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17/08/2015

Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Eduardo Galeano

 

 Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Claude Couffon

Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Eduardo Galeano
147 p. Edition Pocket
 
 

Il y a des auteurs qu’on ne découvre que lorsqu’ils disparaissent. Ce fut malheureusement mon cas pour l’uruguayen Eduardo Galeano, que je n’ai connu que cette année. Pour d’autres, c’était déjà un auteur incontournable pour comprendre l’Amérique latine, notamment à travers l’ouvrage qui l’a fait connaître : Les veines ouvertes de l’Amérique latine (Las veinas abiertas de América latina). Près d’un demi-siècle après sa parution, ce brillant essai, qui relate le traitement de l’Amérique latine depuis Christophe Colomb jusqu’à nos jours, est malheureusement très ancré dans la réalité actuelle ; permet de comprendre les problèmes contemporains et persistants du nouveau continent, et nous interroge sur les fondements du mode de vie confortable dans lequel nous baignons en Europe et en Occident.

La conquête de l’Amérique par les Espagnols et Hernán Cortés a été très sanglante, on le sait. Et a été facilitée par une certaine passivité des Indiens. Au Pérou cependant, un dénommé Túpac Amaru, descendant direct des empereurs Incas, décréta la liberté des esclaves, et initia un mouvement de résistance, puis de révolution. Lui et ses guérilleros vaincus, il sera humilié et torturé en public à Cuzco, avec sa femme et ses enfants, puis décapité. Sa tête et ses quatre membres seront envoyés dans cinq lieux différents.

La dignité indienne éliminée, le pillage de l’or et de l’argent peut être sans limites. Galeano raconte avec éloquence cette période guidée par la soif d’or et d’argent des conquérants, parfois à la limite de la folie. Les descriptions des conditions de  travail des mines sont assez écœurantes. Les exemples de cruauté infligée aux esclaves ne manquent pas. Et on apprend aussi que la Bolivie, aujourd’hui un pays très pauvre, fut un des pays les plus riches au monde en matière de ressources, qui a largement contribué au développement des grandes puissances, ceci au prix de la vie de huit millions d’Indiens. Mais sur tout le continent, c’est bien plus d’Indiens qui disparaîtront suite à la conquête de Cortés : « Les Indiens de l’Amérique totalisaient pas moins de soixante-dix millions de personnes lorsque les conquistadors firent leur apparition. Un siècle et demi plus tard, ils n’étaient plus que trois millions et demi », nous dit l’auteur.

Après l’or et l’argent, le sucre. Le sucre, qu’on accuse aujourd’hui de tous les maux, le sucre, dont l’abus rend obèses nos enfants. Christophe Colomb le découvrit aux Îles Canaries avant de le planter en République Dominicaine, et plus tard à Cuba. Dès lors, le sucre rejoindra l’or et l’argent comme un des moteurs principaux de la conquête du continent. Et encore au XXème siècle, le sucre sera un enjeu essentiel de la suite de la conquête, cette fois en faveur des Etats-Unis. En 1965, ils n’hésitent pas à envoyer 40.000 marines en République Dominicaine pour rétablir l’ordre suite à une insurrection contre la dictature militaire. Ces mêmes marines étant « disposés à rester indéfiniment dans le pays en raison de la confusion régnante ». Jusqu’à la révolution cubaine, les relations entre les Etats-Unis et Cuba seront solidement guidées par la main mise des Etats-Unis sur le sucre cubain. Quant à Porto Rico, autre pays sucré, qui aujourd’hui ne parvient plus à payer sa dette, on apprend qu’il fut l’état des Etats-Unis avec le record de soldats ayant combattu au Viêt-Nam. Eduardo Galeano s’attarde également sur les enjeux liés au café, au chocolat, aux légumes, au pétrole.

Dans Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, la politique étrangère des Etats-Unis n’est pas montrée sous un jour favorable, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans la mesure où Eduardo Galeano cite constamment ses sources, ça en devient déprimant. Ni même le grand démocrate Abraham Lincoln, abolisseur de l’esclavage n’échappa pas au rêve d’annexer toute l’Amérique latine, « destin manifeste » de la grande puissance sur ses pendants naturels. Au début du XXème siècle, Théodore Roosevelt, président des Etats-Unis et prix Nobel de la paix, réalisera une partie de ce rêve en amputant une partie de la Colombie, le canal de Panama : « J’ai pris le canal », dira-t-il fièrement. Il ressort de cette lecture, pour faire court, mais sans trop caricaturer, que les Etats-Unis veulent être partout en Amérique du Sud, et que tout ce qui ne va pas dans leur intérêt mérite une intervention de leur part. Ainsi, on comprend pourquoi ils soutiennent tous les régimes autoritaires qui leur fournissent de la main d’œuvre à bas prix, et n’hésitent pas à déloger eux-mêmes les éléments qui les gênent. Au Mexique, durant les dix ans de guerre entre Emiliano Zapata et le dictateur Porfirio Diaz, ils n’hésiteront pas à bombarder les Zapatistes et a leur envoyer les Marines. Durant vingt ans, ils occuperont Haïti, y introduiront le travail forcé, et tueront 1500 ouvriers en une seule opération de répression. Les exemples de ce type ne manquant pas dans l’ouvrage, sans avoir d’a priori sur la politique étrangère des Etats-Unis dans ce continent, il n’est pas difficile de s’en sentir mal à l’aise.

L’essai permet aussi de mieux cerner les problèmes de l’Amérique latine d’aujourd’hui, et de mieux appréhender les forces politiques qui y émergent. Juan Perón, populiste de droite en Argentine, a le mérite d’avoir nationalisé les entreprises de son pays. Le Venezuela des années 70, bien avant Chavez puis ses problèmes de violence actuels, était déjà un des pays les plus violents au monde, dont l’économie reposait uniquement sur le pétrole, ceci au bénéfice d’une petite minorité pour soixante-dix pour cent de laissés pour compte et une moitié d’enfants et adolescents non scolarisés. Quant à Cuba, en 1960, l’ex-ambassadeur nord-américain déclarera que « jusqu’à l’arrivée de Castro au pouvoir, les Etats-Unis avaient une telle influence sur Cuba que l’ambassadeur nord-américain était le second personnage du pays, parfois même plus important que le président cubain ».

S’il laisse un peu trop de côté les responsabilités locales (des gouvernements) pour se focaliser uniquement sur les intérêts extérieurs, l’auteur se penche sur la place des Indigènes dans les sociétés d’Amérique du sud actuelle. Le peu qui en ressort est assez effarant et mériterait d’être plus largement traité. On apprend qu’une enquête des années 60 révélait que si les Paraguayens ne cessent de rendre hommage à l’esprit guarani, et pis, ont quasiment tous du sang indien, huit Paraguayens sur dix considéraient que « les Indiens sont comme des animaux ». Et selon l’auteur, d’une manière générale « les Indigènes sont incorporés au système de production actuel et à l’économie de marché, bien que ce ne soit pas de forme directe. Ils participent, comme victimes, à un ordre économique et social où ils jouent le rôle difficile des plus exploités parmi les exploités ».

Quatre ans de recherche ont permis à l’auteur de dresser cet inventaire sans précédent des intérêts extérieurs en Amérique latine. Une part d’Histoire méconnue chez nous, et encore trop cachée là-bas, qui laisse difficilement insensible, et fait souvent froid dans le dos. Aucune grande puissance n’est réellement épargnée (ni la France, ni l’Angleterre, ni les Pays-Bas), mais la politique extérieure qui a les conséquences les plus dramatiques vient des Etats-Unis, qui prennent le relais des Espagnols après  la chute de l’empire espagnol. Cet ouvrage politique et économique pour le grand public, vulgarisé, qui pourrait presque s’appeler « La politique économique en Amérique latine pour les nuls » cite constamment ses sources, ne verse jamais dans l’anti-américanisme primaire, et encore moins dans les sordides théories complotistes qui viennent parasiter l’extrême-gauche de nos jours. On sort probablement déconcerté, déprimé par cet essai, et on en sort certainement grandi, car plus instruit. Plus curieux également, car il y a des épisodes dont on aimerait savoir plus. Trois cents pages de livre ne sont malheureusement pas suffisantes pour relater six siècles d’histoire d’un continent.

A l’heure actuelle, la main mise des intérêts extérieurs en Amérique latine n’a pas flanché. Au Mexique, avec l’accord du gouvernement mexicain, les Etats-Unis ont déjà acheté une partie de la compagnie pétrolière Pemex et continuent de construire à Cancún des hôtels où on paye en dollars, et dont l’argent va principalement aux Etats Unis. Quant à Coca-Cola, qui possède de l’eau en bouteille, il n’a aucun intérêt à ce que l’eau des éviers mexicains soit potable.

Karl Marx a dit, comme chacun sait « la religion est l’opium du peuple ». Pour l’Amérique latine, cette partie du monde qui baigne dans le Catholicisme, Eduardo Galeano conclut son ouvrage ainsi : « Il y en a qui croient que le destin repose sur les genoux des dieux, mais la vérité c’est qu’il relève, comme un défi incandescent, de la conscience des hommes ». Un appel à la connaissance et à l’action donc. Espérons qu’il puisse être entendu.

 

par Alexis Brunet  sur http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

04/06/2015

« La dette publique est une blague ! La vraie dette est celle du capital naturel »

 

2 juin 2015 / Entretien avec Thomas Piketty

 

Alors que le chômage atteint un record, montrant l’inanité de la politique néo-libérale, l’économiste Thomas Piketty rappelle que l’inégalité est au coeur du malaise actuel. Il pourfend les croissancistes. Et appelle à une refonte de la pensée économique pour prendre en compte « le capital naturel ».


Reporterre - Quelle idée principale inspire votre livre, Le Capital du XXIe siècle ?

