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14/11/2014

Loin des tranchées : quand les multinationales européennes engrangeaient déjà les profits de la guerre

 

par Ivan du Roy, Rachel Knaebel 1er septembre 2014

    

Septembre 1914. Alors que les armées allemandes envahissent le Nord de la France, la mobilisation générale sonne aussi pour les industriels. Le gouvernement charge de grands patrons français de réorganiser l’économie, placée au service de la guerre. Mais pas question pour autant de sacrifier les profits ! Des deux côtés du Rhin, les bénéfices explosent pour quelques grandes entreprises. Une situation qui suscite colères et débats alors que des centaines de milliers d’hommes tombent au front. Plusieurs de ces « profiteurs de guerre » d’hier sont devenus les multinationales d’aujourd’hui.

6 septembre 1914. Les avant-gardes allemandes arrivent à Meaux, à une cinquantaine de kilomètres de Paris. Interrompant trois semaines de retraite, les armées françaises et britanniques font volte-face pour mener la première bataille de la Marne. À l’arrière, la mobilisation industrielle commence. Car la guerre semble devoir durer. Après un mois de conflit, l’armée manque déjà d’artillerie et de munitions. L’état-major réclame 100 000 obus par jour pour ses fameux canons de 75 alors que les ateliers n’en fabriquent que 10 000.

Le 20 septembre, le ministre de la Guerre, le socialiste Alexandre Millerand, organise une réunion à Bordeaux, où le gouvernement s’est réfugié. Y participent des représentants du Comité des forges, la plus puissante organisation patronale française, des membres de l’influente famille Wendel, propriétaire des aciéries de Lorraine, et Louis Renault, fondateur des usines éponymes. Des « groupements industriels régionaux » sont créés. Ils serviront d’intermédiaires entre l’État et l’armée d’un côté, les gros industriels et leurs sous-traitants de l’autre, pour répondre aux commandes. Les grandes entreprises en prennent la direction, comme la Compagnie des forges et aciéries de la marine et d’Homécourt, ou les établissements Schneider (Le Creusot), créés en 1836 et l’un des principaux fournisseurs d’armement français. Ces deux entreprises sont les aïeux de ce qui deviendra beaucoup plus tard Arcelor Mittal et Schneider Electric.

Quant à Louis Renault, il dirige la mobilisation des industriels en région parisienne. Une occasion inespérée alors que la marque au losange connaît de sérieuses difficultés avant la guerre. Côté allemand aussi, on s’organise. Début octobre, une commission destinée à développer des gaz de combat est lancée. Carl Duisberg, le patron de l’entreprise chimique Bayer en prend la tête (voir notre prochain article, publié le 2 septembre).

De grandes épopées industrielles commencent grâce au conflit

En France, cette réorganisation de l’appareil productif porte lentement ses fruits. Entre 1915 et 1917, les usines Renault doublent leur production de camions, et assembleront plus de 2000 chars FT-17, tout en fabriquant 8,5 millions d’obus. D’autres futurs constructeurs automobiles français se lancent à la faveur du conflit, avant même de fabriquer des voitures. La première usine d’André Citroën est construite en 1915 quai de Javel à Paris. Et son premier gros contrat ne concerne pas des voitures, mais des obus. À la fin du conflit, Citroën aura livré plus de 24 millions d’obus. Opportunité similaire pour l’usine sidérurgique des frères Peugeot à Sochaux, qui assemble obus et moteurs d’avions. Elle ne fabriquera sa première voiture qu’en 1921 (Peugeot et Citroën fusionneront en 1976).

C’est aussi en pleine guerre que naît ce qui deviendra le groupe Dassault. Le jeune ingénieur Marcel Bloch – futur Marcel Dassault – doit répondre à sa première commande en 1916 : fabriquer une cinquantaine d’hélices d’avion d’un nouveau modèle, baptisées Éclair, pour équiper les biplans de l’armée de l’air. « De grandes figures comme Louis Renault, ou Ernest Mattern chez Peugeot, s’imposent dans l’histoire de leurs entreprises, et ces industriels, parfois en accord avec l’État, parfois sans son accord, contribuent aussi puissamment à l’effort de guerre qu’à la croissance de leur propre empire industriel », écrivent les historiens Antoine Prost et Jay Winter [1].

Un capitalisme d’intérêt général ?

Ces entreprises, aujourd’hui devenues de grandes multinationales, s’enorgueillissent de leur contribution à « la victoire finale ». « À l’instar de très nombreux industriels, l’entreprise accentue son activité en faveur de l’effort de guerre national », explique Schneider sur son site, assurant être « l’un des grands acteurs de la victoire ». Michelin, qui fournit pneumatiques, masques à gaz, toiles de tente ou avions de combat Bréguet, affiche son « effort de guerre comme soutien patriotique ». Tout comme Renault : « Pendant la première guerre mondiale, l’entreprise fabrique camions, brancards, ambulances, obus, et même les fameux chars FT17 qui apportent une contribution décisive à la victoire finale » [2]. Dassault aviation et la société Safran, dont l’ancêtre, la Société des moteurs Gnôme et Rhône, produit des moteurs pour l’aviation de combat, sont de leur côté partenaires de la mission du centenaire de la Grande guerre.

À l’époque, ces élites économiques « se proclament mobilisées, non dans les tranchées, bien sûr, dont on laisse l’honneur aux glorieux héros, mais depuis le fauteuil de la direction de l’usine, d’un conseil d’administration ou encore d’une chambre consulaire », écrit l’historien François Bouloc, dans sa thèse sur « Les profiteurs de la Grande Guerre » [3]. « Effort de guerre national », « soutien patriotique », « contribution décisive à la victoire »… « Un capitalisme d’intérêt général verrait alors jour, sous l’effet puissant d’un inébranlable consensus patriotique », ironise l’historien.

Le capitalisme s’est-il mis pendant quatre ans en suspens ? Les industriels se sont-ils totalement mobilisés, sans esprit lucratif, au service de la communauté nationale et des hommes qui meurent en masse au front lors d’aberrantes offensives ? « Sollicités serait peut-être un terme plus approprié pour qualifier le type d’implication attendu de la part des industriels produisant pour la défense nationale. C’est en effet avec beaucoup de prévenance que l’État a recours à l’appareil productif privé, n’usant que marginalement du droit de réquisition prévu par la loi, concédant de larges avances pour permettre les immobilisations de capital nécessaires à l’adaptation ou à la création des outils de production. Certes, un contrôle de plus en plus étroit s’installe progressivement, en amont et en aval de la production, mais sans obérer les importants profits de guerre, réalisés grâce à la combinaison d’une forte demande et des hauts prix consentis », explique François Bouloc. À la différence des 7,9 millions d’hommes mobilisés pendant toute la durée de la guerre, pas question pour les élites économiques de risquer le sacrifice ultime.

« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels »

Le chiffre d’affaires de Renault a ainsi été multiplié par quatre entre 1914 et 1918, passant de 53,9 millions de francs en 1914 à 249 millions de francs en 1919 [4]. Michelin négocie âprement la hausse de ses prix, prétextant de la volatilité des cours du caoutchouc. L’entreprise d’André Citroën réalise de son côté une marge bénéficiaire de l’ordre de 40 % [5] ! De même que Schneider : « Les bénéfices bruts déclarés de Schneider et Cie atteignent un maximum de 40% à la fin et au lendemain de la guerre et permettent de répartir pour les trois exercices de 1918 à 1920 des dividendes représentant le tiers du capital nominal », pointe l’historien Claude Beaud, spécialiste de la multinationale. Avec l’armistice, le groupe acquiert aussi des actifs en Allemagne et dans l’ancien empire austro-hongrois, notamment les établissements Škoda en République tchèque. Associé à la banque d’affaires l’Union bancaire et parisienne (aujourd’hui absorbé par le Crédit du Nord, filiale de la Société Générale), Schneider fonde en 1920 une puissante holding pour gérer ses participations en Europe de l’Est, « l’Union européenne industrielle et financière »… Cela ne s’invente pas !

À l’époque, ces importants profits suscitent débats et mécontentements. « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels », lance Anatole France quatre ans après l’armistice, le 18 juillet 1922, dans une lettre publiée en une de L’Humanité, le quotidien fondé par Jaurès. Dès les premiers mois de guerre, les polémiques surgissent. De la Mer du Nord à Mulhouse, les accusations contre les « profiteurs » de l’arrière se propagent sur le front. En mai 1915, un rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale regrette que le ministre de la Guerre Alexandre Millerand se soit « livré [aux industriels] sans défense le jour où on leur a demandé de fabriquer coûte que coûte ».

Les commandes sont livrées en retard, du matériel est défectueux, nombre d’usines sidérurgiques n’étant pas préparées à fabriquer des armes, et à un tel rendement. Des obus de 75 sont facturés 14 francs au lieu de 10 francs, pointe la Commission des finances. Beau profit quand ils sont fabriqués par millions ! « Le ministère de la guerre est enfin accusé de n’avoir prévu dans les contrats aucune pénalité financière pour retard et inexécutions », écrit Jean-Louis Rizzo, dans sa biographie du socialiste Alexandre Millerand.

Des profits embusqués des deux côtés du Rhin

En juillet 1916, une loi établit une contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels réalisés pendant la guerre. Mais l’administration fiscale aura bien du mal à obtenir les documents des entreprises. « La société Michelin ne cessa pas pendant la guerre d’entourer ses résultats comptables du plus grand secret », illustre ainsi Anne Moulin, dans une étude sur l’industrie pneumatique à Clermont-Ferrand [6]. « À la fin de la guerre, avec les réserves et les provisions diverses dont il disposait, ainsi que grâce aux bénéfices des filiales étrangères, Édouard Michelin avait donc à sa disposition un « trésor de guerre » lui laissant une marge de manœuvre considérable », décrit l’historienne, s’appuyant notamment sur le rapport du député radical-socialiste Paul Laffont, rédigé en 1918. Le grand rival de Michelin, les établissements Bergougnan, distribuent, entre 1914 et 1918, 21,6 millions de francs à ses actionnaires… Avant d’être rachetés par Édouard Michelin.

La contribution extraordinaire sur les profits de guerre de 1916 suscitera l’opposition des industriels. « Qu’on parle d’imposer les gains amassés sur les fournitures de guerre et aussitôt, ce prodige qu’est le capitalisme désintéressé s’évanouit, laissant le devant de la scène à la rationalité ordinaire, celle du meilleur écart entre le bénéfice net et le chiffre d’affaires. (…) La comptabilité en partie double prévaut alors, et elle ne comporte en général pas de rubrique « intérêt de la patrie ». La guerre se présente alors pour ce qu’elle est aux yeux des industriels : une conjoncture économique riche de potentialités », commente François Bouloc.

Les profits amassés par l’industrie à la faveur du conflit font débat des deux côtés de la ligne bleue des Vosges. En Allemagne, une commission parlementaire examine aussi à partir de 1916 les gains des entreprises impliquées dans les productions militaires. Les industries coopèrent peu, mais la commission obtient quelques résultats probants. Elle établit que les seize plus grandes entreprises houillères et sidérurgiques allemandes ont multiplié leurs bénéfices par au moins huit entre 1913 et 1917 ! Près de trois-quarts du chiffre d’affaires de Bayer, qui produit notamment le tristement célèbre gaz moutarde, vient de ses productions de guerre. L’Allemagne aussi voit des épopées industrielles naître à la faveur du conflit : le futur constructeur automobile BMW se lance en 1917 en fabriquant des moteurs pour les avions de combats. Après l’armistice, même si les industriels allemands subissent confiscations et obligations de détruire leurs usines d’armement, les grandes entreprises comme Krupp se sont vite relevées.

Des colonies très profitables

Krupp équipe l’armée allemande en artillerie. C’est l’entreprise qui a mis au point le canon géant la « grosse Bertha ». D’une portée de 120 km, la « grosse Bertha » tirera en 1918 plus de 300 obus sur Paris pour faire craquer psychologiquement la population. Krupp – aujourd’hui fusionné avec Thyssen – a alors plus que doublé ses bénéfices. Ceux-ci passent de 31 millions de marks en 1913-1914 à plus de 79 millions en 1916-1917. Le fabricant d’armes allemand Rheinmetall, fondé en 1899, a lui multiplié ses profits par dix grâce à la guerre : de 1,4 million de marks à plus de 15 millions [7].« Celui qui réalise des performances exceptionnelles dans des circonstances exceptionnelles a le droit à une rémunération exceptionnelle », justifie alors le directeur du groupement de l’industrie allemande de l’acier et du fer, Jakob Reichert. Il ne parle évidemment pas de ce qu’endurent les fantassins dans la boue et la mitraille des tranchées… « Pour ces grandes entreprises, la guerre s’est révélée être quelque chose d’indiscutablement très profitable », analyse l’historien allemand Hans-Ulrich Wehler.

L’économie de guerre et les profits qu’elle génère se globalisent. Au Royaume-Uni, la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell (fondée en 1907) grandit également à la faveur du conflit. Elle approvisionne en essence le Corps expéditionnaire britannique envoyé sur le continent (600 000 soldats en 1916). Shell fournit aussi 80 % du TNT utilisé par l’armée. Tout en continuant à prospecter du pétrole dans des zones à l’abri du conflit, comme le Venezuela, le Mexique ou la Malaisie. À la fin des années 1920, Shell devient la première compagnie pétrolière mondiale. Car les matières premières jouent un rôle crucial.

Dans les mines du Katanga au Congo belge (la République démocratique du Congo aujourd’hui), la production de cuivre s’intensifie. « Les obus britanniques et américains à Passendale, Ypres, Verdun et dans la Somme avaient des douilles en laiton composé à 75% de cuivre katangais. Les pièces de leurs canons étaient faites en cuivre pur durci. Les balles de leurs fusils avaient quant à elles des douilles en cuivre blanc avec une teneur en cuivre de 80%. Les torpilles et les instruments de marine étaient fabriqués en cuivre, en bronze et en laiton », raconte le journaliste belge David Van Reybrook [8]. Plusieurs cultures sont rendues obligatoires, comme le coton pour les uniformes. Résultat : « En pleine guerre, les exportation coloniales passèrent de 52 millions de francs belges en 1914 à 164 millions en 1917. » Pour le plus grand bonheur des actionnaires de l’Union minière du Katanga, dont la banque Société générale de Belgique, aujourd’hui intégrée dans Suez (GDF Suez et Suez Environnement).

