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01/05/2017

Comme une odeur de printemps avorté par Sarah Roubato

 

Il y a dans l'air comme une odeur de printemps avorté. L'espoir boite des ailes. Regarde bien, petit, regarde bien. Dans l'arène, deux lions se battent. Mais tends l’oreille, petit. Tu entends ? Des bruits de grattage, de reniflage, de coups de pioche. C’est le bruit des taupes. Sous la poussière de l’arène médiatique, des millions de taupes travaillent pour préparer le monde de demain.

 

Etienne quitte la mine, Germinal, Zola, par Claude Berri Etienne quitte la mine, Germinal, Zola, par Claude Berri
 
 
Regarde bien, petit, regarde bien. Y’a un homme qui vient que je ne connais pas. Il revient de l’arène. C’est l’espoir qui boite des ailes. La boue entre par les trous dans ses semelles. La faim qu’il ne sentait plus hier est revenue. Il y a dans l’air comme une odeur de printemps avorté. Les horizons qui le faisaient chanter hier encore lui sont retombés sur le crâne. Il a mal à la tête, il veut s’allonger, faire la sieste pour les quinze prochains jours. Et peut-être pour les cinq ans à venir.

 

Regarde bien, petit, regarde bien. Dans l’arène, le spectacle continue. L’armée des Sauveurs de la République brandit les grands mots d’un régime à bout de souffle. Tout autour, les prêtres de la messe télévisuelle tendent leurs micros : Vous en appelez à voter pour… ? Ce soir vous nous dites que vous ralliez à… ? Le scénario est déjà écrit. Le pire est là. En deux exemplaires. Le choix n’aura pas lieu. Le refus est interdit. Il ne compte pas. Choisir ou ne pas choisir ? Rester dans l’incendie ou bien sauter dans le ravin ? Les brebis attendent que le berger qui leur avait promis de verts pâturages les dirige vers le feu ou bien vers le vide.

Les figurants de la dernière heure jouent la grande tirade de la République en danger. Personne ne donne de consigne, mais tout le monde dit pour qui ne pas voter. La litote est revenue à la mode. Chacun est libre. Libre de voter pour éviter, de voter pour faire barrage, de voter pour empêcher. Voter pour ne pas. Notre liberté a toute l’étendue d’un passage clouté.

Regarde bien et apprends ta leçon, petit. Ce n’est pas en faisant quelque chose d’important que tu feras parler de toi. C’est en faisant parler de toi que tu deviendras important. Sois un phénomène avant d’avoir des idées. Dans ce monde, c’est l’enveloppe qui compte. Un nouveau visage est le renouveau. Être jeune garantit le changement. S’égosiller est le nouveau charisme. Enfile une peau de loup et les gens diront que tu es un loup.

Le caniveau rejette les mots usés : environnement, entraide, harmonie, imagination, envie, possibilités, vivre ensemble, jours heureux, battre le cœur, espérance. Vous êtes arrivés trop tard, messieurs. Ou bien trop tôt. Les enfants de la société du spectacle, de la consommation, du capital et de la communication, gagnants ou perdants, ne veulent pas de vous. Ils dessinent leur horizon avec des feuilles de paye, un pouvoir d’achat, des avantages fiscaux. Ils veulent qu’on les rassure : le monde qu’ils connaissent va pouvoir continuer, enfler, accélérer. 

Dans l’arène, les deux derniers lions se livrent un combat que plus de la moitié des spectateurs n’a pas souhaité. Mais tends l’oreille, petit. Tu entends ? Des bruits de grattage, de reniflage, de pioches, de coups. C’est le bruit des taupes. Sous la poussière de l’arène médiatique, des millions de taupes travaillent pour préparer le monde de demain. Jour et nuit, jour de spectacle et jours de relâche. Elles creusent, abattent des cloisons entre des mondes qui s’ignoraient, relient des galeries, inventent de nouveaux itinéraires de vie. Souvent elles arrivent à des impasses, impossible de creuser plus loin. Alors elles font demi tour, et cherchent un autre accès.

Elles arrivent de tous les coins de la plaine. Des usines, des salles de classe, des champs, des bureaux, des estrades. De la grande ville, des banlieues, des campagnes. Là haut, on leur avait appris qu’elles appartenaient à différentes espèces. Qu’elles devaient évoluer de chaque côté d’une ligne de fracture qui sépare les centre-villoises et les banlieusardes, les rurales et les citadines, les ouvrières et les patronnes, les chômeuses et les travailleuses, les littéraires et les scientifiques, les jeunes et les vieilles, celles qui sont nées ici et celles qui sont nées ailleurs.

Elles préparent le monde de demain. Elles ne savent pas si ce sera suffisant. Tant pis. Sous la poussière, elles creusent. Sous ceux qui rugissent, elles agissent. Sous ceux qui grognent, elles grattent. Sous les coups de griffes, elles reniflent. Pour pouvoir se dire à la fin du spectacle que quelque chose a changé pendant qu’elles sont passées.

Elles ne savent pas qu’elles sont aussi nombreuses. Chacune dans son tunnel suit un instinct, une idée, une intuition, une folie. Elles ont troqué la vision du monde qu’on leur a apprise contre celle d’un monde qui n’existe pas encore. Elles flairent les potentiels. Au fond du tunnel, elles voient d’autres horizons. Dans son couloir, chacune se croit seule. Elles passent souvent à quelques centimètres l’une de l’autre sans se rencontrer. Parfois, un coup de griffe bien placé, le mur tombe, et elles se rencontrent dans une galerie. Alors elles créent des associations, des collectifs, des mouvements, des villages. Creusent des écoles alternatives, des monnaies locales, fabriquent du naturel, organisent des circuits courts, encouragent un tourisme respectueux des espaces qu’il traverse, inventent d’autres modèles d’entreprise, ramènent la culture à la portée de tous, créent des associations pour ceux que leur âge, leur handicap ou leur parcours de vie, isolent de la société.

Elles préparent un monde où nos activités – manger, se chauffer, se déplacer, se maquiller – respectent le vivant, où les générations travaillent, s’amusent et apprennent ensemble, où les nouvelles technologies n’effacent pas la présence aux autres. Elles savent que demain exige de nous qu’on recalibre nos priorités, qu’on change de paradigmes et de cadres. C’est un changement qui ne se décrète pas et qui ne s’écrit pas à l’avance. Un changement qui s’essaye, qui se casse la gueule, qui se repositionne, les mains dans le cambouis du quotidien.

Il va te falloir choisir, petit. Dans chaque geste de ta vie. Entre ce qui s’agite à la surface  et ce qui travaille en sourdine. Entre ceux qui attendent que le changement vienne d’en haut et ceux qui l’appliquent dans chaque geste. Entre ceux qui ont renoncé à leur puissance et ceux qui la reconquièrent. Entre ceux qui font faute de mieux et ceux qui œuvrent pour faire mieux. Entre ceux qui se contentent du monde tel qu’il est et ceux qui poursuivent le monde tel qu’il devrait être.

Etienne quitte la mine, Germinal, Zola, par Claude Berri Etienne quitte la mine, Germinal, Zola, par Claude Berri


Regarde bien, petit, regarde bien. Un jardinier boiteux la semence dans le poing cherche son jardin. Le boiteux avance, guidé par le bruit des taupes sous ses pieds. Quelque chose est en train de monter. Quelque chose de plus grand que les hommes qui l’ont portée. La sève d’un autre printemps qui ne viendra pas cette année. "C'est pour un changement ? Repassez plus tard !" Regarde bien petit, regarde bien. Y’a un homme qui vient que nous ne saurons pas. Tu peux reprendre les armes.

 

Sarah Roubato

www.sarahroubato.com

 

 

30/04/2017

Lichen n° 14 (mai 2017)

 

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Publication à périodicité (éventuellement) mensuelle * ISSN 2494-1360

prix : 1 mot (nous demandons que chaque personne qui consulte et apprécie ce blog nous envoie, en échange, un mot)

Au sommaire de ce 14e numéro :

Éditorial

Actualités : à lire

Carte postale : « Transparence », par Marie-Anne Schönfeld

Jiani Abert : deux poèmes sans titre

Anouch : « là enfin l’embellie » et « du travail pour les paupières »

Asteln : le nuage (photo et poème)

Antoine Barat-Vassard : « Céline au casse-pipe »

Bernard B : « Pause surréaliste 7 »

Jean-Pierre Bars : quatre poèmes sans titre

Clément Bollenot : trois poèmes très courts sans titre

Pauline Bordaneil : « Incipit » et « Conjonction »

Gabrielle Burel : « La nouvelle »

Éric Cuissard : « Petite suite de poèmes incertains, façon André du Bouchet »

Colette Daviles-Estinès : « Cachets de la poste » et « Poèmier »

Carine-Laure Desguin : « Assoiffer le matin » et « À raison de berge »

Michel Diaz : un poème sans titre (extrait de Dans l’inaccessible présence, à paraître)

Didier Du Blé : un poème sans titre extrait de Vers un autre horizon

Marine Dussarat : « Le clapotis de la vague » et « Juste pour rien »

Laure Escudier : « Le cri du regard », poème, et « Masque 2 », dessin

Cathy Garcia : « Faille ou fêlure »

Gabriel Henry : « Parallèles »

Hoda Hili : « Nasses » (XXI à XXVI)

Leafar Izen : trois courts poèmes

Valère Kaletka : trois poèmes

Abir Khalifé : « Pétrole », traduit de l’arabe par Antoine Jockey

Cédric Landri : trois pantouns

Robert Latxague : « Stylo swing »

Hervé Le Boisselier : « Parler » (1)

Le Golvan : encore d’autres extraits de Jours

Alix Lerman Enriquez : « Une fenêtre s’ouvre »

Bénédicte Liocourt : « mercredi 7 octobre »

Jean Lucq : deux poèmes

Cédric Merland : quatre poèmes très courts

Marc Meyer : « Soma »

Ana Minski : « Extraits de mondes » (2) et « Le dédale des rêves » (peinture)

Brice Noval : « Norev »

Charles Orlac : un poème sans titre

Frédéric Perrot : « Le brouillard » (avec un dessin d’Éric Doussin)

Joëlle Pétillot : « Trois jamais »

Éric Pouyet : « Vous pouvez répéter la question ? »

Bénédicte Rabourdin : « La combine »

Florentine Rey : trois textes courts

Olivier Robert : trois poèmes courts sans titre

Salvatore Sanfilippo : « Si belle » et« Aléatoire »

Marie-Anne Schönfeld : deux « Rencontres »

Clément G. Second : un poème, une photo

Marjorie Tixier : « Bon Iver »

Sophie Marie Van der Pas : Petit haïku de saison

Choses vues : La 2e édition des « Journées d’Avril » à Clans (06)

Éric Cuissard et quelques autres : le jeu des chiffres

Guillemet de Parantez et quelques autres : le don de mots

 

 

 

 

 

28/04/2017

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon - les prédateurs au pouvoir

A lire : Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, Les prédateurs au pouvoir. Main basse sur notre avenir, Textuel, 2017, 64 pages.

