Il poursuivit:
- Qui t'a envoyé vers moi?
- Dieu sur toute chose n'est-il pas tout puissant.
Il ne dit rien pendant un long moment.
- Qui connaît la mort n'a plus peur de rien, sauf de lui-même... et de cela il ne peut pas se cacher, ni fuir.
"D'abord il te faudra du courage; du courage pour cesser de fuir, ensuite tu n'en auras plus besoin, Allâh t'aidera... s'il Lui plaît de t'aider. C'est Lui le chercheur. Dieu guide vers sa lumière qui Il veut . C'est Lui le Guide spirituel de l'univers.
Il m'annonça qu'il me recevrait tous les deux jours, un peu avant le coucher du soleil, et après la prière du soir, puis il me renvoya. C'est ainsi que je reçus la parole de ce pîr pendant plusieurs mois.
Je logeais chez un habitant dont on m'avait dit au marché, qu'il avait une chambre inoccupée. C'était une pièce aux murs bombés au bout d'une maison de pierres et de planche, dont le sol en terre durcie n'était pas plat non-plus. Elle s'ouvrait sur une cours intérieure protégée par des murets de cailloux liés par de la terre. Un palais de simplicité et de paix. Je prenais mes repas avec le propriétaire et ses enfants, en silence car nous n'avions aucune langue commune. Sa femme nous servait. Nous étions assis sur des tapis dans la plus grande pièce juste à côté de la cuisine. Elle officiait devant un four de boue dans lequel elle introduisait des morceaux de branches et de bouses sèches dont elle conservait la cendre qu'elle utilisait comme poudre à récurer la vaisselle. Des jarres gardaient l'eau et les réserves de grains tandis que des niches dans le mur servaient au rangement des ustensiles.
Une image en couleur de la Mecque vue du ciel présidait sur l'assemblée.
... Deux jours plus tard.
- Salam alekom Cheikh, dis-je en me penchant en avant, la main sur le coeur.
- Alekom salam, répondit Cheikh Assam gravement et calmement. Il me tendit la main, je lui donnais la mienne, il la garda longuement entre ses paumes.
Je m'assis à la même place que la première fois. Il me dit de m'approcher.
-Plus près, plus près.
J'étais à moins d'un mètre de lui.
Nous demeurâmes longuement silencieux. Puis il dit:
- Tu peux tout connaître par toi-même, en t'interrogeant longtemps, immobile à l'extérieur comme à l'intérieur, ou en interrogeant Dieu, ou en priant, ou en ne priant pas. Tu peux ainsi connaître toutes choses, et la mort aussi. Les sages nous ont transmis leurs méthodes de recherche et ils ont décrit pour nous les fruits que produisent ces méthodes. Lorsque nous lisons ce qu'ils ont écrit, ou ce que d'autres ont écrit sur eux, nous ne cueillons de leur méthode que la description d'un chemin et son but, mais nous ne connaissons pas le fruit. Nous chercherons le fruit.
Il parlait aussi lentement que lors de notre première rencontre, laissant de l'espace entre les mots et les phrases. Il se tut un moment. Je risquais une question:
- Y a-t-il vraiment un Dieu?
Il tiqua, comme si ma question était stupide ou plutôt grossière. En vérité j'avais voulu évaluer le maître à la qualité de sa réponse. J'étais satisfait par ce silence presque abrasif. Il poursuivit:
- Que nous apprennent les religions sur la nature de Dieu, sur l'Homme et la Création? Toutes donnent à ces questions presque les mêmes réponses, chacune grâce à ses prophètes, dans ses caractères, ses métaphores, son langage.
Il emprunta un ton plus personnel.
- On dit qu'un principe est créateur. Tout en est issue: la création et les créatures, le tangible et l'intangible, l'Homme et l'Ame. On dit d'abord de ce principe qu'on ne peut rien dire de lui. On peut le connaître, on ne peut pas le décrire, et l'on éprouve de la difficulté à parler de lui. On dit pourtant qu'il est le Potentiel, le Permanent, le tout, l'Un, l'Ineffable, le Seigneur. On dit Dieu, l'Esprit, l'âme. C'est le Pîr, le Guide spirituel de l'univers.
Il se tut longuement, puis ajouta:
- Va, regarde en toi ce que tu peux trouver qui ressemble à cela.
Et il me renvoya. Je m'étais attendu à un long discours, comme ceux de rabbi Isaac. Notre rencontre n'avait pas durée une demi-heure. Et j'avais maintenant deux jours à passer dans ce désert de montagne.
Je parcourais les rues du village en me répétant ce que le maître m'avait dit, cherchant Dieu en tout, le tout en chaque chose, traquant l'immuable, tâchant de sentir l'ineffable. Je ne trouvais pas grand chose, seulement ce que je souhaitais trouver, rien de permanent, quelques impressions vagues, évanescentes, désirées! je ne trouvais que moi. Fallait-il pratiquer les méditations que lama Shérab m'avait enseignées? Je rentrai dans ma chambre, et m'obligeai à ne rien faire, ni bouger, ni penser; je cherchai en moi un au-delà du dicible, éternellement potentiel, j'observai, autant que cela se peut, une sorte de vide mais qui était encore ma quête du vide.
...
J'étais assis à ma place devenue habituelle, j'avais fait les salutations d'usages. Cheikh Assam avait encore gardé ma main dans la sienne, puis pendant longtemps, nous n'avons pas échangé un seul mot. Par le silence, Cheikh Assam m'obligeait à l'imiter aussi impérativement que s'il m'en eût donné l'ordre. J'apprenais quelque chose sans pouvoir dire ce que ce pouvait être. Je crois que, en quelque sorte, il m'inspirait sa connaissance. Enfin, il dit:
- Ce n'est pas le créateur qu'il faut haïr, c'est la créature. Il faut aimer Dieu. Allalou Akbar, Dieu est plus grand, tout est inclus en Lui. Tout. Il est le tout-incluant, le plus grand. Va, cherche cela en toi.
Et il me fit signe de partir.
Le soir, la nuit, pendant la journée j'éprouvais le monde aux propositions du maître et m'observais en elles. Je regardais ce qui changeait du monde et en moi à travers elles. Aimer Dieu était aimer le plus grand, un plus grand inaccessible, impensable. Sans doute fallait-il le ressentir. Par la pensée, je faisais une poche et j'y plaçai tout ce que j'étais, puis je me plaçai à l'extérieur. Qu'était alors cette impression qui naissait en moi d'un au-delà du tout?... J'y demeurais.
...
Le feu était allumé; parfois avant un moment de silence, Cheikh Assam jouait à remuer les braises. On n'avait pas ici découvert la cheminée. Un trou entre le mur et le toit servait à évacuer la fumée, mais avant qu'elle n'en trouve le chemin, elle faisait, elle aussi, son détour initiatique et me suffoquait un peu.
- L'absolu est tout. Allâh est grand. Allâh est plus grand. Le tout de l'absolu est le plus grand, plus grand que l'addition de tout. Plus grand que la quantité, il y a la qualité; le plus d'Allâh est un plus qualitatif au-delà de toute qualité, qui appelle en chaque fidèle un changement qualitatif. Ce plus est la révélation elle-même, la révélation de la qualité ultime, au-delà de toute description, au-delà de toute qualité, au-delà du monde et de ce qui fait le monde. Tu dois chercher ce mode sans qualité.
