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09/01/2016

Gérard Gartner, destruction de l’œuvre de toute une vie : 15,16,17 janvier à Douarnenez

 

 

Le courrier.11.07.2015

 

Gérard Gartner, au seuil de sa 81ème année, artiste rom et manouche, a décidé de détruire la totalité de ses sculptures de son vivant, l’œuvre de toute une vie. 

 


« L’attitude que je propose n’a pas encore de nom. Les dictionnaires ignorent involontairement le fait d’éliminer soi-même son œuvre artistique. »

Gérard Gartner


Ce que Gérard Gartner envisage est dans la continuité du mouvement Dada des origines, ces anartistes, dont il a fait siennes les actions, les pensées, la critique et la révolte. Ce sera donc un acte Dada, cent années exactement après la naissance du mouvement qui sera célébré partout en occident en 2016. Gartner, de la sorte, héritier des dadaïstes, inaugurera le 15 janvier 2016 à Douarnenez en Bretagne, dans un geste radical, le centenaire du mouvement Dada né en 1916. Mais c’est aussi parce que la révélation de son travail d’artiste s’est faite au contact d’Alberto Giacometti, dans l’atelier du Maitre, que la date choisie par Gérard Gartner, correspond au cinquantième anniversaire de la mort d’Alberto Giacometti.
Gérard Gartner dit Mutsa (chat en langue rromani) est un artiste aux cent vies. Avant de sculpter la matière, il a été portraitiste d’amis et de personnages connus comme Charles d’Avray, Louis Lecoin, Georges Brassens… mais également chaudronnier, garde du corps d’André Malraux, boxeur professionnel, embaumeur, écrivain, militant de l’art tsigane et récupérateur de plastiques dans le chaos des décharges de Rungis.
Gérard Gartner a toujours refusé de vendre ses œuvres.
Dans une cohérence et une loyauté aux pensées et figures radicales du XXème siècle qu’il a fait siennes toute sa vie, d’Arthur Cravan et de Marcel Duchamp aux situationnistes et objecteurs de conscience, de Fluxus à la reconnaissance des artistes tsiganes, de Giacometti à la critique sociale et aux transgressions, de la récupération et de la transformation de l’ordinaire de la vie, Gérard Gartner réalisera à sa manière ce que les précurseurs du mouvement Dada de 1916 n’ont pas réalisé : la destruction de l’Art.
Ayant exposé partout en France ainsi qu’à Florence, Pize, Barcelone, Montréal et Québec, Chicago, Moscou, Aachen, Bruxelles… La Galerie Kai Dikhas de Berlin, sera le point d’orgue d’un itinéraire hors du commun.

 

 

ULTIMA VERBA / LE GESTE MAJEUR DE LA DESTRUCTION / TEXTE DE JEAN-LOUIS POITEVIN

Gartner voit dans ce geste de destruction l’aboutissement non seulement de sa démarche, mais de sa conception même de l’art. Ou, plutôt qu’un aboutissement, un geste qui ne fait qu’accélérer le moment inévitable de disparition à laquelle tout ce qui vit, tout ce qui existe, est voué à plus ou moins long terme.

C’est aussi un geste qui se trouve en total accord avec sa pratique créatrice.

En effet, il ne travaille pas avec des matériaux de récupération pour le plaisir ni pour la facilité, mais parce que ce matériau en tant que tel rend perceptible la philosophie et la conception de l’art qui sont les siennes. Pourquoi le nier, il a sur l’art et sur sa fonction un avis qui rompt totalement avec les conceptions classiques et traditionnelles de l’art valables en occident.

En un mot, il pense l’art comme processus vivant et vital et ne voit donc pas en quoi, sinon par cette singulière perversion de l’esprit humain qui travaille souvent à s’opposer à ce qu’il sait, l’art devrait échapper à la règle générale qui gouverne le vivant.

Marcel Proust l’a déjà noté : « Victor Hugo dit : « il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent. » Lui, dit que la loi cruelle de l’art est que les êtres meurent et que nous-mêmes mourions en épuisant toutes les souffrances pour que pousse l’herbe non de l’oubli mais de la vie éternelle, l’herbe drue des œuvres fécondes, sur laquelle les générations viendront faire gaiement, sans souci de ceux qui dorment en dessous, leur Déjeuner sur l’herbe. »

Et comme s’ils voulaient s’opposer à cette loi de la disparition nécessaire de ce qui a été, les hommes s’obstinent à reporter cette angoisse fondamentale sur les produits de leur génie, sur les objets de leur création, comme si vénérer était la réponse unique à leur solitude absolue et qu’ainsi ils cherchaient à persister dans le monde, à travers leurs œuvres au-delà de toute limite.

L’obsession humaine pour l’éternité le fait sourire et il en va de même pour les traces que les hommes entendent laisser de leur passage sur terre.

Vivre, c’est vivre. C’est pourquoi il n’y a pas de raison de ne pas faire ce pour quoi l’on se sent appelé, que ce soit rêver, travailler, construire, inventer, créer. Mais de là, de là à prétendre et à vouloir faire en sorte que ces traces deviennent éternelles, il y a un pas qu’il ne peut franchir. C’est pourquoi il reste encore plus loin du second pas qui consiste à vouloir à tout prix diviniser et les œuvres, et leurs créateurs.

Il se sent proche de ce que dit Paul Klee lorsqu’il déclare dans sa conférence de 1924, De l’art moderne, que ce monde « n’est pas le seul possible » et « que la création ne peut pas être achevée à ce jour ».

La nature ne cesse de produire du changement et rien de ce qui vient d’elle ne peut échapper à ce processus de destruction permanente qui est le véritable moteur de toute création.

C’est cela qui constitue la base de sa pratique artistique, cette « évidence » qui est aussi la base de notre expérience globale de la vie.

Face aux œuvres d’art, il lui semble que l’enjeu est qu’elles nous permettent de nous connecter au mouvement général de l’univers, à l’énergie du « sans limite », dans lequel rien ne se perd, rien ne se crée et de trouver en nous le chemin qui conduit à l’appréhension de ce vide immobile, dynamique et silencieux, qui constitue pour moi la véritable « réalité ».

Face à ces éléments qui partent du plastique abandonné pour en exhumer et en exhiber les potentialités non-vues pas nous qui ne le considérons que comme un déchet, je vous invite moins à vous perdre dans la contemplation des objets qui sont nés sous sa main qu’à vous glisser dans le mouvement même de la création-destruction qui constitue la vérité intime de la nature, de la vie, du cosmos.

Si, face à ces sculptures qui se tordent sous vos yeux « ainsi qu’un serpent sur la braise » vous laissez votre esprit suivre le mouvement de torsion qui les constitue, alors vous percevrez ces objets comme des clés ouvrant sur le mystère indicible de la création.

Mais c’est à vous de tourner la clé, à vous de pousser la porte, à vous de vous glisser de l’autre côté, à vous d’ouvrir votre esprit, à vous de faire l’expérience d’un voyage dans l’envers du monde.

Chacune de ses œuvres est une de ces barques que l’on prend lorsque est venue l’heure de passer le Styx. Mais loin de vous conduire dans le royaume des morts, ses œuvres vous conduisent du côté de la vie éternelle, dans ce monde où vérité et éternité ne font qu’un, elles qui sont le nom imparfait de ce qui échappe à toute prise.

Si vous faites cette expérience, même de manière fugitive, alors vous comprendrez que son souhait de détruire ses œuvres n’est ni la lubie d’un original, ni l’acte d’un désaxé, mais bien l’affirmation consciente d’une conception de l’œuvre comme geste ouvrant sur l’envers du monde.

Vous comprendrez qu’il entend affirmer en le mettant en œuvre par la destruction, la force absolue et invincible de la transformation et de la renaissance, c’est-à-dire de cette éternité dans laquelle baigne tout ce qui existe et qui, en effet, matière incertaine, doit un jour disparaitre pour que renaisse autre chose, encore et encore.

Détruire, ici, c’est ouvrir la porte pour de nouveaux gestes et non enfermer le regard dans le piège d’une forme figée. Ses œuvres se tiennent au plus près du secret de cette transformation permanente, mais le geste de les détruire seul peut permettre de rendre à la vérité absolue un peu de visibilité dans ce monde des formes figées par l’irrésistible besoin qu’ont les hommes de croire.

Jean-Louis Poitevin est écrivain et critique d’art. Docteur en philosophie, il est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’art contemporain en particulier. De 2000 à 2004, il a dirigé les instituts français de Stuttgart et d’Innsbruck.

 

Texte de Gérard Gartener à propos de ses réalisations :

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http://gerardgartner.net/

 

 

08/01/2016

Tieri Briet - Pour continuer d’écrire en zone tsigane

 

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Arles, le vendredi 8 janvier 2015.

Je suis tenace et violemment tenace. Même si je n’écris pas tous les jours, j’essaie au moins d’inscrire les dates dans mon carnet, et dessous quelques mots pour ne pas oublier. Hier, la chevelure de Maria dans une salle d’hôpital. Ses yeux rougis par les larmes quand elle parle de Marius. Je suis un scribe obstiné. Je cherche encore les mots pour raconter et raconter encore, vieille obsession dans ma vie, ce sentiment devenu incurable d’être celui qui écrit le malheur, la beauté d’être Rom dans une France qui a peur de ces femmes qui mendient, de ces hommes venus le soir fouiller dans ses poubelles. Avec une vieille poussette pour emporter leur butin dans la nuit noire d’un bidonville menacé d’expulsion.

En écrivant toutes les histoires qu’on vit ici en zone tsigane, je parle d’amitié et des billets de cinq euros qu’on échange, le soir, près du feu de palettes où la viande est grillée. Je parle du cuivre des vieux câbles qu’on a brûlés le matin et qu’on s’en va revendre l’après-midi, pour financer le baptême du petit et le voyage de toute urgence à Bucarest. Je parle aussi des lourds tapis qu’on lave dans l’eau du fleuve après la fête, et je raconte  les jours de larmes quand on appelle en Roumanie sur mon vieux téléphone, les enfants et les petits enfants qui n’ont plus rien à manger depuis qu’il neige. Je parle des vieilles caravanes que le sous-préfet d’Arles a fait détruire au bulldozer un jour de pluie, je n’oublie pas son nom de pute ni son sourire devant la presse, quand il répète encore une fois les vieilles rengaines du ministre Hortefeux, le complice des haines anti-tsiganes que proférait leur président à l’Elysée.

En écrivant ici je raconte même l’argent qu’on envoie par mandat, tous ces rouleaux de petites pièces de cuivre qu’on ramasse en mendiant, de Nîmes à Avignon, pour payer en Roumanie le chirurgien corrompu qui doit réopérer, s’il est assez payé, l’œil malade du fils aîné de Maria. Je sais que j’en fais trop en racontant le pire qui vient user année après année leur fierté d’être Rroms. Les maladies font partie de l’histoire, je n’y peux rien, et je sais de quelles politiques elles sont nées, de quelle misère elles sont venues s’accrocher à leurs vies dans les bidonvilles de l’Europe.

On vit ici les uns avec les autres et le partage des richesses, on dirait que c’est une idée morte et enterrée depuis longtemps. On dirait que les yeux des élus sont crevés maintenant, à force de vivre dans la laideur des combines politiques. Ici, au milieu d’Arles, on prépare à manger pour la tribu, on fait les devoirs qu’on demande au collège, on compte les pièces pour acheter du pain, du lait pour les enfants, exactement comme ce poème de Marlène Feeley. Et puis on apprend quelques mots dans la langue de l’autre, tout un apprentissage qui a pris son importance au fil des jours. La langue tsigane, la langue française, la langue de l’autre à l’autre bout de l’Europe et entre nous d’anciennes frontières qu’on a ouvertes et traversées dans tous les sens, qu’on ne veut pas voir refermées.

« Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. » La phrase vient d’un poème de Rimbaud partagé par Sara Oudin. Elle ne cesse pas de résonner. La dernière phrase du poème est elle aussi chargée d’augures. « Voici venu le temps des Assassins. » Rimbaud n’était pas un prophète mais ses poèmes ressemblent souvent à des conjurations quand je le lis, de plus en plus souvent, ouvrant ses Œuvres au hasard comme d’autres peuvent ouvrir le Yi King. Et ce matin, le hasard s’appelle Sara qui est aussi poète. Et Sara a raison, on va avoir de plus en plus besoin de l’effraction des poèmes dans nos vies.

https://joursdeferraille.wordpress.com/2016/01/08/pour-continuer-decrire-en-zone-tsigane/

 

 

 

 

 

24/12/2015

Jean-Marc Le Bihan, à écouter ce soir !

"Tous ces politiciens menteurs qui se forgent un pouvoir sur le déséquilibre humain, jusqu'à devenir des assassins de l'ordre, ces religieux faux prophètes qui n'ont rien dans la tête et qui se croient plus grands que Dieu et Dieu lui-même qui se croit grand. Pourquoi faut-il souffrir et pourquoi faire souffrir ? Au royaume des hommes devenus masochistes, cette tendresse errante sans frontière, sans papiers, dérange l'ordre établi. Nous sommes tous des errants. Il n'y a pas d'élus. Les races ne sont que les vêtements du corps, la pensée mise en tendresse est de toutes les couleurs, elle ne se soumet pas à la connerie universelle, au troupeau. La pensée est poésie, elle voyage sans drapeau, sans pays. Elle solitude l'homme pour le rendre à lui-même. Elle n'est pas un numéro ni un compte en banque, elle ne s'agenouille pas devant le pouvoir de l'argent, elle déteste les puissants, elle sait que toute action qui conduit à la destruction de l'autre est une infamie Elle est émigrante, cela fait cent mille ans qu'elle émigre, qu'elle dépasse tout horizon, elle ne sert à rien d'autre qu'à nous faire rencontrer. Nous sommes la pensée. Ce petit livre, si tu le gardes, mets-le dans ta poche, lis-le de temps en temps, cela te rapprochera de moi, je n'ai ni tort ni raison, je cherche sans savoir quoi chercher. Sache que mes chansons sont des petites chansons qui ne servent à rien, mais si elles peuvent t'aider, je suis le plus heureux des hommes. Je ne suis qu'un porteur de chansons, un griot de l'espoir, inutile en tout, mon indépendance pour vérité. Je suis un chat de gouttière."

Jean-Marc Le Bihan

 

 

 

 

22/12/2015

La liberté est le plus difficile des devoirs

 

Le Monde.fr | • Mis à jour le

 

Par Amandine

 

Le 13 novembre, j’étais à un concert avec une amie quand des hommes armés sont entrés dans la salle et ont tiré dans le public. Nous sommes toutes les deux sorties vivantes. Elle a pu s’échapper au bout de vingt minutes, à la faveur d’un chargeur vide. Moi, au bout d’une heure trente durant laquelle je me suis cachée. Je suis allée à un concert et j’en suis sortie en ayant vécu une scène de guerre.

Depuis, j’écris beaucoup. J’ai écrit pour mes proches, pour leur dire ce que j’avais vécu. J’écris pour moi, pour tenter de m’apaiser en mettant des mots sur cette parenthèse barbare qui balafre désormais ma vie. Pour ne jamais oublier toutes les émotions par lesquelles je passe : choc et sensation d’irréalité face à cette violence inouïe et soudaine, joie d’être en vie, tristesse immense en pensant aux personnes blessées et tuées. Mais aussi colère et solitude. Colère contre la classe politique, solitude vis à vis de mes concitoyens qui plébiscitent dans leur grande majorité l’état d’urgence prolongé.

Aujourd’hui, j’écris pour dire pourquoi je ne me sens pas représentée en tant que victime, mais aussi en tant que citoyenne. Car je me sens insultée par les décisions sécuritaires et liberticides qui sont prises, en mon nom, depuis le 13 novembre, sous le coup de l’émotion. Le temps politique n’est pas le même que le temps émotionnel ou que le temps médiatique. Je ne jette pas la pierre à ces millions de Français sidérés, comme moi, par cette violence. Par contre, j’accuse nos responsables politiques d’avoir abusé de l’état de choc de la population pour faire voter précipitamment un ensemble de mesures inadaptées et dangereuses pour notre démocratie.

Tout d’abord, les frappes en Syrie. En quoi une réponse guerrière, des poses viriles, pourraient nous protéger ? Posture infantile et dangereuse, qui ne fait qu’ajouter de la confusion et du danger au lourd bilan des morts. Comment pourrais-je me sentir en sécurité tant que nous serons « en guerre » ? Frappes en Syrie et fermetures des frontières européennes aux réfugiés : un bel exemple de décisions dictées par l’émotion… Comme celles prises en septembre dernier, quand la photo d’un enfant mort sur une plage avait suscité une vague d’émotion en Europe. Hollande et Merkel avaient alors appelé à « la responsabilité de chaque État membre et à la solidarité de tous »., Trois mois après, il y a toujours autant de bambins qui meurent noyés en Méditerranée, toujours autant de Syriens qui fuient la guerre. Mais depuis le 13 novembre, ces réfugiés sont passés du statut de victimes à accueillir à celui de terroristes potentiels. Exit les engagements de septembre, on cadenasse l’Europe et on bombarde la Syrie.

Ensuite, l’état d’urgence prolongé : Une réponse totalitaire et liberticide à l’attaque d’un groupe terroriste, totalitaire et liberticide. En quoi l’interdiction de manifester et la restriction des libertés individuelles et collectives m’apporteraient t plus de sécurité ? En quoi l’autorisation de porter une arme hors service à des policiers exténués depuis janvier pourrait me rassurer ? Comment la déchéance de nationalité permettrait de dissuader des individus qui n’ont pas peur de perdre leur vie ? Nous pouvons déjà tirer un bilan de l’inclusion du « comportement », et non plus seulement des « activités », qui autorise des mesures privatives de liberté sur simple suspicion : intrusions violentes, hors de tout contrôle judiciaire, chez des particuliers aux activités politiques ou religieuses (quand la police ne se trompe pas tout simplement de porte) ; surveillances et assignations à résidence de militants écologistes sans rapport avec le djihad et les armes à feu ; bavures policières… Nous avons désormais le droit de nous rassembler dans un centre commercial, dans un stade, dans un marathon, mais pas de manifester.

Les attentats du 13 novembre se sont déroulés dans un contexte déjà hautement sécuritaire suite aux attentats du 7 janvier. La loi sur le renseignement, votée en mars dernier, copie du Patriot Act, semblait déjà aller beaucoup trop loin. Cet événement dont j’ai été victime pose pourtant la question de l’efficacité des renseignements généraux (RG), de leur incapacité à changer de paradigme depuis les années 1980 (extrême gauche = terroriste). Doit-on rire jaune du pathétique de perquisitionner chez des maraîchers bios, ou au contraire se demander si ce type d’action ne se fait pas au détriment de la lutte contre le djihadisme ? Que dire aux victimes du Bataclan et à leurs proches en apprenant qu’un des tireurs, Ismaël Mostefaï, dans les radars des RG depuis 2009, disparu en 2012, avait été signalé en 2014 par les autorités turques comme djihadiste potentiel ? De retour en France, il ne fera l’objet d’aucune surveillance jusqu’au 13 novembre.

La question de la sortie de l’état d’urgence doit également se poser. Évidemment, la « guerre » conte l’organisation Etat islamique ne sera pas gagnée en trois mois. Alors sur quel motif, François Hollande compte-t-il mettre fin à l’état d’urgence le 26 février prochain ? A moins qu’il ne décide de maintenir une situation d’exception jusqu’à la fin de son mandat, au mépris de nos libertés ? C’est le sens de l’avant-projet de loi constitutionnelle « de la protection de la nation », qui sera examiné en conseil des ministres le 23 décembre.

Je vois dans les choix de ces dernières semaines un président acculé, qui préfère s’octroyer les pleins pouvoirs et faire entrer l’état d’urgence dans la Constitution, plutôt que de faire son examen critique. J’y vois une gauche affaiblie, qui utilise les événements pour braconner sur les terres de la droite et de l’extrême droite. Stratégie électoraliste, indigne des victimes, qui s’est révélée pour le moins peu payante. J’y vois la mise en péril des valeurs fondatrices de notre république (liberté, égalité, fraternité), la fragilisation des solidarités et du collectif, l’appel à l’individualisme, voire à la délation. J’y vois la copie des erreurs américaines du début de ce siècle - fichage global de la population, baisse des libertés et envoi de forces armées à l’étranger - qui ont pourtant participé à la déstabilisation du monde. Cette réponse court-termiste ne prend pas la mesure des causes et des enjeux.

« A terme, le véritable enjeu est la mise en place d’un modèle de développement social et équitable, là-bas et ici », dit Thomas Piketty. On en est loin. En ayant validé, à six élus près, ces choix guerriers, liberticides et simplistes, la classe politique, dans son ensemble, n’est pas à la hauteur et n’assume pas ses responsabilités. Car il me semble que ce 13 novembre pose un certain nombre de questions : quid du financement du terrorisme, des paradis fiscaux ? Quid des relations économiques avec des régimes dictatoriaux ? Quid d’un modèle économique ultralibéral qui laisse trop de monde sur le bord du chemin ? Quid des équilibres mondiaux dictés par les énergies fossiles ?. A un problème multifactoriel et complexe, la classe politique propose une réponse simpliste. Au Bataclan, ce sont de jeunes Français qui sont venus tirer sur d’autres jeunes Français. Nos représentants politiques ne devraient-ils pas considérer ceci comme un constat d’échec ? J’attends d’eux d’avantage de réserve et d’analyse.

Le 13 novembre, des hommes armés nous ont tirés dessus. Aujourd’hui mes convictions sont inchangées, voire renforcées. Je suis convaincue qu’affaiblir la démocratie et les libertés fondamentales est une dangereuse erreur. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. Forcément, je pense à la majorité silencieuse de cette sombre période. Aujourd’hui, dans l’état d’urgence, le simple fait de descendre dans la rue pour exprimer son mécontentement est répréhensible pénalement. Donc devenu un acte de résistance.

Amandine, 34 ans, rescapée du Bataclan

http://mobile.lemonde.fr/idees/article/2015/12/21/la-liberte-est-le-plus-difficile-des-devoirs_4835935_3232.html?xtref=http%3A%2F%2Fm.facebook.com

 

 

 

 

 

15/12/2015

Le Jihad Revisité – Hakim Bey

 

Au milieu des années 90 j’ai été invité à une grande conférence philosophique en Libye. J’ai écrit une courte intervention sur l’influence du néo-soufisme sur le colonel Kadhafi et son Livre Vert[1]. Je me demandais alors si les Libyens m’accorderaient l’autorisation de le lire. Après tout, Kadhafi était arrivé au pouvoir en 1969 en destituant un roi qui était aussi un maître soufi. Peut-être avait-il rejeté l’influence du soufisme sur sa propre vie & pensée ?

Il s’est avéré que les Libyens ont adoré mon papier & qu’ils m’ont dit qu’il était correct : en un certain sens, la révolution libyenne avait été dirigée, au nom du soufisme réformé, contre le soufisme corrompu. Malheureusement, Kadhafi lui-même ne s’est pas présenté à la conférence pour confirmer ou infirmer ce fait, mais je suis sûr qu’ils avaient raison malgré tout.

Le néo-soufisme est né au 19e siècle en réponse au soufisme autoritaire & corrompu de l’époque coloniale, & en partie en réponse au colonialisme lui-même. La résistance anti-française en Algérie fut menée par le grand Émir Abdel Kader[2], chef de la guérilla & brillant cheikh de l’école d’Ibn Arabi.

Les néo-soufis se distancièrent du concept médiéval du « maître » tout-puissant. À sa place, ils recherchaient l’initiation par les rêves & les visions. En Afrique du nord, l’Ordre Senussi[3] & l’Ordre Tijani, parmi d’autres, furent fondés par des chercheurs ayant été initiés dans leurs rêves par le Prophète Mahomet lui-même.

Les ordres néo-soufis furent également conçus & organisés en tant que mouvements réformateurs au sein de l’Islam, en concurrence avec le modernisme & le sécularisme d’un côté, & l’islamisme puritain salafiste/wahhabite de l’autre. L’éducation & la santé & les alternatives économiques au colonialisme étaient mises en avant par l’ordre Senussi en Libye. Lorsque la révolte armée contre la domination italienne éclata, les fuqara (derviches) senussi prirent sa tête.