L’hyperproductivité, un devoir patriotique

Toute l’industrie ne profite pas au même niveau de la Grande Guerre. Mais globalement, « le vaisseau du capitalisme français ne se trouve donc pas trop malmené par le typhon qui fait rage sur l’Europe et la France entre 1914 et 1918 », souligne l’historien François Bouloc. « Le premier conflit mondial s’avère en effet être une conjoncture économique favorable doublée d’un moment de mutations sociales et organisationnelles très favorables au capital et, a contrario, défavorables au travail ». Pendant que les industriels arrivent à préserver, voire à augmenter, leurs marges, « les travailleurs sont quant à eux sommés d’oublier l’ennemi de classe pendant le conflit », rappelle l’historien.

Les niveaux de rendement exigés dans les usines sidérurgiques et d’armements imposent des réorganisations. Le taylorisme débarque en France – André Citroën en sera l’un des plus fervents adeptes. Sans que les ouvriers puissent s’y opposer. Car les ouvriers qualifiés – les affectés spéciaux – travaillent dans la menace permanente d’être renvoyés au front. Le discours sur l’Union sacrée, auquel se sont ralliés les syndicats majoritaires, domine. Chacun est sommé de se fondre dans un « esprit de travail », et de laisser pour plus tard ses revendications. « Devenue un devoir patriotique, l’hyperproductivité donnait un argument de poids à la réorganisation taylorienne du travail [...] Le salaire à la tâche, qui indexait directement la paye des ouvriers sur la vitesse et la précision de leur production, fut l’aspect le plus souvent retenu du système de Taylor », décrit l’historienne Laura Lee Downs [9].

Si les grèves se multiplient à partir de 1917, motivées par la hausse des prix ou la revendication du samedi chômé, elles sont principalement menées par les femmes, recrutées en masse pour remplacer les ouvriers partis au front. « Ainsi, ce contre quoi les ouvriers qualifiés avaient lutté pied à pied avant 1914 se trouvait irrémédiablement instauré dans les ateliers, la déconfiture politique de 1914 de l’internationalisme face à la guerre se trouvant par là augmentée d’une défaite sociale » , observe François Bouloc.

Dans l’entre-deux guerres, la question des profits de guerre ne cesse de revenir dans le débat politique. En Italie, où l’on parle de « requins », « le premier programme fasciste – un modèle de démagogie – prévoyait la confiscation de 85% des bénéfices de guerre », rappelle l’historien toulousain Rémy Cazals [10]. En 1938, en France, alors que le second conflit mondial s’approche, une loi sur l’organisation de la nation en temps de guerre interdit aux sociétés qui travaillent directement pour la défense nationale d’engager, à ce titre, des bénéfices. Le 20 septembre 1939, alors que les armées du 3ème Reich envahissent la Pologne, le député Paul Reynaud déclare à l’Assemblée nationale qu’il n’est pas possible, à l’occasion du conflit qui commence, de « tolérer l’enrichissement scandaleux de la guerre de 14-18 » [11]. La défaite éclair de l’armée française en 1940 coupe court à cette inquiétude. Une autre page se tourne, celle de la collaboration avec le régime nazi, y compris économique. Une collaboration à laquelle nombre de patrons français vont participer sans trop de scrupules. Mais là, c’est une autre histoire.

Ivan du Roy et Rachel Knaebel

Photo : CC Wikimedia, CC Bibliothèque nationale de France (visite du général états-unien Persching dans les ateliers d’obus Citroën du quai de Javel, en 1917).

Notes

[1Antoine Prost, Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004.

[2Voir ici pour Renault et (en pdf) pour Schneider.

[3Les citations de l’historien François Bouloc sont tirées de son article « Des temps heureux pour le patronat : la mobilisation industrielle en France », disponible sur le site de l’éditeur numérique cairn.info ou d’un article publié par le Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918 sur son site.

[4Source : La mobilisation industrielle, « premier front » de la Grande Guerre ?, Rémy Porte, Éditions 14-18, Paris, 2006.

[5Source : Les Échos.

[6Clermont-Ferrand, 1912-1922 : la victoire du pneu, 1997.

[7Sources : Spiegel et Deutsche Gesellschaftsgeschichte Bd. 4 : Vom Beginn des Ersten Weltkrieges bis zur Gründung der beiden deutschen Staaten 1914-1949, Hans-Ulrich Wehler, 2003, C.H. Beck Verlag.

[8Dans son livre Congo, Une histoire, Ed. Actes Sud, juin 2012.

[9L’Inégalité à la chaîne. La division sexuée du travail dans l’industrie métallurgique en France et en Angleterre (1914-1939), Paris, Albin Michel, 2002.

[10Les mots de 14-18, Presse universitaire du Mirail.

[11Source : La mobilisation industrielle, « premier front » de la Grande Guerre ?, Rémy Porte, Éditions 14-18, 2006, p 215.

 

 

08/11/2014

Les parents de Rémi Fraisse veulent toute la vérité

Sur le site du projet de barrage à Sivens (Tarn).Sur le site du projet de barrage à Sivens (Tarn). | REMY GABALDA/AFP

François Hollande n’a pas pu y échapper. L’émission spéciale qui lui était consacrée jeudi 6 novembre sur TF1 a démarré par une question sur la mort de Rémi Fraisse. Le président de la République a promis que les résultats d’une enquête administrative seraient connus « d’ici huit jours » sur les circonstances précises de la mort de ce jeune militant écologiste tué par une grenade offensive lancée par un gendarme lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens (Tarn). Le chef de l’Etat en tirera « toutes les conclusions en termes de responsabilités ».

Lors d’une conférence de presse, organisée à dessein trois heures avant celle de François Hollande, l’avocat de la famille de Rémi Fraisse, Arié Alimi, avait interpellé le président. Se faisant le porte-voix de ses clients, Me Alimi s’étonne : « Pourquoi, alors que les militaires le voient expressément tomber à la suite de l’explosion de la grenade, que les circonstances de sa mort sont connues dès cet instant, la vérité sur la mort [de leur] enfant et frère n’a-t-elle pas été immédiatement révélée ? »

Selon Me Alimi, « les éléments qui sont parvenus [à la famille] établissent sans l’ombre d’un doute » que les gendarmes ont compris le lien direct entre l’explosion de la grenade et la chute du jeune homme. La famille se demande également « pourquoi le préfet du Tarn a appelé à une extrême sévérité à l’égard des manifestants du barrage de Sivens ? »

Autre interrogation : pourquoi « des militaires en si grand nombre et surarmés étaient présents en face du rassemblement pacifique auquel Rémi participait alors qu’il n’existait ni bien ni personne à protéger ce soir-là » ; pourquoi, enfin, « ces militaires ont-ils délibérément jeté une grenade contenant exclusivement des explosifs, une grenade utilisée pendant la première et la seconde guerre mondiale contre les Allemands et ce en direction [de leur enfant], une grenade qui a causé sa mort sur le coup en le mutilant atrocement ».

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« Brouiller les pistes »

Ces éléments complètent les informations publiées dans un article – « Le mensonge de l’Etat » – sur Mediapart. Selon le site d’information en ligne, le gouvernement a su « immédiatement » que le jeune était mort des suites d’un tir de grenade offensive et tenté pendant quarante-huit heures de « brouiller les pistes ». Mediapart révèle par ailleurs que près de quarante grenades offensives ont été lancées par les militaires dans la nuit du 25 au 26 octobre.

Lire aussi : Rémi Fraisse, victime d’une guerre de civilisation

Jusqu’ici, les autorités prenaient soin de jouer sur les mots en affirmant qu’une seule grenade avait été lancée par les gendarmes « à l’heure de la mort » du jeune homme… « Equipés de jumelles à vision nocturne, plusieurs gendarmes reconnaîtront avoir vu tomber le jeune homme tout de suite après l’explosion, et avoir compris immédiatement ce qui venait de se passer, selon des sources proches du dossier », écrit le site. Il faudra pourtant attendre le 28 octobre pour que le procureur d’Albi, Claude Derens, indique que le jeune homme avait sans doute été victime d’une grenade offensive.

Interrogé au sujet de la mort de Rémi Fraisse en marge d’un G6 des ministres de l’intérieur européen consacré au terrorisme, Bernard Cazeneuve a déclaré que le « seul devoir de vérité » dans cette affaire le sera « par le travail des juges » et que le gouvernement se tiendra à cette « séparation des pouvoirs ». « La seule réponse à ce drame épouvantable, c’est la vérité », a insisté M. Cazeneuve.

« Si je m’étais exprimé peu après les faits [le dimanche 26 octobre] avant le procureur de la République [d’Albi] alors que des gendarmes étaient en cause, les mêmes qui m’accusent aujourd’hui de m’être tus me reprocheraient d’avoir tenté de faire pression sur la justice », a-t-il dit en réponse aux critiques sur son temps de réaction à cette mort.

« Instructions d’apaisement »

Enfin le ministre a insisté : « Je n’ai donné aucune instruction de sévérité ou d’hyperréaction à aucun fonctionnaire. Vous pouvez à tous leur poser la question, personne ne pourra vous dire le contraire. J’ai donné des instructions d’apaisement, disant que la force ne pouvait être engagée que de manière proportionnée. Je peux assumer cela devant les Français parce que c’est la vérité ! »

Lire aussi : Le barrage de Sivens, un dossier entaché de conflits d’intérêts

Ce qui, en creux, pourrait souligner à terme la responsabilité du préfet du Tarn. Mediapart rapporte en effet que le haut fonctionnaire avait donné des « consignes de fermeté » aux gendarmes quelques jours avant le drame. Vendredi 31 octobre, le ministre assurait au Monde avoir « donné des instructions de prudence ». « La situation au barrage de Sivens était pour moi un sujet d’inquiétude depuis plusieurs semaines. Il ne fallait surtout pas céder aux provocations. » D’après M. Cazeneuve, c’était « une décision du préfet » de laisser des forces de l’ordre sur le chantier dont tous les engins avaient été évacués. Il s’agissait, selon lui, « d’éviter que le terrain ne soit piégé avec des herses enterrées ».

Le corps de Rémi Fraisse sera enterré cette semaine. Jeudi, par la voix de leur avocat, ses parents ont demandé « expressément aux médias, mais également à toute personne, quelle que soit sa fonction, son bord ou ses opinions », de respecter leur volonté d’enterrer leur fils dans l’intimité. « A défaut, nous ressentirions cette présence comme une offense à l’encontre de la mémoire de Rémi ». Me Alimi a précisé que la crémation de Rémi Fraisse a été interdite par la justice « pour éventuellement permettre d’autres expertises à venir » dans le cadre de l’enquête.

 

 
  • Matthieu Suc
    Journaliste au Monde

http://www.hautetfort.com/admin/posts/post.php?blog_id=52...

 

 

 

02/11/2014

Conflit de pouvoirs : pour Rémi Fraisse

 

 

Je ne connaissais pas Rémi Fraisse. Et je ne pensais pas en acceptant de défendre ses parents, en qualité de parties civiles, que j’aurai également à le défendre.

Car depuis une semaine, depuis le moment où il s’est effondré, touché par une grenade lancée par un membre de la gendarmerie mobile, il ne se passe pas un moment sans que l’on fasse offense à sa personne et à sa mémoire. Casseur, djihadiste vert, ecoloterroriste…. Le discours du gouvernement ou de certains syndicats agricoles s’est établi et n’a cessé de monter en puissance. D’abord pour tenter de nier l’existence même des origines de sa mort. Rappelons-nous que dans les premiers moments, on ne parlait que d’un corps découvert dans la foret. On apprendra plus tard que le parquet, la direction de la gendarmerie et le gouvernement savaient déjà ce qu’il s’était passé puisque les gendarmes avait quelques instants après sa mort ramassé le corps de Rémi.

Alors pourquoi  pendant deux jours, ce silence assourdissant, pourquoi cette absence de réaction du parquet, du gouvernement, pourquoi le refus de dire cette vérité que l’on connait depuis le début ? Pourquoi le parquet a-t-il tenté de semer une confusion indécente sur les circonstances de sa mort en ne donnant que des bribes d’informations, en ne parlant lors de la première conférence de presse que d’une explosion, laissant croire à la possibilité d’un décès dû à un Cocktail Molotov, pourquoi avoir lancé de fausses pistes, comme celles du sac à dos disparu, volontairement récupéré par les manifestants, et qui aurait pu contenir des substances explosives ? Simplement pour discréditer un jeune homme pacifiste, militant de la fédération Nature Environnement, botaniste, qui n’a jamais fait usage de violence ou eu maille à partir avec les forces de l’ordre. Salir l’image d’un jeune homme mort qui militait pour l’environnement et pour les générations avenir?

Y a-t-il attitude plus basse et plus veule ?

Pourquoi ne pas assumer ses responsabilités et dire : nous l’avons tué. Notre politique l’a tué. Nous n’avons pas voulu choisir la voie du dialogue, nous avons voulu montrer que nous sommes forts aux yeux des Français, et cela passe par des démonstrations de violences contre ces militants majoritairement pacifistes. Nous les avons harcelés, frappés, nous avons brulé leurs effets personnels, les avons délogés sans autorisations judiciaires, puis nous avons fait usage de Flash balls, de grenades fumigènes et de désencerclement. Et comme ils ne partaient toujours pas, nous avons fait lancer des grenades contenant des explosifs, en les jetant sans sommations, sans respecter les règles élémentaires d’usage de ces grenades, en l’air directement sur les manifestants, ou même dans des lieux clos, comme dans une caravane occupée. Nous les avons blessés, alors qu'ils tentaient simplement de sauver notre patrimoine naturel, eux qui ont cette conscience que nous n’avons plus, à force de vouloir produire et gagner toujours plus.

Je suis désolé de dire cela, je ne suis qu’avocat. Je ne devrais pas parler de ce qui me dépasse, de ce qui dépasse mon champ d’action, le droit. Mais c’est plus fort que moi. Je me dois aujourd’hui de défendre Rémi Fraisse, ou plutôt ce qu’il en reste. Un corps dans une morgue. Un corps au centre d’un conflit de pouvoir. De tous les pouvoirs, politiques, judiciaires, militaires, médicaux, médiatiques. Un corps autopsié, malmené, disséqué par la France entière qui se le déchire, comme Damien supplicié en place publique, objet de la toute-puissance de la souveraineté. Un corps auquel le pouvoir refuse de redonner un nom, une dignité. Un corps que le pouvoir refuse de rendre à ses parents qui à ce jour n’ont toujours pas pu voir leur enfant, auquel ils ont donné naissance, qu’ils ont vu faire ses premiers pas, dire ses premiers mots, crier ses premières révoltes, et qu’ils ne pensaient pas devoir inhumer, envers et contre toute logique générationnelle.