"Le Dieu que tu peux connaître est aussi impeccable que toi dans l'instant où tu l'appelles, conclut-il. Il murmura ensuite quelques mots en ouvrant les mains devant lui.
Je cherchais un plus qualitatif dans la privation de toute qualité. La transcendance est une soustraction et non une aspiration. Le monde existe en moi avec mes propres limites. Lorsque je me définis, je me limite. L'infini est ce plus que soi sans qualité. Allâh est plus grand que la somme de tout. Infini, il est sans qualité.
Je cherchais un regard sans qualité, sans a priori sur le monde, ni jugement. Sans choix. Une indécision sans sujet ni objet, qui révélerait l'indéterminé qui précède toute qualité... toute qualification. Je tâchais de m'y suspendre.
...
- Lâ ilâha Illal-lâh. Il n'y a aucun de Dieu, que Dieu.
Il répéta la formule de nombreuses fois, très lentement. En arabe comme en anglais, il la brisait, en deux temps distincts.
"Lâ ilâha. Illal-lâh. Non, aucun Dieu. Que Dieu. Aucun Dieu. Que Dieu. Que Dieu.
Il ajouta:
"Il est vivant, immuable, unique, infini, transcendant toute limite.
Il demeura silencieux pendant longtemps avant de me renvoyer.
Immuable, quel mot vertigineux! Que pouvais-je trouver d'immuable en moi? Qu'est-ce qu'un je au-delà du temps, du contraste, de la conscience du partiel et du spécifique; de l'identité? Un plan général, au-delà de tout. Unique, donc central, unifiant. Infini, sans limite, sans mouvement. Illal-lâh, Que Dieu! avait répété Cheikh Assam en appuyant sur chacun des mots comme s'il souhaitait que j'entendisse quelque chose qu'il ne voulait pas dire autrement. Me suggérait-il d'abandonner tout autre rapport au monde et à moi-même que ceux que cette série d'adjectifs suggéraient et d'entrer dans le monde de Dieu avec lui; que Dieu! Il n'y a pas d'autre réalité que Dieu. Ou y en a-t-il? Non, Que Dieu!. Vivant et immuable offraient une contradiction insoluble, ou alors proposaient un mode de vie, un mode de relation: Que Dieu encore. Je tâchais de demeurer dans cette attitude, et même d'y agir. Qu'était ce Dieu? Une sacralisation intensive?
Le village était propice au mode d'existence contemplatif; austère comme un cloître, rien n'y était agressif. Ni les hommes ni le choses n'adhéraient. Les images qu'il offrait de lui-même semblaient brumeuses, comme un peu liquides dans le flou de l'air chaud. Ses habitants parlaient fort peu entre-eux et s'ils parlaient, ils chuchotaient. On se saluait en se croisant, on s'arrêtait rarement. Souvent les rues étaient désertes. Le silence privait la réalité de toute convention, ainsi elle était plus vide, moins solide. Le silence ici s'élevait comme une prière et il protégeait plus sûrement qu'une muraille.
C'est à ce moment que je décidai d'adopter le costume local. Dans ma nouvelle robe blanche, j'essayais de me dissoudre dans la poussière des chemins rocailleux et des maisons de glaise.
...
Je m'étais déchaussé puis assis tout proche. Ce jour-là c'est moi qui garda sa main. Nous demeurâmes longtemps sans rien dire.
- YHVH est l'être nécessaire et potentiel. Regarde en toi ce qui correspond à cela, me dit Cheikh Assam, il est à la fois vivant, immuable, nécessaire et potentiel.
Longuement, silencieusement, il considéra avec moi ce qu'il venait de dire, puis il me congédia.
Nécessaire, il n'y en a pas d'autre; potentiel, Il est toute chose; potentiel, Il est sans fin, l'infini des activités possibles; nécessaire Il est toute pensée; potentiel, Il rassemble tout en Lui; nécessaire, toute chose en émerge; potentiel, Il est avant, pendant et après tout ce qui se manifeste, donc au-delà du manifeste; nécessaire, Il existe en lui-même. Vivant et immuable, vivant mais immuable.
Cheikh Assam introduisait la religion racine de l'Islam dans son enseignement, cela n'avait pas manqué de me surprendre, mais aussi de me plaire. Rabbi Isaac n'était pas très loin...
Je n'avais personne à qui parler, mais je ne souffrais pas trop de la solitude. Grâce au silence, j'étais plus concentré sur les regards et les recherches que mon pîr me prescrivait de pratiquer. Peu à peu, ils m'habitèrent. La méthode et le silence étaient efficaces: j'avais l'impression continue de ne pas pénétrer le monde mais seulement de glisser dessus.
...
- Il n'y a qu'un seul être. Rien n'est en dehors de lui. Cet être est Brahman, disent les upanishads, Cela, le Soi sans qualité de chaque chose. Il est éternel et pur, incréé et absolu. Existant en soi.
Va, cherche en toi ce qui correspond à cela.
Je liais vivant et immuable à sans qualité et pur. C'est dans un rapport impersonnel avec la création que je cherchais Brahman. Ce qui n'a pas de qualité est infini. Ainsi qu'indescriptible. Le monde sans description s'ouvrait devant moi et m'échappait pourtant.
Le monde devenait beaucoup plus large, et moi beaucoup moins présent à mesure que je domptais le silence.
- Quel est la religion de ton père? m'avait demandé le cheikh lors de notre première conversation. J'avais refusé de lui répondre, je n'avais pas voulu choisir. Ne sachant pas dans quelle voie traiter ma question, le pîr n'avait sans doute pas choisi non plus, il m'enseignait l'hindouisme après l'islam et le judaïsme...
...
14:28 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE, RÉSONANCES | Lien permanent | Commentaires (0)
19/03/2016
Noirs dans les camps nazis
Serge Bilé, journaliste a aussi publié un livre sur le même sujet, sous le même titre, au Serpent à Plumes en 2005, et qui parait le 24 mars, aux Ed. du Rocher dans la collection Poche :
Africains, Antillais, Américains ont eux aussi été pris dans la tourmente, arrêtés et envoyés dans ces camps où ils étaient sujets à toutes les humiliations...
Outre les témoignages hallucinants collectés auprès des survivants ou de leurs compagnons d'infortune, ce livre révèle des faits méconnus : savait-on que les fameuses lois de Nuremberg concernaient également les Noirs installés à l'époque dans le pays ? Ces Afro-Allemands, stérilisés de force, formèrent d'ailleurs les premiers contingents de déportés expédiés par Hitler dans les camps, bien avant la guerre. Savait-on que ces camps de concentration n'étaient pas l'oeuvre des nazis, mais que les premiers avaient été construits dès 1904, en Namibie, pour éliminer le peuple herero opposé à la colonisation allemande et aux armées du chancelier Bismarck ? Autant de pages d'histoire inédites où l'on apprend aussi, au fil des chapitres, les faits d'armes de ceux qui deviendront par la suite les grands leaders de la cause noire : Nelson Mandela, Martin Luther King, Léopold Sédar Senghor ou encore Aimé Césaire.
