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07/12/2009

Les Voleurs de Feu n°27

Le dernier numéro de "Les Voleurs de Feu", petite revue trimestrielle de poésie très combative sise à Plougasnou en Bretagne consacre son dernier numéro sur le thème de la violence.

Site: http://lesvoleursdefeu.free.fr/

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Vous avez dit violence?...

 

La violence, tel est le thème de cette 27e parution. Yann Orveillon après avoir esquissé en un raccourci  vertigineux l'historique de la violence des origines à nos jours, pose les questions cruciales: d'où provient la violence, qui en est responsable? De quel bord est-elle? "Depuis le début de l'histoire rien ne s'est fait sans violence et justification de la violence". Il ne répond pas directement se contentant d'énumérer des faits  quotidiens (relevant malheureusement de ce qui est devenu une banalité épouvantable) qui parlent d'eux-mêmes en une longue et hallucinante litanie venant étayer sa conclusion. Ancien syndicaliste  -expulsé par la CGT durant les grèves de mai 68- militant aguerri, poète sans complaisance, il fustige les centrales syndicales qui se sont vendues, au nom de la paix sociale, aux exigences faramineuses des patrons voyous et des gouvernements successifs qui protègent ces derniers. Avec Rimbaud ("L'orgie parisienne...", "Les mains de Jeanne Marie") il en appelle au soulèvement des classes laborieuses et des exclus, parce qu'il n'y a plus d'autres solutions possibles pour enrayer le cauchemar éveillé qui les plonge dans un désespoir sans fond (suicides, travail temporaire à salaires réduits, chômage massif...) tandis que banquiers et agioteurs/boursiers de la pire espèce, responsables de la crise, sont gavés avec les deniers publiques.

Dans un article très documenté, intitulé "Et cette violence, si mâleureuse", Marie-Lise Martin Core, après avoir décortiqué tous les sens du mot violence, s'attaque aux sévices in-humains subis par les femmes, plus particulièrement les femmes asiatiques, africaines et musulmanes (Excision.,circoncision et toutes les autres formes de mutilations et d'agressions).

Avec "La machine à réduire", Lukas Stella (Auteur des livres "Croyances informatisées dans l'ordre des choses marchandes" paru aux Éditions du Monde Libertaire et Alternatives Libertaires et "Stratagèmes du changement" aux Éditions Libertaire presse de la coopérative ouvrière 34 à Toulouse - 2009) nous livre une analyse d'une clairvoyance sans faille :  comment l'informatique qui n'était à l'origine qu' "un moyen de se soulager d'un travail avilissant en prenant en charge les tâches harassantes, libérant pour tous un temps libre considérable sans tomber dans la misère du chômage" aurait pu "devenir l'outil incontournable de la libération de l'esclavage du travail"? Au lieu de cela, elle s'est habilement transformée, avec de l'ordinateur, en "une prothèse qui parasite son hôte", à l'insu de la grande majorité de ses utilisateurs. En tant que "pratique solitaire" l'ordinateur contribue davantage à "individualiser par la fabrication de séparations à tous les niveaux"  en donnant l'illusion d'une plus grande liberté. Le travailleur se trouve ainsi pris au piège d'un rendement des plus pernicieux qui soit, et, comme toujours, à qui cela profite-t-il sinon, comme toujours, aux détenteurs sans scrupules du capital? L'addiction dont sont victimes des millions d'internautes aujourd'hui ne mériterait-elle pas d'être diagnostiquée comme la drogue dure des temps modernes, injectée à dose massive dans les cerveaux bombardés d'informations sous couvert de les rendre plus intelligents qu'ils ne le sont.

Des articles de Jean Dupont (Un tabou: La Marseillaise..), d'Isabelle Mély (La taxe carbone, cette violence qui nous est faite...) et de Anne Jullien-Perhouas (Le propithèque soyeux) analysent différents aspects de cette violence et, qu'elle se situe sur le plan  social, environnemental ou symbolique, n'est-elle pas en définitive mise au service la marchandisation massive du monde et de la prise de pouvoir (contrôle) des mafias politico-financière sur l'ensemble des populations de la planète?


Parmi les Voleurs de Feu, nommés plus communément poètes, qui ont participés à ce tract d'Action poétique rouge et noir, deux invités de marque:

 

- Jean-Marc La Frénière, québecois, qui vient tout juste de publier son dernier livre en France (Éd. Chemins de plume, à Nice) et qui se définit ainsi: "J'ai pris les mots où ils étaient, dans la bouche et la rue, loin des grammaires, des dictionnaires et des académies...". sa force de frappe électrisée par une sensibilié à vif, se condense en deux poèmes en prose très resserrés: "Les banquier" et "Les dents de loup":
Première lignes de "Les dents du loup":

   "La majorité silencieuse: il n'y a qu'elle qu'on entend. Des coups de feu claquent partout. A peine l'enfant a-t-il ouvert les yeux, on met des chenilles à son landau, des cartouchières, des prières. On lui arrache le rêve avec ses dents de lait. Dans le coeur d'un soldat loge un pouce mal sucé, un enfant mal sevré. J'ai préféré l'écart de langage à l'écart de fortune..."
...

- Cristina Castello, séjournant actuellement à Paris. Argentine de naissance, internationale de culture, chez qui cohabitent la poésie, la vie et l'engagement, valeurs qui constituent son matériel de résistance. Entre faire et être, elle travaille en tant que journaliste et se dit "contrebandière de poésie". Sans masque, la femme écrit et parle, communique les intérieurs et les dehors. Femme-lionne aux yeux couleur de miel, elle est venue révéler la plénitude de la beauté dans nos univers humains détraqués ou le "chacun pour soi" fait loi:

 

On est des immigrants dans un monde sans présent
Fureur des harpes éclatant en lettres sans corset
Poésie, c'est la sagesse du non temps
Poésie, c'est l'aube sans obsèquess
Poésie, c'est l'ordre de l'éternité
Frémissement des lys
Don aux innocents
Danses de cloches
Déluge du soleil.