Après l’indépendance, le chef de l’Ordre devint le Roi Idris 1er. Le jeune Mouammar Kadhafi, né dans un village senussi, de parents senussi, fréquenta les écoles senussis. En Angleterre pour un entraînement militaire dans les années 60, le jeune officier lut The Outsider de Colin Wilson & il se pénétra de certaines idées de la nouvelle gauche, comme les « conseils communistes » & la notion du Spectacle (confer le Livre Vert et la section sur le sport).

L’Islam libyen n’est pas fondamentaliste ainsi que le croient certains américains. En fait, il est anti-fondamentaliste. Les islamistes haïssent Kadhafi comme hérétique, innovateur & crypto-soufi. Les oulémas libyens (les autorités religieuses) ont déclaré les Hadith (les paroles traditionnelles du Prophète) comme étant non canoniques, ce qui est une position extrêmement « libérale ». Un Conseil des Ordres Soufis existe encore aujourd’hui en Libye & l’Ordre Senussi est encore en activité (« Sauf la branche royale » ainsi que me le rapporta un délégué libyen).

Partout ailleurs dans le monde islamique, cependant, le néo-soufisme a largement échoué à fournir un paradigme pour la politique ou la spiritualité contemporaine. « L’occidentalisation » & son jumeau réactionnaire, l’islamisme, ont rempli ce vide. Les anciens idéaux soufis de tolérance, de différence, de culture, d’art & de paix – ainsi que l’affirme le poète tunisien Abdelwahab Meddeb dans son The Malady of Islam (Basic Books, 2003) – sont méprisés à la fois par les modernistes séculiers & par les néo-puritains fanatiques.

Meddeb souligne également qu’en aucun cas les islamistes n’adhèrent aux « valeurs antimatérialistes ». Ils adorent la technologie & le Capital avec autant de ferveur que les occidentaux – pour autant que ce soit de la technologie « islamique » & de l’argent « islamique », bien sûr.

La synthèse du mysticisme & du socialisme, telle qu’envisagée par les penseurs anticapitalistes/antisoviétiques des années 60 & 70, comme Ali Shariati[4] en Iran & le colonel Kadhafi, semble être une cause perdue – tout comme le « socialisme du tiers monde » en général & le « neutralisme du tiers monde » également. Les termes eux-mêmes expriment leur vide historique : comment se pourrait-il qu’il y ait un troisième monde alors que le « second monde » a implosé & a disparu ?

La conférence à Tripoli s’est révélée comme un curieux cirque des « causes perdues », avec deux anarchistes de New York (nous avons été salués comme des héros pour avoir outrepassé l’interdiction de voyage vers la Libye), d’innombrables fronts de libération africains, l’intéressant philosophe de la nouvelle droite Alain de Benoît & quelques mecs rouge/brun australiens, deux charmants écolos turcs, un anarchiste slovène, une clique de maoïstes parisiens, etc. & une phalange de libyens hospitaliers, tout ce beau monde propulsé par de trop nombreuses tasses de café fort. Un docteur allemand a donné une conférence sur l’uranium épuisé en Irak. Un délégué néozélandais a raconté d’horribles histoires sur la privatisation de l’eau ; etc.

À un certain moment j’ai entendu un des maoïstes parisiens dire que l’unique & réel ennemi objectif de l’humanité n’était pas le capitalisme néolibéral ou global mais les USA. Sur le coup, j’ai considéré cette vision comme imprudente, en partie à cause de mon enthousiasme pour le Zapatisme, en partie parce que la ligne maoïste me semblait démodée. À cette époque, le néo-libéralisme était en pleine progression & une réponse globale nuancée me semblait plus vitale qu’un anti-américanisme de l’ère du Vietnam.

Dans une collection d’essais, Millenium[5], je m’interrogeais sur le besoin de trouver de nouvelles manières d’exprimer des stratégies anti-capitalistes dans une situation post-spectaculaire. Si le Zapatisme pouvait se baser tout autant sur la spiritualité Maya que sur l’anarchisme, peut-être que quelque chose de similaire pourrait advenir avec le soufisme. L’Islam contient un potentiel pour le socialisme dans sa condamnation de l’usure & dans son idéalisme communautaire (selon Ali Shariati). Le soufisme « sans loi » (bishahr) & certaines formes d’hérésies islamiques revêtent des aspects anarchistes. À cette époque je pensais que l’Islam était sur le déclin.

Le soufisme lui-même est parfois défini comme le « grand jihad » tandis que la guerre sainte est appelée « petit jihad ». La lutte afin de « vaincre qui vous êtes » devient prééminente. Mais l’ésotérisme n’est pas toujours quiétiste en Islam. Des soufis ont lancé des révolutions, dont les luttes anti-colonialistes/impérialistes des 19e & 20e siècles. Je fantasmais peut-être qu’il était alors temps qu’un zapatisme islamique émerge. Je l’ai d’ailleurs proposé dans la préface de la traduction turque de mon vieux livre, TAZ : Zone Autonome Temporaire[6].

Depuis 1996, deux changements ont eu lieu dans ce que l’on appelle la Fin de l’Histoire. Tout d’abord est apparu un néolibéralisme néoconservateur, c’est-à-dire les USA en tant qu’unique superpuissance & hegemon du triomphe final du Capital Global – en d’autres termes, l’Empire. Ensuite, il s’est avéré que l’islamisme puritain a été revitalisé par le gotterdamerung soviétique en Afghanistan. Les services secrets américains ont découvert une lampe magique & l’ont frottée – une fois, deux fois, trois fois – & alors le génie s’est échappé pour devenir le Vieil Homme de la Montagne. Les USA ont alors envahi l’Afghanistan & l’Iraq & se sont alliés à la droite israélienne. L’Islamisme devint d’une certaine manière l’Empire du Mal de la Pure Terreur. Il devint également l’anti-américanisme.

Peu de gens m’ont imprudemment complimenté pour avoir « prédit » ce Nouveau Jihad. Touts ceux qui ont jamais écrit un mot sur l’islamisme avant le 11 septembre sont aujourd’hui accablé par ce linceul. En fait, le jihad que j’ai « prédit » (ou plutôt imaginé) n’est pas encore advenu. Aujourd’hui, il est sans doute trop tard.

Du point de vue de l’Empire US, l’islamisme est le parfait ennemi car il n’est pas réellement anticapitaliste ou antitechnocratique. Il peut être subsumé en une grande image du Capital en tant que Loi de la Nature &, simultanément, être utilisé comme croque-mitaine afin de discipliner les masses par la peur & d’expliquer le pourquoi des misères d’un réajustement néolibéral. En ce sens l’islamisme est une fausse idéologie ou une « Simulation » comme le dit Baudrillard.

L’Amérique est l’ennemi parfait de l’islamisme car l’américanisme n’est pas non plus une véritable idéologie. La force brute, la kultur Macdisney, un « Marché Libre » orwellien & une économie « postindustrielle » effervescente basée sur les délocalisations de la misère de la production vers le tiers monde – tout ceci est bien loin d’atteindre le statut même terni de l’idéologie – tout cela n’est que simulation. « L’argent fait tout » comme le dit la sagesse populaire. L’argent est le seul maître de la parole ici & l’argent ne parle que pour lui-même. La « démocratie » est aujourd’hui un nom de code pour la coca-colonisation par bombes à fragmentation – « l’Islam » comme peste émotionnelle. C’est là un faux jihad.

Aujourd’hui (mai 2004), l’Empire s’étouffe dans une overdose de sa propre addiction à l’image, aux mensonges stupides, aux mass médias, à la politique en tant que porno minable. Rester en Iraq ou en « sortir » : les deux semblent tout aussi impossibles à imaginer – syndrome du Vietnam complété par les photos d’atrocités commises.

Si le régime actuel des USA change, au mieux nous pouvons nous attendre à un retour au globalisme néolibéral des années 90. Mais cela peut se révéler impossible & il n’est pas évident que les démocrates aient l’intention d’une telle retraite[7]. Comment se retirer avec grâce de l’impérialisme ?

Ce maoïste parisien avait-il raison en fin de compte ? Les USA semblent s’être mis dans une telle position de manière délibérée en s’aliénant l’Europe & en horrifiant le monde musulman. Ils se sont empressés d’embrasser le rôle d’ennemi de l’humanité & de rejeter ce qu’il restait de leur popularité en tant que défenseurs de la liberté.

Mais l’islamisme ne fournira jamais une négation dialectique à l’Empire car l’islamisme lui-même n’est rien d’autre qu’un empire de la négation, du ressentiment & de la réaction. L’islamisme n’a rien à offrir à la lutte contre le globalisme si ce n’est des spasmes de violence théofascistes stériles.

Américanisme & islamisme : que la peste soit de vos deux maisons[8]. Pour ce qui est du véritable jihad, il y a plus à attendre de ce qui se passe en Amérique du sud ou au Mexique que partout ailleurs.

Peut-être que lorsque le président Tweedledee & que l’imam ibn Tweedledum[9] s’égorgeront l’un l’autre sur CNN, quelque chose d’intéressant aura une chance d’émerger des barrios d’Argentine ou du Venezuela ou encore des jungles du Chiapas.

Hakim Bey, « JIHAD REVISTED », 5 juin 2004.

Traduction française par Spartakus FreeMann, octobre 2009 e.v.


[1] Le Livre vert est un livre publié pour la première fois en 1975, où le colonel et, de fait, dirigeant Mouammar Kadafi expose sa vision de la démocratie et de la politique. Le livre est divisé en trois parties : 1-Partie politique: l’autorité du peuple; 2- Partie économique: le socialisme; 3- Bases sociales de la troisième théorie universelle.

 

[2] Né en 1808 près de Mascara, Algérie, décédé le 26 mai 1883 à Damas, Syrie. Homme politique, chef militaire et chérif idrisside qui résista longtemps à l’armée coloniale française lors de sa conquête de l’Algérie et fut également écrivain, poète, philosophe et théologien soufi dans la lignée d’Ibn Arabi. Il est considéré le symbole de la résistance algérienne contre le colonialisme et l’oppression française.

[3] Confrérie religieuse musulmane fondée à la Mecque en 1837 par le Grand Senussi Sayyid Muhammad ibn Ali as-Senussi (1791–1859) qui s’est implanté en Libye, au Tchad, en Algérie, au Soudan, au Niger et en Égypte.

[4] Al Shariati est un sociologue, philosophe et un militant politique iranien né près de Sabzevar le 23 novembre 1933 et mort à Southampton le 19 juin 1977. Il est surtout connu pour ses études sociologiques sur les religions.

[5] Autonomedia, 1996.

[6] Autonomedia, 1985.

[7] En 2009, après la victoire d’Obama à la présidence américaine, les prévisions de Bey se vérifient à nouveau. Les démocrates, même si leur intention ont pu être de se retirer de l’Iraq, ne le peuvent pas : ni face à leur opinion publique ni face aux « faucons » des lobbies militaro-industriels.

[8] Citation de William Shakespeare, Roméo et Juliette, III, 1.

[9] Tweedledum et Tweedledee sont des personnages d’une comptine britannique écrit par le poète John Byrom, et popularisés par De l’autre côté du miroir (1872) de Lewis Carroll. En français, ils sont aussi appelés Bonnet Blanc et Blanc Bonnet.

 

 

 

12/12/2015

"Leur écologie et la nôtre", rappel d'un entretien avec André Gorz

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« Une politique écologiste est une politique nécessairement anticapitaliste. » Dès le début des années 1970, André GORZ, le père spirituel de l’écologie politique, dénonçait la récupération de l’écologie par la puissance capitaliste.

 

Il y a quarante ans André Gorz écrivait : « Quand l’impasse écologique sera devenue inéluctable, le capitalisme intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres. »

Sauf que le climat n’est pas une impasse, c’est une catastrophe. D’abord pour les pauvres et les damnés de la terre mais aussi pour les guerres que le dérèglement climatique engendre. Penseur de l’écologie politique, André Gorz n’a eu de cesse de poser les fondamentaux de la place du travail et de l’individu dans le monde capitaliste. Le productivisme même repeint en vert s’oppose au développement humain. La COP 21 montre que la question du climat ne peut être séparée des questions politiques et sociales fondamentales. L’environnement est aujourd’hui la priorité politique mondiale Et si, bien sûr, Gorz n’a pas inventé l’écologie, il lui a donné sa dimension politique dés le début des années 70 notamment dans « Ecologie et politique »en 1975.