Journaliste à Martinique 1ère, Serge Bilé est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages, parmi lesquels des essais à succès tels La légende du sexe surdimensionné des Noirs, Et si Dieu n'aimait pas les Noirs : enquête sur le racisme au Vatican, Quand les Noirs avaient des esclaves blancs, et dernièrement Poilus nègres. Soldats créoles et africains en 14-18.
voir : http://www.sergebile.com
Voir aussi : Namibie, le génocide du IIe Reich d'Anne Poiret
la répétition générale a eu lieu en Namibie au début du XXe siècle.
http://www.africavivre.com/namibie/a-voir/documentaires/n...
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14/03/2016
Edouard Cottin-Euziol : « Néolibéralisme versus État-providence »
Le débat économique entre classiques et keynésiens
Comment tendre vers un système économique plus prospère, juste et durable ?
Comment se déterminent les salaires sur le marché du travail ? Quelles sont les principales causes du chômage ? L’offre crée-t-elle sa propre demande ? L’épargne peut-elle être trop abondante ? Quel est l’impact des politiques de relance budgétaires et du commerce international sur la croissance des économies ? Quelle est l’origine de l’inflation et comment la combattre ? Quelles politiques économiques conduire pour sortir les économies de la crise et bâtir un monde meilleur ?
Pour répondre à ces questions, Edouard Cottin-Euziol imagine un débat entre deux professeurs émérites, acquis à deux théories économiques opposées – les écoles (néo)classique et (post)keynésienne.
Leurs discussions offriront au public les éléments nécessaires pour mieux comprendre le fonctionnement de nos économies ainsi que les grands débats qui secouent actuellement la communauté des économistes et dont l’issue contribuera à façonner le monde de demain.
Une approche vivante et accessible des différences entre les théories (néo)classique et keynésienne.
L'auteur : Édouard Cottin-Euziol est titulaire d’un doctorat en économie portant sur les théories monétaires et la pensée keynésienne. En parallèle de sa thèse, il a enseigné l’économie pendant six ans à l’Université de Limoges. Il effectue actuellement un post-doctorat dans un institut de recherche en Allemagne, au sein d’une équipe qui réfléchit à l’avenir du système monétaire international.
Sommaire :
Préface de Louis-Philippe Rochon
La controverse de Limages
L’organisation de la conférence
Lundi après-midi : Discours inauguraux
Deux siècles de progrès prodigieux
L’écart entre nos maux et nos savoirs
Mardi matin : La détermination des salaires
La productivité des travailleurs
Le pouvoir de négociation des entreprises
Mardi après-midi : L’origine du chômage
L’équilibre du marché du travail
La surproduction et le chômage involontaire
Mercredi matin : Les crises de surproduction
L’offre crée sa propre demande
La faiblesse chronique de la demande
Néolibéralisme versus État-providence
Mercredi après-midi : Les politiques budgétaires et fiscales
L’effet d’éviction
La relance de l’activité
par la dépense publique
Jeudi matin : L’inflation
Une émission excessive de monnaie
L’empreinte sociétale
Jeudi après-midi : Le commerce international
Les avantages absolus et comparatifs
La course au moins-disant social et fiscal
Vendredi matin : Quelles politiques économiques pour sortir
de la crise ?
Libérer les énergies
Relever le défi de l’abondance
Épilogue
Bibliographie
12 x 22 cm - Collection Économie - 200 pages
Price: 12.00 €
http://www.yvesmichel.org/product-page/economie/neolibera...
13:06 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE | Lien permanent | Commentaires (0)
10/03/2016
La comédienne et humouriste Audrey Vernon présente sa satire "Comment épouser un milliardaire".
13:59 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE, RÉSONANCES | Lien permanent | Commentaires (0)
07/03/2016
Luis Bonet - Une auberge espagnole
Traduit du castillan par Christian Delavaud
« Nous sommes là depuis déjà plusieurs jours. Nous continuons en vain d’attendre une distribution de nourriture qui apaiserait notre faim. Et l’administration du camp demeure invisible. Nul ici n’est responsable de l’existence de ces milliers d’hommes entassés sur cette plage, sans manteaux, privés d’eau potable et de nourriture. Pour nous accueillir, seuls ont été prévus des carrés de terrain délimités par quelques piquets enfoncés dans le sable. Ils sont reliés entre eux par plusieurs lignes de barbelés, pour nous parquer comme on le fait pour les vaches. Mais nous n’avons que du sable pour ruminer notre misère et les raisons qui nous ont amenés là. Les haut-parleurs viennent d’annoncer une bonne nouvelle. Ceux qui se regrouperont par dix et dresseront une liste écrite de leurs noms et prénoms auront droit à deux kilos de pain. Je note huit noms de camarades et le mien. Il en manque un. Que faire ? Chercher un ami de plus ? Mais comment le trouver en si peu de temps ? J’inscris en tête de liste « Francisco de Goya y Lucientes ». Comme nous, mais un siècle auparavant, il connut l’exil. Aujourd’hui, grâce à la magie de son nom porté sur une liste d’affamés, Goya nous offre un morceau de pain supplémentaire. Il nous donne sa part. »
Sur un ton sans colère, ces « Chroniques d’un camp de républicains espagnols internés en février 1939 sur la plage de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) rapportées par un imprimeur et militant communiste » laissent voir l’amertume devant les trahisons et l’accueil honteux que la démocratie française a réservé à ceux qui fuyaient le fascisme.
Une première édition de ce livre est parue en 1994 dans une collection jeunesse aux éditions Gallimard.
Réfugié républicain, ancien membre du Parti communiste espagnol, Luis Bonet Lopez (1910, Valencia-1997, Montendre) a été imprimeur en Charente maritime, où il s’est installé dans les années 1940. Il a laissé de nombreuses pages, en prose et en vers, sur ses souvenirs d’exilé, de militant et de résistant ; il en a aussi souvent fait le récit, en conteur, notamment devant des publics scolaires.
À paraître le 14 mars 2016
128 pages (12 x 17 cm) 9,50 €
ISBN : 9782748902501
http://agone.org/centmillesignes/uneaubergeespagnole...
14:08 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE | Lien permanent | Commentaires (0)
18/02/2016
Les instructions d'Ashraf Fayad
On a tous entendu parler de ce poète et artiste palestinien, Ashraf Fayad, condamné à mort le 17 novembre dernier en Arabie saoudite pour ses poèmes 'apostats' et des propos "destructeurs" tenus dans un café d'Ahba, une ville du sud du pays. Après la mise en branle du Pen-club et d'intellectuels et particuliers du monde entier, l'Arabie saoudite a fait machine arrière en commuant le mardi 2 février 2016 la peine capitale en huit ans de prison et huit cents coups de fouet. Peine tout aussi atroce, jugement tout aussi inique contre lesquels il y a lieu de réagir une fois encore.
Une sélection des poèmes incriminés - ils ont naturellement été la pièce à charge pour les juges -, Instructions, à l'intérieur, publié par Far al-Farabi en 2007 paraît aujourd'hui en France. C'est en soutien à Ashraf Fayad que nous vous proposons de l'acquérir, en souhaitant que l'éditeur multiple les effets de son et de votre geste militant, un geste partagé par le traducteur, Abdellatif Laâbi, lui-même sorti des geôles marocaines en son temps (c'est lui qui a fait le choix des poèmes du recueil initial imprimé au Liban).
