Parti pour durer au moins 40 ans, selon les propres estimations de Tepco, le démantèlement de la centrale de Fukushima manque déjà de bras. Selon le Fukushima Diary, un site d’informations tenu par un journaliste japonais réfugié en France, « la pénurie en travailleurs pour Fukushima est un des plus importants soucis pour le démantèlement de la centrale ». Au cours d’une conférence de presse tenue le 8 mars 2013, Tepco a fait part de sa difficulté à « maintenir stable le recrutement de travailleurs pour Fukushima ».
De quoi inquiéter l’opérateur japonais. A supposer qu’il n’y ait plus de tremblement de terre majeur durant la période, Tepco devrait mettre au moins 56 ans pour déverser tout le tritium en mer, « ceci dans l’hypothèse que le volume d’eaux stockées n’augmentera plus jamais, même de 1 cm³ et qu’ils déversent tous les jours le tritium dans la mer au plus haut niveau autorisé par les règles de sécurité ».
Résultat, les sous traitants font dans la surenchère et rivalisent d’imagination pour attirer le nettoyeur dans la zone contaminée. Une entreprise a ainsi passé une annonce proposant entre 30.000 et 50.000 yens par jour (250 à 400 euros) de travail pendant trois mois. Précision utile : « Le lieu de travail est dans une zone à haute dose ».
Nettoyeur, une "radiation" sociale
Deux cents cinquante à quatre cents euros la journée d’exposition aux radiations, c’est donc le prix d’une vie estimé par les entreprises chargées de la liquidation de Fukushima. Le gros lot ! Selon une étude réalisée par Tepco, le salaire moyen horaire des ouvriers présents sur la zone de décontamination ne dépasse pas 7 euros et près de la moitié des travailleurs sous contrat à Fukushima ont trimé dans des conditions qui ne respectaient pas le code du travail.
Dans sa grande bonté l’opérateur s’est malgré tout récemment engagé à « améliorer l’environnement de travail des personnels engagés par les sous-traitants ».
Car non contents de « bouffer du becquerel », les nettoyeurs subissent également un véritable déclassement social : « Les salariés de Tepco risquent de suivre la trajectoire des vétérans de la guerre du Vietnam dont beaucoup ont été rejetés par la société à leur retour, sont devenus des sans abri, ont sombré dans l'alcoolisme et les drogues ou se sont suicidés » explique au Guardian Jun Shigemura, maître de conférences au département de psychiatrie du National Defense Medical College. « Ils ne dirigent pas l'entreprise ni ne sont responsables de la catastrophe, mais ils éprouvent un sentiment de culpabilité et de responsabilité. Ils méritent plus de respect, dans la mesure où ils font l'un des métiers les plus difficiles au monde ».
Ainsi, les travailleurs temporaires qui ont reçu des doses de rayonnement équivalente à la dose annuelle maximale admissible pour un travailleur à temps plein nucléaire sont rejetés et ne peuvent pas travailler à nouveau dans l'industrie pendant une période minimale de quatre ans. « Les intouchables de Fukushima » subissent un déclassement social semblable à celui des castes du japon féodal. Du temps des samouraïs, les burakumin exerçaient ainsi tous les métiers dégradants : « la discrimination a commencé au 9ème siècle. Les burakumin étaient ceux qui touchaient le sang notamment les gens qui préparaient la nourriture pour les faucons, car la chasse au faucon était la grande distraction à l’époque. Tous les métiers liés au sang, au traitement des peaux et à la mort des animaux se sont trouvés marginalisés notamment en raison des préjugés shintô et bouddhiques de l’époque. Prendre la vie à un animal était considéré comme un crime » explique Jean-François Sabouret chercheur au CNRS, spécialiste du Japon et auteur d’une thèse et d’un ouvrage sur les Burakumin.