Thomas Piketty - Mon travail déconstruit la vision idéologique selon laquelle la croissance permettrait spontanément le recul des inégalités. Le point de départ de cette recherche est d’avoir étendu à une échelle inédite la collecte de données historiques des revenus et les patrimoines. Au XIXe siècle, les économistes mettaient beaucoup plus l’accent sur la distribution des revenus que cela n’a été le cas à partir du milieu de XXe siècle. Mais au XIXe siècle, il y avait très peu de données. Et jusqu’à récemment, ce travail n’avait pas été mené de manière systématique, comme on l’a fait, sur plusieurs dizaines de pays sur plus d’un siècle. Cela change beaucoup la perspective.

Dans les années 1950 et 1960 dominait une vision très optimiste, formulée notamment par l’économiste Kuznets, selon laquelle, une réduction spontanée des inégalités s’opérait dans les phases avancées du développement industriel. Kuznets avait en effet constaté dans les années 1950 une réduction par rapport aux années 1910. C’était en fait lié à la Première guerre mondiale et à la crise des années 1930. Kuznets en était conscient. Mais dans l’ambiance de la guerre froide, il y avait besoin de trouver des conclusions optimistes pour expliquer – en particulier aux pays en développement : « Ne devenez pas communistes ! La croissance et la réduction des inégalités vont la main dans la main, il suffit d’attendre. »

Or, aux Etats-Unis et dans les pays développés, les inégalités sont revenus aujourd’hui à des niveaux très élevés, équivalents à ceux que Kuznets avait mesurés dans les années 1910. Mon travail décompose ces évolutions, avec comme thème central le fait qu’il n’y a pas de loi économique inexorable conduisant, soit à la réduction des inégalités, soit à leur diminution. Il y a un siècle, les pays européens étaient plus inégalitaires que les Etats-Unis. Aujourd’hui c’est le contraire. Il n’y a pas de déterminisme économique.

Vous montrez l’importance de la classe moyenne. Est-ce elle qui permet que l’acceptation de la remontée des inégalités ?

Le développement de cette « classe moyenne patrimoniale » est sans doute la principale transformation sur un siècle. Les 50 % les plus pauvres de la population n’ont jamais possédé de patrimoine et ne possèdent presque rien aujourd’hui. Les 10 % les plus riches qui, il y a un siècle, possédaient tout, soit 90 % ou plus du patrimoine, en possèdent aujourd’hui seulement 60 % en Europe et 70 % au Etats Unis. Cela reste un niveau très élevé.

La différence est que vous avez aujourd’hui 40 % de la population qui, il y a un siècle, étaient aussi pauvres en patrimoine que les pauvres, a vu sa situation se transformer durant le siècle : ce groupe central a possédé dans les années 1970 jusqu’à plus de 30 % du patrimoine total. Mais cela a tendance à se réduire et on est plus près aujourd’hui de 25 %. Alors que les 10 % les plus riches continuent à voir leur richesse s’accroître.

Le fait que ce bloc central voit sa situation se contracter explique-t-il que les tensions sociales se durcissent ?

Oui. Il peut se produire une remise en cause générale de notre pacte social, si beaucoup de membres de la classe moyenne patrimoniale ont l’impression de perdre, alors que les plus riches parviennent à s’extraire des mécanismes de solidarité. Le risque est que des groupes de plus en plus larges finissent par se tourner vers des solutions plus égoïstes, de repli national, à défaut de pouvoir faire payer les plus riches. Une des évolutions les plus inquiétantes est ce besoin qu’ont les sociétés modernes à donner du sens aux inégalités d’une façon insensée en essayant de…

… de légitimer

… de justifier l’héritage ou la captation de rentes, ou le pouvoir, tout simplement. Quand les dirigeants d’entreprise se servent dix millions d’euros par an, ils le justifient au nom de leur productivité. Les gagnants expliquent aux perdants que tout cela est dans l’intérêt général. Sauf qu’on a bien du mal à trouver la moindre preuve que cela sert à quelque chose de payer les chefs d’entreprise dix millions d’euros plutôt qu’un million.

Aujourd’hui, le discours de stigmatisation des perdants du système est beaucoup plus violent qu’il y a un siècle. Au moins, avant, personne n’avait le mauvais goût d’expliquer que les domestiques ou les pauvres étaient pauvres du fait de leur manque de mérite ou de vertu. Ils étaient pauvres parce que c’était comme cela.

C’était l’ordre social.

Un l’ordre social qu’on justifiait par le besoin d’avoir une classe qui puisse se consacrer à autre chose que la survie, et se livrer des activités artistiques ou militaires ou autres. Je ne dis pas que cette justification était bonne, mais elle mettait moins de pression psychologique sur les perdants.

Ces perdants, cette classe moyenne centrale peut-elle glisser vers un repliement vers soi selon des logiques d’extrême droite ?

C’est certain. C’est le risque principal et on peut craindre en Europe le retour à des égoïsmes nationaux. Quand on n’arrive pas à résoudre les problèmes sociaux de façon apaisée, il est tentant de trouver des coupables ailleurs : les travailleurs immigrés des autres pays, les Grecs paresseux, etc.

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Thomas Piketty

Un aspect important de votre travail concerne la ‘croissance’ de l’économie. Il rappelle que des taux de croissance élevés de l’ordre de 5 % par an sont historiquement exceptionnels.

Il faut s’habituer à une croissance structurellement lente. Même se maintenir à 1 ou 2 % par an suppose d’inventer des sources d’énergie qui, pour l’instant, n’existent pas.

Sans énergie abondante, n’y a-t-il pas de possibilité de croissance à 1 ou 2 % ?

Il y aura un moment où cela ne va plus coller. Depuis la révolution industrielle, de 1700 jusqu’en 2015, la croissance mondiale a été de 1,6 % par an, dont la moitié pour la croissance de la population (0,8 %) et la moitié (0,8 %) pour le PIB (produit intérieur brut) par habitant. Cela peut paraître ridiculement faible pour ceux qui s’imaginent qu’on ne peut pas être heureux sans un retour aux Trente glorieuses de 5 % par an. Mais 1,6 % de croissance par an pendant ces trois siècles a permis de multiplier par dix la population et le niveau de vie moyen, parce que, quand cela se cumule, c’est en fait une immense croissance. Et la population mondiale est passée de 600 millions en 1700 à 7 milliards aujourd’hui.

Pourrions-nous être plus de 70 milliards dans trois siècles ? Il n’est pas sûr que ce soit souhaitable ni possible. Quant au niveau de vie, une multiplication par dix est une abstraction.

La révolution industrielle au XIXe siècle a fait passer le taux de croissance qui était très proche de 0 % dans les sociétés agraires pré-industrielles à 1 ou 2 % par an. Cela est extrêmement rapide. Et c’est uniquement dans les phases de reconstruction après des guerres ou de rattrapage accéléré d’un pays sur d’autres que l’on a 5 % par an ou davantage.

Les responsables politiques, la plupart de vos collègues économistes, les journalistes économiques, tous espèrent encore une croissance de 2 ou 3 % par an, certains rêvent même des 6 ou 7 % de la Chine.

Le discours consistant à dire que sans retour à 4 ou 5 % par an de croissance, il n’y a pas de bonheur possible est absurde, au regard de l’histoire de la croissance.

Pourtant, vous avez employé le terme de « croissance forte » dans un article signé avec des économistes allemands et anglais.

Pour moi, 1 ou 2 %, c’est une croissance forte ! Sur une génération, c’est une très, très forte croissance !

Sur trente ans, une croissance d’1 %ou de 1,5 % par an signifie une augmentation d’un tiers ou de la moitié de l’activité économique à chaque génération. C’est un rythme de renouvellement de la société extrêmement rapide. Pour que chacun trouve sa place dans une société qui se renouvelle à ce rythme, il faut un appareil d’éducation, de qualification, d’accès au marché du travail extrêmement élaboré. Cela n’a rien à voir avec une société pré-industrielle où, d’une génération sur l’autre, la société se reproduit de façon pratiquement identique.

Mais à l’inverse, l’idée qu’aucune croissance n’est possible me semble également dangereuse. C’est un processus qui, reproduit sur plusieurs générations, est assez effrayant, il n’y a plus d’humanité.

Cette possibilité de croissance démographique ramenée à zéro ou à des niveaux négatifs redonne de l’importance au patrimoine accumulé. Cela nous remet dans une société des héritiers que la France a connu avec acuité au XIXe siècle du fait de la stagnation de la population.

Cela a-t-il un sens de continuer à parler de croissance du PIB quand l’activité économique a un énorme impact sur l’environnement ?

Mieux comptabiliser le capital naturel est un enjeu central. La dégradation du capital naturel est un risque autrement plus sérieux que tout le reste. Cela est la véritable dette. La ‘dette publique’ dont on nous rabâche les oreilles est une blague ! C’est un pur jeu d’écriture : une partie de la population paye des impôts pour rembourser les intérêts à une autre partie de la population. Mais on n’est pas endetté vis-à-vis de la planète Mars !

Des dettes publiques, dans le passé, on en a déjà eu : 200 % du PIB en 1945 et l’inflation les a balayées. C’est d’ailleurs cela qui a permis à la France et à l’Allemagne d’investir durant les années 50-60, de financer les infrastructures et le système éducatif. Si on avait dû rembourser cette dette avec des excédents primaires - comme on demande aujourd’hui à la Grèce de le faire - on y serait encore.

Donc, la dette publique est un faux problème parce que les patrimoines financiers, immobiliers et marchands possédés par les ménages ont progressé beaucoup plus fortement que n’a progressé la dette publique. Cette augmentation des produits marchands est beaucoup plus importante que la dette publique qu’on pourrait rayer d’un trait de plume.

En revanche, si on augmente de 2°C la température de la planète d’ici cinquante ans, ce n’est plus un jeu d’écriture ! Et on n’a rien sous la main permettant de régler le problème de ce coût imposé au capital naturel.

Un PIB qui n’intègre pas le capital naturel a-t-il un sens ?