Ce n’est pas qu’un drame ou une tragédie qui s’est nouée autour de Rémi. Il est mort parce qu’il s’est retrouvé par hasard au milieu d’une déflagration de pouvoir et d’expression de la violence publique. Ce qui a tué Rémi Fraisse, ce n’est pas seulement un gendarme jetant une grenade offensive en pleine nuit en direction de jeunes manifestants, quelle que soit la violence de ceux-ci. Ce qui a tué Rémi, c’est la violence Etatique. Un Etat gouverné par des hommes dont la boussole n’est orientée que vers la prochaine échéance électorale,  des hommes motivés par leur stratégie de communication, et qui en ont oublié que l’Etat dont ils sont les représentants n’était finalement qu’une simple fiction destinée en premier lieu à protéger ceux qui avaient accepté de se soumettre à sa violence légitime. Mais lorsque la violence n’est plus légitime, lorsque l’on utilise des armes de guerre non pas contre un autre Etat belligérant, mais contre sa propre population,  lorsque l’Etat tue ceux qu’il est sensé protéger, alors la question de l’Etat, de son fonctionnement, de ses intérêts et de ses représentants doit inéluctablement être posée.

 Dimanche à 16H00, je serais devant le mur de la paix, avec une renoncule à feuille d’ophioglosse sur le torse, et je penserai aux parents de Rémi Fraisse, je penserai à Rémi, et à toute cette vie, plus importante que tout le reste, qui s’est en allée. Pour Rémi Fraisse.

 

http://blogs.mediapart.fr/blog/arie-alimi/021114/conflit-...

12/10/2014

Sables bitumineux : sur la défensive au Canada, le lobby pétrolier remporte une victoire en Europe

 

L’industrie pétrolière a remporté une bataille le 6 octobre. L’Union européenne semble renoncer à considérer le pétrole issu des sables bitumineux canadiens comme « hautement polluant ». Une décision qui fait suite à un lobbying agressif des gouvernements nord-américains et des entreprises pétrolières. 

Pourtant, ces dernières semblent sur la défensive au Canada même, puisqu’un nouveau projet d’exploitation vient d’être abandonné. En cause, la mobilisation populaire qui entrave la réalisation de divers projets d’oléoducs, rendant l’exploitation des sables bitumineux d’autant moins profitable.


Les sables bitumineux sont un mélange de bitume, c’est-à-dire de pétrole brut à l’état solide, de sables de silice, de minéraux argileux et d’eau. Son extraction, en particulier au Canada, a des conséquences désastreuse sur les écosystèmes, les forêts, les ressources en eau, sans oublier les émissions de gaz à effet de serre.


L’Union européenne souhaitait donc en limiter l’importation. Selon la directive sur la qualité des carburants, les fournisseurs devaient réduire de 6 % d’ici 2020 le contenu carbone de leurs produits. Pour évaluer ces efforts, la Commission a présenté en 2011 une première méthode de calcul qui inclut les émissions de l’ensemble du cycle de vie. Cette méthode aurait permis d’attribuer des valeurs plus élevées au pétrole issu des sables bitumineux, dont le mode d’extraction produirait 23 % de plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel .


Le vote sur cette proposition, attendu initialement en 2012, a été maintes fois reporté. La France s’est notamment illustrée en refusant de soutenir cette directive européenne . Ces derniers mois, « les pressions des lobbies se sont intensifiées, notamment au travers des négociations commerciales avec les États-Unis (Tafta) et le Canada (CETA) », soulignent les Amis de la terre. La Commission européenne a finalement émis une nouvelle proposition fortement affaiblie le 6 octobre : les fournisseurs devraient désormais déclarer le niveau d’émission moyen des matières de base utilisées dans leurs produits. La Commission abandonne ainsi l’idée de considérer les produits des sables bitumineux à part, leurs impacts négatifs étant dilués dans les moyennes fournies par les pétroliers. Cette proposition va maintenant être soumise pour décision au Conseil dans un délai de deux mois, puis au Parlement européen pour examen.


Suspension de projets d’extraction outre-Atlantique


Au Canada, l’extraction de ce pétrole non conventionnel semble pourtant en perte de vitesse. Fin septembre, l’entreprise norvégienne Statoil a reporté d’au moins trois ans un projet d’extraction de sables bitumineux d’une capacité de 40 000 barils par jour en Alberta (Canada). Elle a expliqué sa décision par des coûts de main d’œuvre et de matériaux devenus trop élevés. Cette annonce fait suite à celles de l’entreprise néerlandaise Shell et de la société française Total qui ont renoncé en 2014 à extraire respectivement 200 000 et 160 000 barils par jour dans les mines de Pierre River et de Joslyn, toujours en Alberta.


La compagnie Statoil a indiqué que l’accès limité aux pipelines pour transporter le pétrole de l’Alberta vers les marchés avait pesé dans sa décision. Les projets d’oléoducs canadiens ont du plomb dans l’aile, et le gouvernement états-unien tarde à donner son accord pour la construction du pipeline Keystone XL. Une hésitation qui s’explique par la forte mobilisation contre ce projet de pipeline de 3200 kilomètres, depuis les gisements de sables bitumineux de l’Alberta jusqu’aux raffineries texanes du golfe du Mexique (notre précédent article). Selon les organisations écologistes, la quantité de barils extraite dans le cadre du projet de Statoil aurait produit « l’équivalent d’une année d’émissions de 204 centrales au charbon américaines ». « Obama devrait jeter un œil à ces données, avant de prendre sa décision », argumentent-elles.


La major de l’énergie nord-américaine TransCanada, en charge de la construction du pipeline, a besoin de l’accord de la Maison Blanche pour commencer à enterrer son oléoduc. D’abord favorable au projet, Barack Obama a depuis repoussé l’accord présidentiel à plusieurs reprises. Neuf prix Nobel, parmi lesquels le dalaï-lama (1989), Alfredo Pérez Esquivel (1980), Rigoberta Menchu (1992) et Shirin Ebadi (2003), ont exhorté le président états-unien à rejeter ce projet et à tenir « sa promesse de créer une économie faite d’énergie propre ». L’avis de la Maison Blanche sera donné après le mois de novembre, date des élections de mi-mandat.


Source © Sophie Chapelle / Actu env.
 
 

07/10/2014

Nouveau document administratif

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30/08/2014

Duflot : «On fait payer à tout le monde la constitution du patrimoine des plus riches»

 

De passage à Libération, Cécile Duflot réagit à la proposition du gouvernement de permettre aux propriétaires de loger des membres de leur famille dans des logements bénéficiant d’une défiscalisation. Pour l’ancienne ministre du Logement, cette mesure, annoncée ce vendredi par Manuel Valls «à certaines conditions», n’est «pas très juste» car elle conduit «à faire payer à tout le monde la constitution du patrimoine des plus riches».

«On peut accepter la défiscalisation si la contrepartie, c’est de produire des logements avec un niveau de loyer modéré pour des familles à revenus modérés, déclare-t-elle. Si ça contribue à loger les enfants de ceux qui ont déjà le plus d’argent, car ils peuvent défiscaliser, qui vont en plus bénéficier des aides au logement, et à la fin des fins qui vont se constituer un patrimoine transmis par leurs parents, on a une logique d’accumulation de la rente et des moyens sur ceux qui ont déjà le plus d’argent. Ce n’est pas très juste, car on fait payer à tout le monde la constitution du patrimoine des plus riches».

Tonino SERAFINI et Cyrielle BALERDI

 

 

25/07/2014

Evasion fiscale - Le hold-up du siècle

Un documentaire de Xavier Harel, Rémy Burkel - 2012

 

 



 

Imaginez un monde dans lequel vous pourriez choisir de payer ou non des impôts tout en continuant de bénéficier de services publics de qualité (santé, éducation, sécurité, transport...) payés par les autres. Ce monde existe : c'est le nôtre. Aujourd'hui, les multinationales peuvent dégager des milliards d'euros de bénéfice et ne pas payer un euro d'impôt. De même que des riches contribuables ont tout loisir de dissimuler leurs fortunes à l'abri du secret bancaire suisse ou dans des trusts domiciliés à Jersey. L'évasion fiscale a pris de telle proportion qu'elle menace aujourd'hui la stabilité de nos États. Entre vingt mille et trente mille milliards de dollars sont ainsi dissimulés dans les paradis fiscaux, soit l'équivalent des deux tiers de la dette mondiale !

Le pillage de nos richesses

Xavier Harel, journaliste et auteur de La grande évasion, le scandale des paradis fiscaux, nous emmène aux îles Caïmans, dans le Delaware aux États-Unis, à Jersey, en Suisse ou encore au Royaume-Uni pour nous faire découvrir l'industrie de l'évasion fiscale. Il démonte avec humour les savoureux montages de Colgate, Amazon ou Total pour ne pas payer d'impôt. Il dénonce aussi le rôle des grands cabinets de conseil comme KPMG, Ernst and Young ou Price Water House Cooper dans ce pillage de nos richesses. Il révèle enfin au grand jour l'incroyable cynisme des banques comme UBS ou BNP qui ont été renflouées avec de l'argent public mais continuent d'offrir à leurs clients fortunés des solutions pour frauder le fisc. Mais l'évasion fiscale a un prix. En Grèce, Xavier Harel nous montre comment un pays européen a basculé dans la faillite en raison de son incapacité à lever l'impôt. Faillite qui nous menace tous si rien n'est fait pour mettre un terme à ces incroyables privilèges dont jouissent aujourd'hui les grandes entreprises et les riches fraudeurs.

 

 

Les grosses fortunes ont toutes sortes de moyens à leur disposition pour dissimuler leur argent dans les paradis fiscaux. Apprenez à faire comme eux !

Des fuites sans précédents ont permis à de nombreux gouvernements d’engager des poursuites contre des fraudeurs ayant dissimulés de l’argent dans les paradis fiscaux. Des milliards de dollars d’arriérés d’impôts ont ainsi été récupérés. Le Consortium international des journalistes d’investigation, qui réunit des journalistes de plusieurs dizaines de pays, vient de publier des données sur pas moins de 120 000 entités offshores domiciliées dans une dizaine de paradis fiscaux. Vous voulez savoir comment certains contribuables peu scrupuleux s’attachent les services d’avocats et de conseillers financiers payés à prix d’or pour dissimuler tout ou partie de leur fortune dans des territoires opaques ? Alors lancez-vous dans le jeu interactif du parfait fraudeur ci-dessous :

http://www.arte.tv/sites/fr/evasion-fiscale/#.U9K8ZsscRMw

 

 

 

28/06/2014

L'attaque de robots traders

 

 

 

 

Monsanto, sa vie son empire

 

 

26/06/2014

Vous avez aimé le traité transatlantique, vous adorerez TISA !

 

"L'Humanité" consacre sa une du jour au nouveau traité commercial négocié par une cinquantaine de pays dont les Etats-Unis et la France. Prévu pour entrer en vigueur en 2015 — sauf échec des négociations — le TISA (ou Accord sur le commerce des services) vise à favoriser une libéralisation toujours plus poussée du commerce des services (santé, transports, énergie, eau, etc.). Une négociation qui se déroule dans le plus grand secret et qui enthousiasme la Chambre de commerce des Etats-Unis qui voit déjà l'Amérique mettre la main sur le marché mondial des services.


Vous avez aimé le traité transatlantique, vous adorerez TISA !
   

Les services publics de l’eau, de l’éducation, de la santé, des transports, mais aussi l’échange sans restriction de données. Tout est sur la table du nouvel accord commercial que négocient dans le plus grand secret, les Etats-Unis, l’Union européenne et une vingtaine d’autres Etats depuis deux ans dans les locaux de l’ambassade d’Australie à Genève.
 

La négociation porte sur le commerce des services et vise notamment une vaste libéralisation des services publics. Les tractations de cet Accord sur le commerce des services (ACS en français, Trade In Services Agreement en anglais) devaient rester secrètes « jusqu’à cinq ans après la conclusion d’un accord » ou la fin des négociations en cas d’échec. Wikileaks a révélé le 19 juin l’annexe du traité  en préparation consacré aux services financiers auquel le quotidien l’Humanité consacre sa une et un grand dossier. 

 

Selon l’Huma, ces révélations « soulignent, en fait, l’ampleur de l’offensive engagée par Washington, suivi par les Etats membres de l’Union européenne pour permettre aux multinationales de truster, le moment venu, le commerce des produits financiers mais aussi celui de tous les services sur les grands marchés transatlantiques et transpacifiques, dont les négociations avancent dans la plus grande discrétion ».

 

C’est suite à la paralysie du cycle de Doha de l’OMC qui visait un accord global sur le commerce des services (l'AGCS) qu’un groupe de pays a décidé en 2012 de démarrer des pourparlers pour un accord sur le commerce des services (l'ACS) proposé au groupe des « Really Good Friends », les « vrais bons amis ». Une simple opération de toilettage et un déménagement d’à peine quelques rues : du siège, sans doute un peu trop voyant, de l’OMC à Genève, les négociations ont été déplacées à l’ambassade d’Australie basée dans la même ville.   

 

Le document révélé par Wikileaks, mis en ligne par Marianne (voir ci-dessous), correspond au relevé de la négociation du 14 avril dernier sur le commerce des produits financiers et vise notamment à restreindre — le Medef appréciera — la capacité d’intervention de la puissance publique et à faciliter l’autorisation des produits financiers dits « innovants », conçus pour contourner les règles bancaires et  largement considérés comme responsables de la crise de 2008. La banque Lehman Brothers était leader sur ce marché des produits financiers innovants… jusqu’à sa faillite. 

 
Un traité déjà adoré par la Chambre de commerce américaine 

Entre autres joyeusetés, les firmes Internet américaines plaideraient pour une transmission sans restriction des données de leurs clients. Les grandes multinationales de services, elles, seraient favorables à l’accès sans discrimination aux marchés des pays signataires dans les mêmes conditions que les prestataires locaux, y compris l’accès aux subventions publiques (!)  — autant dire la fin de toute notion de protectionnisme... Les orientations du texte s’opposent également à toute nationalisation d’un service public privatisé. En Grande-Bretagne, impossible, par exemple, de revenir sur la privatisation des chemins de fer… 
 

Dans un communiqué diffusé en février 2014, la Chambre de commerce des Etats-Unis ne cachait pas son enthousiasme à propos des perspectives ouvertes par cette négociation : « Il ne fait pas la une des journaux mais ce nouvel accord passionnant a le potentiel d’enflammer la croissance économique américaine. Les services sont clairement une force pour les USA qui sont de loin le plus grand exportateur mondial de services. Le TISA devrait élargir l’accès aux marchés étrangers pour les industries de service. Le TISA ne fera pas les gros titres de sitôt mais sa capacité à stimuler la croissance et l’emploi aux Etats-Unis est plus que significative  ». La chambre de commerce américaine évalue un marché accessible de 1400 milliards de dollars !!!

