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14/01/2019

Requiem pour le rêve américain, un documentaire avec Noam Chomsky (2015)

 


Avec la force d’une analyse toujours très argumentée et documentée, le célèbre linguiste américain Noam Chomsky s’exprime sur les mécanismes de concentration des richesses, avec une lucidité contagieuse. Il expose clairement les principes qui nous ont amenés à des inégalités sans précédent, retraçant un demi-siècle de politiques conçues pour favoriser les plus riches.

Noam Chomsky et les 10 principes de concentration de richesse et du pouvoir.

Quatre années d’interviews, divisées en dix parties, sont rassemblées dans ce documentaire où Noam Chomsky s’exprime sur les mécanismes de concentration des richesses. Il expose avec limpidité les principes qui nous ont amenés au carrefour d’inégalités historiquement sans précédent en retraçant un demi-siècle de politiques conçues pour favoriser les plus riches.


Chomsky interroge aussi sa participation à la vie politique et revient sur son propre parcours "d’activiste". Il fournit l’aperçu pénétrant de ce qui peut bien être l’héritage durable de notre temps : la mort de la classe moyenne et le chant du cygne de la démocratie.

- Principe 1 : Réduire la démocratie
- Principe 2 : Modifier l’idéologie
- Principe 3 : Redessiner l’économie
- Principe 4 : Déplacer le fardeau
- Principe 5 : Attaquer la solidarité
- Principe 6 : Gérer les législateurs (régulateurs)
- Principe 7 : Manipuler les élections
- Principe 8 : Maîtriser la populace
- Principe 9 : Modeler le consentement
- Principe 10 : Marginaliser la population

Un film de Kelly Nyks, Peter D. Hutchinson, Jared P. Scott (2015)
Durée : 72mn - Compléments : 60mn - Version sourds et malentendants https://www.youtube.com/watch?v=uXZr1ROvaog

 

visible en location ici : 

https://www.filmsdocumentaires.com/films/6179-noam-chomsk...

 

 

 

 

 

13/01/2019

La quatrième guerre mondiale a commencé

 
par le sous-commandant Marcos , août 1997, pages 1, 4 et 5

Source : Le Monde Diplomatique

 

Un véritable séisme politique s’est produit au Mexique le 6 juillet, lors des élections. Pour la première fois depuis près de soixante-dix ans, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a perdu la majorité absolue à la Chambre des députés, le contrôle de plusieurs Etats ainsi que la mairie de Mexico, qui revient à M. Cuauhtémoc Cardenas, leader du Parti révolutionnaire démocratique (PRD), social-démocrate. Au Chiapas, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) n’a pas donné de consignes précises à propos de ce scrutin et s’est retirée sous les frondaisons de la forêt Lacandona, son sanctuaire. C’est de là que son chef, le sous-commandant Marcos nous a fait parvenir cette analyse originale et géostratégique de la nouvelle donne internationale.

 
« La guerre est une affaire d’importance vitale pour l’Etat, c’est la province de la vie et de la mort, le chemin qui conduit à la survie ou à l’anéantissement. Il est indispensable de l’étudier à fond. »

Sun Tse, L’Art de la guerre.

Le néolibéralisme, comme système mondial, est une nouvelle guerre de conquête de territoires. La fin de la troisième guerre mondiale, ou guerre froide, ne signifie nullement que le monde ait surmonté la bipolarité et retrouvé la stabilité sous l’hégémonie du vainqueur. Car, s’il y a eu un vaincu (le camp socialiste), il est difficile de nommer le vainqueur. Les Etats-Unis ? L’Union européenne ? Le Japon ? Tous trois ? La défaite de l’« Empire du mal » ouvre de nouveaux marchés, dont la conquête provoque une nouvelle guerre mondiale, la quatrième.

Comme tous les conflits, celui-ci contraint les Etats nationaux à redéfinir leur identité. L’ordre mondial est revenu aux vieilles époques des conquêtes de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie. Etrange modernité qui avance à reculons. Le crépuscule du XXe siècle ressemble davantage aux siècles barbares précédents qu’au futur rationnel décrit par tant de romans de science-fiction.

De vastes territoires, des richesses et, surtout, une immense force de travail disponible attendent leur nouveau seigneur. Unique est la fonction de maître du monde, mais nombreux sont les candidats. D’où la nouvelle guerre entre ceux qui prétendent faire partie de l’« Empire du bien ».

Si la troisième guerre mondiale a vu l’affrontement du capitalisme et du socialisme sur divers terrains et avec des degrés d’intensité variables, la quatrième se livre entre grands centres financiers, sur des théâtres mondiaux et avec une formidable et constante intensité.

La « guerre froide », la mal nommée, atteignit de très hautes températures : des catacombes de l’espionnage international jusqu’à l’espace sidéral de la fameuse « guerre des étoiles » de Ronald Reagan ; des sables de la baie des Cochons, à Cuba, jusqu’au delta du Mékong, au Vietnam ; de la course effrénée aux armes nucléaires jusqu’aux coups d’Etat sauvages en Amérique latine ; des coupables manœuvres des armées de l’OTAN aux menées des agents de la CIA en Bolivie, où fut assassiné Che Guevara. Tous ces événements ont fini par faire fondre le camp socialiste comme système mondial, et par le dissoudre comme alternative sociale.

La troisième guerre mondiale a montré les bienfaits de la « guerre totale » pour le vainqueur : le capitalisme. L’après-guerre laisse entrevoir un nouveau dispositif planétaire dont les principaux éléments conflictuels sont l’accroissement important des no man’s land (du fait de la débâcle de l’Est), le développement de quelques puissances (les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon), la crise économique mondiale et la nouvelle révolution informatique.

Grâce aux ordinateurs, les marchés financiers, depuis les salles de change et selon leur bon plaisir, imposent leurs lois et leurs préceptes à la planète. La « mondialisation » n’est rien de plus que l’extension totalitaire de leurs logiques à tous les aspects de la vie. Naguère maîtres de l’économie, les Etats-Unis sont désormais dirigés, télédirigés, par la dynamique même du pouvoir financier : le libre-échange commercial. Et cette logique a profité de la porosité provoquée par le développement des télécommunications pour s’approprier tous les aspects de l’activité du spectre social. Enfin une guerre mondiale totalement totale ! Une de ses premières victimes est le marché national. A la manière d’une balle tirée à l’intérieur d’une pièce blindée, la guerre déclenchée par le néolibéralisme ricoche et finit par blesser le tireur. Une des bases fondamentales du pouvoir de l’Etat capitaliste moderne, le marché national, est liquidée par la canonnade de l’économie financière globale. Le nouveau capitalisme international rend les capitalismes nationaux caducs, et en affame jusqu’à l’inanition les pouvoirs publics. Le coup a été si brutal que les Etats nationaux n’ont pas la force de défendre les intérêts des citoyens.

La belle vitrine héritée de la guerre froide — le nouvel ordre mondial — a été brisée en mille morceaux par l’explosion néolibérale. Quelques minutes suffisent pour que les entreprises et les Etats s’effondrent ; non pas à cause du souffle des révolutions prolétariennes, mais en raison de la violence des ouragans financiers.

Le fils (le néolibéralisme) dévore le père (le capital national) et, au passage, détruit les mensonges de l’idéologie capitaliste : dans le nouvel ordre mondial, il n’y a ni démocratie, ni liberté, ni égalité, ni fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de bataille où règne le chaos.

Vers la fin de la guerre froide, le capitalisme a créé une horreur militaire : la bombe à neutrons, arme qui détruit la vie tout en respectant les bâtiments. Mais une nouvelle merveille a été découverte à l’occasion de la quatrième guerre mondiale : la bombe financière. A la différence de celles d’Hiroshima et de Nagasaki, cette nouvelle bombe non seulement détruit la polis (ici, la nation) et impose la mort, la terreur et la misère à ceux qui y habitent, mais elle transforme sa cible en simple pièce dans le puzzle de la mondialisation économique. Le résultat de l’explosion n’est pas un tas de ruines fumantes ou des milliers de corps inertes, mais un quartier qui s’ajoute à une mégalopole commerciale du nouvel hypermarché planétaire et une force de travail reprofilée pour le nouveau marché de l’emploi planétaire.

L’Union européenne vit dans sa chair les effets de la quatrième guerre mondiale. La mondialisation a réussi à y effacer les frontières entre des Etats rivaux, ennemis depuis des siècles, et les a obligés à converger vers l’union politique. Des Etats-nations jusqu’à la fédération européenne, le chemin sera pavé de destructions et de ruines, à commencer par celles de la civilisation européenne.

Les mégapoles se reproduisent sur toute la planète. Les zones d’intégration commerciale constituent leur terrain de prédilection. En Amérique du Nord, l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique précède l’accomplissement d’un vieux rêve de conquête : « L’Amérique aux Américains ». Les mégapoles remplacent-elles les nations ? Non, ou plutôt pas seulement. Elles leur attribuent de nouvelles fonctions, de nouvelles limites et de nouvelles perspectives. Des pays entiers deviennent des départements de la méga-entreprise néolibérale, qui produit ainsi, d’un côté, la destruction/dépeuplement, et, de l’autre, la reconstruction/réorganisation de régions et de nations.

Si les bombes nucléaires avaient un caractère dissuasif, comminatoire et coercitif lors de la troisième guerre mondiale, les hyperbombes financières, au cours de la quatrième, sont d’une autre nature. Elles servent à attaquer les territoires (Etats-nations) en détruisant les bases matérielles de leur souveraineté et en produisant leur dépeuplement qualitatif, l’exclusion de tous les inaptes à la nouvelle économie (par exemple, les indigènes). Mais, simultanément, les centres financiers opèrent une reconstruction des Etats-nations et les réorganisent selon la nouvelle logique : l’économique l’emporte sur le social.

Le monde indigène est plein d’exemples illustrant cette stratégie : M. Ian Chambers, directeur du Bureau pour l’Amérique centrale de l’Organisation internationale du travail (OIT), a déclaré que la population indigène mondiale (300 millions de personnes) vit dans des zones qui recèlent 60 % des ressources naturelles de la planète. « Il n’est donc pas surprenant que de multiples conflits éclatent pour s’emparer de leurs terres (...). L’exploitation des ressources naturelles (pétrole et mines) et le tourisme sont les principales industries qui menacent les territoires indigènes en Amérique  (1). » Après viennent la pollution, la prostitution et les drogues.

Dans cette nouvelle guerre, la politique, en tant que moteur de l’Etat-nation, n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer les affaires pour leur compte. Le nouvel ordre, c’est l’unification du monde en un unique marché. Les Etats ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à une fusion commerciale qu’à une fédération politique. L’unification que produit le néolibéralisme est économique ; dans le gigantesque hypermarché planétaire ne circulent librement que les marchandises, pas les personnes.

Cette mondialisation répand aussi un modèle général de pensée. L’American way of life, qui avait suivi les troupes américaines en Europe lors de la deuxième guerre mondiale, puis au Vietnam et, plus récemment, dans le Golfe, s’étend maintenant à la planète par le biais des ordinateurs. Il s’agit d’une destruction des bases matérielles des Etats-nations, mais également d’une destruction historique et culturelle. Toutes les cultures que les nations ont forgées — le noble passé indigène de l’Amérique, la brillante civilisation européenne, la sage histoire des nations asiatiques et la richesse ancestrale de l’Afrique et de l’Océanie — sont corrodées par le mode de vie américain. Le néolibéralisme impose ainsi la destruction de nations et de groupes de nations pour les fondre dans un seul modèle. Il s’agit donc bien d’une guerre planétaire, la pire et la plus cruelle, que le néolibéralisme livre contre l’humanité.

Nous voici face à un puzzle. Pour le reconstituer, pour comprendre le monde d’aujourd’hui, beaucoup de pièces manquent. On peut néanmoins en retrouver sept afin de pouvoir espérer que ce conflit ne s’achèvera pas par la destruction de l’humanité. Sept pièces pour dessiner, colorier, découper et tenter de reconstituer, en les assemblant à d’autres, le casse-tête mondial.

La première de ces pièces est la double accumulation de richesse et de pauvreté aux deux pôles de la société planétaire. La deuxième est l’entière exploitation du monde. La troisième est le cauchemar d’une partie désoeuvrée de l’humanité. La quatrième est la relation nauséabonde entre le pouvoir et le crime. La cinquième est la violence de l’Etat. La sixième est le mystère de la mégapolitique. La septième, ce sont les formes multiples de résistance que déploie l’humanité contre le néolibéralisme.

 

 


PIÈCE NUMÉRO 1

CONCENTRATION DE LA RICHESSE
ET RÉPARTITION DE LA PAUVRETÉ

 


La figure 1 se construit en dessinant un signe monétaire.

Dans l’histoire de l’humanité, divers modèles se sont disputé pour proposer l’absurde comme marque de l’ordre mondial. Le néolibéralisme occupera une place privilégiée lors de la remise des médailles. Sa conception du « partage » de la richesse est doublement absurde : accumulation des richesses pour quelques-uns, et de besoins pour des millions d’autres. L’injustice et l’inégalité sont les signes distinctifs du monde actuel. La Terre compte 5 milliards d’êtres humains : 500 millions vivent confortablement, 4,5 milliards souffrent de pauvreté. Les riches compensent leur minorité numérique grâce à leurs milliards de dollars. A elle seule, la fortune des 358 personnes les plus riches du monde, milliardaires en dollars, est supérieure au revenu annuel de la moitié des habitants les plus pauvres de la planète, soit environ 2,6 milliards de personnes.