 

Pourquoi certains électeurs vont-ils voter pour un candidat qui ne leur ressemble pas et qui ne semble même pas défendre leurs intérêts ? Pourquoi acceptons-nous ce fossé qui s’élargit chaque jour davantage entre une classe dominante et les autres ? Comment l’argent est-il devenu une arme de destruction massive aux mains d’une oligarchie ? C’est à ces questions que tentent de répondre les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, dans leur ouvrage Les prédateurs au pouvoir, dans un style clair et corrosif. Pour eux, Marine Le Pen, François Fillon ou Emmanuel Macron ne sont que différents visages de cette oligarchie prédatrice qui a fait main basse sur notre avenir. Rencontre.

Basta ! : Face à l’augmentation des inégalités, à l’intolérable situation dans laquelle se trouvent une partie de la population qui subit le chômage, pourquoi la question du partage des richesses n’est-elle pas plus centrale dans cette campagne ?

Monique Pinçon-Charlot : Il est difficile aujourd’hui de parler des inégalités abyssales, dont la concentration se fait pourtant à une vitesse complètement folle. En 2010, 388 multimilliardaires possèdent la moitié des richesses de l’humanité. En 2016, cette richesse est concentrée entre les mains de seulement 8 super riches ! Mais cela reste tabou car ces richesses ne sont pas le résultat de mérites, de réalisations favorables à l’humanité, mais de spéculations, de prédations sur les ressources naturelles, dans tous les domaines d’activité économique et sociale. Elles sont destructrices pour la planète et pour l’humain, mais sont passées sous silence. Une partie du problème vient du fait que ce sont des patrons du CAC40 qui sont massivement propriétaires des grands médias, qui relaient volontiers la « voix de leur maître » (lire notre enquête « Le pouvoir d’influence délirant des dix milliardaires qui possèdent la presse française »).

Dans ces conditions, comment des responsables politiques qui ne s’attaquent pas aux causes de ces inégalités arrivent-ils à nous faire croire qu’ils œuvrent pour le bien de tous ?

  1. P.-C. : On ressent un désarroi très profond chez les Français avec cette élection présidentielle : ils ne comprennent plus rien ! Ils sentent qu’il y a quelque chose de vicié, de pervers, de cynique dans cette situation, qu’ils sont lobotomisés par les médias, qu’ils n’ont pas les moyens de penser car ils sont dans un brouillard sémantique, idéologique, linguistique. Ils sont en quelque sorte tétanisés, sidérés. Et la classe politique est dans une bulle. On nous dit que le système est démocratique, mais quand on voit comment un ouvrier comme Philippe Poutou est traité... Il n’y a pas d’ouvriers à l’Assemblée nationale, alors qu’ouvriers et employés représentent aujourd’hui encore 52% de la population active ! Un tel décalage entre réalité des classes moyennes et populaires et ce qui se passe au Parlement est problématique.

Comment est-ce possible que des responsables politiques ne voient pas où est le problème, à acheter des costumes de luxe, à se faire payer des cadeaux par des « amis » ?

  1. P.-C. : C’est plus grave que cela. Il y a un processus qui se construit dès la naissance, de recherche d’entre-soi, d’être avec son semblable. C’est aussi un processus d’évitement et de ségrégation du non-semblable. Petit à petit, cela construit le dominant comme s’il venait d’une autre planète, comme s’il était d’une autre « race »… Comme pour la noblesse, avec son prétendu « sang bleu » : la différence était marquée dans la définition même du corps. Et dans la déshumanisation de l’autre, du dissemblable. L’autre, ils s’en fichent… du moment qu’il continue à voter pour eux.

Mais comment expliquer que François Fillon ait encore autant de supporters ?

  1. P.-C. : C’est une question centrale. Pourquoi est-il à un niveau encore si haut dans les sondages malgré la gravité de ce qui lui est reproché ? Les 30 années que nous avons passées à travailler sur l’oligarchie nous ont permis de nous mettre dans leurs têtes – celles de François Fillon et des proches qui le soutiennent, celles des super riches. Ils se sont construits avec un sentiment d’appartenir à une classe sociale, une classe hétérogène évidemment mais suffisamment solidaire pour capter tous les pouvoirs. Ils sont entre eux en permanence : cela permet la construction d’un sentiment d’impunité collective et d’immunité psychologique. Chaque individu se construit une non-culpabilité, une « non mauvaise conscience ». Ce sont des gens « à part », qui estiment qu’ils ne peuvent pas être punis sur le plan pénal, en matière de fraude fiscale ou de corruption. Ils considèrent que les institutions doivent les protéger. Cette classe a une fonction : défendre les intérêts de la classe. Ils ne peuvent pas penser en termes moraux, de culpabilité, cela ne les habite pas. La culpabilité, ça, c’est pour nous ! Eux, ils font leur job de prédation. C’est plus fort que de la corruption, que du vol : on bouffe les autres.

Michel Pinçon : Ce sont des gens aimables, propres sur eux, qui présentent bien, mais ont souvent des casseroles. La sous-évaluation des biens pour les impôts ou l’évasion fiscale, cela va de soi ! Ils estiment qu’ils ont suffisamment travaillé, ils ont hérité de leur parents, ils ont fait fructifier, on ne va pas venir le leur prendre... Il y a une logique dynastique dans cette accumulation. Le fait de transmettre aux enfants, de continuer la dynastie (ou de la fonder). Ils font venir les enfants l’été pour les former dans l’entreprise familiale.

  1. P.-C. : Un peu comme dans l’affaire Fillon…
  2. P. : Malgré les conflits entre eux, cette classe bourgeoise est solidaire sur le fond. L’analyse en terme de classe sociale, ce n’est pas une foutaise, un truc d’autrefois. Il y a une classe bourgeoise qui existe par son niveau de richesses, la propriété des moyens de production, matérielle, mais aussi par la conscience qu’elle a d’elle-même. Et par le fait de veiller au grain pour que ça dure.

On peut comprendre pourquoi ceux-ci votent pour François Fillon. Mais pourquoi les classes populaires votent-elles pour des responsables qui ne leur ressemblent pas ? Dont les intérêts semblent contradictoires avec les intérêts de la classe populaire, comme pour Donald Trump ?

  1. P. : Cela n’a pas été toujours le cas. Dans la période après guerre, le Parti communiste représentait une force sociale considérable. Il y avait notamment chez les ouvriers une conscience de l’existence de classes, de leur appartenance à une classe qui ne possède pas les moyens de production. La chute de l’URSS a été vécue comme l’échec des espoirs de fonder une société qui fonctionne autrement. Avec la destruction de la conscience de classes, l’expression politique peut aller vers des choix non conformes aux intérêts des classes populaires.
  2. P.-C. : Quand Ernest-Antoine Seillière a pris les rênes du Medef [de 1998 à 2005, ndlr], il a procédé à une « refondation sociale », c’est-à-dire une inversion de la théorie marxiste de la lutte des classes : les riches sont devenus des « créateurs de richesses ». Et les ouvriers, qui sont les créateurs de richesses et de plus-value selon la théorie marxiste, sont devenus des « charges » et des variables d’ajustement. C’est un processus de déshumanisation très fort. Les ouvriers qui votent pour le Front national sont des gens perdus, qui ne comprennent pas ce qui leur est arrivé. Ils votent d’ailleurs pour Le Pen en disant : « On va peut-être se faire avoir, mais on aura tout essayé ». Et ils ne vont pas être déçus ! Car Le Pen, c’est la dernière alternance de l’oligarchie.

Le Front national a un discours virulent contre les « élites » françaises. Il participe selon vous de cette oligarchie qu’il dénonce ?

  1. P.-C. : Le Front national, c’est une dynastie familiale. Une dynastie des beaux quartiers, avec de l’argent, des biens immobiliers, une famille assujettie à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Une dynastie avec un rapport très décomplexé à l’argent public et qui traine ses casseroles : sous-déclaration des biens au fisc, emplois fictifs, surfacturation des frais de campagnes pour prendre du fric à l’État. On est bien dans le registre de l’oligarchie, de la délinquance en col blanc. C’est une dynastie familiale devenue parti politique, avec trois générations, un phénomène de népotisme assez unique en France. Autre élément, dont parle peu la presse, la forte présence d’anciennes familles de la noblesse parmi les hauts dirigeants du FN.

Marine Le Pen a un discours très critique envers l’oligarchie européenne, mais elle contribue à préserver l’opacité de sa bureaucratie ! Les gens ignorent tout des votes de Marine Le Pen : sur la question de l’évasion fiscale, elle s’est opposée à la création d’une commission d’enquête sur les Panama Papers. Deux de ses proches, Frédéric Châtillon et Nicolas Crochet, sont épinglés comme possédant des comptes offshore, selon les Panama Papers. Les eurodéputés du FN ont aussi voté pour le secret des affaires. Mais Marine Le Pen feint toujours de se bagarrer contre l’opacité de la bureaucratie européenne... C’est une imposture (lire notre enquête « Au Parlement européen, les votes méprisants du FN et de Marine Le Pen à l’égard des travailleurs »)

Pourquoi ces éléments sont peu relevés par les médias ?