Né en 1980 à Gaza, Ashraf Fayad est le descendant d'une longue tradition de poètes arabes intempestifs et jouisseurs, audacieux et libres. Il est lui-même un poète parfois satirique, dont l’œuvre dit le désarroi de l'individu, ici en terre arabe, parmi les réfugiés ou couvert de pétrole.
Les globules noirs
du pétrole
se promènent entre tes cellules
Ils réparent
ce dont ta nausée
n'a pas réussi à te débarrasser
Ashraf Fayad Instructions, à l'intérieur. Poèmes traduits de l'arabe par Abdellatif Laâbi. — le Temps des Cerises-Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne, 2016, 80 pages, 10 €. (Pour toute commande groupée effectuée par une association, le prix à l'exemplaire : 6 euros).
Source : http://www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/index.php/post/2016/02/16/Ashraf-Fayad
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14/01/2016
Les Erythréens de Léonard Vincent
Rivages Poche ou Grand format (256 pages, Janvier 2012 )
Editions : Rivages
C'est une contrée qui borde la mer Rouge. Au nord le Soudan, au sud l'Ethiopie. A première vue, le bout du monde parfait. Mais Issaias Afeworki règne sur ce pays, l'Erythrée, depuis vingt ans. Après avoir conduit la guerre d'indépendance, l'homme s'est mué en dictateur alcoolique et paranoïaque. Il dirige son Etat comme une caserne. Chaque parcelle est verrouillée, la police est omniprésente, les prisons sont pleines. Tous cherchent à s'enfuir. Grâce aux trafiquants et quelques centaines de dollars économisés au fil du temps, certains y parviennent.
Pour la première fois, dans ce récit d'une grande justesse, les Erythréens ont la parole. Ils lèvent le voile sur un peuple pris en otage. En attendant le jour de la délivrance.
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Avis de parution : CONTES DES SAGES GARDIENS DE LA TERRE de Patrick Fischmann
au SEUIL – sortie le 10 Mars 2016
Pour donner vie à ces Contes des sages gardiens de la terre, Patrick Fischmann a composé un hymne à la nature qui fait corps avec l’être humain. Il nous sert, avec jubilation et gratitude, un cocktail gourmand d’ancêtres bienfaisants et généreux. On rencontre un panel d’arbres et de pierres de sagesse, de créatures fraternelles. On côtoie une nature bienfaitrice, une proche parenté qui sort de la terre ou de l’aubier pour secouer notre ignorance.
Cette clairvoyance secoue notre monde dénaturé et s’offre en escorte au réveil de notre humanité. Car nous dit encore l’auteur, nous devons cesser d’agresser tout ce qui vit, retourner à la nature, nous considérer comme les fragments d’une source unique. Et agir en conséquence.
Des contes émouvants, profonds et drôles, rassemblés pour une fête bucolique et servis par une iconographie soignée. Patrick Fischmann y conduit sa caravane moussue en conteur amoureux du monde. L’auteur signe ici son treizième titre dans la collection des «Contes des sages».
240 pages - 18.50 € TTC
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02/01/2016
La sauvage des Pyrénées
Histoire. Ils l'avaient surnommée la folle des Pyrénées
Elle aurait vécu dans les Pyrénées ariégeoises de 1801 à 1808. Entièrement nue. Cette sauvageonne âgée d’une trentaine d’années, qui au fil des années a vu son visage s’émacier, sa chevelure s’allonger, sa peau se matifier, ses ongles se transformer en longues griffes n’a jamais dévoilé son identité. Même lorsqu’elle fut arrêtée et enfermée à trois reprises. Victime de son mutisme, elle sera surnommée, à tort, la folle des Pyrénées.
L’Ariégeois René-Jean Pagès consacre un ouvrage fort documenté à l’histoire de l’énigmatique ermite du Vicdessos (lire ci-contre). «Cette femme aurait immigré en Espagne, en 1793, au moment de la Terreur. Elle aurait fui la France avec son mari», annonce l’auteur. Le couple aurait décidé au printemps 1801 de mettre un terme à leur séjour hispanique forcé et de rentrer en France en passant par l’Andorre. «Ils auraient franchi l’ancien Port d’Aula (actuel port de Rat)», poursuit René-Jean Pagès. «Au cours de ce périple, le couple aurait fait une mauvaise rencontre avec des brigands espagnols. Suite à ce malheureux incident, le mari aurait perdu la vie. La femme aurait été violée».
Elle vivait nue
Esseulée, dépouillée de ses vêtements et choquée, la pauvre malheureuse aurait décidé dans un premier temps de trouver refuge dans les montagnes de l’Est andorran. «Ce n’est qu’au printemps 1801, après la fonte des neiges, qu’elle décide de franchir le col pour se retrouver sans le savoir en France, dans la région du Vicdessos», ajoute l’auteur.
Au milieu de cette nature à l’état brut, elle vivait nue. Eté comme hiver. De quoi se nourrissait-elle ? De noix, noisettes, châtaignes, faines, glands… dont elle fait provision. De mûres, myrtilles, airelles, framboises, nèfles et prunelles. Du miel que dénichaient les animaux, de la sève sucrée des arbres, des poissons qu’elle pêchait, des lièvres, écureuils, insectes, oiseaux, marcassins qu’elle capturait… La sauvageonne aurait même fraternisé avec les ours qu’elle considérerait comme ses congénères. L’hiver, elle se réchauffait auprès d’eux dans leur antre d’hibernation. Elle mena cette vie sauvage et solitaire en toute quiétude pendant plusieurs années jusqu’à ce que des chasseurs de Suc la remarquent.
Repérée par des chasseurs
Nous sommes alors en 1807. Intrigués par cet animal farouche, ils signaleront sa présence à la communauté villageoise. «La nouvelle mit celle-ci en effervescence car elle alimenta toutes les conversations. Dès le lendemain, une véritable escouade de pâtres part à ses trousses dans la haute vallée de Suc», relate l’auteur. Ils eurent tôt fait de la repérer, de la capturer, de la ligoter et de la ramener au village où elle fut hébergée dans une chambre du presbytère de Suc. Interrogé par le curé du village, un certain Joseph Dandine, celui-ci remarqua «des restes de prestances et d’éloquence de sa haute hérédité». La sauvageonne avait «un esprit cultivé» et un «accent pur». Autrement dit, elle s’exprimait en langue française et non en occitan. Autrement dit, elle était tout, sauf folle.
Mise au cachot
Agile comme un isard, elle s’évade du presbytère en sautant par la fenêtre. Elle sera capturée à nouveau en juin 1808 sur ordre du juge de paix et envoyée dans la prison du château de Foix. Au bout de quelques semaines, la sauvageonne tombe malade. Elle sera soignée à l’Hospice de Foix par les Sœurs de Nevers à qui elle mena la vie dure car elle ne voulait pas se vêtir. Elle s’évada de l’hospice. Recapturée une dizaine de jours après, dans les environs de Foix, elle finira dans un des cachots de la tour ronde. La Belle s’éteignit dans ce lieu humide et ténébreux le 29 octobre 1808, à 1 heure du matin. Sans que personne ne s’en émeuve.