Le progrès des grandes entreprises transnationales ne suppose pas l’avancée des nations développées. Au contraire, plus ces géants s’enrichissent, et plus s’aggrave la pauvreté dans les pays dits riches. L’écart entre riches et pauvres est énorme ; loin de s’atténuer, les inégalités sociales se creusent.

Ce signe monétaire que vous avez dessiné représente le symbole du pouvoir économique mondial. Maintenant, donnez-lui la couleur vert dollar. Négligez l’odeur nauséabonde ; cet arôme de fumier, de fange et de sang est d’origine.

 

 


PIÈCE NUMÉRO 2

GLOBALISATION
DE L’EXPLOITATION

 


La figure 2 se construit en dessinant un triangle

L’un des mensonges néolibéraux consiste à dire que la croissance économique des entreprises produit une meilleure répartition de la richesse et de l’emploi. C’est faux. De même que l’accroissement du pouvoir d’un roi n’a pas pour effet un accroissement du pouvoir de ses sujets (c’est plutôt le contraire), l’absolutisme du capital financier n’améliore pas la répartition des richesses et ne crée pas de travail.

Pauvreté, chômage et précarité sont ses conséquences structurelles.

Dans les années 1960 et 1970, le nombre de pauvres (définis par la Banque mondiale comme disposant de moins de 1 dollar par jour) s’élevait à quelque 200 millions. Au début des années 1990, leur nombre était de 2 milliards.

Davantage d’êtres humains pauvres et appauvris. Moins de personnes riches et enrichies, telles sont les leçons de la pièce 1 du puzzle. Pour obtenir ce résultat absurde, le système capitaliste mondial « modernise » la production, la circulation et la consommation de marchandises. La nouvelle révolution technologique (l’informatique) et la nouvelle révolution politique (les mégapoles émergentes sur les ruines de l’Etat-nation) produisent une nouvelle « révolution » sociale, en fait une réorganisation des forces sociales, principalement de la force du travail.

La population économiquement active (PEA) mondiale est passée de 1,38 milliard en 1960 à 2,37 milliards en 1990. Davantage d’êtres humains capables de travailler, mais le nouvel ordre mondial les circonscrit dans des espaces précis et en réaménage les fonctions (ou les non-fonctions, comme dans le cas des chômeurs et des précaires). La population mondiale employée par activité (PMEA) s’est modifiée radicalement au cours des vingt dernières années. Le secteur agricole et la pêche sont tombés de 22 % en 1970 à 12 % en 1990, le manufacturier de 25 % à 22 %, mais le tertiaire (commerce, transports, banque et services) est passé de 42 % à 56 %. Dans les pays en voie de développement, le tertiaire a crû de 40 % en 1970 à 57 % en 1990, l’agriculture et la pêche chutant de 30 % à 15 % (2).

De plus en plus de travailleurs sont orientés vers des activités de haute productivité. Le système agit ainsi comme une sorte de mégapatron pour lequel le marché planétaire ne serait qu’une entreprise unique, gérée de manière « moderne ». Mais la « modernité » néolibérale semble plus proche de la bestiale naissance du capitalisme que de la « rationalité » utopique. Car la production capitaliste continue de faire appel au travail des enfants. Sur 1,15 milliard d’enfants dans le monde, au moins 100 millions vivent dans la rue et 200 millions travaillent — ils seront, d’après les prévisions, 400 millions en l’an 2000. Rien qu’en Asie, on en compterait 146 millions dans les manufactures. Et, dans le Nord aussi, des centaines de milliers d’enfants travaillent pour compléter le revenu familial ou pour survivre. On emploie également beaucoup d’enfants dans les industries du plaisir : selon les Nations unies, chaque année, un million d’enfants sont jetés dans le commerce sexuel.

Le chômage et la précarité de millions de travailleurs dans le monde, voilà une réalité qui ne semble pas à la veille de disparaître. Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le chômage est passé de 3,8 % en 1966 à 6,3 % en 1990 ; en Europe, il est passé de 2,2 % à 6,4 %. Le marché mondialisé détruit les petites et moyennes entreprises. Avec la disparition de marchés locaux et régionaux, celles-ci, privées de protection, ne peuvent supporter la concurrence des géants transnationaux. Des millions de travailleurs se retrouvent ainsi au chômage. Absurdité néolibérale : loin de créer des emplois, la croissance de la production en détruit — l’ONU parle de « croissance sans emploi ».

Mais le cauchemar ne s’arrête pas là. Les travailleurs doivent accepter des conditions précaires. Une plus grande instabilité, des journées de travail plus longues et des salaires plus bas. Telles sont les conséquences de la mondialisation et de l’explosion du secteur des services.

Tout cela produit un excédent spécifique : des êtres humains en trop, inutiles au nouvel ordre mondial parce qu’ils ne produisent plus, ne consomment plus et n’empruntent plus aux banques. Bref, ils sont jetables. Chaque jour, les marchés financiers imposent leurs lois aux Etats et aux groupes d’Etats. Ils redistribuent les habitants. Et, à la fin, ils constatent qu’il y a encore des gens en trop.

Voilà donc une figure qui ressemble à un triangle, la représentation de la pyramide de l’exploitation mondiale.

 

 


PIÈCE NUMÉRO 3

MIGRATION,
LE CAUCHEMAR ERRANT

 


La figure 3 se construit en dessinant un cercle.

Nous avons déjà parlé de l’existence, à la fin de la troisième guerre mondiale, de nouveaux territoires (les anciens pays socialistes) à conquérir, et d’autres à reconquérir. D’où la triple stratégie des marchés : les « guerres régionales » et les « conflits internes » prolifèrent ; le capital poursuit un objectif d’accumulation atypique ; et de grandes masses de travailleurs sont mobilisées. Résultat : une grande roue de millions de migrants à travers la planète. « Etrangers » dans un monde « sans frontières », selon la promesse des vainqueurs de la guerre froide, ils souffrent de persécutions xénophobes, de la précarité de l’emploi, de la perte de leur identité culturelle, de la répression policière et de la faim, quand on ne les jette pas en prison ou qu’on ne les assassine. Le cauchemar de l’émigration, quelle qu’en soit la cause, continue de croître. Le nombre de ceux qui relèvent du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a littéralement explosé, passant de 2 millions en 1975 à plus de 27 millions en 1995.

La politique migratoire du néolibéralisme a davantage pour but de déstabiliser le marché mondial du travail que de freiner l’immigration. La quatrième guerre mondiale — avec ses mécanismes de destruction-dépeuplement, reconstruction-réorganisation — entraîne le déplacement de millions de personnes. Leur destinée est d’errer, leur cauchemar sur le dos, afin de constituer une menace pour les travailleurs disposant d’un emploi, un épouvantail de nature à faire oublier le patron et un prétexte pour le racisme.

 

 


PIÈCE NUMÉRO 4

MONDIALISATION FINANCIÈRE
ET GÉNÉRALISATION DU CRIME

 


La figure 4 se construit en dessinant un rectangle.

Si vous pensez que le monde de la délinquance est synonyme d’outre-tombe et d’obscurité, vous vous trompez. Durant la période dite de guerre froide, le crime organisé a acquis une image plus respectable. Non seulement il a commencé à fonctionner comme une entreprise moderne, mais il a aussi pénétré profondément les systèmes politiques et économiques des Etats-nations.

Avec le début de la quatrième guerre mondiale, le crime organisé a globalisé ses propres activités. Les organisations criminelles des cinq continents se sont approprié l’« esprit de coopération mondial » et, associées, participent à la conquête des nouveaux marchés. Elles investissent dans des affaires légales, non seulement pour blanchir l’argent sale, mais pour acquérir du capital destiné à leurs affaires illégales. Activités préférées : l’immobilier de luxe, les loisirs, les médias, et... la banque.

Ali Baba et les 40 banquiers ? Pis. Les banques commerciales utilisent l’argent sale pour leurs activités légales. Selon un rapport des Nations unies, « le développement des syndicats du crime a été facilité par les programmes d’ajustement structurel que les pays endettés ont été contraints d’accepter pour avoir accès aux prêts du Fonds monétaire international  (3) ».

Le crime organisé compte aussi sur les paradis fiscaux. Il y en a quelque 55 — l’un d’eux, les îles Caïman, occupe la cinquième place comme centre bancaire et possède plus de banques et de sociétés enregistrées que d’habitants. Outre le blanchiment de l’argent sale, les paradis fiscaux servent à échapper aux impôts. Ce sont des lieux de contact entre gouvernants, hommes d’affaires et chefs mafieux.

Voici donc le miroir rectangulaire dans lequel légalité et illégalité échangent leurs reflets. De quel côté du miroir se trouve le criminel ? De quel côté celui qui le poursuit ?

 

 


PIÈCE NUMÉRO 5

LÉGITIME VIOLENCE
D’UN POUVOIR ILLÉGITIME ?

 


La figure 5 se construit en dessinant un pentagone.

Dans le cabaret de la globalisation, l’Etat se livre à un strip-tease au terme duquel il ne conserve que le minimum indispensable : sa force de répression. Sa base matérielle détruite, sa souveraineté et son indépendance annulées, sa classe politique effacée, l’Etat-nation devient un simple appareil de sécurité au service des méga-entreprises. Au lieu d’orienter l’investissement public vers la dépense sociale, il préfère améliorer les équipements qui lui permettent de contrôler plus efficacement la société.

Que faire quand la violence découle des lois du marché ? Où est la violence légitime ? Où l’illégitime ? Quel monopole de la violence peuvent revendiquer les malheureux Etats-nations quand le libre jeu de l’offre et la demande défie un tel monopole ? N’avons-nous pas montré, dans la pièce no 4, que le crime organisé, le gouvernement et les centres financiers sont tous intimement liés ? N’est-il pas évident que le crime organisé compte de véritables armées ? Le monopole de la violence n’appartient plus aux Etats-nations : le marché l’a mis à l’encan... Si la contestation du monopole de la violence invoque, non les lois du marché, mais les intérêts de « ceux d’en bas », alors le pouvoir mondial y verra une agression. C’est l’un des aspects les moins étudiés (et les plus condamnés) du défi lancé par les indigènes en armes et en rébellion de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) contre le néolibéralisme et pour l’humanité.

Le symbole du pouvoir militaire américain est le Pentagone. La nouvelle police mondiale veut que les armées et les polices nationales soient un simple corps de sécurité garantissant l’ordre et le progrès dans les mégapoles néolibérales.

 

 


PIÈCE NUMÉRO 6

LA MÉGAPOLITIQUE
ET LES NAINS

 


La figure 6 se construit en faisant un gribouillage.

Nous avons dit que les Etats-nations sont attaqués par les marchés financiers et contraints de se dissoudre au sein de mégapoles. Mais le néolibéralisme ne mène pas seulement sa guerre en « unissant » des nations et des régions. Sa stratégie de destruction-dépeuplement et de reconstruction-réorganisation produit, de surcroît, des fractures dans les Etats-nations. C’est l’un des paradoxes de cette quatrième guerre : destinée à éliminer les frontières et à unir des nations, elle provoque une multiplication des frontières et une pulvérisation des nations.

Si quelqu’un doute encore que cette globalisation soit une guerre mondiale, qu’il prenne en compte les conflits qui ont provoqué l’éclatement de l’URSS, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie, victimes de ces crises qui brisent les fondements économiques des Etats-nations et leur cohésion.

La construction des mégapoles et la fragmentation des Etats sont une conséquence de la destruction des Etats-nations. S’agit-il d’événements séparés ? Sont-ce des symptômes d’une mégacrise à venir ? Des faits isolés ? La suppression des frontières commerciales, l’explosion des télécommunications, les autoroutes de l’information, la puissance des marchés financiers, les accords internationaux de libre-échange, tout cela contribue à détruire les Etats-nations. Paradoxalement, la mondialisation produit un monde fragmenté, fait de compartiments étanches à peine reliés par des passerelles économiques. Un monde de miroirs brisés qui reflètent l’inutile unité mondiale du puzzle néolibéral.

Mais le néolibéralisme ne fragmente pas seulement le monde qu’il voudrait unifier, il produit également le centre politico-économique qui dirige cette guerre. Il est urgent de parler de la mégapolitique. La mégapolitique englobe les politiques nationales et les relie à un centre qui a des intérêts mondiaux, avec, pour logique, celle du marché. C’est au nom de celle-ci que sont décidés les guerres, les crédits, l’achat et la vente de marchandises, les reconnaissances diplomatiques, les blocus commerciaux, les soutiens politiques, les lois sur les immigrés, les ruptures internationales, les investissements. Bref, la survie de nations entières.

