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02/03/2020

Nicaragua. Décès d’Ernesto Cardenal, prêtre, poète et figure révolutionnaire


Le poète, prêtre catholique et homme politique nicaraguayen Ernesto Cardenal, figure de la révolution sandiniste et de la théologie de la libération, est décédé dimanche à l’âge de 95 ans.

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publié sur Ouest-France le 2 mars 2020 à 2h42

Le poète, prêtre catholique et homme politique nicaraguayen Ernesto Cardenal, figure de la révolution sandiniste et de la théologie de la libération, est décédé dimanche à l’âge de 95 ans, a annoncé son assistante.

« Il est mort aujourd’hui. Il s’en est allé dans une paix absolue, il n’a pas souffert », a déclaré à l’AFP Luz Marina Acosta, collaboratrice depuis plus de quarante ans de Cardenal. Le prêtre, hospitalisé depuis deux jours, a succombé à un arrêt cardiaque, a-t-elle précisé.

Le président Daniel Ortega, qui fut son compagnon d’armes au sein du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) pendant la révolution, a aussitôt décrété trois jours de deuil national au Nicaragua.

 

Révolution sandiniste en 1979
Né le 25 janvier 1925 à Granada, près de la capitale Managua, Cardenal avait été ordonné prêtre en 1965. Embrassant la théologie de la libération, il avait participé à la révolution sandiniste qui en 1979 avait abouti à la chute du régime autoritaire d’Anastasio Somoza.

 

Devenu ministre de la Culture dans le premier gouvernement du FSLN, il avait été publiquement réprimandé par Jean Paul II sur le tarmac de l’aéroport de Managua à son arrivée en 1983 pour une visite officielle. Le pape polonais avait refusé sa bénédiction au prêtre-ministre, agenouillé devant lui, et, un doigt impérieux levé, l’avait tancé en lui demandant de « se réconcilier d’abord avec l’Église ».

Deux ans plus tard, le prêtre n’ayant pas quitté ses fonctions politiques, le pape l’avait suspendu « a divinis ».

 

Plusieurs ouvrages poétiques
Cette sanction avait été levée par le pape François en février 2019. Ernesto Cardenal, revêtu de l’étole, symbole de ses pouvoirs sacerdotaux recouvrés, avait alors reçu l’eucharistie des mains du nonce apostolique sur son lit d’hôpital, où il était soigné pour des problèmes rénaux.

 

 
Ernesto Cardenal avait pris ses distances avec Daniel Ortega et quitté le FSLN en 1994.

Il était l’auteur de plusieurs ouvrages poétiques comme « Hora Cero » (« L’Heure zéro »), « Oracion por Marilyn Monroe y otros poemas » (« Prière pour Marilyn Monroe et autres poèmes ») et surtout « El Evangelio de Solentiname » (« L’Evangile de Solentiname »), écrit au sein d’une célèbre communauté chrétienne de pêcheurs et d’artistes qu’il avait fondé dans les îles Solentiname, au milieu du lac Cocibolca.

 

Source : Ouest-France

 

 

 

 

10/04/2019

Le Grain et l'Ivraie par Fernando Solanas (Argentine, 2019)

 

 

Fernando Solanas voyage caméra aux poings à travers sept provinces argentines à la rencontre des populations locales, d’agriculteurs et de chercheurs qui nous racontent les conséquences sociales et environnementales du modèle agricole argentin : agriculture transgénique et utilisation intensive des agrotoxiques (glyphosate, épandages, fumigations) ont provoqué l’exode rural, la déforestation, la destruction des sols mais aussi la multiplication des cas de cancers et de malformations à la naissance. Le récit de Fernando Solanas évoque aussi l’alternative d’une agriculture écologique et démontre qu’il est possible de produire de manière saine et rentable des aliments pour tous, sans pesticides, pour reconquérir et préserver nos milieux naturels.

 

 

 

 

Américo Nunes - Flores Magón, une utopie libertaire dans les révolutions du Mexique

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Ab irato, 2019,
ISBN ISBN 978-2-911917-67-7
22 € / 274 pages – 67 illustrations
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Genre : Histoire – Révolution – Mexique
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Le livre
Il s’agit du premier essai d’envergure en France sur l’anarcho-communiste Ricardo Flores Magón (1874-1922), un des grands acteurs de la Révolution mexicaine de 1910-1920. De nombreux textes de Magón ont été publiés en français, il manquait un essai qui situe à la fois sa vie, son œuvre, et son action politique.

À la tête du journal Regeneración et du Parti libéral mexicain, Flores Magón a lutté aux côtés du révolutionnaire Emiliano Zapata et du mouvement agraire d’inspiration communautaire, tout en étant proche des Industriels Workers of The World (IWW) et des anarchistes américains Emma Goldman, Alexandre Berkman et Voltairine de Cleyre.
Ses combats se ressourçaient dans l’utopie du communisme premier propre aux communautés indiennes, notamment celles des Indiens Yaquis, mais trouvaient leurs fondements dans le prolétariat d’inspiration communiste, industriel et moderne, les luttes sociales des cheminots, des mineurs et des ouvriers du pétrole (mexicains et américains).
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Ricardo Flores Magón fut aussi au Mexique un grand passeur des idées anarchistes : Bakounine, Proudhon, Kropotkine, Élisée Reclus, Errico Malatesta. Rassemblant les idées essentielles de l’arsenal libertaire, il a su adapter à sa vision de la réalité nationale les principes directeurs de l’anarchisme international : lutter pour l’abolition du salariat, la gestion ouvrière des usines, des mines, des ateliers et des terres ; par action directe et la lutte des classes ; contre le Capital, l’Autorité et le Clergé. Son slogan : Tierra y libertad !

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L'auteur

Américo Nunes. Américo Nunes est né au Mozambique en 1939, de parents originaires du Portugal où il a vécu jusqu’en 1960 et où il a mené ses premiers combats contre la dictature de Salazar et contre le colonialisme portugais.
En 1960, il part pour le Portugal. Un an plus tard éclate la révolte du peuple angolais contre le système colonial portugais, A. Nunes s’exile alors en France pour y poursuivre sa lutte anticoloniale et anticapitaliste. Il se trouve à Alger, entre 1963 et 1965, et y constate l’échec du « socialisme d’autogestion » face à l’État. De retour en France, Américo Nunes se rapproche du groupe Socialisme ou Barbarie, ainsi que des théories du communisme des conseils et des thèses de l’Internationale situationniste.
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Enseignant universitaire à partir de 1972, il s’intéresse aux mouvements sociaux propres au socialisme utopique, à l’anarchocommunisme, aux utopies hérétiques en général, et au Mexique en particulier. Américo Nunes est principalement l’auteur des Révolutions du Mexique, « Questions d’histoire », Flammarion, 1975 ; nouvelle édition revue et augmentée, Ab irato, 2009. Il a aussi codirigé avec Alain Le Guyader et Michel Soubbotnik la collection « Histoires et émancipations » aux éditions Arcantère.

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Ab irato éditions
http://abiratoeditions.wordpress.com/
 
 
 
 

02/03/2019

Une écologiste brésilienne a été torturée et assassinée

 

1er mars 2019 


 

Rosane Santiago Silveira, une militante des droits de l’environnement et des droits humains, a été brutalement torturée et assassinée dans la ville de Nova Viçosa (Bahia), au Brésil, le 29 janvier. Elle se battait pour endiguer l’accaparement des terres par les plantations d’eucalyptus dans la réserve extractive environnementale d’Ilha de Barra Velha, une zone protégée où les familles résidentes tirent leur subsistance de produits naturels extraits de la forêt. Ces activités aident à maintenir l’intégrité de la forêt.

Selon le fils de Mme Silveira, Tuian Santiago Cerqueira, Rosane aurait reçu de nombreuses menaces de mort : « L’impunité règne, l’État ne poursuit pas ces crimes. Nous étions avec elle à Noël et tout le monde s’est rendu compte qu’elle était inquiète, elle avait reçu trois menaces de mort ».

Mme Silveira a été retrouvée morte chez elle, les mains et les pieds attachés et blessés, un vêtement serré autour du cou et des coups de couteau à la tête.

Rosane Santiago Silveira voulait créer une association de protection de l’île de Barra Velha - la réserve environnementale extractive où elle vivait - et elle était membre du conseil de la réserve d’extractivistes de Cassurubá.

Le Brésil est l’un des pays les plus dangereux pour les activistes de l’environnement.

- Source : Elisabeth Schneiter avec Global justice ecology via Reporterre

 

 

19/02/2019

Tus padres volveran, documentaire de Pablo Martínez Pessi (Uruguay, 2015)

 

 

"1983: cent cinquante-quatre enfants vivant en Europe sont installés dans un vol charter pour l’Uruguay, sous l’impulsion du gouvernement espagnol. Tous fils et filles d’exilés politiques toujours indésirables, ils sont envoyés par leurs parents, afin qu’ils puissent découvrir leur pays natal, rencontrer leur famille et appréhender leur culture d’origine. Ce documentaire revient sur cette page d’histoire au travers de six des passagers de ce vol. Adultes, chacun d’eux garde en mémoire ce moment clé de leur vie. Un film émouvant sur l’exil, le déracinement et la quête d’identité."

 

 

 

 

La noche de 12 años d'Álvaro Brechner (2018)

 

Inspiré de l'ouvrage Memorias del calabozo de Mauricio Rosencof et Eleuterio Fernández Huidobro, qui, avec José “Pepe” Múgica, ont parcouru à partir de 1973, pendant les douze ans dont parle le titre du film, plus de quarante des geôles mobilisées pendant la terrible dictature militaire qui règna sur l'Uruguay. Secrètement emprisonnés, jetés dans de petites cellules, on leur interdit de parler, de voir, de manger ou de dormir. Au fur et à mesure que leurs corps et leurs esprits sont poussés aux limites du supportable, les trois otages mènent une lutte existentielle pour échapper à une terrible réalité qui les condamne à la folie. Le film raconte ces 12 années d'emprisonnement vécues par ces figures les plus célèbres de l'Uruguay contemporaine - dont son ancien président José "Pepe" Mujica.

 

 

 

Un film terrible, sobre et absolument magnifique. Dignité, voilà le mot qui nous reste sur la langue avec le sel des larmes.

 

 

 

 

"L'Uruguay

Les grèves ouvrières, et surtout les manifestations étudiantes, ont marqué les années 67 et 68. En 1967, l’inflation atteignait 135% et la CNT14appelait à résister, à travers d’importantes manifestations. Le1er mai, la répression exercée par la Guardiametropolitana15fut d’une grande violence. Dès lors, les grèves générales se succèdent. Dans ce petit pays, jadis appelé « la Suisse de l’Amérique latine » en raison de son exemplaire démocratie et de son niveau de vie élevé, apparaît une politique économique dictée par le Fond monétaire international. Elle est menée par Pacheco Areco, qui s’est retrouvé à la présidence par hasard, après la mort de Óscar Gestido, dont il était le vice-président.Monte donc sur scène, Pacheco Areco…

Confronté à la résistance des mouvements sociaux, Pacheco Areco considère « que c’est une révolution en herbe »face à laquelle, « l’Etat doit agir ». S’installe alors un modèle économique qui exige de la répression et désormais l’Uruguay s’insère dans ce qui est le cadre général en l’Amérique Latine. Le 13 juin 1968, Pacheco Areco instaure les Medidas Prontas de Seguridad 16,avec tout ce qu’elles impliquent : violation des droits et garanties individuelles, attaques contre la liberté de la presse, interdiction de tout rassemblement de plus de trois personnes, gel des salaires, suppression du droit de grève. Plus grave encore, ces mesures présentées comme ponctuelles, deviennent un véritable état d’exception. Et la répression gronde.

Le mouvement ouvrier, mais plus encore étudiant, sort dans la rue. Ils se rebellent, protestent, exigent. La Coordinadora de estudiantes desecundaria17est la première organisation étudiante à manifester : pour réclamer une augmentation de 40% des chèques-études. Ce sera ensuite le tour de la Federación de estudiantes universitaros, la paradigmatique et combative FEUU18.Le 14 août 1968, meurt Liber Arce, étudiant vétérinaire et membre du Parti communiste uruguayen, tué par la police. Son enterrement rassemble une foule immense. Tous les secteurs de la gauche uruguayenne étaient dans la rue, ainsi que l’archevêque de Montevideo, et quelques membres, pas nombreux, des partis politiques. Peu de temps après, deux autres étudiant.es, Susana Pintos et Hugode los Santos, proches du mouvement libertaire, meurent à l’hôpital universitaire, des suites de blessures par balles. Un autre grand enterrement, une autre grande répression. « La violence engendre la violence »titrera l’éditorial de Carlos Quijano dans « Marcha »,hebdomadaire indépendant de gauche, lu et connu par pratiquement toute la gauche latino-américaine. « Marcha »sera suspendu et ensuite définitivement fermé.