  1. P.-C. : Parce que les médias ne font pas leur travail. Depuis trente ans, la classe oligarchique a ouvert un boulevard au Front national. Celui-ci a pour stratégie de casser la gauche radicale, de la détourner, de prendre sa parole, son programme, ses électeurs. Résultat : les gens ne comprennent plus rien.

Comment situez-vous Emmanuel Macron ? Vous dites qu’il a réussi un tour de passe-passe pour parvenir à faire croire qu’il n’est pas membre de cette oligarchie, malgré sa « parenthèse Rothschild » et ses liens avec le monde de la finance ?

  1. P.-C. : Emmanuel Macron, il est parfait. C’est l’oligarque parfait. Qui convient parfaitement aux familles sur lesquelles nous avons mené nos études sociologiques. Il n’est « ni de droite ni de gauche »...
  2. P. : … Donc « ni de gauche ni de gauche » !
  3. P.-C. : Voilà… Il représente la pensée unique. Nous sommes dans un monde orwellien, mais il n’y a plus besoin de parti unique : nous avons la pensée unique ! Emmanuel Macron en est un porte-parole absolument extraordinaire. Il connaît des gens dans tous les recoins de l’oligarchie. Il se fait financer par des banquiers anglo-saxons, américains, dont il refuse de donner les noms. Il veut supprimer l’ISF et affirme que c’est une mesure de gauche... Quand on analyse ses discours, on se rend compte que c’est un vide absolument abyssal. C’est pour nous la caricature du conformisme qui se transforme en une espèce de « progressisme radieux » et fallacieux.
  4. P. : Il peut faire illusion. L’illusion de la capacité, de l’expérience. Il apparaît comme un changement serein. Mais il propose une régression sociale sans précédent.

D’où vient son succès ? De l’attrait du « neuf » ?

  1. P.-C. : C’est plus grave que cela. Il peut être le levier pour l’oligarchie mondialisée, celle qui se cache derrière l’idée de mondialisation pour mieux faire passer la marchandisation généralisée de la planète. Macron serait du bon côté du manche. Et un élément décisif. Nous sommes passés à une étape de plus vers un totalitarisme qui ne dit pas son nom. Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont pas tenu leurs promesses : les responsables politiques mentent. Mais là, avec Macron, on est passé au foutage de gueule : « Je ne prends même pas la peine de faire un programme parce que de toute façon je ne le tiendrai pas ». Cela montre à quel point on méprise le peuple. C’est une violence de plus à l’égard des classes populaires et moyennes.

Vous affirmez dans votre ouvrage que « les prédateurs au pouvoir ont fait main basse sur notre avenir ». Quelles sont leurs motivations ? Qu’est-ce qui pousse les plus riches à ces comportements de prédation ?

  1. P.-C. : Il ne s’agit pas d’accumuler pour accumuler. L’argent est devenu une arme pour asservir les peuples. En ne payant plus d’impôts, ils construisent le déficit et la dette – qui n’a pas vocation à être remboursée : c’est une construction sociale, comme le « trou de la sécurité sociale ». Ils spéculent sur le réchauffement climatique et accélèrent la marchandisation de la planète. On spécule même sur le travail social, comme l’accompagnement des sans-abri, qui devient un nouveau marché financier, avec la création des « contrats à impact social ». C’est une destruction de tout ce qui peut ressembler à de la solidarité sociale, par ces oligarques, par le système capitaliste.

La seule raison de vivre des nantis est « l’enrichissement, les pouvoirs qui lui sont liés et l’euphorie de vies hors du commun », écrivez-vous…

  1. P. : Un des gains importants est la création d’une dynastie. C’est quelque chose qui a des effets un peu magiques. Cela donne une immortalité symbolique. Vous avez des rues de Paris qui porte votre nom de famille...
  2. P.-C. : La reproduction des privilèges passe par les familles, par la transmission au sein de la confrérie des grandes familles. On a fait la Révolution il y a plus de deux siècles, mais ce sont encore des grandes familles qui tiennent les rênes de presque tous les secteurs d’activité. La bourgeoisie a singé la noblesse après la Révolution et a inscrit les privilèges et richesses dans le temps long de la dynastie.

La situation peut-elle s’améliorer ?

  1. P.-C. : On nous dit que la richesse des plus riches bénéficie à tous. Mais cette « théorie du ruissellement » fait partie de la guerre idéologique ! Le fossé s’élargit chaque jour davantage entre la classe dominante et les autres classes. L’ascenseur social n’existe plus. Il y a un antagonisme irréductible, qui appelle à un changement radical, à une révolution. Il faut que les titres de propriété leur soient enlevés ! Et que ceux qui travaillent dans les entreprises prennent les rênes et les responsabilités.
  2. P. : La situation est pire qu’avant car il n’y a plus d’unité populaire en face du pouvoir de l’argent. Si Emmanuel Macron est élu, cela risque de s’aggraver encore, car c’est un faux-semblant. Il est perçu comme le Messie…
  3. P.-C. : … alors que c’est le baiser du diable. Et que cette violence de classe atteint les gens dans leur être profond. Nous ne sommes pas du tout dans le « tous pourris ». Ce que nous disons, c’est qu’il faut prendre le problème dans sa globalité, puisque tout est lié : évasion fiscale, réchauffement climatique... Nous voulons mettre en lumière le fonctionnement d’une classe sociale, propriétaire des moyens de production et prédatrice du travail d’autrui. Car c’est vraiment une guerre de classes que mènent les plus riches contre les peuples.

 

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

21 avril 2017 - Bastamag

23/04/2017

Hani Abbas - the Mad elections

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21/04/2017

Le n°2 de Chats de Mars est né

 

 

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Il est noir (!) et propose des textes de Cathy Garcia Canalès, Michel Meyer, Ingrid S. Kim, Pénélope Corps et Christophe Siébert. Empreintes de Christophe Lalanne. 

 

 

 

 

20/04/2017

Brésil : le grand bond en arriere de Mathilde Bonnassieux et Frédérique Zingaro (2016)

A voir absolument !!!

 

 

 

18/04/2017

Ni dieu, ni maître, une histoire de l'anarchismed de Tancrère Ramonet (2016)

 

Du manifeste fondateur de Proudhon (1840) à la chute de Barcelone (1939)...

Qui sont-ils ? D'où viennent-ils et que pensent-ils, ceux qui hier comme aujourd'hui se disaient anarchistes ? Pourquoi alors qu'ils furent fichés, traqués, enfermés, leurs visages nous demeurent-ils étrangers ? Pourquoi leur pensée nous semble-t-elle confuse et leur histoire si inquiétante ?

Né du capitalisme, frère ennemi du communisme d'Etat, l’anarchisme a presque autant de sensibilités qu’il n’a de figures, et s’il nous semble aujourd’hui minoritaire, on oublie qu’il fut un temps où il fit trembler la terre.

Car l'anarchisme est à l'origine de toutes les grandes conquêtes sociales et toutes les avancées individuelles : de la création des bourses du travail à l'obtention de la journée de 8 heures, de l'invention de nouvelles formes d'éducation au développement des luttes, les anarchistes ont toujours été à l’avant-garde.

Pourtant, on les a partout réprimés. On les a menés, enchainés à la guillotine, ou on les sangla au dossier de la chaise électrique. Et pour ces hommes et ces femmes qui rêvaient de bâtir un monde meilleur, le pire des châtiments reste encore d'être considérés comme des apôtres de la destruction.

En revenant sur tous les grands événements de l'histoire sociale des deux derniers siècles, cette série documentaire dévoile pour la première fois l’origine et le destin de ce courant politique qui combat depuis plus de 150 ans tous les maîtres et les dieux.
A partir d’images d’archives inédites ou oubliées, de témoignages des plus grands spécialistes mondiaux et de documents exceptionnels, Ni Dieu ni maître raconte l'histoire d'un mouvement qui, de Paris à New York et de Tokyo à Buenos Aires, continue encore et toujours de souffler son vent de liberté et de révolte sur le monde.

 

 

 

 

15/04/2017

Fragments de Corinne Pluchart

Éditions Vagamundo 2016

 

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144 pages, 13 €.

 

 

Fragments est un recueil de silences, et n’est-ce pas le plus difficile à atteindre avec des mots : le silence ? Ici, ils sont de différentes textures, ponctués de souffle, recueillis comme une prière ou « le silence brutal –coupant la gorge » Les images sont comme des petites taches devant les yeux, des taches de bleu souvent, ou plus grises, plus sombres comme la pierre, le granit.

 

- et de s’écorcher les genoux

sur la ténacité des pierres.

 

Il y a le vide, l’absence,

 

L’absence de l’autre

son seuil

et la pluie derrière

brouillant les peaux.

 

Le vide et l’absence dans lesquels s’engouffrent la mer ou la lumière.

 

Bords cousus

un à un par la lumière

plus bas – la mer

 

Sur ton front, cicatrices bleues.

 

Il y a l’appel de l’horizon et puis des angles qui reviennent, ainsi que le mot disloqué. Fragments, fragiles, translucides, comme des fragments de peaux, lorsque celle-ci perd d’elle-même pour mieux se régénérer. Transmutation. L’espace extérieur et l’espace intérieur fusionnent, dans une sorte d’alchimie par laquelle l’esprit cherche à s’élever, à s’arracher au plus dense, au rugueux, au douloureux mais dont la réalité n’est pas niée.

 

le monde –

comme une bavure à l’intérieur.

 

Fragments est divisé en quatre temps : Déflagration, Silence, Passage, Seuil. On sent que c’est un recueil qui a demandé une longue maturation, qui sous une apparente simplicité touche à quelque chose d’infiniment spirituel qui échappe aux mots et dont la nature se fait à la fois le réceptacle et le catalyseur. C’est très beau et presque pur, comme une larme.

 

Nul horizon

Pour enfouir la blessure silencieuse

Et l’azur noué,

Comme un linceul de lumière.