  

Le blog juridique Contre la cour  — déjà cité par Marianne au sujet du TTIP — s’était intéressé à cet accord sur le commerce des services en avril dernier relayant notamment un rapport de l’Internationale des services publics (ISP) qui exprimait ses inquiétudes sur le contenu de ces négociations. 

Pour la privatisation des services publics

 

Selon l’étude de l’ISP (disponible à la fin de l'article), « l’ACS instaurerait un environnement plus favorable à la privatisation des services publics et entraverait la capacité des gouvernements à remunicipaliser (nationaliser) les services publics ou à en créer de nouveaux. L’accord limiterait aussi la capacité des gouvernements à légiférer dans des domaines tels que la sécurité des travailleurs, l’environnement, la protection du consommateur et les obligations de service universel » .

 

Seraient concernés les procédures d’autorisation et d’octroi de licences, les services internationaux de transport maritime, les services de technologie de l’information et de la communication (y compris les transferts de données transfrontaliers), l’e-commerce, les services informatiques, les services postaux et de messagerie, les services financiers, le mouvement temporaire des personnes physiques, les marchés publics de services, etc. 

 

« L’objectif est que chaque Etat participant égale voire dépasse le plus haut niveau d’engagement qu’il a contracté dans le domaine des services lors de la signature de tout autre accord sur le commerce et l’investissement » écrit sur son blog la juriste Magali Pernin.

« La principale menace qui pèse sur les services publics provient de la clause du traitement national. Il semble que les participants au projet d’accord envisagent de retenir le principe de la "liste négative". Ainsi, l’égalité de concurrence concernerait l’ensemble des secteurs, sauf ceux qui seraient expressément exclus par l’Etat signataire, ce qui signifie que tout soutien financier apporté aux services publics devrait être soit explicitement exclu, soit également ouvert aux prestataires de services privés poursuivant un but lucratif ». 

 

Et les négociations progressent : en avril 2014, le journal suisse Bilan écrivait qu‘« au cours de la 13e ronde de négociation, à Genève du 4 au 8 novembre [2013], les participants ont convenu que le texte de l'accord était suffisamment mûr et qu'il était possible de procéder à un échange d'offres initiales ».

 

Chaque pays a précisé début 2014 les secteurs qu’il souhaite inclure dans l’accord, et les modalités qu’il propose concernant « l’ouverture » à la concurrence internationale de ces secteurs, selon un cadre pré-déterminé par l’accord. Certains les ont rendus publiques, comme la Suisse. En France, pour l’instant rien à déclarer...

 

Pour lire L'annexe du traité TISA consacrée aux services financiers, dévoilée par Wikileaks et Le Rapport de l'International des Services Publics: « l'ACS contre les services publics »   : http://www.marianne.net/Vous-avez-aime-le-traite-transatl... 

18/06/2014

« Face à la dimension criminelle de la crise, les élites sont aveugles, incompétentes ou complices »

 

par Agnès Rousseaux 5 juin 2014

Et si la crise financière était une vaste fraude ? Dérégulé à l’excès, le capitalisme comporte des incitations au crime et à la fraude absolument inédites, explique Jean-François Gayraud, commissaire de police et criminologue. Il pose dans son ouvrage Le nouveau capitalisme criminel un diagnostic décapant : les responsables politiques sont dans le déni ou l’aveuglement, les acteurs de la fraude de 2008 sont aujourd’hui revenus dans le jeu, les lois votées pour tenter de réguler le système financier n’ont rien changé, et des techniques comme le trading haute fréquence échappent à tout contrôle. Il y a urgence à reprendre en main un système économique devenu criminogène, avec ses dérives frauduleuses et prédatrices. Entretien.

Basta ! : Vous analysez les crises financières au prisme de la criminologie. Pour vous, la crise de 2008 est-elle due à des comportements criminels ?

Jean-François Gayraud [1] : Le nouveau capitalisme qui se développe depuis les années 80 comporte des incitations et des opportunités à la fraude d’une ampleur inédite. L’alliance entre la financiarisation, la dérégulation et une mondialisation excessives forme un cocktail explosif. La criminalité est l’angle mort de la pensée économique, un impensé radical, et ce depuis le 18ème siècle. Cela avait peu de conséquences durant le capitalisme fordiste et keynésien, plus régulé. Désormais, cet impensé est mortifère. On nous explique que cette crise financière des subprimes est liée à un simple dysfonctionnement des marchés : comme si, une fois ce dysfonctionnement disparu, on reviendrait à une situation à peu près normale. Je tente de combler cette erreur de diagnostic en analysant les mutations du capitalisme à la lumière de la criminologie [2].

Il ne s’agit pas d’être « mono-causal » et de tomber dans la théorie du complot. Mais simplement de montrer qu’il y a dans ce capitalisme une dimension criminogène qui n’est ni marginale ni folklorique. « Criminogène » ne veut pas dire criminel. Cela signifie simplement que ce système a des potentialités et des vulnérabilités à la fraude, qui étaient jusqu’à présent inconnues. On voit que toutes les crises financières depuis les années 1980 ont été causées par des bulles immobilières et boursières en parties nées de fraudes systématiques. Au point que désormais, la fraude fait système.

Avons-nous avancé depuis la crise de 2008, pour éviter de nouvelles crises ? Vous dites que nous n’avons fait que rajouter des canots de sauvetage autour du Titanic – des canots qui profiteront aux premières classes...

Entre 2008 et 2012, nous avons connu une révolution, dans le sens astronomique du terme : nous sommes revenus au point de départ ! Rien n’a changé. Les grandes promesses de re-régulation se sont traduites par de petites lois à caractère cosmétique, qui n’ont modifié ni l’architecture du système financier international, ni les mauvaises pratiques, ni les incitations à la prise de risques inconsidérés et à la fraude. Ou alors de manière marginale. Le lobby de la finance a su neutraliser les volontés de réforme en profondeur du système. Il est fascinant de voir que tous les mécanismes à l’origine de la crise de 2008 – comme les modes de rémunération des grands dirigeants par exemple – sont quasiment restés inchangés.

Comment l’expliquez-vous ?

Il y a un problème de déni et d’aveuglement. Pointer la dimension criminelle de la crise est inconfortable. C’est un diagnostic nouveau, moins confortable que ceux qui tentent des explications par les dysfonctionnements du marché ou la théorie des cycles. La dimension sociologique doit aussi être prise en compte. Ces crises financières à répétition, à forte dimension criminelle, naissent en haut de la société, au sein de l’Upper World. Elles interrogent le mode de fonctionnement des élites. Celles-ci n’ont aucun intérêt à revenir sur un système qui, dans sa dimension à la fois prédatrice et frauduleuse, fonctionne à leur avantage depuis les années 80. Il leur a permis de s’enrichir de manière anormale, dans des proportions inconnues depuis le 19ème siècle. Conséquence ? Une montée des inégalités faramineuse, intenable, qui nous conduira au chaos si cette tendance mortifère perdure.

D’où vient cette situation ?

C’est une question de rapport de force entre pouvoir politique et pouvoir financier. Il s’agit d’ailleurs moins d’une confrontation que d’un fonctionnement symbiotique : aux États-Unis, ce sont les grands lobbys, dont celui de la finance, qui permettent l’élection des candidats. Une partie de la classe politique américaine a été capturée par le lobby de la finance : ces élus votent donc des lois en faveur de Wall Street. Depuis 2013, plus de la moitié des parlementaires américains sont millionnaires en dollars ! Qu’en conclure ? Soit qu’il faut être riche pour être élu, soit que l’élection permet de devenir riche ! Exactement ce que les Grecs nommaient une « ploutocratie » : un gouvernement des riches, par les riches, pour les riches.

Ce qui me frappe, c’est la corrélation entre la financiarisation de l’économie, la montée des inégalités, et la multiplication des fraudes sur les marchés financiers. Depuis l’émergence de ce nouveau capitalisme, des élites mondialisées réunies dans une Upper class internationale vivent hors-sol, dans une sorte de séparatisme social, financier, territorial et symbolique. Au même moment, les classes moyennes et populaires en Occident se précarisent et se paupérisent. Ce vaste transfert de richesses, des classes moyennes et pauvres vers les plus riches, est le fruit d’un phénomène de prédation – qui relève d’une analyse de sciences économiques – et aussi d’un phénomène de fraude – qui relève alors plus d’une lecture criminologique.

Au-delà des mécanismes – criminels – de fraude et de manipulation, vous parlez de mécanismes de prédation, comme mode de fonctionnement naturel du capitalisme. Ces mécanismes peuvent-ils être aussi considérés comme un crime ? Où se situe la frontière entre le légal et l’illégal ?

C’est la question centrale. Pour l’ensemble des crises financières nées de la dérégulation, je propose deux niveaux d’analyse. Le premier est macro-économique et macro-criminologique : il s’agit d’analyser comment le système s’organise, afin de repérer ses dimensions criminogènes et prédatrices. On est ici dans le « supra-pénal » : personne ne mettra une paire de menottes à un système économique ou à une idéologie. Et il y a le second niveau d’analyse, micro-économique et micro-criminologique. On entre alors dans le droit pénal. Là, il faut savoir détecter, matériellement et juridiquement les fraudes que le système génère concrètement.

Les régulateurs ont montré leur impuissance jusqu’à présent à agir à ces deux niveaux…

Oui. La crise financière des subprimes est née d’un défaut de régulation. Les gouvernements ont la responsabilité de s’interroger sur les risques de fraude engendrés par les lois qu’ils font voter. On peut être politiquement favorable à la dérégulation, mais encore faut-il être conscient des risques gigantesques que comporte une dérégulation excessive. Penser qu’une dérégulation débridée du secteur financier est « neutre », c’est de la complicité, de l’aveuglement ou de l’ignorance. Imaginez un poulailler, un renard et un fermier. Vous n’allez pas reprocher à la poule d’être une poule, ou au renard d’être un renard. Mais vous êtes en droit de vous poser des questions si systématiquement le fermier laisse la porte du poulailler ouverte la nuit. Il peut toujours feindre de s’indigner en retrouvant ses poules égorgées le matin. Mais il est ou aveugle, ou incompétent, ou complice ! A vous de choisir entre ces qualificatifs.

Est-il encore possible de punir les responsables de comportements criminels ? La justice ne semble pas effrayer les banques...

Dans la crise des subprimes, il y a eu une vraie criminalité. Mais les Etats-Unis se sont contentés a minima et ponctuellement d’une justice transactionnelle (basée sur les transactions en amont de procès, ndlr), qui est loin d’être satisfaisante. Le système judiciaire doit avant tout rechercher la vérité. Telle est notre vision de la justice en Europe. Alors que le système de justice nord-américain ne recherche pas tant la vérité qu’un accord négocié, pour résoudre une situation [3]. Cette justice transactionnelle est-elle de la justice ? On peut en douter. Résultat : il y a une réelle difficulté à connaître la vérité des situations – comme si personne n’ouvrait jamais le capot de la voiture endommagée ! On l’a vu de manière caricaturale dans l’affaire Madoff : le coupable a avoué, mais l’on ne sait toujours pas qui a réellement fait quoi, quels ont été les mécanismes criminels à l’oeuvre, qui sont les complices et où est passé l’argent !

Cette justice transactionnelle ne prévoit que des sanctions financières, payées par les entreprises. Mais ces pénalités sont socialisées et mutualisées, les entreprises les anticipent et les intègrent dans leurs comptes d’une année sur l’autre. Jamais aucun banquier n’est réellement sanctionné à titre individuel. A Wall Street, tous les grands acteurs de la fraude de 2007-2008 sont restés impunis. Les rares qui ont été écartés sont aujourd’hui revenus dans le jeu. Au final, cette justice transactionnelle génère de l’impunité. C’est un encouragement à récidiver.

Est-ce mieux en Europe ?

La situation est parfois pire. Le système américain a au moins une vertu : souvent, il sait poser les diagnostics. Sur l’affaire des subprimes, le diagnostic criminel a été très bien posé par les deux commissions d’enquête du Congrès. Il suffit de lire ces rapports, sans œillères. En France, on a tendance à mettre le couvercle sur les faits. Ainsi, la gigantesque faillite de la banque Dexia a coûté des milliards aux contribuables français, et pourtant il n’y a aucune investigation judiciaire ou parlementaire digne de ce nom. Il y a certainement eu beaucoup d’incompétence et de démesure à l’origine de cette affaire. Mais expliquer cette faillite par l’incompétence et la démesure est peut-être aussi un écran de fumée pratique pour masquer d’autres choses.

Vous décrivez dans votre ouvrage le cas du trading haute fréquence, emblématique de la fraude que peut générer le système – une fraude de très grande ampleur, invisible, et quasiment impossible à sanctionner. Est-ce possible aujourd’hui d’enquêter sur ces fraudes ?

Quel est le bilan des organes de régulation, et de la justice pénale, face aux acteurs du trading haute fréquence (THF) aux États-Unis et en Europe ? Il est égal à zéro. Tout au plus, les régulateurs américain et britannique ont-ils réussi à sanctionner certains acteurs, mais de manière très rare et très ponctuelle, et ce dans un cadre transactionnel, donc non pénal. Pourtant, il n’y a pas de marché sans fraude ni fraudeurs. On le sait depuis Durkheim : rien de plus normal que le crime ! Si vous n’observez pas de fraude sur un marché, il n’y a que deux possibilités : soit les fraudes sont devenues totalement invisibles, soit le marché est tenu par une congrégation de saints ! Un exemple : lorsque l’entreprise états-unienne de trading haute fréquence Virtu Financial a publié ses comptes financiers des cinq dernières années, pour entrer en bourse, on a constaté qu’elle n’avait perdu de l’argent qu’une seule fois sur 1238 séances de bourse ! Voilà qui pose question... A Las Vegas, ceux qui ne perdent jamais d’argent, ce sont les propriétaires de casino. Qui sont les propriétaires du casino à Wall Street ?

Aux États-Unis, les régulateurs ne font que courir après les avancées technologiques. Ils sont en permanence à la traîne d’un système qu’ils ne comprennent pas ou auquel ils ne veulent pas toucher.

Le FBI enquête actuellement sur des délits d’initié concernant des processus de trading haute fréquence... A quoi cela peut-il aboutir ?

Le THF est intrinsèquement un délit d’initié systémique, notamment avec le front running technologique (lorsque les traders utilisent l’information de leurs clients pour s’enrichir, ndlr). Mais tellement visible que nous ne le voyons pas. Nous sommes aveuglés par son omniprésence, telle la Lettre volée dans la nouvelle d’Edgar Poe. Le délit d’initié consiste à disposer d’une information privilégiée avec un temps d’avance : 24 heures du temps des pigeons voyageurs qu’utilisaient les Rothschild au début du 19ème siècle, quelques nanosecondes aujourd’hui ! Les enquêtes ouvertes aux États-Unis [4] concernent certaines pratiques spécifiques, et aussi semble-t-il, l’architecture même du système de THF, avec un questionnement sur le principe de la « colocation », qui consiste à placer les ordinateurs des traders au plus près des serveurs des bourses, pour gagner du temps dans les transmissions. Mais restons prudents : apporter des preuves de fautes pénales est très compliqué, surtout en matière financière. Les financiers ont recours à des armadas d’avocats très compétents. Ce qui peut provoquer des stratégies d’évitement : les États ont-ils encore envie de s’engager dans des bras de fer difficiles à gagner face à des acteurs puissants et influents ?