Le PIB n’a jamais de sens. J’utilise toujours le concept de Revenu national : pour passer du produit intérieur brut au revenu national, il faut retirer la dépréciation subie par le capital. Si une catastrophe a détruit votre pays, et que tout le pays est occupé à réparer ce qui a été détruit, vous pouvez vous retrouver avec un PIB extraordinairement élevé alors que le revenu national sera très faible.

Il faut prendre en compte ce qu’on a détruit, comptabiliser le capital naturel. Rendre compte de ce qu’on crée sans déduire ce qu’on a détruit est stupide.

Pourquoi n’y a-t-il pas plus de travail en comptabilité nationale pour élaborer cette comptabilité du capital naturel ?

On essaye d’étendre la World capital data base au carbone, avec les gens de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales), notamment. Mais vous avez raison, pour l’instant ce n’est pas étudié. Nos catégories d’analyse restent profondément marquées par les Trente glorieuses et par l’idéal de croissance infinie.

Le capital est très puissant, il détient beaucoup de pouvoir politique, il possède les medias. N’est-on pas dans une situation bloquée ?

Les évolutions passées laissent penser que les choses peuvent changer plus vite qu’on ne l’imagine. L’histoire des inégalités, des revenus, du patrimoine, de l’impôt, est pleine de surprises. Ce qui sortira de tout cela est parfaitement ouvert et il y a toujours plusieurs avenirs possibles. Après, il y a différentes façons de s’en sortir, plus ou moins rapides, plus ou moins justes, plus ou moins coûteuses.

- Propos recueillis par Hervé Kempf



Source : Hervé Kempf pour Reporterre

Photos :
. Thomas Piketty : © Hervé Kempf/Reporterre
. Banque grecque : Flickr (CC)

 

Source : http://www.reporterre.net/La-dette-publique-est-une-blagu...

 

 

03/06/2015

Ma Fille Folie (Mia Figlia Follia),, Savina Dolores Massa

mars 2015, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Edition: Editions de l'Ogre

Ma Fille Folie, Savina Dolores Massa
 
200 p. 21 €   
 

Ma Fille folie est le récit d’une illumination, celle de l’impossible fécondation puis de l’incroyable maternité de Maddalenina, la folle du village, une invalide de cinquante ans. Bénie par les saints et pénétrée par un cierge consacré, elle se voue à trois époux dont elle appelle l’attention et l’amour par sa présence silencieuse : un jeune garçon, descendant d’une noble famille décadente, un professeur humilié par ses amours inverties, un paysan solitaire et stérile comme les terres qu’il s’obstine à labourer. Chacun dévoilant peu à peu ses secrets sous l’œil limpide de la Mère que tous ignorent ; chaque apparence de respectabilité se fissurant devant cette vieille petite fille, mal fagotée, mal chaussée.

Maddalenina s’en vient visiter Maria Carta, la guérisseuse devenue muette, vieille femme assise devant sa maison, vouée à l’observation d’un prunier aussi décrépi qu’elle. Maddalenina lui confie toutes ses pensées, ses sensations de future mère, elle lui raconte ses extases, ses espoirs et revient sur son enfance, sa vie de femme mise à l’écart par tous les membres du village sarde. Dans sa langue malhabile et crue, elle pose d’incessantes questions, elle met à nu son être innocent, et sans s’en rendre compte, les travers de tous les bien-pensants qui se vautrent dans le vice, tout en jouant les grenouilles de bénitiers.

Saluons le travail d’orfèvre du traducteur qui parvient à dénouer et renouer tous les fils de cette écriture protéiforme, nabron contenant tous les travaux d’aiguilles du récit.

« Plein de gens marchent toujours deux par deux, moi, quand il pleut, j’ai même pas mon ombre à côté. J’aime bien quand je me vois double dans une vitre, ça me fait un peu passer le mal au cœur que j’ai pas compris pourquoi il me vient, quand je fais un tour, le mal au cœur. Tu crois que je devrais en parler à mon docteur, de ce mal au cœur ? Mais celui-là il ne veut pas que j’aille à son cabinet, Va-t’en chez toi, il m’a dit la seule fois où j’y suis allée, C’est moi qui passerai te faire une visite ».

Maddalenina est repoussante et saine, elle pue et elle embaume les fruits de la terre, elle est obscène et sainte. En elle se rejoue une étrange trinité dont les figures masculines sont exclues : ici, s’imposent la Mère, la Fille et l’Esprit saint du corps féminin. La Vierge vit une conception maculée avec un improbable godemichet. Face à elle, face à sa logique aussi absurde qu’imparable, Maria Carta tente de résister, de s’accrocher à la vie, à ses souvenirs. Est-elle encore là, dans ce corps décharné, asséché, privé de sève ?

« La puanteur de sa merde annonce sa venue une demi-heure avant qu’elle n’arrive, même à ciel ouvert. Mais moi je suis sûre que ce n’est pas la raison pour laquelle on la chasse. Je crois que c’est parce qu’elle est vivante, malgré tout ce qu’elle combine d’étranger à leurs habitudes. Ses discours sans queue ni tête n’entrent pas dans leur logique habituelle. Ce n’est pas facile d’apprendre à comprendre d’autres langages. Ça fatigue. C’est un risque de voir remises en cause des certitudes héritées. Même moi elle m’épuise, elle est dépourvue de raison : nous le croyons et nous le disons. De la nôtre du moins. Nous lui disons, Va-t’en, comme à un chien dont nous craignons qu’il veuille nous mordre la grosse veine du cou ».

Voici un ouvrage qui a fait scandale en son pays, qui fera scandale ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’il nomme, hume et décrit la merde ? la jouissance ? Parce qu’il blasphème avec jubilation et sans revendications ? Parce qu’il s’affranchit du regard des hommes et des normes de la langue ? Parce qu’il rend floues les limites de la narration ? de la raison et de la folie ? de la vie et de la mort ? Parce que la marge dérange encore et toujours l’univers en place ?

Saine est la parole de la folle et bienvenu son questionnement. Saine est sa foi comme est grande sa corporalité. Splendide est la langue qui se joue et se démultiplie pour en rendre compte, et leur donner leur part de matérialité.

 

par Myriam Bendhif-Syllas

 

Savina Dolores Massa est une écrivain et une poétesse sarde. Ma Fille folie est son deuxième roman.

 

Source : http://www.lacauselitteraire.fr/ma-fille-folie-savina-dol...

 

 

 

 

 

 

 

 

06/05/2015

Nanotoxiques : une enquête de Roger Lenglet

 

J'ai entrepris cette enquête pour savoir si oui ou non les nanos représentent un danger pour le vivant. »

Roger Lenglet


Essais

Actes Sud

mars 2014

 

Les produits contenant des nanoparticules envahissent notre quotidien. Invisibles à l’œil nu, ces nouvelles molécules hightech laissent parfois deviner leur présence par les accroches publicitaires : aliments aux “saveurs inédites”, “cosmétiques agissant plus en profondeur”, “sous-vêtements antibactériens”, fours et réfrigérateurs “autonettoyants”, articles de sports “plus performants”, et armes plus destructrices…
Sans cesse, les ingénieurs en recherche et développement inventent de nouvelles applications des nanos qui sont commercialisées sans le moindre contrôle, au mépris de la réglementation les obligeant à tester la toxicité des substances avant de les vendre. Or, il s’avère que ces nanoparticules sont souvent redoutables – elles sont si petites que certaines peuvent traverser tous les organes, jouer avec notre ADN et provoquer de nombreux dégâts.
Grâce à son enquête aussi rigoureuse qu’explosive, Roger Lenglet a retrouvé les principaux acteurs des nanotechnologies. Il livre ici leurs secrets et les dessous de cette opération menée à l’échelle planétaire qui, avec le pire cynisme, continue de se déployer pour capter des profits mirobolants au détriment de notre santé.
Avec ce premier livre en français sur la toxicité des nanoparticules, Roger Lenglet tente de prévenir un nouveau scandale sanitaire d’une ampleur inimaginable.

http://www.actes-sud.fr/nanotoxiques-une-enquete-de-roger...

 

 

 

 

 

04/05/2015

Vient de paraître : ANNE BEFFORT ou comment donner du sens à sa vie de JJ Vitrac

Anne Beffort est l’exemple parfait d’une femme seule qui réussit sa vie avec succès malgré deux guerres mondiales et face à un monde d’hommes : sa passion pour la vie est merveilleusement contagieuse. De tels exemples sont assez rares et méritent d’être connus. C’est en plus une femme radieuse, optimiste, souvent drôle, d’un style de vie très moderne, gravitant dans un monde fascinant. Très connue au Luxembourg, elle n’avait pourtant pas de biographie. Et puis j’ai eu accès à des informations privilégiées car Anne Beffort est aussi ma cousine…

Anne Beffort nait au Luxembourg dans une famille de dix enfants, d’un père jardinier et d’une mère au foyer. A son époque, les filles ne peuvent pas faire d’études secondaires au Luxembourg et toute éducation supérieure leur est donc interdite ainsi que l’accès aux professions intellectuelles. Anne Beffort décide de s’attaquer seule à cette forteresse masculine. Après quelques études dans un couvent, elle part à Paris pour soutenir une thèse de doctorat à la Sorbonne en 1908. De retour au pays, elle crée le premier lycée de jeunes filles du Luxembourg et guide ses anciennes élèves vers les professions libérales. Poète et écrivain, elle publie deux recueils de « Souvenirs » et fréquente de nombreux auteurs français et étrangers. Au Luxembourg, elle a un timbre à son nom mais pas de biographie. Cette lacune est désormais comblée…

Jean-Jacques Vitrac est né à Paris, durant l’occupation allemande et la guerre. Après ses études de Droit et Sciences Economiques, il épouse une Allemande et décide de consacrer sa vie à la paix dans le monde.
Jean-Jacques Vitrac s’est installé aux Etats-Unis dans les années 1980 où il a l’occasion de créer son propre Cabinet de conseil politique international. Peu de temps après,  le Centre Français du Commerce Extérieur lui demande de participer à la rédaction d’un Guide d’Affaires sur la Californie (CFCE 1989).
Durant toute sa carrière, Jean-Jacques Vitrac crée des emplois, favorise l’égalité des chances et encourage, à la suite de Jacques Attali, le développement d’une économie positive, favorisant tous les acteurs économiques et pas seulement les actionnaires de l’entreprise. Il est cofondateur de l’Institut d’Etude de l’Economie Globale (Global Strategic Research Institute – GSRI) et milite également en faveur d’une participation croissante des femmes dans les entreprises comme en politique: c’est dans cette perspective que s’inscrit son dernier livre, une biographie d’Anne Beffort, première femme ayant obtenu un doctorat au Luxembourg en 1908. On doit à Anne Beffort, Officier de la Légion d’Honneur, le premier lycée de jeunes filles du Luxembourg et la création du Musée Victor Hugo de Vianden. Cette biographie, écrite par Jean-Jacques Vitrac et publiée par Edilivre, a reçu le Prix « Découverte » en 2014, au concours littéraire « Maestro ».