 

Cathy Garcia

 

 

photo-pluchart.jpgCorinne Pluchart est née le 7 mars 1966, à Meaux, en Seine-et-Marne. Elle vit à Sains, où elle enseigne en école maternelle. Depuis l’adolescence, elle écrit, marche, interroge, observe le paysage, l’océan. Elle compose en écriture et peinture, mue par un profond désir de lumière. De l’abbaye du Mont-Saint-Michel jusqu’au lointain Finistère, son pays de cœur, le chemin la traverse dans une solitude amie. Fragments est son premier livre publié. Son blog : http://corinne.pluchart.over-blog.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

13/04/2017

Le soufisme, une voie musulmane vers l’écologie

 

24 juin 2016 / Entretien avec Abd El Hafid Benchouk

Source : Juliette Kempf pour Reporterre

 



L’harmonie avec la nature et le respect du vivant se trouvent au cœur de la pratique de la confrérie soufie naqshbandi, où la chose extérieure recèle toujours un sens intérieur. Reporterre est allé à la rencontre d’Abd El Hafid Benchouk, membre de cette confrérie, dans la petite boutique de sa société, Les Deux Orients, boulevard Ney, à Paris.

Abd El Hafid Benchouk est membre de la confrérie soufie naqshbandi et créateur de la société Chifa — « santé, guérison » en arabe — qui conditionne et vend des produits de santé naturelle. Né en Algérie et arrivé en France à l’âge de 5 ans, son parcours l’a amené à trouver en islam sa voie spirituelle, dans le soufisme.


Reporterre — Qu’est-ce que le soufisme et la voie naqshbandi ?

Abd El Hafid Benchouk — Chaque voie soufie, dans la religion musulmane, a une lignée, une chaîne initiatique qui remonte de cœur à cœur, d’homme en homme, de maître en maître — on les appelle « cheikh » — jusqu’au prophète Mohammad. Ainsi, l’enseignement spirituel se transmet de façon directe et personnelle aux disciples. La voie naqshbandi prend sa source en Ouzbékistan, à Boukhara, où est enterré le cheikh fondateur, Bahaouddin Naqshbandi. Elle n’était pas connue en Occident jusqu’à cheikh Nazim Al Haqqanî, qui est mort en 2014. C’est en France que je l’ai découverte.

Quelle place la nature tient-elle dans cette voie ?

La particularité de notre maître cheikh Nazim, et de son fils cheikh Mehmet qui a pris sa suite, est qu’ils vivent dans un petit village, Lefke, à Chypre Nord, où se trouve la zaouiya — centre spirituel et social où se réunit la communauté. Là-bas, il y a des jardins, des orangeraies, on se reconnecte immédiatement. Cheikh Nazim a toujours insisté sur le retour à la nature. Il est devenu cheikh dans les années 1970, et dans les années 1980, au moment du « boum » de la modernité, il a commencé à donner la directive de sortir des villes et de s’installer à la campagne. Il a appris à ses disciples l’économie dans le sens vrai du terme, c’est-à-dire de respecter toute chose. Il les réprimandait gentiment s’ils gâchaient la nourriture. Là-bas, tout est naturel. On mange surtout des légumes, et un peu de viande. Il a remis au goût du jour les parfums naturels. Les parfums sont très recherchés par les musulmans parce que le prophète les avait désignés comme l’une des choses les plus aimables de ce monde. Hélas, aujourd’hui beaucoup de musulmans utilisent des espèces de muscs synthétiques, chimiques. Dans la voie, on a redécouvert la rose, le jasmin, l’ambre ; des disciples ont commencé à faire des commerces de ces parfums naturels extraordinaires. C’est un retour aux sources et à l’essence des choses. À la zaouiya de Lefke, on fait le pain sur place, on se chauffe au feu de bois, et surtout : on est bienvenu 365 jours par an, sans condition. Tu viens n’importe quand, musulman, pas musulman, tu dors, tu manges… Une fois, on a rencontré et accueilli un groupe du mouvement rainbow, certains sont venus prier avec nous.

La création de Chifa est-elle liée à votre engagement dans la voie naqshbandi ?

J’ai toujours aimé être à la campagne. Le problème de la ville est que la nature en est absente. Et pour nous croyants, elle est la manifestation directe du Créateur. Il y a un besoin inné, chez l’être humain, de s’y reconnecter. La voie a confirmé ce qu’il y avait au fond de notre être, ensuite on a continué. Chifa est un concours de circonstances. J’étais responsable de la librairie soufie du quartier des libraires, à Paris. J’avais remarqué qu’un produit était très demandé par les musulmans : l’huile de nigelle. La nigelle, cette petite graine noire qu’on trouve sur les pains arabes, a des vertus dont celle de renforcer le système immunitaire. Mais tout le monde en rapportait du bled. On a monté une société qui proposerait des produits à base de nigelle conditionnés en France. Cet engouement vient d’un dire du prophète (un hadith) : « Guérissez-vous par la graine de nigelle. Elle soigne tous les maux sauf la mort. » Des études scientifiques ont établi qu’elle contient un principe actif, la thymoquinone, qui stimule le système immunitaire. Ce n’est pas la nigelle elle-même qui guérit, mais elle aide à la guérison en renforçant le corps… On décline donc la nigelle sous toutes ses formes : huile, capsules, poudre, savon, mélangée avec du miel, ainsi que d’autres produits de santé naturelle : des tisanes, d’autres huiles, etc.

 


Pourriez-vous dire à quelqu’un qui ne connaît pas l’islam ce qui, dans cette religion, est lié à la nature ?

La première indication la plus claire, la plus directe, c’est le compte des mois, qui est lunaire. Cela nous met en connexion constante avec le cycle lunaire. Il s’agit d’observer la Lune, de savoir dans quel état elle est à chaque instant. L’un des noms du prophète lui-même est « la pleine Lune », qui signifie la réflexion totale du Soleil sur la Lune, le Soleil symbolisant la présence divine, et la Lune l’âme humaine.

Un autre lien plus fort est la prière, qui se fait selon le rythme du Soleil et des saisons. Les horaires de la prière de l’aube et de celle du coucher du Soleil varient énormément au cours de l’année. En hiver, elles se font environ entre 7h30 et 17h, et en été la distance peut aller de 4h à 22h. Le pratiquant va donc au rythme des saisons. Plus les jours s’allongent, plus sa prière change d’amplitude en s’allongeant elle-même. Toutes les années, il respire avec le cosmos, inspire, expire, avec tout son être. On n’est pas dans un temps mécanisé comme aujourd’hui.

 

Cela va encore plus loin : dans les positions de la prière, l’homme doit réaliser tous les règnes existants. La première est la position axiale, debout. C’est la particularité de l’homme d’être le lien entre ciel et terre. La seconde est l’inclinaison, qui symbolise le règne animal, c’est une glorification à l’immensité, à l’étendue de Dieu. La troisième est la prosternation, qui symbolise le règne minéral. On devient moins que rien, c’est là qu’on est le plus proche de Dieu, quand l’ego disparaît et que peut apparaître le soleil de la présence divine. La quatrième posture est assise. C’est l’état contemplatif, le règne végétal. On a réuni tous les règnes. Si l’on fait ce rite avec conscience, il se passe quelque chose qui est au-delà des mots. D’ailleurs il est improprement appelé « prière ». Il s’agit en arabe du mot « salat », qui signifie « connexion, jonction ». La prière, c’est l’invocation. Dans la salat, on se met en connexion, on disparaît de ce monde, puis on y revient en souhaitant la paix autour de soi. On est en état de pacification totale. Ce qui est à l’intérieur peut alors se manifester à l’extérieur.

On le perd très vite en retournant dans la vie active, c’est pour cela qu’un autre rite précède la salat : les ablutions, liées à l’eau. Il s’agit de se purifier intérieurement et cela se manifeste par une purification extérieure. Tout a toujours un sens extérieur et intérieur. On purifie nos mains — ce que l’on fait —, notre bouche — ce que l’on dit —, notre nez — ce que l’on sent —, notre visage — ce que l’on représente —, nos bras — notre force —, nos pieds — où l’on va. Une fois cette intention faite, tu peux entrer dans la connexion.

Si l’on n’a pas d’eau, on se purifie avec de la terre. Tous les éléments naturels sont symboles de purification. Si l’on n’a pas de terre, on le fait avec une pierre, que l’on peut toujours avoir sur soi, en voyage par exemple. Le minéral est omniprésent dans la vie des croyants.

 


Est-il possible de conserver ce lien avec la nature pour ceux qui vivent en ville ?

On se déconnecte si l’on fait les choses mécaniquement. Le problème de l’islam aujourd’hui, qui n’est pas le problème de l’islam mais le problème de notre époque, c’est le manque de spiritualité. Dans l’islam lui-même, si on évacue le côté spirituel, on arrive à quelque chose de quantitatif, mécanique, à faire la prière à une minute près... S’il n’y a pas cette spiritualité que le soufisme apporte, cette profondeur de la vision, alors on va dans le même matérialisme que tout le monde, et on ne va pas faire attention à ce qui nous entoure, à ce que nous mangeons, etc.

Une attention, une vigilance permanentes sont demandées. Cela élargit-il la perception ?

La salat nous coupe du rythme effréné de la vie de tous les jours. On court toujours après le temps, et dans ces moments de méditation, on se reconnecte avec l’éternité, avec l’éternel présent. C’est ce qui se passe pendant le ramadan. C’est extraordinaire parce que toute une communauté s’arrête pour se dire : stop, je suis peut-être autre chose qu’un animal.

Faites-vous un lien entre le manque de spiritualité et la détérioration de la planète ?

Forcément. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », comme a dit Rabelais. Le matérialisme et l’absence du spirituel sont liés, parce qu’il n’y a pas de conscience de l’au-delà, du jugement, plus de sens. Les personnes qui se posent la question de la planète ont le sens spirituel ouvert, la conscience de l’autre, de la responsabilité personnelle.

L’ensemble de la communauté soufie est-elle d’accord là-dessus ?

Oui, sans aucun doute.

Diriez-vous la même chose de l’ensemble de la communauté musulmane non soufie ?