 La guérilla urbaine menée par le MLN Tupamaros19avait les faveurs de la population, au regard de ses actions à la Robin des Bois. Le mouvement enlève Pereira Reverbel20.C’est le premier enlèvement politique dans l’histoire de l’Uruguay. Commence alors, une période de luttes et combats dans les rues. Les actions de cette guérilla urbaine répondent à une situation chaotique et à des mesures de plus en plus autoritaires et antidémocratiques qui aboutiront ensuite au coup d’état civilo-militaire de juin 197321.

La gauche traditionnelle est dépassée par les événements ; ce sont les jeunes, les étudiant.es, les mouvements sociaux et syndicaux qui poussent à remettre en question les racines mêmes du système. Et ils le font à travers des actions innovatrices, de l’imagination et la contestation du pouvoir."

 

14 La Convencion nacional de trabajadores, créée en 1964, sera interdite après le coup d’État du 27 juin 1973. En avril 1965, elle organisa une grève importante, suivie, en août, du Congrès du Peuple. Celui-ci réunissait des représentant.es des organisations syndicales, estudiantines, coopératives, de retraité.es, des petits producteurs, de l’éducation et de la culture, etc. ; il formula un « Programme de solutions à la crise », proposant d’importantes réformes (agraire, afin de mettre fin à la sous-production latifundiaire, mais aussi pour le commerce extérieur, l’industrie, la banque, l’éducation, etc.) et réclamant plus de libertés syndicales.

15 Corps de la police d’Uruguay dédié à la répression.

16 Ce sont des mesures d’exception, prévues dans la Constitution, qui permettent au pouvoir exécutif de suspendre certaines garanties constitutionnelles.

17 Coordination des étudiants du secondaire.

18 La fédération étudiante a joué un rôle important durant les années 60 et dans l’opposition à la dictature militaire entre 1973 et 1985 (période durant laquelle elle fut interdite).

19 Le Mouvement de Libération Nationale – Tupamaros, créé au début des années 60, mena une lutte armée et grossit au fur et à mesure d’actions spectaculaires et populaires. Nourri idéologiquement par les révolutions chinoise, algérienne et cubaine, le MLN-Tupamaros représente une voie révolutionnaire spécifique à l’Uruguay. Il sera anéanti militairement en 1972.

20 Ulysses Pereira Reverbel (1917-2001) était le président de l’entreprise d’Etat UTE (électricité). Soutien très actif d’Areco, il réprima durement une grève, faisant appel aux militaires. Le MLN-T l’enlèvera de nouveau en 1971.​

21 Le coup d’état a eu lieu le 27 juin 1973 ; la dictature ne prendra fin qu’en 1985.

 

Source : 

http://www.lesutopiques.org/uruguay-histoire-du-futur-196...

 

 

 

28/10/2018

Brésil : apocalypse now ! par Armelle Enders

 "La campagne de Bolsonaro, sur laquelle planent les ombres de Cambridge Analytica, de Steve Bannon et de l’extrême droite étatsunienne, repose sur la dissémination systématique de mensonges, de fausses nouvelles et d’infox par les réseaux sociaux, principalement la messagerie fermée WhatsApp. Une enquête du quotidien Folha de São Paulo vient de révéler que cette campagne de bobards a été financée illégalement, à hauteur de 3 millions d’euros par des patrons." 

 

lire l'article intégral d'

Historienne (Institut d'Histoire du Temps Présent), CNRS, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis

https://theconversation.com/bresil-apocalypse-now-105552?...

 

 

 

 

25/10/2018

Noam Chomsky : « J’ai rencontré Lula, le prisonnier politique le plus important au monde »

 

Le 

 

source : https://la-bas.org/

Fin septembre, accompagné de sa femme, Noam CHOMSKY (89 ans) est venu à la prison de Curitiba, capitale du Paraná, pour rendre visite à LULA, ancien président du Brésil. Alors qu’il était donné largement favori pour les élections, LULA a été condamné à une peine de 12 ans de prison pour corruption. Une peine qu’il conteste tout comme une grande partie des Brésiliens. Pour CHOMSKY, LULA est avant tout un prisonnier politique. Il dit pourquoi dans un article publié sur THE INTERCEPT. Nous vous en proposons une traduction :

« Ma femme Valeria et moi, nous venons de rendre visite à celui qui est sans doute le prisonnier politique le plus important de notre époque, d’une importance sans équivalent dans la politique internationale contemporaine. Ce prisonnier, c’est Luiz Inácio Lula da Silva – plus connu dans le monde sous le nom de « Lula » – condamné à la prison à vie et à l’isolement, sans accès à la presse et avec des visites limitées à un jour par semaine.

Le lendemain de notre visite, au nom de la liberté de la presse, un juge a autorisé le plus grand journal du pays, Folha de S. Paulo, à interviewer Lula. Mais un autre juge est aussitôt intervenu pour annuler cette décision, alors que les criminels les plus violents du pays – les chefs de milice et les trafiquants de drogue – sont régulièrement interviewés depuis leurs prisons. Pour le pouvoir brésilien, emprisonner Lula ne suffit pas : ils veulent s’assurer que la population, à la veille des élections, n’entende plus parler de lui. Ils semblent prêts à employer tous les moyens pour atteindre cet objectif.

Le juge qui a annulé la permission n’innovait pas. Avant lui, il y a eu le procureur qui a condamné Antonio Gramsci pendant le gouvernement fasciste de Mussolini en 1926, et qui déclarait : « nous devons empêcher son cerveau de fonctionner pendant 20 ans. »

Nous avons été rassurés, mais pas surpris, de constater qu’en dépit des conditions de détention éprouvantes et des erreurs judiciaires scandaleuses, Lula reste un homme très énergique, optimiste quant à l’avenir et plein d’idées pour faire dévier le Brésil de sa trajectoire désastreuse actuelle.

Il y a toujours des prétextes pour justifier un emprisonnement – parfois valables, parfois pas – mais il est souvent utile d’en déterminer les causes réelles. C’est le cas en l’espèce. L’accusation principale portée contre Lula est basée sur les dépositions d’hommes d’affaires condamnés pour corruption dans le cadre d’un plaider-coupable. On aurait offert à Lula un appartement dans lequel il n’a jamais vécu.

Le crime présumé est parfaitement minime au regard des standards de corruptions brésiliens – et il y a à dire sur ce sujet, sur lequel je reviendrai. La peine est tellement disproportionnée par rapport au crime supposé qu’il est légitime d’en chercher les vraies raisons. Il n’est pas difficile d’en trouver. Le Brésil fait face à des élections d’une importance cruciale pour son avenir. Lula est de loin le candidat le plus populaire et remporterait facilement une élection équitable, ce qui n’est pas pour plaire à la ploutocratie.

Bien qu’il ait mené pendant son mandat des politiques conçues pour s’adapter aux préoccupations de la finance nationale et internationale, Lula reste méprisé par les élites, en partie sans doute à cause de ses politiques sociales et des prestations pour les défavorisés – même si d’autres facteurs semblent jouer un rôle : avant tout, la simple haine de classe. Comment un travailleur pauvre, qui n’a pas fait d’études supérieures, et qui ne parle même pas un portugais correct peut-il être autorisé à diriger notre pays ?

Alors qu’il était au pouvoir, Lula était toléré par les puissances occidentales, malgré quelques réserves. Mais son succès dans la propulsion du Brésil au centre de la scène mondiale n’a pas soulevé l’enthousiasme. Avec son ministre des Affaires étrangères Celso Amorim, ils commençaient à réaliser les prédictions d’il y a un siècle selon lesquelles le Brésil allait devenir « le colosse du Sud ». Ainsi, certaines de leurs initiatives ont été sévèrement condamnées, notamment les mesures qu’ils ont prises en 2010, en coordination avec la Turquie, pour résoudre le conflit au sujet du programme nucléaire iranien, contre la volonté affirmée des États-Unis de diriger l’événement. Plus généralement, le rôle de premier plan joué par le Brésil dans la promotion de puissances non alignées sur les Occidentaux, en Amérique latine et au-delà, n’a pas été bien reçu par ceux qui ont l’habitude de dominer le monde.

Lula étant interdit de participer à l’élection, il y a un grand risque pour que le favori de la droite, Jair Bolsonaro, soit élu à la présidence et accentue la politique durement réactionnaire du président Michel Temer, qui a remplacé Dilma Rousseff après qu’elle a été destituée pour des motifs ridicules, au cours du précédent épisode du « coup d’État en douceur » en train de se jouer dans le plus important pays d’Amérique Latine.

Bolsonaro se présente comme un autoritaire dur et brutal et comme un admirateur de la dictature militaire, qui va rétablir « l’ordre ». Une partie de son succès vient de ce qu’il se fait passer pour un homme nouveau qui démantèlera l’establishment politique corrompu, que de nombreux Brésiliens méprisent pour de bonnes raisons. Une situation locale comparable aux réactions vues partout dans le monde contre les dégâts provoqués par l’offensive néolibérale de la vieille génération.

Bolsonaro affirme qu’il ne connaît rien à l’économie, laissant ce domaine à l’économiste Paulo Guedes, un ultralibéral, produit de l’École de Chicago. Guedes est clair et explicite sur sa solution aux problèmes du Brésil : « tout privatiser », soit l’ensemble de l’infrastructure nationale, afin de rembourser la dette des prédateurs qui saignent à blanc le pays. Littéralement tout privatiser, de façon à être bien certain que le pays périclite complètement et devienne le jouet des institutions financières dominantes et de la classe la plus fortunée. Guedes a travaillé pendant un certain temps au Chili sous la dictature de Pinochet, il est donc peut-être utile de rappeler les résultats de la première expérience de ce néolibéralisme de Chicago.

L’expérience, initiée après le coup d’État militaire de 1973 qui avait préparé le terrain par la terreur et la torture, s’est déroulée dans des conditions quasi optimales. Il ne pouvait y avoir de dissidence – la Villa Grimaldi et ses équivalents s’en sont bien occupés. L’expérimentation était supervisée par les superstars de l’économie de Chicago. Elle a bénéficié d’un énorme soutien de la part des États-Unis, du monde des affaires et des institutions financières internationales. Et les planificateurs économiques ont eu la sagesse de ne pas interférer dans les affaires de l’entreprise Codelco, la plus grande société minière de cuivre au monde, une entreprise publique hautement efficace, qui a ainsi pu fournir une base solide à l’économie de Pinochet.

Pendant quelques années, cette expérience fut largement saluée ; puis le silence s’est installé. Malgré les conditions presque parfaites, en 1982, les « Chicago boys » avaient réussi à faire s’effondrer l’économie. L’État a dû en reprendre en charge une grande partie, plus encore que pendant les années Allende. Des plaisantins ont appelé ça « la route de Chicago vers le socialisme ». L’économie, en grande partie remise aux mains des dirigeants antérieurs, a réémergé, non sans séquelles persistantes de la catastrophe dans les systèmes éducatifs, sociaux, et ailleurs.

Pour en revenir aux préconisations de Bolsonaro-Guedes pour fragiliser le Brésil, il est important de garder à l’esprit la puissance écrasante de la finance dans l’économie politique brésilienne. L’économiste brésilien Ladislau Dowbor rapporte, dans son ouvrage A era do capital improdutivo(« Une ère de capital improductif »), que lorsque l’économie brésilienne est entrée en récession en 2014, les grandes banques ont accru leurs profits de 25 à 30 %, « une dynamique dans laquelle plus les banques font des bénéfices, plus l’économie stagne » puisque « les intermédiaires financiers n’alimentent pas la production, ils la ponctionnent ».