Comme aujourd’hui, sur les questions du nucléaire, du gaz de schiste, de l’industrie automobile et chimique, André Gorz pose la question de « leur écologie et la nôtre ». En clair, le philosophe se positionne contre l’écologie de marché et en opposition frontale à cette sphère aussi restreinte que néfaste, celle qu’il nomme « l’expertocratie verte ».

André Gorz où comment comprendre et mettre en œuvre une écologie émancipatrice et clairement anti-capitaliste.

(Première diffusion : juin 2011)

 

La COP21 a montré la totale domination des grandes entreprises sur les États. On dit merci à EDF, Exxon, BNP-Paribas, Chevron et tous leurs amis qui ont financé la conférence. Grâce à vous désormais, les tigres ne mangeront que de la salade verte. Pour ceux qui en douteraient, nous vous proposons une heure avec André GORZ.

Un entretien de Daniel MERMET avec Christophe FOURNEL [50’51], à écouter ici : la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/andre-gorz-leur-eco...

 

 

10/12/2015

Merci Raphaël Glucksmann !

 

03/12/2015

Je ne trouve pas normal qu’on soit le 2e exportateur d’armes au monde" - Frédéric Volpert, rescapé du Bataclan

 

 

29/11/2015

UN DÉTOURNEMENT MASSIF DE LA PUBLICITÉ DANS PARIS DÉNONCE LA MAINMISE DES NÉGOCIATIONS SUR LE CLIMAT PAR LES MULTINATIONALES"

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Plus de 600 œuvres d'art dénonçant la mainmise des multinationales sur les négociations climatiques durant la COP 21, ont été installées hier dans des espaces publicitaires parisiens, en amont du Sommet des Nations Unies qui démarre ce lundi.

Malgré l'état d'urgence interdisant tout rassemblement, suite aux attentats du 13 novembre à Paris,le projet Brandalism néologisme né de la fusion entre « Brand » (« marque » en français) et « vandalisme »), mené avec des activistes parisiens, a permis de placer dans toute la ville des centaines d'œuvres d'art non autorisées. Ces affiches soulignent les liens entre la publicité, le consumérisme, la dépendance aux énergies fossiles et le changement climatique.

Les œuvres d'art ont été placées dans des espaces publicitaires appartenant à JCDecaux - une des plus grandes entreprises de publicité en extérieur et sponsor officiel des négociations de la COP 21.

D'autres éminents sponsors des négociations climatiques tels qu'Air France, Engie (ex-GDF Suez) et Dow Chemicals sont parodiés dans les affiches, ainsi que des chefs d'Etat tels que François Hollande, David Cameron, Barack Obama, Angela Merkel et Shinzo Abi.

Les œuvres d'art ont été réalisées par 80 artistes renommés, originaires de 19 pays à travers le monde. On retrouve notamment les parisiens Alex One, Arnaud Liard, Millo and ZAD, Eube, Automedia, AntiCOP21.org, Anti ainsi que d'autres artistes de renommée internationale tels que Neta Harari, Jimmy Cauty, Paul Insect (collaborateur de Banksy), Escif ou Kennard Phillips - nombre d'entre eux ayant été représentés à Dismaland, l'exposition de Banksy en Angleterre cet été.

Joe Elan de Brandalism explique : « En sponsorisant les négociations climatiques, des pollueurs importants tels qu'Air France et Engie peuvent faire leur promotion comme s'ils faisaient partie de la solution, alors qu'ils font en fait partie du problème ».

Un des artistes ayant pris part au projet déclare : « Nous reprenons possession des espaces publicitaires car nous voulons dénoncer le rôle que la publicité joue en faisant la promotion d'un consumérisme insoutenable. L'industrie publicitaire nourrit nos désirs pour des produits qui reposent sur l'exploitation des énergies fossiles et qui ont un impact direct sur le changement climatique. De même que pour les négociations climatiques et les évènements parallèles sponsorisés par les grandes entreprises, la publicité en extérieur permet aux plus riches de s'assurer que leur voix soit entendue au-delà de toutes les autres ». Les œuvres d'arts ont été installées durant le « Vendredi noir » (« Black Friday »), le jour annuel de frénésie consumériste.

D'autres affichent appellent les gens à prendre la rue dans le cadre des « Climate Games », le plus grand jeu mondial de désobéissance civile [4], et à dénoncer la conférence « Solutions 21 » - une exposition des grandes entreprises qui se tient au Grand Palais durant les négociations climatiques.

Bill Posters de Brandalism indique : « Suite aux évènements tragiques du 13 novembre à Paris, le gouvernement a choisi d'interdire les mobilisations de la société civile, mais les évènements des grandes entreprises sont maintenus ». Les multinationales responsables du changement climatique peuvent continuer à faire du « greenwashing » autour de leur modèle économique destructeur, mais les communautés directement impactées par leurs activités sont réduites au silence. Il est maintenant plus important que jamais de dénoncer leurs mensonges et de mettre en lumière les enjeux de pouvoir derrière les négociations. Nous appelons à prendre la rue durant la COP 21 et à s'opposer à l'industrie des énergies fossiles. Nous ne pouvons pas laisser les négociations climatiques entre les seules mains des politiciens et des lobbyistes des grandes entreprises, qui sont les premiers responsables
du désordre actuel.

FIN.

 

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Rappel : Naomi Klein : «Il faut être fou pour croire aux conférences climat»

 

Par Christian Losson , Isabelle Hanne et Coralie Schaub — 8 avril 2015 à 19:46

 

La journaliste canadienne Naomi Klein sort un nouveau livre où elle appelle à un sursaut citoyen pour combattre le réchauffement en bâtissant une société plus juste.

De passage à Paris pour la sortie de son dernier livre, Tout peut changer (1), l’altermondialiste canadienne Naomi Klein enchaîne conférences et entretiens pour appeler à la convergence des mouvements anti-austérité avec ceux pour la défense du climat.

Quand avez-vous pris conscience de l’ampleur de la crise climatique ?

Je n’ai jamais nié le changement climatique. Mais je ne l’ai vraiment regardé en face qu’à partir de 2009, après avoir rencontré Angélica Navarro, une ambassadrice bolivienne. Elle comparait la question de la dette climatique [des pays du Nord, qui ont une responsabilité historique vis-à-vis de ceux du Sud, ndlr] aux réparations pour l’esclavage. Mais ce livre découle aussi du précédent, la Stratégie du choc, dans lequel je parlais de l’ouragan Katrina qui a ravagé La Nouvelle-Orléans en 2005. Katrina était un aperçu du futur que nous sommes en train de créer. De plus en plus de désastres, auxquels nous répondons avec de plus en plus de brutalité, d’inégalités, de militarisation. Cette frénésie de privatisations - des écoles ou de la police -, ces mercenaires qui sillonnaient les rues… C’était de la science-fiction.

Croyez-vous encore aux négociations de l’ONU pour répondre au défi climatique ?

Il faut être fou pour croire au processus onusien : depuis vingt-cinq ans qu’on essaye de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, celles-ci ont grimpé de 60% ! Je ne dis pas que c’est un processus inutile, ni qu’il faut l’abandonner. Mais y croire aveuglément et le laisser suivre son cours, seul, serait pure folie. Car le bilan, jusqu’ici, est consternant. Sans une pression immense, cela ne va pas s’améliorer. Le niveau de réduction d’émissions que les gouvernements mettent sur la table en vue de la conférence de Paris est totalement insuffisant pour maintenir la hausse des températures mondiales en dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

Vous n’attendez pas grand-chose, donc, de cette conférence de Paris ?

Je n’attends certainement pas un miracle. En 2009, la grosse erreur a été d’avoir des attentes disproportionnées. Cela a causé une vraie gueule de bois après l’échec du sommet. Un psychanalyste britannique a même parlé de «syndrome de Copenhague» pour décrire la profonde dépression dont a souffert toute une génération de militants convaincus que c’était leur dernière chance de sauver le monde. A Copenhague, ils étaient bien trop dans la supplication, sur l’air de «Obama, Merkel, sauvez-nous !» Il n’y aura pas de ça à Paris, et c’est une bonne chose.

Par contre, il y aura des actions de désobéissance civile, créatives et pacifiques, qui pourraient perturber ce processus inefficace. Les COP sont de plus en plus infiltrées par les entreprises. A Copenhague, je pensais naïvement qu’il y aurait des réunions sur la façon de parvenir à 100% d’énergies renouvelables, par exemple. Mais je n’ai eu droit qu’à un jargon incompréhensible. Et des sessions organisées par Exxon ou Shell, comme si c’était normal. Quand l’Organisation mondiale de la santé débattait de la régulation du tabac, l’industrie n’a pas eu le droit d’y mettre les pieds, car il y avait conflit d’intérêts. Pourquoi on ne le comprend pas dans ce cas-ci ?

Les citoyens doivent-ils se soulever ? Vous dites dans Tout peut changer que cette crise peut devenir une «occasion historique», un «catalyseur» pour bâtir une société meilleure.

Dans les huit prochains mois, on va énormément parler du changement climatique. Ça, c’est une opportunité. Les gens diront : «Ah oui, cette chose dont on a arrêté de parler après l’effondrement des banques ?» Je crois en la convergence des forces. Avec, d’un côté, une nouvelle vague d’activisme sur le climat, notamment autour du désinvestissement des énergies fossiles - regardez l’énorme campagne du Guardian, [qui a lancé une pétition en ce sens, ndlr] ! Et, de l’autre, les forces anti-austérité qui connaissent un nouvel élan, comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne. Mon espoir, c’est que ces mouvements se rassemblent et indiquent un chemin pour sortir de la crise économique qui soit aussi une réponse au changement climatique. Comment créer des millions d’emplois, démocratiser l’accès à l’énergie et aux transports publics, repenser la ville, le travail ? Comment bâtir une économie plus juste en tenant compte des limites de la planète ?

Pour l’instant, ces luttes ne convergent pas…

En France, vous avez des groupes, comme Attac, qui font depuis longtemps le lien entre la logique de l’austérité et l’urgence de la crise climatique. Mais c’est vrai qu’en général, ce lien est oublié. Pablo Iglesias, le leader de Podemos, que je respecte pourtant beaucoup, a par exemple dit que les gens se soucient plus de pouvoir mettre à manger sur la table que du changement climatique. Comme si c’était dissocié ! La tâche du mouvement pour la justice climatique est d’expliquer que le climat est lié à ces sujets du quotidien. Sinon, on n’y arrivera jamais. Car en face, un petit groupe d’intérêts - les entreprises des énergies fossiles et leurs investisseurs - est immensément motivé pour bloquer tout type d’action, parce qu’il a des milliards de dollars à perdre si nous laissons le carbone dans le sol. Très exactement 27 000 milliards de dollars, plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni, selon une recherche du groupe londonien Carbon Tracker Initiative menée en 2011.

Le secteur privé n’a aucun rôle à jouer dans la lutte contre le changement climatique ?

Bien sûr que si. Je ne dis pas qu’aucune entreprise ne peut aider, c’est une interprétation erronée de ma thèse. Je pense aussi que les incitations de marché peuvent jouer un rôle, par exemple pour encourager une transition vers les énergies renouvelables. Je crois en l’instauration d’une taxe carbone, à condition que cela soit progressif. Mais cela ne suffira pas. Le climatologue Kevin Anderson dit qu’aller moins vite sur la mauvaise route, ce n’est pas du tout pareil que prendre la bonne route. Ma critique est structurelle : le système actuel encourage la croissance économique à court terme, qui est incompatible avec les limites de la planète. Comment concilier une baisse de 8 à 10% par an des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés [nécessaire pour espérer respecter l’objectif des 2°C, ndlr] avec un tel système ? Aucun économiste ne vous dira que c’est possible.