Les marchés financiers n’ont que faire de la couleur politique des dirigeants des pays : ce qui compte, à leurs yeux, c’est le respect du programme économique. Les critères financiers s’imposent à tous. Les maîtres du monde peuvent tolérer l’existence d’un gouvernement de gauche, à condition que celui-ci n’adopte aucune mesure pouvant nuire aux intérêts des marchés. Ils n’accepteront jamais une politique de rupture avec le modèle dominant.

Aux yeux de la mégapolitique, les politiques nationales sont conduites par des nains qui doivent se plier aux diktats du géant financier. Il en sera toujours ainsi... jusqu’à ce que les nains se révoltent.

Voici donc la figure qui représente la mégapolitique. Impossible de lui trouver la moindre rationalité.

 

 


PIÈCE NUMÉRO 7

LES POCHES
DE RÉSISTANCE

 


La figure 7 se construit en dessinant une poche.

« Pour commencer, je te prie de ne point confondre la Résistance avec l’opposition politique. L’opposition ne s’oppose pas au pouvoir, et sa forme la plus aboutie est celle d’un parti d’opposition ; tandis que la Résistance, par définition, ne peut être un parti : elle n’est pas faite pour gouverner, mais... pour résister. » (Tomás Segovia, Alegatorio, Mexico, 1996.)

L’apparente infaillibilité de la mondialisation se heurte à l’obstinée désobéissance de la réalité. Tandis que le néolibéralisme poursuit sa guerre, des groupes de protestataires, des noyaux de rebelles se forment à travers la planète. L’empire des financiers aux poches pleines affronte la rébellion des poches de résistance. Oui, des poches. De toutes tailles, de différentes couleurs, de formes variées. Leur seul point commun : une volonté de résistance au « nouvel ordre mondial » et au crime contre l’humanité que représente cette quatrième guerre.

Le néolibéralisme tente de soumettre des millions d’êtres, et veut se défaire de tous ceux qui seraient « de trop ». Mais ces « jetables » se révoltent. Femmes, enfants, vieillards, jeunes, indigènes, écologistes, homosexuels, lesbiennes, séropositifs, travailleurs, et tous ceux qui dérangent l’ordre nouveau, qui s’organisent et qui luttent. Les exclus de la « modernité » tissent les résistances.

Au Mexique, par exemple, au nom du Programme de développement intégral de l’isthme des Tehuantepec, les autorités voudraient construire une grande zone industrielle. Cette zone comprendra des « usines-tournevis », une raffinerie pour traiter le tiers du brut mexicain et pour élaborer des produits de la pétrochimie. Des voies de transit interocéaniques seront construites : des routes, un canal et une ligne ferroviaire transisthmique. Deux millions de paysans deviendraient ouvriers de ces usines. De même, dans le sud-est du Mexique, dans la forêt Lacandone, on met sur pied un Programme de développement régional durable, avec l’objectif de mettre à la disposition du capital des terres indigènes riches en dignité et en histoire, mais aussi en pétrole et en uranium.

Ces projets aboutiraient à fragmenter le Mexique, en séparant le Sud-Est du reste du pays. Ils s’inscrivent, en fait, dans une stratégie de contre-insurrection, telle une tenaille cherchant à envelopper la rébellion anti-néolibérale née en 1994 : au centre, se trouvent les indigènes rebelles de l’Armée zapatiste de libération nationale.

Sur la question des indigènes rebelles, une parenthèse s’impose : les zapatistes estiment que, au Mexique, la reconquête et la défense de la souveraineté nationale font partie de la révolution antilibérale. Paradoxalement, on accuse l’EZLN de vouloir la fragmentation du pays. La réalité, c’est que les seuls à évoquer le séparatisme sont les entrepreneurs de l’Etat de Tabasco, riche en pétrole, et les députés fédéraux originaires du Chiapas et membres du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Les zapatistes, eux, pensent que la défense de l’Etat national est nécessaire face à la mondialisation, et que les tentatives pour briser le Mexique en morceaux viennent du groupe qui gouverne et non des justes demandes d’autonomie des peuples indiens.

L’EZLN et l’ensemble du mouvement indigène national ne veulent pas que les peuples indiens se séparent du Mexique : ils entendent être reconnus comme partie intégrante du pays, mais avec leurs spécificités. Ils aspirent à un Mexique rimant avec démocratie, liberté et justice. Si l’EZLN défend la souveraineté nationale, l’armée fédérale mexicaine, elle, protège un gouvernement qui en a détruit les bases matérielles et qui a offert le pays au grand capital étranger comme aux narcotrafiquants.

Il n’y a pas que dans les montagnes du Sud-Est mexicain que l’on résiste au néolibéralisme. Dans d’autres régions du Mexique, en Amérique latine, aux Etats-Unis et au Canada, dans l’Europe du traité de Maastricht, en Afrique, en Asie et en Océanie, les poches de résistance se multiplient. Chacune a sa propre histoire, ses spécificités, ses similitudes, ses revendications, ses luttes, ses succès. Si l’humanité veut survivre et s’améliorer, son seul espoir réside dans ces poches que forment les exclus, les laissés-pour-compte, les « jetables ».

Cela est un exemple de poche de résistance, mais je n’y attache pas beaucoup d’importance. Les exemples sont aussi nombreux que les résistances et aussi divers que les mondes de ce monde. Dessinez donc l’exemple qui vous plaira. Dans cette affaire des poches, comme dans celle des résistances, la diversité est une richesse.

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Après avoir dessiné, colorié et découpé ces sept pièces, vous vous apercevrez qu’il est impossible de les assembler. Tel est le problème : la mondialisation a voulu assembler des pièces qui ne s’emboîtent pas. Pour cette raison, et pour d’autres que je ne peux développer dans ce texte, il est nécessaire de bâtir un monde nouveau. Un monde pouvant contenir beaucoup de mondes, pouvant contenir tous les mondes.

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Post-scriptum qui raconte des rêves nichés dans l’amour. La mer repose à mes côtés. Elle partage depuis longtemps des angoisses, incertitudes, et de nombreux rêves, mais maintenant, elle dort avec moi dans la nuit chaude de la forêt. Je la regarde onduler comme les blés dans mes rêves et m’émerveille à nouveau de la retrouver inchangée : tiède, fraîche, à mes côtés. L’étouffement me tire du lit et prend ma main et ma plume pour ramener le vieil Antoine, aujourd’hui comme il y a des années... J’ai demandé au vieil Antoine de m’accompagner dans une exploration en aval du fleuve. Nous n’emportons qu’un peu de nourriture. Durant des heures, nous poursuivons le cours capricieux, et la faim et la chaleur nous saisissent. Nous passons l’après-midi à poursuivre une harde de sangliers. Il fait presque nuit lorsque nous les rejoignons, mais un énorme porc sauvage se détache du groupe et nous attaque. Je fais appel à tout mon savoir militaire : je jette mon arme, et je grimpe à l’arbre le plus proche. Le vieil Antoine reste impassible devant l’attaque et, au lieu de courir, il se place derrière un taillis. Le gigantesque sanglier, de toutes ses forces, fonce droit sur lui, et s’encastre dans les branchages et les épines. Avant qu’il ne parvienne à se libérer, le vieil Antoine lève sa vieille carabine, et, d’un coup, fournit le repas du soir. A l’aube, lorsque j’ai fini de nettoyer mon moderne fusil automatique (M-16, calibre 5,56 mm avec sélecteur de cadence et une portée réelle de 460 mètres, une mire télescopique, et un chargeur de 90 balles), je rédige mon Journal de campagne. Omettant ce qui est arrivé, je note seulement : « Avons rencontré sanglier et A. a tué une pièce. Hauteur 350 mètres. Il n’a pas plu. »

Pendant que nous attendons que la viande grille, je raconte au vieil Antoine que ma part servira pour les fêtes qu’on prépare au campement. « Des fêtes ? », me demande-t-il, pendant qu’il attise le feu. « Oui, lui dis-je. Quel que soit le mois, il y a toujours quelque chose à fêter. » Et je poursuis par une brillante dissertation sur le calendrier historique et les célébrations zapatistes. Le vieil Antoine m’écoute en silence ; imaginant que cela ne l’intéresse pas, je m’installe pour dormir. Plongé dans mes rêves, je vois le vieil Antoine saisir mon cahier et y écrire quelque chose. Le lendemain, après le petit déjeuner, nous partageons la viande, et chacun s’en va de son côté. Une fois au campement, je fais mon rapport et je montre le cahier pour qu’on sache ce qui s’est passé. « Ce n’est pas ton écriture », me dit-on en me montrant la feuille du cahier. Là, après ce que j’avais noté moi-même, le vieil Antoine a écrit en grosses lettres : « Si tu ne peux pas avoir, et la raison, et la force, choisis toujours la raison et abandonne à l’ennemi la force. Dans de nombreuses batailles, la force permet d’obtenir la victoire, mais une guerre ne se gagne que grâce à la raison. Le puissant ne pourra jamais tirer de la raison de sa force, tandis que nous pourrons toujours tirer force de notre raison. »

Et plus bas, en petits caractères : « Joyeuses fêtes. »

Évidemment, je n’avais plus faim. Les fêtes zapatistes, comme d’habitude, furent effectivement joyeuses.

le sous-commandant Marcos

Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), Chiapas, Mexique.
 
 

(1Entretien avec Martha Garcia, La Jornada, 28 mai 1997.

(2Ochoa Chi et Juanita del Pilar, Mercado mundial de fuerza de trabajo en el capitalismo contemporaneo, UNAM, Economia, Mexico, 1997.

(3La globalisation du crime, Nations unies, New York, 1995.

 

Lire aussi l'abécédaire du sous-commandant Marcos : 

https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/020517/l-abec...

 

 

 

 

12/01/2019

Entretien avec Juan Branco, avocat, auteur de Crépuscule (2018)

Léché, lâché, lynché. La règle des trois « L » est bien connue parmi ceux qui connaissent gloire et beauté. C’est ce qui arrive à Emmanuel Macron. Hier, le beau monde des médias le léchait avec ravissement, et voilà qu’aujourd’hui le peuple demande sa tête au bout d’une pique. Le petit prodige est devenu le grand exécré.

 

Rien d’étonnant, les riches l’ont embauché pour ça, il est leur fondé de pouvoir, il est là pour capter toute l’attention et toutes les colères, il est leur paratonnerre, il est leur leurre, en somme. Tandis que la foule hurle « Macron, démission », ceux du CAC 40 sont à la plage. Un excellent placement, ce Macron. De la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune à la « flat tax » sur les revenus des capitaux, de la baisse de l’impôt sur les sociétés à la loi Travail qui facilite les licenciements, il n’a pas volé son titre de président des riches.

Mais pourquoi lui ? Comment est-il arrivé là ? À quoi ressemblent les crabes du panier néolibéral d’où est sorti ce premier de la classe ? Une caste, un clan, un gang ? Le cercle du pouvoir, opaque par nature, suscite toujours fantasmes et complotisme aigu. Il est très rare qu’une personne du sérail brise l’omerta.

Voir et écouter l'interview par Daniel Mermet ici : 

https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/Juan-Branco...

 

Juan Branco vient de ce monde-là. Avocat, philosophe, chercheur, diplômé des hautes écoles qui fabriquent les élites de la haute fonction publique, à 30 ans il connaît ce monde de l’intérieur. Sur son blog, il publie « CRÉPUSCULE », une enquête sur les ressorts intimes du pouvoir macroniste et ses liens de corruption, de népotisme et d’endogamie, « un scandale démocratique majeur : la captation du pouvoir par une petite minorité, qui s’est ensuite assurée d’en redistribuer l’usufruit auprès des siens, en un détournement qui explique l’explosion de violence à laquelle nous avons assisté. [1] »

Un entretien de Daniel Mermet avec Juan Branco, avocat, auteur de Crépuscule (2018).

Juan Branco, Crépuscule, 2018

Cliquez ici pour télécharger Crépuscule, de Juan Branco :

journaliste : Daniel Mermet
réalisation : Jonathan Duong
image : Cécile Frey
montage : Kévin Accart
son : Sylvain Richard

 

 

 

09/01/2019

Le réseau des centres de savoirs amazoniens et des cultures ancestrales en Guyane

 

La Guyane française est un département d’outre-mer en Amérique du Sud peu connu et peu valorisé, pourtant très riche culturellement et naturellement. Ses peuples autochtones font face à une véritable crise de sens, déchirés entre leurs traditions ancestrales et l’évolution d’une société qui tente de les assimiler malgré leurs différences et réticences. Leur culture, leurs structures traditionnelles, leurs liens à la terre sont extrêmement menacés. Dans ce contexte, la Jeunesse Autochtone de Guyane cherche à reconstruire et affirmer son identité culturelle, à travers la ré-appropriation des savoirs de leurs ancêtres.

En partenariat avec les peuples guyanais, et avec la JAG, Nature Rights initie la création d’un réseau de centres de savoirs ancestraux amazoniens en s’appuyant sur les initiatives et projets autochtones réparties sur l’ensemble du territoire guyanais. L’objectif est de soutenir et accompagner des projets en herbe ayant pour objet « d’assurer la reconstitution, l’accessibilité et la transmission des savoirs et savoir-faire des Peuples Autochtone de Guyane, d’Amazonie et du monde ».

