Source : http://www.rtflash.fr/drones-envahissent-monde/article
Vendredi, 14/12/2012 -
Noyé dans une actualité chargée, l’événement est passé inaperçu mais il a pourtant une portée considérable : le 1er décembre a eu lieu à Istres, près de Marseille, le premier vol du drone de nouvelle génération « Neuron ».
Ce drone de combat (ou VICA pour Véhicule Inhabité de Combat Aérien) possède une haute furtivité et sa signature-radar serait de l’ordre de celle d’un oiseau ! Fruit d’une dizaine d’années de recherche et de coopération entre les six pays associés dans ce projet (France, Italie, Espagne, Suède, Grèce et Suisse), cet engin du futur, dont le maître d’œuvre est Dassault Aviation, marque le basculement des systèmes d’armes dans une nouvelle ère marquée par la présence combattante massive, voire dominante, des robots et engins automatiques.
Le « Neuron » n’a plus rien à voir avec les drones frêles et encore un peu artisanaux qui volaient dans les airs il y a une dizaine d’années. D’une longueur de neuf mètres, pour douze mètres d’envergure et un poids de sept tonnes, ce redoutable engin est capable d’atteindre une vitesse maximale de près de 1000 km/h et constitue une étape-clé vers la mise en service d'un drone européen de combat ou (et) de chasse polyvalent, prévue d’ici une quinzaine d’années.
A terme, bien que les militaires restent très discrets sur la question, le Neuron deviendra un véritable "système de combat aérien du futur" (SCAF). Dans un premier temps, sans doute à l’horizon 2030, ce drone européen restera cantonné dans des missions précises d’exploration et d’éventuelles destructions d’objectifs militaires ennemis.
Il devrait remplir cette mission avec une grande efficacité, grâce à sa rapidité, sa souplesse d’utilisation, sa furtivité et sa puissance de feu.
Mais dans un deuxième temps, plus lointain mais inéluctable, ces drones de combat seront également amenés à remplir des missions de défense aérienne, même si peu de responsables politiques ou miliaires évoquent aujourd’hui cette perspective délicate. A cet égard, le Chef d’Etat-major de l’Armée de l’Air a d’ailleurs récemment reconnu que « La question des rôles respectifs qui seront assignés aux avions de combat et aux drones armés est désormais posée ».
Rarement dans l’histoire militaire, une nouvelle arme aura changé aussi rapidement la donne stratégique et tactique. Il y a encore quelques jours, un haut responsable d'Al-Qaïda a été tué par un drone dans le nord-ouest du Pakistan. Il s’agit au moins du sixième dirigeant important de cette organisation terroriste, éliminé dans cette région par un drone américain depuis juin 2011.
Autre exemple de l’efficacité des drones dans la lutte difficile contre le terrorisme international : le 18 octobre dernier, l’état-major d’Al Qaïda au Yémen a été anéanti par un tir de drone américain. Depuis 2004, selon les médias américains, les drones militaires américains auraient effectué plus de 300 frappes et tué entre 2000 et 2500 personnes au Pakistan et en Afghanistan.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’armée américaine, en accord avec ses alliés pakistanais et afghans, utilise de plus en plus massivement ses multiples drones de combat pour lutter contre le terrorisme dans cette région du monde. A l’heure actuelle, selon la revue spécialisée The Military Balance, l’armée américaine et la CIA posséderaient plus de 7 500 drones de toute catégorie, contre 11 800 avions classiques.
Quelques jours avant le vol du Neuron, les Etats-Unis réussissaient pour leur part leur premier essai de catapultage, à partir d’un porte-avions, du nouveau drone furtif X-47B. Avec ce nouvel engin, la capacité de combat des drones franchit un nouveau cap puisque le X-47B, qui possède une autonomie de vol de quatre jours, peut emporter deux tonnes de bombes à plus de 2 000 km de distance !
Ce nouveau drone pourra à terme être ravitaillé en vol et frapper, à partir de porte-avions, des objectifs situés dans le monde entier. Son utilisation devrait être généralisée à partir de 2025. L’armée américaine, confrontée à la nécessité de réduire ses coûts de fonctionnement tout en améliorant son efficacité et sa souplesse, mise clairement sur le développement de ces nouvelles générations d’engins volants de combat inhabités (C’est leur appellation officielle) qui seront progressivement amenés à remplir toutes les missions militaires, y compris la défense aérienne.
Le X-47B peut voler à 40 000 pieds et à plus de 500 miles par heure (800km/h) et, comme le souligne le contre-amiral Bill Shannon, « Nous sommes fiers de développer le premier avion à réaction sans pilote devant décoller et apponter sur un pont d'envol. »
Les Etats-Unis ont également procédé, en avril 2011, au premier vol du nouveau drone de combat de Boeing, baptisé « Pantom Ray ». Ce drone furtif mesure plus de dix mètres de long et pèse près de dix sept tonnes. Capable de voler à 1 000 km/h à plus de 12 000 mètres d’altitude, c’est un engin polyvalent qui peut effectuer de nombreux types de missions, reconnaissance, surveillance et, bien entendu, destructions ciblées d’objectifs au sol.
Fait révélateur, l’armée de l’air américaine aurait formé en 2011 trois cent cinquante opérateurs de drone contre deux cent cinquante pilotes d'avion de combat. A terme, les Etats-Unis souhaitent être en mesure d’effectuer la totalité des missions d’intervention et de combat à l’aide de robots et de drones, même si elle tient à préciser que "les êtres humains impliqués dans ces missions garderont la possibilité de modifier le degré d'autonomie approprié selon les types de missions à effectuer et le déroulement de celles-ci sur le terrain".