 

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ANNE BEFFORT ou comment donner du sens à sa vie
Auteur : Jean-Jacques Vitrac
Nombre de pages : 232
ISBN 13 :     978-2-86770-206-8
Prix : 18,50 euros
Editions Edilivre

 

 

28/04/2015

Marguerite Porète. L'inspiration de Maître Eckhart de Jean Bédard

       

Photo: - Archives Le Devoir

 VLB éditeur  Montréal, 2012, 364 pages

Marguerite Porète ? Cette poétesse et mystique de la fin du XIIIe siècle est des philosophes oubliés de l'histoire, de ces auteurs rayés par l'Inquisition pour avoir prôné, au mauvais moment, les valeurs de l'esprit libre. Jean Bédard poursuit, avec Marguerite Porète (VLB), son érudite série de romans historiques sur des figures spirituelles, brillantes et avant-gardistes.

En 1306, Guion de Cressonaert est secrétaire juridique. Il écrit, à la façon d'un greffier, les aveux que l'Inquisition obtient sous la torture. «Ceux qui prêchaient Dieu brûlaient des femmes et des hommes, pourchassaient les pauvres jusque dans les montagnes reculées. Clément V avait même déclaré hérétiques ceux qui, comme les dolciniens, défendaient l'idée que Jésus avait été pauvre. Jusqu'au général des franciscains qui avait dû fuir en Bohême pour défendre la pauvreté que les évêques avaient déplacée de la colonne des vertus vers la colonne des vices. L'Église enseignait désormais que Jésus avait possédé une bourse bien garnie», dira Guion de son époque, sous la plume de Jean Bédard.

Après des jours à voir les êtres aux supplices, sur la roue et sous les fers, Guion craque. Recueilli et soigné, malade d'esprit et de peau, par les béguines, il y découvrira un monde autre, pensé par les femmes autour des récoltes, des naissances et de l'accueil des malades, loin de l'obéissance aux «impératifs de la géographie des forces». Un monde libre, mené par la pensée de Marguerite Porète, humaniste, féministe avant l'époque, avant même le mot. Guion la suivra.

Après Nicolas de Cues (L'Hexagone), Maître Eckhart (Stock) et Comenius ou l'art sacré de l'éducation (JC Lattès), «c'est comme si j'avais analysé, jusqu'à la chirurgie presque, notre société basée sur la domination, explique Jean Bédard. Ça m'a permis de comprendre ce qu'était Marguerite Porète, à quel point sa pensée était originale. Elle a éclairé, à travers Maître Eckhart, tous les constructeurs de la liberté. Ç'a abouti avec Comenius et l'invention de la démocratie universelle.»

Avant la Réforme

Marguerite Porète est chef de file des béguines d'avant la Réforme. «C'était alors un mouvement d'envergure, explique le professeur de travail social à l'Université du Québec à Rimouski, avant le Concile de Vienne de 1310, qui va les condamner. Un mouvement qui vise l'autonomie économique, intellectuelle et spirituelle des femmes. Elles ont développé une économie des hôpitaux, dont les femmes étaient maîtres; une conception de la médecine, proche de l'herboristerie; un artisanat particulier pour obtenir cette autonomie économique; et un système de refuge, un peu comme les maisons de femmes d'aujourd'hui, pour protéger les filles contre des mariages impossibles. Porète a fait trembler des papes et des rois.»

Jean Bédard a la plume foisonnante, en essais et en romans historiques, très marqués par la philosophie et la spiritualité, jusqu'au mysticisme. On pense à Christian Bobin dans un ton autre, parfois un peu gonflé, toujours illuminé, jusque dans le style, par la philosophie étudiée. «Mes romans visent à changer de point de vue, explique l'auteur. Se regarder à partir du passé pour comprendre ce qui ne fonctionne pas maintenant. Il y a, dans nos racines, des choses à rejeter et à garder, du bon et du mauvais, des médicaments et des vomitifs. Toute société qui veut garder sa maladie, si je prends un langage de travailleur social, rejette ses propres médicaments. Je cherche ces philosophies dans nos racines, mais qui ont été expulsées et qui peuvent être guérisseuses.»

L'auteur poursuit: «Au médiéval, l'effroi des hommes face aux femmes est gigantesque. La misogynie arrive de partout, du christianisme comme des manuscrits de médecine arabe. Ainsi qu'on traite les femmes, on a souvent une vision similaire du paysage, de la nature, du désir, du corps. Dans les rapports paysans, on trouve une misogynie beaucoup moins grande, à cause de l'obligation concrète de la survie. Les hommes y ont besoin des femmes, les femmes des hommes, sinon tout le monde meurt.» Cette équité se perd avec l'élitisme de la pensée d'alors, qui veut le plus possible s'éloigner de la paysannerie.

Guion, dans le roman, est d'ailleurs bousculé entre le monde masculin et mortel de l'Inquisition et celui, sensoriel et empathique, des béguines. L'écriture en devient manichéenne. «Faire face à l'incertitude, c'est reconnaître qu'on dépend. Aujourd'hui encore, si on ne réalise pas qu'on dépend de la nature, on va mourir. Reconnaître cette dépendance demande de l'humilité, et on a "ben" de la misère avec ça.»

Ce monde en deux tons, Jean Bédard l'a rencontré tout jeune. «On avait refusé ma mère dans les ordres, parce qu'elle n'avait pas la santé pour être soeur. Mon père était sorti des frères parce qu'il ne pouvait se passer des femmes. Je viens d'un quartier très ouvrier de Montréal. Ma mère recevait des filles-mères pour les protéger. J'étais le seul gars, avec trois soeurs, et j'ai grandi dans ce milieu où on me mettait un bébé dans les bras si tout le monde avait les mains pleines. Quand je sortais de la cour, je voyais la violence omniprésente de Montréal: les Italiens qui arrivaient; les Anglais; ça se battait. La différence entre ma famille et le milieu était trop forte. Un monde de fou. Un monde macho, surtout, basé sur la mort, et j'ai voulu autre chose.»

Jean Bédard est à instaurer avec sa conjointe la Ferme sage Terre, qui, par la très terre-à-terre agriculture, vise la réinsertion sociale, le travail communautaire, la participation sociale et l'enseignement de la philosophie. «Depuis l'ère du bronze, les cultures de domination basées sur la misogynie ont éradiqué les cultures qui vivaient d'autres types de rapports, rappelle l'auteur. Aujourd'hui, nos moyens de domination — qu'ils soient de guerre ou industriels — sont tels qu'on peut complètement se détruire. Nos outils sont si dangereux, si gros, qu'on doit se corriger intérieurement.»

Jean Bédard pourrait-il écrire un roman contemporain? «Quand je regarde le monde, je vois une folie collective hautement périlleuse, qui n'empêche pas les belles choses, mais hautement périlleuse. Il faut être capable de se voir, d'affronter, sans complaisance. On ne peut se regarder soi-même avec un regard fourni par soi-même, dans un système autoréférentiel. C'est mortel. L'histoire donne une perspective.»

***

Marguerite Porète serait née autour de 1250, peut-être à Valenciennes, en France.

Le premier livre de cette béguine traite d'amour courtois. Il est brûlé sur la place publique par ordre de l'évêque de Cambrai.

Porète récidive avec Le miroir des âmes simples et anéanties. Pour elle, le corps ne porte aucune culpabilité; l'amour doit se vivre libre et sans marchandage; toute âme peut être touchée par le divin sans passer par un intermédiaire ecclésiastique.

Le miroir des âmes lui vaut le statut d'hérétique et le bûcher.
 
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publié le 17 mars 2012 par Catherine Lalonde 
 
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08/04/2015

« Detroit : pas d'accord pour crever. Une révolution urbaine »

de Dan Georgakas & Marvin Surkin


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http://agone.org/memoiressociales/detroitpasdaccordpourcrever


Traduit de l'anglais par Laure Mistral


« Detroit, 1968. En dépit des belles intentions de la gauche libérale,
 les conditions de vie, de travail et d'éducation étaient si rudes pour
 les noirs que la Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires trouva un
 public tout acquis. La ville s'enlaidissait toujours davantage, au
 physique comme au moral. Elle détenait le record national de violence.
 Celle qui s'était autoproclamée "l'arsenal de la démocratie" durant la
 Seconde Guerre mondiale était surnommée dans les journaux "Murder City,
 USA". Encore et encore, alors que les politiques libérales échouaient
 dans les écoles, les usines et la rue, la réalité que les noirs et leurs
 alliés avaient à affronter, c'étaient les revolvers et les matraques de
 la police. » Créée par des ouvriers noirs de l'industrie automobile, la
 Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires a réuni dans la lutte
 noirs et blancs, ouvriers et intellectuels, hommes et femmes. Son
 ancrage à Detroit, incarnation par excellence de la faillite du
 capitalisme industriel et de l'abandon de toute une population par les
 élites politiques et économiques, en fait un exemple unique d'expérience
 de résistance syndicale, politique et culturelle. Pour l'historien
 Manning Marable, biographe de Malcolm X, plus encore que les
 organisations de lutte pour les droits civiques ou que le Black Panther
 Party, la Ligue est « l'expression la plus marquante de la pensée noire
 d'extrême gauche et de l'activisme des années 1960 ». Devenu un
 classique aux États-Unis, ce livre est le premier à paraître sur ce
 sujet en français. Dan Georgakas est écrivain, historien et militant,
 spécialiste de l'histoire orale et du mouvement ouvrier américains.
 Spécialiste des politiques urbaines, Marvin Surkin a fait partie de la
 Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires.