Les sommes en jeu sont pourtant considérables !

Le THF permet des micro-profits sur chaque transaction grâce à l’hyper-vitesse. Mais pour être rentable, il faut d’énormes volumes ! Les chiffres publiés sur les profits de cette activité ne me semblent pas très sincères. Mais en matière financière quels sont les chiffres fiables ? Nous vivons sous l’empire d’une doxa libérale qui n’a que le mot « transparence » à la bouche, mais dont beaucoup des outils et des dispositifs sont d’une opacité totale !

La difficulté est aussi liée à la complexité du secteur, avec une véritable « course aux armements technologiques » à laquelle se livrent les acteurs du trading haute fréquence...

Le THF est fondamentalement une course au temps. Elle ne peut être gagnée qu’avec des ordinateurs et des algorithmes de plus en plus puissants et rapides qui coutent très chers. Il faut aussi embaucher des compétences rares : les meilleurs mathématiciens, physiciens et informaticiens. Pour transmettre les informations, nous sommes aussi passés de la fibre optique aux ondes courtes. Et le phénomène de colocation, pour s’approcher au maximum des serveurs des bourses, s’est développé. Un paradoxe : dans le monde du cyber et du digital, l’immatérialité devait rendre illusoire les questions de placement géographique, et on redécouvre qu’un trader haute fréquence a les mêmes problématiques qu’un camelot au Moyen Âge !

Le mouvement de dérégulation financière a conduit à la privatisation des places boursières. Elles se sont mises à vendre aux traders des masses d’informations et de données, mais aussi de l’immobilier, en vendant des espaces au plus près des serveurs. Conséquence de cette privatisation : les bourses n’ont aujourd’hui plus aucun intérêt à être regardantes sur les pratiques des traders du THF. Pourquoi renforcer les contrôles, qui feraient migrer les traders vers d’autres places boursières ? Les fraudes étant invisibles, les victimes n’ayant pas de visage et ignorant qu’elles ont été spoliées, quelle peut être l’incitation à bien se comporter ?

Y aura-t-il un gagnant dans cette « course aux armements » ?

On peut douter qu’il y ait un gain pour la collectivité. Quelle est l’utilité sociale de ce système ? En quoi concourt-il au bien public ? Tous ces investissements technologiques et financiers, ces talents qui s’immergent dans le monde de la finance mathématisée, ne seraient-il pas mieux utilisés ailleurs ? Il y a forcément un gain pour les acteurs du THF, sinon ils abandonneraient ce business. L’une des quatre grandes banques françaises a cependant eu le bon sens de se retirer de ce marché (le Crédit agricole. La Société Générale et BNP Paribas restent des acteurs importants du THF, ndlr). Cela montre qu’il y a un début de prise de conscience du fait que cette technique est vicieuse et viciée, et qu’elle peut avoir un coût en terme de réputation.

En cas d’emballement du système, que reste-t-il comme possibilité d’action pour les régulateurs, à part débrancher les machines ?

C’est ce qui s’est passé lors du crash éclair du 6 mai 2010 (le Dow Jones a chuté de 9% en quelques minutes, ndlr) : pour éviter qu’un crash localisé devienne systémique, il faut alors débrancher la prise. Quel terrible aveu d’impuissance ! Par leur poids technologique et financier, ces systèmes de THF sont devenus des immenses blocs de granit jetés dans l’espace financier. Et les lois de régulation n’arrivent plus qu’à limer certaines aspérités de ces blocs.

Le trading haute fréquence menace-t-il l’ensemble du système financier ? A-t-il des conséquences sur nos économies ?

Le THF comporte des risques pour la stabilité des marchés financiers. Il y a une dimension virale. Surtout, le THF est par nature un système de prédation. La proie, c’est d’abord l’investisseur qui s’est jeté dans une grande mare au milieu de requins sans en être conscient. Et ensuite, c’est l’économie réelle. Cet excès de financiarisation n’entraine ni créations d’emploi ni prospérité. Il participe à la spéculation généralisée, comme par exemple celle sur les marchés des matières premières, une spéculation qui contribue à rendre les cours erratiques, ce qui a des conséquences concrètes, dramatiques, sur la vie quotidienne de millions d’hommes et de femmes à travers le monde.

En quoi votre analyse des crises financières sous l’angle du crime est-elle innovante et dérangeante ?

Ce diagnostic est nouveau. Proposer une analyse criminologique des crises financières, c’est aussi montrer, au delà d’une analyse nouvelle des causalités, les conséquences de ces crises issues de la dérégulation. Ces grandes crises ont plongé des millions de personnes dans le chômage, la pauvreté et la précarité. Ces crises à dominante criminelle provoquent également un assèchement du crédit aux entreprises. Celles-ci, mécaniquement, doivent se tourner vers les financements occultes du crime organisé. Les organisations criminelles regorgent toujours d’argent liquide à investir. Les crises financières sont ainsi des périodes d’accélération des processus de blanchiment d’argent et de captation de l’économie légale par le crime organisé. C’est ce qui se produit en Italie depuis 2008.

Les responsables politiques qui cautionnent cela sont-il complices de crimes ?

Il ne faut jamais faire de procès d’intention. L’honnêteté se présume et la culpabilité se démontre. Mais il faudra beaucoup de courage et de lucidité pour sortir d’un système aussi mortifère. 1788 a duré longtemps : près d’un siècle ! Le grand historien de la Révolution française Hippolyte Taine [5] explique comment les élites au 18ème siècle, en l’occurrence la noblesse, furent « en vacances » durant un siècle. Je crois que les élites contemporaines sont en effet en vacances. Elles se divertissent et elles nous divertissent, au sens pascalien. Peu importe de savoir si elles sont conscientes de la situation. La confrontation avec le réel sera de toute façon brutale.

Pour revenir au prisme criminologique, je dirai que les peuples sont pris en tenaille entre une criminalité de l’Upper world et une criminalité de l’Under world, par le haut et par le bas. Il suffit de relire Marx qui explique très bien cela. La seule chose qui me rend optimiste, c’est que je crois au génie national. Le peuple français est plein de ressources, il a des capacités de réaction insoupçonnées. Encore faut-il ne pas le mépriser.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

@AgnesRousseaux

Photo : Source


A lire :
Jean-François Gayraud, Le Nouveau Capitalisme criminel, Odile Jacob, 2014, 350 pages. Pour commander ce livre dans la librairie la plus proche de chez vous, rendez-vous sur le site de lalibrairie.com.

Notes

[1Commissaire divisionnaire, ancien élève de l’École nationale supérieure de police (ENSP, Saint-Cyr-au-Mont-d’Or), docteur en droit, diplômé de l’Institut de criminologie de Paris, il a longtemps travaillé à la direction de la surveillance du territoire (DST). Il est l’auteur notamment de La Grande Fraude. Crime, Subprimes et crises financières (Odile Jacob), 2011, et Le Nouveau Capitalisme criminel (Odile Jacob), 2014.

[2Voir notamment l’analyse de la dimension criminelle de la crise financière de 2008 dans le livre La grande fraude, Crime, subprimes et crises financières, par Jean-François Gayraud, Editions Odile Jacob, 2011.

[3Au civil, cela s’appelle le settlement. Au pénal, c’est le Plea bargaining.

[4Ces enquêtes on été ouvertes par la Securities and Exchange Commission (SEC) (organisme de contrôle des marchés financiers) et le ministère public de l’État de New York. Lire FBI Investigates High-Speed Trading, Wall Street Journal, 31 mars 2014, et FBI Seeks Help From High-Frequency Traders to Find Abuses, Bloomberg, 2 avril 2014.

[5Hippolyte Taine (1828-1893), Les Origines de la France contemporaine.

 

 

 

21/04/2014

Nick Anderson in Houston Chronicle

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03/03/2014

Pays de Galles: Des tonnes de déchets toxiques déversés illégalement dans une carrière par Monsanto continuent d'empoisonner gravement un village Gallois.

Pendant longtemps  le village de Groesfaen dans le sud du Pays de Galles au Royaume-Uni était un endroit agréable à vivre.

Pourtant, dés 2003 les habitants de Groesfaen dans le sud du Pays de Galles ont commencé à se plaindre des remugles immondes émanant de la carrière Brofiscin , une carrière profonde de 36 mètres, située aux abords du village . Plus alarmant encore , les eaux de la rivière qui passait près de la carrière ont commencé à virer orange vif . 


Naturellement concernés , les résidents avaient exhortés les autorités locales d'enquêter.


L'enquête a révélé qu'une usine de Monsanto de Newport, une ville située près de Groesfaen avait payé des entrepreneurs pour déverser illégalement des milliers de tonnes de produits chimiques cancérigènes dans la carrière Brofiscin entre 1965 et 1972 


Parmi les poluants se trouvait des BPC et des dérivés de l'Agent Orange. Ces produits chimiques corrosifs ont fini par percer leurs conteneurs et se sont répandus dans le sol , mettant non seulement en danger la vie des villageois , mais aussi plus de 350 000 résidents de Cardiff , car les produits chimiques sont rentré en contact avec une nappe phréatique importante qui était la source d'approvisionnement en eau principale de la ville .


Mais beaucoup plus grave encore les habitants de Groesfaen ont également découvert que le conseil municipal été au courant de cette situation depuis des décennies et n'a rien fait.


"Les autorités sont au courant de la situation depuis des années , mais n'ont rien fait », a admis Douglas Gowan , un nouveau consultant chargé de la dépolution de la carrière . " Il existe des preuves non seulement de négligences et d'incompétences totales , mais plus grave encore de volonté affichée de dissimulation"


Dés 2005, les autorités locales ont réalisé que l'affaire de Brofiscin ne pouvait plus être maintenue sous silence et a finalement embauché l' Agence de l'environnement d'état pour nettoyer le site .Cette décision s'est avérée trés controversée pour deux raisons principales: 


Premièrement l'agence de l'environnement a refusé à plusieurs reprises de reconnaître la société Monsanto responsable de cette pollution ( Monsanto réfutait dès le départ ces accusations ) . 


Deuxièmement , l'agence a systématiquement minimisé les dangers des produits chimiques eux-mêmes , affirmant même qu'ils ne posaient aucun danger pour la santé humaine » dans leur rapport officiel . 


Néanmoins en 2011 , Monsanto a accepté à contrecœur d'aider l' Agence de l'environnement à nettoyer la carrière Brofiscin lorsqu'on a découvert que la plupart des 67 produits chimiques détectés sur le site étaient exclusivement fabriqués par la société. 


Depuis, l' effort de nettoyage reste toujours sous-financé et inefficace  et la carrière Brofiscin reste toujours le site le plus contaminé du Royaume-Uni .


«Si rien n'est fait les solutions actuelles choisies par l' Agence de l'environnement qui ne s'attaquent qu'aux ruissellements de surface et jamais des déchets enfouis sous terre vont ne faire qu'empirer la situation. Les fûts métalliques vont continuer à se détériorer au fil du temps en rejetant toujours plus de matières toxiques et nocives qui vont continuer à polluer nos aquifères.


© Nature Alerte

13/01/2014

Un documentaire d’Hitchcock sur l’holocauste nazi sorti d’un long silence …

 

Le Musée impérial de la guerre de Londres a restauré numériquement le documentaire, réalisé en 1945 par le futur maître du suspense, Memory of the camps sur le génocide hitlérien. Il sera présenté en 2015, à l’occasion du 70e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Entre l’horreur des camps nazis et le cinéaste britannique Alfred Hitchcock, il n’existait jusqu’à présent aucun lien connu. Pourtant, l’auteur de La Main au collet et de La Mort aux trousses, bouleversé par les événements qu’il découvre en même temps que le monde entier, a réalisé un documentaire sur les camps, intitulé Memory of the camps. Jamais diffusées publiquement, les bobines, qui ont été exhumées des archives puis restaurées numériquement, montrent sans aucun artifice la cruauté du système concentrationnaire nazi.

Début 1945, les troupes alliées entrent enfin en Allemagne, après cinq ans d’une lutte incessante contre les forces du IIIe Reich. Au fur et à mesure de leur progression, elles découvrent l’horreur des camps nazis. À l’Est, les troupes de Staline libèrent Auschwitz, en Pologne, le 26 janvier 1945. Sur le Front ouest, les Américains et les Anglais piétinent un peu. Ils ouvrent les portes de Buchenwald, le 11 avril. Le 15 avril, ils pénètrent dans Bergen-Belsen. Quelque 60.000 personnes peuplent encore le camp. La plupart sont atteintes du typhus. Faute de moyens sanitaires suffisants, dépassées par l’horreur, les troupes britanniques ne pourront sauver tous les survivants. Le service cinéma de l’armée anglaise filment l’insoutenable pour témoigner de la folie génocidaire nazi. Anne Frank y passera ses derniers jours.

Hitchcock est bouleversé par la cruauté des images

Quelques mois plus tard, encouragé par son ami producteur Sydney Bernstein, Alfred Hitchcock décide de réaliser un documentaire sur la libération des camps. Il décide d’utiliser les rushes de l’armée britannique et, plus particulièrement, les images tournées à Bergen-Belsen. Dans un premier temps, il est bouleversé par la violence du reportage militaire. Son effroi est compréhensible. Les conditions de vie dans Bergen-Belsen étaient effroyables. Les soldats ont découvert des survivants affamés, certains mourant littéralement de faim: ils n’avaient pas mangé depuis 6 jours. Des soldats ont mis au jour un charnier. D’autres ont dû déplacé une montagne de cadavres. Les archives militaires montrent la vérité de la façon la plus crue possible.

Malgré son écœurement, avec tout ce matériel brut, Hitchcock monte son documentaire. Il a, dans un premier temps, pour objectif de servir de témoignage à charge contre les Allemands pro-nazis qui ont laissé faire cela. Fin 1945, les autorités alliés se ravisent. Pour accéler la reconciliation européenne, il n’est plus opportun de diviser en publiant ce documentaire dénonciateur. Le film d’Hitchcock finit bientôt dans les oubliettes du Musée impérial de la guerre. Archivé, il est presque bientôt complètement oublié. En 2015, sera commémoré le 70e anniversaire de la libération des camps. Le musée anglais, dédié aux conflits du XXe siècle, a décidé de projeter, Memory of the camps, la version intégrale et restaurée du film d’Alfred Hitchcock. Un nouveau documentaire Night will Fall realisé conjointement par André Singer et Stephen Frears sera diffusé simultanément.