Incroyable mais vrai !
René-Jean Pagès s’est pris de passion pour l’incroyable histoire de «La folle des Pyrénées » et il en fait un livre au titre éponyme. «Je suis originaire de Saint-Girons. Ma famille est de Massat, situé derrière la vallée du Vicdessos. J’avais des ancêtres qui vivaient là au moment des faits.» René-Jean Pagès a mené l’enquête pendant 25 ans. «Je me suis référé principalement aux écrits de Bascle de Lagrèze, sous-préfet de l’Ariège en ce temps-là. J’ai trouvé des documents inédits qui sont publiés dans mon ouvrage.» Le résultat est passionnant !
«La folle des Pyrénées», par René-Jean Pagès, éditions Empreinte, 237 pages, 19, 50 €.
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23/12/2015
« Comment la mafia du tabac nous manipule », un ouvrage saisissant sur les coulisses du lobby du tabac
Publiée mardi 18 août
Sorti il y a quelques semaines en librairies, l’ouvrage de Marc Lomazzi, journaliste et rédacteur en chef adjoint du Parisien-Aujourd’hui en France révèle, témoignages de cadres importants de l’industrie du tabac à l’appui, les coulisses du puissant lobby du tabac et ses méthodes dignes de la mafia.
Trafic d’influence, infiltration des hautes sphères de l’Etat, entente sur les prix, évasion fiscale, pots-de-vin, circuits parallèles de ventes, ciblage systématique des jeunes, l’auteur enquête au sein d’une industrie qui « tue en quinze jours autant que la route en un an ».
Une petite idée de ce qui vous attend dans ce livre qu’il faut absolument lire !
Profession lobbyiste – L’auteur décrit le profil du lobbyiste dans cette industrie pas comme les autres, dont les 3 commandements sont de faire obstacle aux lois, peser sur la politique fiscale du gouvernement, influencer la fixation des prix du tabac. Via de multiples méthodes d’influence allant du pantouflage, en passant par la création d’études fantômes jusqu’à l’intimidation.
Députés enfumés – Elus mobilisés par les industriels du tabac pour monter au créneau, reprenant mots pour mots argumentaires, rapports parlementaires rédigés de A à Z par les lobbyistes de l’industrie du tabac, chantages aux élections, pseudo vote de fumeurs présentés comme hostiles aux mesures de santé, instrumentalisation du réseau des buralistes, attaques contre les élus pro-santé, Marc Lomazzi revient sur les relais de cette industrie et leurs techniques efficaces.
Affaires d’Etat – Impératifs budgétaires de Bercy versus ceux de la santé publique, quand la lutte contre le tabagisme devient une tactique politique, le chapitre décrit comment gouvernements de droite comme de gauche font le choix de protéger les revenus du tabac.
Arnaque sur les prix – Le journaliste y démontre le fonctionnement en cartel de l’industrie du tabac qui, avec l’administration de Bercy, fixe les prix leur permettant d’assurer des marges bénéficiaires pour cigarettiers et buralistes, et un certain niveau de recettes fiscales, pour l’Etat, sans réduire la consommation de tabac. La fiscalité, sujet d’une telle complexité et d’une telle opacité que peu s’y aventure…
Un allié aux Douanes – Le journaliste revient sur le cas de Galdéric Sabatier, ce haut fonctionnaire des Douanes pris en flagrant délit de conflit d’intérêt chez Françoise lors d’un déjeuner des fumeurs de havanes organisé par British American Tobacco, filmé par le magazine d’enquête Cash Investigation. Un chapitre pour mieux comprendre les méthodes hors-la-loi du portrait du numéro 3 des Douanes…
Hold-up fiscal – Le livre revient sur les pratiques d’optimisation fiscale des cigarettiers, en s’appuyant sur le témoignage de l’ancienne directrice financière d’un géant du tabac. Un sujet qui ne semble préoccuper aucun élu, depuis qu’un certain Thomas Thévenoud, saisi du dossier, a laissé celui-ci inachevé suite à sa démission.
Contrebande et trafics illicites – Le livre rappelle comment l’industrie du tabac après avoir été reconnue coupable de complicité avec les réseaux mafieux, de corruption et de blanchiment d’argent a réussi à retourner la situation et redorer son blason, grâce à des « accords » avec les autorités européennes.
Complot à Bruxelles – La puissance du lobby se traduit au-delà des frontières au niveau de Bruxelles, avec l’affaire « Dalli », ancien Commissaire européen à la santé John Dalli forcé de démissionner au moment même où devait être discutée la nouvelle directive tabac déterminant les politiques antitabac des pays. Affaire liée à un pacte secret ? On y apprend notamment qu’une clause particulière serait incluse dans la transaction passée avec l’industrie du tabac dans le cadre de poursuites engagées contre les fabricants pour organisation de la contrebande. Cette clause prévoirait que le versement des sommes à régler par les fabricants soit conditionné à l’absence de durcissement de la réglementation antitabac.
Les petits génies du marketing – Comment cette industrie multirécidiviste (condamnée 450 fois par le CNCT) « qui a toujours un coup d’avance » contourne aujourd’hui l’interdiction de la publicité ? A découvrir dans l’ouvrage…
Dessous-de-table à tous les étages – Le journaliste aborde la question des rémunérations illicites et autres cadeaux, contrepartie de primes à la commande de cartouches de cigarettes, de la mise en avant des paquets de tabac dans les linéaires, de publicités dans les débits pour les lancements de nouvelles marques et pourcentages sur les ventes. Système de pots-de-vins, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale chez des commerçants, préposés de l’administration qui sont censés ne rien percevoir en dehors de la redevance liée à la vente des produits du tabac.
Le ciblage des enfants et des ados ou comment ces derniers sont l’objet d’une guerre commerciale sans merci entre cigarettiers en raison d’un enjeu de business juteux pour producteurs et vendeurs de tabac : cartographie des déplacements des jeunes par ville, sélection des buralistes en fonction du potentiel « jeune », démarchages des débits par les commerciaux des fabricants de tabac, mise en place de système de primes pour les buralistes (plus le débit de tabac est proche d’un lycée, plus la prime sur la vente d’un produit est importante, les buralistes les plus performants pouvant mettre de côté entre 6000 et 8000 euros par an de pots-de-vin). Interdiction de vente aux mineurs non respectée, contrôles inexistants, justice laxiste, le chapitre rappelle pourquoi la France constitue un des pays d’Europe avec la consommation de tabac une des plus élevées d’Europe.
La guerre du paquet sans logo – Le chapitre détaille les coulisses de l’arbitrage autour de la mesure du paquet neutre - comment Marisol Touraine a travaillé son plan de réduction du tabagisme en secret jusque la dernière minute (la haute administration étant infiltrée par l’industrie du tabac) - et la bataille des acteurs du tabac contre la mesure pour la faire capoter..
Sea, sex and fun – Orgies, alcool à flot, embrigadement sectaire, bonus importants, le journaliste dévoile enfin les mœurs et pratiques en interne pas toujours très orthodoxes de l’industrie du tabac pour souder les équipes et éviter les cas de conscience.