Non, je dirais qu’elle est atteinte des mêmes maux que l’Occident à cause de la frénésie matérialiste, du vouloir consommer à tout prix.

Comment la communauté soufie se positionne-t-elle d’un point de vue politique ?

Certains soufis aujourd’hui se sont ouverts à la réflexion politique. J’ai été invité aux premières Assises musulmanes de l’écologie, en octobre dernier, pour donner une conférence. Mais dans le soufisme, on ne poussera personne à militer dans un sens, c’est une voie qui ouvre la personnalité à sa réalisation particulière, lui apprend à être à l’écoute de ce qui est juste pour elle. Si des gens s’intéressent, on les encourage forcément. C’est pour cela qu’on a mis en place une ferme spirituelle, dans le Perche, sur le modèle de la zaouiya mère à Chypre. Ce qu’on y fait est toujours en lien avec la vie intérieure. Par exemple, on taille les arbres pour tailler les défauts de notre âme, on retourne la terre… terre intérieure pour faire germer, etc.

 


Que pouvez-vous dire du pèlerinage à la Mecque, n’est-il pas devenu un lieu de business ?

Martin Lings raconte le changement des lieux saints dans un film… Il y est allé en 1948, puis en 1976. En 1948, d’où que tu arrivais, tu voyais tout de suite la Kabba, qui était le bâtiment le plus haut, et aujourd’hui… je ne vous dis pas, c’est catastrophique ! La mentalité wahhabite des Saoudiens, qui tiennent les lieux sacrés, manifeste très bien leur matérialisme. Elle est à l’opposée du soufisme. Le voyage initiatique, avant le monde moderne, était dans le voyage lui-même, qui prenait du temps, et dans les rites. Aujourd’hui, il se fait par la difficulté, parce qu’il y a énormément de monde : comment retrouver sa centralité au milieu de la foule…



Donc si on le fait vraiment avec conscience…

On devient un avec le cosmos !


Se fait-on souvent une mauvaise idée de la religion ?

Tout à fait, on ne la voit qu’extérieurement. Je dirais que la religion musulmane est voilée à l’extérieur, comme une femme voilée, et ce n’est qu’en donnant la dot qu’on peut l’épouser. Le soufisme au sein de l’islam est voilé lui aussi, et ce n’est qu’avec la pureté d’intention qu’on peut le voir, et voir les choses telles qu’elles sont réellement, recevoir les autres avec le cœur et pas avec la tête. Le mental est utile mais il n’est pas le principal, il est comme la Lune, il doit refléter le Soleil.

- Propos recueillis par Juliette Kempf

 

 

 

12/04/2017

Cabaret hors-série # 1 : Birthday present 5e anniversaire 2012-2017

 

 
 
cabareths1couv.jpgLa revue Cabaret fête ses 5 ans ! Pour célébrer cette date, un numéro hors-série, #1, sort ce mardi 11 avril. Avec 69 auteures et 7 illustratrices. Numéro gratuit et uniquement en PDF, en pièce jointe à ce courrier ou téléchargeable ici.
 
Avec @ude, Anothine L., Samantha Barendson, Hélène Bischoffe, Alexandra Bouge, Sophie Brassart, Marie-Anne Bruch, Gabrielle Burel, Estelle Cantala, Michèle Capolungo, Angèle Casanova, Anna Maria Celli, Jehanne de Champvallon, Laurence Chaudouët, Annalisa Comes, Murielle Compère-Demarcy, Colette Daviles-Estines, Sandrine Davin, Olivia Del Proposto, Simona-Grazia Dima, Mireille Disdero, Eve Eden, Céline Escouteloup, Marie Evkine, Jacqueline Fischer, Mélanie Fourgous, Chloé Galland, Cathy Garcia, Odile Gattini, Marie Françoise Ghesquier, Nadia Gilard, Mary Gréa, Mich’elle Grenier, Delfine Guy, Geneviève Halftermeyer-Pawlak, Annie Hupé, Anna Jouy, Claire Kalfon, Ingrid Klupsch, Chloé Landriot, Barbara Le Moëne, Marilyse Leroux, Chloé Malbranche, Anne-Marguerite Michel, Adeline Miermont-Giustinati, Anne-Marguerite Milleliri, Mye Me, Patricia Paul, Lorraine Pobel, Véronique Pollet, Chantal Robillard Puvinel, Isabelle Rolin, Mélanie Romain, Barbara Savournin, Christine Schmidt, Régine Seidel, Géraldine Serbourdin, Somotho, Luminitza C. Tigirlas, Laura Tirandaz, Marlène Tissot, Marie Laure Vallée, Marie-Antoinette Vallon, Christine Van Acker, Elise Vandel-Deschaseaux, Laurence Vielle, Marie de Vezins, Emilie Voillot
Chorégraphie : Aartus, Guénolée Carrel, Sabrina Cerisier, Barbara Le Moëne, Mlle Lise, Flora Michele Marin, Sophie Wexler
 
La revue Cabaret est disponible :
 
- point de vente Libraire 2B -  59 rue Centrale 71800 La Clayette

- abonnement 10 € pour 4 numéros par an. Formulaire en pièce jointe à imprimer ou à reproduire sur papier libre.

 
 
Le Petit Rameur & Revue Cabaret

31 rue Lamartine - 71800 La Clayette - France

www.revuecabaret.com - www.petitrameur.com

 

 

 

07/04/2017

Armand Gatti

 

Bon voyage Monsieur Gatti, vous étiez et restez un grand homme de cœur !

 

Bio et bibliographie d'Armand Gattihttp://www.armand-gatti.org/index.php?cat=biographie

 

 

Extrait du livre biographique de Frédéric Mitterrand. La récréation. 

(Ed. Robert Laffont, octobre 2013, pp.385-386).

 

Samedi 26 mars 2011

Armand Gatti, c'est une terra incognita pour le ministère. On en est resté à sa collaboration avec Jean Vilar, qui remonte à plus de soixante ans, et au soutien que lui accordait Malraux, ce qui n'est pas tout récent non plus. On lit distraitement les articles qui lui sont consacrés et qui rendent compte de ses expériences théâtrales avec des jeunes partis en vrille, des détenus, des immigrés qui n'ont jamais eu droit à la parole, et tant pis si les critiques sont toujours élogieuses, on ne va pas voir ses spectacles; on lui accorde juste assez d'argent pour se donner bonne conscience, ce qui n'est vraiment pas grand‑chose. On en a un peu peur, comme de tout ce qui est inclassable et ne rentre pas dans les tiroirs bien rangés du ministère. Sa réputation d'agitateur libertaire inflexible, la petite bande qui travaille avec lui et qu'on ne connaît pas, tout ce militantisme sur le front de la misère culturelle et de l'abandon social qui n'a jamais été récupéré par la gauche du confort intellectuel, ça sent trop le phalanstère, le loin d'ici, le vieux et le passé. Au fond, il a bientôt quatre‑vingt‑dix ans et on attend qu'il meure, le communiqué de condoléances bien senti du ministre est déjà dans les tuyaux. Je veux aller le voir, je veux l'aider, je veux qu'il puisse continuer.

Une petite rue au fin fond de Montreuil. Des entrepôts en ruine et des restes d'usine. Décor d'Alexandre Trauner.

Je m'attends à tout : un accueil maussade, une arrivée comme celle d'un chien dans un jeu de quilles, voire pas d'accueil du tout et la porte close. C'est tout le contraire, une gentillesse et une empathie merveilleuses. Dans son pavillon bourré de souvenirs d'une vie follement aventureuse dédiée à tous les combats contre l'injustice, il m'embarque pour une formidable traversée du siècle portée par un verbe magnifique. Autour de lui, des gens qui ont la moitié de son âge qui l'accompagnent, le soulagent de sa fatigue, mettent en forme les projets qu'il porte. Rien d'une secte, juste un engagement obstiné et désintéressé. A côté, l'atelier théâtre avec le toit qui fuit, le chauffage qui marche mal et plusieurs spectacles par an qui fond salle comble.

 

Parution : 24 Octobre 2013 / Format : 1 x 240 mm / Nombre de pages : 726 / Prix : 24,00 € / ISBN : 2-221-13307-2

 

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06/04/2017

Trakt n°1

 

Suis dedans avec des textes très inédits et un tableau, papier épais très glacé, ça en jette, avec du texte, des photos, de l'art singulier, aborigène aussi, c'est beau, ça coûte 10 euros. Seb Russo aux commandes.

 

 

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à commander à trakt@gmx.fr

 

pssica d’Edyr Augusto

 

traduit du Portugais (Brésil) par Dinhiz Galhos

Asphalte, février 2017.

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142 pages, 15 €.