 

 

 

 

 

 

 

06/09/2013

Tous ces connards de HEC (ou l’équivalent) par Viktor Dedaj 2012

 

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Viktor Dedaj, journaliste et propriétaire du site de ré-information "Le Grand Soir"

 

«  Ils sont parmi nous.
On ne sait pas qui ils sont,
On ne sait pas d’où ils viennent,
Leur seul objectif : nous pourrir la vie. 
Et rien ne peut les arrêter. »
 


La dernière fois que j’ai conversé avec un connard de HEC (ou l’équivalent), j’ai eu le sentiment désagréable de regarder la télé. C’était aussi bavard, nombriliste, hystérique et d’une bêtise agressive. On aurait dit qu’il avait mémorisé : 1) tous les «  dossiers » du magazine Le Point sur le Salaire des Cadres, les Francs-Maçons et l’Islam ; 2) toutes les enquêtes de l’Express sur le Salaire des Cadres, le Prix de l’Immobilier et les Musulmans ; 3) tous les numéros spéciaux du Nouvel Obs sur le Salaire des Cadres, l’Homosexualité et les Arabes.

Chez lui, le concept de «  radicalité » se limitait à la lecture de Courrier International et les Guignols sur Canal+. J’ai cru un instant qu’il faisait dans l’ironie, genre pince-sans-rire. Pas du tout. J’ai même eu droit à un «  tu comprends Viktor, selon la loi de l’offre et la demande... ».

Sérieusement : vous le saviez, vous, qu’il existe réellement des individus qui prononcent réellement ce genre de phrase avec tout le sérieux du monde ? Et moi qui pensais que c’était une de ces phrases «  connues » mais que personne ne prononce réellement dans la vraie vie. Une phrase comme «   Attends, ce n’est pas ce que tu crois, je peux tout t’expliquer », vous comprenez ? Une phrase que personne ne prononce réellement dans la vraie vie sauf à être - et là , retenez votre souffle - totalement et irrémédiablement lavé du cerveau, avec une mini-salle de projection à la place de la cervelle et vivant littéralement dans un film où son ego tient le rôle principal.

A part ça, il y avait quelque chose qui me titillait depuis le début, un truc sur lequel je n’arrivais pas à mettre le doigt... lorsque soudain, j’ai compris. Mon Dieu, j’avais devant moi - à quelques centimètres à peine - un être que je pensais n’exister que dans les légendes et les contes de fées, à l’instar des licornes, des dragons et des Socialistes Français de gauche. Devant moi se tenait l’aboutissement de toute l’histoire de l’évolution, l’être parfait ; inébranlable, infatigable, indestructible et même indécoiffable, la toute dernière production du système médiatique moderne, celui dont tout le monde parle mais que personne n’a jamais croisé, un être parfaitement adapté à son milieu ambiant. Oui, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, permettez-moi de vos présenter... le Connard Parfait.

A la fois terrifié et subjugué, j’étais Sigourney Weaver (en petite culotte) et lui l’Alien bavant (tu m’étonnes...). Lorsqu’il ouvrait la bouche pour parler d’économie, c’était du Alain Minc qui sortait. Pour parler de société, c’était Jacques Attali plein les oreilles. Sur les questions géopolitiques, c’était BHL qui lui sortait des narines. Et de tous les autres orifices de son corps : du Jean-Pierre Pernaud.

Il regardait les films que faisaient les plus gros scores au box-office, écoutait la musique qui cartonne en ce moment, regardait sur Youtube les vidéos les plus populaires et ne lisait que des best-sellers.

Ouaip : on avait beau l’essorer, il n’y avait plus une seule goutte de lui en lui.

Pourquoi je vous parle des connards de HEC (ou l’équivalent) ? Pour rien.

* * * *

Je me souviens encore d’une époque, au temps sombre du service public, où les bureaux de poste ressemblaient encore vaguement à des bureaux de poste. On y entrait en tenant humblement à la main une lettre ou un colis dans l’espoir fragile de le faire affranchir et expédier vers une destination plus ou moins exotique (comme la Caisse Primaire d’Assurance Maladie). Aujourd’hui, on entre dans un «  espace d’accueil » qui ressemble à un supermarché et où les enveloppes sont présentées sur des rayons comme des fucking tranches de saumon fumé au milieu de tout un «  merchandising » qui frise le Royaume de Mickey : des tasses marquées «  la poste », des clés USB «  la poste » et même des sacoches de facteur «  à l’ancienne » avec marquées dessus - vous allez rire - «  la poste ».

Le «  self-service » y est tellement de rigueur que je suis encore étonné de n’avoir pas à transporter moi-même le courrier que je viens moi-même d’affranchir (et ne croyez pas que les connards de HEC (ou son équivalent) n’y ont pas pensé, c’est juste qu’ils n’ont pas encore trouvé le moyen de nous le faire avaler. Une suggestion amicale de ma part : «  l’Europe » - mot magique qui marche à tous les coups)

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Au temps sombre du service public, si la lettre mettait plus de deux jours pour arriver à destination, on supputait déjà le décès impromptu du facteur en pleine tournée ou une grève sauvage lancée par un de ces syndicats dont on confondait toujours le nom. Si la lettre mettait plus de trois jours, la rumeur courait sur un probable acte de sabotage. A quatre jours, ça y est, une catastrophe naturelle s’était abattue quelque part en France, en emportant facteur, sacoche, vélo et tournée.

On l’appelait laconiquement «  La Poste » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus que le couple Halliday.

Il arrivait que «  La Poste » brise quelque tabou ancestral en lançant des initiatives dont la témérité donnait le tournis, comme l’instauration d’un tarif d’affranchissement «  économique », par opposition au «  normal ». Un tarif pensé pour ceux qui n’était pas pressés (car il y en avait encore) ou ceux qui s’envoyaient à eux-mêmes des courriers. Et ce qui était jadis considéré comme un service «  normal » s’appelle désormais un service «  hyper-méga-rapide, genre chrono à la main et et zip c’est parti » et vous est facturé 10 fois plus cher.

Au temps sombre du service public, les murs des bureaux de poste étaient décorés d’affiches et de timbres postes du monde entier qui faisaient rêver les gamins au lieu de les préparer à entrer dans la vie inactive. Et si d’aventure plus de quatre personnes avaient l’outrecuidance de vous précéder dans la file d’attente, on considérait que vous étiez en droit de prendre votre carte à la Ligue Communiste Révolutionnaire.

Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et son papa connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui jouait au golf avec untel, et ce fut l’enfer.

Désormais, ce sont de grands écrans plats qui sont chargés de vous faire patienter en vous vendant le bonheur de faire la queue. Si par miracle il y a moins de vingt personnes devant vous, c’est que vous êtes retraité ou chômeur ou l’innocente victime d’une caméra cachée.

Au temps sombre du service public, le facteur était une sorte de personnalité locale qui ne se faisait voler la vedette que par le pompier, l’instituteur et, éventuellement, le maire (lorsque ce dernier n’était pas en prison). Mais un des grands mystères du monde moderne que je n’arrive pas à résoudre est celui des «  lettres recommandées ».

Je vous explique : jadis, lorsqu’une «  lettre recommandée » vous était destinée, le facteur sonnait à votre porte et vous la remettait en échange d’une signature. En cas d’absence, un avis était glissé avec tact dans votre boîte-aux-lettres. Fini tout ça : vous aurez beau être chez vous toute la journée et même la passer à guetter le passage du dit facteur (à quoi ressemble-t-il ? porte-il un signe distinctif ?), vous aurez beau scruter la circulation dans la rue et même l’horizon, beau tendre l’oreille derrière la porte en guettant la moindre agitation dans le couloir, beau vérifier pour la dixième fois que votre sonnette fonctionne parfaitement, ce ne sera qu’à la nuit tombée que vous trouverez un «  avis de passage » subrepticement glissé dans votre boîte-aux-lettres.

Suprême affront : cet Arsène Lupin des temps modernes, pour préciser le «  motif de non distribution » aura soigneusement coché la case «  destinataire absent ». Affront qui sera suivi par une invitation à vous rendre au bureau de poste le plus proche où la lettre-que-nous-n’avons-pu-vous-remettre-pour-cause-que-vous-n’étiez-pas-là  vous attendra, goguenarde, à partir du lendemain 14h00- invitation elle-même suivie d’un ricanement silencieux.

Parce que t’as beau investir dans un système électronique de détection, poser des pièges et même élever une batterie d’oies pour donner l’alerte, rien n’y fait. Alors ? Comment font-ils ? Sont-ils équipés de semelles hyper-silencieuses ? Portent-ils des uniformes faits de la même matière que les avions furtifs américains ? Portent-ils une cape d’invisibilité ? Se déplacent-ils à une vitesse proche de celle de la lumière ? Mystère, vous dis-je.

Connards de HEC : rendez-nous la Poste et allez jouer ailleurs

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Au temps sombre du service public, il y avait des trains. Des trains qui partaient (c’est bien) et qui arrivaient (encore mieux) à l’heure avec une fiabilité et précision tellement légendaires qu’on faisait dire aux employés de la SNCF que «  Avant l’heure, c’est pas l’heure. Après l’heure, c’est plus l’heure ». C’était l’époque où lorsque vous voyiez un train partir en retard, vous saviez que c’était votre montre qui avançait. Et vice-versa . C’était une époque sombre où les TGV glissaient - je me souviens qu’on pouvait écrire dans un TGV lancé à pleine vitesse sans que la calligraphie n’en souffre (mais qui écrit encore dans un train ?). C’était l’époque où les prix des billets étaient compréhensibles, où on avait le droit de rater un train et de prendre le suivant sans être accusé d’appartenir à Al-Qaeda. Une époque où les seuls militaires qu’on croisait dans les gares étaient des bidasses en permission. C’était l’époque où pour tout incident vos étiez en droit de prendre votre carte à Lutte Ouvrière.

On l’appelait laconiquement «  la SNCF » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus qu’une chanson de Mireille Mathieu.

Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et sa maman jouait au bridge les mercredi avec l’épouse de quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui jouait au tennis avec untel, et ce fut l’enfer.

Aujourd’hui, il y a toujours des trains. Des trains qui partent (c’est bien) et qui arrivent (encore mieux). Que vous faut-il de plus ? Si vous voyez un train partir en retard, ça veut dire qu’il n’est pas parti en avance. Et toc. Un voyage en TGV secoue tellement qu’on se croirait dans un avion à hélice traversant un orage et même si vous n’écrivez plus que sur un clavier, tâchez quand même de le faire sur un ordinateur portable anti-chocs.

Votre bonheur est censé être garanti car vous ne voyagez plus dans un vulgaire TGV, mais dans un iTGV - le «  i » dénote une tentative désespérée de branchitude (qui est l’attitude standard d’un loser lorsqu’il se retrouve malheureusement à un poste quelconque de responsabilité). Bientôt, ils nous vendront de la i-merde et nous diront que c’est moderne.

Acheter un billet n’est plus une formalité mais une épreuve de Fort Boyard. Vous commandez vous-même votre e-billet (ah, cette fois-ci, c’est un «  e ») sur Internet et/ou vous l’imprimez vous-même. Le cas échéant, vous compostez vous-même votre billet. Vous pouvez aussi acheter ou échanger votre billet vous-même via une machine automatique. Combien de temps reste-t-il avant qu’ils ne décident que le train sera conduit par nous-mêmes et que le conducteur sera choisi à la courte-paille parmi les passagers ?

Et si par hasard vous décidez - pour une raison qui vous appartient - de participer, genre baroudeur, à l’aventure «  objectif-guichet », et que vous réussissez à en trouver un (ouvert, parce que les guichets fermés, ça ne compte pas), la file d’attente interminable qui vous précède vous rappellera le jour de sortie de dernier «  Harry Potter ». Comment font-ils pour obtenir de telles files ? Embauchent-ils des stagiaires ou des figurants pour nous décourager ? Lancent-ils la rumeur d’une vente sauvage d’iPhones - tiens, encore un «  i » - pour tel jour à telle heure (devant le guichet «  départs immédiats » de préférence) ? Si oui, comment savaient-ils que vous alliez vous présenter effectivement devant ce guichet-là , tel jour à telle heure ?

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Mais les connards de HEC qui pensent à tout ont même prévu là aussi des écrans plats qui diffusent des spots hilares pour vous expliquer combien c’est cool le train, alors que vous êtes bien placé (128ème dans la file) pour le savoir.

Oui, heureusement que les connards de HEC sont là . Changement d’uniformes, changement de logo. Des dizaines de millions d’euros engloutis pour «  rehausser l’image de marque », pour «  redynamiser le concept ». Les employés coiffés de casquettes qui les font ressembler à des Robin des bois futuristes sortis d’un film de série B raté ; un logo TGV corniaud ; des «  s’miles » qui s’accumulent sur votre carte de fidélité ; et patati et patata, sans oublier la publicité omniprésente dans les gares, sur les quais, partout.

Connards de HEC : rendez-nous la SNCF et allez jouer ailleurs.

Au temps sombre du service public, il y avait des téléphones. Des trucs qu’on décrochait, sur lesquels on composait un numéro, et... voilà . Le téléphone quoi. Un réseau extraordinaire, construit avec notre argent. Evidemment, les plus jeunes diront que j’exagère, que j’embellis, mais il fut un temps où lorsqu’on appelait un service (commercial ou dépannage), on trouvait quelqu’un au bout du fil, une personne en chair et en os. Lorsqu’on avait un problème, le gros Dédé (ou son équivalent) se pointait avec sa boîte à outils, réparait le truc et repartait. Si tu voulais trouver un numéro, il y avait un annuaire. Pas d’annuaire à portée de main ? Les renseignements, pardi.

Ca s’appelait laconiquement «  France-Télécom » ou encore «  les PTT » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. Les tarifs étaient clairs, accessibles, compréhensibles. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus que le Stade de France.

Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et son chien pissait contre le même poteau que le chien d’un autre qui connaissait quelqu’un dont le fils fréquentait la même école privée que la fille d’untel, et ce fut l’enfer.

Changement de logo qui a coûté des millions (pour «  rehausser l’image de marque », pour «  redynamiser le concept »), un rachat et un changement de nom qui a coûté des millions. Maintenant c’est «  orange » - tu parles d’un nom... pourquoi pas «  caca d’oie  » ?