366 pages (12 x 21 cm) 24 €
ISBN 978-2-7489-0226-6

 

 

 

21/03/2015

Josef Schovanec - L'autisme pour les nuls

 

Josef Schovanec a présenté avec humour sur France 5 son livre "L'autisme pour les nuls" et plaidé pour qu'on change de regard sur cette particularité. Retrouvez son intervention en intégralité ici : http://www.france5.fr/…/c-l-ac…/les-invites-de-l-actu_311...
Et son "TED" talk ici : http://www.tedxalsace.com/speaker/josef-schovanec/

 

17/03/2015

Parution de « Sauver la planète. Le message d’un chef indien d’Amazonie »

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Éd. Albin Michel / 2015

Corine Sombrun se fait la plume d’Almir Narayamoga Surui, afin de raconter l’histoire d’un peuple et le destin d’un homme devenu représentant de la cause des Indiens Suruí et de la sauvegarde des ressources naturelles de la planète.  Né en 1974, cinq ans après la visite du premier homme blanc dans le territoire des Indiens Suruí, au nord-ouest du Brésil,  Almir Surui est considéré comme l’un des plus grands activistes autochtones d’Amérique du Sud.  Prenant part à de nombreuses conférences internationales sur le changement climatique et le développement durable, il travaille également à présenter son projet de compensation carbone, consistant à demander aux plus gros pollueurs d’acheter des crédits- carbone qui pourraient permettre de financer la protection de la forêt amazonienne.
Récompensé à Genève par le Prix des Droits de l’Homme et classé parmi les cent personnalités les plus importantes du Brésil, son combat contre la déforestation a fait de lui l’ennemi de nombreux exploitants forestiers, qui en 2007 ont placé un premier contrat de 100 000$ sur sa tête. Il a alors été évacué en Californie, où loin de se décourager, il a souhaité rencontrer les dirigeants de Google et leur présenter son projet : utiliser Google Earth pour montrer la détérioration galopante de la forêt amazonienne, ses conséquences pour l’environnement de la planète tout entière et celles, plus immédiates, pour les 400.000 Indiens du Brésil qui y vivent encore.

Le livre, lettre ouverte d’Almir Suruí à ses enfants, au cas où il serait assassiné, alterne entre son parcours personnel, son combat contre la catastrophe écologique qui menace l’humanité et l’histoire et les traditions de son peuple, les Paiter-Surui, surnommés “Les indiens Hi-tech” par la presse internationale.

 

http://www.albin-michel.fr/Sauver-la-plan-egrave-te-EAN=9...

 

 

Almir Narayamoga Surui, invité de 28 minutes sur Arte le 18 mars 2015:

 

 

 

 

 

 

06/03/2015

Alexa Brunet & Patrick Herman - Dystopia

éditions le bec en l’air, 28 x 22 cm | 80 pages | 30 photographies, impression en couleurs | couverture toilée, ISBN 978-2-36744-071-2 | 28 €

Dystopia - MAIN BASSE SUR L’AGRICULTURE

Photographies d'Alexa Brunet
Textes de Patrick Herman
Préface de Gilles Clément

Vous avez été nombreux à suivre le projet photographique Dystopia. Un portfolio de six pages paraîtra dans le prochain numéro de Fisheye magazine et la maquette du livre est presque terminée.
A l'heure actuelle il nous manque encore une centaine de souscriptions pour pouvoir financer l'impression de l'ouvrage à paraître aux éditions le bec le l'air début 2015. Jusqu'au 30 novembre, vous pouvez souscrire au projet d'édition et recevoir le livre chez vous dès sa sortie : http://www.alexabrunet.com/souscription.pdf

Composé de trente photographies d’Alexa Brunet, accompagnées de textes de Patrick Herman, Dystopia propose une approche anticipative originale de ce qui a bouleversé le milieu agricole français depuis la Seconde Guerre mondiale.
Par le jeu de mises en scène photographiques, les auteurs cherchent à montrer ce qui nous attend si rien ne change. Avec un humour distancé, ils dénoncent avec force les dérives et les logiques d’un système.

 
 

04/03/2015

Le business des faillites - Enquête sur ceux qui prospèrent sur les ruines de l'économie française - Cyprien BOGANDA

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Janvier 2015

16 €
ISBN : 9782707183484
Dimensions : 155 * 240 mm
Nb de pages : 240

 

En France, près de 180 entreprises font faillite... chaque jour ! Depuis le début de la crise de 2008, plus de 300 000 d'entre elles ont déposé le bilan, bouleversant la vie d'un million de salariés. Mais le malheur des uns fait les affaires d'une poignée d'autres. Les entreprises en difficulté attirent une faune hétéroclite, où se croisent fonds d'investissement, cabinets d'experts, managers de crise ou mandataires judiciaires. Aujourd'hui, quelques milliers de personnes « vivent » en France de la crise des entreprises. Et elles en vivent plutôt bien.
Ce « business » ne date pas d'hier. Dès les années 1980, des grands noms du capitalisme hexagonal tels que Bernard Arnault, François Pinault ou Vincent Bolloré ont bâti leur fortune en rachetant, sous l'oeil bienveillant des pouvoirs publics, des canards boiteux, qu'ils revendaient au prix fort après restructuration.
Depuis dix ans, la multiplication des plans sociaux a engendré une véritable industrie de la faillite. Dressant un portrait édifiant des acteurs de ce secteur en croissance et revenant sur les affaires qui ont défrayé la chronique ces dernières années (Danone, Doux, Heuliez, PSA, Samsonite, Florange, etc.), l'enquête de Cyprien Boganda révèle les dessous de cette machine qui prospère sur les ruines de l'économie française.

 

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_bus...

 

 

          

 

27/02/2015

Je hais les matins de Jann-Marc Rouillan - Nouvelle édition, revue et actualisée

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(Première édition : Denoël, 2001)

288 pages (11x18 cm)            
12.00 € ISBN 978-2-7489-0225-9
à paraître le 13 mars 2015

« Voici plus de treize ans que je matricule en rond. J’ai beaucoup désappris. J’ai désappris la nuit. Il ne fait jamais nuit dans vos prisons. Nous sommes toujours sous les projecteurs au halo orangé, comme sur les autoroutes belges et les parkings de supermarché. J’ai désappris le silence. La prison ne connaît pas le silence. Il s’en écoule toujours une plainte, un cri, une rumeur. » « Plus de pendu aux branches, nous sommes à l’époque du capitalisme démocratique, de la représentation idéologique du “No letal system”. Intra-muros, on assassine par “fatalité” juridico-administrative. On élimine le non-compatible. On le dissout dans l’acide du temps. On le crève comme une bactérie. »

Depuis la prison de Lannemezan où il purge une condamnation à perpétuité et a déjà passé 4 750 matins, Jann-Marc Rouillan décrit son passé de militant d’Action directe, ses camarades, les grandes absentes que sont les femmes, son quotidien de taulard. Entre parloirs et transferts arbitraires, dans cet univers saturé de violence, toujours à la limite de la folie, la fidélité à ses engagements politiques devient pour lui une question de survie, face à cette autre forme de peine de mort qu’est la lente déshumanisation imposée par l’incarcération.
 

Né en 1952 à Auch, Jann-Marc Rouillan a été incarcéré de 1987 à 2011 pour ses activités au sein du groupe Action directe. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a publié chez Agone Lettre à Jules (2004), La Part des loups (2005), Chroniques carcérales (2008), Paul des Épinettes et moi (2010), De Mémoire I, II, III (2007, 2009, 2011). Dernier livre paru, Le Tricard. Chronique du dehors d’un interdit de séjour (Al Dante, 2013).






22/02/2015

Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, le nouvel essai de Naomi Klein

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en librairie le 25 mars prochain

Coédition Actes Sud/Lux

Notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre. Nous ne pouvons infléchir les lois de la nature, mais nos comportements, en revanche, peuvent et doivent radicalement changer sous peine d’entraîner un cataclysme. Pour Naomi Klein, la lutte contre les changements climatiques requiert non seulement une réorientation de nos sociétés vers un modèle durable pour l’environnement, mais elle ouvre aussi la voie à une transformation sociale radicale, transformation qui pourrait nous mener à un monde meilleur, plus juste et équitable. Tant par l’urgence du sujet traité que par l’ampleur de la recherche effectuée, Naomi Klein signe ici son livre sans doute le plus important à ce jour.

 

 

 

17/02/2015

Les Usurpateurs - Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir de Susan George

 

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Traduit par Myriam Dennehy

Date de parution 23/10/2014

Documents (H.C)

192 pages - 17.00 € TTC

 
 

Lobbyistes au service d’une entreprise ou d’un secteur industriel, PDG de transnationales dont le chiffre d’affaires est supérieur au PIB de plusieurs des pays dans lesquels elles sont implantées, instances quasi-étatiques dont les réseaux tentaculaires se déploient bien au-delà des frontières nationales : toute une cohorte d’individus ---qui n’ont pas été élus, ne rendent de comptes à personne et ont pour seul objectif d’amasser des bénéfices-- est en train de prendre le pouvoir et d’orienter en leur faveur des décisions politiques majeures, qu’il s’agisse de santé publique, d’agroalimentaire, d’impôts, de finance ou de commerce.