En Guyane française existent de nombreuses initiatives visant à promouvoir la biodiversité et les savoirs traditionnels guyanais, mais elles ne reçoivent que peu d’aide financière ou d’accompagnement dans la gestion. De ce fait, l’ESF entend co-construire avec les porteurs de projet une stratégie globale d’accompagnement et de mise en réseau des dynamiques locales afin partager des outils, des méthodes et des contenus. L’objectif est de soutenir des initiatives participant à la reconstitution du patrimoine culturel Amérindien d’une part, et d’autre part au renforcement de la capacité de résilience des communautés par les échanges culturels et l’ouverture sur le monde.

De nombreux projets sont actuellement en cours d’étude : à Trois Sauts, à Awala Yalimapo, en terre Wayana et à Saint-Laurent du Maroni. L’objectif est d’essaimer le concept sur tout le territoire guyanais en soutenant les communautés dans le développement de petits centres dans les villages.

Le modèle comporte un volet physique et un volet numérique. Il s’appuie d’une part sur des initiatives physiques locales afin de soutenir la transmission des savoirs, savoirs-faires traditionnels et l’entreprenariat local qui valorise les ressources culturelles ainsi que la biodiversité guyanaise. D’autre part, l’initiative s’appuie sur une interface qui va permettre la collecte et le partage d’informations concernant les de ressources relatives aux peuples autochtones. Le réseau sera aussi utilisé pour valoriser et diffuser les expériences locales et les savoirs-faires traditionnels.

Cette initiative est inspirée de Yorenka Atame, l’école des savoirs de la forêt développé par la communauté Ashaninka au Brésil. Ce centre recense, produit et diffuse des pratiques durables de gestion des ressources naturelles, fondées sur les savoirs traditionnels autochtones. Une visite des porteurs de projets autochtones guyanais à Yorenka Atame est en cours d’organisation en juillet 2018, pour leur permettre de mieux s’approprier le projet et de l’adapter aux circonstances locales. Voir Bio Benki Piyako Voir Rencontre Benki / JAG

A terme, le projet vise à valoriser l’identité et les savoirs autochtone en dehors du territoire guyanais afin d’ouvrer en faveur de leur reconnaissance par l’Etat français et participer à la souveraineté sur leur territoire et sur leurs modes de vies. Il s’agira par ailleurs de promouvoir des alternatives de développement valorisant les ressources culturelles et naturelles de la région, tel que le soutien aux productions locales artisanales, afin de participer à l’autonomie  des communautés et ainsi promouvoir un développement respectueux de la nature et de l’homme en Guyane.

 

Source : http://www.naturerights.com/blog/?p=1897

 

 

 

L'ALLEMAGNE ROUVRE SES PETITES LIGNES DE TRAIN. RÉSULTAT : MOINS DE VOITURES

 

Grâce à ces trains qui passent partout, sont nombreux et ne coûtent pas chers, les habitants des villages renoncent de plus en plus à leur voiture !

Alors que la SNCF n’en finit plus de réduire la circulation de ses trains sur les petites lignes ferroviaires (ici par exemple), en Allemagne, on est en train de faire exactement le contraire. Les autorités misent tout sur le train dans les campagnes. Pourquoi et avec quels résultats ? Réponses dans ce reportage de France 2 qui laisse rêveur.

Source : Shutterstock

Cette politique de retour massif du train en milieu rural poursuit trois objectifs clairs et ambitieux : désenclaver les villages, développer l’activité économique des campagnes et réduire les émissions de CO2 provoquées par la voiture. Est-ce que ça marche ? Eh bien il semblerait que oui ! La fréquentation de ces trains explose et les entreprises font leur grand retour.

Regardez :

 

Des trains pas chers, nombreux et qui passent partout. Voilà comment on dissuade les habitants des campagnes de prendre leur voiture. Encore faut-il que cette ambition soit portée par une volonté politique sans faille et des moyens financiers à hauteur de l’enjeu.

Là bas, dans les campagnes concernées, les taxes sur le carburant peuvent bien augmenter, ça ne sera pas un drame puisque les habitants ne dépendent pus exclusivement de leur voiture. En matière de transition écologique, voici un exemple très inspirant.

 

Source / https://positivr.fr/

 

 

 

La région de Sikkim en Inde achève sa conversion au tout biologique

La région de Sikkim achève sa conversion au tout biologique

Face à la baisse des réserves d’eau, à la pollution et à l’endettement des agriculteurs, l’Inde tente de se sortir de la crise agraire.

À partir de 2003, le gouvernement du Sikkim a lancé un vaste plan de transition bio dans cette région du nord-est de l’Inde.

À partir de 2003, le gouvernement du Sikkim a lancé un vaste plan de transition bio dans cette région du nord-est de l’Inde.Image: Getty Images

 

En 2003, lorsque le gouvernement du Sikkim décrète que l’agriculture devra se convertir au bio, Karma Dichen y voit une annonce sans lendemain. Ce paysan qui cultive un hectare est d’autant plus étonné que cette réforme tranche avec les politiques en place: «Avant 2003, les autorités nous encourageaient à utiliser les engrais et les pesticides chimiques.» En forçant les agriculteurs à passer au bio, le Sikkim rompt avec la «révolution verte» bien ancrée en Inde depuis les années 60. À cette époque, le gouvernement commence à importer des semences de blé et de riz dites à haut rendement. Le Pendjab, l’Haryana et l’Uttar Pradesh sont choisis comme laboratoires de ces nouvelles techniques.

Épuisement des nappes

 
 

Mais la culture exclusive des deux céréales, alliée aux nouvelles semences, exige beaucoup d’eau, d’engrais et de pesticides. La fertilité des sols et le niveau des nappes phréatiques s’épuisent. L’achat d’intrants chimiques précipite les agriculteurs dans l’endettement.

Du coup, lorsque le gouvernement du Sikkim lance la transition bio en 2003, la réforme est jugée inévitable. «C’est le seul moyen de sauver notre mère la Terre», martèle Khorlo Bhutia, le directeur du département de l’horticulture. Et puis la conversion semble facile. «En 2003, la consommation d’engrais chimique au Sikkim s’élevait à un dixième de la moyenne nationale», raconte le docteur Anbalagan, directeur exécutif de la mission organique du Sikkim.

En 2015, le Sikkim franchit une étape supplémentaire en interdisant les engrais et les pesticides chimiques. Et de 2003 à 2017, il dépense un milliard de roupies (10 à 13 millions de francs) pour certifier 76 100 hectares de terres.

Interdiction du non bio

Les premières années donnent raison aux sceptiques. «Ma production a baissé pendant trois ans et le gouvernement a dû couvrir nos pertes en instaurant des prix garantis», raconte Karma Dichen. Les consommateurs boudent les fruits et légumes bios, trop chers. Alors en avril dernier, les autorités interdisent la vente d’une douzaine de denrées non-bio. Pour éviter la pénurie, seuls les aliments qui ne sont pas ou peu cultivés sur place sont importés: céréales, légumes secs, pommes de terre, oignons, mangues, piments…

Aujourd’hui, le Sikkim ne peut pas compter sur sa seule production agricole pour nourrir ses 620 000 habitants, auxquels s’ajoutent 1,4 million de touristes venus en 2017. Montagneuse, minuscule, la région manque de terres. Mais la conversion semble faire effet. À Gangtok, la capitale, les étals des épiceries sont abondamment pourvus en légumes et fruits bios, signe que la production locale satisfait la demande. Après trois années difficiles, Karma Dichen a réussi la conversion: «Ma production de riz dépasse de 5% le niveau antérieur. Les légumes sont plus gros. Avant, les choux que je récoltais pesaient entre 500 et 700 grammes. Aujourd’hui, ils font un kilo. Je n’utilise que des engrais organiques. Le gouvernement a organisé des formations pour apprendre aux agriculteurs à fabriquer du compost ainsi que des pesticides à base d’urine de vache et de riz fermenté.»

L’agriculture du Sikkim reste confrontée à plusieurs problèmes. «Beaucoup de cultivateurs ne savent pas fabriquer les pesticides bios et ils ont du mal à lutter contre les parasites. La plupart exercent un second métier, très peu sont agriculteurs à plein temps. C’est une profession qui traîne une image de pauvreté et que le corps social méprise», constatent Abhinandan et Abhimanyu Dhakal, deux entrepreneurs qui travaillent avec 600 agriculteurs locaux pour cultiver des poires de terre biologiques. Ils sont néanmoins optimistes: «Notre production à l’hectare a retrouvé son niveau d’avant la réforme et nous avons posé les bases d’un modèle économique très rentable. Nous n’avons plus besoin d’acheter des engrais et des pesticides chimiques, ce qui réduit les coûts. Les terres sont plus fertiles.»

D’autres États s’y mettent

Le modèle du Sikkim fait des émules. L’Arunachal Pradesh et d’autres États du Nord-Est sont en train de convertir leur agriculture au bio. L’an dernier, le gouvernement du Sikkim a formé une co-entreprise avec le fabriquant d’engrais chimique Iffco pour produire des semences, des engrais et des pesticides bios.

Mais en finir avec l’agriculture conventionnelle en Inde sera long. «Au Pendjab, il est impossible de cultiver sans engrais ni pesticides chimiques. Passer à l’agriculture biologique leur prendra au moins trois ans, le temps que les sols se régénèrent», prévient Khorlo Bhutia.

Le pouvoir central débourse 10 à 11 milliards de francs de subventions pour les engrais chaque année, des fonds qui pourraient contribuer au financement d’une telle transition. Mais le gouvernement fédéral hésite. Pour le docteur Anbalangan, il faut compter avec les industriels: «Des entreprises du secteur chimique font du lobbying dans la presse pour empêcher le bio de faire tache d’huile.»

Source / 24 heures

 

 

 

08/01/2019

Connaissez-vous Cargill ?

 

Cette multinationale ignoble (et elle a trois ou quatre collègues de la même branche du même acabit) mériterait un documentaire bien plus approfondi, mais cela donne déjà une idée, sachant que tout cela n'a fait qu'empirer depuis et que l'impact est mondial.

à lire : http://www.buchetchastel.fr/la-faim-martin-caparros-97822...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

05/01/2019

La Faim de Martín Caparrós (2015)

 

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Traduit par Alexandra Carrasco de l'Espagnol (Argentine)

Buchet-Castel, 1er octobre 2015

 

784 pages, 26 euros

 

25 000 hommes, femmes, enfants meurent chaque jour de faim ou de malnutrition à travers le monde. Aucun fléau, aucune épidémie, aucune guerre n’a jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, exigé un tel tribut. Et pourtant, la nourriture ne manque pas : la planète ploie sous l’effet de la surproduction alimentaire et le négoce va bon train.

Comment documenter ce paradoxe sans tomber dans la vaine accumulation statistique ? C’est la question qu’explore Martin Caparrós en partant à la rencontre de ceux qui ont faim, mais aussi de ceux qui s’enrichissent et gaspillent à force d’être repus. Leurs histoires sont là, rendues avec empathie et perspicacité par l’auteur. Fouillant sans relâche les mécanismes qui privent les uns de ce processus essentiel, manger, alors que les autres meurent d’ingurgiter à l’excès, le texte livre une réflexion éclairante sur la faim dans le monde et ses enjeux, du Niger au Bangladesh, du Soudan à Madagascar, des États-Unis à l’Argentine, de l’Inde à l’Espagne.

Un état des lieux implacable et nécessaire.

 

http://www.buchetchastel.fr/la-faim-martin-caparros-97822...

 

 

 

 

 

01/01/2019

Revue Nouveaux Délits n°62

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Janvier 2019

 

À nous toutes et tous, convives parmi d’autres formes de vie dont aucune n’est quantité négligeable, de cette toute petite planète de plus en plus abimée et qui ne pas tarder à nous envoyer bouler, à nous toutes et tous, humains, bons vivants, survivants, gavés, affamés, élus, exclus, exploitants, exploités, avec ou sans terre, avec ou sans papier, avec ou sans droit, maltraitants, maltraités et toute la palette de plus en plus mince des entre-deux, je nous souhaite, à toutes et tous, une surprenante année d’évolution, aussi improbable que magnifique, une année où les consciences se mettront à briller tellement fort que nul ne pourra les ignorer, aussi perché, aussi borné soit-il ! Une année 2019, avec du vrai neuf qui ne soit pas pure pacotille. Que l’ouverture de l’esprit — laquelle n’est pas, nous rappelait ce cher Desproges, une fracture du crâne — et celle du cœur deviennent pandémiques. Souhaitons-nous un truc dingue, incroyable, une fulgurance empathique, un éclair de lucidité universelle qui foudroie d’un coup l’arrogance et la cupidité, le mensonge, les peurs et vieilles rengaines encrassées, un truc qui déculotte d’un coup tous ceux qui confondent pouvoir et intelligence et leur remette l’humilité en place. Un virus de sagesse et de générosité que rien ne puisse arrêter afin que le principe d’équité devienne partout et en tout, une évidence, car voyez-vous « le monde est nous tous, ou rien ».