En outre, poursuit M. Dowbor, « après 2014, le PIB a fortement chuté alors que les intérêts et les bénéfices des intermédiaires financiers ont augmenté de 20 à 30 % par an », une caractéristique structurelle d’un système financier qui « ne sert pas l’économie, mais est servi par elle. Il s’agit d’une productivité nette négative. La machine financière vit aux dépens de l’économie réelle. »

Le phénomène est mondial. Joseph Stiglitz résume la situation simplement : « alors qu’auparavant la finance était un mécanisme permettant d’injecter de l’argent dans les entreprises, aujourd’hui elle fonctionne pour en retirer de l’argent ». C’est l’un des profonds renversements de la politique socio-économique dont est responsable l’assaut néolibéral ; il est également responsable de la forte concentration de la richesse entre les mains d’un petit nombre alors que la majorité stagne, de la diminution des prestations sociales, et de l’affaiblissement de la démocratie, fragilisée par les institutions financières prédatrices. Il y a là les principales sources du ressentiment, de la colère et du mépris à l’égard des institutions gouvernementales qui balayent une grande partie du monde, et souvent appelé – à tort – « populisme ».

C’est l’avenir programmé par la ploutocratie et ses candidats. Un avenir qui serait compromis par un nouveau mandat à la présidence de Lula. Il répondait certes aux exigences des institutions financières et du monde des affaires en général, mais pas suffisamment pour notre époque de capitalisme sauvage.

On pourrait s’attarder un instant sur ce qui s’est passé au Brésil pendant les années Lula – « la décennie d’or », selon les termes de la Banque mondiale en mai 2016 [1]. Au cours de ces années, l’étude de la banque rapporte :

« Les progrès socio-économiques du Brésil ont été remarquables et mondialement reconnus. À partir de 2003 [début du mandat de Lula], le pays est reconnu pour son succès dans la réduction de la pauvreté et des inégalités et pour sa capacité à créer des emplois. Des politiques novatrices et efficaces visant à réduire la pauvreté et à assurer l’intégration de groupes qui auparavant étaient exclus ont sorti des millions de personnes de la pauvreté. »

Et plus encore :

« Le Brésil a également assumé des responsabilités mondiales. Il a réussi à poursuivre sa prospérité économique tout en protégeant son patrimoine naturel unique. Le Brésil est devenu l’un des plus importants donateurs émergents, avec des engagements importants, en particulier en Afrique subsaharienne, et un acteur majeur dans les négociations internationales sur le climat. La trajectoire de développement du Brésil au cours de la dernière décennie a montré qu’une croissance fondée sur une prospérité partagée, mais équilibrée dans le respect de l’environnement, est possible. Les Brésiliens sont fiers, à juste titre, de ces réalisations saluées sur la scène internationale. »

Du moins certains Brésiliens, pas ceux qui détiennent le pouvoir économique.

Le rapport de la Banque mondiale rejette le point de vue répandu selon lequel les progrès substantiels étaient « une illusion, créée par le boom des produits de base, mais insoutenable dans l’environnement international actuel, moins clément ». La Banque mondiale répond à cette affirmation par un « non » ferme et catégorique : « il n’y a aucune raison pour que ces gains socio-économiques récents soient effacés ; en réalité, ils pourraient bien être amplifiés avec de bonnes politiques. »

Les bonnes politiques devraient comprendre des réformes radicales du cadre institutionnel hérité de la présidence Cardoso, qui a été maintenu pendant les années Lula-Dilma, satisfaisant ainsi les exigences de la communauté financière, notamment une faible imposition des riches et des taux d’intérêt exorbitants, ce qui a conduit à l’augmentation de grandes fortunes pour quelques-uns, tout en attirant les capitaux vers la finance au détriment des investissements productifs. La ploutocratie et le monopole médiatique accusent les politiques sociales d’assécher l’économie, mais dans les faits, les études économiques montrent que l’effet multiplicateur de l’aide financière aux pauvres a stimulé l’économie alors que ce sont les revenus financiers produits par les taux d’intérêt usuraires et autres cadeaux à la finance qui ont provoqué la véritable crise de 2013 – une crise que « les bonnes politiques » auraient permis de surmonter.

L’éminent économiste brésilien Luiz Carlos Bresser-Pereira, ancien ministre des Finances, décrit succinctement le déterminant majeur de la crise en cours : « il n’y a pas de raison économique » pour justifier le blocage des dépenses publiques tout en maintenant les taux d’intérêt à un niveau élevé ; « la cause fondamentale des taux élevés au Brésil, c’est le fait des prêteurs et des financiers » avec ses conséquences dramatiques, appuyé par le corps législatif (élu avec le soutien financier des entreprises) et le monopole des médias qui relaient essentiellement la voix des intérêts privés.

Dowbor montre que tout au long de l’histoire moderne du Brésil, les remises en question du cadre institutionnel ont conduit à des coups d’État, « à commencer par le renvoi et le suicide de Vargas [en 1954] et le putsch de 1964 » (fermement soutenu par Washington). Il y a de bonnes raisons de penser que la même chose s’est produite pendant le « coup d’État en douceur » en cours depuis 2013. Cette campagne des élites traditionnelles, aujourd’hui concentrées dans le secteur financier et servie par des médias qu’ils possèdent, a connu une accélération en 2013, lorsque Dilma Rousseff a cherché à ramener les taux d’intérêt extravagants à un niveau raisonnable, menaçant ainsi de tarir le torrent d’argent facile dont profitait la minorité qui pouvait se permettre de jouer sur les marchés financiers.

La campagne actuelle visant à préserver le cadre institutionnel et à revenir sur les acquis de « la décennie glorieuse » exploite la corruption à laquelle le Parti des travailleurs de Lula, le PT, a participé. La corruption est bien réelle, et grave, même si le fait de diaboliser le PT est une pure instrumentalisation, en regard des écarts de conduite de ses accusateurs. Et comme nous l’avons déjà mentionné, les accusations portées contre Lula, même si l’on devait lui en reconnaître les torts, ne peuvent être prises au sérieux pour justifier la peine qui lui a été infligée dans le but de l’exclure du système politique. Tout cela fait de lui l’un des prisonniers politiques les plus importants de la période actuelle.

La réaction récurrente des élites face aux menaces qui pèsent sur le cadre institutionnel de l’économie sociopolitique au Brésil trouve son équivalent dans la riposte internationale contre les remises en cause, par le monde en développement, du système néocolonial hérité de siècles de dévastations impérialistes occidentales. Dans les années 1950, dans les premiers jours de la décolonisation, le mouvement des pays non-alignés a cherché à faire son entrée dans les affaires mondiales. Il a été rapidement remis à sa place par les puissances occidentales. En témoigne dramatiquement l’assassinat du leader congolais, très prometteur, Patrice Lumumba, par les dirigeants historiques belges (devançant la CIA). Ce crime et les violences qui ont suivi ont mis fin aux espoirs de ce qui devrait être l’un des pays les plus riches du monde, mais qui reste « l’horreur ! l’horreur ! » avec la collaboration des tortionnaires historiques de l’Afrique.

Néanmoins, les voix gênantes des victimes historiques ne cessaient de s’élever. Dans les années 1960 et 1970, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, avec le concours important d’économistes brésiliens, a présenté des plans pour un Nouvel Ordre Économique International, dans lequel les préoccupations des « sociétés en développement » – la grande majorité de la population mondiale – auraient été examinées. Une initiative rapidement écrasée par la régression néolibérale.

Quelques années plus tard, au sein de l’UNESCO, les pays du Sud ont appelé à un nouvel ordre international de l’information qui ouvrirait le système mondial des médias et de la communication à des acteurs extérieurs au monopole occidental. Cette initiative a déchaîné une riposte extrêmement violente qui a traversé tout le spectre politique, avec des mensonges éhontés et des accusations ridicules, et qui finalement a entraîné le retrait du président américain Ronald Reagan, sous de faux prétextes, de l’UNESCO. Tout cela a été dévoilé dans une étude accablante (donc peu lue) des spécialistes des médias William Preston, Edward S. Herman et Herbert Schiller [2].

L’étude menée en 1993 par le South Centre, qui montrait que l’hémorragie de capitaux depuis les pays pauvres vers les pays riches s’était accompagnée d’exportations de capitaux vers le FMI et la Banque mondiale, qui sont désormais « bénéficiaires nets des ressources des pays en développement », a également été soigneusement passée sous silence. De même que la déclaration du premier sommet du Sud, qui avait rassemblé 133 États en 2000, en réponse à l’enthousiasme de l’Occident pour sa nouvelle doctrine d’« intervention humanitaire ». Aux yeux des pays du Sud, « le soi-disant droit d’intervention humanitaire » est une nouvelle forme d’impérialisme, « qui n’a aucun fondement juridique dans la Charte des Nations unies ni dans les principes généraux du droit international ».

Sans surprise, les puissants n’apprécient guère les remises en cause, et disposent de nombreux moyens pour y répliquer ou pour les réduire au silence.

Il y aurait beaucoup à dire sur la corruption endémique de la politique latino-américaine, souvent solennellement condamnée par l’Occident. Il est vrai, c’est un fléau, qui ne devrait pas être toléré. Mais elle n’est pas limitée aux « pays en voie de développement ». Par exemple, ce n’est pas une petite aberration que dans nos pays, les gigantesques banques reçoivent des amendes de dizaines de milliards de dollars (JPMorgan Chase, Bank of America, Goldman Sachs, Deutsche Bank, Citigroup) à l’issue d’accords négociés à l’amiable, mais que personne ne soit légalement coupable de ces activités criminelles, qui détruisent pourtant des millions de vies. Remarquant que « les multinationales américaines avaient de plus en plus de difficultés à ne pas basculer dans l’illégalité », l’hebdomadaire londonien The Economist du 30 août 2014 rapportait que 2 163 condamnations d’entreprise avaient été comptabilisées entre 2000 et 2014 – et ces multinationales sont nombreuses à Londres et sur le continent européen [3].

La corruption couvre tout un registre, depuis les énormités qu’on vient de voir jusqu’aux plus petites mesquineries. Le vol des salaires, une épidémie aux États-Unis, en donne un exemple particulièrement ordinaire et instructif. On estime que les deux tiers des travailleurs à bas salaire sont volés sur leur rémunération chaque semaine, tandis que les trois quarts se voient voler tout ou partie de leur rémunération pour les heures supplémentaires. Les sommes ainsi volées chaque année sur les salaires des employés excèdent la somme des vols commis dans les banques, les stations-service et les commerces de proximité. Et pourtant, presque aucune action coercitive n’est engagée sur ce point. Le maintien de cette impunité revêt une importance cruciale pour le monde des affaires, à tel point qu’il est une des priorités du principal lobby entrepreneurial, le American Legislative Exchange Council (ALEC), qui bénéficie des largesses financières des entreprises.

La tâche principale de l’ALEC est d’élaborer un cadre législatif pour les États. Un but facile puisque, d’une part, les législateurs sont financés par les entreprises et, d’autre part, les médias s’intéressent peu au sujet. Des programmes méthodiques et intenses soutenus par l’ALEC sont donc capables de faire évoluer les contours de la politique d’un pays, sans préavis, ce qui constitue une attaque souterraine contre la démocratie mais avec des effets importants. Et l’une de leurs initiatives législatives consiste à faire en sorte que les vols de salaires ne soient pas soumis à des contrôles ni à l’application de la loi.

Mais la corruption, qui est un crime, qu’elle soit massive ou minime, n’est que la partie émergée de l’iceberg. La corruption la plus grave est légale. Par exemple, le recours aux paradis fiscaux draine environ un quart, voire davantage, des 80 000 milliards de dollars de l’économie mondiale, créant un système économique indépendant exempt de surveillance et de réglementation, un refuge pour toutes sortes d’activités criminelles, ainsi que pour les impôts qu’on ne veut pas payer. Il n’est pas non plus techniquement illégal pour Amazon, qui vient de devenir la deuxième société à dépasser les 1 000 milliards de dollars de valeur, de bénéficier d’allègements fiscaux sur les ventes. Ou que l’entreprise utilise environ 2 % de l’électricité américaine à des tarifs très préférentiels, conformément à « une longue tradition américaine de transfert des coûts depuis les entreprises vers les plus démunis, qui consacrent déjà aux factures des services publics, en proportion de leurs revenus, environ trois fois plus que ne le font les ménages aisés », comme le rapporte la presse économique [4].

Il y a une liste infinie d’autres exemples.