Des ONG craignent une récupération par les multinationales, via des «fausses solutions», comme l’agriculture climato-intelligente…

Il y aura beaucoup de cela pendant la COP de Paris. C’est pourquoi il est crucial d’expliquer très clairement quelles sont les solutions justes, équitables. Lors du sommet de New York, en septembre, je me suis rendue au forum du secteur privé. L’ONU était si fière de la présence de tant de PDG. Il y avait une sorte de «Téléthon pour la Terre», les patrons avaient une minute pour dire ce qu’ils font pour sauver le monde. Y compris celui d’une compagnie pétrolière saoudienne ! En France, où vous avez de si puissants groupes dans l’eau, l’agrobusiness ou le nucléaire, vous aurez droit à un festival de fausses solutions.

Avez-vous été surprise par le succès de la marche mondiale pour le climat, qui a réuni 400 000 personnes lors du sommet de New York, en septembre ?

Je suis membre de l’ONG 350.org qui a coorganisé cette marche, et nous avons été soufflés ! Les manifestants venaient de tous horizons, y compris socialement. Mais j’espère que la prochaine fois, les ONG mettront en avant les gens déjà directement affectés par le changement climatique.

Que pensez-vous de l’ampleur du mouvement de désinvestissement des énergies fossiles ?

C’est incroyable. C’est aussi un mouvement initié par 350.org, à partir d’une conversation que j’ai eue avec l’auteur et militant Bill McKibben au sujet de la recherche pionnière du Carbon Tracker Initiative, dont je vous ai déjà parlé. Elle avertissait les investisseurs que la prochaine bulle, après celle des subprimes, sera celle du carbone. Car si l’on mettait en œuvre les mesures nécessaires au respect de l’objectif des 2°C, environ 80% des réserves revendiquées par les acteurs du charbon, du gaz et du pétrole dans le monde devraient être laissées sous terre. On ne peut pas brûler tout ce carbone. Le problème, c’est que les entreprises savent que quand nos gouvernants ont fixé cet objectif de 2°C, ce n’était pas contraignant. C’est comme cela qu’est née l’idée du désinvestissement. Certains groupes d’étudiants avaient déjà lancé des campagnes, visant les entreprises dans lesquelles leurs universités investissent. Mais il n’existait pas de stratégie ciblant l’ensemble du secteur des fossiles. Pourquoi personne ne l’avait suggéré avant ? C’est si évident ! Dès que nous avons ouvert le champ de bataille, les gens s’y sont rués. Qu’est-ce qui retenait cette énergie, avant ? C’est pour cela que j’ai tant écrit dans le livre sur la relation entre certaines grandes ONG et les compagnies des énergies fossiles.

Dans une tribune, vous avez demandé à la maire de Paris, Anne Hidalgo, de désinvestir. Avez-vous obtenu une réponse ?

Je crois avoir lu qu’elle y réfléchissait. Certaines villes ont déjà commencé à désinvestir, mais aucune capitale pour l’instant. Ce qui m’intéresse avec le désinvestissement, c’est que ça enclenche un processus qui délégitime moralement les profits issus des énergies fossiles. C’est un premier pas, permettant de diminuer l’emprise que ce secteur exerce sur notre système politique. Pour, in fine, améliorer les politiques publiques. C’est ce qui s’est passé avec l’industrie du tabac. Elle a dû accepter des tas de réglementations. Il y a dix ans, ce café aurait été enfumé !

Votre propos est très optimiste…

Quelle est l’alternative ? Les gens sont tentés de baisser les bras. Ils disent qu’il n’y a aucun progrès possible tant que nous vivons dans des «démocraties fossiles». Aux Etats-Unis, les frères Koch, qui financent le Tea Party, tirent leur fortune du pétrole… Certains parlent de prodiguer des soins palliatifs à la planète et de tout abandonner. La plupart du temps, ce sont des intellectuels des pays du Nord, privilégiés, qui pensent que tout ira bien pour eux quand ils regarderont le monde brûler depuis leur campagne anglaise. Mais j’ai appelé ce livre Tout peut changer parce qu’à partir du moment où vous vous engagez sérieusement sur le climat, ça a un effet domino. C’est excitant, car ça rassemble tous les sujets. Et c’est un combat pour la démocratie, la vraie.

(1) Editions Actes Sud, 640 pp., 24,80 €.

 

Source : http://www.liberation.fr/futurs/2015/04/08/il-faut-etre-fou-pour-croire-aux-conferences-climat_1237274

 

 

 

 

 

 

 

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25/11/2015

Islamophobie ou prolophobie ?

Source  : http://www.monde-diplomatique.fr/2015/02/BREVILLE/52625

Au lendemain des assassinats perpétrés à Charlie Hebdo et dans le magasin Hyper Cacher, des élèves ont refusé d’observer la minute de silence en hommage aux victimes. Un des arguments avancés par les récalcitrants touchait aux « deux poids, deux mesures » de la liberté d’expression en France : pourquoi parle-t-on autant de cette tuerie alors que des gens meurent dans l’indifférence au Proche-Orient ? Pourquoi Charlie Hebdo pourrait-il injurier une figure sacrée de l’islam quand Dieudonné se voit interdire de critiquer les juifs ? La question est jugée si cruciale que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, a estimé, le 15 janvier dernier, qu’il était nécessaire de former les enseignants pour y répondre.

A n’en pas douter, la formation proposée reprendra l’argument développé par les principaux médias et partis politiques depuis le début de l’affaire des caricatures : il existe une différence de nature entre des dessins considérés comme blasphématoires par des croyants et des propos antisémites constitutifs d’un délit car portant atteinte à la dignité des personnes. Il est également probable que l’explication ne fera pas taire tous les rebelles. Car le cas de Dieudonné et des caricatures masque un problème plus profond : des éditorialistes et des intellectuels comme Alain Finkielkraut, Eric Zemmour, Philippe Tesson, mais aussi des journaux comme Le Point, L’Express, Valeurs actuelles ou encore Le Figaro, peuvent afficher leur rejet de l’islam, tantôt décrit comme une croyance rétrograde, tantôt comme une « menace pour l’identité de notre pays » — selon les mots d’un sondage commandé par le site Atlantico.fr, dont on peine à imaginer qu’il évoque de la sorte une autre religion. « La popularité de Dieudonné tient au fait que, pour lui, si on peut s’en prendre impunément ou presque aux Noirs, aux Arabes, aux musulmans, en un mot aux “subalternes”, il est quasiment impossible (...) de toucher à un seul cheveu des juifs ou de toucher à Israël, sans être immédiatement taxé d’antisémitisme (1) », estime l’ethnologue Jean-Loup Amselle.

Ce fonctionnement de la liberté d’expression est interprété de diverses manières. Certains le justifient par le génocide juif et un antisémitisme séculaire au sein de la société française, qui obligeraient à rester constamment sur ses gardes. Pour d’autres, il reflète une islamophobie profondément ancrée dans les mentalités, héritée de la période coloniale, qui rend tolérables aux yeux de tous les propos hostiles aux musulmans. Quant à eux, les adeptes des théories du complot voient dans ce déséquilibre le signe de la prétendue mainmise des juifs sur les médias et les organes de pouvoir : en alimentant la haine de l’islam, le « lobby juif » légitimerait les interventions occidentales dans le monde arabe pour, au final, favoriser les desseins d’Israël ou de Washington. Ce type de discours, produit et relayé par les sites d’Alain Soral ou de Thierry Meyssan, rencontre un succès grandissant. Il profite, pour s’implanter dans les esprits, du vide théorique et politique laissé par le reflux des formations progressistes.

Ces interprétations, pour différentes qu’elles soient, reposent sur une même approche ethnoculturelle, qui définit les groupes sociaux selon leurs origines ou leurs religions (les « juifs », les « musulmans », les « Arabes »...). Mais le « deux poids, deux mesures » observé en matière de discours stigmatisants se prête à une tout autre lecture, essentiellement sociale. Les juifs sont implantés en France de très longue date, dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. Beaucoup s’installent entre la fin du XIXe siècle et le début de la seconde guerre mondiale, fuyant les pogroms et la montée du nazisme en Europe centrale et orientale. Ouvriers, artisans ou petits commerçants, les juifs arrivés dans l’entre-deux-guerres vivent souvent dans des quartiers pauvres et délabrés, où ils se heurtent au racisme de leurs voisins français. Comme nombre de réfugiés, ils disposent parfois d’un capital culturel supérieur à la moyenne de leur pays d’origine (un trait également observé parmi les réfugiés afghans, syriens ou africains). Puis une nouvelle vague, issue de la décolonisation de l’Afrique du Nord, se produit après 1945. Au fil des décennies, certains descendants de ces premiers arrivés s’élèvent dans la société, au point d’occuper aujourd’hui des postes de pouvoir, notamment dans les milieux journalistique, politique et universitaire — c’est-à-dire ceux qui produisent, orientent et contrôlent les discours publics.

Les immigrés de culture musulmane, eux, sont plus nombreux à arriver en France après la seconde guerre mondiale, et surtout à partir des années 1960, en provenance du Maghreb puis d’Afrique subsaharienne, parfois recrutés par l’industrie en fonction de critères physiques. Leurs enfants et leurs petits-enfants grandissent dans une société en crise, frappée par un chômage de masse et une précarité croissante dont ils sont les premières victimes et qui amenuisent leurs chances d’ascension sociale. Si certains se hissent au rang des classes moyennes et même supérieures, ils demeurent globalement peu représentés dans les plus hautes sphères (2). Fréquemment attaqués par les médias et les dirigeants politiques, les étrangers et les Français musulmans ont peu d’armes pour se défendre dans l’arène publique, ce qui permet au discours raciste de fonctionner à plein régime. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Roms, groupe le plus dépourvu de ressources pour s’opposer aux discours stigmatisants, font l’objet d’attaques plus rudes encore, depuis M. Jean-Marie Le Pen, qui juge leur « présence odorante et urticante », jusqu’à M. Manuel Valls, selon lequel « les Roms ne peuvent pas s’insérer en France, dans leur majorité » et ont donc « vocation à rentrer chez eux ».

La situation actuelle des juifs et des musulmans fait écho, par certains aspects, à celle des migrants russes et arméniens de l’entre-deux-guerres. Les Russes émigrent en France après les révolutions de 1905 et, surtout, de 1917 ; leur nombre s’élève à soixante-douze mille en 1931. La plupart travaillent dans l’industrie automobile ou comme chauffeurs de taxi, et appartiennent aux catégories populaires. Mais le groupe compte également une élite généralement francophone, souvent issue de la noblesse ou de la bourgeoisie : des peintres, des journalistes, des éditeurs, des écrivains si bien insérés dans le milieu culturel parisien qu’ils impulsent une « mode russe » dans les années 1920. L’ensemble du groupe profite de cette réussite, bénéficiant d’un « traitement de faveur (3) » qui le met à l’abri des brimades frappant d’autres migrants.

Les Arméniens, par exemple. Arrivés en France après le génocide de 1915, ils occupent presque exclusivement des emplois non qualifiés. Quoique peu nombreux (dix-sept mille en 1931), ils sont jugés d’emblée « inassimilables ». « Si les Russes sont loin du peuple français à bien des égards, ils ont en général un niveau culturel qui permet des contacts. Avec les Arméniens, ce contact même est difficile (4) », considère ainsi Georges Mauco, la tête pensante des politiques migratoires pendant les années 1930 et sous le régime de Vichy. Ainsi la condition sociale détermine-t-elle puissamment la perception des migrants comme celle de leurs descendants, par le truchement du bouclier institutionnel qu’elle procure aux uns et dont elle prive les autres. Pourtant, depuis trente ans, cette grille de lecture est de moins en moins mobilisée : on lui préfère une analyse culturelle, qui envisage les problèmes des migrants selon des critères d’origine.