 


Le poète français François Xavier dans son introduction à « Soif » , dernier recueil paru de la poétesse argentine Cristina Castello déclare : "La petite sœur de Rimbaud vit à Buenos Aires. Elle est verbe pur. Nom nu de la parole enchantée elle porte en elle le diamant perdu de l’humanité : l’amour."
"Orage", son prochain recueil sortira au début du mois de janvier 2010.

19:20 Publié dans COPINAGE | Lien permanent | Commentaires (0)

05/12/2009

Sacré Myspace !

 

Bonjour Cathy G !

Regarde qui a bientôt son anniversaire le mardi 8 décembre ! Voir tous les anniversaires à venir

 

 

Alors n'oublions pas de souhaiter mardi un bon anniversaire à Jim Morrison !!!

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04/12/2009

Hommage à l’Amiral Leblanc de Guy Cabanel

blogISSN 2100-3246
ISBN 978-2-911917-56-1
96 pages, 10 euros

cabanel

Sur l’auteur. – Guy Cabanel a participé dès 1958 aux activités du mouvement surréaliste avec son ami Robert Lagarde, qui illustre son premier ouvrage, À l’Animal Noir. Il a publié plusieurs recueils de poèmes dont Les Fêtes sévères (Fata Morgana, 1970), Les Boucles du Temps (Privat, 1974) ; et plus récemment, aux éditions Quadri à Bruxelles : Le Verbe flottant, illustré par Jacques Zimmermann et Soleil d’ombre, sur des photographies de Jorge Camacho (2009).

Extrait du dos de couverture
«
Le dernier né du chantier naval allait fendre les flots pour la première fois. L’Amiral parla au peuple :
– Ce nouveau bâtiment va grossir notre flotte. Notre puissance n’a pas de limite. Je vous félicite.
Il s’adressa ensuite au capitaine :
« Ce bateau où vous serez maître après moi, comment l’appelons-nous, commandant ?
– Amiral, je propose l’Espadon.
– Bon, va pour la Marie-Jeanne, à vous, peintre !
Ensuite, comme à l’accoutumée. il fit le point dans la chambre des cartes et constata l’immobilité parfaite des choses. »

(une carte maritime dessinée par l’auteur est jointe au livre, illustré par ailleurs par un choix de gravures des XVII et XVIIIe siècles et de cartes postales)

La collection “Abiratures” est dédiée à l’approche poétique, ce court moment d’élaboration qui se concrétise dans la poésie, quelle que soit la forme (rêve, texte, jeu, dessin, dialogue, etc.) qu’elle prend pour s’exprimer. Nous espérons  par là contribuer à ce que la poésie soit saisie dans son essence, car sans elle, la transformation  du monde, plus que jamais nécessaire, ne  sera jamais qu’un prélude à l’assèchement du  vivant (et réciproquement). A lire dans la même collection : L’Effet miroir (2008) de Nicole Espagnol, Roman Erben, Alain Joubert

Grand MERCI AUX ED. AB IRATO QUI ME L'ONT OFFERT !!!

http://abiratoeditions.wordpress.com/

Bon de commande : 2-souscription-cabanel-light[1].pdf

 

Point barre, revue semestrielle de poésie, Ile Maurice

 

 

 

 

POINTBARRE7.JPG

 

http://pages.intnet.mu/ykadel/#P

 

La revue Point barre, publiée par Cygnature Ltée, avec le concours du Centre culturel français Charles Baudelaire, est la première publication mauricienne entièrement consacrée à la poésie d’aujourd’hui. Elle est ouverte à tous les poètes, locaux et étrangers, quelles que soient leur sensibilité et langue d’expression ; les textes proposés sont jugés uniquement sur leurs qualités littéraires et leur conformité au thème défini pour chacun des numéros. Point barre compte parmi ses collaborateurs réguliers la plupart des jeunes poètes mauriciens.

 

Direction : Ming Chen

Coordination : Yusuf Kadel

Comité de lecture : Michel Ducasse, Alex Jacquin-Ng, Christophe Cassiau-Haurie et Umar Timol

Révision et corrections : Michel Ducasse

Conception graphique : Azna Kadel

 

Le numéro 7 de la revue, sorti le 29 octobre 2009, est dédié à la mort et a pour titre « Six Pieds sous terre». Il comporte vingt-huit poèmes inédits en français et créole, agrémentés de trois illustrations originales d’Alex Jacquin-Ng. L’éditorial est signé Christophe Cassiau-Haurie.

 

 

Figurent au sommaire les auteurs suivants :

 

Alex jacquin-Ng (Île Maurice)

Arnaud Delcorte (Belgique)

Catherine Andrieu (France)

Catherine Boudet (La Réunion)

Catherine Laurent (Nouvelle-Calédonie)

Dev Virahsawmy (Île Maurice)

Dominique Gaucher (Québec)

Fednel Alexandre (Haïti)

Fred Johnston (Irlande du Nord)

Gérard Larnac (France)

Jalel El Gharbi (Tunisie)

Jean-François Cocteau (France)

José Le Moigne (Martinique)

Kenzy Dib (Algérie)

Laurent Fels (Luxembourg)

Michel Ducasse (Île Maurice)

Muriel Carrupt (France)

Nathalie Philippe (France)

Patricia Laranco (France)

Pierre le Pillouër (France)

Robert D’Argent (Île Maurice)

Saint-John Kauss (Haïti)

Sylvestre Le Bon (Île Maurice)

Tahar Bekri (Tunisie)

Tahir Pirbhay (Île Maurice)

Teddy Iafare-Gangama (La Réunion)

Umar Timol (Île Maurice)

Yusuf Kadel (Île Maurice)

 

 

11:55 Publié dans COPINAGE | Lien permanent | Commentaires (1)

03/12/2009

Chine : Disney se joue des droits sociaux

Une nouvelle série d’enquêtes menées dans quatre usines sous-traitantes de l’entreprise Disney en Chine révèle les conditions de travail indécentes auxquelles sont soumis les milliers d’ouvriers, très majoritairement des femmes, qui fabriquent ses jouets. Salaire indécent, absence de contrat de travail, heures supplémentaires payées en dessous des minimums légaux, pas d’équipement de sécurité adéquat, absence de sécurité sociale  et de cotisation pour la retraite… La liste des manquements à la législation chinoise et aux normes internationales du travail est longue. Disney a beau se prévaloir d’un code de conduite qu’elle prétend imposer à l’ensemble de ses fournisseurs et de milliers d’audits menés chaque année pour en vérifier le respect, force est donc de constater que le bilan est encore très largement insuffisant. C’est donc aux citoyens et consommateurs d’agir pour inciter la multinationale à jouer le jeu des droits de l’Homme.

La SACOM(1) et le China Labor Watch (CLW), deux organisations partenaires de Peuples Solidaires basées respectivement à Hong Kong et à New York, ont enquêté entre mai et octobre 2009 auprès d’usines sous-traitantes de Disney en Chine : Haowei Toys(2) (aujourd’hui Rong Gao) Tianyu Toys, Wai Shing(3) et Merton Toys(4). Les résultats de ce travail de terrain sont sans appel : dans ces quatre usines, les violations des droits des ouvriers sont légion, et l’exploitation est la règle.

Une exploitation honteuse

Les salaires sont si bas que les ouvriers doivent faire de nombreuses heures supplémentaires pour gagner de quoi vivre. En haute saison – au moment où l’on fabrique les jouets pour Noël – ils enchaînent les journées et parfois les nuits de travail, sans jour de repos. En saison basse, les commandes chutent… et les salaires avec. De plus, des amendes arbitraires leur sont infligées. A Tianyu, 50 yuans (5 €) sont ainsi déduits du salaire de ceux qui refusent de travailler la nuit. Il faut également déduire le prix de l’hébergement, qui s’élève à 65 yuans (6,5 €) à Wai Shing et atteint 72 yuans (7,2 €) à Tianyu Toys où jusqu’à 25 ouvriers partagent un dortoir de 25 m2. Enfin, la nourriture – que des ouvriers qualifient d’infecte – coûte 250 yuans (25 €) par mois à Merton Toy.

« Non seulement ils s’épuisent à la tâche, mais en plus, ils sont soumis à des conditions de travail dangereuses, sans protection adéquate et sans formation » explique Debby Chan, représentante de la SACOM. En effet, à Wai Shing, les ouvriers travaillent quotidiennement au contact de produits chimiques (peintures et diluants) dont ils ne connaissent ni les noms, ni les dangers et qu’ils manipulent sans aucune protection. Pour autant, aucun des examens médicaux prévus par la loi ne leur est proposé… Les enquêtes montrent aussi que les ouvriers sont victimes de traitements dégradants : violences verbales, insultes, humiliations… A Tianyu, ils doivent par exemple demander un laissez-passer pour aller aux toilettes.

Face à ces traitements indignes, certains ouvriers dénoncent leurs conditions et demandent des améliorations. Ainsi, à Haowei, les ouvriers se sont plaints en 2003 auprès des autorités chinoises. A Merton et Tianyu, ils sont même allés jusqu’à se mettre en grève pour réclamer des salaires décents. Mais ils n’ont pas obtenu gain de cause.
Par ailleurs, la nouvelle loi qui oblige, depuis janvier 2008, les employeurs chinois à remettre un exemplaire du contrat de travail à leurs employés  n’est pas respectée. Or faute de contrat,  les ouvriers ne peuvent faire valoir leurs droits ni devant leur employeur, ni en justice… Quant aux syndicats, même dans les usines qui en comptent comme Wai Shing, ils sont affiliés au syndicat du parti et leurs responsables sont le plus souvent choisis par la direction elle-même.

Mais que fait Disney ?

Face à cette situation, nos partenaires chinois se tournent vers le donneur d’ordres que ces usines ont en commun, la multinationale Disney, pour qu’elle assume sa responsabilité sociale. Son code de conduite pour les sous-traitants et les milliers d’audits qu’elle mène auprès de ses fournisseurs montrent le souci de Disney de prouver aux consommateurs qu’elle prend les choses en main. Mais d’après les enquêtes de nos partenaires, ces mesures sont largement inefficaces.

Alors que Disney avait été interpellée au sujet de l’usine Merton en 1998, le CLW constate que « même si les conditions se sont globalement améliorées, de nombreuses violations graves persistent ». L’usine de Tianyu avait elle aussi fait l’objet d’une première enquête de la SACOM il y a un an mais – mis à part quelques améliorations en matière notamment de temps de travail – les enquêteurs n’ont pas constaté de progrès suffisants. Et quand il y a des avancées, celles-ci restent fragiles : à Haowei, sous la pression de Peuples Solidaires et de la SACOM, Disney avait accepté de faciliter l’établissement d’un comité de travailleurs pour faire entendre la voix des ouvriers au sein de l’usine, mais ce dernier n’a pas été pérennisé.