Cette utilisation sans cesse élargie de drones de plus en plus autonomes et destructeurs entraîne non seulement une révolution stratégique mais pose de nouveaux et complexes problèmes éthiques et politiques qui peuvent remonter au plus haut sommet de l’Etat.
C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, le Président Obama a évoqué, lors de la récente campagne pour les élections présidentielles, le débat moral que provoquent les frappes de plus en plus meurtrières des drones américains sur différents théâtres d’opération militaire dans le monde. Il a annoncé la définition prochaine d’un « code de bonne conduite » visant à encadrer les règles d'engagement militaire des drones. Le président américain a par ailleurs confirmé son intention de créer une nouvelle instance légale qui sera chargée de veiller à la bonne application sur le terrain de ces nouvelles règles juridiques et éthiques concernant l’utilisation des drones et robots de combat (Voir article).
Mais au-delà de l'enjeu militaire et stratégique, les drones représentent également, au niveau mondial, un enjeu technologique et industriel considérable. Le marché des drones atteindrait déjà près de cinq milliards d’euro en 2012 et il pourrait doubler d’ici dix ans.
Ce sont les Etats-Unis qui, sans surprise, dominent largement ce marché prometteur et l’armée américaine, qui représente plus de la moitié des commandes mondiales d’engins aériens inhabités, devrait dépenser environ 1,3 milliard d’euros en 2013 pour acquérir de nouveaux drones.
Face à cette hégémonie américaine, l’Europe peine à s’organiser. C’est pourquoi le premier vol réussi du drone européen « Neuron » constitue une étape importante vers une défense aérienne européenne intégrée qui pourrait voir le jour vers 2030. Autre avancée dans ce sens, la France et la Grande-Bretagne ont récemment signé un accord concernant le développement du mini-drone tactique Watchkeeper.
Mais à coté des drones géants de type Predator ou Neuron, un autre type de drone est en train de s’imposer sur les champs de bataille, les micro-drones. (Voir "Les micro-drones arrivent").
En 2011, la France a testé un micro-drone baptisé Spy Arrow en Afghanistan. Cet engin très compact ne pèse qu’un kilo et peut voler quelques minutes. Il entre dans le sac à dos d’un soldat et peut s’avérer très utile pour permettre à celui-ci d’observer sans risque ce qui se passe dans un rayon de quelques centaines mètres autour de lui.
L’armée américaine expérimente également ce nouveau type d’engins automatiques portables très légers destinés à seconder les fantassins (Voir article).
Mais l’armée américaine expérimente un autre concept de science-fiction : des insectes pilotés à distance. Ces "biodrones" encore plus petits, de la taille d’un insecte, pourraient faire leur apparition sur les zones d’intervention militaire et la DARPA finance des recherches qui ont déjà permis de montrer qu’il était possible de « télécommander » de manière précise certains insectes à l’aide d’un dispositif électronique alimenté par le mouvement des ailes de l’animal ! (Voir article)
Enfin, il faut également évoquer l’arrivée des drones dans les secteurs de la sécurité et de la surveillance. Le drone-hélicoptère taïwanais à six rotors « Hatchet concept » a, par exemple, été conçu pour pouvoir récupérer et évacuer des victimes localisées après une catastrophe. A l’aide d’un système d’équipements modulables, ce drone peut être très rapidement modifié en fonction des missions à remplir.
En France, les pompiers des Landes disposent à présent d’un drone spécialisé dans la surveillance et la prévention des incendies. Développé par une entreprise locale, Fly-n-Sense, ce mini-drone de seulement deux kilos peut voler jusqu'à 150 mètres d'altitude et transmettre en temps réel de précieuses informations sur la progression des incendies dans cette immense région boisée de plus de 6 300 km2. Avantage supplémentaire, son coût d’utilisation est plus de dix fois inférieur à celui d’un hélicoptère classique !
Dans d’autres régions, plusieurs SDIS réfléchissent à l’utilisation de drones pour mieux lutter contre les incendies en zone urbaine mais également pour rechercher des personnes disparues à l’aide de capteurs thermiques.
Mais les drones peuvent également être utilisés à des fins moins consensuelles et certains journalistes n’ont pas hésité à en utiliser pour pouvoir espionner et photographier à leur insu des personnalités. La baisse très rapide du coût de ces engins et l’amélioration de leurs performances vont rendre très vite accessible au grand public ce type d’engins (il est déjà possible d’acheter un drone « Parrot » à la FNAC pour moins de 300 euros) et l’on peut malheureusement craindre que tous les futurs possesseurs de ces petits engins ne soient pas animés des meilleurs intentions….
Face à cette évolution fulgurante de la technologie et à l’arrivée, dans tous les domaines d’activités, de drones de plus en petits et difficiles à repérer, nous devons, comme l’a fait avec courage le Président Obama, lancer un vaste débat démocratique pour mieux définir et encadrer l’utilisation de ces engins fascinants qui peuvent représenter un réel progrès, s’ils sont utilisés avec discernement et sous le contrôle de la Loi, mais peuvent également devenir des instruments redoutables dans de mauvaises mains ou, plus simplement, porter atteinte de manière intolérable à la vie privée de nos concitoyens.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat