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30/08/2019

Avis de double parution : Pandémonium II et Toboggan de velours

 

Comme une vaillante petite tailleuse de livres, je vous en sors deux d’un coup ! Et c’est dans la posture du grand écart que je fais moi aussi ma rentrée littéraire, le 1er septembre, avec deux livres aux antipodes l’un de l’autre : un dur et un doux, un noir et un lumineux, un grave et un léger, un engagé enragé et un tout délicieux sans danger pour le lecteur, ce qui n’empêche l’humour dans le premier avec les superbes illustrations originales de Joaquim Hock et de la profondeur dans la légèreté du second : toutes ces nuances humaines.

 

Voici donc Pandémonium II

 

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Pandémonium II fait suite à Pandémonium I et il est dédié à mon tout premier et très regretté éditeur, Marcel Chinonis, qui avait publié ce tout premier livre en 2001. Il est illustré par Joaquim Hock, un complice de la première heure également, Illustre Illustrateur Attitré de ma revue Nouveaux Délits pendant des années, illustrateur également de mon Jardin du causse (à tire d’ailes, 2004) et des Poèmes follets & chansons follettes pour grands petits et petits grands (Nouveaux Délits, 2013).

 

« mais ce que nous n'avions pas prévu
c'était l'immense vague des bas-fonds
toute la misère accumulée
en strates et dératés
toutes les injustices
et nos impunités
rois du monde nous étions
à faire péter le bouchon
de nos magnums de pétrole »

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Édité et imprimé par l’auteur

sur papier 100 % recyclé

 

Illustrations en nb de Joaquim Hock

 

Format 14,8 x 21 cm

48 pages agrafées

 

12 € + port

 

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et Toboggan de velours !

 

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Toboggan de velours comme son nom l’indique vous invite à vous laisser glisser les yeux bandés. Poèmes d’atmosphère,  douceur, magie, mystère et quelques piquants soyeux d’impertinence.

 

 

« Glissade vers la nuit

ses rivages de velours

son écrin de pluie

toute chaude d'amour

se saisir de la chair

y sculpter le plaisir

descendre vers la mer

abreuver son désir

et rejoindre l'Éther »

 

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Édité et imprimé par l’auteur

sur papier 100 % recyclé

 

illustrations en couleur de l’auteur 

 

Format 10,5 x 20,5 cm

32 pages agrafées

 

10 € + port

 

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Frais de port : 2 € par livre.

Si vous commandez les deux en même temps : 3,50 €

 

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Et le monde devint silencieux - Comment l'agrochimie a détruit les insectes de Stéphane Foucard

 

 

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Date de parution 29/08/2019 aux éd. du Seuil
20.00 € TTC
336 pages

 

 

Comment l’industrie des pesticides a orchestre? Le plus grand désastre écologique du début du XXIe siècle.

 

Souvenez-vous de la route des vacances. Il y a seulement vingt-cinq ans, il était impossible de traverser le pays en voiture sans s’arrêter pour éclaircir le pare-brise, où des myriades d’insectes s’écrasaient. Cette vie bourdonnante s’est comme évaporée.

Depuis le début des années 2000, les géants de l’agrochimie ont installé l’idée que la disparition des insectes était une énigme. Cette conjonction mystérieuse serait due à de multiples facteurs, tous mis sur un pied d’égalité : destruction des habitats, maladies, espèces invasives, éclairage nocturne, mauvaises pratiques apicoles, changement climatique…

 

En réalité, la cause dominante de ce désastre est l’usage massif des pesticides néonicotinoïdes. Depuis leur introduction dans les années 1990, les trois quarts de la quantité d’insectes volants ont disparu des campagnes d’Europe occidentale.

 

Ce livre montre comment les firmes agrochimiques ont rendu possible cette catastrophe, en truquant le débat public par l’instrumentalisation de la science, de la réglementation et de l’expertise. Voici le récit complet et précis de l’enchaînement de ces manipulations, les raisons de ce scandale.

 

Stéphane Foucart est journaliste au Monde, où il couvre les sciences de l’environnement. Il a été lauréat, en 2018 avec Stéphane Horel, de l’European Press Prize, catégorie « investigation ».

 

 

 

 

19/08/2019

Tout est provisoire même le titre de Mix ô ma prose

Cactus Inébranlable, coll. Les p’tits cactus # 49

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2019. 80 pages, 9 €.

 

 

« Être fier d’aller de l’avant,

Debout sur un tapis roulant »

 

 

En voilà un drôle de zèbre (clin d’œil à ceux qui se reconnaîtront) ce Mix ô ma prose ! Son Tout est provisoire même le titre est un vrai festin, un concentré de nourriture aussi délicieuse que corrosive, le lecteur n’en fera cependant pas indigestion car le plat est drôlement bien équilibré. Avec intelligence, justesse, une lucidité à vif et une ironie salvatrice, l’auteur qui n’aime pas signer de son nom, pose des pensées qui claquent, des mots kits de survie dans un monde carré à sens unique où l’impératif d’avoir, de réussir, mentir, gonfler, tricher, paraître mieux pour gagner du creux, assomment toute tentative de réelle humanité.

 

« Je voulais être,

Je me suis fait avoir. »

 

Et savoir exprimer l’essentiel en deux phrases, c’est un art.

 

« Entre moi et le bleu du ciel,

Le langage institutionnel. »

 

Tout est provisoire même le titre est une sorte de pense pas bête libert’air qui sans se prendre au sérieux, ni donner de leçons à personne, creuse des issues de secours vers des cieux plus sauvages, plus authentiques, vers la liberté d’être soi envers et avec tout en échappant aux injonctions de l’artifice.

 

« Connaissant la musique,

Je reste hors de portée. »

 

« De nos jours,

Réfléchir,

C’est refléter

Ce qui est proposé. »

 

« La nature enfin dominée,

Belle et triste comme un herbier. »

 

« Tout est cher,

Même la réalité a augmenté. »

 

« C’est vous qui composez votre menu,

Et c’est comme cela qu’ils nous ont eus. »

 

« Avoir un cœur de pierre

Pour faire carrière. »

 

Mais l’auteur, s’il pense que son nom n’a pas d’importance, ne se cache pas tant que ça : maniant l’humour sans céder à la facilité, il s’expose au contraire, se dénude, dans sa fragilité, son handicap à la normalité et ses « rêves savonnettes ».

 

« Si je devais résumer ma vie :

Tant pis ! »

 

« J’ai pris de la mort avec sursis. »

 

« Avec la société d’aujourd’hui,

J’ai des rapports non consentis. »

 

« Ma vie parmi les hommes :

Syndrome de Stockholm. »

 

« Pas évident,

quand nos centres d’intérêt

Sont à la marge. »

 

« Mes utopies

Sur un bûcher

Sont accusées

De sorcellerie. »

 

« Depuis le temps que la lutte est finale... »

 

« Je me suis coupé de la société

Et la plaie ne s’est jamais refermée. »

 

 

Si vains les efforts pour « en être ».

 

« L’ego gonflé à bloc

Pour aller en soirée

Tenter de s’éclater. »

 

« Toujours à fond,

Mais en surface. »

 

« Merde, le fond de ma pensée est percé ! »

 

« Miroir, miroir, mon beau miroir,

Suis-je le plus rebelle ? »

 

« Suis-je négatif parce que j’ai refusé

d’être un cliché ? »

 

« Je reste à l’écart

Et il se creuse. »

 

 

Comme il le dit lui-même, Mix ô ma prose fait

«  de la poésie

Par souci d’intégrité

Car c’est bien connu,

Elle ne se vend pas. »

 

« Pour être précis,

La formule exacte est :

Poète autotorturé »

 

 

Mais le poète a pris l’option linguistique pour mettre à jour nos tics de langage.

 

« Ah des tics !

J’ai eu peur, j’avais compris

"d’éthique" ! »

 

 

« J’ai beau lécher les vitrines,

Aucune trace de cyprine. »

 

 

« Et pour une fois

Qu’il y a quelque chose de gratuit

c’est la méchanceté »

 

 

«  Ainsi les publicités pourraient être

mensongères ? »

 

 

«  Au lieu de la campagne

C’est la ville qu’on devrait battre. »

 

 

Il gratte le vernis qui recouvre nos mots pour nous faire entendre ce qui est vraiment dit :

 

 

« Même pour la lecture,

Ils nous ont foutu des grilles. »

 

 

« Même le respect

Il faut le forcer. »

 

 

« Avec tous ces profils,

On ne se regarde plus en face. »

 

 

« Quand on aime, on ne compte pas

Mais on se calcule. »

 

 

« Les décisions sont si lourdes

Qu’il nous faut un porte-parole. »

 

 

« Je ne connais pas le prix de la vie,

Mais il m’a tout l’air soldé ces temps-ci. »

 

 

« On a plus de compassion pour les batteries ;

Quand elles sont faibles, on les recharge. »

 

 

« Sinon pour la prise de conscience,

C’était le bon voltage ? »

 

 

« Ne dites pas que l’on va droit dans le mur ;

Faites comme tout le monde, dites futur. »

 

 

Il dévoile l’absurde dont nos cécités quotidiennes camouflent l’évidence.

 

 

« À part l’épargne,

Y’a quoi comme plan ? »

 

 

« Rien ne marche,

Tout fonctionne. »

 

 

« Même nos codes se barrent. »

 

 

« Le plus inquiétant

C’est que tout soit normal. »

 

 

« Tellement intégré

Que j’ai disparu. »

 

 

« Il y a un scénario à la base

Ou c’est improvisé ? »

 

 

« Putain les gens,

Merde, quoi !

Ça se voit !!! »

 

 

Tout est provisoire même le titre est un petit shoot qui devrait être remboursé par la Sécu :

 

« Bien sûr que l’on a progressé ;

Au départ, il y avait un point

Et on a une ligne à l’arrivée. »

 

« Franchement, Dieu n’est pas si con

Aucune enquête de satisfaction. »

 

 

Petite mais efficace piqûre de rappel pour temps sombre : tant qu’il y a de l’humour, il y a encore une chance pour qu’il y ait de la vie, de la vraie, vivante, impertinente qui se glisse en douce sous des plumes de poètes, là où elle sait qu’elle sera respectée, protégée.