 


Haïssez celui qui n’est pas de votre race.
Haïssez celui qui n’a pas votre foi.
Haïssez celui qui n’est pas de votre rang social.
Haïssez, haïssez, vous serez haï.
De la haine, on passera à la croisade,
Vous tuerez ou vous serez tué.
Quoi qu’il en soit,
vous serez les victimes de votre haine.
La loi est ainsi :
Vous ne pouvez être heureux seul.
Si l’autre n’est pas heureux,
vous ne le serez pas non plus,
Si l’autre n’a pas d’avenir,
vous n’en aurez pas non plus,
Si l’autre vit d’amertume,
vous en vivrez aussi,
Si l’autre est sans amour,
vous le serez aussi.
Le monde est nous tous, ou rien.
L’abri de votre égoïsme est sans effet dans l’éternité.
Si l’autre n’existe pas, vous n’existez pas non plus.

Louis Calaferte

 

 

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AU SOMMAIRE

 

 

Délit de poésie : Florentine Rey, Guénane, Patrick Boutin, Guillaume Simon

 

Délit d’évasion : extrait de La Rumeur Sourde du Récif de Xavier Combres, récit d’un séjour aux Iles Loyauté, Nouvelle-Calédonie

 

Délit de poésie brésilienne : Nilton Resende, Regina Alonso, Tereza Du'Zai  et Itamar Vieira Junior, traduits par Stéphane Chao

 

Résonances : Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas d’Heptanes Fraxion & Je danse encore après minuit de Florentine Rey.

 

Délits d’(in)citations en flocons au coin des pages mènent au bulletin de complicitéà la patience légendaire, qui sifflote au fond en sortant.

 

 

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Illustrateur : Michel Vautier

http://www.michelvautier.fr

 

« MV, on retrouve ce signe cryptogrammé parfois dans quelques recoins des peintures de Michel Vautier, comme un souvenir de lui-même, tant il aime s’effacer …/… Certains utilisent la photographie pour peindre (ils sont nombreux), d’autres (beaucoup moins nombreux) utilisent la peinture pour photographier, et c’est bien là me semble-t-il que la tournure du travail de MV prend tout son sens. Comme si MV utilisait la peinture en toile de fond pour faire de la photographie (ou l’inverse)… MV décline avec énormément d’enthousiasme et de clarté tous ces composants qui font de la photographie non plus un modèle mais une substance, une matière à part entière. »  j.f. Yorobietchik, septembre 2018.

 

 

 

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J'ai vu que ce n'était pas l'homme qui était impuissant dans sa lutte contre le mal, j'ai vu que c'était le mal qui était impuissant dans sa lutte contre l'homme. Le secret de l'immortalité de la bonté est dans son impuissance. Elle est invincible.

Vassili Grossman

 

 

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Jeûnez de la méchanceté !

 

 Empédocle (485-440 av. J.-C. environ)

 

 

http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/

 

 

 

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  Il devrait y avoir une heure avant l'aube 

Ce premier livre édité par BUzo, l’association qui porte la Nuit de la Poésie de Crest, est un ouvrage collectif, un livre de solidarité vendu au profit du collectif allexois de solidarité avec les réfugié.e.s.

 

 

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Parution 8 janvier 2019

56 pages
15 € (+ 2,10 de port)

 

Préface d’Emily Loizeau

 

Textes de : Cathy Garcia, Grégoire Damon, Colette Daviles-Estinès, Abdellatif Laâbi, Julie Rossello-Rochet, Alissa Thor, Chloé Landriot, David Myriam, Claire Rengade, Marlène Tissot, Stéphanie Quérité, Samuel Gallet, Claire Audhuy, Julio Serrano Echeverría, Rafael Cuevas Molina, Rodrigo Arenas Carter, Alberto Blanco, Laurence Loutre-Barbier, Serge Pey, Snayder Pierre Louis, Baptiste Cogitore, Laura Tirandaz.

 

Traductions : Laurent Bouisset / Illustrations : Julien Sibert, Simon Fuste et Noémie Ségala / Graphisme : Noémie Ségala / Ouvrage collectif rassemblé par Samaël Steiner

 

À commander à BUzo  9 rue Gustave André, 26400 CREST

  

https://www.nuitdelapoesie-crest.fr/edition/

 

 

 

 

 

 

Une très nouvelle bonne année 2019 !

 

 

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Que 2019 nous comble et vous comble, de la joie, de l'amour et justice et paix pour de vrai pour tous partout et amour et guérison pour le grand corps, l'esprit et l'âme de la Pachamama !!!

 

 

 

26/12/2018

Petits mots

 

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photo cgc "Fugitives"

 

"poésie : des signes et des sons sur des sensations, du souffle pour tisser des échelles et des passerelles, tentative de toucher au-delà des limites convenues, créature libre et sauvage, peut percer le coffre du cœur, peut mordre si besoin "

 

Une belle fin d'année à toutes et tous !

 

 cgc

 

 

 

Discours prononcé par Clément Choisne, le 30 novembre 2018 à Nantes et qui fait du bien à entendre !

 

 

"C'est bien de trouver des solutions techniques mais, sur un problème, comme l'énergie, si on ne se questionne pas sur la sobriété énergétique on n'arrivera jamais à résoudre le problème"

"Car une énergie, aussi renouvelable qu’elle vous soit présentée, ne le sera plus si elle doit compenser l’intégralité des besoins qui reposent aujourd’hui sur les énergies fossiles. Il faut avant toute chose penser à la réduction drastique de notre demande énergétique (sobriété énérgétique) et je n’ai que trop peu entendu ce message dans le cadre de ma formation".

 

Lire l'article : 

https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/...

 

 

 

14/12/2018

Immersion dans un congrès de formation de médecins sponsorisé par Big Pharma

 

Chaque année, 26 congrès « Preuves&Pratiques » sont organisés dans toute la France. L’occasion pour les leaders des CHU locaux, souvent liés aux laboratoires, de présenter les traitements les plus récents aux médecins généralistes de la région, sous couvert de formation. Illustration avec le nouveau produit phare de Novartis contre l’insuffisance cardiaque, Entresto.

Le congrès Preuves&Pratiques, c’est l’arme de guerre marketing à peine déguisée des laboratoires pharmaceutiques. Tous les ans dans 26 villes différentes, histoire de quadriller l’Hexagone, cet organisme spécialisé dans l’événementiel médical invite les leaders d’opinion du secteur – généralement les professeurs du CHU local – à donner des conférences sur les nouveaux remèdes commercialisés par les labos aux médecins généralistes et internes de leur zone. Samedi 29 septembre 2018, c’est la ville de Châteaugiron, près de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui accueille le congrès.

Les partenaires de Preuves&Pratiques (capture d’écran de leur site).

À l’entrée de la salle, les stands des financeurs de Preuves&Pratiques se succèdent. Essentiellement des entreprises pharmaceutiques (GSK, Merck, Sanofi, Mylan, etc.), classées du bronze au platine, selon la hauteur de leur apport. Cette année, c’est l’entreprise Novartis qui obtient la distinction suprême. Est-ce un hasard alors que le laboratoire suisse lance au même moment l’Entresto, un nouveau médicament contre les insuffisances cardiaques ? Au congrès Preuves&Pratiques, Novartis est partout. Y compris dans le petit sac rempli de prospectus de ces différents sponsors, grâce à un carnet de « fiches de correspondances entre médecins ». Siglé Novartis, ce carnet permettra de se transmettre entre confrères les traitements pris par les patients, et les incitera peut-être à la reconduction d’ordonnances. Mais le laboratoire pharmaceutique est aussi présent, à travers son nouveau médicament phare Entresto, dans les présentations PowerPoint des intervenants du Congrès.

Un intervenant à presque 1 900 euros par mois…

Entresto apparaît en effet dans le support d’intervention d’Erwan Donal, cardiologue et professeur au CHU de Pontchaillou, à Rennes. Depuis la loi du 4 mars 2002 et le décret du 28 mars 2007, le médecin est obligé de déclarer ses liens d’intérêts avant chaque conférence. « Pas de liens d’intérêts conduisant à des conflits particuliers à ce jour dans le cadre de cette présentation », affiche quelques secondes l’écran, avant de mentionner quand même « une bourse de recherche de Novartis et General Electric Healthcare, de la formation/expertise pour Novartis, Bristol Myers Squibb, Bayer, Abbott ».

Erwan Donal sur EurosForDocs.

Ce que ne dit pas cette présentation en préambule, c’est la nature de ces liens avec l’industrie pharmaceutique. EurosForDocs, la plateforme simplifiée reprenant les données de la base Transparence santé (lire le premier volet des « Pharma Papers » : « L’argent de l’influence »), répertorie 535 liens d’intérêts entre le cardiologue et l’industrie pharmaceutique depuis 2012, avantages (repas, cadeaux, transports, invitation à des colloques, etc.) et conventions comprises (contrat d’orateur lors de formations pour le compte d’un laboratoire, etc.). En tout, l’industrie pharmaceutique a dépensé pour lui au moins 139 366 euros en six ans, soit 23 228 euros par an, ou 1 936 euros par mois. Et encore, 114 autres contrats sont mentionnés dont le montant reste secret, et qui n’entrent donc pas dans ce décompte.

… dont plus de 1000 euros par Novartis

En tête de liste : Novartis, avec 222 liens d’intérêts. Ce laboratoire a versé au cardiologue 73 445 euros (sans compter les 46 contrats au montant non révélé) depuis 2012, soit 12 240 euros par an. Ces liens financiers incluent des contrats réguliers rémunérés entre 400 et 1 500 euros et des invitations à des congrès. En novembre 2016, par exemple, Erwan Donal a été convié par le laboratoire à un congrès de l’American Heart Association à la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis. Coût total des sommes que lui a consacré Novartis pour ce déplacement : 8 030 euros (6 175 de transport, 1 009 d’inscription au congrès, 739 d’hébergement et 107 de repas).

Campagne Novartis.

À Châteaugiron, sur l’estrade du Congrès Preuves&Pratiques, le cardiologue vante le nouveau produit star de Novartis, Entresto, remède aux insuffisances cardiaques aux « effets assez incroyables » puisqu’il diminuerait la mortalité de 20 %. Ce nouveau médicament a pourtant obtenu un avis d’Amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau 4, donc « mineur ». En clair, il n’apporte que peu de nouveautés par rapport aux médicaments déjà existants. Mais parmi les blouses blanches, son efficacité fait l’unanimité. Dominique Dupagne, médecin chroniqueur sur France Inter, vent debout contre les conflits d’intérêts dans le secteur, la reconnaît lui-même. Ce qui n’empêche pas ce fils de cardiologue d’avoir été interpellé par la puissance de la campagne marketing déployée par son fabricant. « Il faut dix ans pour obtenir des parts de marché significatives car les médecins sont très lents à changer leurs habitudes de prescriptions. Dix ans plus tard, les génériques arrivent. D’où l’offensive marketing de Novartis », analyse le docteur. Une offensive marketing à grand renfort de campagne de sensibilisation sur l’insuffisance cardiaque… Et de sponsoring de congrès, donc.

La primeur de l’annonce de l’arrivée d’Entresto en pharmacie de ville

Erwan Donal est toujours au micro : il vante en Entresto une nouvelle classe thérapeutique qui correspond à « une révolution ». Il encourage les prescripteurs à « optimiser les doses pour obtenir l’effet maximal. L’augmentation des doses doit être le leitmotiv de tout médecin », insiste-il. « Pour l’instant, il est uniquement délivré en pharmacie hospitalière, pour encore quelques semaines », lâche-t-il à l’assemblée. Quand nous l’interrogeons à propos de ce mystérieux délai, il se rétracte : « Cela n’est pas officiel, je ne peux rien dire. » La réponse arrive neuf jours plus tard dans une publication au Journal officiel : celle-ci annonce qu’Entresto est à présent disponible dans les pharmacies de ville et remboursable pour les patients avec une insuffisance cardiaque de classe 2 ou 3. Le service communication de Novartis assure « en avoir été informé lors de la publication au Journal officiel ».

« Il est uniquement délivré en pharmacie hospitalière, pour encore quelques semaines. »

Le laboratoire a ainsi intérêt à toucher les cardiologues qui exercent en cabinet, prescripteurs des pharmacies de ville, le nouveau marché qui s’offre à lui, après avoir conquis celui des hospitaliers. Lesquels sont devenus entre-temps les relais marketing de l’entreprise pharmaceutique. La machine est bien rodée… Et elle rapporte. Dix jours après cette publication au JO, Novartis a relevé son objectif de chiffre d’affaires annuel, notamment « en raison des performances d’Entresto, dont les ventes ont plus que doublé au troisième trimestre », selon Reuters. Le groupe pharmaceutique suisse anticipe désormais une croissance de ses ventes d’environ 5 %, contre une fourchette de 0 à 5 % auparavant. Le marché est porteur : près de 1,5 million de Français souffrent d’insuffisance cardiaque selon la Société française de cardiologie.