C’est la raison pour laquelle la SACOM et le CLW en appellent aujourd’hui à la solidarité de tous pour demander à Disney de prendre enfin la mesure des lacunes de sa politique de responsabilité sociale et de la corriger afin de garantir effectivement des conditions décentes aux ouvriers qui fabriquent ses jouets.

(1) Association d’étudiants et universitaires contre la mauvaise conduite des entreprises
(2) SACOM, “Still Looking for Mickey Mouse’s Conscience”, mai 2009.
(3) Cf. Rapport de la SACOM publié par Peuples Solidaires, “Ouvriers du jouet : les derniers maillons de la chaîne”, décembre 2009
(4) Rapport ”Unhappy Holidays at Merton Toy Factory”, octobre 2009, disponible sur www.chinalaborwatch.org

Pour signer l'Appel : http://www.peuples-solidaires.org/je-signe/?appel=944


JIM JARMUSCH : PAR DELA LE BIEN ET LE MAL

par Jean-Paul Gavard-Perret

Depuis « Stranger Than Paradise » qui le fit découvrir Jim Jarmusch a  
toujours fait le même film tout en revisitant le cinéma du Western au  
film sentimental. Son dernier film reste à la fois un road movie, un  
film d?enquête filée plus ou moins policière (mais jamais policée)  et  
surtout un cinéma d?initiation et d?identité. Comme son William Blake  
de « Dead Man » tous ses personnages sont à la recherche de la pureté  
à travers ce qu?on considère comme le mal. D?autant que lorsqu'ils  
veulent s?en dégager, à l'image de Ghost Dog le tueur mystiqur, ils ne  
peuvent que s?y affirmer puisque c?est là le chemin d?accès à leur  
vérité.

Après « Broken Flowers » décevant sous cynisme un peu trop doucereux  
et en retrait par rapport au reste de sa filmographie Jarmusch  
retrouve toute sa force avec « The Limits of Control ». On y retrouve  
un de ses acteurs fétiches Isaach de Bankolé (le marchand de glaces  
inénarrable et incompréhensible de Ghost Dog »). Il incarne un tueur  
solitaire en fuite qui tente par tous les moyens, de mener à bien sa  
funeste mission. Un job qui le conduira à travers l?Espagne et au sein  
de sa propre conscience. Tout Jarmusch est donc dans cette nouvelle  
?uvre où l?on retrouve d?autres habitués des castings du réalisateur  
(Bill Murray, Alex Descas, Tilda Swinton ou encore John Hurt) mais  
aussi des nouveaux venus (Jean-François Stévenin et Gael Garcia Bernal).

« The limits of Control » est avant tout un film ludique. L?auteur le  
définit  « comme un jeu d'enfants que comme un film au scénario  
classique. Je l'ai d'ailleurs construit comme un puzzle. J'avais envie  
de prendre le spectateur par la main et de l'emmener en promenade dans  
mon univers, un peu comme je l'ai fait avec les acteurs qui ont  
accepté facilement les règles que je leur ai fixées ». Mais  
méfions-nous d?une telle affirmation même si elle peut définir tous  
les films de Jarmusch. Toutefois contrairement à d'autres de ces films  
celui-ci s'est construit en plusieurs années selon la technique des  
sketches développée dans « Coffee ans Cigarettes ».  Mais ici  ils  
sont réunis  dans un seul long métrage sous la forme de film  
d'espionnage proche du cinéma expérimental. Une nouvelle fois le  
réalisateur  se démarque des codes de narration habituelle pour offrir  
un divertissement des plus sérieux dans la veine de « Dead Man ». Se  
découvre la même impression de moments pris sur le vif.

En ressort la liberté caractéristique qui reste la marque de fabrique  
de l'auteur. Son cinéma reste par excellence le modèle de  
l'indépendance, du refus de se plier à la loi de producteurs  
comptables qui veulent dicter leur loi. Jarmusch n'en a que faire.  
C'est son luxe et aussi son génie. « Le jour où je serai obligé de me  
plier à la dictature de l'argent, j'arrêterai de faire des films pour  
me consacrer à fond à la musique ! » écrit celui pour lequel cet art  
reste parti prenante de son travail. Chaque bande son de l'auteur le  
prouve depuis Gene Vincent de « Stranger Than Paradise » en passant  
par Elvis Presley de « Mistery Train »,  « Neil Young » pour « Dead  
Man », une pléiade de rappers  (RZA, GZA) pour « Ghost Dog sans parler  
de Tom Waits, d'Iggy Pop et des autres jusqu'à  « Sun O ))) »  
aujourd'hui.  La musique est capitale dans tous ses films. Pour le  
dernier il s'est beaucoup basé sur le travail du groupe Sun O)) pour  
construire la trame : « tout mon boulot est basé sur la musique. Je  
suis venu au cinéma presque par hasard, mais la musique est  
indispensable à mon équilibre. Si je ne pouvais plus en écouter, je  
préférerais être mort. C'est ma principale source d'inspiration ».

Jarmusch éprouve viscéralement le besoin d'échapper au cadre trop  
rigide dans lequel on tente souvent d'enfermer le cinéma et c'est  
pourquoi chacun de ses films est une manière de revisiter le problème  
du mal et du bien sous divers genre. A sa manière ce dernier film est  
une parodie du film épique, c'est un roman de chevalerie de l'ère post  
moderne. Pour y parvenir, sans méthode particulière le créateur veut  
avant tout faire oublier à ses comédiens qu?ils jouent une comédie ? «  
Si j'y parviens, j'estime avoir fait mon boulot » écrit-il. Et c'est  
pour cela qu'il lui arrive de faire jouer des musiciens. Ce qui  
compte, ce sont les rapports de complicité qui se développent entre  
lui et ses acteurs professionnels ou non.