 

 

Phrases courtes et sèches, style minimaliste, l’auteur entasse les dialogues à même le corps du texte, pas de tiret, ni de guillemets, ni de retour à la ligne. Il ne s’encombre pas de fioritures, nous sommes ici dans le brut du brut, à l’image de la brutalité dont il est question dans ce roman très noir. Les amateurs de belles littératures resteront sur leur faim, le sujet étant ce qu’il est, l’auteur ne cherche pas à en tirer une esthétique. Le malaise que ressent le lecteur est un moindre mal au regard de l’histoire de Jane, ex-Janalice, une collégienne de 14 ans, dont le petit ami n’a rien trouvé de mieux que faire circuler dans le collège via les réseaux sociaux, une vidéo de leurs ébats, une fellation plus exactement. Humiliée, rejetée par tous, y compris ses parents, Janalice est envoyée chez une tante à Belém. Livrée à elle-même, elle se met à errer dans le centre- ville et chaque nuit se fait violer sous la menace, par le compagnon de sa tante. La blancheur de sa peau, sa beauté exceptionnelle et des formes déjà très avantageuses malgré ses 14 ans, attirent rapidement la convoitise. Elle fait connaissance avec une fille qui traine dans la rue et qui est en couple avec un vieux junkie. Profitant de sa naïveté, ces deux derniers la vendent à des trafiquants. Janalice se fait kidnapper en plein jour et en pleine rue. C’est ainsi que devenue Jane, Janalice va remonter le bassin amazonien, passant de main et main, dans un réseau de prostitution infantile, qui l’amènera jusqu’à Cayenne. Viennent se mêler à l’histoire d’autres personnages, plus ou moins criminels, certains plus doux que d’autres et un portugais blanc d’origine angolaise, installé sur l’île de Marajo, dont la femme a été décapitée et démembrée par une des bandes ultra violentes, qui pillent, trafiquent et assassinent tout au long des rivières de l’État du Pará. Un vieux policier à la retraite, ami du père de Janalice, tentera en vain de la retrouver. C’est la mort qui talonne Jane, des morts stupides et violentes sur lesquelles la narration n’a pas le temps de s’arrêter. Difficile de reprendre son souffle, on lit sans plaisir, mais on est happée par le rythme halluciné de l’horreur. Ce livre est comme une mauvaise fièvre qui vous terrasse. Jane, consommée par les hommes, détruite par la drogue et la violence, perd toute mémoire de Janalice, la collégienne de 14 ans, tandis que les hauts placés des administrations locales sortent toujours indemnes de leurs turpitudes. Taux d’impunité, sang pour sang, justice zéro. Bien que pssica (malédiction) soit une fiction, l’auteur qui plante tous ses romans dans sa région natale, l’État du Pará, y dénonce une terrible réalité. A lire donc si on veut s’ouvrir les yeux sur l’intenable.

 

Et comme toujours avec Asphalte, vous trouverez à la fin du livre, une playlist musicale, choisie par l’auteur lui-même. Ambiance.

 

Cathy Garcia

 

 

650x375_edyr_1574362.jpgEdyr Augusto est né en 1954 à Belém. Journaliste et écrivain, il a débuté sa carrière en tant que dramaturge à la fin des années 1970. Il écrit toujours pour le théâtre et endosse parfois le rôle de metteur en scène. Edyr a également écrit des recueils de poésie et de chroniques. Belém, son premier roman, peinture noire de la métropole amazonienne, est paru au Brésil en 1998 et en France en 2013. Ont suivi Moscow, Nid de vipères et Pssica. Très attaché à sa région, l'État du Pará, au nord du Brésil, Edyr Augusto y ancre tous ses récits. Il a deux fils, un petit-fils, une compagne qui est actrice et deux chiens. Passionné de football, il donnerait tout pour devenir joueur professionnel.

 

Publié sur : http://www.lacauselitteraire.fr/pssica-edyr-augusto 

 

 

 

 

04/04/2017

Rancœurs de province de Carlos Bernatek

 

traduit de l’Espagnol (Argentine) par Delphine Valentin

éditions de l’Olivier, 23 février 2017

 

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288 pages, 22 €.

 

 

Selva et Leopoldo, dit Poli. Une jeune femme un peu coincée et un homme déjà mûr, deux tranches de vies, pas très belles, amères même. Deux histoires qui sont racontées ici en alternance sans aucun lien entre elles, si ce n’est qu’elles se passent toutes deux dans la province argentine, éloignée de Buenos Aires. Deux personnages modestes, voire fades, sans envergure, qui se retrouvent chacun happé par des évènements hors de son contrôle.

 

Poli, petit vendeur itinérant d’encyclopédies, qui gagne de quoi assurer un minimum qui ne suffit pas à sa famille qu’il voit peu, découvre que sa femme le trompe depuis un moment avec un riche avocat. Celle-ci le met alors à la porte sans ménagement, alors que dans un même temps il est remercié par sa boite. Il perd donc sa femme et son fil qui ont trouvé un meilleur parti, son travail, sa maison. Ne lui reste que sa camionnette et quelques encyclopédies, avec lesquelles il part au hasard, complètement largué sur tous les plans. C’est ainsi qu’il atterri dans un petit village où une bande d’évangélistes l’embauche pour vendre des Bibles et du dentifrice…

 

Selva a vingt-cinq ans et enchaine sans perspective les petits boulots, aussi cette offre de tenir un bar dans une station balnéaire qu’elle ne connait pas, durant la saison estivale, pour un type qui a des affaires un peu partout, lui parait être une opportunité idéale pour prendre un peu le large vis à vis de sa mère, avec qui elle vit encore et dont elle porte le prénom. Ce pourrait être l’occasion de travailler sans patron sur le dos et avec l’impression d’être aussi en vacances.

 

Rancœurs provinciales parle de ces gens modestes, qui osent à peine envisager de décoller un peu d’une vie ennuyeuse et qui soudain s’enfoncent pour des raisons extérieures à leur volonté, ou trahis par leurs propres faiblesses ou leur négativité. La sexualité est au premier plan dans ce roman, explicitement, pour l’un c’est sans doute la seule façon de se sentir vivre, mais aussi de perdre plus encore ce qui compte, pour l’autre, c’est un fantasme refoulé, une méfiance, un dégoût des hommes. En arrière-plan, l’Argentine, sa situation politique, économique, son histoire dramatique, sa corruption et les petits qui payent, toujours et encore. Victime et bourreau finissent par se confondre dans une sorte de spirale descendante et infernale.

 

Carlos Bernatek parvient à nous tenir en haleine, et avec brio, dans ce roman qui fait penser au genre polar noir, avec du sexe et un humour proche du cynisme, mais le style est trompeur, il est bien moins graveleux et bien plus littéraire que ce qu’il veut faire croire. Roman qui parle des gens qui n’intéressent personne, de la dramatique banalité de leur vie. La violence y est très concentrée, elle surgit brièvement, de façon brutale et rapide. Une violence physique aussi bien dans la douleur que dans la jouissance, mais il y a également une violence latente et permanente dans l’atmosphère, qui ronge peu à peu les esprits, tel le sable qui persiste à tout envahir, à passer sous les portes de la station balnéaire où Selva attend vainement que Waldo, le propriétaire du bar, lui envoie la marchandise qui lui permettrait de procéder à l’ouverture. Pendant ce temps, dans le petit village desséché à la chaleur accablante où Poli est devenu l’amant de la jeune épouse du patron des évangélistes, ces derniers font croire aux habitants qu’ils vont y apporter la mer.

 

Selva, Poli, leurs déroutes finiront-elles par se croiser ?

 

Cathy Garcia

 

 

 

AVT_Carlos-Bernatek_5294.jpgNé en 1955 à Buenos Aires, Carlos Bernatek a notamment été finaliste du prix Planeta en 1994 et premier prix du prestigieux Fondo Nacional de las Artes en 2007. Banzaï est son premier roman traduit en France. 

 

 

 

 

 

02/04/2017

Bernard Maris expliqué à ceux qui ne comprennent rien à l'économie

 

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Relié - Les Échappés - Paru le : 29/03/2017
 
« Il était animé d’une flamme dès qu’il parlait d’économie, car pour lui, parler de l’économie, c’était parler de l’homme, de la vie des gens, de ce dont les gens ont besoin », se plaît à nous rappeler Gilles Raveaud, disciple, collègue et ami de Bernard Maris.
Bernard Maris était un économiste original. Original, car il redonnait sa juste place à l’humain au sein de ladite « science économique ». Cela faisait sourire nombre de ses confrères qui le reléguaient au rang d’économiste médiatique, préférant s’appuyer sur les chiffres pour asséner leurs démonstrations.

Dans une prose simple et fluide, Gilles Raveaud synthétise l’œuvre de Bernard Maris, et rend hommage à cette personnalité qui manque cruellement au paysage intellectuel français.
En parcourant l’œuvre de Bernard Maris, on se rendra compte que cette discipline n’est pas réservée à une élite et qu’il existe d’autres chemins que ceux présentés par les économistes mainstream, les politiques libéraux, les patrons du Medef & co.

À la façon, distanciée et ironique, de Bernard Maris d’appréhender l’économie, les dessinateurs Coco, Félix, Juin, Riss, Vuillemin et Willem apportent leur touche personnelle à l’ouvrage !

 

Source : http://lesechappes.com/fr/ouvrages/bernard-maris-explique...

 

 

01/04/2017

Sous les lunes de Jupiter d'Anuradha Roy

traduit de l'anglais par Myriam Bellehigue (Inde) - Actes Sud, février 2017

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320 pages, 22,50 €

 

Une très particulière ambiance dans ce roman, nimbé par une sorte de douceur, sans doute due à l’ambiance de bord d’océan dans le golfe du Bengale, dans la petite ville sainte de Jarmuli ; mais une douceur, une langueur même, qui contraste avec une vraie violence. Notamment celle d’un passé que Nomi, personnage central du roman, retourne chercher en Inde. Née là-bas, elle avait passé les dernières années de son enfance enfermées dans un ashram, alors que tous les siens avaient été avalés par la guerre.

Nomi est une jeune femme qui vit en Norvège où elle a été adoptée et c’est la première fois qu’elle retourne en Inde, officiellement pour y faire des repérages pour un documentaire. Sur place, elle est accompagnée par un assistant, Suraj, un homme un peu perdu qui fuit dans l’alcool. Dans le train pour Jarmuli, Nomi partage la cabine de trois femmes assez âgées, qui se font pour la première fois de leur vie une virée entre copines. L’une d’elle Gouri, commence à perdre la tête. Ces trois femmes, Nomi, Suraj et d’autres personnes encore, chacune aux prises avec ses espoirs, ses tourments ou un passé douloureux, vont pendant quelques jours se croiser et se recroiser à Jarmuli, leurs histoires individuelles tissant peu à peu une toile qui les relie.

Le lecteur à son tour se fait prendre dans cette toile et dans le va et vient entre le présent et le passé de Nomi, sombre passé qu’elle tente de faire ressurgir. L’ashram dirigé par Guruji, un gourou à la renommée internationale, dont les mœurs vis-à-vis de ses jeunes « élues » n’avaient pas grand-chose à voir avec la sainteté. Nomi était l’une d’elles.