Source : http://www.cnct.fr/dernieres-actus-59/comment-la-mafia-du-tabac-nous-manipule-un-ouvrage-saisissant-139.html
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01/12/2015
Industrie du médicament : "J'ai vendu mon âme au diable"
Par Anne Crignon
John Virapen, 64 ans, livre le récit de son parcours dans l'industrie pharmaceutique. Une confession professionnelle peu ordinaire.
Dans la famille "Les Repentis de Big Pharma", voici John Virapen, ancien directeur de la firme Eli Lilly en Suède, qui a rédigé dans sa soixante-quatrième année une confession professionnelle peu ordinaire. Par une ironie du destin, son livre est sorti en France jeudi 17 avril, au lendemain de la mort de Jacques Servier.
"Depuis des années parfois aux premières heures du jour des silhouettes fantomatiques m’apparaissent en rêve, écrit-il en préambule. Elles se tapent la tête contre les murs ou s’entaillent les bras et la gorge a coups de rasoir. J’ai maintenant compris que j’avais indirectement contribué a la mort de personnes dont les ombres me hantent.
Je n’ai évidemment tué personne directement, mais aujourd'hui je ne peux pas ne pas me sentir responsable en partie de ces morts. J’ai été un instrument, un exécutant, mais consentant, aux mains de l’industrie. […] J’ai été certes manipulé, mais sans me poser de questions. J’ai vendu mon âme au diable."
Le cas du Prozac
D’origine indoue et fils de pêcheur illettré de la Guyane britannique, l’auteur de ce mea culpa glaçant est entré dans l’industrie pharmaceutique, en 1968, par la toute petite porte. En acteur habile de ce qui ne s’appelle pas encore marketing, John Virapen est déjà en 1981 directeur des ventes de la firme Eli Lilly pour la Suède.
Il raconte les petits pactes inavouables qui se scellent dans ce milieu feutré, et la main mise des firmes sur les leaders d’opinion, ces grands professeurs renommés et gardiens de la doxa. Ainsi l’entre eux, spécialiste du traitement de la douleur et expert au ministère de la santé, recevait-il de Lilly un salaire fixe, moyennant conseil, relecture de brochures et autres conférences.
On faisait surtout appel à lui en cas d’attaque contre nos produits dans les médias, souvent à propos d’effets secondaires. Il écrivait immédiatement des articles en notre faveur dans les journaux médicaux. Le microcosme médical était rassuré, la grande presse n’en parlait plus."
En 1986, pour le lancement de la fluoxétine d’Eli Lily, molécule d’or baptisée Prozac qui sera jusqu’à expiration du brevet en 2001 l’antidépresseur le plus prescrit au monde, John Virapen va commettre ce qui le hante au petit matin : avoir aidé à promouvoir un médicament dont il connaissait –déjà- l’impact suicidaire (pour les effets secondaires réels des psychotropes, voir le site de veille sanitaire indépendant de David Healy, chercheur à l’université de Cardiff RxiSK.org) et dont la supériorité sur le placébo n’est toujours pas établie en 2014.
Mais pour l’heure, tandis qu’au siège on organise le plan com’ qui fera de la dépression une maladie couramment diagnostiquée dans tous les pays riches, les satrapes de Lilly s’affairent dans les capitales afin d’obtenir pour le Prozac une autorisation de mise sur le marché.
Comment des suicidés ont disparu
A Stockholm, John Virapen sait qu’un expert indépendant a été officiellement désigné pour émettre un avis. Le nom du professeur est confidentiel, pour tenir éloignés les lobbies justement. John Virapen veut savoir. Il n’y a dans toute la Suède que cinq experts psychiatres suffisamment qualifiés pour avoir été sollicité par l’Etat.
L’un fait partie des autorités de santé ; ça ne peut être lui. Pour les quatre autres, il va agir en profiler et demander à ses visiteurs médicaux de se renseigner, discrètement. Après quelques semaines de ce maillage discret, l’expert est repéré : c’est Pr Z., à Göteborg. "J’entrepris d’étudier le Pr Z. de plus près. Il aimait la voile. Je m’achetai un livre sur la voile." Virapen l’appelle, et parvient à l’inviter à dîner.
Un facteur a joué en ma faveur, je n’aimais pas le Pr Z, poursuit-il. Une réelle sympathie rend les manipulations plus difficiles. On n’aime pas piéger une personne qu’on apprécie. On ne veut pas obliger quelqu’un qu’on aime à franchir les frontières de la légalité. Le fait de ne pas aimer était donc un atout."
Un deuxième dîner va sceller leur entente. "L’argent est toujours utile", répond l’expert indépendant quand son hôte lui demande ce qui ferait accélérer son affaire. Le lendemain, Virapen appelle le bureau de Lilly à Copenhague, qui supervise les pays du Nord, explique qu’il faut 100.000 couronnes pour obtenir une autorisation rapide, soit 20.000 dollars. "Le bureau de Copenhague consulta celui de Genève. Cela prit 24 heures. Puis je reçus un appel :'John, faites tout ce qui vous semble nécessaire.'"
L’expertise du Dr Z. en fut quelque peu orientée. Dans le dossier initial, voici un exemple de ce qu’on pouvait lire : "Sur dix personnes ayant pris le principe actif, 5 eurent des hallucinations et firent une tentative de suicide dont 4 avec succès." A la place on lisait désormais : "Les 5 derniers ont présentés divers effets secondaires." Escamotés, les suicidés sous Prozac, au cours de la phase d’expérimentation.
Au dessus des lois ? Au dessus des Etats ?
Ce témoignage paraît un mois après celui de Bernard Dalbergue,(1) ancien cadre de chez Merck ; un an après l’ouvrage de Julie Wasselin qui fut pendant trente ans visiteuse médicale (2); et dix ans après que Philippe Pignarre, ancien de chez Synthelabo et lanceur d’alerte avant l’heure, a publié "Le Grand secret de l’industrie pharmaceutique" (3). Tous démontrent que la santé est depuis trente ans une affaire de business et de marketing sur fonds de désinformation aux conséquences criminelles.
La confession de John Virapen a été traduite par Philippe Even, qui poursuit ainsi un travail de recadrage entrepris en 2005, soit cinq ans avant le scandale Servier, avec sa traduction du livre Marcia Angell, rédactrice en chef démissionnaire du prestigieux "New England Journal of Medecine" (NEJM), "La vérité sur les compagnies pharmaceutiques" (4).
Etrangement, ces révélations ne suscitent pas l’effroi et les révolutions qu’elles devraient. Comme si la pharmaco-délinquance était une fatalité, et l’industrie du médicament une organisation impossible à contrôler, au dessus des lois, au dessus des Etats.
Anne Crignon - Le Nouvel Observateur
(1) "Omerta dans les labos pharmaceutiques", Avec Anne-Laure Barret, Flammarion
(2) "Le quotidien d’une visiteuse médicale", L’Harmattan.
(3) Editions La Découverte
(4) Editions du Mieux Etre
http://www.cherche-midi.com/theme/Medicaments_effets_secondaires_:_la_Mort-John_VIRAPEN_-9782749136219.html
et aussi :
https://www.pulaval.com/produit/remedes-mortels-et-crime-organise-comment-l-industrie-pharmaceutique-a-corrompu-les-services-de-sante
10:14 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE, QUAND LA BÊTISE A LE POUVOIR | Lien permanent | Commentaires (0)
29/11/2015
Vient de paraître Dévore l'attente de Laurent Bouisset aux éditions du Citron Gare.