Jarmusch se présente comme l'anti-Michael Bay. Ses films peuvent être  
considérés comme des pauses dans les siens. Il tourne ce qu'il ne  
montre jamais ! « Ce serait drôle de voir sa version de Dead Man ou de  
Ghost Dog : ça se bagarrerait tout le temps ! »  écrit-il. Et il  
ajoute « Je n'ai rien contre Michael Bay. Je comprends sa logique,  
mais j'aimerais que son exemple ne soit pas le seul à paraître viable  
aux maisons de production » . Le cinéma de Jarmusch peut paraître (à  
l'exception peut-être de Broken Flowers et des malentendus qu'il  
génère) de l'anti-cinéma. Pourtant si le réalisateur semble se dérober  
à certaines  attentes des spectateurs ce n?est pas  pour les  
frustrerait mais parce que le cinéma  est suffisamment vaste et ouvert  
 au moment où tout se rétrécit et qu?on peut offrir autre chose que  
de l'attendu. L'auteur résume sa vision ainsi : « Que puis-je donc  
enlever de mon film que les gens aimeraient y trouver ? Ils veulent de  
l'action du drame, des sommets d?émotion. Une fille est nue, ils  
veulent du sexe. J'ai essayé de me débarrasser de tout ça et de  
réaliser quand même un film noir capable de toucher le public, même si  
l?émotion est purement visuelle. Pas par esprit de négation. Au  
contraire. Je suis pour la beauté et la variété de gammes qu'offre le  
cinéma ».  Planant plus que lent le film a été un échec aux USA. Ce  
qui n'enlève rien à sa perfection (au contraire ?).
« Pas de flingue. Pas de sexe. Comment fais-tu pour tenir ? » dit un  
personnage du film et cela peut synthétiser cette ?uvre prenante,  
paradoxale, passionnante et complexe entraînée par Isaac De Bankolé en  
criminel au sang froid, serein, ramassé, concentré. Sorte de parodie  
des séries noires mais selon une autre approche que  « Point Blank »  
deJohn Boorman ou de « Made in ISA », « Detective » ou encore «  
Nouvelle Vague » de Jean-Luc Godard Jarmusch crée un film efficace et  
glacé dont le héros n?est distrait ni par les filles, l'alcool ou  les  
fêtes à l'image du Ghost Dog et contrairement à Dead Made un temps  
trahit par sa sexualité. Jarmusch a d'ailleurs une passion pour le  
genre du film noir. Et s'il tourne celui-ci en Espagne c'est  
simplement pour un immeuble fascinant, les Torres Blancas, que l'on  
aperçoit sur la route de l'aéroport lorsqu'on arrive à Madrid. « Je me  
suis toujours demandé pourquoi personne n'avait eu l'idée d'y réaliser  
un film. » dit l'auteur. Tout est parti de là pour aboutir peut-être à  
son film le plus philosophique.
Le cheminement intérieur proposé par Jarmusch à travers son personnage  
central joue sur un système de répétition pour proposer une vision  
éthique et porteuse de sens qui déjouent une simple vision morale  
orthodoxe qui grince ici. Les séquences se suivent dans une forme  
cyclique. Isaach de Bankolé interprète un personnage au passé non  
défini. Il atterrit dans un récit dénué de toutes explications sur sa  
vie et ses motivations. Il rencontre des personnages énigmatiques  
sortis peut-être des méandres de son esprit, lors de séquences aux  
musiques saturées et au sein de discussions apparemment absurdes. Sur  
la lancée de « Coffee and Cigarettes »  on retrouve une construction  
influencée par une pensée bouddhiste fondée sur l'idée de cycle de vie  
et sur la perdition apparente d?un personnage perdu dans des lieux  
sans attaches au symbolisme à peine caché. Dans son voyage spirituel,  
le tueur semble extérieur à lui-même. Il ne prend conscience de son  
existence qu'en regardant des toiles de maîtres. Peu à peu, il observe  
le monde comme une peinture jusque dans l?observation d'une femme nue  
et diaphane, d'un bar, d'une ruelle ou encore dans la dégustation d'un  
café. Et l'apparition de l'actrice Youki Kudoh au milieu du film nous  
projette ainsi vingt ans en arrière, lorsqu?elle celle-ci nous  
émerveillait dans Mystery Train.