Ces usurpateurs s’ingèrent dans les affaires du monde à coups de financements et de renvois d’ascenseurs, s’infiltrent dans les Nations unies et, sous la houlette de Davos, œuvrent pour un monde à leur image. Ils décident du contenu de traités commerciaux stratégiques, qui se négocient dans le plus grand secret mais toujours sous l’œil attentif des représentants du secteur privé.

Cette clique entrepreneuriale tient les citoyens ordinaires sous sa coupe et ne s’embarrasse guère de l’intérêt public et du bien commun. Il est grand temps de les arrêter.


Franco-américaine, présidente d’honneur d’Attac-France, et présidente du conseil du Transnational Institute (Amsterdam), Susan George s’est engagée depuis longtemps dans les combats internationaux contre les effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste. Elle est l’auteur de nombreux essais, depuis le célèbre Comment meurt l’autre moitié du monde (1976), bestseller mondial, jusqu’à « Cette fois, en finir avec la démocratie », Le Rapport Lugano II (Seuil, 2012).

 

 

 

 

10/02/2015

Le livre noir des banques

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ATTAC & Basta!


Date de parution : 11/02/2015
ISBN : 979-10-209-0179-8
320 pages
14,5 x 22 cm

21.50 €


Disponible également en version numérique
Prix : 14.99 €


Des centaines de milliards d’euros : c’est ce qu’ont coûté les plans de sauvetage des banques françaises après le quasi-effondrement du système financier mondial en 2008, pris au piège de ses propres folies spéculatives. Indignation de l’opinion, grandes promesses de régulation : on allait voir ce qu’on allait voir pour recadrer une finance devenue « ennemie ».

Six ans plus tard, où en est-on ? Les banques sont-elles redevenues utiles à l’économie et à la société ? C’est tout le contraire !


 

Des centaines de milliards d’euros : c’est ce qu’ont coûté les plans de sauvetage des banques françaises après le quasi-effondrement du système financier mondial en 2008, pris au piège de ses propres folies spéculatives. Indignation de l’opinion, grandes promesses de régulation : on allait voir ce qu’on allait voir pour recadrer une finance devenue « ennemie ».

Six ans plus tard, où en est-on ? Les banques sont-elles redevenues utiles à l’économie et à la société ? C’est tout le contraire ! Elles paient toujours moins d’impôts et favorisent l’évasion fiscale. Elles continuent de spéculer sur les matières premières et financent des projets très polluants. Elles détournent l’épargne d’utilité sociale ainsi que les financements abondants et gratuits reçus de la Banque centrale européenne. Nos banques coûtent très cher à la société et constituent une véritable et dangereuse bombe à retardement. Ce livre révèle le prix exorbitant, mais passé sous silence, de leurs activités. Et permet de comprendre comment la finance, et notamment les principales banques françaises, organise cette gigantesque captation de richesse, d'une ampleur inégalée.

 

Ce livre explique aussi pourquoi les responsables politiques ont accepté, sans exception, de maintenir un système qui privatise les profits et socialise les pertes. Il montre comment les réformes annoncées ont été réduites à minima. Il retrace l'histoire de conflits d'intérêts et de collusions incroyables, d'une capture idéologique inouïe, de responsables politiques et administratifs sous influence. Une histoire de renoncements, d'aveuglements et de complicités. Entrons dans le monde des banques françaises. Là où la finance a un visage. Celui d'une oligarchie bancaire plus que grassement rémunérée, coupable d’un véritable hold-up planétaire… 

 

http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_livre_...

22/01/2015

(Enfin) Une vision positive de l’enfant

 

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Cet article est involontairement d’une actualité bouleversante.
Ce mercredi 7 janvier, le siège du journal satirique Charlie Hebdo a été attaqué à l’arme de guerre. La rédaction a été décimée.
Puisse cet article contribuer à la réflexion sur la violence et la haine en y apportant des propositions bienveillantes et altruistes.

Oui, la nature humaine est bonne ! d’Olivier Maurel est un livre qui (re)donne la gniaque !
Grand classique de l’éducation bienveillante, cet ouvrage se penche sur la source de la violence humaine et va à contre-courant de l’idée selon laquelle cette violence serait innée, gravée dans nos gènes, notre nature, notre espèce.

Olivier Maurel, admirateur et diffuseur des idées d’Alice Miller est président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire. Tous ses livres (que je vous recommande !) portent sur la violence et ses causes.

La violence éducative ordinaire, origine et répercussions

Tout le monde en France s’accorde à dénoncer les châtiments corporels faits aux enfants. Mais étonnamment, cette mise au pilori est accompagnée d’une indifférence toute aussi généralisée concernant la violence éducative ordinaire.

La violence éducative ordinaire ce sont les gifles, les fessées, les « petites » tapes sur les mains, la tête, l’arrière-train… C’est aussi la violence psychologique : le mépris, la dévalorisation, l’exclusion, l’indifférence des adultes vis-à-vis des enfants.

«Un sondage SOFRES réalisé en France en janvier 1999 pour l’association Eduquer sans frapper nous apprend que 84% des personnes interrogées donnent des coups à leurs enfants (33% en donnent rarement, 51% en donnent souvent).»

Cette situation n’est pas spécifique à la France. Olivier Maurel nous apprend que 80 à 90% des enfants dans le monde ont reçu des coups de leurs parents ou de leurs enseignants, grands-parents, éducateurs… bref des adultes représentant la base de sécurité de l’enfant.

Nous avons donc (presque) tous subi une forme de violence dans notre éducation (et la moitié d’entre nous de façon régulière !), et ce, à une période de notre vie où notre cerveau est en plein développement et en construction.

Or, la violence éducative ordinaire est une forme de maltraitance. Et c’est un des objectifs de ce livre de démontrer pourquoi.

Effets de la violence éducative

«Il semble cependant qu’on puisse dire qu’appartiennent spécifiquement
aux conséquences de la violence éducative :

  • l’apprentissage des gestes de la violence ;
  • la valorisation de cette forme particulière de violence qu’est la violence éducative ;
  • l’indifférence au spectacle de la violence éducative considérée comme normale ;
  • l’ignorance, l’oubli, le silence, la cécité par rapport à la violence éducative ;
  • le stress provoqué par les coups ou la peur des coups ;
  • l’apprentissage du mépris des enfants, corollaire du fait qu’on a le droit de les frapper comme s’ils étaient des êtres inférieurs ;
  • et bien sûr, les effets physiologiques spécifiques de la violence éducative […] ;»

A partir de travaux de recherche en sociologie (Alice Miller), neurosciences (Antonio Damasio), philosophie (Emmanuel Todd) et même primatologie (le travail de Frans de Waal sur les grands singes), l’auteur établit les effets de la violence éducative sur les victimes et analyse ses conséquences politiques, économiques et sociales. C’est passionnant !

D’où vient la violence éducative ordinaire ?

Le plus gros problème de la violence éducative est qu’elle se nourrit d’elle-même.
Parce qu’on a facilement tendance à reproduire (au moins en partie) le modèle d’éducation que l’on a reçu, parce que l’on a tendance à minimiser la portée des coups reçus (le fameux « J’ai reçu des fessées et j’en suis pas mort-e »), parce qu’il est difficile de porter un regard critique sur ses parents, parce que aussi on ne sait pas comment faire autrement.

Ainsi les nombreuses études démontrant la nature intrinsèque de la violence humaine sont biaisées, car elles ne tiennent pas compte du fait que leur sujet d’étude (les Hommes) sont eux-mêmes conditionnés à cette violence de par leur éducation.

Nous sommes comparables à des sexologues qui vivraient dans une population composée uniquement de femmes excisées et infibulées, et qui considéreraient les conséquences de cette particularité comme naturelles. Quelle confiance pourrait-on faire à leur connaissance de la sexualité humaine ?

Réhabilitation de l’enfant

Olivier Maurel va à l’encontre de l’idée largement répandue selon laquelle l’Homme (et donc l’enfant) est fondamentalement mauvais et que c’est l’éducation/la société/la civilisation qui peut le rendre bon.
Il retrace l’historique de cette conception pessimiste, diffusée depuis des millénaires par les religions (le pêché originel), la psychanalyse (« l’enfant est un pervers polymorphe » et la théorie des pulsions) et la sagesse populaire (« Qui aime bien, châtie bien »).
Au contraire, l’empathie, la sociabilité et la solidarité sont des valeurs fortement ancrées en nous et qui nous ont permis de survivre et d’évoluer tout au long de notre histoire.

Et si on était tous bienveillants ?

L’exemple des 400 « Justes parmi les nations » est pour cela édifiant. Samuel et Pearl Oliner ont étudié l’enfance et l’éducation qu’ont reçu ces hommes et ces femmes qui, au péril de leur vie et sans l’espoir de la moindre récompense, ont sauvé la vie de leurs congénères désignés par la pensée dominante comme sous-hommes.
Il s’avère que tous ces Justes, absolument tous, ont vécu dans un climat familial aimant et respectueux, et ont eu une éducation non autoritaire et non répressive. Ils expliquent d’ailleurs leur choix comme « étant naturel », « allant de soi ». Leur altruisme est instinctif.

A l’inverse, tous les grands dictateurs de l’Histoire ont subi durant leur enfance des violences extrêmes de la part de leurs parents.

«L’enfant n’est pas partagé entre le bien et le mal. Il est tout entier positivité, volonté de vivre et de vivre avec. […] Avoir le choix entre respecter les autres et soi-même, ou leur nuire, c’est en fait avoir le choix entre être soi-même ou se renier.»

L’éducation bienveillante n’est donc pas seulement bénéfique dans la relation parent-enfant, elle est aussi LA solution à la violence de nos sociétés. Nous devons faire confiance à nos enfants et les laisser grandir en les accompagnant et en leur permettant de s’exprimer pleinement plutôt qu’en les contraignant et en les dirigeant. C’est à cette condition que nous aurons des sociétés plus justes, plus égalitaires et plus heureuses.