 

 

Cathy Garcia

 

 mix-o-ma-prose-par-morgan-prudhomme.jpgDerrière Mix ô ma prose se cache Olivier Boyron, un Viennois d’origine qui a eu le privilège de grandir dans la « vallée de la mort ». Malgré un cadre apaisant et propice au recueillement, il peine à s’adapter au monde qui l’encercle. Pour lui, le chaos n’est déjà plus une théorie mais une réalité dont il dépassera la friction au travers de nombreuses expériences : écriture, dessins, peintures, théâtre de rue… Mix ô ma prose, lui, nait en 2002 d’une rencontre avec le slam dont il devient un des pionniers en Rhône-Alpes avec La Section lyonnaise des Amasseurs de Mots et Les Polysémiques, association qu’il fonde à la même période. En 2006 il co-fonde La Tribut du Verbe, une compagnie de slam poésie qui propose toujours spectacles et performances. En 2016 Les Polysémiques rajoutent une branche éditions à leurs activités, il en devient le responsable d’éditions. Malgré tout, toujours mal à l’aise avec les conventions, il stoppera net sa déjà courte bio.

 

 

 

 

18/08/2019

Un cadre d’HSBC démissionne publiquement avec une lettre ouverte à l’humanité

 
« Je prends en ce jour la décision de démissionner publiquement à travers cette lettre ouverte ! »Jérémy Désir est un « quant », un mot utilisé dans le milieu de la finance pour désigner un analyste quantitatif. Toujours pas clair ? Les quants, ce sont des ingénieurs spécialisés dans l’application de méthodes mathématiques et statistiques de haut vol à des problèmes de gestion financière. Vulgairement : maîtriser les chiffres pour maximiser les profits. Hier encore, l’homme travaillait au siège de la banque HSBC au département des risques, une position prestigieuse dans le milieu de la finance.

 

Mais voilà, le décalage entre la réalité de la crise écologique et les objectifs de l’entreprise et du milieu financier en général était devenu trop lourd que pour être humainement supportable. Dans sa lettre, il dénonce la passivité grossièrement déguisée de son employeur, HSBC. Il accuse de l’intérieur les manœuvres des puissances financières pour « maintenir cet obscurantisme capitaliste meurtrier ».

Mais il ne s’arrête pas là. L’expert livre surtout un rapport de 50 pages décrivant l’inadéquation criante de la réponse des banques à la crise climatique et ce pourquoi on ne sauvera plus l’humanité en préservant le statut quo.


Un document important qu’il avait précédemment remis à sa hiérarchie, sans effet. L’employé a donc décidé de rendre ce rapport disponible en téléchargement libre. On y trouve « un condensé de faits et d’analyses indiscutables sur l’urgence de notre nécessité d’agir drastiquement avec courage » selon ses mots. Une véritable mine d’or d’informations et surtout une critique systémique des institutions invitant à un changement profond de civilisation et de ses structures économiques dévastatrices.

Ce lundi 29 Juillet 2019, le jour du dépassement mondial, Jérémy Désir prenait donc la décision de démissionner publiquement. Voici sa « Lettre ouverte à l’humanité » telle qu’il nous la livre.



Lettre ouverte à l’humanité


Le capitalisme est mort. Et bien que ces terres encore vierges sur le point d’être broyées, que ces vies encore fragiles sur le point d’être noyées, ne verront peut-être jamais éclore leur lendemain, le capitalisme est bel et bien mort dans son essence, en tant que concept et force structurante de nos affects. Plus vite rendrons-nous les armes avec humilité devant cette incontournable réalité, plus densément la vie dans sa diversité aura de chances de se régénérer. La démonstration ? Bien entendu, l’essor du capitalisme est indissociable des premières formes d’échange mondialisé, dont la plus marquante fut l’esclavage professionnalisé du commerce triangulaire entre l’Europe, les côtes d’Afrique de l’Ouest et l’Amérique. Le capitalisme s’est ensuite imposé comme structure dominante de nos civilisations avec la Révolution Industrielle. Les conceptions économiques, ou courants idéologiques, qui l’ont théorisé se sont exprimés en 1776 avec la Richesse des Nations d’Adam Smith, acte intellectuel fondateur du libéralisme. La « main invisible » y est postulée comme « mécanisme d’autorégulation induit par la rencontre d’une offre et d’une demande sur des marchés décentralisés », et où le point aveugle de l’œuvre tient dans l’omission de l’esclavage, quand bien même ce soit la source principale d’enrichissement des marchands de Glasgow chez qui le professeur Smith vient apprendre l’essentiel de ce qu’il sait en économie. Ce qui fait écrire à Gaël Giraud qu’«autrement dit, la « main invisible » est une main de couleur noire, restée invisible aux yeux de l’analyste « éclairé » que fut Smith.»

Depuis lors, le capitalisme et ses différents courants de pensée libérale, s’est reposé sur trois piliers fortement inter-dépendants :

La propriété privée, notamment des moyens de production;
Le libre échange sur des marchés;
La concurrence libre et non faussée.
Des siècles durant, de Proudhon à Makhno, en passant par Pelloutier ou Ferrer, à la fois créateurs de concepts et de pratiques de solidarité, de réciprocité et de complémentarité, c’est depuis les rangs des libertaires, artisans de la désobéissance civile jusqu’aux luttes révolutionnaires, que se sont dessinés les premières critiques radicales du capitalisme, et arrachées avec violence les premières revendications sociales d’une société humaine plus juste. Ces artisans de la dénonciation et de la destruction méthodiques du capitalisme sont héroïques à plusieurs égards, mais se distinguent d’après moi pour l’avant-gardisme presqu’exclusivement intuitif de leur résistance contre ce système d’oppression totalitaire.

Aujourd’hui, les crises écologiques et climatiques sans précédent affrontées par le vivant, dont l’humanité, ont été modélisées, étudiées et confirmées depuis près de 50 ans. L’état le plus avancé de la recherche scientifique est capable de lire cette altération durable de notre planète dans l’atmosphère, dans les sédiments, dans les roches et dans les glaces. Pour la première fois dans son histoire, l’homme est en mesure de connaître avec une unanimité internationale les causes précises de sa proche extinction, mais aussi les trajectoires à suivre drastiquement s’il veut l’éviter. En Novembre 2018, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), a publié un rapport spécial sur les effets du réchauffement de la planète de 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels et les voies d’émission de gaz à effet de serre (GES) connexes, dans le contexte du renforcement de la réponse mondiale à la menace du changement climatique, du développement durable et des efforts visant à éliminer la pauvreté. Ce rapport répond à l’invitation des 195 pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), contenue dans la décision de la 21e Conférence des Parties (COP 21) pour adopter l’Accord de Paris signé en Décembre 2015.

Les recommandations de ce dernier rapport sont saisissantes, presque révolutionnaires, pour quiconque prenant la peine d’en comprendre les conséquences, malgré des tournures suffisamment policées pour être reprises par toutes les plus hautes instances du capitalisme, au premier rang desquelles se trouvent les banques. C’est à cet instant que s’est figée la contradiction dont elles ne pourront plus sortir, car enfermées dans un contexte de neutralité des émissions totales de CO2 d’ici 2050 auquel elles ont officiellement adhéré:

« D.7.1. Des partenariats impliquant des acteurs non étatiques publics et privés, des investisseurs institutionnels, le système bancaire, la société civile et les institutions scientifiques faciliteraient les actions et les réponses permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C (très grande confiance). »
En 2014, le GIEC écrivait déjà dans ses recommandations que:

« L’atténuation efficace du changement climatique ne sera pas atteinte si chaque agent (individu, institution ou pays) agit indépendamment dans son propre intérêt égoïste (voir Coopération internationale et échange de droits d’émission), ce qui suggère la nécessité d’une action collective. »
Les révolutions conceptuelles du GIEC que l’on peut déduire sont doubles: (1) les sciences naturelles peuvent et doivent produire des recommandations aux dimensions sociale et humaine, en se basant sur ses constats physiquement mesurables (2) le partenariat et l’action collective, nécessaires à un très haut degré de confiance par la communauté scientifique internationale, sont incompatibles avec le troisième pilier du capitalisme: la compétition libre et non-faussée. Déroger à cette règle est explicitement illicite dans le secteur bancaire alors que le GIEC suggère à demi-mot son abolition immédiate via une coopération internationale. Le récent Network for Greening the Financial System (NGFS) faisant suite au « One Planet Summit », regroupant superviseurs financiers et banques centrales afin d’accompagner le secteur dans une transition compatible avec l’Accord de Paris, n’en suggère pas moins dans ses Recommandations d’Avril 2019.

Toujours en termes de réponses institutionnelles, c’est quelques semaines avant la COP 21, en Septembre 2015, que Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre déclare que « le changement climatique menacera la résilience financière et la prospérité à long terme. Bien qu’il soit encore temps d’agir, la fenêtre d’opportunité est limitée et se rétrécit […] Nous aurons besoin de la collaboration du marché afin de maximiser leur impact ». Il annoncera également dans ce discours fondateur ambitionnant de « briser la tragédie de l’horizon », la création future d’un groupe dirigé par l’industrie : Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD). Ce groupe de travail, présidé par Michael R. Bloomberg, a pour but d’entreprendre « une évaluation coordonnée de ce qui constitue une divulgation efficiente et efficace, et concevoir un ensemble de recommandations pour la divulgation financière volontaire des risques climatiques par les entreprises.» Dans leurs recommandations de Juin 2017, une seule métrique quantitative d’intérêt est suggérée de leur part et mise au coeur de leur schéma de divulgation des risques climatiques: l’émission de GES et l’empreinte carbone.

Deux ans plus tard, en Juillet 2019, le TCFD admet le terrible aveu d’impuissance que « compte tenu des changements urgents et sans précédent nécessaires pour l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris, le Groupe de travail est préoccupé par le fait qu’un nombre insuffisant d’entreprises divulguent de l’information sur les risques et les possibilités liés au climat. » Ceci était entièrement prévisible étant donné l’absence alarmante d’une quelconque forme de sanction légale ou économique dans ces initiatives endogames, complaisantes et basées sur le volontariat. C’est aussi avec la plus grande décontraction que ce rapport nous renvoie à un autre rédigé par les Nation Unis, où l’on apprend que « les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent culminer d’ici 2020 et diminuer rapidement par la suite pour limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 1,5 °C […]. Cependant, sur la base des politiques et engagements actuels,  » les émissions mondiales ne devraient même pas culminer d’ici 2030, et encore moins d’ici 2020.  » »

Ainsi, les seules institutions légitimes pour accompagner les plus hautes instances d’un « capitalisme devenu fou » dans des contraintes éco responsables sont impuissantes devant un secteur privé incontrôlable et hostile aux moindres formes de régulation. Pourquoi une telle réticence de la part des banques et des plus grandes multinationales cotées à ne serait-ce que traquer leurs émissions de GES, et donc l’impact carbone de leur bilans financiers ? Car aucune de ces firmes ne tient à dévoiler publiquement la contre-partie meurtrière pour la Terre et les Hommes de leurs profits et valorisations toujours plus déconnectées de toute réalité physique. En outre, cela donnerait une mesure indiscutable de la toxicité d’un libre-échange toujours plus énergivore, pourtant second pilier du capitalisme.