Tout se passe dans « Limits of Control » comme si la fête était finie.  
Mais les archétypes chers à Jarmusch restent fixés. L'auteur se refuse  
à installer la culpabilité au fond de l'être. Elle n'est jamais  
entretenue et joue à contre courant. Elle est pour le réalisateur  
l?inverse de l'espérance et représente la déchirure de toute joie  
puisqu'elle reste liée au socle de douleur et de contradiction. Chez  
Jarmusch elle ne divise pas. Pour lui la coupure entre le bien et le  
mal, de la chair et de l'esprit, de l?éternité supposée et surtout du  
temps gâché n'existe pas. Tout se déroule en parfaite ouverture, en  
toute innocence plus qu'en perversité. Isaach de Bankolé semble vivre  
pour l'autre qu'il contient et qui a mûri dans sa conscience qui n'a  
rien à voir avec celle qu'une quelconque faute. La conscience ne fait  
que donner à partager le silence dans le désert du naître et du  
mourir. La catastrophe a déjà eu lieu. Il n'existe plus de figure d'un  
père archaïque, lumineusement noir. La vie est à l'envers mais ne  
manque pas de sens. Simplement le sens se situe par delà le bien et le  
mal. Sans penser à un dieu. L'amour vient d'ailleurs, du crime envers  
l'autre tant il y a de mal à vivre et assurer un sentiment pacifié.  
Toutefois chez le réalisateur l?homme ne porte pas en lui par sa  
naissance un pouvoir diabolique qui engendre la faute. Du possible  
pouvoir démoniaque de l'homme Jarmusch créé des facteurs  
d?émancipation de l?homme. Un homme mélancolique certes mais un homme  
tout de même et qui n?outrage pas le ciel. Il sait se libérer de  
manière naturelle et amorale des pulsions destructrices en faisant  
sauter la chape de plomb de son Ange noir. Il sort instinctivement de  
l?insupportable désarroi, de la sidérante noirceur de la dépression,  
de la Melancolia même s'il semble y plonger. Et lorsque le réel  
revient il convient de tenter de biffer ses irruptions, ses pointes.

La bande son est créée pour ça. Grâce à son incursion le miroir du  
réel ne reflète rien.  Certes, le héros peine à concevoir le temps du  
fond de sa fatigue plus que de son mal être. Le plafond du ciel est  
bas. Le héros s'y tient voûté. Mais au lieu de s'y dissoudre, de s'y  
sédentariser il avance dans la réalité comme dans un musée. Tout  
demeure pelliculaire. Se faire comprendre et vivre revient à passer,  
par la musique, au silence.  Pas besoin de regarder l?avenir. L'esprit  
est dans le corps comme un ballet dans le cul. Mais c'est par lui que  
la conscience telle une peau envoûtée se vidange. Refusant toute  
régulation le héros tente de sa retrouver "par la bande".  S'il  
détruit c'est sans le savoir pour se devenir tout en restant étranger  
au réel. La pulsion est restée sans cadre, repère, limite et  
privation.  Le personnage central se contente de se sentir intrus dans  
un univers qui lui demeure étranger.  Il le considère comme un  
effacement"jusqu'à plus rien depuis ses tréfonds / qu'à peine à peine  
/ n'importe comment n'importe où". (Beckett). A la fin il y aura le  
tapage du silence par toutes les musiques qui s'entendent encore et  
que bientôt on qu?on n?entendra plus. Mais le spectateur comme le  
héros  n'est libre que par leur blasphème. Sans crédit, sans statut,  
ni pardon. Ce mot d?ailleurs ne veut rien dire dans l'ablation du nom  
et sa perdition voulue. Fantômes que fantômes. Abasourdis, sonnés. A  
la fin il y a  ni victime, ni bourreau. Que ça, le silence. Sa  
dernière attente. Il faut accepter de disparaître dedans.

 