Un autre exemple important, c’est l’achat des voix lors des élections, un sujet qui a été étudié en profondeur, en particulier par le politologue Thomas Ferguson. Ses recherches, ainsi que celles de ses collègues, ont montré que l’éligibilité du Congrès et de l’exécutif est prévisible avec une précision remarquable à partir de la variable unique des dépenses électorales, une tendance très forte qui remonte loin dans l’histoire politique américaine et qui s’étend jusqu’aux élections de 2016 [5]. La corruption latino-américaine est considérée comme un fléau, alors que la transformation de la démocratie formelle en un instrument entre les mains de la fortune privée est parfaitement légale.

Bien sûr, ce n’est pas que l’interférence dans les élections ne soit plus à l’ordre du jour. Au contraire, l’ingérence présumée de la Russie dans les élections de 2016 est un sujet majeur de l’époque, un sujet d’enquêtes acharnées et de commentaires endiablés. En revanche, le rôle écrasant du monde de l’entreprise et des fortunes privées dans la corruption des élections de 2016, selon une tradition qui remonte à plus d’un siècle, est à peine reconnu. Après tout, il est parfaitement légal, il est même approuvé et renforcé par les décisions de la Cour suprême la plus réactionnaire de mémoire d’homme.

L’achat d’élections n’est pas la pire des interventions des entreprises dans la démocratie américaine immaculée, souillée par les hackers russes (avec des résultats indétectables). Les dépenses de campagne atteignent des sommets, mais elles sont éclipsées par le lobbying, qui représenterait environ 10 fois ces dépenses – un fléau qui s’est rapidement aggravé dès les premiers jours de la régression néolibérale. Ses effets sur la législation sont considérables, le lobbyiste allant jusqu’à la rédaction littérale des lois, alors que le parlementaire – qui signe le projet de loi – est quelque part ailleurs, occupé à collecter des fonds pour la prochaine campagne électorale.

La corruption est effectivement un fléau au Brésil et en Amérique latine en général, mais ils restent des petits joueurs.

Tout cela nous ramène à la prison, où l’un des prisonniers politiques les plus importants de la période est maintenu en isolement pour que le « coup d’État en douceur » au Brésil puisse se poursuivre, avec des conséquences certaines qui seront sévères pour la société brésilienne, et pour le monde entier, étant donné le rôle potentiel du Brésil.

Tout cela peut continuer, à une condition, que ce qui se passe continue d’être toléré. »

Au Brésil, l’élection de Bolsonaro serait «pire qu’un retour aux années de plomb»

 
Sur mediapart. 24 octobre 2018 Par Rachida El Azzouzi
 
Pour l’historienne Maud Chirio, l’élection probable de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil constitue un péril fasciste sans précédent, et qui ne tombe pas du ciel dans une démocratie fragilisée depuis plusieurs années.
 
Entretien.
 
Un nostalgique de la dictature militaire (1964-1985) et de l’un de ses plus féroces tortionnaires Brilhante Ustra est aux portes du pouvoir de la quatrième plus grande démocratie au monde qui est aussi l’une des plus jeunes. Comment se fait-il que la mémoire de la dictature ne soit pas trente ans plus tard un garde-fou ? Est-ce parce que le Brésil n’a jamais affronté en face son passé dictatorial ?
 
La mémoire de la dictature brésilienne n’est malheureusement pas une mémoire négative et donc un garde-fou à l’égard de quelqu’un qui se met à en exalter une image complètement reconstruite dans le cadre d’une montée en puissance d’un mouvement fasciste. Ce n’est pas un hasard si l’extrême-droite militaire est en ce moment si forte. La dictature militaire brésilienne n’a pas fait l’objet d’un véritable travail de mémoire parce que la transition entre la dictature et la démocratie a été négociée et contrôlée par les militaires.
 
Les militaires se sont protégés de procédures judiciaires par une amnistie qu’ils se sont auto-octroyés en 1979 et qui n’a jamais été remise en cause. C’est le seul pays d’Amérique du sud qui n’a jamais remis en cause sa loi d’amnistie. Les militaires ont également mis leur veto à la consultation de leurs archives militaires toujours inaccessibles aux chercheurs et à la production d'un récit officiel qui condamnerait les violences, les disparitions, les atteintes à l'état de droit, aux droits humains.
 
Les seuls dispositifs de justice transitionnelle depuis la fin de la dictature ont consisté en une commission sur les morts et disparus en 1995 qui permettait que des familles de disparus soient indemnisées ainsi qu’une commission d'amnistie pour que ceux qui avaient souffert dans leur vie, leur corps, leur carrière soient eux mêmes indemnisés. Ce sont là des dispositifs d'indemnisation qui n’ont concerné que les victimes. Il n’y pas de récit collectif de désignation des coupables.
 
Entre 2012 et 2014, la commission nationale de la vérité à l’initiative de Dilma Rousseff, alors présidente du pays et elle-même victime de torture, a été une exception. Elle n’a pas permis de juger des coupables mais elle a produit pour la première fois un discours de condamnation de la part de l’Etat, très tard, presque trente ans après. Cette commission a été très mal vécue par l’extrême-droite militaire qui a toujours gardé un pouvoir interne et mis un veto absolu au fait que le pouvoir produise une mémoire négative sur la dictature militaire.
 
La dictature militaire brésilienne est souvent relativisée au motif qu’elle aurait été moins brutale et sanglante qu’en Argentine ou au Chili. Est-ce une clé de lecture pour comprendre l’insuffisance de ce travail mémoriel ?
 
La dictature brésilienne a de fait été moins meurtrière, elle a moins exterminé l'opposition mais elle a été une dictature matrice des dictatures voisines et en tant que telle, ce n’est pas une dictature à relativiser. Elle a été matrice car c’est vraiment au Brésil qu’a été importé, comme source d’un régime, les théories de contre-insurrection qui considéraient que le monde était en guerre contre le communisme et l’Amérique latine en particulier, et que cette situation de guerre nécessitait de réformer l’Etat et de transformer les états en des états autoritaires militaires et répressifs.
 
Cette importation de théories essentiellement formulées par des armées coloniales, française, anglaise et nord américaine dans des opérations de guerre coloniale, sont devenues des manières de penser une guerre interne en Amérique du sud et ont porté des états militaristes. C’est au Brésil que cette conception s’invente en 1964 et elle va être imitée largement dans les pays voisins, en Uruguay, au Chili et en Argentine.
 
« L'erreur de la dictature a été de torturer sans tuer », répète Jair Bolsonaro qui promet s’il est élu d’abuser de l’extermination physique. Pourquoi cette arme de destruction n’était pas entre 1964 et 1985 massivement utilisée ?
 
Plusieurs raisons l’expliquent, premièrement, une certaine modération sur ces questions là des plus hauts états majors, des généraux. Deuxièmement, le fait qu’il n’y ait pas eu 30 000 morts comme en Argentine avec 30 000 familles en deuil a permis que la logique de la transition soit protectrice à l’égard des tortionnaires et des bourreaux qui ont réussi à garder leur espace de pouvoir et le contrôle de la mémoire. La modération sur les questions de vie humaine de la dictature militaire brésilienne a probablement été un facteur qui a empêché la construction franche d’un discours de condamnation de la part de l’Etat et d’une combativité des forces de gauche dans le fait de mettre en avant cette mémoire.
 
Enfin, cette dictature militaire brésilienne a toujours été contestée de façon interne par des réseaux militaires d’extrême droite qui étaient des réseaux liés à l’intégralisme, c’est à dire au fascisme brésilien, et qui ont toujours tout au long de la dictature défendu une répression plus absolue, une véritable extermination des opposants, un régime franchement autoritaire sans aucun garde fou hérité de la démocratie et c’est très exactement de ces réseaux là, de ces lignes dures que Bolsonaro et son entourage militaire sont issus.
 
Bolsonaro a été expulsé de l’armée en 1988. Comme il était à ce moment là une figure importante de la jeunesse militaire car il avait défendu la revalorisation des soldes militaires, il a été immédiatement appuyé par des réseaux militaires fascisants de la réserve d’extrême-droite qui ont porté son élection comme député de l’Etat de Rio puis comme député fédéral. Cela fait trente ans qu’il est appuyé par ce que la dictature militaire a conservé de dissidence interne fasciste.
 
Il y a un lien aussi de ce point de vue là : c’est parce que la dictature militaire brésilienne a été sensiblement plus modérée que ses voisines qu’elle a été contestée de l’intérieur par des forces extrêmement radicales qui sont maintenant aux portes du pouvoir. Ce n’est pas simplement une filiation de la dictature militaire. C’est une filiation entre l’extrême-droite fascisante dissidente à l’intérieur du pouvoir militaire et aujourd’hui. C’est considérablement plus radical que le pouvoir militaire des années 60-80.
 
Dans son dernier discours particulièrement violent et applaudi dimanche 21 octobre à Sao Paulo, Jair Bolsonaro parle d’un « nettoyage profond », d’exterminer notamment toute opposition. Comment se fait-il que la société ne se lève pas face à un tel péril fasciste et qu’un tel homme puisse continuer à être candidat à la présidence ?
 
50% des Brésiliens sont horrifiés par ce qu’il se passe dans le pays. Malheureusement, cela va plutôt être 45 que 50. Ceux qui s’opposent à Bolsonaro sont très conscients de sa nature autoritaire, répressive, dictatoriale. Mais une partie de la population s’est fait engloutir dans un endoctrinement fasciste. C’est deux pays qui ne se parlent plus. Parmi les électeurs du premier tour de Bolsonaro, il y a ceux qui ont voté par ras-le-bol et volonté de rétablir l’ordre, de lutter contre la corruption mais aussi très largement ceux qui adhèrent à ses haines proférées à l’égard des minorités, politiques, religieuses non chrétiennes, sexuelles, raciales, etc.
 
Il y a une vraie adhésion au projet d'extermination des “communistes”, au discours complètement assumé de Bolsonaro de mettre en prison, d’exiler, de bannir ou de supprimer la gauche, « les rouges », comme celui prononcé dimanche 21 octobre. Une grande partie de ses électeurs n’est pas inconsciente de la référence à Ustra, sait bien qu’Ustra a été le responsable d’un des appareils militaires les plus barbares créé ad hoc par la dictature en 1969 dans l’état de Sao Paulo, qui faisait assister les enfants aux sévices de leurs parents ou encore recourait à des animaux sauvages pour torturer.
 
Mais ses électeurs considèrent, du fait de l’endoctrinement massif qu’a connu cette population par des techniques de manipulation des masses extrêmement puissantes depuis plusieurs mois, que l’ennemi de la nation, c’est le communiste et que le seul moment où on a vraiment tenté de lutter contre le communisme, c’est pendant les années de plomb de la dictature militaire. C’est donc cela qu’il faut refaire en plus efficace.
 
Ce n’est pas un acquiescement de quelques égarés mais bien de l’ensemble de la structure institutionnelle, cour supérieure de justice comprise, même si ce n’est pas l’intégralité des juges qui considère qu’on peut revendiquer cette période et la personne d’Ustra. Dans toutes les démocraties actuelles, le fait qu’un candidat annonce qu’il va mettre en prison son adversaire dans le scrutin serait un motif de gros problème auprès de la justice électorale, de la justice en général. Il y a une adhésion à la perspective de la répression politique et d’une violence sociale absolument sans précédent au Brésil.
 
C’est donc pire qu’un retour aux années de plomb…
 
Oui. Bolsonaro veut adopter le modèle de la dictature argentine, effectuer un “nettoyage” beaucoup plus définitif que la dictature brésilienne. Et c’est un modèle argentin qui disposerait d’une base sociale que ne connaissait pas l'Argentine des années de plomb : une foule absolument motivée par l’action violente et le fait non seulement d’acquiescer un état répressif mais d'elle même prendre l'initiative de la violence politique.
 
On le voit déjà avec le déchaînement de violences depuis le premier tour à l'égard de ceux considérés comme “déviants”, minorités. En ce sens, c’est un modèle fasciste de situation et de projet politique puisqu’on se retrouve avec une apologie de l’extermination d’un ennemi interne, de la violence politique, appuyée non seulement par un état qui serait militarisé et répressif mais aussi par des populations complètement endoctrinées.
 
La démocratie brésilienne n’a qu’une trentaine d’années. Plus qu’un recul des libertés, c’est son effondrement qui s’annonce. Est-elle victime de sa jeunesse ?
 