Concernant le premier pilier, sans doute le plus coriace à remettre en question tant il déchaîne les passions, y compris dans le camp de ceux que le capitalisme oppresse plus qu’il n’enrichit, la vacuité de ses justifications théoriques est progressivement mise en lumière par une approche énergétique de la croissance qui ne peut que tendre à se populariser. Une fois ce constat établit et les liens tissés par l’incompatibilité des deux autres piliers avec les objectifs de neutralité carbone d’ici 2050, même les idéologues les plus charismatiques ne pourront plus désigner la propriété privée comme autre chose qu’un vol. Un vol auprès des peuples qui font vivre ces biens communs et sont condamnés à n’en récolter qu’une fraction des bénéfices, mais aussi auprès des espèces vivantes dont l’extinction de masse en cours fera comprendre bien assez vite aux plus irresponsables et inconscients ce que leur manque signifie pour nos écosystèmes fragiles.

En d’autres termes, les trois piliers sur lesquels se sont appuyés le « progrès » de nos civilisations ont systématiquement occulté, volontairement ou non, la notion d’énergie primaire et humaine dans leurs chaînes de valeurs, les soumettant ce faisant à des arbitrages incontrôlables et dénaturés. L’économie, voulant pourtant se travestir en science naturelle et donc quasi indiscutable hors des cercles les plus savants, s’est permise d’omettre les sciences physiques de ses équations financières, et son ignorance crasse en fait payer le prix à la Terre de manière irréversible, ainsi qu’un reste d’une humanité, réduits à l’état de « déchets ».

J’en viens au but de cette lettre. Celui-ci passe par une brève description de mon parcours personnel.

En premier lieu concernant ma formation académique. Elle s’est formée autour des Mathématiques, de la classe préparatoire à la grande école d’ingénieur, aux Mines de Saint-Etienne. Après une première année de tronc commun, je prends l’option Data Science couplée à la spécialité Big Data en 2ème année, puis me dirige vers une 3ème année en double diplôme au « Master of Science in Risk Management and Financial Engineering » de l’Imperial College London.

L’ambition étant de devenir un analyste quantitatif, ou quant. Ces ingénieurs et chercheurs modélisent des problèmes financiers: du pricing de produits dérivés aux stratégies de trading, en passant par la gestion des risques. Décidant de vouloir pousser la fibre mathématique qui m’y avait conduit car partiellement déçu du contenu technique de ce master, je décidais après un deuxième stage en finance, de poursuivre mes études par l’une des meilleures formations en mathématiques financières: le M2 « Probabilité et Finance », co-habilité par l’UPMC et l’Ecole Polytechnique, à Paris-VI.

Trois ans plus tard, me voici à Londres, au siège de la banque HSBC, occupant depuis près d’un an le poste de quant dans le département des risques. J’y valide indépendamment les stratégies de trading algorithmiques élaborées par le front office, de la qualité des données à la gouvernance, en passant par les performances de l’algorithme. Après plusieurs mois d’exposition médiatique intense des crises sociales et écologiques de notre monde, je n’arrive plus à me contenter de ces maigres éparpillements bénévoles auxquels je croyais pourtant profondément. Cette tendance nouvelle de la « Data For Good » en partenariats avec ONG et charités, énième anesthésiant de bonne conscience sur une plaie gangrenée qu’on ignore, dont les acteurs les plus sincères ne remettent jamais en question les fondements aliénants de notre civilisation. Même la désobéissance civile aux méthodes jugées « radicales » d’Extinction Rebellion, à laquelle je pris partiellement part en Avril, n’y suffisaient évidemment plus. La passivité grossièrement déguisée de mon employeur pour faire face à ce désastre enfin médiatisé, qui plus est suivant la farce symbolique d’ un « état d’urgence climatique » décrété le 1er Mai par la Grande-Bretagne, a confirmé mes intuitions d’une impuissance passive et complaisante face au désastre en cours.

C’est pourquoi j’ai élaboré un rapport de 50 pages sur l’inadéquation criante de la réponse des banques à la crise climatique, ainsi que plusieurs recommendations, et l’ai transmis Lundi 15 Juillet, à mon chef d’équipe, docteur en physique et ancien trader quantitatif aujourd’hui superviseur de validation de modèles. Cet ultime condensé de faits et d’analyses indiscutables sur l’urgence de notre nécessité d’agir drastiquement avec courage, met également l’accent sur les réponses institutionnelles données par le secteur bancaire. Outre l’inefficacité et l’impuissance admises des mesures et structures élaborées par les régulateurs, superviseurs et banques centrales (TCFD – NGFS), ce sont les initiatives portées par HSBC, comme illustrative du secteur bancaire privé dans son ensemble, qui sont détaillées et soumises à leurs propres contradictions. Suite à une description méthodique de l’inadéquation des réponses du secteur bancaire et financier aux urgences climatiques de notre époque, les engagements recommandés par les trois instances les plus légitimes à en émettre (TCFD–NGFS–GIEC), théoriquement reconnus par les banques dans un cadre non contraignant qu’elles ont signé et par rapport auxquelles elles ne manquent pas de communiquer avec emphase, sont rappelés. Enfin, une hiérarchisation en trois étapes graduelles de faisabilité d’implémentation de ces recommandations est proposée selon des critères, cette fois-ci uniquement, personnels. Ces étapes consistent à: ENSEIGNER massivement – RECHERCHER abondamment – AGIR courageusement.

Production de pétrole dans le temps. Extrait du rapport.
Comme je m’en doutais, plusieurs jours après la remise de ce rapport, dont une majeure partie ne devrait être autre chose qu’un rappel pour des scientifiques, qui plus est, rattachés au système financier international, l’effet est très limité et nous n’en avons pas reparlé.

Je n’en attends pas plus de mon proche entretien avec l’un des plus hauts représentants de la banque, directeur mondial de la stratégie des risques et ayant participé de première main aux recommandations de la TCFD. Suite à ce cri d’alerte volontairement très dense, quantifié et documenté, afin de ne jeter aucun doute sur sa crédibilité, je pense qu’on s’excusera au mieux d’une forme d’impuissance devant la nécessité d’actions drastiques coordonnées, qu’on me montera au pire la direction de la sortie.

Je suis prêt à prendre ce risque et à ce qu’il fasse écho dans ma communauté.

Tout comme moi, la majorité des quant ou data scientist – deux titres auxquels je peux prétendre – pensent être très rationnels et guidés par la science. Nous ignorons pourtant déplorablement les alarmes retentissantes et toujours plus aigües de la communauté scientifique internationale. Et ce depuis des décennies. Par pudeur et humilité, les plus honnêtes d’entre nous pensions qu’il ne s’agissait pas de notre métier: « nous ne sommes pas économistes, nous ne devons pas nous engager sur les décisions de notre direction. » Et c’est précisément par ce trou de serrure que s’est envolée notre conscience. Si quelques doutes persistaient, notamment grâce aux millions investis par les plus hostiles aux conséquences d’une prise de conscience radicale de la crise écologique, ils sont aujourd’hui impossibles.

Encore une fois, je suis prêt à prendre le risque de confronter mon employeur à ses propres manquements, et d’en assumer les conséquences, tout en relayant l’absurdité de la situation au plus grand nombre via une version absolument non-violente de la propagande par le fait.

Nous voici aujourd’hui au jour du dépassement, estimé pour la première fois de sa création en Juillet: le Lundi 29 Juillet 2019, la consommation de ressources de l’humanité pour l’année dépasse la capacité de la Terre à régénérer ces ressources pour cette année-là.

Devant cette conspiration internationale des puissances financières pour maintenir cet obscurantisme capitaliste meurtrier et endormir la conscience de ses meilleures ressources intellectuelles devant les causes et conséquences de notre crise écologique et climatique, je prends en ce jour la décision de démissionner publiquement à travers cette lettre ouverte. Je suis incapable, sachant ce qui précède, de perpétrer ce même mensonge glaçant en regardant ma conscience dans les yeux, et cesse donc dès aujourd’hui de collaborer avec ce totalitarisme sanguinaire. Mes chers collègues, ceux qui me connaissent et seront plus directement menacés par les conséquences de mon action, j’espère que vous comprendrez que ce n’est absolument pas vos personnes auxquelles je cherche à nuire, mais bien ce carcan d’illusions qui nous broie.

J’invite également ma communauté de chercheurs et d’ingénieurs, principalement ceux travaillant dans les banques d’importance systémique, mais aussi chez les géants du numérique, ceux pour qui les sirènes de l’argent n’ont pas fini d’envoûter leur sens de l’éthique et leur amour des sciences, à déclarer une grève générale le Vendredi 2 Août 2019, à renouveler tant qu’une stratégie de coopération internationale n’est pas actée par leur employeur (se servir des trois étapes E–R–A du rapport précédemment mentionné comme base de discussions à étoffer par la suite).

J’invite aussi le plus grand nombre, convaincus de la nécessité vitale d’une résistance groupée et organisée contre ce système d’oppression tentaculaire qui est en guerre contre le vivant, à venir gonfler les rangs et les coeurs souillés par la propagande calomnieuse de nos derniers révolutionnaires, en initiant ou participant aux manifestations du Samedi 3 Août 2019. Le mouvement social des Gilets Jaunes sera peut-être la dernière manifestation d’ampleur dénonçant les crimes quotidiens et étouffés d’un système oligarchique, obscurantiste et oppressif pour la Terre et les Hommes.

Concernant le futur auquel j’aspire, et pour répondre par avance aux plus pauvres d’esprits qui croient sans doute qu’une révolte radicale et cohérente consisterait à fuir dans la nature avec l’optique d’auto-suffisance: je n’en ferai rien, pour le moment. Tout d’abord car comme l’indique Yves-Marie Abraham: « La « civilisation » n’a plus d’en-dehors où il serait possible de se réfugier. En outre, éco-communautés et « villages en transition » ne menacent absolument pas l’ordre en place. Ils lui laissent le champ libre et risquent même de contribuer à le renforcer en participant à la revitalisation économique des campagnes qu’il a dévastées. » Et deuxièmement car en tant que scientifique conscient de l’état de notre monde, fort d’un bagage cognitif et culturel capable de déconstruire méthodiquement le monstre que nos illusions de croissance infinie a nourri, je pense avoir une utilité au sein des derniers bastions de résistance disponibles dans notre civilisation: l’éducation et la recherche; plus précisément via l’activisme scientifique oeuvrant à une société humaine post-carbone. Le seul phare de portée internationale dans la nuit des appétits narcissiques de notre civilisation moderne est représenté par le GIEC.