01/12/2009

Lettre de Michel Onfray au président

 
Monsieur le Président, devenez camusien !, par Michel Onfray

LE MONDE | 24.11.09 | 14h05

Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le
temps. Vous venez de manifester votre désir d'accueillir les cendres d'Albert Camus au
Panthéon, ce temple de la République au fronton duquel, chacun le sait, se trouvent
inscrites ces paroles : "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante". Comment vous
donner tort puisque, de fait, Camus fut un grand homme dans sa vie et dans son oeuvre
et qu'une reconnaissance venue de la patrie honorerait la mémoire de ce boursier de
l'éducation nationale susceptible de devenir modèle dans un monde désormais sans
modèles.
De fait, pendant sa trop courte vie, il a traversé l'histoire sans jamais commettre d'erreurs
: il n'a jamais, bien sûr, commis celle d'une proximité intellectuelle avec Vichy. Mieux :
désireux de s'engager pour combattre l'occupant, mais refusé deux fois pour raisons de
santé, il s'est tout de même illustré dans la Résistance, ce qui ne fut pas le cas de tous ses
compagnons philosophes. De même, il ne fut pas non plus de ceux qui critiquaient la
liberté à l'Ouest pour l'estimer totale à l'Est : il ne se commit jamais avec les régimes
soviétiques ou avec le maoïsme.
Camus fut l'opposant de toutes les terreurs, de toutes les peines de mort, de tous les
assassinats politiques, de tous les totalitarismes, et ne fit pas exception pour justifier les
guillotines, les meurtres, ou les camps qui auraient servi ses idées. Pour cela, il fut bien
un grand homme quand tant d'autres se révélèrent si petits.
Mais, Monsieur le Président, comment justifierez-vous alors votre passion pour cet
homme qui, le jour du discours de Suède, a tenu à le dédier à Louis Germain, l'instituteur
qui lui permit de sortir de la pauvreté et de la misère de son milieu d'origine en devenant,
par la culture, les livres, l'école, le savoir, celui que l'Académie suédoise honorait ce jour
du prix Nobel ? Car, je vous le rappelle, vous avez dit le 20 décembre 2007, au palais du
Latran : "Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre
le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé." Dès lors, c'est à La
Princesse de Clèves que Camus doit d'être devenu Camus, et non à la Bible.
De même, comment justifierez-vous, Monsieur le Président, vous qui incarnez la nation,
que vous puissiez ostensiblement afficher tous les signes de l'américanophilie la plus
ostensible ? Une fois votre tee-shirt de jogger affirmait que vous aimiez la police de New
York, une autre fois, torse nu dans la baie d'une station balnéaire présentée comme très
prisée par les milliardaires américains, vous preniez vos premières vacances de président
aux Etats-Unis sous les objectifs des journalistes, ou d'autres fois encore, notamment
celles au cours desquelles vous avez fait savoir à George Bush combien vous aimiez son
Amérique.
Savez-vous qu'Albert Camus, souvent présenté par des hémiplégiques seulement comme
un antimarxiste, était aussi, et c'est ce qui donnait son sens à tout son engagement, un
antiaméricain forcené, non pas qu'il n'ait pas aimé le peuple américain, mais il a souvent
dit sa détestation du capitalisme dans sa forme libérale, du triomphe de l'argent roi, de la
religion consumériste, du marché faisant la loi partout, de l'impérialisme libéral imposé à
la planète qui caractérise presque toujours les gouvernements américains. Est-ce le
Camus que vous aimez ? Ou celui qui, dans Actuelles, demande "une vraie démocratie
populaire et ouvrière", la "destruction impitoyable des trusts", le "bonheur des plus
humbles d'entre nous" (OEuvres complètes d'Albert Camus, Gallimard, "La Pléiade", tome
II, p. 517) ?
Et puis, Monsieur le Président, comment expliquerez-vous que vous puissiez déclarer
souriant devant les caméras de télévision en juillet 2008 que, "désormais, quand il y a
une grève en France, plus personne ne s'en aperçoit", et, en même temps, vouloir
honorer un penseur qui n'a cessé de célébrer le pouvoir syndical, la force du génie
colérique ouvrier, la puissance de la revendication populaire ? Car, dans L'Homme
révolté, dans lequel on a privilégié la critique du totalitarisme et du marxisme-léninisme
en oubliant la partie positive - une perversion sartrienne bien ancrée dans l'inconscient
collectif français... -, il y avait aussi un éloge des pensées anarchistes françaises,
italiennes, espagnoles, une célébration de la Commune, et, surtout, un vibrant plaidoyer
pour le "syndicalisme révolutionnaire" présenté comme une "pensée solaire" (t. III, p.
317).
Est-ce cet Albert Camus qui appelle à "une nouvelle révolte" libertaire (t. III, p. 322) que
vous souhaitez faire entrer au Panthéon ? Celui qui souhaite remettre en cause la "forme
de la propriété" dans Actuelles II (t. III, p. 393) ? Car ce Camus libertaire de 1952 n'est
pas une exception, c'est le même Camus qui, en 1959, huit mois avant sa mort, répondant
à une revue anarchiste brésilienne, Reconstruir, affirmait : "Le pouvoir rend fou celui qui
le détient" (t. IV, p. 660). Voulez-vous donc honorer l'anarchiste, le libertaire, l'ami des
syndicalistes révolutionnaires, le penseur politique affirmant que le pouvoir transforme
en Caligula quiconque le détient ?
De même, Monsieur le Président, vous qui, depuis deux ans, avez reçu, parfois en grande
pompe, des chefs d'Etat qui s'illustrent dans le meurtre, la dictature de masse,
l'emprisonnement des opposants, le soutien au terrorisme international, la destruction
physique de peuples minoritaires, vous qui aviez, lors de vos discours de candidat,
annoncé la fin de la politique sans foi ni loi, en citant Camus d'ailleurs, comment
pourrez-vous concilier votre pragmatisme insoucieux de morale avec le souci camusien
de ne jamais séparer politique et morale ? En l'occurrence une morale soucieuse de
principes, de vertus, de grandeur, de générosité, de fraternité, de solidarité.
Camus parlait en effet dans L'Homme révolté de la nécessité de promouvoir un
"individualisme altruiste" soucieux de liberté autant que de justice. J'écris bien : "autant
que". Car, pour Camus, la liberté sans la justice, c'est la sauvagerie du plus fort, le
triomphe du libéralisme, la loi des bandes, des tribus et des mafias ; la justice sans la
liberté, c'est le règne des camps, des barbelés et des miradors. Disons-le autrement : la
liberté sans la justice, c'est l'Amérique imposant à toute la planète le capitalisme libéral
sans états d'âme ; la justice sans la liberté, c'était l'URSS faisant du camp la vérité du
socialisme. Camus voulait une économie libre dans une société juste. Notre société,
Monsieur le Président, celle dont vous êtes l'incarnation souveraine, n'est libre que pour
les forts, elle est injuste pour les plus faibles qui incarnent aussi les plus dépourvus de
liberté.
Les plus humbles, pour lesquels Camus voulait que la politique fût faite, ont nom
aujourd'hui ouvriers et chômeurs, sans-papiers et précaires, immigrés et réfugiés, sanslogis
et stagiaires sans contrats, femmes dominées et minorités invisibles. Pour eux, il
n'est guère question de liberté ou de justice... Ces filles et fils, frères et soeurs,
descendants aujourd'hui des syndicalistes espagnols, des ouvriers venus d'Afrique du
Nord, des miséreux de Kabylie, des travailleurs émigrés maghrébins jadis honorés,
défendus et soutenus par Camus, ne sont guère à la fête sous votre règne. Vous êtes-vous
demandé ce qu'aurait pensé Albert Camus de cette politique si peu altruiste et tellement
individualiste ?
Comment allez-vous faire, Monsieur le Président, pour ne pas dire dans votre discours de
réception au Panthéon, vous qui êtes allé à Gandrange dire aux ouvriers que leur usine
serait sauvée, avant qu'elle ne ferme, que Camus écrivait le 13 décembre 1955 dans un
article intitulé "La condition ouvrière" qu'il fallait faire "participer directement le
travailleur à la gestion et à la réparation du revenu national" (t. III, p. 1059) ? Il faut la
paresse des journalistes reprenant les deux plus célèbres biographes de Camus pour faire
du philosophe un social-démocrate...
Car, si Camus a pu participer au jeu démocratique parlementaire de façon ponctuelle
(Mendès France en 1955 pour donner en Algérie sa chance à l'intelligence contre les
partisans du sang de l'armée continentale ou du sang du terrorisme nationaliste), c'était
par défaut : Albert Camus n'a jamais joué la réforme contre la révolution, mais la réforme
en attendant la révolution à laquelle, ces choses sont rarement dites, évidemment, il a
toujours cru - pourvu qu'elle soit morale.
Comment comprendre, sinon, qu'il écrive dans L'Express, le 4 juin 1955, que l'idée de
révolution, à laquelle il ne renonce pas en soi, retrouvera son sens quand elle aura cessé
de soutenir le cynisme et l'opportunisme des totalitarismes du moment et qu'elle
"réformera son matériel idéologique et abâtardi par un demi-siècle de compromissions
et (que), pour finir, elle mettra au centre de son élan la passion irréductible de la
liberté" (t. III, p. 1020) - ce qui dans L'Homme révolté prend la forme d'une opposition
entre socialisme césarien, celui de Sartre, et socialisme libertaire, le sien... Or, doit-on le
souligner, la critique camusienne du socialisme césarien, Monsieur le Président, n'est pas
la critique de tout le socialisme, loin s'en faut ! Ce socialisme libertaire a été passé sous
silence par la droite, on la comprend, mais aussi par la gauche, déjà à cette époque toute
à son aspiration à l'hégémonie d'un seul.
Dès lors, Monsieur le Président de la République, vous avez raison, Albert Camus mérite
le Panthéon, même si le Panthéon est loin, très loin de Tipaza - la seule tombe qu'il aurait
probablement échangée contre celle de Lourmarin... Mais si vous voulez que nous
puissions croire à la sincérité de votre conversion à la grandeur de Camus, à l'efficacité de
son exemplarité (n'est-ce pas la fonction républicaine du Panthéon ?), il vous faudra
commencer par vous.
Donnez-nous en effet l'exemple en nous montrant que, comme le Camus qui mérite le
Panthéon, vous préférez les instituteurs aux prêtres pour enseigner les valeurs ; que,
comme Camus, vous ne croyez pas aux valeurs du marché faisant la loi ; que, comme
Camus, vous ne méprisez ni les syndicalistes, ni le syndicalisme, ni les grèves, mais qu'au
contraire vous comptez sur le syndicalisme pour incarner la vérité du politique ; que,
comme Camus, vous n'entendez pas mener une politique d'ordre insoucieuse de justice et
de liberté ; que, comme Camus, vous destinez l'action politique à l'amélioration des
conditions de vie des plus petits, des humbles, des pauvres, des démunis, des oubliés, des
sans-grade, des sans-voix ; que, comme Camus, vous inscrivez votre combat dans la
logique du socialisme libertaire...
A défaut, excusez-moi, Monsieur le Président de la République, mais je ne croirai, avec
cette annonce d'un Camus au Panthéon, qu'à un nouveau plan de communication de vos
conseillers en image. Camus ne mérite pas ça. Montrez-nous donc que votre lecture du
philosophe n'aura pas été opportuniste, autrement dit, qu'elle aura produit des effets
dans votre vie, donc dans la nôtre. Si vous aimez autant Camus que ça, devenez
camusien. Je vous certifie, Monsieur le Président, qu'en agissant de la sorte vous vous
trouveriez à l'origine d'une authentique révolution qui nous dispenserait d'en souhaiter
une autre.
Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, à mes sentiments respectueux et
néanmoins libertaires.
 