L’écriture ici sous une apparence inoffensive est le miel qui nous englue dans la toile, et garde nos sens en éveil. Il y a une très grande sensualité dans ce roman et aussi une hypersensibilité, la blessure des corps et des âmes. La tête lit mais le corps tout entier éprouve ce que la tête lit, le désir qui se fait convoitise, la douleur, la lourde chaleur orageuse, l’humidité, le parfum et la saveur du chaï vendu sur la plage. Le lecteur se fait littéralement embarquer et la tête lui tourne un peu à lui aussi. Le roman baigne dans une sorte de flou, une brume de sons, de couleurs, d’odeurs, le tournis du foisonnement de ce vaste pays et des questionnements de chacun. Un danger rôde, omniprésent, telle la figure d’un grand homme debout dans l’océan, aux long cheveux blancs et au regard trop perçant. Et chacun vient chercher sans le savoir une forme de réconfort auprès du vieux Johnny Toppo, qui chante en préparant son chaï.

« – Si on trouve qu’une chanson est triste, c’est qu’on est soi-même triste. On ne pleure que lorsqu’on a déjà des larmes. Et pourquoi diable une fille comme vous serait-elle triste ? ».

Que vient-on fuir à Jarmuli, que vient-on chercher ? Sans doute le but principal de toute quête : vaincre sa peur.

 

Cathy Garcia

 

 

 

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Anuradha Roy est née en 1967. Après des études à Calcutta et à Cambridge, elle a travaillé comme journaliste pour plusieurs quotidiens et magazines indiens. Elle codirige actuellement la maison d’édition Permanent Black et réside à Ranikhet, petite ville nichée à 2 000 mètres dans l’Himalaya. Sous les lunes de Jupiter, son troisième roman, a remporté le prestigieux DSC Prize for Fiction 2016 et a concouru pour le Man Booker Prize 2016.

 

 

Note publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

Turquie : le jour où commença la guerre civile pr Tieri Briet

Peut-être que ça commence comme ça, une guerre civile ? Celle que nous sommes si nombreux à redouter, celle dont tout le monde a tellement peur à Istanbul. Peut-être que ça commence sans prévenir, d’un coup de couteau à l’étranger, dans un bureau de vote à l’intérieur d’une ambassade.Là où les exilés de Turquie peuvent voter eux aussi lors du référendum portant sur une réforme de leur Constitution. Peut-être que ça commence par une série de coups de couteaux, par des insultes et par une femme âgée qui s’interpose, appelant au calme avant d’être poignardée à son tour ?

Alors hier, la guerre civile qui menace la Turquie a commencé en dehors de ses frontières, au cœur de la capitale européenne, dans un des beaux quartiers de Bruxelles. Le peu de détails qu’en rapportent les journaux belges n’apporte pas vraiment de précisions. Nous savons tous à quel degré de haine sont arrivés les Turcs à présent, chauffés à blanc par un gouvernement qui s’obstine à nier les droits humains des opposants et des minorités. Et je repense au texte de Simon Abkarian, le comédien, dans le Libé des écrivains du 22 mars  : «Mon père me disait que “les Turcs n’existent que par le glaive et pour le glaive. Quand ils auront tué tous les Non-Turcs, ils se mangeront eux-mêmes et se battront avec leurs ombres.” J’ai toujours cru que mon père se trompait, qu’aucun peuple ne porte en lui le gène de la violence. Pourtant, nous y sommes. Ces purges sont les prémices d’un massacre à venir. » Impossible d’oublier ses phrases qui m’avaient fait froid dans le dos.

La guerre civile des peuples de Turquie a donc commencé vers seize heures, jeudi 30 mars à Bruxelles. Devant l’ambassade de Turquie. Avec un couteau, des insultes et une barre de fer. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont donné l’alarme ces derniers mois. A commencer par Garo Paylan, un député du HDP d’origine arménienne. C’était en mars 2016 qu’un journaliste français, Olivier Pascal-Mousselard, recueillait ses paroles : « Tout cela annonce peut-être le début d’une grande guerre intérieure. Car les Arméniens n’avaient pas de fusil et n’étaient pas organisés. C’est tout le contraire avec les Kurdes. »

Début septembre, c’était au tour de l’écrivain Ahmet Nesin, qui a fui la Turquie et demandé l’asile politique à la France en août 2016. Le 2 septembre, il déclarait à un journaliste suisse, pour Le Courrier  : « Je crains une guerre civile en Turquie. » Peut-être n’avons-nous pas fait suffisamment attention. C’était la fin de l’été et nous avions encore un peu la tête ailleurs.

Pourtant, le lendemain, le 3 septembre, c’était un autre écrivain, Nedim Gürsel, qui décidait d’enfoncer le clou dans Le Point : « Il y a un risque de guerre civile en Turquie », disait-il à Valérie Marin la Meslée. Peut-être que nous étions devenus sourds et aveugles. Anesthésiés depuis longtemps face à l’idée qu’une guerre civile devienne le seul destin de ce pays, puisqu’il était tombé aux mains des Musulmans.

Au même moment, le romancier Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature en 2006, prenait le relais et donnait une tribune à La Repubblica, un journal italien : « Désormais la liberté de pensée n’existe plus. Nous sommes en train de nous éloigner à toute vitesse d’un État de droit vers un régime de terreur. »

En décembre, du fond de sa prison des femmes, c’était Aslı Erdoğan qui nous mettait en garde« Mon sentiment est que la crise récente en Europe, déclenchée par les réfugiés et les attaques terroristes, n’est pas seulement politique et économique. C’est une crise existentielle que l’Europe ne pourra résoudre qu’en ressaisissant les nations qui la composent. »

Difficile d’être plus clair : « De nombreux signes indiquent que les démocraties libérales européennes ne peuvent plus se sentir en sécurité alors que l’incendie se propage à proximité. La “crise démocratique” turque, qui a été pendant longtemps sous-estimée ou ignorée, pour des raisons pragmatiques, ce risque grandissant de dictature islamiste et militaire, aura de sérieuses conséquences. Personne ne peut se donner le luxe d’ignorer la situation, et surtout pas nous, journalistes, écrivains, académiciens, nous qui devons notre existence même à la liberté de pensée et d’expression. »

Peut-être n’avons-nous pas su lire ces écrivains turcs. Leur lucidité, leur vigilance les a poussés à nous donner l’alerte en publiant dans nos journaux, en nous ouvrant les yeux sur un cauchemar que nous faisons semblant de ne pas comprendre. Aslı Erdoğan pèse ses mots quand elle parle d’une « dictature islamiste et militaire » et de ce « luxe d’ignorer la situation » quand on est journaliste ou écrivain, « nous qui devons notre existence même à la liberté de pensée et d’expression. »

Et maintenant, à l’heure des premières étincelles d’une guerre civile qu’annoncent depuis des mois les grandes voix de la littérature en Turquie, qu’allons-nous faire pour empêcher la guerre civile de se propager, au moment du référendum qui aura lieu le dimanche 16 avril 2017 ? Les discours délirants du président Erdogan, les menaces et les appels à la haine de ses ministres, les incitations au meurtre que les imams profèrent dans les mosquées sont bien assez violents pour mettre le pays à feu et à sang. Alors qu’allons-nous faire ?

Hier, une guerre civile a commencé en Europe, appelée par une « dictature islamiste et militaire » qui n’a pas cessé d’envoyer ses journalistes et ses écrivains en prison. Alors qu’attendons-nous pour utiliser la presse et la littérature pour faire barrage, pour empêcher la guerre civile qui vient crier sa violence dans la capitale de l’Europe ? Pourquoi ne répondons-nous pas à Aslı Erdoğan, quand elle nous annonce que « les démocraties libérales européennes ne peuvent plus se sentir en sécurité alors que l’incendie se propage à proximité. » C’était en décembre. Nous sommes en mars. L’incendie a traversé les frontières. Il est grand temps de répondre à Aslı, si nous ne voulons pas seulement compter les morts.

Image à la une : Détail du tableau de Zehra Doğan “Cri”, “Hawar” en kurde, l’exposition intitulée “141” actuellement en place à Diyarbakır… - voir l'article sur le site source : http://www.kedistan.net/2017/03/31/le-jour-ou-commenca-la...

 


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Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il grandit à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet vit aujourd'hui à Arles, au milieu d'une famille rom de Roumanie dont il partage la vie et le travail. Il a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu veilleur de nuit pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Père de six enfants et amoureux d'une journaliste scientifique, il écrit pour la revue Ballast et Kedistan, et voyage comme un va-nu-pieds avec un cahier rouge à travers la Bosnie, le Kosovo et la Grèce pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ».
 


Blog perso : Un cahier rouge

28/03/2017

Exode de Daniel De Bruycker & Maximilien Dauber

 

 

 Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, 6 mars 2017

 

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80 pages, 16€.

 

 

De magnifiques photos de Maximilien Dauber pour cet écrin de désert où la poésie de Daniel De Bruycker vient se fondre et se confondre avec les pierres, le ciel, le sable.

 

Tout ici était saisissant –

le sol, l’espace, les ombres

et, plus encore, d’être du nombre.

 

exode.jpgDans le désert, nous sommes transportés, nuées, ombres, nous avançons dans la lecture comme on marche, lentement, avec cette sensation que l’espace s’ouvre tout autour et en nous et le sentiment de se dissoudre dans cette immensité. Nous nous sentons de plus en plus petits, insignifiants, à chercher des signes qui se font et se défont, désert que nul langage ne saurait contenir.

 

Nous ne comprenions rien –

en ces lieux, dit quelqu’un

‘comprendre’ n’est pas le mot juste.

 

Ça a l’air simple comme ça de parler du rien, mais c’est certainement ce qu’il y a de plus difficile, sans tomber dans le cliché, le ressassé. Rien d’exceptionnel ici, pas d’hymne ou d’ode emphatique à la beauté, juste cette humilité qui convient au sujet et qui nous oblige à faire corps avec le sable, avec la roche, avec le vent et ces ombres et au plus profond de nos os, nous éprouvons nôtre condition éphémère. Des pas, un souffle et puis poussière.