C’est aussi pourquoi je tiens à demander ici solennellement au GIEC, l’examen de ma candidature à leurs travaux, notamment concernant la revue de l’état de l’art scientifique sur l’adaptation du secteur financier à un monde neutre en carbone d’ici 2050. Je souhaiterai si possible conduire ma contribution depuis l’Ecole des Mines de Saint-Etienne où la composante humaine de notre expérience étudiante a su perduré bon gré mal gré face au productivisme expansionniste de nos consœurs parisiennes. Mes convictions sont claires et évidement clivantes – au début, car l’objectif final est bien de coopérer malgré les réticences musclées de ceux qui n’ont rien à y gagner –, à l’image d’une lecture littérale de vos recommandations, que je n’ai fais que vouloir mettre en lumière de mon mieux. Mon éthique me faisant renoncer à un secteur bien plus lucratif et socialement respecté que celui d’enseignant-chercheur, j’espère vous convaincre que malgré ma prise de position, je n’aurai de cesse d’appliquer les plus hauts standards de rigueur que vous préconisez.

À ma mère que j’aime et qui nous a quitté trop tôt. Cela fera un an le Dimanche 4 Août 2019 à midi. Ce courage, aujourd’hui, vient de toi.

– Jérémy Desir-Weber

 

Lien vers le rapport : https://www.fichier-pdf.fr/2019/07/29/meschersamis/

 

 

 

 

 

Cocktail toxique de Barbara Demeneix


9782738140067.jpgComment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau

Tous les jours, notre organisme absorbe et emmagasine une quantité croissante de polluants chimiques provenant de notre environnement.

Ces produits toxiques ont des conséquences néfastes sur notre cerveau et sur celui de nos enfants dès leur conception.

Pesticides, plastifiants, désinfectants, retardateurs de flamme, agents tensio-actifs, filtres UV : ces polluants omniprésents contribuent non seulement à la multiplication alarmante des troubles neurologiques et des difficultés d’apprentissage, mais ils pourraient bien, dans un futur plus ou moins proche, être à l’origine d’une baisse globale des performances cognitives chez l’être humain – une première dans l’histoire de l’humanité.

Face à ce bilan très inquiétant, Barbara Demeneix, spécialiste mondiale des perturbateurs endocriniens, nous explique quelles mesures concrètes prendre, pour aujourd’hui et pour demain, afin que nous tous, adultes, enfants, petits-enfants, nous puissions rester intelligents et en bonne santé !

Barbara Demeneix est biologiste et professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Internationalement reconnue pour ses travaux en endocrinologie sur l’hormone thyroïdienne et les perturbateurs endocriniens, elle est à l’origine d’une technologie originale et innovante permettant l’identification de polluants environnementaux. Elle a reçu la médaille de l’Innovation du CNRS. Elle est aussi l’auteur du Cerveau endommagé. Comment la pollution altère notre intelligence et notre santé mentale. 

 

https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neuroscience...

 

 

 

 

 

 

10/08/2019

La Capitana d’Elsa Osorio

 
traduction de l'espagnol (Argentine) par François Gaudry - Métailié 2014
 

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"Il y a des vies qui sont des romans qu’aucun romancier n’oserait écrire par crainte d’être taxé d’invraisemblance. Mika, la Capitana d’Elsa Osorio, semble avoir eu l’habitude de se trouver à l’épicentre des convulsions qui ont secoué le monde contemporain depuis les années 30.

Mika, Micaela Feldman de Etchebéhère (1902-1992), la Capitana, a réellement vécu en Patagonie, à Paris, à Berlin, en Espagne, elle a tenu toute sa vie des carnets de notes. À partir de ces notes, des rencontres avec les gens qui l’ont connue, des recoupements de l’Histoire, Elsa Osorio transforme ce qui pourrait n’être qu’une biographie en littérature. Mika a appartenu à cette génération qui a toujours lutté pour l’égalité, la justice et la liberté. Elle est allée à Paris avec son mari pour participer au mouvement intellectuel dans les années 30, ils ont fondé la revue Que faire ?. Puis ils sont allés vivre à Berlin dont les ont chassés la montée du nazisme, ainsi que les manipulations du mouvement ouvrier par le stalinisme. Enfin ils sont allés rejoindre les milices du POUM dans la guerre civile en Espagne.

Dans des circonstances dramatiques, elle, qui ne sait rien des armes et des stratégies militaires, se retrouve à la tête d’une milice. Son charisme, son intelligence des autres, sa façon de prendre les bonnes décisions la rendent indispensable et ce sont les miliciens eux-mêmes qui la nomment capitaine. Poursuivie par les fascistes, persécutée par les staliniens, harcelée par un agent de la Guépéou, emprisonnée, elle sera sauvée par les hommes qu’elle a commandés. Elle a fini sa vie d’inlassable militante à Paris en 1992. Elsa Osorio, portée par ce personnage hors du commun, écrit un roman d’amour passionné et une quête intellectuelle exigeante en mettant en œuvre tout son savoir faire littéraire pour combler les trous de l’Histoire."

 

 

 

17/07/2019

Où est Steve ? (et où va la police ?) par Frédéric Lordon

 Source : https://blog.mondediplo.net/ou-est-steve-et-ou-va-la-police - 15 juillet 2019


On peine à le croire et pourtant il le faut. Dans la France de Macron, il est désormais possible d’aller à une fête et de n’en pas revenir. Dans la France de Macron, la police a tout pouvoir. Éborgner du manifestant, on savait ; jeter à la noyade du teufeur, on découvre. En réalité, avec ce pouvoir on n’arrête pas de découvrir. De découvrir vraiment, ou de voir révélé ? — des essences : ici le macronisme comme essence du pouvoir néolibéral, c’est-à-dire de l’État du capital quand le capital pousse tous les feux. Comme souvent, l’essence est indiquée par le premier mouvement, le plus chargé de vérité, ici celui du préfet : l’intervention de Nantes s’est déroulée « de manière proportionnée ». Nous voilà donc informés des proportions en vigueur sous le macronisme : une fête, un mort. La proportion, le tarif — de même que : un acte de « gilets jaunes », tant d’éborgnés.

On le sait en toute généralité : l’essence des institutions commande le mensonge. Car les institutions ne vivent plus pour ceux qu’elles sont censées servir : elles vivent pour elles-mêmes, et n’ont plus cas que d’elles-mêmes. Si la persévérance requiert de mentir, on mentira. Et comme les institutions sont des lieux de pouvoir, ça requiert beaucoup. Alors on ment beaucoup.


Lire aussi Vincent Sizaire, « Maintien de l’ordre, les faux-semblants du modèle français », Le Monde diplomatique, avril 2019.Cependant il y a tout de même des variations historiques. Lorsque la légitimité s’effondre, l’institution n’a plus que le recours de se mettre à mentir chroniquement, et puis énormément. Non seulement la fréquence, mais la taille des mensonges n’en finissent plus de croître, jusqu’au tragico-grotesque — registre caractéristique du macronisme : l’ignoble gorafisé. Par exemple, le cas de Geneviève Legay (1). Contre le procureur, qui bien sûr s’était empressé de mentir, les vidéos ont fini par faire voir la vérité. Dans les coordonnées de la langue préfectorale-policière, évidemment validée comme telle par les médias (« on ne fait que rapporter, c’est plus objectif »), tout le débat a tourné autour de la question de savoir si Geneviève Legay a, ou non, « été en contact avec la police ». Dans une langue qui n’aurait pas encore été martyrisée, « être en contact avec » signifie plutôt quelque chose comme « avoir pris langue pour se présenter ». Dans la police de Macron, les présentations se font par bouclier interposé. On se met en rapport avec le bouclier — ou avec la matraque, c’est selon (un tir de LBD, non, c’est autre chose, il reste une distance, il faut encore briser la glace).

Non seulement la fréquence, mais la taille des mensonges n’en finissent plus de croître, jusqu’au tragico-grotesque
Voilà où nous en sommes. Vienne le corps de Steve (2) à être retrouvé, on peut déjà redouter ce qui suivra de l’expertise médico-légale — qu’il était alcoolisé ou sous substance, et que telle est la raison. Comme telle avait été la raison d’Adama Traoré, dont on ne souvient plus bien d’ailleurs si elle était celle de l’infection généralisée (procureur) ou des 400 mètres courus en 20 minutes (expertise médicale d’État). Par quoi, au passage, on mesure aussi l’extension du périmètre des menteurs. Par cercles concentriques : le président « il n’y a pas de violences policières », le ministre de l’intérieur « il n’y a pas de violences policières », donc forcément à leur suite le collaborateur de TF1 « il n’y a aucun blessé grave », puis logiquement, les préfets, les procs (idéalement il faudrait écrire « procureurs » en entier car, avec « procs », une typo peut avoir des effets regrettables), l’IGPN « il n’y a pas de violences policières », et donc également la médecine légale « 400 mètres c’est tout de même un effort », et puis, dans son genre, la chefferie de l’AP-HP qui, comme à la belle époque, fiche les amochés de la police, en jurant n’avoir rien fait de tel, la preuve c’est qu’elle promet de ne pas livrer les fichiers à la police.

En bout de chaîne les médias. Cas plus retors, qui ne ressortit pas toujours au mensonge à proprement parler. Certes, on peut toujours compter sur le collaborateur de TF1 (on n’a pas souvenir que, de l’intérieur du champ journalistique, la moindre condamnation sérieuse ait été émise à l’endroit de Georges Brenier), et puis aussi sur un épisode propice qui fait revenir le naturel (« les casseurs envahissent la Pitié-Salpêtrière »). Pour le reste, s’exonérer du mensonge d’institution (du mensonge du bloc des institutions hégémoniques) ne demande que de ne pas parler. Rien dit, pas menti.

On ne peut pas dire qu’on se soit bousculé pour parler de Steve. Plus exactement, et c’est presque pire, « on en a parlé » — se récrieront les médias. Qui ont depuis longtemps appris à cultiver cet art paradoxal de parler en ne parlant pas : on « en parle », c’est-à-dire on rapporte, factuellement, alors on peut se dire à jour de tous ses devoirs « d’informer », mais dans un articulet, voire une simple dépêche bâtonnée, enfouie dans les profondeurs du journal ou du site Web, et on n’y revient pas. De sorte qu’on en a parlé sans en parler — du grand art. On écrira désormais : on en a « parlé ». Quand la presse veut parler de quelque chose, nul n’en ignore. La canicule, les pitreries one-man-show-grand-débat de Macron : on en a parlé. Le référendum Aéroports de Paris, on en a « parlé ». La mort de Steve, « parlé », pareil.