Le tournant intervient entre 1977 et 1984. Pendant les trois décennies précédentes, la thématique de l’immigration est peu présente dans les discours publics. Les médias évoquent les étrangers incidemment, quand ils parlent de logement, d’emploi ou d’économie. Loin de ses positions des années 1930, la droite salue alors l’apport des travailleurs étrangers. Ainsi, après la mort de cinq ouvriers africains asphyxiés dans leur sommeil par les fumées d’un feu mal éteint dans un foyer d’Aubervilliers, Le Figaro explique, sur un ton qu’on ne lui connaît plus : « Qui veille à la santé de ces infortunés transplantés ? Ils balaient les rues lorsque les caniveaux sont gelés, puis ils tentent de triompher de la tuberculose qui les mine ou de l’oxyde de carbone ! Voilà le sort de ces déshérités. Il importe d’y apporter d’urgence un remède (5). »

La situation change avec la crise économique en 1975 et, plus encore, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. En moins de trois ans, la question des « travailleurs immigrés » cède le pas au « problème des Arabes », de la « deuxième génération » et, par ricochet, des musulmans. Des événements qu’on analysait autrefois de manière sociale sont désormais abordés selon un biais ethnique.

En juillet 1981, des jeunes affrontent la police dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise (6). Comme en 1976 et en 1979, mais, à l’époque, la presse locale avait cantonné l’affaire à la rubrique « faits divers ». Passée dans l’opposition, la droite entend cette fois profiter de l’événement pour affaiblir le nouveau gouvernement, qui vient de régulariser cent mille clandestins. Aussi transforme-t-elle ces affrontements en fait de société, témoignant du « problème de l’immigration », alors même qu’on pouvait y voir le résultat de la dégradation physique et sociale des grands ensembles de logements sociaux ou du désœuvrement des jeunes dans un contexte de chômage endémique et de « désouvriérisation » massive. « Dans les quartiers à forte densité maghrébine, la situation devient explosive. Le gouvernement, en supprimant les expulsions d’individus douteux, encourage donc les dévoyés », écrit Le Figaro le 7 juillet 1981. Dès lors, ce que l’historien Gérard Noiriel appelle le « filon national-sécuritaire » sera exploité sans relâche par ce journal, qui dénonce tour à tour les régularisations de sans-papiers ouvrant « en grand la porte de notre pays à l’invasion et à l’aventure » (22 septembre 1981), les « bandes de loubards (...) essentiellement d’origine maghrébine » (5 juillet 1982), ou encore la « loi des immigrés » qui régirait le quartier des Minguettes (22 mars 1983).

Ce discours se teinte d’une coloration religieuse au moment des grèves dans l’industrie automobile — un secteur durement touché par la crise, dans lequel la main-d’œuvre étrangère constitue plus de la moitié des effectifs. Le mouvement commence à l’automne 1981 et atteint son point culminant en 1983-1984. Ce qui n’était au départ qu’un simple conflit du travail, rappelant par certains aspects le mouvement de grève spontané qui naquit de la victoire du Front populaire en 1936, est alors présenté comme un affrontement culturel. Sous prétexte qu’ils demandent, entre autres, l’ouverture de salles de prière dans les usines — une pratique encouragée par le patronat dans les années 1970, qui y voyait un moyen d’assurer la paix sociale (7) —, le gouvernement et la presse accusent les grévistes d’être manipulés par les ayatollahs iraniens. Ces travailleurs « sont agités par des groupes religieux et politiques dont les mobiles ont peu à voir avec les réalités sociales françaises », explique le premier ministre Pierre Mauroy le 11 janvier 1983.

Même son de cloche au Figaro, qui ajoute : « Les plus optimistes comptent sur les facultés d’assimilation des populations étrangères, comme cela s’est produit dans le passé avec les colonies italiennes et portugaises. Mais l’exemple n’est hélas plus valable. L’origine culturelle de la nouvelle immigration constitue un obstacle difficile à surmonter. » Or les Portugais n’ont pas toujours eu aussi bonne presse. Longtemps leurs pratiques religieuses ostensibles et empreintes de superstition leur furent reprochées, au point qu’ils furent décrits, dans l’entre-deux-guerres, comme une « race exotique », plus difficile à intégrer que les Italiens (8). Lesquels furent, auparavant, jugés moins intégrables que les Belges...

Quand elle ne s’aligne pas sur la position de ses adversaires, la gauche des années 1980 répond aux attaques contre l’immigration maghrébine en valorisant la « culture beure », reprenant, de manière inversée, le discours culturaliste de la droite. Libération, qui joue un rôle actif dans cette entreprise, ouvre dès septembre 1982 une rubrique « Beur » qui informe sur les événements artistiques supposés intéresser les membres de cette « communauté ». Puis le quotidien soutient activement la Marche pour l’égalité et contre le racisme, qu’il rebaptise « Marche des beurs » et dont il détourne le sens, et accompagne la création de SOS Racisme par des proches du Parti socialiste, contribuant ainsi à déplacer le regard de la lutte pour l’égalité à celle contre les discriminations. Le Monde se réjouit que « les enfants de la seconde génération immigrée s’emparent de la chanson, du cinéma, du théâtre » (4 juillet 1983), tandis que l’hebdomadaire Marie-Claire célèbre la « crème des beurs » (avril 1984). Mais, si la culture de l’élite gagne en légitimité, la base, dont les conditions d’existence se dégradent sous l’effet de la désindustrialisation, reste en butte au mépris.

En moins de trois ans, le débat sur l’immigration a été vidé de son contenu social. Depuis ce renversement, les étrangers et leurs descendants sont sans cesse rappelés à leur « communauté », à leur religion, au risque d’accentuer le fossé entre les Français « autochtones » d’un côté, les immigrés et leurs descendants de l’autre. Les sujets directement liés à l’immigration (le racisme, les discriminations, etc.) sont abordés comme des problèmes culturels, alimentant les préjugés, le fantasme d’un « choc des civilisations » et la poussée de l’extrême droite. Quelle que soit sa cause, tout événement géopolitique, social ou même sportif impliquant une majorité d’acteurs d’origine arabe ou musulmane ravive immanquablement le débat sur l’islam, l’immigration et la place de ces derniers dans la République : guerre du Golfe, attentats du 11-Septembre, conflit israélo-palestinien, affrontements entre jeunes et policiers en banlieue, footballeurs d’origine algérienne s’abstenant de chanter La Marseillaise, etc.

Or le sentiment d’appartenance à une « communauté » arabe ou musulmane n’est pas une donnée naturelle. Il se construit au fil des politiques publiques (création de structures comme l’Union des organisations islamiques de France, en 1983, financement d’associations...), mais aussi de ces événements qui renvoient les populations immigrées à leurs origines. A cet égard, la guerre du Golfe (1990-1991) a joué un rôle fondateur. Alors que les bombardiers alliés décollent vers Bagdad, quelques élèves de collège et de lycée dénoncent la domination de l’Occident et affichent leur solidarité avec le monde arabe. « Saddam, c’est un Arabe en butte à l’ostracisme de tous, comme nous dans nos cités. Pour une fois, nous ne nous sentons pas humiliés, mais défendus », déclarait alors un lycéen (9). Ces réactions, très minoritaires, déclenchent aussitôt un débat sur la loyauté des enfants d’immigrés. « Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, le beur de Saint-Denis se sentira toujours proche de ses frères qui conspuent la France dans les rues d’Alger et de Tunis », écrit Le Figaro Magazine (25 janvier 1991). Par réaction, les enfants d’immigrés affirment davantage leurs origines et leur religion stigmatisées. Selon les sociologues Stéphane Beaud et Olivier Masclet, cette guerre joue « un rôle important dans la construction d’une conscience plus “raciale” que sociale chez les enfants d’immigrés maghrébins, d’autant plus enclins à penser la société sous la forme d’oppositions successives — Eux/Nous, Occidentaux/Arabes, Français/immigrés, riches/pauvres, etc. — qu’ils sont eux-mêmes marqués par leur expérience de diverses formes de relégation (10) ».

L’idée que les populations arabe et noire posent un problème inédit dans l’histoire de l’immigration a progressivement gagné l’ensemble du spectre politique. Elle divise même la gauche radicale, dont certains courants postulent la singularité des immigrés « postcoloniaux » et de la manière dont ils seraient perçus par les « Blancs ». « Le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s’y réduire, la politique coloniale », indique l’appel des Indigènes de la République lancé en 2005. « C’est bien en tant qu’Arabes, que Noirs ou que musulmans que les populations issues des anciennes colonies sont discriminées et stigmatisées (11) », estime Sadri Khiari, l’un des fondateurs du mouvement. Selon lui, la « violence spécifique dont les Noirs et les Arabes sont l’objet ou qu’ils portent dans leur mémoire en tant que descendants de colonisés et émigrés-immigrés (...) détermine des revendications qui n’appartiennent qu’à eux, comme celles relatives aux discriminations raciales, au respect de leurs parents, à l’abrogation de la double peine ou, pour les musulmans, au droit d’avoir des lieux de prière dignes et de porter le voile. En réalité, même lorsque leurs exigences sont identiques à celles de leurs voisins blancs, eh bien elles sont différentes (12) ».

Ce discours, qui contribue à mettre en concurrence des causes légitimes (celle des classes populaires « blanches » et celle des « minorités ») en privilégiant ce qui les sépare au détriment de ce qui les rapproche, s’appuie sur un postulat discutable : si les Noirs et les Arabes sont discriminés, est-ce essentiellement en fonction de leur couleur de peau ou bien en tant que pauvres ? L’exemple des « contrôles au faciès », à l’origine de fréquents affrontements entre jeunes et policiers, éclaire la problématique. En 2007-2008, deux sociologues ont suivi discrètement des patrouilles de police aux abords des stations de métro Gare-du-Nord et Châtelet - Les Halles, à Paris (13). Passant au crible cinq cent vingt-cinq contrôles, ils constatent que les personnes identifiées comme « noires » ou « arabes » ont respectivement 6 et 7,8 fois plus de risque d’être contrôlées que les Blancs. Mais une autre variable s’avère tout aussi déterminante : l’apparence vestimentaire. Les personnes vêtues d’une « tenue jeune », en particulier celles qui arboraient un « look hip-hop », présentent 11, fois plus de risque d’être contrôlées que celles portant une « tenue de ville » ou « décontractée ». Autrement dit, un « Blanc » avec un survêtement et une casquette — la panoplie de la jeunesse populaire de banlieue — est plus exposé à la répression policière qu’un « Noir » portant un costume et une cravate.

Evidemment, la frontière entre ces variables n’est pas étanche. La jeunesse d’origine immigrée est nettement surreprésentée dans la population affichant un « look hip-hop ». Les discriminations raciales s’ajoutent aux inégalités sociales pour les renforcer, rendant ces deux problèmes indissociables. Le choix d’insister sur tel ou tel critère — la couleur de peau ou l’appartenance aux classes populaires — est à la fois politique et stratégique. Il participe de la définition des fractures de la société française. Souligner la composante sociale des inégalités permet de combattre l’idée que les populations d’origine maghrébine et africaine constitueraient un problème spécifique, totalement distinct des précédentes vagues migratoires et des classes populaires dans leur ensemble.

Benoît Bréville

 

 

20/11/2015

Lettre à ma génération : moi je n'irai pas qu'en terrasse

 

Salut 

On se connaît pas mais je voulais quand même t’écrire. Il paraît qu’on devrait se comprendre, puisqu’on est de la même génération. Je suis française, je n’ai pas trente ans. Paris, c’est ma ville. J’ai grandi dans une école internationale où on était plus de quatre-vingt nationalités. J’ai beaucoup voyagé et je parle plusieurs langues. J’ai « des origines » comme on dit maghrébines. Je suis auteur compositeur interprète, artiste, et même un peu anthropologue.

J’ai toujours adoré les terrasses. La dernière fois que j’étais à Paris j’y ai passé des heures, dans les cafés des 10e 11e et 18e arrondissements. J’y ai écrit un livre qui s’appelle Chroniques de terrasse. Il est maintenant quelque part dans la pile de manuscrits de plusieurs maisons d’édition. Ça fait drôle d’y penser maintenant. J’aurais envie de rajouter quelques pages. Pourtant aujourd’hui, ce n’est pas en terrasse que j’ai envie d’aller.

Depuis plusieurs jours, on m’explique que c’est la liberté, la mixité et la légèreté de cette jeunesse qui a été attaquée, et que pour résister, il faut tous aller se boire des bières en terrasse. C’est joli comme symbole, c’est même plutôt cool comme mode de résistance. Je ne suis pas sûre que si les attentats prévus à la Défense avaient eu lieu, on aurait lancé des groupes facebook « TOUS EN COSTAR AU PIED DES GRATTE-CIELS ! » ni qu'on aurait crié notre fierté d’être un peuple d’employés et de patrons fiers de participer au capitalisme mondial, pas toi ? 