« J’ai d’autres conflits d’intérêts. J’en ai avec tout le monde, donc je n’en ai pas »

Si Erwan Donal est si bien informé, c’est parce qu’il fait partie du « board scientifique Novartis » : il a été choisi par le laboratoire pour faire partie de la dizaine d’hospitaliers français à prescrire Entresto en premier, depuis trois ans, dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour environ 300 patients. Le cardiologue a donné une dizaine de formations à ses collègues sur ce nouveau remède : d’où le pic de liens d’intérêts entretenus avec Novartis en 2016. Quand nous l’interrogeons à ce propos, il se raidit d’emblée. « Ce n’est pas parce que je promeus Entresto que je suis payé par Novartis. Je ne suis pas rémunéré par Novartis, affirme-t-il. Je fais des formations, je suis dédommagé pour mon travail. »

« Ce n’est pas parce que je promeus Entresto que je suis payé par Novartis »

D’ailleurs, « j’ai d’autres conflits d’intérêts. J’en ai avec tout le monde donc je n’en ai pas », s’énerve-t-il. Une ligne de défense bien connue et documentée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Je les rencontre tous, aussi je ne suis influencé par aucun » est une « idée reçue », selon laquelle « l’exposition à la promotion de plusieurs entreprises neutralise les biais », explique l’organisation internationale dans un manuel pratique sur la promotion pharmaceutique. « Toutefois, cette stratégie ignore certains biais partagés par toutes les entreprises concurrentes. Par exemple, les entreprises pharmaceutiques font la promotion de leurs produits les plus rentables. Par conséquent, la promotion porte sur les médicaments nouveaux et coûteux plutôt que sur les produits anciens et génériques, quel que soit le meilleur produit. »

« Ce ne sont pas les laboratoires qui fournissent les présentations PowerPoint. »

Slide de présentation Entresto.

« Qui vous a invitée ? », s’agace sa collègue pneumologue, Graziella Brinchault, qui intervient en binôme avec lui lors de la conférence. « Demande à relire l’article », lui souffle-t-elle, avant d’aller chercher les responsables de Preuves&Pratiques à la rescousse. Lesquels ne souhaitent pas voir cités de noms de laboratoires ou de médicaments dans notre reportage… Peu importe qu’Erwan Donal, lui, donne en toutes lettres dans sa présentation celui d’Entresto, au lieu de mentionner la dénomination commune internationale (DCI), c’est-à-dire le nom scientifique et non commercial, alors que depuis le 1er janvier 2015 la loi oblige les médecins à indiquer la DCI dans les prescriptions.

« Les médecins peuvent préparer leurs propres présentations PowerPoint, ce ne sont pas les laboratoires qui les fournissent », se félicite Bruno Fourrier, animateur de Preuves&Pratiques. « N’allez pas imaginer que mon discours est dicté par Novartis, ajoute Erwan Donal. Je n’ai aucun lien avec Novartis quand je fais cette formation. »C’est Preuves&Pratiques, via l’Agence CCC, spécialisée dans l’événementiel médical, qui le rémunère 300 euros pour cette intervention en binôme de 35 minutes. Sauf que Novartis est bien le principal sponsor de ces congrès. « De fait, je suis un leader d’opinion, admet le cardiologue rennais. >En tant qu’hospitalo-universitaire, je suis amené à faire de la formation, par le biais de Preuves&Pratiques mais aussi de Novartis. On fait notre travail d’enseignement, on n’est pas acheté par qui que ce soit, je n’en ai rien à faire que ce soient des laboratoires qui organisent la formation. »

« De fait, je suis un leader d’opinion. »

Erwan Donal est loin d’être le seul cardiologue à recevoir de l’argent de la part de laboratoires pharmaceutiques. La cardiologie est la dixième spécialité la plus visée par le lobbying des laboratoires pharmaceutiques (lire notre analyse « Les labos soignent plus particulièrement les spécialistes du cancer »).

Le budget de Preuves&Pratiques, « secret des affaires »

Les financeurs Preuves&Pratiques sur EurosForDocs.

En 2018, 5 500 blouses blanches ont assisté aux congrès Preuves&Pratiques, gratuitement. « Cela coûte plusieurs centaines d’euros par participants. Nous pourrions demander une participation aux médecins, mais le problème, c’est que les gens ne sont pas habitués à payer. Nos investisseurs industriels, qui tiennent les stands, nous permettent de financer entièrement les évènements », indique sans davantage de précisions Patrick Ducrey. directeur scientifique de Preuves&Pratiques. « Secret des affaires », avance-t-il.

L’organisation de l’ensemble des congrès revient à un budget annuel estimé de 1,13 million d’euros pour tous les participants, selon notre estimation la plus basse (1). D’après Patrick Ducrey, le directeur-scientifique de Preuves&Pratiques, Novartis, en tant que sponsor principal, finance ces congrès à hauteur de 15 à 20 %. Ce qui revient au minimum à 170 000 euros par an. Pourtant, le laboratoire pharmaceutique n’apparaît pas parmi les financeurs des congrès Preuves&Pratiques sur la base Transparence santé. « Ces congrès sont organisés par une agence événementielle donc cela n’entre pas dans le champ d’application de la base Transparence santé », nous répond le service communication de Novartis. Une stratégie de contournement via une société écran souvent utilisée par les labos (lire notre enquête « Loi de financement de la sécu : les députés médecins votent-ils sous l’influence des labos ? »).

98 % de la formation continue médicale financée par l’industrie pharmaceutique

Le congrès offre d’autres occasions d’amadouer les médecins. Entre deux conférences, un temps est pris pour les « actualités Preuves&Pratiques ». L’organisateur y propose de participer à un concours, dont le gagnant sera invité tous frais payés à un colloque qui aura lieu sur l’île Maurice fin novembre 2019 ! Et l’animateur d’enchaîner : « C’est maintenant l’heure de la pause, n’oubliez pas d’aller visiter les stands ! »

Ce jour-là, les trois quarts de l’assemblée exercent en profession libérale. Seulement 3 % sont des internes travaillant en hôpital. « À la faculté de médecine de Rennes, les étudiants sont sensibilisés au manque d’indépendance de ce type de formations », confie une médecin généraliste de l’auditoire (2). Cette généraliste ressent le besoin de se mettre à jour, d’où sa présence au congrès, faute de formation publique équivalente qui serait organisée à proximité de son lieu d’exercice, condensée en une journée, avec des exposés efficaces comprenant des études de cas pratiques. C’est bien là que le bât blesse. Sans budget public, la formation médicale continue est financée à hauteur de 98 % par l’industrie pharmaceutique selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales.

« Mes amis médecins généralistes n’y prennent pas part, ils ne veulent pas être fichés sur la base Transparence santé », confie la médecin, qui était vierge de tout lien d’intérêt avant le congrès Preuves&Pratiques de l’an dernier auquel elle a assisté. « Je ne sais jamais quoi garder et quoi jeter après une journée de formation comme celle-ci, confie une autre jeune docteure. Je suis abonnée à la revue indépendante Prescrire, je peux procéder à des vérifications après coup. » « L’an dernier, le focus présenté dans le congrès Preuves&Pratiques sur Entresto était encore plus virulent », se souviennent les autres médecins qui ont partagé notre table (3). C’était trois mois avant l’autorisationpar la Haute autorité de la santé (HAS) du remboursement de ce médicament par l’assurance maladie.

NOTES

  • (1) Notre calcul est le suivant (basé sur les informations données par la direction de Preuves&Pratiques, avec comme référence le nombre d’intervenants au colloque de Châteaugiron) :
    • Location de salle : entre 3 000 et 50 000 euros
    • Rémunération des intervenants médecins : 300 euros chacun, soit 5 400 euros pour les 18
    • Rémunération totale des professionnels de santé intervenants (animateurs compris) : 17 300 euros pour les 40
    • Prix du repas par personne : 30 euros, soit 3 000 euros pour les 100 participants
    • = 20 600 euros en tout pour une journée de congrès Preuves&Pratiques, soit 206 euros par participants (fourchette basse avec une salle à 3 000 euros comme celle de Châteaugiron)
    • = budget annuel d’environ 1,13 million d’euros (pour les 5 500 participants à l’année).
  • (2) Voir à ce sujet le classement du Formindep des universités de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.
  • (3) L’auteure de cet article a donc déjeuné aux frais de Preuves&Pratiques pour réaliser ce reportage en immersion toute une journée lors de ce congrès.

 

 

13/12/2018

Appel à financements participatif pour Quand on sait, premier film documentaire d’Emmanuel Cappelli

A l’heure où la civilisation industrielle, tel un navire entrant dans la tempête, se confronte à l’épuisement de ses ressources énergétiques et à la réalité d’un changement climatique déjà hors de contrôle, le film documentaire "Quand on sait" pose une question dérangeante : comment vivre l’effondrement le mieux possible, le plus humainement possible ?

 

 

 

 

 Pour soutenir le film en financement participatif (clôture fin décembre) :

 https://www.kickstarter.com/projects/onceyouknow-thefilm/...

 

 

 

 

12/12/2018

30 ans dans une heure de Sarah Roubato

 

Publie.net éd., 5 septembre 2018

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142 pages, 14 €.

 

« 30 ans dans une heure » : qu’est-ce qui relie les paroles de ces presque trentenaires d’ici et d’ailleurs ? Un âge qui marque une étape importante dans la vie, l’âge où la pression sociale se fait plus forte et où on commence à prendre conscience du temps qui passe.

 

Toutes ces voix rassemblées dans ce roman forment une polyphonie dont la note commune est un questionnement sur le sens, une quête de sens, de liberté et d’authenticité. Tout ne coule pas de source et dans le monde qui se présente à elles, elles n’ont plus forcément envie de perpétuer des habitudes, des modes de vie et de pensée sans en interroger véritablement le sens. C’est une sorte de crise qui se traduit plus fortement pour ces personnes — pour cette génération ? — par un besoin pressant et vital de cohérence.

 

« C’est une espèce de courbature à l’âme. Comme un muscle qui tire chaque fois qu’on triche. »

 

Certains ont déjà fait le pas, le pas de côté.

 

Travailler, s’insérer, fonder une famille, éduquer ses enfants pour qu’ils aient une bonne situation, assurer sa propre carrière, sécuriser ses arrières, avoir des loisirs, des projets, être compétitif, prévoyant mais consommer sans se poser de questions. Voilà le réel qu’on leur a appris.

 

« Il vaut mieux peut-être s’exténuer à essayer d’inventer autre chose, au lieu de chercher à s’abriter dans les ruines de ce qui nous rassure. Il vaut mieux peut-être travailler à se donner les moyens de dire merde. », dit l’une des voix.

 

Même quand elles sont marginales ces voix qui s’expriment ici, ce qu’elles disent est universel, va à l’essentiel et défie toute catégorisation, elles parlent de ce pas de côté qui permettrait de donner sens justement, de sortir des ornières et des sens uniques obligatoires, de donner de la dignité à ce que l‘on vit, ce que l’on fait, à soi-même comme aux autres.

 

Comme Olivier chez qui « on était reçu comme des rois, mais jamais comme des invités » (…) Sa pauvreté n’était pas un refuge pour le laisser-aller, ni son exigence un abri pour l’orgueil. Quitte à faire quelque chose, autant le faire pour de vrai. Pour lui le mieux possible, c’était l’ordinaire. (…) Aucun de ses gestes ne clashait avec ses valeurs. »

 

Ces voix parlent de réappropriation, réappropriation de sa propre vie, de sa pensée, de ses choix et de sa responsabilité, y compris celle de ses erreurs et échecs, elles parlent aussi d’apprendre à disparaître.

 

« "Il devait avoir une faille". C’est pas une faille, Madame, c’est un tunnel. Un couloir qui s’enfonce dans la vérité d’un homme. »

 

Elles parlent d’angoisses, de pertes de repères, de la violence du monde, de solitude.

 

« Un animal a envie de chialer en moi. Mais il a perdu son cri. Je me sens sec. Sec comme un arbre mort qui a encore assez de feuilles pour ne pas que ça se voie. Il faudrait quelque chose pour me rendre à nouveau vivant. Un autre regard qui se poserait sur ma vie. Quelqu’un qui verrait ce que je ne m‘autorise pas à être. Quelqu’un qui ferait bien plus que m’apprécier. Qui pourrait m’espérer. »

 

Il y a des voix qui ont choisi de se mettre au vert pour de bon, qui préfèrent parler aux animaux :

 

« Tu dois penser que les humains, ça assure. On t’apporte du foin, de l’orge, des carottes. Ta citerne ne manque jamais d’eau. (…) On donne l’impression de savoir ce qu’on fait. Si tu les voyais, une fois dans leur monde, pas foutus de vivre ensemble ces humains ! Chacun dribble avec son petit moi. Ils jouent à un jeu sans connaître les règles. Alors ils se cognent, fatalement, de tous les côtés. Ils se cognent des mots, des intentions, des sourires, des projets, des caresses.

 

Ce ne sont pas les plus féroces qui ont les coups les plus cinglants. Ce sont tous ceux qui font mal sans faire attention, par paresse ou par négligence. Rien qu’avec des non-dits, des oublis, des laisser-faire. »

 

Il y a des voix qui cherchent à dénuder l’évidence, des voix qui chuchotent d’autres possibles.

 

« Il dit qu’il faut toujours porter en soi l’opposé de ce qui nous entoure, car sans l’ombre, la lumière ne sait pas éclairer. »

 

Des voix qui nous invitent, quel que soit notre âge, notre sexe, notre genre, notre identité, à danser avec elles sur le quai des possibles.