La jeunesse est une fragilité pour les régimes politiques. Les institutions brésiliennes sont très jeunes. Cela a une conséquence très concrète : les membres de ces institutions sont des personnes qui ont connu la dictature, voire qui ont commencé leur carrière sous la dictature. Les juges du tribunal suprême avaient 40 ans au moment de la transition démocratique et donc ils se sont adaptés à différents régimes. Il n’y a pas de contre-pouvoir actuellement susceptible de faire obstacle ou même de signaler ce que pourrait être le déchaînement de violence après son investiture.
 
On s’est bercé d’illusions en pensant que les transitions démocratiques de ces pays du pôle sud parce qu’elles arrivaient au moment de l’effondrement du bloc de l’Est et de la survenue du modèle dominant partout des démocraties libérales, étaient pérennes. C’est un aveuglement historique absolu de considérer qu’une fois qu’une démocratie s’est installée quelque part, il n’y a pas de retour en arrière possible. regardons l’Allemagne. La République de Weimar s’est fait toute seule, après la première guerre mondiale et quinze ans plus tard, elle devenait un des pires et inédits régimes fascistes de l’Histoire.
 
N’y a-t-il pas tout de même des contre-pouvoirs assez solides pour contrer le danger qui s’annonce ?
 
Je crains que non. Les médias, qui n'étaient pas des médias spécialement d’extrême-droite mais très à droite, sont très minoritaires dans les médias conservateurs hégémoniques à exprimer des réticences à l’ascension de Bolsonaro. Un seul grand journal conservateur Folha de Saô Paulo a commencé depuis peu à faire du travail de journalisme autour de la campagne de Bolsonaro. Les autres médias, soient adhèrent, soient connaissent un mélange d’adhésion et de menaces comme Globo. Plusieurs secteurs de ce grand groupe ont exprimé un malaise Bolsonaro par un travail journalistique et ils ont connu de menaces concrètes de la bouche même du candidat venu dans leur locaux. Mussolini avait fait le même comportement que Bolsonaro !
 
Quant au pouvoir judiciaire, divers du point de vue du professionnalisme et des adhésions politiques de ses membres, il est sous la tutelle d’instances supérieures qui là encore, entre peur et adhésion, se couchent par avance à l’égard d’un nouveau régime. La meilleure preuve a été offerte par le propre fils de Bolsonaro, membre de son équipe de campagne et député fédéral, qui a menacé il y a quelques jours la cour suprême de suppression si elle mettait des obstacles à la candidature de son père.
 
Quant au Parlement très conservateur, il n’est pas exclu qu’il adhère aux propositions de Bolsonaro. Ce n’est pas une instance respectée par Bolsonaro. Il a annoncé qu’il s’appuierait sur un gouvernement militarisé et il ne mentionne absolument jamais les majorités à constituer au Congrès, un préalable dans un système démocratique. Normalement c’est cela que l’on fait dans l’entre deux tours. le candidat favori constitue une coalition. Bolsonaro laisse à penser qu’il ne gouvernera pas avec le congrès.
 
Du fait de l’absence de travail mémoriel sur la dictature, l’armée jouit d’un fort capital sympathie et n’est pas perçue comme responsable de crimes. Bolsonaro, qui a déjà le général Mouraô à ses côtés, a annoncé que son gouvernement serait en partie composé par des militaires. Partout dans le pays, on voit en parallèle de la présidentielle des candidats ayant servi dans les forces armées se faire élire sénateurs, députés, gouverneurs. Comment expliquez-vous cette militarisation du politique ?
 
L’ascension du bolsonarisme s’accompagne en effet d’une militarisation. Elle est due à la fois à la poussée de l’extrême-droite militaire et au discours dénonçant une corruption généralisée et la nécessité pour la combattre, de remplacer les politiques par des militaires, car eux ne sont pas corrompus comme les civils. La militarisation correspond à l'extrême-droitisation de la société. On l’a vu sous le régime militaire mais cela avait suivi le coup d’Etat. Il n’y avait pas eu de fascsiscation de la société avant le coup d'Etat. C’est à la suite du coup d’Etat que la classe politique s’était militarisée. On assiste aujourd’hui à un basculement politique qui va être précédé d’une ascension dans l’opinion publique également précédée d’une militarisation et d’une extrême droitisation de la classe politique, d’où de nombreux militaires à des fonctions électives. Ce qui sera nouveau avec Bolsonaro : un gouvernement en grande partie militaire au moins au tiers, a-t-il annoncé, la même proportion que sous la dictature.
 
La probable arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro déchire les familles brésiliennes tant il clive avec ses outrances homophobes, racistes, misogynes. Comment le ressentez-vous ?
C’est un peu une affaire Dreyfus, c’est-à-dire que des gens qui jusque-là vivaient ensemble, avaient des consensus civils de base sur la tolérance de la diversité, de la différence des droits de chacun, sont en train de vaciller du fait de l'endoctrinement absolument fantastique et rapide d’une partie d’entre eux. On se déchire sur le vote mais aussi le vivre ensemble, la capacité à accepter un fils homosexuel, le mariage interracial au sein d’une famille, le port d’armes de telle personne. Ce sont des questions qui n’étaient pas majoritairement présentes dans les familles brésiliennes et qui sont aujourd’hui sous l’effet Bolsonaro en train de créer des souffrances absolument considérables à l’échelle intime des gens.
 
 
 
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"Dimanche 28 octobre, 150 millions de Brésiliens sont appelés aux urnes pour élire leur nouveau président. Qui de Fernando Haddad, candidat du Parti des travailleurs, ou de Jair Bolsonaro, le candidat d’extrême droite, obtiendra la majorité des suffrages ?

Fernando Haddad est le remplaçant de dernière minute de Lula. L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva a été condamné à douze ans de rétention pour corruption, emprisonné, déclaré inéligible et donc empêché de se présenter pour le Parti des Travailleurs. Haddad a pour lui le bilan de la politique sociale en faveur de la réduction des inégalités mené durant treize ans de « lulisme » dans le pays.

Jair Bolsonaro, lui, est arrivé largement en tête au premier tour avec 46,06 % des voies pour le PSL (Parti Social Libéral). Bolsonaro a fait campagne sur l’anti-corruption – il se targue d’être le seul candidat à ne pas avoir été pris dans le pot de confiture – pour un Brésil fort, sécuritaire, lavé de sa criminalité, et de ses péchés !

Mais savez-vous que Jair Bolsonaro est aussi l’homme choisi par les marchés financiers ?

Le 8 octobre, le Wall Street Journal – le quotidien financier le plus vendu dans le monde – a apporté son soutien à Bolsonaro dans son éditorial : « après des années de corruption et de récession, des millions de Brésiliens semblent penser qu’un outsider est exactement ce dont le pays a besoin. Peut-être qu’ils en savent plus que les réprobations internationales.»

Des mauvais esprits ont rappelé que l’appétence du Wall Street Journal pour les dictatures n’était pas nouvelle. En 1980, le journal titrait : « les Chiliens votent l’extension du pouvoir de Pinochet, assurant la continuation de la libre entreprise ». Et à la mort de Pinochet en 2006, le quotidien rendait un vibrant hommage au dictateur chilien : « il a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 1973, mais il a finalement créé un environnement propice aux institutions démocratiques […] Il est responsable des morts et des tortures qui ont eu lieu sous son égide, mais si Salvador Allende avait réussi à transformer le Chili en un autre Cuba, beaucoup plus auraient pu mourir. [2] »

Quand le néo-libéralisme adoube un fasciste, ça donne aujourd’hui Bolsonaro."

Gaylord Van Wymeersch et Jonathan Duong

 

 

 

 

  

08/01/2018

Quand Ford et Volkswagen livraient leurs ouvriers syndicalistes aux tortionnaires des dictatures

 

par Rachel Knaebel

Fin décembre, un procès inédit a débuté en Argentine : d’anciens cadres de la multinationale automobile Ford sont jugés pour leur complicité avec l’appareil répressif de la dictature militaire argentine (1976-1983), durant laquelle 30 000 personnes ont disparu et 15 000 ont été exécutées.

D’anciens dirigeants de la filiale argentine de Ford de l’époque sont soupçonnés d’avoir facilité la séquestration et la torture de 24 ouvriers d’une des usines Ford du pays. « Trois délégués syndicaux n’ont jamais été retrouvés, précise le journal Le Monde.

Quelques jours avant le début du procès argentin, au Brésil, le constructeur automobile allemand Volkswagen présentait les résultats d’une recherche sur sa collaboration avec l’appareil répressif de la dictature militaire brésilienne cette fois (1964-1985), avec ses 20 000 personnes torturées et quelques centaines de morts et « disparus ». Des témoignage recueillis dans le cadre de la Commission vérité sur les crimes de la dictature brésilienne ont révélé que des ouvriers de Volkswagen avaient été arrêtés, frappés et séquestrés sur leur lieu de travail avant d’être envoyés dans des centres de tortures et en prison.

Dénoncer les syndicalistes au nom du progrès

Des responsables de Volkswagen transmettaient aux organes de répression du régime des rapports sur ses ouvriers syndicalistes (voir ici et ). C’est suite à ces accusations que l’entreprise a initié cette recherche historique, confiée à un historien indépendant. L’auteur de l’étude est finalement arrivé à la conclusion qu’« une collaboration a eu lieu entre certains vigiles de Volkswagen do Brasil et la police politique, du Dops, du régime militaire ». Mais qu’« il n’y avait pas de preuve claire que cette collaboration se basait sur une action institutionnelle du côté de l’entreprise ».

Dans les années 1960, la filiale brésilienne de Volkswagen est la plus grande appartenant au constructeur hors de l’Allemagne, et la cinquième plus grande entreprises brésilienne. L’historien Christopher Kopper souligne d’une part que le directeur de Volkswagen Brésil de l’époque, Friedrich Schultz-Wenk (émigré allemand arrivé au Brésil en 1949), « n’a pas du tout été effrayé par le putsch de 1964 ». « Il y a réagi au contraire de manière très positive, euphorique », écrit-il. « Schultz-Wenk saluait l’emprisonnement des leaders syndicaux et des sympathisants de fait ou supposés des communistes », ajoute l’étude.

« En 1972 j’ai été emprisonné au sein du site de Volkswagen. »

Celui qui lui a succédé à la tête de la filiale brésilienne de Volkqwagen en 1972, Werner P. Schmidt, est même cité, en 1973, dans article du journal allemand Süddeutsche Zeitung. Il y assure que la « fermeté » du régime était nécessaire au progrès : « “Bien sûr”, dit l’homme entre deux gorgées de jus de tomate, “la police et les militaires torturent les prisonniers pour obtenir des informations importantes, bien sûr on ne fait même plus de procès aux subversifs politiques, on les tue immédiatement, mais une information objective doit ajouter à cela que sans fermeté, on irait pas de l’avant. Et on va de l’avant“. »(Voir la citation complète ici).

L’étude détaille plusieurs exemples concrets de collaboration entre Volkswagen et l’appareil répressif. « Le premier travailleur de Volkswagen emprisonné a été arrêté le 29 juin 1972. Le même jour, la police arrêtait l’outilleur Lucio Bellentani. Le 2 août, l’outilleur Antonino Torino, le 8 août le fraiseur Geraldo Castro del Pozzo, le contremaître Heinrich Plagge et la secrétaire Annemarie Buschel », énumère l’étude. « En 1972 j’ai été emprisonné au sein du site de Volkswagen, avait témoigné Lúcio Bellentani en 2012 devant la commission de la vérité de São Paulo. J’étais au travail et deux individus avec des pistolets automatiques sont venus, me les ont collés dans le dos et m’ont posé des menottes. Il était environ 23 heures. Dès que je me suis retrouvé dans le local de sécurité de Volkswagen, la torture a commencé. J’ai reçu tout de suite des coups. Ils voulaient savoir s’il y avait d’autres membres du parti (communiste) chez Volkswagen. » 

Impunité

Le même jour, l’ouvrier est envoyé dans un centre de torture du Dops. S’ensuivent « deux heures de coups ». L’homme a ensuite passé six mois dans ce centre de la police politique, a attendu un an un procès, puis a été libéré, faute d’éléments contre lui. « Le témoignage de Lucio Bellentani accable le vigile de Volkswagen, conclut l’historien. Il aurait pu empêcher les mauvais traitement dans les locaux de Volkswagen. » Le chercheur précise aussi : « Quand le chef de la sécurité de Volkswagen, Ademar Rudge a informé le chef du personnel, le chef de la production, et le directeur, le 9 septembre 1974, du déroulement d’une assemblée syndicale et de la participation de travailleurs de Volkswagen, une copie de ce rapport a manifestement été envoyé, comme de routine, à la police politique »

Il est toutefois peu probable qu’un procès ait jamais lieu contre d’anciens responsables de Volkswagen au Brésil, comme c’est le cas actuellement à l’encontre de ceux de Ford en Argentine. La loi d’amnistie brésilienne de 1979 a permis d’un côté l’amnistie des exilés et prisonniers politiques, mais empêche toute poursuite judiciaire à l’encontre des responsables de la répression durant la dictature militaire.