Il s'agit d'un recueil de poèmes écrits entre 2004 et 2015 et brillamment illustrés par l'artiste mexicaine Anabel Serna Montoya.
Sur la quatrième de couverture, c'est écrit ça :
2004-2015, onze ans d'écriture, dix villes... ce premier recueil de Laurent Bouisset aime foutre le camp ! Chercheur d'or, pas vraiment... chercheur de doutes surtout ! Les vers au port rêvent de tempête. Les pages au fond de la jungle se déchirent. Au Mexique, nous voilà ! En Guyane, au Guatemala ou en Bosnie ! Le lecteur se retrouve en short, à faire la passe aux tigres, sur un playground bouillonnant de banlieue. Dévore l'attente... Dévore-la vite, avant qu'elle se régale de toi ! Dévore-la foutrement comme un jaguar ou même... une poule ! Mais d'ailleurs, oui, c'est vrai... l'attente de quoi ? Les réponse hasardées sont pas d'accord... et c'est très bien ! Au fil des rues, des peaux, des visages rencontrés... un funk brut ! Un Coltrane tournoyant oppose à l'ennui des images ! Folie de signes et sons jetés très vifs. Semis de douceur et coups de pied. Le livre entier s'unit pour le rappeler – le hurler même ! voire le rapper ! – à quel point le cancer le pire a pour nom : la torpeur.
Vous trouverez un peu plus de renseignements ici :
http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/2015/11/devore-la...
12:12 Publié dans COPINAGE, LIVRES A LIRE ET A RELIRE | Lien permanent | Commentaires (0)
19/11/2015
Lettres contre la guerre, Tiziano Terzani,
Intervalles (traduit par Fanchita Gonzalez Batlle).....
Trois jours après les attentats du 11 septembre 2001, Tiziano Terzani, grand reporter qui connaît bien le monde en général et le monde musulman en particulier, retiré depuis quelques années en Inde en quête de spiritualité, publie une lettre intitulée Une bonne occasion. Et si ces attentats étaient la bonne occasion pour tout remettre à plat, discuter et ne pas céder à le violence qui entraînera toujours une violence encore plus grande. Quelques jours plus tard, une autre journaliste italienne publie un livre d'une rare violence contre les musulmans. Tiziano Terzani décide alors de reprendre la plume dans diverses régions du monde pour lui répondre et témoigner de ce qu'il voit et vit au contact des musulmans de Kaboul, Peshawar, Quetta.
Ce livre écrit entre le 14 septembre 2001 et le 7 janvier 2002 rassemble 8 lettres prônant la paix, la tolérance et l'entente entre le peuples. Tiziano Terzani après avoir été grand reporter sur tous les grands conflits s'est tourné vers l'Inde et sa spiritualité, s'est posé et est devenu aux yeux de beaucoup d'Italiens le visage de la paix. Il est décédé d'un cancer en 2004. Ce livre a précédemment été publié chez Liana Levi en 2002.
Difficile d'aborder le thème de la tolérance, de l'amour entre les peuples, de la compréhension de l'autre alors qu'il y a quelques jours des attentats terribles traumatisaient Paris, la France entière et bien plus largement encore, quelques mois tout juste après le massacre de Charlie Hebdo. Je me permettrais donc de citer T. Terzani qui intitule sa dernière lettre Que faire ? Et maintenant allons-nous céder à une surenchère dans la violence ? "C'est peut-être ce qui m'a fait penser que l'horreur à laquelle je venais d'assister était... une bonne occasion. Le monde entier avait vu. Le monde entier allait comprendre. L'homme allait prendre conscience, se réveiller pour tout repenser : les rapports entre États, entre religions, les rapports avec la nature, les rapports entre hommes. C'était une bonne occasion pour faire un examen de conscience, accepter nos responsabilités d'Occidentaux et faire peut-être enfin un saut qualitatif dans notre conception de la vie." (p.15) Une grande partie de la réflexion de l'auteur est basée sur sa conception de la vie et des rapports entre les hommes : "... je suis vraiment convaincu maintenant que tout est un et que, comme le résume si bien le symbole taoïste du Yin et du Yang, la lumière porte en elle le germe des ténèbres et qu'au centre des ténèbres il y a un point de lumière." (p.15) Mais il ne s'est pas arrêté à sa réflexion, il est retourné sur le terrain voir comment vivaient les gens en Afghanistan, au Pakistan. Et chaque témoignage est aussi l'occasion pour le journaliste de raconter l'histoire du pays, celle qui explique pourquoi et comment on en est arrivé là. Évidemment, les États-Unis sont montrés du doigt : "Chalmers Johnson répertorie les manigances, les complots, les coups d'État, les persécutions, les assassinats et les interventions en faveur de régimes dictatoriaux et corrompus dans lesquels les États-Unis ont été impliqués ouvertement ou clandestinement en Amérique latine, en Asie et au Moyen-Orient depuis la fin de la seconde guerre mondiale." (p.40). Pour ce "vieux professeur de Berkeley University, peu suspect d'antiaméricanisme ou de sympathies gauchisantes", les attentats sont des contrecoups de cette politique étrangère agressive, les États-Unis sont devenus le Diable aux yeux du monde islamique. L'Europe étant à la remorque des États-Unis, il est loin le temps ou le ministre des affaires étrangères français osait s'opposer à une décision de faire la guerre, elle est elle aussi la cible potentielle d'attentats et l'atroce nuit parisienne du 13/14 novembre est là pour le confirmer.
A chaque fois que Tiziano Terzani apporte des informations, il les confronte à sa réflexion, à ses questions. Il ne prétend pas détenir la vérité, il pose des questions légitimes, il met en doute les certitudes des autres. Ces textes ont quasiment quinze ans et pendant ces années, rien n'a changé. Ou plutôt, si, tout a changé : les positions des uns et des autres se sont durcies. Tellement, qu'il paraît même difficile de parler de la même manière -utopiste- que le journaliste italien. Jusqu'où pourra continuer cette violence ? A-t-on le droit au nom de nos principes occidentaux de s'immiscer dans les politiques de certains pays ? Notre indépendance énergétique doit-elle primer sur la vie des habitants des pays producteurs ? Nos sociétés sont tellement différentes. Le monde que nous proposons, nous Occidentaux, globalisé, mondialisé, abreuvés que nous sommes de culture américaine -même si la France résiste encore un peu à l'envahissement par son cinéma, sa littérature, son mode de vie- est une violence faite à certains pays pas prêts et pas désireux de s'y soumettre. Et qui serions-nous pour l'imposer ?