 

Un caillou quelque fois roulait sous nos pieds

nous le suivions, dociles

jusqu’à en déloger un autre

 

(…)

 

Un fil d’espoir était notre guide

sans lui nous nous serions perdus –

fidèle, c’est lui qui nous égarait

 

Cependant tout désert a son oasis, quelque chose comme un cœur qui bat, lentement mais avec obstination. Peut-être qu’en lisant Exode, nous marchons à l’intérieur de nous-mêmes.

 

Cathy Garcia

 

 

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DeBruycker.jpgDaniel De Bruycker est né à Bruxelles en 1953, d’une famille flandrienne. Enfance à Gand et en Hainaut. Licencié en Philosophie & Lettres, Université Libre de Bruxelles, 1977. Critique de jazz, rock, musiques nouvelles, danse, théâtre, cinéma, arts d’Asie etc., en Belgique (Le Soir, 1975-85) et en France (Diapason, Le Monde de la Musique, Le Monde, 1981-87). Traducteur (anglais, néerlandais, allemand), japonologue, animateur d’ateliers d’écriture pour enfants, etc. Marié à l’ethnologue et écrivain Chantal Deltenre ; deux filles, Hélène et Léa-Lydie ; deux chattes, Apostille et Silhouette. Entre deux séjours en Asie (Japon, Inde, Turquie etc.), vit et travaille à Bruxelles (1975-85) puis à Paris (1986-2003), aujourd’hui à l’ermitage de la Martinière (Gouvets, Normandie). À ses heures perdues, dessine des labyrinthes, écrit des chansons (Maurane, Musique Flexible etc.), compose et joue (basse, claviers) au sein du groupe Roque et trace ses poèmes-images selon un alphabet graphique original (exposition personnelle au Centre Wallonie-Bruxelles, Paris 2015).

 

 

 

France_Maximilien-Dauber.jpgMaximilien Dauber est né à Bruxelles en 1949. A 20 ans, il plante là les études, investit tout son pécule dans une Land Rover et prend la route du Sahara. Il y trouve, à Tombouctou, le cinéaste voyageur Douchan Gersi, qui l’engage comme assistant pour un tournage à Bornéo, avant celui des Antilles de l’écrivain Jean Raspail. Cependant il se spécialise dans le documentaire saharien, accumulant au fil des expéditions films, photographies, enregistrements et observations ethnographiques sur les cultures nomades sous le titre générique de Mémoires sahariennes et réalise sur les Peuls Bororos du Niger son premier film personnel, diffusé par voie de conférences et d’émissions télévisées, avant de se tourner vers l’Afghanistan des nomades, le Turkestan chinois et les Routes de la Soie, puis la redécouverte des grands explorateurs de l’Afrique orientale. Depuis, il n’a cessé d’enchaîner les tournages aux quatre vents, avec une prédilection pour l’Égypte, l’Italie et aujourd’hui le Japon, faisant partager à travers ses films, ses livres et ses images son amour du lointain, de l’humain et des rencontres face à l’horizon – dont celles de son mentor le prince italien Mario Ruspoli, inventeur du cinéma direct avec Chris Marker, et du naturaliste Théodore Monod, autre majnoûn, « fou du Sahara ».

 

 

Le ciel du dessous de Jean Azarel

 

 

la Boucherie littéraire, coll. Sur le billot

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24 octobre 2016. 64 pages, 12€.

 

Entre paganisme et mysticisme, la frontière est charnelle et Jean Azarel la franchit allègrement dans les deux sens, et en invente d’autres, des sens, dans une langue toute personnelle et s’il nous guide, tel le lapin d’Alice, c’est pour mieux nous perdre dans la touffeur du ciel du dessous. Là où il n’y rien à comprendre, mais beaucoup à capter, à sentir, voire à renifler, que ce soit l’origine du monde, façon Courbet ou sa fin.

 

J’ai connu un temps

où les forêts étaient épaisses,

le gibier joyeux.

Ce qui vivait au dessus

était mû par le règne

du dessous.

 

Mais nulle lourdeur, et surtout nul regret, remord ou autres bestioles du genre. Juste une ode à l’animalité des corps, à la jubilation des sens et aux racines qu’ils s’en vont planter bien profond dans l’humus des forêts. Savoureuse sauvagerie.

 

Courez lièvre des éboulis,

que s’accouplent partout

le souple et l’indécis

dans le bruissement

des fougères.

 

Ce recueil est une sorte d’hommage au livre de la suédoise Kerstin Ekman, Les brigands de la forêt de Skule, pour celles et ceux qui l’auront lu (et si vous ne l’avez pas lu, alors lisez-le !). L’exultation des corps, c’est aussi la conscience qui s’envoie en l’air, paradoxe des trois cieux, dessus dessous milieu et par-dessus tête, ce qui n’empêche qu’il y a un prix à payer pour toute transgression, que le temps fait son racket et que la chair est corruptible de bien des façons, la dernière étant la plus pourrie.

 

L’un avec l’autre,

couchés.

Valse finissante des draps,

au mitan dépassé

de l’arbre de vie,

la chair encore si chaude

en son achèvement.

 

Mais qu’importe la fin, régalons-nous de poésie qui gambade fesses à l’air, y trace des signes magiques et fond tous les cieux en un seul, le poète lui n’est pas dupe, il sait bien que :

 

Celui qui croit écrire

ne fait que raboter

les mots trouvés

en soulevant la chape

de ses effritements.

Par bonheur, le cheminement intérieur

oublie sa fin.

 

Cathy Garcia

 

 

 

Azarel.jpgJean Azarel est né en 1954 à Montréal au Canada. Il vit dans un village proche d'Uzès. Dans la filiation d’un père journaliste, poète et écrivain, il gribouille des petits romans policiers et des histoires de cow-boys et indiens dès l’âge de 8 ans. Il puise son inspiration dans la comédie spectacle du quotidien, la musique pop-rock et le cinéma d’auteur, la baie d’Audierne, les pentes granitiques du Mont Lozère pour fabriquer des œuvres initiatiques et éclectiques où se côtoient humour acide, témoignages de vie, et romantisme quasi mystique. L’écriture est pour lui un mode de survie où comme dans le patinage artistique les figures imposées alternent avec les figures libres.

 

 

 

 

27/03/2017

Revue Nouveaux Délits, le NUMÉRO 57 - Avril 2017

 

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Avril-mai-juin 2017

 

 

 

 

La France s’apprête à élire une nouvelle tête au stand de tir et le niveau des débats aiguise le désir de silence, aussi cet édito va-t-il donner l’exemple.                                   CG

 

 

  

 Je perds l’usage de la parole

Mes lèvres sculptent un silence

Alors pour me faire comprendre

Parmi les décombres je danse…

André Laude

in Riverains de la douleur

 

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AU SOMMAIRE

 

 

Délit de poésie :

 

Hans Limon, poèmes extraits de Barbarygmes et autres bruits de fond

Marianne Desroziers

Alexo Xenidis

Grégoire Damon

  

Délit nomade : Home Mobil d’Amélie Guyot

 

Résonances :

Ce que nous avons perdu dans le feu, nouvelles de Mariana Enriquez, Éd. du sous-sol 2017

Ni vivants, ni morts – La disparition forcée au Mexique comme stratégie de terreur de Federico Mastrogiovanni, Métailié 2017

 

 

Les délits d’(in)citations font des clins d’œil aux coins des pages et le bulletin de complicité toujours aussi pimpant, aguiche au fond en sortant.

 

 

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Illustratrice : Alissa Thor

 

Née à Paris en 1974. Autodidacte. Vit à Paris et travaille à Rouen. Études de Lettres et de Philosophie. Documentaliste à l'Éducation Nationale pendant 12 ans. Depuis 2011, se consacre exclusivement à la peinture et à l’écriture (un recueil de poésie est en préparation). Longtemps « intello » et prenant plaisir à manier les abstractions. « J'ai eu le besoin radical de rompre et de me confronter directement à la matière : prendre la vie, par l'autre bout si l'on veut. L'expressionnisme est naturellement le mouvement qui me « parle » le plus.... » Son site : http://www.alissathor.com

 

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L'enjeu de l'éveil, c'était, semblait-il, non la vérité et la connaissance, mais la réalité, le fait de la vivre et de l'affronter. L'éveil ne vous faisait pas pénétrer près du noyau des choses, plus près de la vérité. Ce qu'on saisissait, ce qu'on accomplissait ou qu'on subissait dans cette opération, ce n'était que la prise de position du moi vis-à-vis de l'état momentané de ces choses. On ne découvrait pas des lois, mais des décisions, on ne pénétrait pas dans le cœur du monde, mais dans le cœur de sa propre personne. C'était aussi pour cela que ce qu'on connaissait alors était si peu communicable, si singulièrement rebelle à la parole et à la formulation. Il semblait qu'exprimer ces régions de la vie ne fît pas partie des objectifs de langage. 


 
Hermann Hesse 

in Le jeu des perles de verre

 

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Et toujours de la poésie À ÉCOUTER 

sur http://cathygarcia.hautetfort.com/donner-de-la-voix/

et sur la chaîne youtube Donner de la voix.

Du fait maison encore, avec les moyens et la technicienne du bord, juste pour le plaisir et le partage.

 

 

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 et en quatrième de couverture, un peu de pub....

 Cathy Garcia publie coup sur coup

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poèmes écrits entre 1990 et 2013 illustrations originales (encres) de l'auteur

 

petites fictions qui parlent de mort,

drame, tristesse, solitude

 

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édité, imprimé et agrafé par l’auteur

Tirage limité et numéroté  

sur papier 90gr calcaire  couverture 250 gr calcaire  100 % recyclé  

à commander directement à l‘auteur  10 €  (+ 2 € pour le port)

 

 

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Bonzaïs hallucinogènes ou nano-histoires sans les nains

suivi de Conne plainte du poète

aux éditions Gros Textes

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Illustrations originales (collages) de l'auteur

 

affreurismes loufoques et plus si affinités

 

« LE CŒUR  Il faut le faire battre tant qu’il est chaud »

 

54 pages au format 15 x 10 cm

6 € (+ 1 € de port – port compris à partir de l’achat de 2 exemplaires)