On nous raconte qu’on a été attaqués parce qu’on est le grand modèle de la liberté et de la tolérance. De quoi se gargariser et mettre un pansement avec des coeurs sur la blessure de notre crise identitaire. Sauf qu'il existe beaucoup d’autres pays et de villes où la jeunesse est mixte, libre et festive. Vas donc voir les terrasses des cafés de Berlin, d’Amsterdam,  de Barcelone, de Toronto,  de Shanghai, d’Istanbul, de New York ! 

On a été attaqués parce que la France est une ancienne puissance coloniale du Moyen-Orient, parce que la France a bombardé certains pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources, parce que la France est accessible géographiquement, parce que la France est proche de la Belgique et qu’il est facile aux djihadistes belges et français de communiquer grâce à la langue, parce que la France est un terreau fertile pour recruter des djihadistes.

Oui je sais, la réalité est moins sexy que notre fantasme.  Mais quand on y pense, c’est tant mieux, car si on a été attaqué pour ce qu’on est, alors on ne peut pas changer grand chose. Mais si on a été attaqué pour ce qu'on fait, alors on a des leviers d’action : 

- S'engager dans la recherche pour trouver des énergies renouvelables, car quand le pétrole ne sera plus le baromètre de toute la géopolitique, le Moyen-Orient ne sera plus au centre de nos attentions. Et d'un coup le sort des Tibétains et des Congolais nous importera autant que celui des Palestiniens et des Syriens. 

- S'engager pour trouver de nouveaux modèles politiques afin de ne plus déléguer les actions de nos pays à des hommes et des femmes formés en école d'administration qui décident que larguer des bombes, parfois c'est bien, ou qu'on peut commercer avec un pays qui n'est finalement qu'un Daesh qui a réussi.

- Les journalistes ont montré que les attentats ont éveillé des vocations de policiers chez beaucoup de jeunes. Tant mieux. Mais où sont les vocations d’éducateurs, d’enseignants, d’intervenants sociaux, de ceux qui empêchent de planter la graine djihadiste dans le terreau fertile qu’est la France ?

Si la seule réponse de la jeunesse française à ce qui deviendra une menace permanente est d’aller se boire des verres en terrasse et d'aller écouter es concerts, je ne suis pas sûre qu’on soit à la hauteur du symbole qu’on prétend être. L'attention que le monde nous porte en ce moment mériterait que l'on sorte de la jouissance de nos petits plaisirs personnels.  

Ma mixité

Qu’on soit maghrébin, français, malien, chinois, kurde, musulman, juif, athée, bi homo ou hétéro, nous sommes tous les mêmes dès lors qu'on devient de bons petits soldats du néo-libéralisme et de la surconsommation. On aime le Nutella qui détruit des milliers d’hectares de forêt et décime les populations amazoniennes, on achète le dernier iphone et on grandit un peu plus les déchets avec les carcasses de nos anciens téléphones, on préfère les fringues pas chères teintes par des enfants du Bengladesh et de Chine, on dépense des centaines d'euros en maquillage testé sur les animaux et détruisant ce qu'il reste de ressources naturelles. 

Ma mixité, ce sera d’aller à la rencontre de gens vraiment différents de moi. Des gens qui vivent à huit dans un deux pièces, peu importe leur origine et leur religion. Des enfants dans les hôpitaux, des détenus dans les prisons. Des vieilles femmes qui vivent seules. De ce gamin de douze ans à l'écart d'un groupe d'amis, toujours rejeté parce qu'il joue mal au foot, qui se renferme déjà sur lui-même. Des ados dans les banlieues qui ne sont jamais allés voir une pièce de théâtre. Ceux qui vivent dans des petits villages reculés où il n'y a plus aucun travail. Les petits caïds de carton qui s'insultent et en viennent aux mains parce que l'un n'a pas payé son cornet de frites au McDo. D'habitude quand ça arrive, qu'est-ce que tu fais ? Tu tournes la tête, tu ris, tu te rassures avec un petit "Et ben ça chauffe !" et tu retournes à ta conversation. Si tous ceux qui ont répondu à l'appel Tous en terrasse ! décidaient de consacrer quelques heures par semaine à ce type d'échange... il me semble que ça irait déjà mieux. Ça apportera à l'humanité sans doute un peu plus que la bière que tu bois en terrasse.

Ma liberté

Je ne vois pas en quoi faire partie du troupeau qui se rend chaque semaine aux messes festives du weekend est une marque de liberté. Ma liberté sera de prendre un autre chemin que celui qui passe par l’hyperconsommation. D’avoir un autre horizon que celui de la maison, de la voiture, des grands écrans, des vacances au soleil et du shopping.

Ma liberté sera celle de prendre le temps quand j'en ai envie, de ne pas m'affaler devant la télé en rentrant du boulot, d'avoir un travail qui ne me permet pas de savoir à quoi ressemblera ma journée.

Ma liberté, c'est de savoir que lorsque je voyage dans un pays étranger je ne suis pas en train de le défigurer un peu plus. C'est vivre quelque part où le ciel a encore ses étoiles la nuit. C'est flâner dans ma ville au hasard des rues. C'est avoir pu approcher une autre espèce que la mienne dans son environnement naturel. 

Ma liberté, ce sera de savoir jouir et d'être plein, tout le contraire des plaisirs de la consommation qui créent un manque et le besoin de toujours plus. Ma liberté, ce sera d'avoir essayé de m'occuper de la beauté du monde. "Pour que l'on puisse écrire à la fin de la fête que quelque chose a changé pendant que nous passions" (Claude Lemesle).

Ma fête

Ma fête ne se trouve pas dans l’industrie du spectacle. Ma fête c'est quand j'encourage les petites salles de concert, les bars où le musicien joue pour rien, les petits théâtres de campagne construits dans une grange, les associations culturelles. Passer une journée avec un vieux qui vit tout seul, c’est une fête. Offrir un samedi de babysitting gratuit à une mère qui galère toute seule avec ses enfants, c’est une fête. Organiser des rencontres entre familles des quartiers défavorisés et familles plus aisées, et écouter l'histoire de chacun, c'est une fête.  

La fête c’est ce qui sort du quotidien. Et si mon quotidien est de la consommation bruyante et lumineuse, chaque fois que je cultiverai une parole sans écran et une activité dont le but n’est pas de consommer, je serai dans la fête. Préparer un bon gueuleton, jouer de la gratte, aller marcher en forêt, lire des nouvelles et des contes à des jeunes qui sentent qu’ils ne font pas partie de notre société, quelle belle teuf !

N’allez pas me dire que je fais le jeu des djihadistes qui disent que nous sommes des décadents capitalistes… s’il vous plaît ! Ils n’ont pas le monopole de la critique de l’hyper-consommation, et de toute façon, ils boivent aux mêmes sources que les pays les plus capitalistes : le pétrole et le trafic d’armes. 

Voilà. Je ne sais pas si on se croisera sur les mêmes terrasses ni dans les mêmes fêtes. Mais je voulais juste te dire que tu as le droit de te construire autrement que l'image que les médias te renvoient. Bien sûr qu'il faut continuer à aller en terrasse, mais qu'on ne prenne pas ce geste pour autre chose qu'une résistance symbolique qui n'aura que l'effet de nous rassurer, et sûrement pas d'impressionner les djihadistes (apparemment ils n'ont pas été très impressionnés par la marche du 11 janvier), et encore moins d'arrêter ceux qui sont en train de naître. 

Ce qu’on est en train de vivre mérite que chacun se pose un instant à la terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la société où il vit. Et qu isait... peut-être qu'un peu plus loin, dans un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles,  il apercevra la société qu’il espère.

 

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/sarah-roubato/201115/lettre-ma-generation-moi-je-nirai-pas-quen-terrasse

 

Merci à elle !!!

 

Son blog : http://www.sarahroubato.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

24/10/2015

Pasolini... fascisme et société de consommation

 

 

 

Non Monsieur Hollande, les chasseurs ne défendent pas la nature. Ils l'aiment ensanglantée

 Publié le 23-10-2015

 Avatar de Yves Paccalet

Par 
philosophe écologiste
 
 

LE PLUS. Si notre contributeur Yves Paccalet a apprécié des passages du chef de l'Etat dans le magazine "Le Chasseur français", il a beaucoup moins aimé sa défense des chasseurs ou ses propos sur les loups. "Monsieur le Président, pourquoi ne raisonner qu’avec l’esprit du bourreau ?", se demande-t-il.

hasseur lors d'une partie de chasse (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

 

Monsieur le président ! Je lis l’entretien que vous accordez au magazine "Le Chasseur français" du 21 octobre 2015. Vous voulez protéger l’appellation "Laguiole" (le couteau et le fromage) que de gros malins ont accaparée : d’accord ! Vous refusez de créer une nouvelle niche fiscale qui ferait aux chasseurs le cadeau de leur permis de tuer : encore heureux…


D’autres de vos propos me plaisent moins. Je ne pense pas, comme vous, que les chasseurs entrent dans la catégorie de ceux qui "défendent la nature". Ils l’exploitent et la massacrent plus qu’ils ne la gèrent. Ils ne l’aiment qu’ensanglantée.

 

Les chasseurs, ces "nuisibles"

 

Je comprends que, pour des raisons électorales, vous manifestiez "beaucoup de considération" à leur égard : mais vous oubliez que d’autres, parmi vos électeurs potentiels, et bien plus nombreux selon les sondages, désirent protéger et contempler ces espèces que les chasseurs n’apprécient qu’au bout de leur fusil.


En France, le nombre des chasseurs a chuté au-dessous du million, probablement même à moins de 900.000 (les chiffres de l’Office national de la Chasse posent problème). Or, ces moins de 1,5 % de la population nationale privent les parents et les enfants de toute promenade en forêt le mercredi et le dimanche (voire d’autres jours lorsqu'une "battue" est ouverte).

 

Au vu des accidents que provoquent ces Nemrods (une quarantaine de morts et plusieurs dizaines de blessés par an, rien que dans notre pays), ils devraient, bien davantage que les requins (lesquels causent moins de dix morts chaque année, et dans le monde entier), être classés parmi les espèces les plus dangereuses de la Terre. Parmi les "nuisibles", pour utiliser un adjectif de leur vocabulaire que je récuse…

 

Je vous rappelle que le loup est protégé


Monsieur le président, dans votre entretien au "Chasseur français", votre sortie sur les loups me semble particulièrement inadmissible :

 

"Chaque année, dites-vous, il sera décidé du nombre de loups à abattre en fonction de l’évaluation des risques et de la croissance de la population de loups".

 

Je vous rappelle que Canis lupus est une espèce protégée par la Convention européenne de Berne, que la France a ratifiée, et qui ne saurait être modifiée que par une décision des deux tiers des signataires. Je m’étonne de la contradiction qui surgit, ici, entre votre fonction régalienne de gardien de la Constitution et des institutions du pays, et l’autorisation littéralement hors la loi que vous accordez à des tueurs d’animaux protégés.


Sur le fond, je vous rappelle que les loups sont revenus par eux-mêmes sur notre territoire, depuis l’Italie voisine (certains, désormais, y rentrent depuis l’Allemagne et la Suisse ; en attendant leurs congénères espagnols). Au rebours de ce que vous suggérez, leur population n’est nullement en accroissement. En France, ils étaient un peu plus de 300 en 2014.

 

Cette année, on en dénombre moins. Or, les "autorisations" de "prélèvement" (la litote utilisée pour dire qu’on leur loge une balle dans le ventre) ont été augmentées de moitié : elles passent de 24 à 36. Une absurdité, fût-ce aux yeux du plus ignorant des naturalistes…

 

13 loups déjà fusillés de façon "officielle"


Monsieur le Président, depuis le mois de juillet 2015, comme le relève l’association de protection de la nature FERUS, 13 loups ont déjà été fusillés de façon "officielle" (et d’autres braconnés). Les éleveurs de brebis réclament qu’on en exécute toujours davantage. Certains bergers (et les politiciens qui les caressent dans le sens de la laine) vont jusqu’à exiger l’"éradication" du prédateur. Allez-vous leur donner raison ?