 

Qu’est-ce qu’on cherche au fond, toutes et tous, et que nous sommes si habiles à couvrir de mensonges qui nous font croire que ce n’est pas possible ?

 

Sarah Roubato, entre autre pisteuse de paroles, écouteuse à temps plein, parcourt depuis pas mal de temps et par tous les temps, la France et plus encore, pour glaner justement des voix, les rassembler, les porter, les faire entendre. Bien qu’ici elles sortent toutes de sa propre imagination, on ne peut s’empêcher de penser qu’elles sont nourries de rencontres réelles.

 

Une polyphonie où la fiction se fait miroir, écho des possibles, à nous d’en capter toutes les résonances, tous les reflets et peut-être parvenir ainsi à mieux nous voir et nous écouter nous-mêmes.

Cathy Garcia

 

 

005A1322-600x400.jpgAnthropologue, auteur compositeur interprète, bloggeuse, écrivain, Sarah Roubato travaille toujours avec les mots. Elle les écrit, les chante ou les enregistre. Quand les routes toutes tracées passent au-dessus des terrains les plus riches, elle n’hésite pas à les quitter et à prendre les tournants. Des grandes écoles françaises aux universités québécoises, des colloques au terrain de recherche, des murs du conservatoire à l’école des bars et des petites scènes, de l’écriture aux portraits sonores, elle ne perd jamais son verbe : exprimer les potentiels. Bibliographie : Lettres à ma génération, Michel Laffont 2016 ; Trouve le verbe de ta vie, éd. La Nage de l'Ourse, 2018. Son site : http://www.sarahroubato.com/

 

 

 

 

09/12/2018

Rouge de soi de Babouillec

 

Rivages éd., mars 2018

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142 pages, 15 €.

 

Expérience d’immersion totale, Babouillec nous offre avec son Rouge de soi, un roman spirale qui nous entraîne dans son tourbillon jusqu’au centre, là où l’auteur ne fait plus qu’un avec son personnage. Éloïse Othello est un alter ego plus intégré, indépendant, autonome à qui l’auteur peut confier ce qui se trouve à l’intérieur d’elle-même, au plus rouge de soi, au cœur de l’être : ses rêves, ses élans, ses désirs, sa liberté de voir, de penser, de bouger, ses profonds questionnements existentiels. Éloïse Othello danse, a des amis, des projets, des poids et des peurs aussi dont elle veut se libérer en suivant une thérapie. Elle est perçue comme différente mais c’est une nana qui rebondit. Cependant, plane sur elle une peur ultime et on ne peut s’empêcher de frissonner en lisant ceci parce qu’on comprend à quel point l’auteur est tout près derrière ces mots-là :

« Entrer dans la confusion de l’amour et de la folie est ordinaire dans ce monde qui bombarde nos vies de slogans ordinaires, un amour fou, fou d’amour. Alors pour une personne traquée par la folie depuis son enfance, l’amour est synonyme de piège. Sa vie a pris des allures d’animal traqué. Pour dominer ses peurs, pour chasser ses angoisses, elle se réfugie dans ses entrailles où elle devient son ombre, une zombie sociale hantée par une peur ultime, la folie, l’enfermement. »

Il y a de l’autofiction dans Rouge de soi car si on a lu Algorithme éponyme et autres textes, on ne peut que reconnaître Babouillec à travers Miss Othello, sa vision juste, percutante, inédite, aiguisée et brillante du monde et de l’humain, un monde dans lequel son personnage aussi doit se battre pour trouver sa place.

« Le mécanisme de la survie de l’espèce humaine tisse habilement sa toile, le piège se referme rapidement et commence l’ascension sociale. Un peu comme les montagnes russes, on monte et on descend. »

La danse pour Éloïse Othello, qui se perçoit comme nomade sociale et sauvagement mutante, c’est comme les mots pour Babouillec, ils permettent d’échapper à la pesanteur, à la solitude, à l’angoisse, à la sensation d’enfermement, aux difficultés des relations humaines.

« Donner une définition de l’être en soi, sans déborder sur la ligne rouge du boulevard de l’autre, est un exercice compliqué. Nous mordons la poussière à pleines mâchoires de jour comme de nuit pour mettre la mécanique de l’existence sur les rails. »

Éloïse Othello s’interroge beaucoup, son cerveau bouillonne en permanence, la fragilise, et l’écriture devient alors pour elle aussi l’issue de secours : « Avec l’écriture, j’ai enfin trouvé un moyen de me raconter sans parler de moi. »

Rouge de soi n’est pas un roman comme les autres et ici ce n’est pas juste une formule, dans sa structure même, il est différent, déstabilisant. Une expérience vraiment étonnante car à la fois étrange et terriblement familière. L'écriture offre à Babouillec la possibilité de s’exprimer et elle le fait dans une quasi totale liberté, détachée des règles, des normes, des habitudes du genre, le résultat est inclassable, unique, plein de fraîcheur, de poésie et d’humour.

« Marcher à contre-courant de la culture établie donne du fil à détordre, des nœuds à l’estomac, des cheveux en pétard, une vie dépareillée. »

Le simple fait que ce roman existe est un merveilleux pied de nez justement à tout ce qui voudrait nous enfermer dans des cases et des limites.

« Rouge comme les interdits, le sang, l'intimité, l'émotion suprême, la timidité, le dépassement de soi dans la profondeur de l'identité, le carrefour des sens interdits. »

Rouge de soi, d’émotion et de plaisir.

 

Cathy Garcia

 

SI_6170701_1.jpgBabouillec, alias Hélène Nicolas, jeune femme née autiste sans parole, en 1985. Diagnostiquée « déficitaire à 80 % », jamais scolarisée, son habileté motrice est insuffisante pour écrire, elle est enfermée dans le silence. Hélène a intégré vers l’âge de huit ans une institution médico-sociale qu’elle quitte en 1999. À partir de cette date, elle suit un programme de stimulations neurosensorielles accompagné d’activités artistiques et corporelles au domicile familial – un travail quotidien partagé entre Hélène et sa maman. Au bout de vingt ans, elle réussit, grâce et avec le soutien de sa mère, à écrire à l’aide de lettres en carton déposées sur une feuille blanche et toute la richesse de son être et ses talent se révèlent. Plusieurs livres sont  alors publiés, des pièces sont mises en scène. En 2016, Julie Bertucelli sort un documentaire sur Babouillec : Dernières nouvelles du cosmos.

 

Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=SkHtzY-9DEs

Entretien avec Julie Bertucelli :

https://www.youtube.com/watch?v=2NMFWE1gtf8

 

 

 

02/12/2018

Un certain écolo médiatique (Dossier : écolo ou social, la fausse opposition) par Sarah Roubato


Dans l’émergence du mouvement des Gilets Jaunes, une opposition entre deux urgences s’est dessinée : celle entre l’écologie et le social. L’une serait un luxe, l’autre une nécessité. Dans ce faux débat, on entend et on lit « Il est plus facile d’être écolo, de manger bio, quand on est à Paris »[1]. Penser à son empreinte écologique, c’est pour ceux qui n’ont pas à se soucier de remplir leur frigo, qui peuvent se payer des voitures électriques et acheter des produits bio hors de prix, et qui ont le temps d’y penser. Les autres sont la tête dans le guidon et dans la survie. Cette vision binaire est non seulement loin de la réalité, toujours plus complexe, mais elle hypothèque notre avenir et nous enlise dans une confrontation stérile où nous y perdrons tous, à commencer par les plus démunis, premières victimes de la disparition de la biodiversité et du réchauffement climatique. À l’heure où nous avons besoin plus que jamais d’additionner nos intelligences pour envisager une autre société, pourrait-on envisager autrement la révolte et le débat en France ?

DOSSIER EN TROIS ARTICLES :

  1. Les pauvres écolos, ça existe
  2. La représentation qu’on se fait du monde : le rôle des médias
  3. Les oppositions binaires : un délice français

 

2. L’écolo : une invention médiatique ?

Ces derniers jours il y eut beaucoup de plateaux télé et de débats sur l’opposition entre écologie et pouvoir d’achat. Derrière ces termes désincarnés, c’est l’affrontement de deux archétypes: l’ Écolo et le Pauvre, qui se joue. Quelle réalité recouvrent-ils ? Qui en parle et comment ?

On le sait maintenant, le mouvement des Gilets Jaunes dépasse largement le refus de l’augmentation de la taxe carbone. Il manifeste la détresse de ceux qu’on appelle les oubliés. Une limite a été franchie. Mais pourquoi s’est-elle tracée juste ici, sur l’augmentation du prix du diesel ? Pourquoi pas sur les privilèges accordées aux plus riches (suppression de l’IFS), sur le sacrifice des services publics (réforme de la SNCF) ou sur l’étouffement des petits retraités (augmentation de la CSG) ? Pourquoi ces sujets, qui concernent directement les inégalités sociales, n’ont pas embrasé la colère générale ? Pourquoi les enjeux de pollution et de santé publique, qui transcendent les classes sociales, entraîne la division plutôt que l’unité nationale ?

Parler des oubliés, c’est désigner des gens dont on ne parle pas, donc poser la question de qui parle ? À partir de quelle parole construisons-nous notre représentation du monde, de notre pays, pour forger notre opinion ? Journalistes, polémistes, réseaux sociaux, réalisateurs, écrivains, sont tous artisans de cette représentation. Nous nous forgeons une opinion à partir de notre expérience et de la représentation qu’on se fait du monde. Notre expérience est limitée. Mais notre imaginaire infini. Voilà pourquoi la question du récit que nous faisons des aisés et des exclus, des écolos et des pollueurs, est essentielle. Et que nous ne pouvons pas interroger un phénomène social sans en interroger la représentation.

Les médias sont un rouage clé de la machine que nous appelons système et dont la remise en question se fait de plus en plus entendre. Si le traitement médiatique des Gilets Jaunes a été questionné, la responsabilité des médias dans la cristallisation de cet affrontement Écolo/Pauvre n’est pas encore posée.

Les pauvres : ceux dont on parle

Autrefois il était celui qu’on ne voulait pas voir. Puis celui dont personne ne parlait. Aujourd’hui il est celui dont on parle mais que personne n’entend. Les pauvres de Vincent de Paul, les misérables de Victor Hugo, et tous ceux que les Emile Zola, les Joseph Kessel, écrivains, reporters, photographes, allaient voir. Aujourd’hui : journalisme de long cours trop coûteux, marché du livre boiteux avec beaucoup de titres mais une poignée de visibles, experts confinés dans le monde universitaire, écrivains philosophes et artistes n’ayant plus de place dans les médias pour raconter le monde[2] . Ceux qui vont poser un micro, un stylo ou un œil pour raconter notre société au plus près, au-delà de l’anecdote et du cliché, le font seuls, et envoient des messages le plus souvent sans réponse aux médias parisiens débordés.

On se penche maintenant sur cette France déclassée, sur les périphéries, sur le petit peuple. On invite quelques échantillons, bien choisis pour que la confrontation ait lieu. On redessine une carte des fractures sociales, entre la France des élites des métropoles, celle des quartiers et celle des campagnes. À croire que le premier combat des Gilets Jaunes, celui de la visibilité, est gagné. On nous voit. Mais va-t-on nous entendre ?

C’est un véritable enjeu politique qui se pose pour ce mouvement spontané, sans structure et sans représentant. Mais elle se pose aussi pour ceux qu’on appelle les écolos. Pour eux, l’enjeu n’est pas de se faire entendre mais de ne pas se faire confisquer leur voix.

L’écologie confisquée dans l’espace médiatique

L’écologie n’est plus un sujet silencieux. Mais c’est un sujet confisqué. Que l’on regarde qui entend-on parler d’écologie dans les médias : des citadins, métropolitains, le plus souvent parisiens. Où sont dans les médias les témoignages sur les initiatives qui s’expérimentent partout dans cette France oubliée ? Carnets de campagne sur France Inter certains diront. Oui, 15 minutes consacrées aux solutions d’avenir entreprises dans notre pays, après deux heures d’émission de divertissement, juste avant un jeu d’argent et les infos. On entend souvent dire : C’est déjà ça. Mais tenir un mauvais rôle n’est-il pas pire que de ne pas avoir de rôle ?

Car les discours que nous produisons sur les alternatives au modèle néolibéral, la fréquence et la manière dont les médias en parlent, est déjà un discours : nous parlons des campagnes, et voici la place que nous leur accordons sur une chaîne de service public. Le choix des sujets est aussi significatif. L’écologie est le plus souvent abordé par l’une de ses urgences, le climat, qui occulte bien souvent la question de la disparition de la biodiversité. C’est un sujet sans doute plus confortable à aborder, parce que plus lointain et global, que la question tout de suite palpable et locale de la biodiversité. Et en effet, c’est bien une marche pour le climat qui fut organisée, et non pour le vivant.