On ne peut pas dire qu’on se soit bousculé pour parler de Steve
Il arrive aussi qu’inexplicablement, après une longue catatonie, la chape se soulève. Après deux mois de déni des violences policières contre les « gilets jaunes », la presse, soudain, s’était décidée à en parler, mais sans guillemets. Réveil étrange au demeurant, essentiellement focalisé sur les LBD — aller au plus spectaculaire — pour laisser dans l’ombre la cohorte des « petites violences », celle, misérable, qui dit pourtant l’arbitraire de l’État dans l’État, et indique une tendance installée, un nouveau régime. Et puis rendormissement. Ici pareil : après trois semaines de silence, Le Monde fait un article sur Steve, mais un vrai article qui, étonnamment, dit quelque chose. Libération ne veut pas être en reste : une « couv » dès le lendemain. La pompe mimétique est amorcée : d’autres devraient suivre. Et le cycle énervé de l’imitation concurrentielle parcourue, le sentiment du devoir accompli, on passera sans doute à autre chose. On se retiendra donc de pavoiser prématurément, car parler vraiment, parler pour amener un gouvernement policier à s’expliquer, requiert plus que de parler : de faire campagne. « Allô Place Beauvau, c’est pour un signalement », ça, c’est parler. Mais après tout on ne sait pas, ça pourrait s’étendre. Les journalistes en sont venus au point d’avoir dû rédiger un « guide de survie » pour aller dans les manifs sous le macronisme. Les éditocrates et les vedettes du micro/écran ne cillent pas, mais dans les soutes, en plus de la précarisation, ça commence aussi à « détester la police ».

C’est nouveau. Quoique d’une nouveauté conforme aux enseignements d’une sociologie ordinaire : ce que vivent les autres classes, tant que vous ne l’avez pas expérimenté vous-même, rien ne rentre. Les violences policières, l’abus et l’arbitraire extrêmes, tant que c’était confiné aux quartiers des banlieues : rien. Énorme progrès avec les « gilets jaunes », s’il est cher payé (atrocement pour certains) : des couches bien plus larges de la population — y compris des journalistes ! — savent désormais ce qu’il y a lieu de penser de la police : une milice fascistoïde.

Ce que vivent les autres classes, tant que vous ne l’avez pas expérimenté vous-même, rien ne rentre
Dans un texte méconnu, de ceux qu’on dit injustement « secondaires », Bourdieu, dialoguant avec Jacques Maître (3), évoque ces transactions étranges qui se jouent entre les institutions et les individus qui les rejoignent (« qui les choisissent parce qu’elles les ont choisis » dirait-il), transactions implicites par lesquelles les individus trouvent dans l’institution une solution d’assouvissement de certaines pulsions, et les institutions un matériel pulsionnel à exploiter à leurs propres fins. En quelque sorte un échange de bons procédés entre les nécessités fonctionnelles des unes et les nécessités pulsionnelles des autres. Il n’est probablement pas d’institution qui, mieux que la police, illustre cette forme de troc inavouable, dont on trouverait sans doute la trace de bas en haut de la hiérarchie.

Žižek, pour sa part (4), ajoute que le pervers se caractérise en ceci qu’il peut donner carrière à ses pulsions les plus viles en s’exonérant de toute culpabilité du fait de s’abriter derrière quelque grande Justification, de quelque Autorité requérante : le service de Dieu, la Cause, le Devoir, l’État (protéger son autorité). En haut : dans un échantillon de veulerie journalistique difficilement surpassable, Paris Match nous informe que le préfet Lallement rejoint ses réunions « maintien de l’ordre » « en rangers et en pantalon commando » — mais hésitera peut-être à nous montrer sa pavane glaçante où il faut se retenir pour ne pas voir un sadique en liberté. En bas : la totale détente des flics qui gazent à bout portant les malheureux militants climatiques du pont de Sully, bonheur du corps parfaitement à son affaire gazeuse en main, libéré de toute réserve, jouissant d’une position de domination et d’impunité sans une ombre… jusqu’au moment gorafique où le grotesque reprend le pas sur l’ignoble, et le commandant des CRS perd connaissance sous les gaz qu’il fait lui-même asperger !

Mentir, dans ces conditions, c’est vraiment la moindre des choses. En réalité, on peut tout dire, et tout faire. On peut tuer une octogénaire d’un tir visé tendu et puis refuser de fournir les matériels qui permettraient d’établir des preuves. Non sans avoir bien sûr souillé sa mémoire en prétendant que la grenade lacrymogène n’y était pour rien. En fait on n’en finirait pas de dresser le tableau de l’ignominie policière-judiciaire-préfectorale-gouvernementale qui s’est donnée en spectacle depuis deux ans. Sans doute bien entamé à la fastueuse époque du socialisme pragmatique sous Hollande et Valls. Mais quand même avec un nombre de crans impressionnants franchis depuis lors.


Lire aussi Anna Feigenbaum, « Gaz lacrymogène, des larmes en or », Le Monde diplomatique, mai 2018.On se souvient de ce tour de l’inconscient qui avait conduit Macron à cet aveu échappé, ensuite transformé en élément de langage et retrouvé en bouillie dans la bouche de Griveaux, aveu que le mouvement des « gilets jaunes » faisait un tort considérable à « l’image de la France à l’étranger » (5). Bien sûr dans « le mouvement des “gilets Jaunes” », nous étions invités à entendre, non pas l’épisode, mais les « gilets jaunes » eux-mêmes — « une infime minorité violente » avait dit Macron. Qui pour le reste avait vu assez juste, mais pas comme il croyait. Car il est certain que l’« image de la France à l’étranger » est désormais passablement « détériorée ». L’« étranger » n’en disconvient pas d’ailleurs, il le dit même de manière de plus en plus nette. Die Welt, qui n’est pas exactement une feuille de squatteurs berlinois, titre sur la police française : « La plus brutale d’Europe ». Le moment ne devrait pas tarder où l’on lira — mais dans la presse étrangère seulement — des mises en comparaison de la pratique gouvernementale-policière française et de celle d’Erdoğan. C’est qu’à l’aveugle (sans la reconnaissance des lieux, des tenues, etc., qui identifient), on peine déjà à dire quelles images viennent d’où. Pourtant, d’ici que l’éditocratie française en vienne à lâcher sa scie du « libéralisme » de Macron et de l’« illibéralisme » de Salvini-Orbán-Erdoğan, son théâtre de Guignol préféré, son objet transitionnel, sa certitude du bon dodo, il va en falloir de l’œil crevé et de la main arrachée.

Pendant ce temps, le niveau des eaux boueuses du macronisme n’en finit pas de monter. Une mer de boue en fait, car le délire policier ne trouve ses autorisations que dans un climat d’ensemble — le macronisme, précisément. « Macronisme » est la dénomination française de ce que Tariq Ali, puis Alain Deneault, ont appelé « l’extrême centre ». Il y a quelque chose de très profond dans cette appellation, et pas seulement un effet d’oxymore, quelque chose de très profond qui dit le lieu véritable de la radicalisation dans les sociétés néolibérales. Ça n’est nullement un hasard que ce soit depuis le cœur de ces sociétés, le cœur des dominants, que soit diffusée cette catégorie de « radicalisation », comme de juste sur le mode projectif-inversé : pour en réserver l’application à tout ce qui n’est pas eux quand les véritables radicalisés, ce sont eux.

Les indices les plus accablants ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Certes nous savons que nous sommes sous la coupe d’un pouvoir de sociopathes, qui mutile sans un mouvement de conscience, et dont il n’est pas extravagant, au point où nous en sommes, d’imaginer qu’il pourrait faire tirer sur la foule si sa protection l’exigeait. Mais les mouvements collectifs de pensée et de discours de la base des convaincus dont ce gouvernement se fait une ceinture protectrice, quoique moins directement, physiquement, destructeurs, ne sont pas moins inquiétants pour autant. Le malheureux chef des Décodeurs du Monde qui devait sans doute communier dans la représentation centrale de son journal, où la violence est réservée aux extrêmes « usuels » — l’extrême droite et « l’extrême gauche », avec l’avantage indéniable de pouvoir mettre un signe « égal » entre le RN et la France Insoumise — et qui pensait probablement, sur cette base que le macronisme avait l’évidence démocratique du barrage, a découvert à ses dépens la vérité de l’extrême centre, des armées de trolls macroniens, parfois automatisées, parfois décentralisées, d’une morgue, d’une arrogance de classe et d’une violence verbale inouïes — au point de lui faire jeter l’éponge et se retirer des réseaux sociaux. Paradoxe qui, en raccourci, dit tout de l’époque : c’est la macronie qui aura eu la peau de Samuel Laurent !


Lire aussi Constantin Brissaud, « Les extrêmes se rejoignent… », Le Monde diplomatique, avril 2019.On aurait tort de croire le phénomène strictement français : il a la même généralité que le néolibéralisme international. En mai 2018, une tribune publiée par un chercheur en sciences politiques dans un New York Times sans doute passablement déboussolé avait fait découvrir que, dans un assez large spectre de pays, les électeurs du centre étaient les plus sceptiques en les valeurs de la démocratie, et les plus enclins, s’il le fallait, à en congédier les institutions caractéristiques, notamment les élections et la presse libres, et à soutenir des régimes autoritaires, et ceci dans des proportions plus importantes que même l’extrême droite et l’extrême gauche ! Le macronisme est la parfaite émanation de cette inclination violemment antidémocratique des « démocrates », ce « centre » que la presse célèbre depuis des décennies, dont elle a épousé toutes les positions, et dont on se demande jusqu’où il faudra aller pour obtenir d’elle le premier décollement.

La « République du centre », cet éden de rationalité apaisée et de pragmatisme bien urbain, jadis célébrée par Rosanvallon, Furet et Julliardpour convaincre (avec succès) le PS d’enfin se rendre à la raison, peine, au bout de trois décennies, à masquer son vrai visage : celui d’une bourgeoisie possédante totalement dégondée. Le « centre » a la tête de malade mental de Macron, celle de voyou des plages de Castaner, et celle d’emmuré de Philippe. Il est assis sur un stock renouvelé de munitions LBD, et adossé à une police qui le tient bien plus qu’il ne la tient. Car évidemment, propre de tous les pouvoirs aux abois, le rapport de force hiérarchique interne s’est complètement renversé. Un gouvernement qui ne se maintient plus que par elle tombe nécessairement dans la main de sa police. Aux inclinations spontanées des gouvernants, s’ajoutent les coudées franches qu’une police sûre de sa position leur extorque. De là qu’« il n’y a pas de violences policières ». Où est Steve ? On ne sait pas. On s’en fout.