Rachel Knaebel

http://multinationales.org/

 

 

 

 

20/04/2017

Brésil : le grand bond en arriere de Mathilde Bonnassieux et Frédérique Zingaro (2016)

A voir absolument !!!

 

 

 

03/12/2016

Peti rappel : Escadrons de la mort, l'école française

Petit retour en arrière, pour se souvenir que les méthodes "qui ont fait leurs preuves" pendant les dictatures latino-américaine notamment, ont été élaborées en France, - voir notamment La guerre moderne du Colonel Trinquier.............(beurk)

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9782707153494.jpg- et surtout voir ou revoir le documentaire de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, une école française (et lire son livre du même nom, paru en 2003) - "Dans les années 1970 et 1980, les dictatures militaires du Cône sud de l’Amérique latine ont férocement réprimé leurs opposants, utilisant à grande échelle les techniques de la « guerre sale » (rafles, torture, exécutions, escadrons de la mort…). C’est en enquêtant sur l’organisation transnationale dont s’étaient dotées ces dictatures — le fameux « Plan Condor » — que Marie-Monique Robin a découvert le rôle majeur joué secrètement par des militaires français dans la formation à ces méthodes de leurs homologues latino-américains. Dès la fin des années 1950, les méthodes de la « Bataille d’Alger » sont enseignées à l’École supérieure de guerre de Paris, puis en Argentine, où s’installe une « mission militaire permanente française » constituée d’anciens d’Algérie. De même, en 1960, des experts français en lutte antisubversive, dont le général Paul Aussaresses, formeront les officiers américains aux techniques de la « guerre moderne », qu’ils appliqueront au Sud-Viêtnam. Des dessous encore méconnus des guerres françaises en Indochine et en Algérie, jusqu’à la collaboration politique secrète établie par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing avec les dictatures de Pinochet et de Videla, ce livre — fruit d’une enquête de deux ans, en Amérique latine et en Europe — dévoile une page occulte de l’histoire de France, où se croisent aussi des anciens de l’OAS, des fascistes européens ou des « moines soldats » agissant pour le compte de l’organisation intégriste la Cité catholique…"

 

 

 

 

 

 

02/12/2016

"No te metas" ? No se olvida, Argentine 1976-1983 : 30 000 disparus

 

Une citation qu'on aimerait oublier, mais on ferait mieux de ne pas l'oublier justement, celle du général Ibérico Manuel Saint-Jean (gouverneur de Buenos Aires entre 1981 et 1982 ) :

 

Nous allons d’abord tuer tous les agents de la subversion, ensuite leurs collaborateurs, puis leurs sympathisants ; après, les indifférents, et enfin les timides. 

 

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24 mars 1976, noche negra

 

No te metas, expression restée tristement célèbre, ne vous en mêlez pas, disaient les militaires à tous les témoins d'enlèvements en plein jour d'hommes, femmes, enfants... 30 000 disparus.... Aujourd'hui on sait, les tortures jamais en panne d'idées, les viols systématiques, les atrocités, les enfants volés, vendus, les "vuelos de la muerte", les corps anesthésiés, jetés dévêtus depuis des avions dans l'Océan, découpés à la scie électrique pour être dévorés par les caïmans dans la lagune, on sait, et l'Argentine tente depuis peu de rendre justice, mais les coupables sont morts de vieillesse ou seulement encore assignés à résidence, dans leurs somptueuses résidences et la bestialité couve toujours, prête à ressurgir au moindre signe de faiblesse, en Amérique Latine comme ailleurs, ne l'oubliez pas...

 

 

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01/12/2016

Martin Almada: "Le Condor vole toujours, il faut lui couper les ailes"

Entre le 12 et 14 octobre 2016, l'avocat et Prix Nobel alternatif de la Paix, Martin Almada, se trouvait en France pour participer à un colloque international sur les archives des dictatures latino-américaines dans les années 1970.

 

 

05/10/2016

Brésil : un coup d’État néolibéral sur fond de crise globale

mardi 4 octobre 2016, par Attac France

Les Jeux olympiques (JO) qui se sont déroulés au Brésil n’ont pu masquer la grave crise économique, écologique, sociale, politique et institutionnelle que traverse le pays. Dans la continuité des mobilisations de 2013, de fortes critiques ont émergé concernant l’organisation des JO : dépenses titanesques au détriment des services publics et déplacements forcés d’habitants pour faciliter les travaux. Mais l’essentiel des mobilisations a eu lieu pour contrer l’offensive de la bourgeoisie, de la droite et de son gouvernement par intérim, de démettre Dilma Rousseff et de s’accaparer le pouvoir illégitimement.

Pour la droite, étouffer les affaires de corruption

Cinq mois après l’ouverture de la procédure d’impeachment, la destitution de Dilma Rousseff a été votée le 31 août par une très large majorité de sénateurs. Le clientélisme aura fini de convaincre les quelques indécis. Dilma Rousseff était accusée de transferts budgétaires réalisés sans l’aval du Congrès. Pratique courante de certains gouvernements antérieurs, de maires et de gouverneurs d’État, cette accusation n’était qu’un prétexte : deux jours à peine après le vote du Sénat, le nouveau gouvernement de droite a promulgué une loi qui autorise à procéder à ces manipulations comptables sans consulter le Congrès.

Avec l’aide du pouvoir judiciaire et des médias, l’oligarchie et la droite voulaient endiguer l’hémorragie provoquée par l’enquête « Lava jato » (« lavage express »), opération qui a révélé un énorme scandale de corruption triangulaire orchestrée entre le groupe public Petrobras, des sociétés du bâtiment et de nombreux dirigeants politiques de tous les partis, de droite comme de gauche. Une course de vitesse s’est engagée pour empêcher que les investigations anti-corruption n’arrivent à leur terme. Une loi scandaleuse, faite sur mesure, est actuellement en train d’être élaborée afin de justifier et normaliser les sources illégales de revenus. L’organe créé pour enquêter sur les cas de corruption au sein du gouvernement a été annexé à un nouveau « Ministère de la transparence, de la surveillance et du contrôle ». Les investigations sur les membres du gouvernement dépendront donc... du gouvernement !

Un coup d’État institutionnel pour amplifier l’offensive néolibérale

Le contexte est marqué par une profonde polarisation de la lutte des classes et une fragilité des gauches dans le continent sud-américain. La bourgeoisie brésilienne veut reprendre les rênes du pouvoir et mettre fin à la gouvernance et aux alliances avec le Parti des travailleurs (PT), en destituant Dilma Rousseff et en empêchant Lula de se présenter une nouvelle fois à la présidence de la République. Elle veut accélérer ses contre-réformes libérales et conservatrices. La procédure de destitution de Dilma Rousseff a compté sur l’appui des puissantes Églises évangéliques et sur le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), principal parti d’opposition au PT.

À peine réélue et pour faire vivre le sentiment anti-Dilma et anti-PT, des protestations de rue et des meetings en faveur de l’impeachment ont été orchestrés par la droite avant même la procédure de destitution. Le président par intérim Michel Temer, leader du PMDB, n’a pas attendu la fin de cette procédure pour appliquer un programme néolibéral d’urgence. Il a immédiatement reçu de la part du syndicat patronal une liste de « 36 mesures indispensables », dont l’objectif est de vider les caisses publiques et de transférer leur contenu à l’oligarchie en détruisant au passage les droits sociaux.

La dérèglementation et la libéralisation sont les piliers du programme du gouvernement actuel. Un projet d’amendement constitutionnel appelé « Mesure provisoire » est défendu par l’actuel ministre des Finances, Henrique Meirelles (Président de la Banque de Boston à la fin des années 90, puis Président de la Banque centrale du Brésil à l’époque de Lula). Cette mesure vise à geler des dépenses fédérales pendant 20 ans ! Elle officialisera la réduction du budget de l’État et donc des dépenses publiques. Le système des retraites en fera les frais : une mesure prévoit le recul de l’âge de départ à la retraite à 70 ans afin de réduire de 30 % les dépenses de ce secteur. Les budgets de la santé et de l’éducation – investissements pourtant garantis par la Constitution – seront aussi réduits, avec entre autre une coupe de 45 % des dépenses universitaires et une remise en cause du système unique de santé (équivalent de la Sécurité sociale). En contrepartie, le gouvernement augmente les investissements militaires, aéroportuaires et nucléaires. Il organise la privatisation du secteur pétrolier. Il favorise les négociations entre salariés et patrons, qui auront alors plus de poids que dans l’actuelle législation. La sous-traitance sera libéralisée.

Le ton conservateur et répressif est donné. Le Ministère des Femmes, de l’égalité raciale, des droits humains et de la jeunesse a été supprimé, ainsi que le Ministère du développement agraire, censé mettre en place la réforme agraire. Le chef de la police militaire de São Paulo a été nommé ministre de la Justice et de la citoyenneté. Il est connu pour la violence de ses moyens employés à l’encontre des mouvements sociaux. La répression bat son plein actuellement avec un pouvoir judiciaire complice.

L’offensive a aussi lieu sur le plan de la politique extérieure. Tout en cherchant une reconnaissance internationale en participant au G20, Temer et son ministre des Affaires étrangères, José Serra, font du Venezuela leur principale cible. En effet, une crise s’est ouverte au sein du Mercosur entre le Brésil et l’Uruguay. Ce dernier a occupé la présidence tournante de l’institution jusqu’en juillet dernier et devait être remplacé par le Venezuela. Le chancelier uruguayen accuse Serra d’avoir voulu « acheter le vote de l’Uruguay » afin d’empêcher le Venezuela d’accéder à la présidence. Les gouvernements de droite de Temer au Brésil, de Macri en Argentine, de Horácio Cartes au Paraguay font en effet pression sur les pays du Mercosur afin de réviser le protocole d’adhésion au détriment du Venezuela, offensive internationale pour déstabiliser un peu plus le successeur de Chávez. Ces montages de projets se déroulent bien entendu en bonne collaboration avec les États-Unis.

Des difficultés qui viennent de loin

Les classes dominantes brésiliennes n’admettent plus de mesures à caractère social, elles veulent prendre leur revanche comme dans le reste du continent. La pratique du coup d’État institutionnel semble être la nouvelle stratégie des oligarchies latino-américaines. Après le Honduras et le Paraguay, c’est au tour du Brésil.
Cependant la crise vient de loin, car l’insatisfaction de la population dépasse largement les rangs traditionnels de la droite. La société brésilienne traverse une crise globale inédite depuis la fin de la dictature. Malgré des mesures sociales au début de la présidence Lula, comme l’augmentation du SMIC et dans une moindre mesure la Bolsa familia, la politique pétiste du gouvernement s’est rapidement convertie à l’extractivisme, à la mise en œuvre de méga-projets inutiles dans le cadre du programme d’accélération du développement (PAC), au développement de l’agro-business et à la libéralisation des transgéniques aux dépens de la réforme agraire et de l’agriculture paysanne. Elle n’a jamais remis en cause le paiement des intérêts de la dette extérieure.

Ces dernières années, la présidente Dilma Rousseff et son gouvernement de coalition ont sacrifié les investissements sociaux et publics, en diminuant au passage la fiscalisation des plus riches. La flexibilité et la précarité au travail n’ont cessé d’augmenter. Pendant les douze années de gouvernement pétiste, la moitié des emplois existants est restée informelle et 95 % des emplois créés l’ont été avec des niveaux de salaire très bas. Le PT a été pris dans une spirale d’alliances de plus en plus ouvertes à la droite, acceptant au gouvernement des représentants du grand capital. Les ambitions sociales et idéologiques prévues à sa création en 1980 ont disparu au fur et à mesure que les ambitions électorales ont augmenté. Malgré le discours pétiste de justice sociale, la politique menée a été « un réformisme presque sans réformes » selon Valério Arcary [1].