La meurtrière par laquelle nous regardons la question écologique ne nous fait pas voir le pauvre écolo. Tous ces humbles, ces petits paysans, artisans, petits commerçants, qui bien que modestes, œuvrent à trouver un modèle économique qui respecte le vivant. Il en sort une fausse confrontation où ceux qui défendent un modèle de transition énergétique parlent du point de vue étroit d’une élite[3] et entretiennent le fameux discours : l’écologie c’est pour les riches. On se figure le bobo parisien allant dans des espaces de coworking prendre une tisane bio à 5 €, un gâteau carotte sans gluten à 3€, écrire un article contre Starbucks sur son Mac dernier modèle, décrocher son téléphone enrobé d’une housse anti-ondes à 40 € et filer à vélo à son rendez-vous.

Qui viendra parler des économies faites sur les produits d’entretien ménager en privilégiant les produits de bas simples ? Qui viendra parler du chantier participatif qui leur a permis de construire une maison énergétiquement passive ? Qui parlera des cafés où on peut venir faire réparer ses appareils cassés, des échanges de service, des monnaies locales ? Ces initiatives, on les retrouve dans une presse non conventionnelle, dite alternative.

La carte postale de l’alternatif

Depuis les années 2000 le paysage médiatique français est devenu particulièrement riche de médias émergents, tentant d’apporter une autre proposition à celle des médias conventionnels : Reporterre, Bastamag, Les Jours, XXI, Kaizen, Wedemain, La Relève et la Peste, Mr Mondalisation (francophone international) pour ne citer que quelques uns. Parmi eux, certains sont spécialisés dans les sujets écolos. Certains étant plutôt dans le récit, d’autres dans l’information, d’autres dans l’incitation. Le rôle des médias est repensé comme incitateur au changement de comportement. En montrant aux gens d’autres gens qui oeuvrent à faire autrement, le lecteur pourra se dire que lui aussi, il peut.

Ces médias cherchent aussi une alternative à un discours écologique catastrophiste et culpabilisant, en choisissant de mettre en lumière les initiatives encourageantes, le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, étant devenu le symbole de cette démarche inverse.

Seulement il existe un danger à cette hyper-sélection du positif. Celui de peindre une carte postale de l’alternatif, belle, trop belle même, pour qu’une partie des lecteurs s’y identifie.

On retrouve souvent à travers les reportages et les articles, les images de jeunes gens souriants au soleil, devant leur tiny house, leur champ de permaculture, avec leur enfant. Des choix de vie souvent radicaux qui font rêver, mais qui ont souvent pour effet d’éloigner le possible pour des lecteurs qui se disent que c’est trop extrême pour eux, ou bien que ceux-là ont de la chance, ils ne doivent pas avoir toutes les contraintes que j’ai. Il suffit pour cela de lire les commentaires sur les réseaux sociaux, souvent dans la mise à distance humoristique, critique ou admirative. De fait, ceux qui s’y mettent n’ont en général pas le temps de lire des articles sur d’autres modèles.

Il est urgent de produire un autre récit sur le monde. Mais si ce récit bascule exclusivement dans l’exemplarité positive, il perd quelque chose du vécu, riche de ses exploits et de ses défaites, de ses difficultés, de ses déceptions, de ses détours, et donc de son pouvoir agissant. Il serait temps de parler d’hommes et de femmes qui essayent, échouent, recommencent, changent de perspective, de donner à voir le combat plutôt que le résultat, les doutes plutôt que les formules finales, les soirs de doutes plutôt que les sourires pour la photo.

Pour qui prétend produire un autre récit sur le monde et infléchir les comportements, l’enjeu est de rendre compte de la diversité du changement de société déjà à l’œuvre dans nos sociétés. Car tous les semeurs du changement, s’ils œuvrent dans le même sens, ne partent pas des mêmes questionnements, des mêmes problématiques, des mêmes motivations. Leurs histoires nous offrent une infinité de perspectives et c’est bien cette richesse qui permettra au plus grand nombre d’envisager le changement à son échelle.

Le défaitisme général alimenté par les médias conventionnels ne devrait pas inciter les médias dits alternatifs à proposer une autre caricature. On peut se demander jusqu’à quel point cette tendance alimente l’accusation de « bisounours » qui tombe souvent sur les écolos. On retrouve souvent dans le débat public ce positionnement entre les réalistes pessimistes d’un côté, et les écolos optimistes bisounours de l’autre. Une autre opposition binaire, bien française. Prochain article : Les oppositions binaires, un délice français.

Pour lire le premier article de ce dossier cliquez sur : L’écolo pauvre

 

[1] Christophe Guilly https://www.20minutes.fr/societe/2375331-20181119-gilets-...

[2] comme c’était le cas au XIXème siècle

[3] Jean-Baptiste Comby : « Il y a une certaine homogénéité sociale de ces entrepreneurs de la cause climatique, au début des années 2000, dans le sens où ils appartiennent aux classes dominantes tout en y occupant des positions secondaires, dominées. » https://www.revue-ballast.fr/jean-baptiste-comby/

 

 

 

21/11/2018

Sagesse animale de Norin Chai

 

éd. Stock, mars 2018

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270 pages, 19,50 €.

 

Ce livre est un témoignage personnel, celui de Norin Chai, un vétérinaire ayant pas mal travaillé à l’étranger avant de devenir le vétérinaire en chef de la « Ménagerie du Jardin des Plantes », ce terme de ménagerie a d’ailleurs une résonance bien obsolète et bien éloignée de la façon dont Norin Chai aborde son travail. Il voue un véritable amour aux animaux et ce n’est pas juste une façon de parler, mais bien d’un amour au sens le plus élevé du terme, ce qui lui a permis de s’ouvrir à cette sagesse animale dont il est question dans ce livre. Ce n’est pas sans rapport avec sa pratique bouddhiste : né au Cambodge, cette pratique le rapproche également de ses racines tout en nourrissant sa conviction que le vivant est sacré, sacré au sens le plus simple du terme. Ce qui est sacré provoque en nous de la joie, de l’émerveillement, de l’humilité et donc du respect, il n’y a plus de hiérarchie, la vie est la vie quelle que soit sa forme et elle ne peut qu’être respectée et protégée.

Ce témoignage d’un professionnel qui consacre sa vie à comprendre et soigner les animaux, à prendre soin de leur bien-être et pas seulement sur un plan purement physique, fait écho au Plaidoyer pour les animaux de Matthieu Ricard, qui est cité entre autres sources recensées en fin de livre, ouvrant d’autres pistes à une compréhension plus juste, plus sensible, plus intelligente et donc plus humaine — au sens le plus élevé du terme —  de notre rapport aux animaux et de notre responsabilité vis-à-vis de tout le vivant, y compris donc vis-à-vis de nous-mêmes.

Nous vivons au pays de Descartes. Descartes et sa thèse de l'Animal-machine, juste un assemblage de pièces et rouages, dénués de conscience ou de pensée, thèse qui aujourd’hui pourrait paraître totalement dépassée, ridicule même, mais en sommes-nous vraiment sortis de cette vision purement mécaniste du XVIe siècle ? Pas sûr quand on examine en toute conscience l’industrialisation de l’élevage et l’exploitation animale sous toutes ses formes — qui n’est pas sans lien avec l’exploitation de l’humain par l’humain — et « Il a quand même fallu attendre le 28 janvier 2015 pour que notre Parlement considère les animaux comme des "êtres vivants doués de sensibilité" ».

C’est donc une très bonne chose que ce livre, surtout quand il est écrit par un vétérinaire qui a aussi un impact médiatique, puisque il coanime également une émission sur Antenne 2 : Pouvoirs extraordinaires des animaux et on sait à quel point les idées sont plus massivement intégrées quand elles sont vues à la télé…

Ceci dit, ce livre n’a pas la prétention d’être plus que ce qu’il est, ce n’est pas un ouvrage technique spécialisé mais un témoignage personnel et engagé qui se lit facilement, avec plein de petites anecdotes tirées de l’expérience directe de l’auteur et qui est lié à sa propre quête de sagesse. Ce témoignage bouscule les idées reçues, les préjugés — notamment à propos de l’homosexualité que trop encore considèrent comme « contre-nature » — et nous ouvre à un questionnement plus profond sur notre rapport au vivant, un questionnement essentiel qui détermine notre propre évolution en tant qu’humain ou notre propre déclin — et pas seulement sur un plan moral — si nous ne sommes pas capables d’en saisir l’urgence.

Divisé en plusieurs chapitres (la morale, la politique, la science, la métaphysique des animaux, en passant par les animaux médecins...), l'ouvrage permet de comprendre comment les animaux peuvent nous rendre plus humains. Le dernier chapitre s’intitule : L’homme, un animal en quête de bonheur.

Alors, qu’est-ce qu’on attend pour renouer avec nous-mêmes ?

 

Cathy Garcia

 

000000221324_L_CHAI+Norin+%A9+Philippe+Matsas.jpgNorin Chai est né au Cambodge en 1969. Adepte de la méditation depuis l’âge de 10 ans, moine bouddhiste à 20 ans, il est aujourd’hui vétérinaire en chef de la Ménagerie du Jardin des Plantes à Paris. Il est coanimateur avec Michel Cymes et Adriana Karembeu des « Pouvoirs extraordinaires des animaux » sur France 2.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

19/11/2018

Aujourd’hui est habitable lu par Lieven Callant

 

Une chronique de Lieven Callant

https://revue-traversees.com/2018/11/17/cathy-garcia-cana...

Cathy Garcia Canalès, Aujourd’hui est habitable, poésie, Cadère éditeur, 36 pages, 2018, 12€

« Aujourd’hui est habitable » affirme le titre de ce recueil de poésies. Reste à savoir par qui et comment? 

Pour le savoir, il faut peut-être se rendre au jardin. En ce jardin intérieur aussi. Apprivoiser son regard, être capable de distinguer sans juger, sans abattre, sans disqualifier. Utiliser le silence pour lancer ses messages, attendre, comprendre. Redouter et douter encore. Se mettre à la place de l’arbre, de l’autre. Suivre les racines au-delà des tourbes noires, des terres bouillies par la pluie. Contourner les dires « D’austères marionnettes (qui) attendent à la porte avec leur couteau à moelle »

Se délester, se désengluer, s’estomper en commençant par les angles. L’être humain est plein de contradictions. Il n’est pas facile de savoir ce qui se cache sous les mots qu’il nous donne ou nous lance telles des graines qui devraient nous nourrir. Tellement de phrases finalement blessent, ne sont pas à leur place. Tellement de lucioles se font passer pour des étoiles.

J’ai le sentiment que c’est contre cela que s’élève la poésie de Cathy Garcia Canalès. Elle témoigne d’un travail personnel complexe. En quelques pages, elle invente son langage avec ses références propres, ses significations spécifiques, ses jeux de contrastes ou ses potions de mots presque semblables. C’est finalement entre les lignes, au détour d’un assemblage de mots que l’on découvre l’humain, le végétal, la vie suintant autour du minéral. Les astres, les mots, la vie se cache dans le jardin de Cathy Garcia Canalès. Le jardin du poème, le jardin de l’écriture. 

« nos mains dépliées

les dés d’argile roulent

comme des perles »

Habiter la poésie ce n’est pas qu’habiter une prison obscure, ce n’est pas chercher d’une manière sournoise sans jamais oser se l’avouer qu’on ne désire que la gloire. Obtenir le pouvoir sur les mots. Nous forcer à les boire. 

« tandis que s’envole la chimère

libre et merveilleuse

nous secouerons la pesanteur

pour fuir l’étreinte des goudrons

roulerons sous les horizons

tranchants comme des rasoirs

à la gorge du ciel »

Le travail poétique de Cathy Garcia Canalès explore l’aujourd’hui. La brièveté omniprésente. Explore les chemins jonchés de ronces, de racines, de sources entravées, de saisons qui se mélangent. L’auteur avance sans machette, sans s’empêcher de regarder, de comprendre que son amour est un combat et que rien n’est gagné d’avance.

« bientôt nous irons nous aimer

la tête ourlée de pluie »

La poésie de Cathy Garcia Canalès au même titre que deux des images qui accompagnent les textes ne montre pas uniquement ce qu’elle donne à voir ou décrit avec une précision tranchante. Elle canalise des zones de flou, de brumes et devient en certains points abstraite, inimaginable. 

Cette semi-abstraction devient habitable il faut juste franchir une clôture, nos frontières. 

« la rumeur fauve du soir

perce la gangue du monde »

« dans la cuve des constellations

un dangereux morceau d’immensité

oeuvre et s’enroule »

Toutes les clés de cet endroit habitable ne nous sont pas offertes car les serrures changent d’un individu à un autre mais aussi parce qu’il nous faut apprendre que ces clés n’ont pas à tomber dans les mains de n’importe qui. Cet espace habitable se préserve. Se cache là où on ne le soupçonne pas. 

Quelque chose de ce livre et sans doute l’essentiel s’échappe toujours. Est au delà de ce chemin défriché. Quelque chose nous pousse à nous demander: « Vais-je bien? »

Lieven Callant

 

 

 

 

 

15/11/2018

Revue Nouveaux Délits n°61 - Cathy Garcia Canalès

 

 

Extrait de "Mordre les temps de mort" parmi les extraits du recueil Aujourd'hui est habitable présentés dans ce numéro en écho à sa parution chez cardère éditeur, en septembre 2018. Lu par l'auteur.

En savoir plus : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/