Frédéric Lordon
 
(1) Geneviève Legay est une militante d’Attac de 73 ans, gravement blessée pour avoir été jetée à terre par une charge de police lors de l’acte 19 des « gilets jaunes », le 23 mars à Nice.
(2) Steve Maia Caniço, un Nantais de 24 ans, disparu depuis qu’une charge de la police le soir de la fête de la musique à Nantes a poussé quatorze personnes dans la Loire.
(3) Pierre Bourdieu et Jacques Maître, « Avant-propos dialogué », in. Jacques Maître, L’Autobiographie d’un paranoïaque, Anthropos, 1994.
(4) Slavoj Žižek, Comment lire Lacan ?, Nous, 2001.
(5) CNews, 20 mars 2019.

 

 

 

 

 

15/07/2019

Thibaut Soulcié

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22/06/2019

Le Singe sous la montagne d’Aodren Buart

 

Phébus éd., mars 2019. 128 pages, 13 €.

 

aodren buart (2).jpgNous ressentons à travers ce conte très directement inspiré d’un grand classique chinois : la deuxième partie de la très populaire légende du Roi Singe, l’attrait qu’a exercé la culture ancienne chinoise sur l’auteur lors de son voyage en solo en Chine. Cette quête l’aura poussé vers l’Est, mais donc ici, comme dans la seconde partie de la légende du Roi Singe — le Voyage vers l’Occident —, c’est vers l’Ouest que le moine Sanzang est envoyé par l’Empereur, pour aller chercher au-delà de bien des montagnes et sur des chemins parfois dangereux, les sutras du Bouddha. « La route, jusqu’au Grand Bouddha de l’Ouest, ne sera pas un simple sentier battu menant sereinement aux confins du monde. Et si je l’ai pensé, c’est par stupidité ou candeur. » L’Ouest étant, dans la légende originelle, l’Inde. On reconnaîtra donc dans ce texte divers éléments du Bouddhisme qui figurent dans la légende, mais aussi des références à la poésie et la peinture traditionnelles chinoises taoïstes, si bien que l’on a parfois la sensation de traverser des tableaux.

Malgré ses références marquées, c’est un conte initiatique qui se veut intemporel — où le voyage extérieur est un reflet du cheminement intérieur du moine qui n’avait jusque là jamais quitté l’abri du monastère —, servi par une belle et sensible écriture à travers laquelle une authentique sagesse semble transparaître. On le lit avec plaisir et il exerce sur le lecteur une influence apaisante, comme la méditation et la poésie taoïste. Et c’est cet effet qui est le plus remarquable et qui prouve que ce très jeune auteur a su saisir l’essence de ces philosophies orientales et cela donne vraiment envie de savoir quel sera son prochain livre, en espérant qu’il saura s’appuyer après avoir cheminé comme disciple, sur sa propre intériorité, son propre imaginaire qui sans nul doute, ont beaucoup de richesses à offrir.

« Chaque homme se découvre dans les traces qu’il laisse sur la poussière du chemin, et il t’a fallut briser ta jeunesse en durcissant la plante de tes pieds pour trouver celui que tu es. »

 

Cathy Garcia

 

aodren buart.jpgAodren Buart est né en 1996. Il a fait des études littéraires et cinématographiques avant de pratiquer le théâtre baroque. En 2016, il voyage seul en Chine durant un mois. Cette rencontre avec la culture et le territoire chinois nourrit alors profondément son regard et son écriture. De cela, entre autres, est né Le Singe sous la montagne qui est son premier roman.

 

 

 

 

08/06/2019

Fred Vargas - L'humanité en péril - Virons de bord, toute !

 

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« Mais bon sang, comment vais-je me sortir de cette tâche insensée ? De cette idée de m’entretenir avec vous de l’avenir du monde vivant ? Alors que je sais très bien que vous auriez préféré que je vous livre un roman policier. 
Il y a dix ans, j’avais publié un très court texte sur l ’écologie. Et quand on m’a prévenue qu’il serait lu à l’inauguration de la COP 24, c’est alors que j’ai conçu un projet de la même eau, un peu plus long, sur l’avenir de la Terre, du monde vivant, de l’Humanité.
Rien que ça. »

Ce livre, qui explore l’avenir de la planète et du monde vivant, souhaite mettre fin à la « désinformation dont nous sommes victimes » et enrayer le processus actuel.

 

parution le 1er mai 2019, 256 pages.

 

 

 

 

 

 

 

Polyp

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Journée mondiale pour les océans

 

 

Un film documentaire de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud sorti en 2010

 

 
Quelquefois je me demande ce que nous sommes en train d'attendre. Silence.
- Qu'il soit trop tard, madame.

Alessandro Baricco
in Océan Mer
 
 
 

04/06/2019

Auteur inconnu - La place Tian'anmen, Pékin - 4 juin 1989

Auteur inconnu - La place Tian'anmen, Pékin - matin du 4 juin 1989.png

 

 

 

03/06/2019

Radicelles de Murièle Modély, photographies couleurs de Vincent Motard-Avargues

 

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préface de Dominique Boudou – éd. Tarmac, 2019. 40 pages, 18 €.

 

Murièle Modély a trop de talent pour être éditée, je ne me l’explique pas autrement, aussi quand enfin un de ses recueils voit le jour sur papier, c’est vraiment une grande joie que de tenir l’objet où l’écriture devient matière. Et pour une écriture aussi dense, un bel écrin s’impose.

 

Après la revue Nouveaux Délits qui avait publié « Feu de tout bois », premier opus de sa collection Délits buissonniers, c’est de nouveau un revuiste qui tend la main à la talentueuse poète : Jean-Claude Goiri qui publie la revue FPM et a créé aussi les éditions Tarmac.

 

Radicelles est un duo, un vis-à-vis où la voix de la poète vient se frotter aux photographies couleurs de Vincent Motard-Avargue tandis que ces dernières entrent en résonance avec cette langue organique et accrocheuse.

 

On retrouve dans ce recueil, une thématique qui est précieuse à Murièle Modély, quasi obsessionnelle : l’île laissée derrière où sont plantées bien profond des racines lourdes de sang.

 

« Il te semble entendre encore

dans le sifflement du vent la déchirure de ton écorce »

 

L’île, sa langue, son histoire, ses chaînes, sa douleur, ses débordements….

 

« parl franssé ti fille/parl françé/parl franssais

ou la bo ékri com ou veu

tout’zafér la lé roug’, i rempli out tét

tout’marmaille la lé roug’

kan zot i aval, kan ou aval

la mor la mer ek zot doulér »

 

Français, créole, créole, français, les langues emmaillées tissent cette toile qui semble vouée à se défaire encore et encore.

 

« on te dit choisis

choisis ton camp, ta frontière, ton pays

raye tout le reste, choisis

pas de place pour à moitié, à demi, choisis

gratte, arrache, la chair, la peau

il ne restera plus qu’un peu de rouille sur la photo »

 

Le poème devient la seule embouchure par où peut s’écouler le bruyant silence imposé, poème, corps, peau, papier.

 

« tu n’en finis pas de danser

sur la table

de jouer du charbon

de noircir

écrire, ékrir

 

(…)

et des flots de salive qui ramènent dans la montée

du poème

ek in pé do sel sur la langue, le soleil »

 

Nostalgie d’un temps ensoleillé donc où tout coulait de source, sans déchirure :

 

« quand tu étais enfant, le bonheur était simple

il tenait dans le creux de tes paumes

s’écoulait jusqu’à tes dents de lait

le bonheur mordait tes boucles

mangeait ton cerveau nu

puis tu as grandi : tes dents sont tombées

la sagesse a poussé comme un buis

a figé son basalte dans ton verre

a fait taire le volcan et ta lave en fusion »

 

La mémoire cependant est un creuset où plusieurs générations laissent leurs traces, même infimes, même invisibles, elles demeurent.

 

« tu ne te souviens pas du mythe initial

qui te raconte

combien grinçaient les chaînes dans l’air pesant du soir

combien le ciel, la terre et la mer étaient noirs

(…)

la sueur mangeait leurs yeux

la moiteur dévorait leur langue

ils n’avaient pas d’histoires »

 

Le poème vient colmater les abimes, combattre l’oubli. Et nous lecteurs, gardons en refermant le livre comme la sensation en bouche de ces :

 

« vers roses

gras, lourds

au parfum de coriandre »

 

et cette main de feu dans les entrailles qui touille ensemble jouissance et douleur.

 

Cathy Garcia

 

murièle.jpgMurièle Modély est née à Saint-Denis (île de la Réunion) et vit aujourd’hui à Toulouse. Elle participe à des revues papier ou numérique et a publié quelques recueils : Penser maillée (2012), Je te vois (2014) et Tu écris des poèmes (2017) aux éditions du Cygne, Rester debout au milieu du trottoir, éditions Contre-Ciel (2014), Sur la table, éditions numériques Qazaq (2016), et Feu de tout bois, Délit buissonnier n°1, tiré à part de la revue Nouveaux Délits en juillet 2016.

 

 

 

 

29/05/2019

Douces et reconnaissantes pensées pour Jean-Pierre Hanniet

 

C'est en recevant le dernier numéro des Adex, ce journal poético-artistique du Pays de Valois dont il était avec son épouse fondateur, que j'apprends un peu tard que tous deux sont partis à quatre mois d'intervalle : Carole Harding-Hanniet en octobre 2018 et Jean-Pierre, le 8 février dernier. Je savais pour ce dernier que la santé était devenue fragile mais il y a pourtant des personnes qui sont tellement vivantes, qui mettent tellement en valeur ce mot 'vie", qu'on ne pense pas que cela puisse s'arrêter un jour. Jean-Pierre avec qui j'ai eu l'occasion d'échanger suffisamment pour voir en lui un grand homme, était un fervent soutien de ma revue Nouveaux Délits et de mon écriture par ailleurs, un soutien fidèle et discret. Nul doute que son voyage continue et que sa bonté continue à œuvrer, car rien ne se perd, tout se transforme et j'aime à croire que le meilleur de nous-mêmes est justement notre part d'immortalité.

Merci Jean-Pierre de tout cœur !

 

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Jean-Pierre HANNIET, né en 1937, élève de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Beauvais, fera sa carrière d’instit dans le Valois. Il y animera diverses associations culturelles, une revue de poésie “Banderille” avant de se consacrer à une vie politique militante. Elu Conseiller général de l’Oise en 1970, il exercera des fonctions électives diverses vingt cinq ans durant et initiera des ouvrages scolaires consacrés à l’éducation civique, publiés chez Bordas. Il fonde en 1995 Les Adex.