Mon billet peut sembler brouillon, maladroit et il l'est sans doute. Lors de ma lecture j'ai sans cesse hésité entre l'admiration pour la réflexion de cet homme, sa sagesse et la peur que la violence monte toujours plus haut. J'ai fini ma lecture le 13 novembre au soir. Le matin suivant je me réveille avec les annonces des attentats parisiens et j'écris mon billet ce même jour, à chaud ; j'y mélange les réflexions de Tiziano Terzani et les miennes. J'ai apprécié que cet homme puisse me donner un autre angle de vue, me donner des informations pour continuer ma réflexion : je ne suis sûr de rien, j'écoute et lis beaucoup avant de me faire une opinion et lorsque j'y arrive elle peut encore varier en fonction de ce que je lis et entends. Ce dont je suis sûr cependant, c'est que ce bouquin va rester longtemps en moi et près de moi, je vais même le conseiller à tous ceux qui comme moi s'interrogent sur cette violence et cette haine qui explosent. Et à tous ceux qui savent déjà tout, je le leur conseille également, il les fera peut-être réfléchir et les bousculera dans leurs certitudes.
Source :
http://www.lyvres.fr/2015/11/lettres-contre-la-guerre.htm...
11:46 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE | Lien permanent | Commentaires (2)
12/09/2015
Vent sacré, une anthologie de la poésie féminine amérindienne, par Béatrice Machet
BÉATRICE MACHET
Vent sacré / Holy wind
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"À travers la diversité formelle et thématique de ces textes, c’est pourtant une même voix qui se dégage et une même émotion qui nous saisit", Joëlle Gardes, dans Place de la Sorbonne.
>
"Elles trouvent dans la poésie une manière de conjuguer la culture dominante occidentale et l'esprit traditionnel de la culture amérindienne. Certaines se sentent coupables de ne plus être assez « indiennes », de ne plus maîtriser leur propre langue indienne. Ainsi, Diane Glancy n'hésite pas à inventer de nouveaux mots à consonances indiennes.", Alain Hélissen dans Poezibao
« Ces poèmes sont exemplaires : ils mettent en lumière les procédés de déculturation à l'oeuvre de tout temps », Christian Degoutte dans Verso
Vent qui court au fil de treize chants, les chants de treize poétesses amérindiennes qui se découvrent chronologiquement. Treize chants écrits en américain, car même s’il est dit la volonté de ces femmes d’exprimer aujourd’hui un lien intime à une culture disparue, par là d’en permettre sinon la résurgence tout au moins un écho, leur poésie emprunte la langue des blancs. Cet emprunt est obligé, mais n’oblitère en rien le sacré dont le cri ne peut se donner en citations, mais doit se lire dans le fil intégral des textes, par respect. Je me souviens de lectures partagées avec Béatrice Machet dans le cadre du Scriptorium de Marseille ; je me souviens de son cri qu’elle poussait inévitablement à un moment ou à un autre, cri authentique en décibels concrets. Ce recueil est un beau cri, en forme d’offrande, en guise de mémoire, en refus de tous les mépris.
> Olivier Bastide, Dépositions
formats disponibles :
> epub, mobi, pdf
>
>
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14:51 Publié dans COPINAGE, LIVRES A LIRE ET A RELIRE | Lien permanent | Commentaires (0)
Raymond la science dans Combats de Goossens chez Fluide Glacial
12:05 Publié dans LIVRES A LIRE ET A RELIRE | Lien permanent | Commentaires (0)
01/09/2015
"Comment les États-Unis ont fait le monde à leur image. La Politique étrangère américaine et ses penseurs"
un livre de Perry Anderson
Traduit de l’anglais par Philippe-Étienne Raviart
320 pages (12 x 21 cm) 22.00 €
À paraître le 21/09/2015
Le pouvoir dont disposait la Maison Blanche n'a jamais cessé de croître. Entre l'époque de Truman et celle de Reagan, le personnel de la présidence a été multiplié par dix. La CIA, qui s'est développée de façon exponentielle depuis sa création en 1949, est une armée privée à la disposition du Président. Les "déclarations de signature" lui permettent de vider de leur substance les lois votées par le Congrès. Obama a hérité de ce système arbitraire de pouvoir et de violence, et il l'a même étendu. Comme le dit Benjamin Rhodes, rédacteur de ses discours : "Ce que nous essayons de faire, c'est que les États-Unis soient encore les leaders pendant les cinquante ans à venir." Mais le Président n'est pas homme à se contenter d'une moitié de siècle : ce siècle-ci tout entier, a-t-il expliqué, sera comme le précédent, le siècle des États-Unis.
Au XXe siècle, les États-Unis mènent une politique étrangère qui en a fait la puissance hégémonique mondiale. Mais c’est une hégémonie à double face, qui leur impose à la fois de garantir l’ordre capitaliste et de favoriser les intérêts des entreprises, des banques et des lobbies américains. Une difficulté qu’aggrave leur économie, prise dans l’interdépendance croissante des économies rivales et de plus en plus soumise au développement du crédit.
Retraçant l’histoire de cette politique étrangère, étudiant ses stratèges et les problèmes auxquels elle est confrontée, Perry Anderson met en garde ceux qui sous-estimeraient la durée de vie de l’empire américain : « Sur le plan politique, son sort n’est pas encore réglé. »
Historien britannique, Perry Anderson est l’un des fondateurs de la New Left Review, qu’il a dirigée pendant plus de quarante ans. Il a notamment publié, en français aux éditions Agone, "Le Nouveau Vieux Monde" (2010) et, avec Wang Chaohua, "Deux révolutions. La Chine au miroir de la Russie" (2014).
http://agone.org/contrefeux/commentlesetatsunisontfaitlemondealeurimage/
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27/08/2015
Les Courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, de Sylvain Laurens
Pour un lobbyiste, connaître des bureaucrates plus ou moins
personnellement permet de savoir quand il est encore utile de pousser
une position et quand, à l’inverse, il ne sert à rien de se montrer
insistant : « En fait, le Parlement européen, si tu veux faire une
analogie, c’est comme si tu avais une table de poker ; et à cette table
de poker-là, les gens doivent montrer leur jeu. Au Parlement, tu dois
montrer ton jeu. Donc les libéraux c’est ça, la droite c’est ça et les
socialistes c’est ça. Tu lis les amendements, tu vois d’où ça vient. Et
le type de la Commission qui bosse là-dessus depuis deux ans à fond, il
voit tout de suite dans le style de la rédaction, dans l’idée qui est
poussée, comment ça a été amené et à quelle industrie il a affaire. »
À partir d’archives inédites et d’observations réalisées auprès des
lobbys patronaux, ce livre analyse les relations qu’entretiennent les
représentants des intérêts économiques avec les agents de la Commission
européenne.
Pour parvenir à leurs fins, les lobbyistes doivent se fondre dans les
logiques de productivité de l’administration communautaire : les plus
grandes firmes apprennent ainsi à manier le jargon des technocrates pour
maintenir leur position, et enrôlent des experts scientifiques pour
répondre aux attentes pratiques de tel ou tel chef de bureau. Et les
liens intimes qu’entretient le capitalisme avec la bureaucratie se
voient quotidiennement réactualisés.
Sociologue à l'EHESS, Sylvain Laurens est l'auteur d'"Une politisation
feutrée. Les hauts fonctionnaires et l'immigration en France" (Belin,
2009). Ses recherches se situent à l'intersection de la socio-histoire
de l’État et de la sociologie des classes dominantes.
Parution le 14 septembre 2015
416 pages (12 x 21 cm) 22.00 €
ISBN : 978-2-7489-0239-6
http://agone.org/lordredeschoses/lescourtiersducapitalisme
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