En conclusion

Malgré quelques redites et des citations parfois surprenantes (j’ai du mal avec les sources du type « un reportage de TF1 nous apprend que…. »), ce livre reste un document quasi exhaustif à lire absolument.
Olivier Maurel ne juge pas, n’accuse pas, mais dévoile les mécanismes historiques, sociologiques, culturels et sociétaux qui font que la violence éducative est malheureusement la norme pour l’immense majorité de l’humanité. Mais cela peut encore changer. Il faut pour cela que les adultes considèrent les enfants comme des êtres à part entière, dont la vulnérabilité ne doit pas être vue comme une faiblesse mais comme un investissement sur l’avenir.
Ce livre confirme bien ma conviction profonde : Les enfants d’aujourd’hui sont les citoyens de demain.

Alors quel monde voulons-nous pour demain ?

Source : http://lesvendredisintellos.com/2015/01/09/enfin-une-visi...

 

 

09/01/2015

La stratégie du choc - Naomi Klein - 2007

La Stratégie du choc, la montée d'un capitalisme du désastre (The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism) est un essai socio-politique altermondialiste publié en 2007 par la journaliste canadienne Naomi Klein, également auteure de No Logo.

 

 

 

24/11/2014

Vient de paraître : Que pèse une vitre qu’on brise d’Abdelmadjid Kaouah

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"Profonds et lapidaires, hantés par le souvenir des compagnons assassinés ou traversés par les douleurs de l’exil, les poèmes du recueil "Que pèse une vitre qu’on brise" d’Abdelmadjid Kaouah témoignent de plus de quarante ans d’écriture et de la place du poète dans l’histoire de la poésie algérienne francophone.
Ce recueil de 86 pages, paru aux éditions algériennes Arak, rassemble une quarantaine de textes, pour la plupart inédits, écrits par Abdelmadjid Kaouah entre 1972 et 2014, offrant aux lecteurs une occasion de découvrir ou de redécouvrir une verve poétique constante, marquée par des drames humains dans l’Algérie contemporaine.
Présentés selon un ordre plus ou moins chronologique, ces textes portent également des hommages à d’autres poètes, algériens comme Tahar Djaout, Youcef Sebti et Jean Sénac (tous trois assassinés) ou étrangers comme l'immense Mahmoud Darwish et le poète bosniaque Izet Sarajlic.
Témoins de l’ "être fraternel" du poète, comme l’écrit Djamel Amrani- autre grand poète algérien dont un article sur Kaouah est inséré au livre- ces poèmes dédiés, parmi les plus poignants du recueil, replongent aussi les lecteurs dans l’horreur de la violence terroriste des années 1990 .
L’évocation de cette époque où "l’on arme la haine/ à coup de versets inversés" est
différemment présentée par le poète, selon les textes: de strophes incantatoires et puissantes, énumérant des noms de victimes dans "Maison livide" (1994), elle devient une vision de "femmes en noir" posant des "talismans" pour conjurer le "règne de l’oubli".

L’exil européen du poète après ces années de "folie" et d’ "enfer" constitue un autre thème majeur du recueil que le poète explore avec autant de diversité. Dans "Les portes de l’exil s’ouvrent à Blagnac", Kaouah s’interroge avec amertume: "Qu’est-ce qu’un aéroport", sinon un "commerce de l’absence/ une maison close puant de nostalgies", alors que dans d’autres, il convoque la figure mythique d’Ulysse.
Cette référence récurrente au héros de l'Iliade, renseigne également sur l’ancrage méditerranéen du poète, comme l’explique le sociologue espagnol Jordi Estivill dans l’avant propos du recueil.
L’évocation de la mer est aussi présente lorsque qu'il s’agit pour Kaouah de parler de ses années de jeunesse dans sa ville natale d’Ain-Taya, une référence à la nature, très présente, surtout dans les plus vieux textes du recueil.
Accompagnés de reproductions de tableaux du peintre Djamel Merbah, "Que pèse une vitre qu’on brise" constitue un événement éditorial rare en Algérie où la poésie n'est quasiment plus publiée.
Il se veut également, par sa qualité d’édition, un juste hommage à ce poète discret et peu cité dans les travaux sur la poésie algérienne d’expression française.
Né dans les années 1950 en Algérie et établi en France depuis les années 1990, Abdelmadjid Kaouah est l’auteur d’une vingtaine de recueils, parus en Algérie et en France. Également journaliste et chroniqueur littéraire, il a notamment dirigé "Quand la nuit se brise", une des meilleures anthologies de la poésie algérienne francophone parue à ce jour."

 

par Fodhil Belloul

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J'avais eu l'immense plaisir d'inviter et recevoir Abdelmajid Kaouah lors d'une soirée poésie organisée dans la cadre des Mardi de St Cirq à St Cirq-Laopopie en 2008. On peut le retrouver également dans le numéro 23 de la revue Nouveaux Délits :

http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/archive/2007/...

 

 

 

20/11/2014

Née de la pluie et de la terre de Rita Mestokosho aux Éditions Bruno Doucey

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Photographies de Patricia Lefebvre
Préface de J.M.G. Le Clézio

Parution : le 4 septembre 2014

Le mot de l’éditeur : Née de la pluie et de la terre est le livre d’une rencontre entre deux femmes, de civilisations différentes, qui se reconnaissent comme soeurs dans le tissage d’une parole universelle. L’une est poète, l’autre photographe. Patricia Lefebvre a rencontré Rita Mestokosho lors des séjours qu’elle effectua chez les Innus, peuple autonome du Québec. Ses photographies accompagnent la poésie simple, authentique et chamanique d’une femme qui s’adresse aux forêts, aux lacs, aux rivières, à l’ours, au saumon, au vent ou aux nuages, comme à la grand-mère qui lui a transmis l’amour de la vie. Car la poésie de Rita Mestokosho est, ainsi que l’écrit J. M. G. Le Clézio, préfacier de ce livre, « pleine de cette puissance féminine qui imprègne les peuples anciens. Quelque chose de calme et d’incorruptible qui s’ouvre sur l’avenir. » Comme lui, je suis heureux et fier de faire entendre cette voix native d’un peuple qui lutte pour sa survie.

Extrait :

« Mon coeur est fait de branches de sapin
Entremêlées à toutes les saisons du monde
Je dors pour mieux tapisser tes rêves
Et celui du chasseur en quête d’une terre
Où il pourra alimenter son envie d’être libre
De marcher en admirant les courbes des rivières
De nourrir sa faim et d’assouvir sa soif »

Collection : Passage des arts

Pages : 112
Prix : 17,50 €
ISBN 978-2-36229-071-8

 

J'ai eu l'immense plaisir de publier Rita Mestokocho dans le numéro 33 de la revue Nouveaux Délits :

http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/archive/2009/...

 

 

15/08/2014

Marija Gimbutas, archéologue et préhistorienne de l’ère matristique

 

 

Marija Birutė Alseikaitė ou Marija Gimbutienė, généralement connue comme Marija Gimbutas est née le 23 janvier 1921 à Vilnius et morte le 2 février 1994 à Los Angeles, Californie, USA. Elle est une archéologue et préhistorienne américaine d’origine lituanienne.

La culture préhistorique de la déesse

Durant quinze ans, Marija Gimbutas effectue des fouilles archéologiques dans le sud–est de l’Europe méditerranéenne, révélant au monde l’existence d’une civilisation pré-indo-européenne dénommée « culture préhistorique de la déesse », ayant existé à partir du Paléolithique et perduré plus de 25 000 ans. Le langage de la déesse (titre original : The language of the Goddess, 1989), La civilisation de la déesse (1991), Déesses et dieux de la vieille Europe (1974) comptent parmi ses œuvres majeures, qui lui valent une renommée posthume mondiale. Le langage de la déesse est également le titre d’une exposition qui lui fut consacrée en Allemagne au musée Frauen à Wiesbaden en juin 1993.

L’hypothèse kourgane : l’avènement du patriarcat

En 1956, M. Gimbutas publia son hypothèse kourgane, fondée sur le rapprochement de la linguistique comparative et des données archéologiques recueillies lors des fouilles des tumulus de la culture kourgane d’Asie centrale, et destinée à lever un certain nombre d’énigmes relatives aux peuples locuteurs du proto-indo-européen (PIE), qu’elle proposa d’appeler « kourganes » (c’est-à-dire peuple des tumulus des steppes) ; il s’agissait de proposer une origine et une route de migration des proto-indo-européens vers l’Europe. Cette hypothèse, par le rapprochement entre plusieurs disciplines, exerça un impact considérable sur la science préhistorique.

Des cavaliers conquérants

Marija Gimbutas identifie la culture des kourganes à l’habitat originel des Indo-Européens. Cette culture du Mésolithique située entre la Volga et les fleuves de l’Oural se distingue par la domestication précoce du cheval. La mobilité ainsi gagnée aurait créé des groupes de cavaliers combattants, et aurait conduit à des formes de société dites patriarcales. Entre -4500 et -3000, les Indo-européens, ce « peuple de cavaliers », auraient pénétré en plusieurs vagues successives dans la région du Dniepr, l’Ouest de l’Ukraine et la Moldavie. Ils auraient transformé la culture de type agricole existante, et se seraient établis en tant qu’aristocratie dirigeante, imposant leur langue. Cette conquête de l’Europe par la culture des kourganes serait caractérisée en archéologie par la culture rubanée et par la Culture des vases à entonnoir.

Succès bibliographiques

De façon inattendue, Gimbutas connut la faveur du grand public grâce à ses trois derniers livres : Dieux et déesses de l’Europe préhistorique (The Goddesses and Gods of Old Europe, 1974); Le langage de la déesse (1989, thème d’une exposition au musée de Wiesbaden), et La Civilisation de la déesse (The Civilisation of the Goddess, 1991), qui passe en revue ses recherches sur les cultures néolithiques d’Europe : l’habitat, les structures sociales, l’art, la religion et la nature des savoirs.