 

Michel Onfray
est philosophe.

Article paru dans l'édition du 25.11.09

Tes ailes clouées en l’Hôtel des marchands

Tes ailes clouées en l’Hôtel des marchands


        A Charles Baudelaire, mort miséreux le 31 août 1867 sans avoir fait de testament, dont les derniersvestiges (lettres, livres…) seront dispersés en l’Hôtel Drouot, ce 1er décembre 2009, sans un geste de     l’état pour sauvegarder le souvenir du poète…

.
Il a les ailes clouées au sol
Du goudron plein les plumes
Un hoquet odieux lui prête encore un souffle
Mais il agonise en silence
*
Nul ne viendra à son secours
Son vol s’est achevé
En un train de misère
Rien ne restait de ses rêves
*
Tant de fois il aurait voulu mourir
Tant de fois ses ailes en un dernier effort
Le poussaient à décoller
Toujours plus loin
Toujours plus précis
En ses mots de délivrance
*
Mais voilà que la tombe s’est refroidie
La pierre scellée
Sur ses paroles de prophète
Il ne fut qu’une mère pour recueillir
Pieusement
Les pièces d’un jeu
Dont le fils est sorti
Les pieds devant
Les ailes brisées
*
Il ne fut qu’une mère
Puis un ami
Lettres et photographies
Ouvrages et archives
Tout fut pieusement conservé
Jusqu’au jour où
*
Jusqu’au jour où la mort te rattrape
Charles
La voici qui scelle encore un peu
La pierre
Cloue tes ailes au pilori des marchands
De ta misère
Charles
Ils feront fortune
Sans un état d’âme
*
Que triste est le bruit que fait
Un poète qu’on tue pour la deuxième fois
Que triste est le pays
D’où nulle âme ne s’élève
Pour empêcher le crime
.
        Xavier Lainé
        Manosque, 1er décembre 2009

 

Source : http://poesiedanger.blogspot.com/2009/12/les-ailes-clouee... Merci André, toujours attentif !