Collections Tempoèmes :
« Les poélitiques » – © Les Adex 2006
« Sillages » – © Les Adex 2003
« De haut et de travers » – © Les Adex 1997
« Au fil de mes temps » – © Les Adex 1997

Collections Graphipoèmes :
« Couleur Safran » — Les Adex 2008
« Paroles Bleues » — Les Adex 2001
« Saisons de platanes II » — Les Adex 2001
« Saisons de platanes » — Les Adex 1999 (épuisé)

Associé à Lucas-Faytre dans la séries Les carnets qui rêvent : « Nus à la Grande Chaumière » – © ADAGP 2012

http://www.lesadex.com/

 

 

 

 

24/05/2019

Des hommes en noir de Santiago Samboa

                                        

traduit de l’Espagnol (Colombie) par François Gaudry

Ed. Métailié, 18 avril 2019

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368 pages, 21 €.

 

 

La réalité est une forêt sauvage, ses yeux de serpent brillent dans l’obscurité avant qu’elle attaque sa proie. Mais le plus dangereux au monde est l’amour qui s’assèche. Celui qui n’a pas pu sortir du tronc de l’arbre, qui s’est enroulé sur lui-même et a mordu son propre cœur.

 

Voilà un polar à la fois subtil et énergique, une enquête captivante dans une Colombie qui soigne tant bien que mal ses blessures, menée par des personnages plutôt atypiques : Julieta Lezama, quarante ans, qui vit à Bogotá, « journaliste indépendante aguerrie » et reconnue, mère de deux ados, en cours de divorce, supporte mal son corps, libido cependant bien active, elle compense par du sexe alcoolisé. Son péché pas mignon justement : l’alcool, avec un goût prononcé pour le gin tonic en dose très déraisonnable. Et sinon elle se passionne pour « la mort violente que des êtres humains, un beau jour, décident d’infliger à d’autres, pour tous les motifs possibles. »

La journaliste pour son travail s’appuie sur l’aide de Joana Triviño, originaire des quartiers pauvres de Cali, secrétaire assistante multifonctions et entre autre « le maniement de tout types d’armes, des plus petites aux moins conventionnelles car elle a passé douze ans dans le bloc occidental des FARC ».

« Ce putain de pays où j’ai eu malheur de naître est une cour d’exécution, une salle de torture, une presse mécanique pour étriper paysans, Indiens, Métis et Noirs. C'est-à-dire les pauvres. Les riches, en revanche, sont des dieux parce que c’est comme ça. Ils héritent fortune et patronymes et se foutent complètement du pays, qu’ils méprisent. Mais qu’est-ce qu’il y a derrière tous ces noms élégants ? Un arrière-grand-père voleur, un arrière-grand-père assassin. Des pilleurs de ressources et de terres. »

Les FARC donc, cette partie de la population colombienne « séparée du pays pendant plus de cinquante ans et qui, aujourd’hui, avec le retour de la paix et l’accès au pouvoir de l’extrême droite, se trouvait dans une position fragile, sur la corde raide. »

« L’onde expansive de la guerre, aujourd’hui terminée, rejetait encore des cadavres sur le rivage. » Mais certains vivants disparaissent encore, les règlements de compte sont, semblent-il, loin d’être terminés.

C’est grâce à Joana que Julieta a trouvé son principal allié : Edilson Javier Jutsiñamuy, cinquante-neuf ans, procureur de la brigade des affaires criminelles, d’origine indienne — witoto nipode exactement — de la région d’Araracuara dans le Caquetá.

Le bureau de Jutsiñamuy se trouve à Bogotá et le procureur, qui préfère dormir là que dans son appartement, est bien placé pour connaître la sauvagerie de cette ville « indifférente et féroce, les cicatrices et les plaies de cette cité impitoyable, qui dévorait ses enfants les plus faibles. »

C’est ce dernier qui met Julieta sur la piste d’une affaire étrange : des témoignages auraient fait mention d’un combat violent à l’arme lourde avec plusieurs voitures et un hélicoptère près de Tierradentro, dans une région autrefois tenue par les FARC, avant que les témoins ne se rétractent et que toutes traces semblent avoir été effacées. Le dossier est classé comme un banal accrochage entre deux chauffeurs dont un complètement ivre.

Julieta et Joana se rendent donc sur place et ce sera le début d’une enquête qui les mènera — avec en parallèle celle du procureur et de ses propres assistants — vers un personnage énigmatique, charismatique mais inquiétant, peut-être bien l’homme en noir qui aurait réchappé au mystérieux affrontement : un pasteur d’une Église pentecôtiste, une de ces puissantes églises évangéliques qui envahissent l’Amérique latine. Et puis il y a la soudaine disparition de Franklin, un tout jeune adolescent du coin — élevé par ses grands-parents qui sont des indiens nasa — et qui, réfugié dans un arbre, aurait été un témoin direct de l’affrontement.

Cette enquête, qui mènera Julieta jusqu’en Guyane, nous tient bien agrippés au roman, on ne s’ennuie pas une seule seconde, un vrai régal : la personnalité des personnages est des plus attachantes, il y a de l’humour, de l’ironie, de l’aventure, la narration est fluide, mais surtout cette enquête permet aussi à l’auteur de dresser un portrait social de la Colombie d’aujourd‘hui et d’hier avec les fantômes qui n’ont pas fini de la hanter et de braquer un projecteur sur ces nouvelles formes de maffias qui prêchent la « bonne parole ». Ceci de façon spectaculaire, avec de véritables shows, dont l’emphase et le grotesque n’empêchent pas de captiver les foules de pauvres gens en leur distillant l’espoir qui scintille sous le feu des paillettes : drogue redoutable pour exploiter les plus fragiles de toutes les façons possibles.

Mais Des hommes en noir n’est pas non plus un polar manichéen, avec les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, bien au contraire, c’est plus un polar psychologique et vraiment original qui nous fait pénétrer au plus profond des êtres, de leur histoire, de leurs failles, qui expose leur détresse et la façon dont ils luttent, au-delà de tout moralisme, pour en sortir.

« Et la pauvreté c’est très moche et très triste, et encore plus dans ce pays si injuste, si dur avec les pauvres. On rêve, on rêve pour rien. La pauvreté est une pierre tombale qu’on porte sur le dos et qui refroidit le soir. »

 

Cathy Garcia

 

Santiago Gamboa est une des voix les plus puissantes et originales de la littérature colombienne. Né en 1965, il étudie la littérature à l’université de Bogotá, la philologie hispanique à Madrid, et la littérature cubaine à La Sorbonne. Journaliste au service de langue espagnole de RFI, correspondant à Paris du quotidien colombien El Tiempo, il fait aussi de nombreux reportages à travers le monde pour des grands journaux latino-américains. Sur les conseils de García Márquez qui l’incite à écrire davantage, il devient diplomate au sein de la délégation colombienne à l’Unesco, puis consul à New Delhi. Il vit ensuite un temps à Rome. Après presque trente ans d’exil, en 2014, il revient en Colombie, à Cali, prend part au processus de paix entre les FARC et le gouvernement, et devient un redoutable chroniqueur pour El Espectador. Sa carrière internationale commence avec un polar implacable, Perdre est une question de méthode (1997), traduit dans de nombreux pays, mais sa vraie patrie reste le roman (Esteban le héros, Les Captifs du Lys blanc). Le Syndrome d’Ulysse (2007), qui raconte les tribulations d’un jeune Colombien à Paris, au milieu d’une foule d’exilés de toutes origines, connaît un grand succès critique et lui gagne un public nombreux de jeunes adultes.
Suivront, entre autres, Nécropolis 1209 (2010), Décaméron des temps modernes, violent, fiévreux, qui remporte le prix La Otra Orilla, et Prières nocturnes (2014), situé à Bangkok. Ses livres sont traduits dans 17 langues et connaissent un succès croissant, notamment en Italie, en Allemagne, aux États-Unis. Il a également publié plusieurs livres de voyage, un incroyable récit avec le chef de la Police nationale colombienne, responsable de l’arrestation des 7 chefs du cartel de Cali (Jaque mate), et, dernièrement, un essai politico-littéraire sur La Guerre et la Paix où il passe le processus de paix colombien au crible de la littérature mondiale. Parce que « le seul endroit où l’on puisse toujours revenir, c’est la littérature ».

 

 

 

 

20/05/2019

Sorcières - La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet

 

Ed. de la Découverte, septembre 2018

9782355221224.jpgQu’elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ?
Ce livre en explore trois et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante — puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant — puisque l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur.
Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.

Prix de l’essai Psychologies-Fnac 2019

Version papier : 18 €
Version numérique : 12,99 €

19/05/2019

Grâce à leurs pétales qui leur servent « d’oreilles », les plantes « écoutent » ce qui se passe autour d’elles

 Source : National Geographic

Publié par 

 

primrose

La forme en bol des fleurs de l’onagre bisannuelle serait la clef de leurs capacités acoustiques. Photographie / Denis Frates / Alamy

 

 

Le monde est rempli de sons, même lors des journées les plus calmes : le gazouillis des oiseaux, le bruissement des feuilles agitées par le vent et le bourdonnement des insectes qui vaquent à leurs occupations. Prédateurs et proies écoutent, attentifs à la présence de l’autre.

 

Les sons sont si fondamentaux à la vie et la survie que Lilach Hadany, chercheuse à l’Université de Tel Aviv, s’est demandé si comme les animaux, les plantes pouvaient aussi entendre. Les premières expériences menées pour vérifier cette hypothèse ont récemment été publiées sur le serveur pré-impression bioRxiv et elles suggèrent que dans au moins un cas, les plantes peuvent entendre et que cela leur confère un véritable avantage évolutif.

 

L’équipe de Lilach Hadany s’est intéressée à l’onagre bisannuelle (Oenothera drummondii) et a découvert qu’après avoir ressenti les vibrations des ailes des pollinisateurs, les plantes augmentaient temporairement et dans les minutes qui suivent la concentration en sucre du nectar de leurs fleurs. Il s’avère que les fleurs servent elles-mêmes d’oreilles, détectant les fréquences spécifiques produites par les ailes des abeilles tout en se désintéressant des sons sans importance, comme le vent par exemple.

 

 

Un nectar plus sucré qui augmente les chances de pollinisation

Théoricienne de l’évolution, Lilach Hadany s’est posé cette question après avoir réalisé que les sons constituaient une ressource naturelle omniprésente et qu’il serait dommage pour les plantes de ne pas en tirer profit comme le font les animaux. La scientifique a donc supposé que si les plantes pouvaient entendre les sons et y répondre, cela pourrait les aider à survivre et à transmettre leur patrimoine génétique.