Du collectivisme égalitaire et pacifique à la société hiérarchique et guerrière de castes

Dans La Civilisation de la déesse, Gimbutas formalise son analyse des différences entre la société européenne primitive, selon elle de type matriarcal et articulée autour du culte d’une déesse mère, et la culture patriarcale (ou « androcratique », pour reprendre l’hellénisme de l’auteur) de l’Âge du bronze qui finit par la supplanter. Selon son interprétation, les sociétés matricarcales (« gynocentrique », « gylanique » pour reprendre les mots de Gimbutas) étaient pacifiques, révéraient les homosexuels et favorisaient la mise en commun des biens. Les tribus patriarcales des kourganes auraient, en migrant vers l’Europe, imposé aux populations matriarcales indigènes un système hiérarchique guerrier.

Articles connexes :

Le Langage de la déesse (1988)

Les « Vénus » de la préhistoire, les figures féminines peintes sur les céramiques, les signes abstraits gravés sur des vases, tous ces vestiges représentaient, selon Marija Gimbutas, une grande déesse – symbole de la vie – dont le culte fut constant au cours de la préhistoire et du néolithique européens.

L’histoire ancienne de l’Europe

Une « déesse » hantait l’esprit des chasseurs de la préhistoire. Une déesse à la féminité marquée et dont la silhouette ou les traits caractéristiques – seins, fesses, pubis, grands yeux – se retrouvent partout en Europe, peints ou gravés sur les parois des cavernes, sculptés sur la pierre, l’os ou le bois. Des milliers d’années plus tard, elle subjuguait encore les paysans du néolithique. Partout en Europe, on la découvre peinte sur des céramiques ou gravée sur les objets quotidiens. Pendant près de 25 000 ans, les premiers Européens auraient ainsi voué un culte à cette déesse, symbole de nature et source de vie, qui fait naître les enfants et pousser les plantes. Puis, vers le Ve millénaire av. J.-C., des peuples indo-européens, farouches guerriers, éleveurs de chevaux, auraient pris le pouvoir sur les sociétés agraires et imposé leur langue, leur pouvoir, leurs mythes : des dieux masculins, autoritaires et violents, auraient alors refoulé dans un lointain passé les charmantes déesses préhistoriques. Voilà, à grands traits, l’histoire ancienne de l’Europe, telle que l’a reconstruite Marija Gimbutas à partir de ses nombreuses recherches archéologiques.

Une Lituanienne à Harvard

Née en 1921, M. Gimbutas a quitté son pays natal pour se réfugier, pendant la guerre, en Autriche, où elle débuta ses études d’archéologie et de linguistique, poursuivies en Allemagne où elle obtint son doctorat en 1946. Après la guerre, on la retrouve aux États-Unis, à l’université de Harvard, où elle est recrutée comme chercheuse, spécialiste de l’archéologie d’Europe de l’Est, domaine alors largement méconnu. C’est dans les années 1960 qu’elle se fait connaître pour sa fameuse théorie de la « culture des kourganes » qui va susciter un premier grand débat dans la communauté scientifique. Kourgane est le nom turc pour désigner les tumulus, ces sépultures monumentales collectives, apparues dans la région de la Volga, entre mer Noire et mer Caspienne, qui se sont répandues ensuite dans toute l’Europe. Les kourganes seraient, selon M. Gimbutas, les symboles les plus marquants du premier peuple indo-européen : un peuple d’éleveurs et de guerriers qui aurait envahi l’Europe et l’Inde du Nord. Par vagues successives, il aurait imposé partout sa langue et ses mythes. Avec cette théorie des kourganes, M. Gimbutas a donné une consistance archéologique à ce mythique peuple indo-européen qui, selon linguistes et mythologues, aurait constitué la souche culturelle commune de l’Europe et de l’Inde du Nord.

En 1963, M. Gimbutas entre à l’UCLA. Dans les années suivantes débute une campagne de fouilles en Europe du Sud-Est (Yougoslavie, Grèce, Italie), fouilles qui vont se prolonger une quinzaine d’années et l’orienter vers une nouvelle direction de recherche. Parmi les vestiges sortis de terre, M. Gimbutas remarque que de nombreuses poteries ont des formes féminines. Certaines arborent des signes géométriques – formes en V, en M, zigzags. On retrouve d’ailleurs ces signes sur des céramiques en forme d’oiseau.

Des symboles négligés par l’archéologie officielle

Plus elle fouille, plus s’accumulent des traces, des traces trop fréquentes pour être négligées, ce que font pourtant la plupart de ses collègues : « L’ensemble des matériaux disponibles pour l’étude des symboles de la vieille Europe est aussi vaste que la négligence dont cette étude a fait l’objet ». Une nouvelle hypothèse émerge. Et si les figures féminines étaient des déesses ? Et les signes et figures géométriques qui les accompagnent des représentations symboliques de ces déesses (comme la croix remplace Jésus dans la symbolique chrétienne) ? Dans cette hypothèse, l’abondance des vestiges attesterait bien de la présence d’une forte présence féminine aux côtés des dieux masculins.

La trinité féminine

En 1974, M. Gimbutas publie un premier livre titré Déesses et dieux de la vieille Europe. Dans ce premier livre, elle soutient qu’un culte de trois déesses féminines était présent dans le Sud-Est de l’Europe. Par la suite, elle étendra son hypothèse à toute l’Europe et fusionnera les figures féminines en une seule et même déesse. Dans les années qui suivent, et jusqu’à sa mort en 1994, M. Gimbutas ne cessera de poursuivre cette piste. Le Langage de la déesse est en quelque sorte l’aboutissement et la synthèse de ses recherches sur la déesse de la préhistoire.

Pour une archéomythologie

Comment décrypter la mythologie d’une société sans écriture dont les vestiges se résument à des céramiques, des outils, des objets gravés de motifs géométriques ? En règle générale, les archéologues se gardent bien de se lancer dans des interprétations symboliques, leur tâche principale se bornant à dater et à classer les matériaux retrouvés pour reconstituer des emprunts, tracer les aires culturelles et leurs contacts possibles. M. Gimbutas, elle, a osé transgresser cet interdit. Elle s’est attachée à reconstituer l’univers mental des sociétés de la préhistoire grâce à une démarche nouvelle : l’« archéomythologie ».

Les symboles de la déesse

Voilà comment elle procède. Dans nombre de sociétés sans écriture, les artistes représentent les femmes non seulement par une silhouette féminine, mais parfois par une simple partie du corps : seins, fesses, yeux… Le triangle pubien est aussi souvent présent. La façon la plus simple, la plus géométrique et la plus universelle de le représenter consiste à tracer un V. Si le V est donc le symbole de la femme, M. Gimbutas pense que les nombreux motifs en chevron (deux V superposés) désignent aussi le sexe féminin. De même, comme on retrouve souvent associés la figure du V et des chevrons gravés sur des céramiques en forme d’oiseau, M. Gimbutas en déduit que la figure de l’oiseau est également un symbole féminin. En admettant cette convention (V, chevrons simples, doubles ou triples, figures d’oiseaux, seins…), il est alors apparu que le signe de la femme est omniprésent dans toute l’Europe du Sud-Est. Par glissements progressifs et juxtapositions de motifs, M. Gimbutas pense alors repérer toute une gamme de figures censées représenter la déesse. Elle peut apparaître sous la forme d’une déesse-oiseau et, par extension, d’un bec d’oiseau ou d’un œuf. L’eau est également associée à la divinité féminine. Elle peut être désignée par un filet qui coule (quelques traits verticaux) ou un M représentant l’onde. Par extension, tous les motifs en M sont supposés représenter l’eau, donc la déesse.

Toute la symbolique de la déesse serait en lien avec le cycle de la vie, « le mystère de la naissance et de la mort, celui aussi du renouveau de la vie – pas seulement de la vie humaine, mais de toute forme de vie sur la Terre comme dans l’ensemble du cosmos ».

La déesse est d’abord « celle qui donne la vie »

La déesse est donc présente dans les rituels de naissance et de fertilité. Voilà pourquoi elle est associée à l’eau, source de toute vie, et par extension à l’oiseau d’eau, mais aussi à la grenouille et au poisson. La déesse est également liée au renouvellement des saisons et donc à la terre nourricière, à la mort et à la régénération. Au fond, toute la symbolique de la déesse renvoie aux « croyances de peuples agricoles concernant la stérilité et la fertilité. La fragilité de la vie, la menace constante de la destruction ainsi que le renouvellement périodique des processus générateurs de la nature sont parmi les plus tenaces ».

De nouvelles clés d’interprétations

Si la démarche archéomythologique prônée par M. Gimbutas est pertinente, l’avancée scientifique est de taille. Elle donne les clés pour interpréter des signes, gravures, motifs abstraits présents dans toute la préhistoire, qui étaient jusque-là traités comme de purs motifs décoratifs ou d’énigmatiques signes que l’on s’interdisait de décrypter. Du coup, les céramiques ornées dévoilent une histoire cachée, et tous ces signes qu’on avait pris pour de simples fioritures se révèlent être un riche langage symbolique associé au culte de la déesse.

Des risques de surinterprétation

Evidemment cette entreprise de décryptage comporte bien des risques. Le premier est celui de la « surinterprétation » des signes. Mais comme le note justement Jean Guilaine en préface, « on portera au crédit de Marija Gimbutas d’avoir ouvert la voie à une archéologie symbolique. (…) Mais justement orienter une discipline foncièrement attachée à l’étude de données matérielles vers le champ de l’imaginaire impliquait déjà un certain courage intellectuel et une forme aiguë de non-conformisme ».

 

Source : http://matricien.org/essais/marija-gimbutas/