Désormais, nous voilà devant des sociétés à foison, prédatrices de nos investissements d’antan, des grands opérateurs, des petits opérateurs, des opérateurs sortis d’on ne sait où qui vous promettent des communications à 0,08 euros la minute vers le pôle sud, des portables «  bloqués », débloqués, des forfaits «  carrés », «  carrés silver » (ça veut dire argent, non ?), des formules «  zen », «  origami ». Bref, si tu sais choisir un abonnement, tu sais lire le manuel de vol d’une navette spatiale ou bien - autre hypothèse - tu n’as vraiment rien de mieux à foutre de tes journées.

Connards de HEC : rendez-nous France-Télécom et allez jouer ailleurs.

Et pour tous ceux qui se demandent encore ce que signifient les lettres H.E.C. : «  H », c’est pour «  Hautes », «  E » pour «  Etudes » et le « C »... eh bien, tout le monde croit que c’est pour «  Commerciales »...

Oui, ça y est, maintenant je me souviens pourquoi je voulais vous parler de ça. Mais ce sera pour une autre fois.

Viktor Dedaj
« un jour je vous parlerai de Sup de Co »


Source et merci à : http://jlmi.hautetfort.com/archive/2013/06/28/tous-ces-co...

29/08/2013

Nestlé veut breveter la nigelle !!

Allergies alimentaires : Nestlé veut breveter une plante médicinale

(Crédit photo : digital cat - flickr)
 
Le géant de l'agroalimentaire a déposé une demande de brevet pour utiliser la Nigella sativa. Problème : les ONG indiennes contestent sa légitimité à revendiquer des droits sur une plante de leur médecine traditionnelle.

Nestlé souhaite breveter un extrait de la fleur du fenouil Nigella sativa. L’enjeu : avoir l’exclusivité de la commercialisation de ce produit qui permettrait de réduire les allergies alimentaires. Depuis le début des années 2000, le géant de l’agroalimentaire investit en effet dans la recherche sur les aliments médicalisés. Ce marché en plein essor a été estimé à 8 milliards d’euros en 2013. Une stratégie similaire à celle des laboratoires pharmaceutiques ayant recours aux brevets pour protéger ses innovations médicales.

Nestlé revendique ainsi devant l’Office européen des brevets (OEB) la découverte des propriétés de la thymoquinone pour réduire la réaction allergique. La demande de brevet couvre également l’utilisation des extraits de fleur de fenouil, dans lesquels cette molécule est présente en très forte concentration. De fait, la découverte d’un produit naturel limitant les allergies alimentaires représente un marché potentiel considérable : Nestlé cite des études scientifiques montrant qu’un tiers de la population aurait des allergies alimentaires ou une hypersensibilité à des aliments allergènes. Autant de consommateurs pour ses produits.

Aucune innovation justifiant un brevet

Encore plus intéressant, Nigella sativa, appelé aussi cumin noir, est déjà largement utilisé dans l’alimentation. Des extraits peuvent être ajoutés directement dans les aliments, sans avoir recours ni à des études toxicologiques, ni à des produits de synthèse. Nestlé se félicite ainsi de pouvoir utiliser ce produit dans sa gamme NaturNes pour bébé d’origine 100% naturelle.

Déposé en 2009, le brevet n’a pourtant toujours pas été accordé par l’OEB. En cause, les nouvelles pièces portées au dossier par l’Inde. La base de données indienne sur les savoirs traditionnels, Traditional Knowledge Digital Library (TKDL), contiendrait en effet plusieurs exemples d’utilisation de Nigella sativa pour traiter les symptômes décrits par les chercheurs de Nestlé. Pour le directeur de la TKDL, les laboratoires du groupe n’ont fait preuve d’aucune innovation justifiant un brevet. Si Nestlé reconnaît que la thymoquinone présente dans le fenouil est utilisée à des fins médicales depuis deux mille ans, il revendique néanmoins l’exclusivité des travaux sur allergies alimentaires… Il revient aujourd’hui à l’OEB de trancher.

Propriétés pour traiter les allergies respiratoires

Plusieurs ONG spécialisées dans les questions nord-sud suivent le dossier de près. Pour François Meienberg, de l’organisation suisse la Déclaration de Berne, l’action de l’Inde devrait empêcher la demande de Nestlé d’aboutir : « Le cas s’est déjà produit en 2010 pour des brevets concernant certaines vertus médicinales du Rooibos, une plante sud-africaine. » Nestlé avait finalement retiré ses demandes, faute de preuves suffisantes sur l’innovation de ses brevets.

L’ONG Third World Network, basée en Thaïlande, va plus loin. Cette organisation qui assure une veille sur les questions de biosécurité a recensé les recherches scientifiques faites au Moyen-Orient et en Asie sur l’utilisation médicale de Nigella sativa. Or, plusieurs études mettaient déjà en évidence les propriétés de cette plante pour traiter les allergies respiratoires.

Les ONG ont une autre accusation en tête : la biopiraterie pour non-respect de la Convention sur la biodiversité (CBD). D’autant que Nestlé s’est engagé à respecter le protocole de Nagoya, qui régule l’accès et le partage des ressources génétiques et des savoirs traditionnels. Mais pour Nigella sativa, « le cas est complexe », explique François Meienberg : la plante est utilisée dans de nombreux endroits du globe et il n’existe donc pas une communauté ou un pays légitime avec lequel négocier le partage des bénéfices liés à l’utilisation de cette plante.

Cet article de Magali Reinert a été initialement publié le 19 août 2013 sur Novethic, le média expert du développement durable.

05/08/2013

XKeyscore, l'outil de la NSA pour examiner "quasiment tout ce que fait un individu sur le Web"

L'Agence de sécurité nationale américaine (NSA) dispose d'un outil, appelé "XKeyscore", qui permet aux agents du renseignement américain d'accéder à l'historique de navigation et de recherche, aux contenus des courriels, et aux conversations privées sur Facebook, selon des documents publiés le 31 juillet par le Guardian.

Si l'existence de XKeyscore était déjà connue, ces documents en détaillent le fonctionnement et les capacités. On apprend ainsi que la NSA le considère comme son outil doté de la "portée la plus grande" permettant d'examiner "quasiment tout ce que fait un individu sur Internet". "Qu'est-ce qui peut être stocké ? Tout ce que vous voulez extraire", se félicite ainsi l'une des pages du document.

 

Et pour cause : XKeyscore ressemble à un véritable Google pour espions. A l'aide d'une interface très simple d'utilisation, les personnes habilitées peuvent rechercher dans le corpus de données amassé par la NSA le contenu des courriels, des numéros de téléphone ou encore des messages privés échangés sur Facebook et croiser les informations obtenues selon la langue, le type de logiciel utilisé ou le pays dans lequel l'internaute ciblé se trouve. Le tout en ne justifiant que "vaguement" leur recherche, selon le Guardian.

  • Contenu et destinataires des courriels

Il permet, par exemple, de chercher sur les pages Web indexées par la NSA, mais également dans les champs "destinataire", "copie carbone" ("CC") et "copie carbone invisible" ("CCI") de lire les courriels ou de trouver une adresse électronique à partir d'un nom ou d'un pseudo.

  • Facebook et messageries instantanées

Les analystes de la NSA, lorsqu'ils utilisent un outil appelé "DNI Presenter" en plus de XKeyscore, sont en mesure de lire les messages privés échangés sur Facebook par n'importe quel internaute, à partir d'un simple nom d'utilisateur.

  • La navigation et les recherches sur Internet

C'est un des aspects les plus surprenants de ces nouvelles révélations. En scrutant l'activité HTTP, la NSA est capable de retrouver l'historique de navigation d'un utilisateur, des sites visités ou recherches effectuées, toujours selon les documents publiés par le Guardian. L'agence est également capable d'obtenir les adresses IP de toute personne qui visite un site choisi par l'analyste.

XKeyscore permet aussi de cibler des internautes en fonction des technologies utilisées, comme la cryptographie, ou d'avoir accès à des fichiers échangés ou stockés sur Internet.

DES RECHERCHES EXTRÊMEMENT PRÉCISES

Les documents de présentation donnent plusieurs exemples de recherches. Il est ainsi possible de "trouver une cellule terroriste" en "cherchant des activités anormales, par exemple quelqu'un dont le langage ne correspond pas à la région où il est situé, quelqu'un qui utilise la cryptographie ou quelqu'un qui fait des recherches suspicieuses sur Internet".

Une page du document de présentation de XKeyscore vante aussi la possibilité de procéder à des recherches aussi précises que "montre-moi tous les fournisseurs de réseaux privés virtuels [des systèmes permettant une connexion à Internet sécurisée] dans un pays X et affiche les données afin que je puisse déchiffrer et en découvrir les utilisateurs", de trouver le ou les utilisateurs parlant allemand et se trouvant actuellement au Pakistan ou tous les documents mentionnant Oussama Ben Laden.

En revanche, des recherches comme "tous les documents textes cryptés venant d'Iran" sont trop larges et renvoient trop d'informations : il est cependant possible de les faire, mais en les affinant, explique le document.

STOCKAGE LIMITÉ

La quantité faramineuse de données concernées par ce programme oblige la NSA à faire du tri : seuls trois à cinq jours de données sont conservés. En revanche, l'agence stocke pour une durée plus longue des contenus qu'elle estime importants.

Selon le document, qui semble être avant tout destiné à promouvoir les capacités de l'outil auprès des analystes et des sous-traitants de l'agence, 300 terroristes auraient été arrêtés grâce à XKeyscore.

Dans un communiqué au Guardian, la NSA s'est mollement justifiée : "Les allégations d'un accès généralisé et sans contrôle des analystes à toutes les données récoltées par la NSA sont simplement fausses. L'accès à XKeyscore est limité aux personnel qui en ont besoin dans le cadre de leur mission."

 

Source : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/07/31/l-o...

 

05/07/2013

Bienvenue dans le Ku Klux Klan de Dimitris Gerardis

Dimitris Gerardis, né en 1968, est un réalisateur et documentariste grec

 

 

Relayée par Voix Dissonantes http://jlmi.hautetfort.com/

Cache misère au G8 2013 en Irlande du Nord

 

Relayée par Voix Dissonantes http://jlmi.hautetfort.com/

29/06/2013

A saisir ! Esclaves européens en solde

Samedi 29 Juin 2013 à 14:00

http://www.marianne.net/A-saisir--Esclaves-europeens-en-s...
Nathalie Gathié


 

Ils viennent trimer sur les chantiers, dans les transports ou les abattoirs, pour 3 à 6 € l'heure, au mépris de toutes les règles de sécurité. Et le plus légalement du monde. Car ces travailleurs "low cost" sont tous européens.


20 MINUTES/SIPA
20 MINUTES/SIPA
Augusto de Azevedo Monteiro voulait gagner sa vie. Il l'a perdue. Maçon détaché en France par EYP, une boîte portugaise, cet ouvrier usinait sur l'air très en vogue de la sous-traitance à bas coût dans la gadoue d'un chantier de Spie Batignolles, à Villeneuve-la-Garenne. Le 6 décembre, il est mort écrasé par une dalle qu'un coffrage hâtif à force de cadences infernales n'a pas su contenir.

Enfant d'Esposende, ville voisine de Braga irriguée par la crise et ses misérables affluents, Augusto de Azevedo Monteiro avait 35 ans, une famille et plus un euro rouillé en poche. Les 565 € brut de son dernier Smic flambés, ses allocations chômage taries, il avait opté pour une mission en France. « Notre pays agonise et nous constituons une main-d'œuvre bon marché, confie une salariée francophone d'EYP. On sait que Spie fait appel à nous parce que nous coûtons moins que nos concurrents français. »

Roumaines, polonaises, espagnoles ou portugaises, les plaques d'immatriculation des camionnettes de société ou d'agences d'intérim alignées sur le parking de Villeneuve-la-Garenne disent la géographie de la crise. A en croire le communicant de Spie, pourtant, « EYP a été préféré à deux candidats hexagonaux pour des raisons de disponibilité, rien d'autre ! » Les Portugais parlent plus clair : « Nous n'avons presque plus de clients locaux et, quand c'est le cas, ils n'honorent pas leurs factures, tranche l'employée d'EYP. Spie au moins paie nos prestations : la détresse des uns fait les bonnes affaires des autres, c'est comme ça...»

L'(a)moralité de cette histoire, les bâtisseurs français l'ont bien comprise : faute de pouvoir délocaliser leurs chantiers, ils importent à grandes pelletées des ouvriers certifiés low cost par des entreprises sous-traitantes ou des agences d'intérim implantées dans des territoires où le coût du travail s'évalue en nèfles. C'est « malin », c'est légal, c'est européen.
 

En 1996, les crânes d'œuf de Bruxelles bétonnent une directive autorisant le « détachement temporaire de travailleurs » entre pays de l'UE. Alimentée par la disette qui sévit au sud, facilitée par les écarts de niveau de vie entre anciens et nouveaux entrants, la braderie tourne depuis le milieu des années 2000 à l'opération déstockage. Soldes à l'année, prix discount garantis. « Cette pratique est compétitive car ces salariés voyageurs restent assurés dans l'Etat d'établissement de leur employeur, avance Fabienne Muller, chercheuse en droit social à l'université de Strasbourg. Or, pour un non-cadre, les cotisations patronales varient de 38,9 % en France à 24,6 % en Espagne, 18,3 % en Pologne, pour tomber à 6,3 % à Chypre ! » Inutile de tyranniser les calculettes pour comprendre qu'entre le détachement et les employeurs français l'attraction est fatale.

De 10 000 en 2000, les pèlerins du turbin sont, selon le ministère du Travail, 145 000 aujourd'hui. « Ils permettent aux entreprises utilisatrices de réaliser une économie allant jusqu'à 25 % », note un inspecteur du travail. Juteux, oui, mais pas assez. En février 2011, un rapport parlementaire éclaire la face cachée du phénomène et porte le nombre de détachés à 435 000 : moult itinérants, dont un tiers tribulent dans le BTP, échappent en effet aux statistiques à force de magouilles. 
 

« Les Français avaient l'air de Playmobil tellement ils étaient protégés. »

Ouvriers, Bordeaux - PASTORNICOLAS/SIPA
Ouvriers, Bordeaux - PASTORNICOLAS/SIPA
En juin 2011, à l'issue d'une série d'accidents du travail non déclarés, Bouygues avait dû divorcer d'Atlanco : cette société de travail temporaire opportunément localisée à Chypre avait envoyé des brassées de Polonais sans couverture sociale sur le chantier de l'EPR de Flamanville, dans la Manche.

Dans la foulée de ce couac nucléaire, le parquet de Cherbourg a ouvert quatre enquêtes. Pas moins ! Car, si les nomades de la truelle sont détachés, c'est d'abord de leurs droits. « Les textes prévoient qu'ils bénéficient du noyau dur de notre législation, salaire minimum et horaires de travail en tête. Or, c'est rarement le cas », tonne Laurent Dias, responsable de la CGT construction en Auvergne.