Dilma est ainsi la victime de cette situation. Son impopularité s’est approfondie au fur et à mesure qu’elle a appliqué des mesures anti-sociales, approuvées par les alliés de la droite, qui à leur tour ont contribué à ternir sa réputation. Gel des salaires dans les services publics, suspension d’une grande quantité de concours publics, coupes budgétaires dans le secteur de la santé et de l’éducation, multiplication des privatisations, augmentation de la sous-traitance dans les services publics, et adoption d’une « loi anti-terroriste » dont le but a été de criminaliser les luttes de résistance.

Perspectives des mouvements

Les mouvements sociaux, les syndicats et toutes les forces progressistes du Brésil caractérisent la destitution de Dilma Rousseff de coup d’État institutionnel. Le retour de la droite au pouvoir signifie une grande régression démocratique, une offensive contre les acquis sociaux et une intensification de la criminalisation de la résistance et de la mobilisation. Les mouvements populaires réunis au sein du Front Brésil Populaire, du Front peuple sans peur et de l’Espace unité d’action se sont mobilisés contre le coup d’État. Les manifestations appelées par ces fronts, soutenant le PT ou critiques vis-à-vis de lui, ont rempli les artères des grandes villes du pays. En septembre, des milliers de personnes sont descendus dans les rues de São Paulo et des principales villes du pays sous le mot d’ordre « Fora Temer ! » (Temer dégage !) et réclamant des élections anticipées, des « Diretas ja ! » (élections directes immédiatement !) reprise d’un mot d’ordre employé à la fin de la dictature militaire. Ces manifestations ont été particulièrement réprimées.

Le rapport de force sera-t-il à la hauteur ? La solidarité internationale s’amplifiera-t-elle à l’exemple de la pétition « Contre le coup d’État constitutionnel au Brésil » lancée pour soutenir les mouvements sociaux brésiliens ? La campagne municipale a commencé et la gauche brésilienne doit se repositionner là où ces dernières années les alliances entre partis de centre-droit et de gauche étaient devenues monnaie courante. Avec la fin du gouvernement du PT, des bilans doivent être tirés. Doit émerger une nouvelle gauche, radicale et rassemblée, mobilisant massivement, portant un nouveau projet de rupture, écologiste et féministe, défendant le droit du travail, l’agriculture paysanne, intégrant les revendications des populations indigènes, noires et LGBT. L’enjeu est vital pour les forces progressistes.

Article de Flavia Verri et Beatrice Whitaker.

P.-S.

Photo : Fernando Frazão/ABr, CC 3.0.

Notes

[1Arcary,Valério, « Um reformismo quase sem reformas », éd. Sundermann, São Paulo, 2014

 

 

04/03/2016

Berta Caceres, vaillante militante écologique assassinée au Honduras

 

© Goldman Environmental Prize | L'activiste écologique Berta Caceres sur les rives du fleuve Gualcarque, dans l'ouest du Honduras, en 2015

 

Source :  FRANCE 24  03/03/2016

 

Militante écologique depuis les années 1990, Berta Caceres a été tuée par balles jeudi en rentrant à son domicile. La cause environnementale au Honduras perd l’un de ses défenseurs acharnés.

Depuis quelques années, les collègues de travail de Berta Caceres avaient préparé son eulogie. Une façon de défier avec humour les menaces de mort que la militante écologiste hondurienne recevait régulièrement. Des menaces qui ne l’empêchaient pas pour autant de mener son action pacifique contre la construction du barrage d’Agua Zarca, sur la rivière Gualcarque, dans le nord-ouest du Honduras.

Jeudi 3 mars pourtant, Berta Caceres s’est écroulée au moment où elle rentrait chez elle dans la ville de La Esperanza, tuée de plusieurs balles par des inconnus. Selon la police, il s’agirait d’un crime crapuleux, commis par de simples voleurs.

Mais pour la famille de Berta Caceres, les motifs de cet assassinat sont évidents : "Nous savons tous que c’est pour sa lutte écologique", a déclaré sa mère, Berta Flores, sur la chaine de télévision brésilienne Globo, après son décès. Une opinion partagée par Carlos Reyes, dirigeant du Front national de Résistance populaire (FNRP), mouvement d’opposition socialiste, interrogé par l’AFP : "Pour la police, des inconnus sont entrés dans la maison par la porte de derrière et lui ont tiré dessus à plusieurs reprises, mais nous savons tous que ce sont des mensonges".

Née dans les années 1980, Berta Caceres s’intéressa, dès ses études universitaires, à l’activisme politique et au sort des populations du pays les plus démunies. Issue d’une lignée indienne Lenca, elle fonde, en 1993, le Conseil national des organisations indigènes et populaires du Honduras (Copinh), pour venir en aide aux communautés indigènes dans leur lutte pour le respect de leurs droits territoriaux.

C’est en 2006 que les habitants de la région de Rio Blanco viennent pour la première fois la consulter : des machines et des équipements de construction ont fait leur apparition près de la rivière Gualcarque, sans qu’ils en connaissent la raison, ni le but.

Un combat presque remporté

Depuis le coup d’état de 2009 au Honduras, de gigantesques projets d’exploitation des ressources minières ont été lancés par le gouvernement qui a approuvé plusieurs grands projets de barrage, destinés à alimenter en eau ces nouvelles exploitations. Co-venture entre la compagnie hondurienne Desarollos Energetico, DESA, et l’entreprise chinoise Sinohydro, le projet de barrage d’Agua Zarca menace depuis ses débuts les conditions de vie de centaines d’Indiens Lenca installés dans la région.

C’est en leur nom que Berta Caceres s'est investie dans ce difficile combat, montant plusieurs campagnes de protestation. Pendant dix ans, elle dépose des plaintes auprès des tribunaux, organise des manifestations pacifiques, des blocages de route pour empêcher l’accès au site, exigeant le respect des droits des populations locales et leur consultation sur la pertinence du projet. Elle va même jusqu’à saisir la Commission des droits de l’Homme interaméricaine, pour que la Banque mondiale, qui finance une partie du barrage, s’en retire. Ce que celle-ci finira par faire, emboîtant le pas à Sinohydro qui a rompu son contrat avec DESA fin 2013.

En 2015, les efforts de Berta Caceres sont reconnus internationalement. Elle reçoit le prix Goldman Environmental, décerné depuis 1989 aux plus fervents défenseurs de la cause environnementale dans le monde. Une double récompense pour la militante qui a réussi, par sa persistance et celle de son organisation, à faire suspendre la construction du barrage.

Que Berta Caceres ait perdu la vie pour la défense d’un environnement naturel nécessaire à la vie de communautés indigènes ne sera peut-être jamais établi avec certitude. Il est sûr en revanche que les promoteurs du projet d’Aqua Zarca viennent de perdre une opposante convaincue et courageuse.

 

 

 

23/02/2016

Le retour du néolibéralisme autoritaire en Argentine

 

mardi 23 février 2016, par Alfredo Calcagno

François Hollande se rend en visite officielle dans une Argentine qui est en train de prendre un virage à 180 degrés, de retour au néolibéralisme et l’autoritarisme. En à peine deux mois, le nouveau gouvernement de Mauricio Macri a pris des mesures qui réduisent les salaires réels, augmentent les revenus des grands exportateurs et des entreprises transnationales, renforcent le pouvoir des oligopoles et acceptent l’essentiel des demandes des fonds vautour. Le gouvernement cherche à conclure un accord avec ceux-ci afin d’accéder à de nouveaux crédits sur les marchés internationaux, le ré-endettement du pays étant un des piliers de la nouvelle politique économique.

La nouvelle politique envers le capital financier international est illustrée par le remplacement du chef de l’unité contre les crimes financiers par des avocats liés aux banques qui étaient justement poursuivies pour blanchiment et recel de capitaux non déclarés (dont HSBC ; le nouveau ministre des finances, d’ailleurs, figure en bonne place dans la « liste Falciani » du HSBC Genève).

Le nouveau gouvernement renforce son contrôle des médias, en annulant une loi qui fixait des limites à la concentration des moyens audiovisuels, par un décret taillé à la mesure d’un puissant oligopole qui a fait campagne pour lui, le Groupe Clarín. De plus, de nombreux journalistes critiques sont renvoyés de radios et chaînes de télévision publiques et privées. Le gouvernement cherche aussi à mieux contrôler le pouvoir judiciaire, qui lui est déjà largement acquis. Il a fortement réduit les fonctions de la Procuration Nationale dont la titulaire en a défendu l’indépendance, et a même essayé de nommer sans l’accord du Sénat deux nouveaux membres de la Court Suprême, avant de faire machine arrière.

Pour faire passer ces mesures au pas de charge, le gouvernement a fait un usage abusif des « Décrets d’Urgence » ; il a ainsi changé des lois en contournant le parlement, où il n’a pas de majorité.

Une chasse aux sorcières s’est déclenchée dans la fonction publique, avec plus de 25 000 employés mis à la porte du jour au lendemain en fonction de leur orientation politique. Ils sont stigmatisés comme étant des « militants » bénéficiant d’emplois fictifs, mais n’ont pas le droit à l’examen au cas par cas de leur situation qui montrerait le contraire. Les services s’occupant de la culture et des droits de l’homme sont particulièrement touchés.

Le nouveau gouvernement remet en cause la politique de non-répression des protestations sociales du précédent. Un cas emblématique est celui de Milagro Sala, une dirigeante sociale et députée au Parlasur (l’équivalent du Parlement Européen) : malgré son immunité parlementaire, elle a été arrêtée sous le chef d’accusation de « tumulte et appel au délit » pour avoir organisé un campement pacifique dans la place centrale de la ville de Jujuy (d’autres accusations ont été ajoutées depuis). Le message est clair : désormais, manifester pacifiquement est un délit. Des protestations pacifiques d’employés licenciés ont aussi été violemment réprimées, et un nouveau « protocole » pour l’intervention de la police dans de tels cas, sans l’intervention d’un juge, est actuellement élaboré. Le gouvernement de Macri cherche à “criminaliser” la contestation sociale que ses politiques économiques et sociales risquent de déclencher. Ce n’est pas la première fois que néolibéralisme et répression sévissent en même temps en Amérique Latine.

Répression contre des employés renvoyés de la Municipalité de La Plata, le 8 janvier 2016 (Alfredo Calcagno)
Répression contre des employés renvoyés de la Municipalité de La Plata, le 8 janvier 2016 (Alfredo Calcagno)

01/12/2015

Colombie: Meurtre du défenseur des droits humains Daniel Abril et escalade de la violence contre les membres du MOVICE

Source : https://www.frontlinedefenders.org/node/30154

 

Le 13 novembre 2015, le défenseur des droits humains M. Daniel Abril a été tué dans une boulangerie, dans sa ville natale de Trinidad, dans le département de Casanare. Il était l'une des principales voix qui dénonçent les exactions perpétrées par les compagnies pétrolières dans le département de Casanare.

Daniel Abril était membre de la section de Casanares du Movimiento Nacional de Víctimas de Crímenes del Estado – MOVICE (mouvement national des crimes d’État). MOVICE est une organisation de défense des droits humains qui œuvre pour les victimes du conflit armé, effectue un suivi et cherche à obtenir justice pour les violations des droits humains perpétrées par l'État et les paramilitaires. Daniel Abril et d'autres membres du MOVICE sont victimes de menaces et autres formes de harcèlement. Le dernier incident est une campagne de distribution de tracts menaçants contre des membres du MOVICE.

Trois jours après le meurtre de Daniel Abril, le 16 novembre 2015, la défenseuse des droits humains, Mme Maria Cardona Mejía, secrétaire technique de la section de Caldas du MOVICE, a été suivie par un inconnu, qu'elle a entendu dire au téléphone "cuando yo fui militar, masacres era lo que hacíamos, como le vamos a hacer a la peliteñida que tengo al lado y a su jefe" (quand j'étais militaire, on faisait des massacres, comme ce qu'on va faire à la petite blonde à côté de moi, et à son chef). Maria Cardona a déjà reçu plusieurs appels de menaces en 2012 et 2013, dans desquels M. Dario Ecsehomo Diaz, son "chef" au MOVICE, était mentionné.