 

Comme la pollinisation est essentielle à la reproduction des plantes, son équipe a commencé à étudier des fleurs. L’onagre bisannuelle, qui pousse à l’état sauvage sur les plages et dans les parcs de Tel Aviv, est apparue comme une candidate idéale, notamment parce que sa période de floraison est longue et qu’elle produit des quantités mesurables de nectar.

 

 

syrphe

Un syrphe marron et jaune se repose sur une onagre bisannuelle couverte de rosée au Royaume-Uni. Photographie de Michael Grantwildlife / Alamy

 

 

Pour étudier les onagres en laboratoire, l’équipe de Lilach Hadany a exposé les plantes à cinq sons différents : le silence, des enregistrements d’abeilles mellifères situées à une dizaine de centimètres ainsi que des sons à basse, moyenne et haute fréquence produits par ordinateur. Aucune augmentation significative de la concentration en sucre du nectar n’a été constatée chez les plantes exposées au silence qui avaient été placées sous un bocal en verre bloquant les vibrations. Il en a été de même pour les plantes exposées aux sons à haute et moyenne fréquence, respectivement de 158 à 160 kilohertz et de 34 à 35 kilohertz.

 

Mais la dernière analyse a révélé que les plantes exposées aux sons des abeilles (0,2 à 0,5 kilohertz) et aux sons à basse fréquence (0,05 à 1 kilohertz) ont eu une réponse sans équivoque. Après trois minutes d’exposition à ces sons, la concentration en sucre des plantes a connu une impressionnante augmentation de l’ordre de 20 %.

 

D’après les scientifiques, un nectar plus sucré attirerait davantage d’insectes, ce qui pourrait potentiellement accroître les chances de réussite de la pollinisation croisée. Lors des observations réalisées sur le terrain, les chercheurs ont en effet découvert que les pollinisateurs étaient au moins neuf fois plus communs autour des plantes qui avaient été visitées par un autre pollinisateur au cours des six dernières minutes.

 

« Nous étions assez surpris lorsque nous avons constaté que cela fonctionnait vraiment. », confie Lilach Hadany. « Nous avons répété le test dans d’autres situations, à des saisons différentes et avec des plantes ayant grandi en intérieur et en extérieur. Nous sommes confiants quant au résultat. »

 

 

Les fleurs, oreilles des plantes

Alors que l’équipe pensait à la façon dont les sons fonctionnent, via la transmission et l’interprétation des vibrationsle rôle joué par les fleurs est devenu encore plus intriguant. Bien que leur taille et leur forme varient fortement, la majorité des fleurs présentent une forme concave ou de bolce qui est parfait pour recevoir et amplifier les ondes sonoresà l’instar d’une antenne parabolique.

 

Afin d’analyser les effets de vibration de chaque fréquence sonore du groupe d’essai, Lilach Hadany et Marine Veits, co-auteure de l’étude et étudiante en Master au laboratoire de la scientifique à l’époque, ont placé les fleurs d’onagre bisannuelle sous une machine appelée vibromètre laser, qui mesure les mouvements par minute. L’équipe a ensuite comparé les vibrations des fleurs avec celles des différentes catégories de sons.

 

« Cette fleur, l’onagre, est en forme de bol, donc d’un point de vue acoustique, il est logique que ce type de structure vibre et amplifie la vibration en son sein. », explique Marine Veits.

 

Et c’est ce qui s’est passé, tout du moins pour les fréquences émises par les pollinisateurs. Lilach Hadany a indiqué qu’il était passionnant de voir les vibrations de la fleur correspondre aux longueurs d’ondes de l’enregistrement de l’abeille.

 

« Vous voyez immédiatement que cela fonctionne. », dit-elle.

 

Pour confirmer que la forme de la fleur était bien à l’origine de ce phénomène, l’équipe a également mené des tests sur des fleurs dont un ou plusieurs pétales avaient été retirés : ces dernières ne sont pas parvenues à résonner avec les sons à basse fréquence.

 

 

Les plantes pourraient-elles entendre autre chose ?

Lilach Hadany est consciente qu’il reste de très nombreuses questions restent en suspens concernant cette capacité récemment découverte des plantes à répondre aux sons. Quelques « oreilles » seraient-elles mieux adaptées à certaines fréquences que d’autres ? Et pourquoi l’onagre bisannuelle rend-t-elle son nectar si sucré alors que nous savons que les abeilles sont capables de détecter de faibles changements de concentration en sucre de l’ordre de 1 à 3 % ?

 

De plus, cette capacité présenterait-elle d’autres avantages hormis ceux relatifs à la production de nectar et à la pollinisation ? D’après Lilach Hadany, il se peut que les plantes s’alertent les unes les autres au son des herbivores dévorant leurs voisines ou qu’elles soient capables de produire des sons qui attirent les animaux impliqués dans la dispersion de leurs graines.

 

« Nous devons prendre en compte le fait que les fleurs ont évolué avec les pollinisateurs pendant très longtemps. », explique Lilach Hadany. « Ce sont des entités vivantes et elles doivent, elles aussi, survivre dans ce monde. Il leur est important d’avoir conscience de leur environnement, en particulier si elles ne peuvent aller nulle part. »

 

Cette seule et unique étude a créé un domaine de recherche scientifique entièrement nouveau, que Lilach Hadany a baptisé « phytoacoustique ».

 

Marine Veits veut désormais en savoir plus sur les mécanismes sous-jacents responsables du phénomène observé par l’équipe de chercheurs, comme par exemple quels sont les processus moléculaires ou mécaniques à l’origine de la réponse aux vibrations et à la production d’un nectar plus sucré. Elle espère également que cette étude confirmera l’idée selon laquelle un organe sensoriel traditionnel n’est pas toujours nécessaire pour percevoir le monde.

 

« Certaines personnes peuvent penser « Comment [les plantes] peuvent-elles entendre ou sentir ? » », indique la scientifique. « J’aimerais que ces individus comprennent qu’il n’y a pas que les oreilles qui entendent. »

 

Richard Karbanspécialiste des interactions entre les plantes et leurs nuisibles à l’Université de Californie basée à Davis, s’interroge, en particulier sur les avantages évolutifs que présentent les réponses des plantes aux sons.

 

« Il se peut que les plantes soient chimiquement capables de sentir leurs voisines et de déterminer si les autres plantes qui les entourent sont fécondées ou non. », indique-t-il. « Nous n’avons aucune preuve démontrant que cela est le cas, mais [cette étude] constitue la première étape. »

 


 

Bonus vidéos

Time : 1 mn 42 [Vostvfr] / [1]

 

Time : 2 mn 52 [Vostvfr] / [2]

 

 

16/05/2019

Paris Stalingrad de Hind Meddeb, co-réalisé par Thim Naccache (2019)

 

 

 

15/05/2019

je m’enneige de Benoît Sourty

 

Asphalte éditions, janvier 2019

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158 pages, 16 €.

 

Elle est plutôt sombre la neige, dans ce court roman où le sort de trois des protagonistes principaux semble scellé dès le départ. Deux frères jumeaux, âgés de 25 ans, une mère en clinique. Autrefois brillante et belle infirmière, maintenant malade en état végétatif, absente.

« Une femme, mains serrées l’une contre l’autre, ânonne presque à voix basse et sans arrêt : “Varsovie Varsovie”. »

C’est une maladie génétique et ses deux fils en ont hérité, ils finiront très probablement comme elles. L’un d’eux est le narrateur. Il vit encore avec son père alors que l’autre est parti à 20 ans. Chacun gère à sa façon cette dégénérescence programmée dans leur corps. Celui qui parle préfère ne pas y penser, oublie d’aller chez le neurologue pour faire des examens, porte des dreadlocks, fume des joints, beaucoup de joints, travaille un peu et quand il ne file pas un coup de main à son copain Marc qui vit de petits trafics, il prend la vie comme elle vient : entre potes à la terrasse du Grand Café, à boire des bières, puis chez l’un ou chez l’autre, parfois il couche avec une copine, parfois il passe des nuits dans la forêt et il va voir sa mère à la clinique. Il y a en lui comme un fond d’espoir auquel il s‘accroche. Sa façon de vivre au jour le jour, de se laisser porter sans se prendre la tête, mode de vie d’une génération en fait, prend chez lui l’allure d’une forme de philosophie. Il semble s’en sortir mieux que son frère qui est plus autonome mais qui a renoncé à tout espoir, qui ne veut plus parler au père, le prof qui continue à vivre sa vie, ne va pas visiter la mère, mais le lien avec son jumeau reste puissant même s’ils ne se voient plus que rarement. Tous deux ont gardé un brin de folie de leur enfance, une manie de se lancer des défis où la prise de risque est le challenge et ce mot que leur mère répète : « Varsovie Varsovie » va leur donner envie de faire quelque chose d’un peu fou pour elle.

Mais déjà le corps fait souffrir, ils le sentent dans leurs muscles. « Ça fait atrocement mal. C’est une crise. Je sais qu’elle va partir au bout de quelques minutes. Tenir juste quelques minutes, le temps de porter mon frère incapable de se hisser d’une marche à l’autre tout seul. ».

« Varsovie Varsovie ». Cette énigme contenue dans le seul et unique mot que prononce encore la mère, va initier une sorte de voyage dont la destination n’est pas celle que l’on croit.

Benoît Sourty nous donne à lire dans ce roman un portrait de famille écartelée, avec les souvenirs, les rêves, les colères, les non-dits, le fossé qui s’est creusé entre père et fils et comment chacun se dépatouille avec une réalité plombante. Quel sens peut avoir la vie quand on sait, avant même d’avoir commencé à vivre vraiment, qu’on est en train de se transformer, lentement mais sûrement, en légume ? Quel sens peut avoir la famille quand la mère bien que vivante, n’est elle-même qu’un souvenir ? Qu’est-ce que l’amour quand il ne peut rien changer ?

Pas de réponse : je m’enneige est un constat dépouillé, direct, désabusé, tragique, qui prend à la gorge et laisse un drôle de goût en bouche. Amer oui, mais avec toutefois un tout petit quelque chose qui crépite, qui pétille.

« La vache ! C’est quand même un beau jour pour mourir. »

 

Cathy Garcia

 

 

bsourty3_par_cduvivier_rvb_lo-240x340.jpgBenoît Sourty est scénariste et réalisateur. Il dirige la pédagogie d’une école de cinéma. Je m’enneige est son troisième roman.