« La plupart du temps, les employeurs étrangers présentent des déclarations de détachement dûment remplies, enchaîne Renaud Dorchies, chargé de la lutte contre le travail illégal à l'Urssaf de Basse-Normandie. Mais, entre les salaires mentionnés et les sommes réellement versées, il y a un monde : beaucoup d'ouvriers rétrocèdent une partie de leur obole en rentrant chez eux, se voient infliger des retenues pour l'hébergement ou la nourriture théoriquement pris en charge... Jamais ils ne s'en plaignent : dans cet univers vicié, c'est malheur à celui qui l'ouvre. Aujourd'hui, on a des Bulgares qui se bousculent pour 300 € mensuels... »

Le limier de l'Urssaf a récemment épinglé une famille roumaine, fournisseuse de bras pour une entreprise nationale : « Père et fils avaient créé une société boîte aux lettres en Roumanie. Contrairement aux règles en vigueur, elle était dénuée de toute activité sur ses terres et déversait chez nous des soutiers payés à peine plus que le Smic roumain [180 €]. C'est une entourloupe classique. » Classique aussi, l'empilement des prestataires façon mille-feuille. « Sur les gros chantiers, ajoute l'enquêteur, on peut recenser huit ou neuf rangs de sous-traitants : les salariés ne savent plus à qui ils appartiennent ! »

Passé les bornes, y a plus de limites ? « Il est urgent de démanteler les montages illégaux qui faussent les règles de la concurrence, avance le cabinet de Michel Sapin, occupé à une révision de la directive de 1996. Nous plaidons aussi pour renforcer la responsabilité civile et pénale des donneurs d'ordre. » Les politiques français aboient... Leurs confrères anglais, polonais et autres ayatollahs de la flexibilité, crient au combat d'arrière-garde. Annoncé fin février, le remaniement de la directive a été reporté à des calendes qui pourraient être grecques.

Tant pis pour le dumping social alors que, en 2012, les dépôts de bilan dans le BTP ont bondi de 6 % ; tant pis pour les 40 000 emplois menacés d'ici à fin 2013. « Tant mieux pour le marché aux esclaves ! » raille le cégétiste Laurent Dias. Sherlock des parpaings, ce fils de réfugiés politiques portugais s'évertue à débusquer les anguilles sous échafaudages et tonitrue que « la "bolkensteinisation" des masses trimbalées d'un pays de l'UE l'autre pour des clopinettes est actée ».

Et de brandir la fiche de prestation d'un plaquiste polonais : traduite par une interprète, elle indique 628,80 € pour 169 heures. Le contrat de détachement établi voilà quelques mois entre MPP, pointure de l'intérim portugais, et Alberto, vaut lui aussi le coup d'œil : prêté à Sendin SA, prospère armaturier français, Alberto a officié sur une grande œuvre de Bouygues, à Boulogne. Une collaboration couronnée par 610 € mensuels. Champagne ! Pour le DRH de Sendin, « s'il y a eu manquement, c'est de bonne foi ! Tous mes intérimaires étrangers sont déclarés au Smic, mais je n'ai pas accès à leurs fiches de salaire, le droit m'en empêche. Si je pouvais, je vérifierais ! Reste que nous ne bosserions pas pour Eiffage ou Vinci si nous étions des barbares !» A écouter Joaquim, 48 ans, la chose se discute.
 

Présentation des résultats, 2010 Eiffage. Jean-François Roverato Chairman et Pierre Berger - MEIGNEUX/SIPA
Présentation des résultats, 2010 Eiffage. Jean-François Roverato Chairman et Pierre Berger - MEIGNEUX/SIPA
Originaire de Porto, il s'est démené quatre mois, au printemps 2012, sur le chantier du Carré de Jaude, mégacomplexe immobilier édifié par Eiffage à Clermont-Ferrand. Ferrailleur, il s'activait pour l'armaturier tricolore ASTP via la défunte agence d'intérim lusitanienne Paulo SA. 

« Les Français avaient l'air de Playmobil tellement ils étaient protégés. Moi, j'œuvrais en suspension sans panoplie de sécurité. » Fruit de ses contorsions : « 600 € mensuels. Paulo SA en retenait 80 pour le mobil-home où je dormais, dans un camping. Les deux derniers mois, je n'ai rien touché. On m'a expliqué qu'ASTP était en redressement judiciaire. »

Précisons pour la bonne bouche qu'ASTP, experte ès détachements fumeux, est gérée par le frère du patron de Sendin SA. Une famille formidable ! « Quand j'ai signalé au chef de chantier d'Eiffage que mes sous étaient bloqués, poursuit Joachim, il a soupiré que c'était pénible. » Une empathie à la hauteur des positions du groupe : en septembre 2012, Michel Gostoli, président d'Eiffage Construction, écrivait ainsi à la CGT, mobilisée sur cette affaire : « L'entreprise ne peut être tenue responsable du non-paiement d'un quelconque salarié prêté. [...] Nous ne sommes pas en mesure d'exiger de nos sous-traitants qu'ils nous communiquent des éléments de rémunération de leurs personnels. » Ponce Pilate ne se serait pas mieux rincé les pognes.

Joaquim pourtant est résolu à porter son infortune devant les prud'hommes avec le soutien de l'inusable Laurent Dias. « Je veux récupérer mon argent, réagit-il. Au Portugal, avec mes 5,50 € l'heure, je m'en sortais mieux. Ici, je n'étais même pas à 4 €. » A peine plus qu'Hugo et ses 3,17 € : enrôlé avec deux camarades par un compatriote véreux, ce trentenaire déjà voûté veut lui aussi en découdre. « On n'a pas été payés, les prud'hommes de Draguignan doivent nous rendre justice, scande-t-il. Cinq cent cinquante euros mensuels pour 40 heures hebdomadaires, c'est un tarif de chiens et on nous l'a refusé ! Quand l'un de nous s'est sectionné le tendon avec une scie circulaire, il a été jeté à l'hôpital comme un déchet, personne n'a été alerté. On ne mérite pas ça...»

Derrière cette valse des pantins, plusieurs marionnettistes : un maître d'œuvre, Var Habitat, qui plaide l'ignorance. Un sous-traitant, La Valettoise, qui jure avoir « cédé au low cost pour surnager à l'heure où tous les coûts sont tirés vers le bas». Une boîte d'intérim, Proposta Final, dissoute après avoir été sanctionnée pour «non-versement des rémunérations»... mais dont Marianne a retrouvé l'agité fondateur.

« Moi, je m'en fous, de tout ça, braille-t-il. J'ai monté une autre affaire en France avec une filiale au Portugal : là-bas, mes cinq sœurs trouvent des candidats par petites annonces et me les ramènent. Y a qu'à ramasser ! » Et de fanfaronner : « En ce moment, j'ai 10 gars à Toulon, 15 autres à Grenoble. Avec moi, un patron français économise 800 € par tête d'ouvrier. Je fais mon beurre et le Portugais, il est content. » Ce parangon d'intégrité a baptisé sa nouvelle machine à asservir Pioneiros em marcha, soit « Pionniers en marche ». Pour qui considère l'espace économique européen comme un nouveau Far West, ce n'est pas mal vu...

« Nous sommes sans arrêt démarchés par mail, par fax ou de visu par des commerciaux très rentre-dedans, ronchonne Patrick Liebus, de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Ces rabatteurs se comportent comme des maquereaux ! » 
 

Illustrations par quelques échanges téléphoniques : « Le tarif de nos intérimaires est négociable, on fait des prix de gros, promet Eurokontakt, boîte de placement de personnel temporaire basée à Wroclaw, en Pologne. Plus vous me prenez d'hommes, plus vos coûts de production baisseront. Et, si l'un de nos gars ne vous convient pas, on vous le remplace sans frais. » Un modèle de service après-vente !

Variation sur le même boniment dans les rangs d'Operari, domiciliée à Varsovie : « Tout se marchande, c'est la mondialisation. Si un patron français attaque bien la masse et me recrute assez de types, je lui facture le mec 13 € l'heure, deux fois moins qu'un prolo français. En plus, le Polonais ne fait pas de chichis tandis que le Gaulois - je le sais, je suis français - exige une prime intempérie à la première averse.»

La toujours polonaise Budex, qui affiche ses partenariats avec Bouygues et Vinci, vante le « courage » et la « motivation » de ses poulains avec la délicatesse d'un éleveur flattant le cul de ses vaches au Salon de l'agriculture. Au sud, au Portugal, la foire aux bestiaux bat aussi son plein. « Nos ouvriers savent se faire mal sans se rebeller », plastronne un certain Laurentino. Fondateur d'une « compagnie » (sic), l'homme « repère les boîtes en faillite dans la presse portugaise, drague les futurs licenciés et les détache en France. Mes équipes triment jusqu'à 60 heures par semaine, au-delà, elles fatiguent : sur les contrats, je diminue les heures réellement effectuées, j'augmente artificiellement le tarif horaire, et ça passe ! »
 

Sarkozy salue les ouvriers oeuvrant à la construction du u nouveau siège de la direction générale de la gendarmerie nationale(DGGN) - LUDOVIC-POOL/SIPA
Sarkozy salue les ouvriers oeuvrant à la construction du u nouveau siège de la direction générale de la gendarmerie nationale(DGGN) - LUDOVIC-POOL/SIPA
Face à ces contournements, les organismes de contrôle tricolores sont priés de se mobiliser sans moyens. « Sarkozy nous a saignés, nous sommes à peine 1 200, râle un inspecteur du travail. De plus, notre organisation est territorialisée : comment tracer des dossiers transfrontaliers quand on ne peut intervenir au-delà de sa région ? » Pour l'efficace et entêté Renaud Dorchies, de l'Urssaf, « ces affaires peuvent décourager car nous nous heurtons à la résistance de certains pays, dont les administrations ne collaborent pas du tout ».

Et de prévenir que, « faute de contre-feux efficaces, ces pratiques vont tourner au drame économique ». Volubile leader de la Capeb, Patrick Liebus acquiesce : « A systématiquement privilégier le moins-disant, les cadors de la construction ont introduit le ver de la concurrence déloyale dans le fruit. Aujourd'hui, pour remporter les marchés, les sous-traitants attitrés des Eiffage, Bouygues et Vinci sont acculés au low cost, c'est dévastateur. »

Membre de la très libérale Fédération française des travaux publics jusqu'en juin 2012, Jean-Yves Martin aurait-il tourné casaque ? Dans un curieux revirement idéologique, il pourfend un « système délirant » : « Soit on s'adapte au train d'enfer mené par les majors elles-mêmes pressurées par les maîtres d'ouvrage, soit on coule. On est dans la même folie que celle qui convertit le cheval en bœuf. » Qui fait le cheval, qui fait le bœuf ? Jean-Yves Martin hésite.

Et pour cause : liquidée l'été dernier, Centrelec, son entreprise, a en son temps sollicité un sous-traitant polonais... Vous avez dit double langage ? Prompt à éreinter la « frénésie low cost », Didier Ridoret n'en préside pas moins la patronale Fédération française du bâtiment (FFB), qui draine les mammouths écraseurs de prix : « J'ai 57 000 adhérents parmi lesquels figurent certainement des moutons noirs, mais je défends l'avenir de l'activité. La directive de 1996, même appliquée à la lettre, est devenue intenable. Cette compétition biaisée nous tue. »

Déontologue autoproclamé, Ridoret se refuse à tancer les mauvais élèves de la FFB, au motif qu'il « ne dirige pas un ordre ». « Si j'évinçais ceux qui sont en délicatesse avec le fisc, l'hygiène ou les règles du prêt de main-d'œuvre... » Avec des adversaires de cet acabit, le détachement n'a pas besoin de partisans.

« En France, ce dispositif est perçu comme honteux, mais cette Europe-là, les politiques l'ont voulue. Il n'y aura pas de retour en arrière : Bruxelles y verrait un abus de protectionnisme », analyse Pierre Maksymowicz, créateur d'In Temporis, spécialiste des mobilités intra-européennes. De Lublin, où il développe honnêtement son business, il témoigne que Maurice Taylor is rich... de partisans.

A l'instar du patron de Titan, Pierre Maksymowicz conchie les ouvriers français « obnubilés par leurs pauses- cigarette et incapables de rivaliser avec nos Polonais et nos Roumains en termes de rendement ». Et de lâcher : « Tous mes clients français me disent que, chez eux, c'est "bonjour paresse". Ce refus de la pénibilité se traduit par une énorme pénurie : nos intérimaires ne font que colmater les brèches.» Avec 8 000 chômeurs supplémentaires recensés chaque mois dans le BTP, la pénurie sent l'alibi.

Patron du groupe Sesar, 160 salariés, Benoît Perret a sollicité une boîte portugaise pour rafler un appel d'offres d'Eiffage. « Ici, on manque vraiment de candidats dans les jobs d'exécution et, quand on trouve, il y a un déficit d'implication, commence-t-il par justifier. Je suis allé saluer mes intérimaires portugais et tous m'ont remercié de leur donner du travail. Chez nous, c'est impensable. »

Serait-ce la seule ingratitude de ses compatriotes qui l'aurait converti aux vertus du détachement ? « Aujourd'hui, admet-il, les donneurs d'ordre négocient prix et délais jusqu'au bout : le prêt de main-d'œuvre est la seule parade à leurs exigences. C'est tragique, mais tout le monde s'y met. » Kader, 56 ans, s'en désole. Chef de travaux pour un géant du secteur, il compare la déferlante low cost à « un virus qui ne profite qu'aux patrons. La misère de ces gars est utilisée pour nous démoraliser et nous convaincre que nos droits d'ouvriers vont régresser. Le pire, c'est qu'on n'arrive pas à expliquer à ces malheureux qu'ils nous précipitent vers le bas : ils sont dressés pour subir. Encore plus opprimés que nous, les Arabes, dans les années 60 ». A l'Europe, rien d'impossible.
 

 

QUAND L'EUROPE ÉTRANGLE SA MAIN-D'OEUVRE

Faute d'harmonisation sociale dans l'Union européenne, le recours à des «travailleurs détachés» menace des pans entiers de l'économie, s'alarme un rapport parlementaire rendu public fin mai. Le «détachement» consiste, pour un patron, à envoyer ses employés exercer temporairement leurs fonctions dans un autre Etat membre de l'Union. La manip ? Les charges sociales appliquées restant celles du pays d'origine, ces travailleurs low cost venus d'Europe de l'Est ou du Sud triment pour 3 à 6 € l'heure. Vive le dumping social made in Europe !
 
 


1,5

C'est, en million, le nombre de travailleurs détachés, selon la Commission européenne. Une grande partie d'entre eux n'est pas déclarée.