Le MOVICE a indiqué que depuis plusieurs mois, de plus en plus de ses membres sont affectés par l'élimination, la réduction et la non-application des mesures de protections accordées par l'Unité nationale de protection (UNP). Cela inclut: la réduction des mesures de protection de M. Juan David Diaz, qui a reçu sept menaces de mort rien que cette année, notamment au mois d'octobre; la non-application des mesures de protection pour Martha Lucia Giraldo, secrétaire technique de la section du MOVICE dans la Valle del Cauca, ce qui a conduit à la suspension des mesures en février 2015; le retard dans l'analyse des risques, commencée le 24 septembre 2015 de Mme Rocio Campos, secrétaire technique de la section du MOVICE dans la section de Magdalena Medio, et M. Jaime Pena, membre de la même section de MOVICE. Cette situation met les membres du MOVICE en danger et affecte leur aptitude à mener à bien leur travail.

Front Line Defenders est préoccupée par l'escalade des menaces contre les membres du MOVICE et fait part de ses préoccupations concernant la réduction des mesures de protection accordées par l'UNP, en dépit de l'augmentation des menaces et des attaques.

 
 
 

08/10/2015

L'Amérique latine dans le chaudron du diable


Revue Agone n° 57
Coédition avec la New Left Review 
Coordination Philippe Olivera & Clément Petitjean

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<http://agone.org/revueagone/agone57/>
 
Liens et continuités entre la grande époque des luttes anti-impérialistes et les profondes mutations actuelles, témoignant d’un possible retour de l’Amérique latine comme phare des luttes à venir.

L’Amérique latine ne se réduit pas au rôle dramatique où la cantonne la presse à sensations politiques : un continent écartelé par l’exploitation économique et financière via des organismes internationaux publics ou privés, une mosaïque de vallées sous la coupe des cartels de la drogue, le théâtre de révolutions anti-yankee ancrées dans les mythologies du XIXe siècle ou un regroupement de nouvelles puissances « émergentes » qui cherchent à prendre le train de la croissance.
Plutôt que d’employer les raccourcis habituels, ce recueil d’articles initialement parus dans la New Left Review révèle la diversité et la complexité de ces nations à la recherche de solutions singulières pour sortir du « chaudron du diable » dans lequel l’histoire nous enferme. Faudrait-il pour cela critiquer les errances de Lula et du Parti des travailleurs, suivre la conversion des économies illégales ou revenir sur les fissures de la contre-révolution libérale derrière leurs façades médiatiques ?

Au sommaire :

– Des républiques Potemkine, Bolivar Echevarria 
– Comment fut trouvée la formule d'une grande littérature brésilienne, Roberto Schwartz 
– L’ornithorynque, Chico de Oliveira 
– Des façons d'écouter dans un média visuel, Ismail Xavier 
– "Ce qui existe ne peut pas être vrai", entretien avec Adolfo Gilly 
– Le relooking de Medellin, Forrest Hylton 
– A quoi ressemble la protection  sociale du XXIe siècle, Lena Lavinas 
– Imprévisible Cuba, Emily Morris

À paraître le 13/10/2015
232 pages (12x21 cm) 20.00 €
ISBN : 9782748902334 

Tous les numéros de la revue Agone  : <www.agone.org/revueagone>





17/08/2015

Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Eduardo Galeano

 

 Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Claude Couffon

Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Eduardo Galeano
147 p. Edition Pocket
 
 

Il y a des auteurs qu’on ne découvre que lorsqu’ils disparaissent. Ce fut malheureusement mon cas pour l’uruguayen Eduardo Galeano, que je n’ai connu que cette année. Pour d’autres, c’était déjà un auteur incontournable pour comprendre l’Amérique latine, notamment à travers l’ouvrage qui l’a fait connaître : Les veines ouvertes de l’Amérique latine (Las veinas abiertas de América latina). Près d’un demi-siècle après sa parution, ce brillant essai, qui relate le traitement de l’Amérique latine depuis Christophe Colomb jusqu’à nos jours, est malheureusement très ancré dans la réalité actuelle ; permet de comprendre les problèmes contemporains et persistants du nouveau continent, et nous interroge sur les fondements du mode de vie confortable dans lequel nous baignons en Europe et en Occident.

La conquête de l’Amérique par les Espagnols et Hernán Cortés a été très sanglante, on le sait. Et a été facilitée par une certaine passivité des Indiens. Au Pérou cependant, un dénommé Túpac Amaru, descendant direct des empereurs Incas, décréta la liberté des esclaves, et initia un mouvement de résistance, puis de révolution. Lui et ses guérilleros vaincus, il sera humilié et torturé en public à Cuzco, avec sa femme et ses enfants, puis décapité. Sa tête et ses quatre membres seront envoyés dans cinq lieux différents.

La dignité indienne éliminée, le pillage de l’or et de l’argent peut être sans limites. Galeano raconte avec éloquence cette période guidée par la soif d’or et d’argent des conquérants, parfois à la limite de la folie. Les descriptions des conditions de  travail des mines sont assez écœurantes. Les exemples de cruauté infligée aux esclaves ne manquent pas. Et on apprend aussi que la Bolivie, aujourd’hui un pays très pauvre, fut un des pays les plus riches au monde en matière de ressources, qui a largement contribué au développement des grandes puissances, ceci au prix de la vie de huit millions d’Indiens. Mais sur tout le continent, c’est bien plus d’Indiens qui disparaîtront suite à la conquête de Cortés : « Les Indiens de l’Amérique totalisaient pas moins de soixante-dix millions de personnes lorsque les conquistadors firent leur apparition. Un siècle et demi plus tard, ils n’étaient plus que trois millions et demi », nous dit l’auteur.

Après l’or et l’argent, le sucre. Le sucre, qu’on accuse aujourd’hui de tous les maux, le sucre, dont l’abus rend obèses nos enfants. Christophe Colomb le découvrit aux Îles Canaries avant de le planter en République Dominicaine, et plus tard à Cuba. Dès lors, le sucre rejoindra l’or et l’argent comme un des moteurs principaux de la conquête du continent. Et encore au XXème siècle, le sucre sera un enjeu essentiel de la suite de la conquête, cette fois en faveur des Etats-Unis. En 1965, ils n’hésitent pas à envoyer 40.000 marines en République Dominicaine pour rétablir l’ordre suite à une insurrection contre la dictature militaire. Ces mêmes marines étant « disposés à rester indéfiniment dans le pays en raison de la confusion régnante ». Jusqu’à la révolution cubaine, les relations entre les Etats-Unis et Cuba seront solidement guidées par la main mise des Etats-Unis sur le sucre cubain. Quant à Porto Rico, autre pays sucré, qui aujourd’hui ne parvient plus à payer sa dette, on apprend qu’il fut l’état des Etats-Unis avec le record de soldats ayant combattu au Viêt-Nam. Eduardo Galeano s’attarde également sur les enjeux liés au café, au chocolat, aux légumes, au pétrole.

Dans Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, la politique étrangère des Etats-Unis n’est pas montrée sous un jour favorable, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans la mesure où Eduardo Galeano cite constamment ses sources, ça en devient déprimant. Ni même le grand démocrate Abraham Lincoln, abolisseur de l’esclavage n’échappa pas au rêve d’annexer toute l’Amérique latine, « destin manifeste » de la grande puissance sur ses pendants naturels. Au début du XXème siècle, Théodore Roosevelt, président des Etats-Unis et prix Nobel de la paix, réalisera une partie de ce rêve en amputant une partie de la Colombie, le canal de Panama : « J’ai pris le canal », dira-t-il fièrement. Il ressort de cette lecture, pour faire court, mais sans trop caricaturer, que les Etats-Unis veulent être partout en Amérique du Sud, et que tout ce qui ne va pas dans leur intérêt mérite une intervention de leur part. Ainsi, on comprend pourquoi ils soutiennent tous les régimes autoritaires qui leur fournissent de la main d’œuvre à bas prix, et n’hésitent pas à déloger eux-mêmes les éléments qui les gênent. Au Mexique, durant les dix ans de guerre entre Emiliano Zapata et le dictateur Porfirio Diaz, ils n’hésiteront pas à bombarder les Zapatistes et a leur envoyer les Marines. Durant vingt ans, ils occuperont Haïti, y introduiront le travail forcé, et tueront 1500 ouvriers en une seule opération de répression. Les exemples de ce type ne manquant pas dans l’ouvrage, sans avoir d’a priori sur la politique étrangère des Etats-Unis dans ce continent, il n’est pas difficile de s’en sentir mal à l’aise.

L’essai permet aussi de mieux cerner les problèmes de l’Amérique latine d’aujourd’hui, et de mieux appréhender les forces politiques qui y émergent. Juan Perón, populiste de droite en Argentine, a le mérite d’avoir nationalisé les entreprises de son pays. Le Venezuela des années 70, bien avant Chavez puis ses problèmes de violence actuels, était déjà un des pays les plus violents au monde, dont l’économie reposait uniquement sur le pétrole, ceci au bénéfice d’une petite minorité pour soixante-dix pour cent de laissés pour compte et une moitié d’enfants et adolescents non scolarisés. Quant à Cuba, en 1960, l’ex-ambassadeur nord-américain déclarera que « jusqu’à l’arrivée de Castro au pouvoir, les Etats-Unis avaient une telle influence sur Cuba que l’ambassadeur nord-américain était le second personnage du pays, parfois même plus important que le président cubain ».

S’il laisse un peu trop de côté les responsabilités locales (des gouvernements) pour se focaliser uniquement sur les intérêts extérieurs, l’auteur se penche sur la place des Indigènes dans les sociétés d’Amérique du sud actuelle. Le peu qui en ressort est assez effarant et mériterait d’être plus largement traité. On apprend qu’une enquête des années 60 révélait que si les Paraguayens ne cessent de rendre hommage à l’esprit guarani, et pis, ont quasiment tous du sang indien, huit Paraguayens sur dix considéraient que « les Indiens sont comme des animaux ». Et selon l’auteur, d’une manière générale « les Indigènes sont incorporés au système de production actuel et à l’économie de marché, bien que ce ne soit pas de forme directe. Ils participent, comme victimes, à un ordre économique et social où ils jouent le rôle difficile des plus exploités parmi les exploités ».

Quatre ans de recherche ont permis à l’auteur de dresser cet inventaire sans précédent des intérêts extérieurs en Amérique latine. Une part d’Histoire méconnue chez nous, et encore trop cachée là-bas, qui laisse difficilement insensible, et fait souvent froid dans le dos. Aucune grande puissance n’est réellement épargnée (ni la France, ni l’Angleterre, ni les Pays-Bas), mais la politique extérieure qui a les conséquences les plus dramatiques vient des Etats-Unis, qui prennent le relais des Espagnols après  la chute de l’empire espagnol. Cet ouvrage politique et économique pour le grand public, vulgarisé, qui pourrait presque s’appeler « La politique économique en Amérique latine pour les nuls » cite constamment ses sources, ne verse jamais dans l’anti-américanisme primaire, et encore moins dans les sordides théories complotistes qui viennent parasiter l’extrême-gauche de nos jours. On sort probablement déconcerté, déprimé par cet essai, et on en sort certainement grandi, car plus instruit. Plus curieux également, car il y a des épisodes dont on aimerait savoir plus. Trois cents pages de livre ne sont malheureusement pas suffisantes pour relater six siècles d’histoire d’un continent.

A l’heure actuelle, la main mise des intérêts extérieurs en Amérique latine n’a pas flanché. Au Mexique, avec l’accord du gouvernement mexicain, les Etats-Unis ont déjà acheté une partie de la compagnie pétrolière Pemex et continuent de construire à Cancún des hôtels où on paye en dollars, et dont l’argent va principalement aux Etats Unis. Quant à Coca-Cola, qui possède de l’eau en bouteille, il n’a aucun intérêt à ce que l’eau des éviers mexicains soit potable.

Karl Marx a dit, comme chacun sait « la religion est l’opium du peuple ». Pour l’Amérique latine, cette partie du monde qui baigne dans le Catholicisme, Eduardo Galeano conclut son ouvrage ainsi : « Il y en a qui croient que le destin repose sur les genoux des dieux, mais la vérité c’est qu’il relève, comme un défi incandescent, de la conscience des hommes ». Un appel à la connaissance et à l’action donc. Espérons qu’il puisse être entendu.

 

par Alexis Brunet  sur http://www.lacauselitteraire.fr/