 

Je vous rappelle que, s’il existe 300 loups en France, on en recense 1 500 en Italie et 2 000 en Espagne, où les problèmes que pose le carnivore sont infiniment moins aigus que chez nous. Si nous désirons réellement aider les bergers (ce qui est notre volonté à tous deux), nous devons améliorer le gardiennage des troupeaux dans la montagne (en embauchant par exemple des chômeurs), plutôt que d’envoyer ad patres les rares "fauves" qui nous restent.

 

Car l’ennemi numéro un de l’éleveur n’est pas le loup, mais le prix de la viande de mouton sur un marché mondial dominé par l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Argentine.

 

Je regrette que, tels les pires politiciens de la droite de la droite (mettons Christian Estrosi ou Laurent Wauquiez), vous vous entêtiez à faire de Canis lupus le trop facile bouc émissaire de notre incapacité à réguler ce secteur de l’économie.

 

Les loups, les bouquetins : du sang, toujours du sang !

 

Monsieur le Président, durant votre quinquennat, j’ai la tristesse de constater que la nature sauvage endure le martyre. Vous êtes en train, en ce moment même, de transformer nos forêts, nos montagnes et nos mers en parages où le sang ruisselle. Les abattages succèdent aux carnages, et cela ne semble guère vous toucher.


Vous avez entamé, et vous vous préparez à conclure, une extermination du troupeau de bouquetins du massif du Bargy, en Haute-Savoie. La justice a rejeté le recours des associations naturalistes : plusieurs centaines de ces ruminants vont donc mourir dans les alpages, tirés à l’arme lourde par une légion de nervis aidés d’hélicoptères.

 

Pourquoi cette folie ? Parce que certains ongulés seraient vecteurs de la brucellose. Mais le massacre a été ordonné avant même qu’on ait confirmé la contamination, et au mépris de la seule solution scientifique et efficace au problème : la vaccination !


Les loups, les bouquetins : du sang, toujours du sang !

 

Les chasseurs réclament (et obtiennent !)

 

Monsieur le Président, pourquoi ne raisonner qu’avec l’esprit du bourreau ? À l’île de la Réunion, je constate la même indignité : dans le cadre du plan gouvernemental intitulé "Cap Requins", plusieurs requins bouledogues, des requins tigres et même un grand requin blanc ont été récemment "prélevés".

 

Ces poissons superbes n’avaient mordu personne. On les harponne et on les achève à titre "préventif", alors qu’ils figurent (au moins pour le tigre et le grand blanc) sur la liste des espèces en voie d’extinction dressée par l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (l’UICN).


Partout en France, les chasseurs réclament (et obtiennent !) qu’on les autorise à organiser des battues au renard ou des déterrages de blaireaux. Au nom de la tradition et de la "ruralité", ils veulent continuer à piéger à la trappe ou à la glu les ortolans, les pinsons ou les bouvreuils.

 

Ils exigent qu’on leur permette de "résoudre" le "problème" des vautours, qu’ils accusent ridiculement d’attaquer les vaches vivantes. Ils se font forts de régler le sort des corbeaux, des cormorans, des phoques, des dauphins, que sais-je ?

 

Je l’ai entendu hier et j’en suis resté sur le derrière : des grues cendrées en migration par milliers au lac du Der ! Les chasseurs, ces prétendus "amis de la nature", désirent en vérité éliminer manu militari tout ce qui les "gêne" dans leur utilisation simpliste et univoque (tuer ! tuer !) des composants sublimes et nécessaires de nos écosystèmes.

 

Je n’aime pas, monsieur le Président, que vous vous placiez unilatéralement dans leur camp.

 

L'écologie ne doit pas se résumer aux questions d'énergie 


Monsieur le Président, nous sommes nombreux, dans ce pays, à ne plus supporter l’holocauste. Je désirerais que, pour vous et votre gouvernement, l’écologie ne se résume pas aux questions d’énergie, de pollution ou de transport, bref à des combats que je mène également, depuis quarante ans, mais qui ne sont pas suffisants.

 

J’aimerais qu’en prononçant le mot "biodiversité", vous preniez enfin conscience que la nature subit davantage de blessures et de désastres qu’elle n’en a jamais enduré depuis que l’Homo est sapiens. Je voudrais que vous formiez, dans votre imagination, l’image de vraies plantes, de vrais animaux, de vrais prédateurs.

 

Faites taire les fusils et écoutez la symphonie du monde !

 

Je serais ravi que vous n’adoptiez pas pour ligne politique l’idée de confier la gestion de la "ruralité" aux chasseurs plutôt qu’aux écologistes ; aux mitrailleurs plutôt qu’aux amoureux de la beauté vive ; aux massacreurs en tenue léopard plutôt qu’aux amis de la subtilité et des équilibres ; aux assassins des beautés palpitantes plutôt qu’aux naturalistes, aux promeneurs, aux écrivains, aux cinéastes, aux peintres, aux poètes et aux rêveurs.


Je revendique de votre compréhension et de votre amour de l’humanité même que vous laissiez à l’usage de nos enfants et des enfants de nos enfants les trésors vivants que nourrit encore la Terre. Que vous preniez la défense du requin, du loup, du lynx et de l’ours brun, plutôt que de les laisser agonir d’injures et anéantir à la balle ou au couteau par des êtres basiques, obsédés par la mort du "nuisible" ou du "gibier", et fiers de revêtir l’uniforme martial pour aller répandre la terreur à travers champs et bois.


Je vous en supplie, monsieur le président : faites taire les fusils et écoutez la symphonie du monde !

 

Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1440002-non-mons...

 

 

 

 

 

 

22/10/2015

Un peuple d'artistes par Nicolas Roméas

 

 

Ce monde devient irrespirable. Ce monde où le mensonge est au pouvoir nous asphyxie. Ce monde où les mots sont en permanence déconnectés des actes, où les paroles ne servent qu'à manipuler autrui comme un objet, où l'on apprend dans des écoles, à coups de formations coûteuses longues et pointues, à considérer les foules comme des troupeaux à gérer et à exploiter. Et où l'on s'habitue à rire jaune, à trouver ça normal, et le cynisme le plus vil devient une attitude courante. Ce monde où chacun doit être plus malin que les autres, (pas plus intelligent, non, ni plus fin ou sensible, plus malin), pour s'en sortir en tirant bénéfice de l'ignorance ou de la fragilité de l'autre.

 

Ce monde où l'on se débarrasse de ceux qui ne suivent pas en négligeant une réalité essentielle, centrale : ce qui fait la force de l'humain, c'est précisément sa fragilité. Et ceux qui la portent de façon visible sont nos meilleurs alliés pour apprendre et comprendre la vie. Nous le voyons chaque jour lorsque par exemple les pratiquants de l'art s'invitent dans les hôpitaux psychiatriques ou les prisons. Ces comportements-là, ceux des puissants de notre société, nous brutalisent, chaque jour, ici dans notre monde, par la façon dont nous traitons nos «autres», nos «fous», nos «délinquants», nos «étrangers», nos «migrants», ceux qu'on laisse pour compte. Ils nous agressent violemment dans la façon dont nous envisageons nos relations à d'autres cultures, dites «premières», qui sont comme l'oiseau dans la mine de charbon, ou la truite qui meurt si l'eau est trop impure, des témoins de notre possibilité de survie en tant qu'humains. Dedans ou dehors, c'est la même attitude. On ne peut plus du tout se sentir solidaire de ce monde et chacun, d'une façon ou d'une autre, le sent au fond de soi.

Un monde où la perversité est devenue la norme au point qu'aucune parole simple ne peut y trouver place, car elle est immédiatement suspectée d'arrière-pensées ou de faiblesse. Cet american way of life qu'on nous a vendu pendant des décennies et qui prend vraiment pieds dans nos vies.

Mithridatisés. C'est comme ça que ça s'appelle. On s'accoutume au mensonge, à une rhétorique creuse élaborée pour le pouvoir, à une pensée perverse qui abîme et blesse la pensée commune, perturbe l'esprit des citoyens, brouille tous les repères, rendant presque impossible l'usage d'une perception et d'une réflexion saines, où l'émotion garde sa place. On s'habitue à l'impuissance, à ne plus écouter ceux qui crient leur douleur, ceux qui s'épuisent à tirer la sonnette d'alarme, ceux qui voudraient simplement, logiquement, mettre dans leur vie un peu de solidarité, de confiance en l'autre, un peu d'humanité. Car sinon, à quoi bon ?

Comment le geste de l'artiste, dont l'objet est de traverser l'ensemble du groupe humain, du corps social, pour l'aider à faire corps et éveiller en lui de nouvelles consciences, peut-il trouver sa place dans un tel monde ?
 



Une telle fonction peut-elle être désirée par une telle société?

Dans les années soixante-dix, cette simple affirmation : «tout est politique» obligeait à reconsidérer les habitudes prises de longue date dans des domaines supposés sans rapport. Cette affirmation forçait à décompartimenter, à retracer les liens entre tous les terrains de nos vies, de l'éducation aux  questions d'écologie et  d'économie (« gestion intérieure d'une maison, d'une famille »), y compris ce qui semblait être très distinct de ce que l'on nomme habituellement la politique. Nous nous efforcions de rattacher entre eux des secteurs trop longtemps séparés et de relier l'ensemble de nos existences à ce qu'on appelle l'art et la culture.

Nous avons depuis perdu beaucoup de terrain. Cette tentative permanente de faire réapparaître le lien entre les choses, de nous exercer à l'intelligence au sens propre du mot (intel-ligere), a été rendue presque impossible par le travail d'une machine néolibérale qui nous enjoint chaque jour à ce qu'elle nomme l'«efficacité», c'est-à-dire à porter des œillères pour mieux consommer et produire.

Quand nous parlons de «culture» (à vrai dire nous hésitons à employer ce mot qui veut trop dire et ne dit plus grand chose), nous ne parlons pas de cette plus-value sociétale dont les uns seraient dotés et les autres dépourvus. Nous ne parlons pas de cette monnaie qui sert, comme le disait Pierre Bourdieu, à se constituer un capital symbolique à usage de distinction. Vous me direz que cette plus-value, à mesure que la vieille Europe se conforme au modèle étatsunien, se rapproche de l'obsolescence. Face au poids du chiffre en général et de l'argent en particulier, elle pèse de moins en moins dans la balance. Cependant, lorsque nous tâchons de creuser dans cette direction, quand nous tournons autour de cette question, celle de la pensée et de la création, c'est pour parler d'une aptitude à appréhender la réalité du monde d'un point de vue réellement humain. Pour évoquer une circulation de symboles dont le but est d'éveiller nos consciences, et qui doit concerner chacun et tous. Un point de vue où, par exemple, l'écologie et la culture doivent absolument se rejoindre pour exprimer le fait que l'urgence n'est pas seulement de «sauver la planète», mais surtout de raviver notre capacité à vivre en êtres sensibles.



Lorsque Jean Vilar affirmait qu'une pièce ne peut vraiment donner ce qu'elle a à donner que devant une salle qui représente la société entière, il manifestait clairement le rôle politique de l'art. Vilar, on ne le cite plus guère aujourd'hui, l'homme n'était pas plus parfait que vous et moi, pourtant voici quelqu'un qui a défendu becs et ongles le rôle politique du théâtre, lui qui disait aussi : «L'art du théâtre ne prend toute sa signification que lorsqu'il parvient à assembler et à unir». Et  : «Il s'agit donc de faire une société, après quoi nous ferons peut-être du bon théâtre». Et si l'on déroule jusqu'au bout le raisonnement de cet homme de théâtre, l'art est bien l'un des outils essentiels de cette action : «faire société».

L'art ne peut pas ne pas être politique.

Notre combat est sémantique et je sais que l'usage du mot «peuple» devient aussi de plus en plus délicat. Pourtant il s'agit bien de travailler la matière même du peuple que nous sommes, dans toutes ses composantes. C'est-à-dire  le contraire de la division à laquelle on assiste aujourd'hui au bénéfice des puissants. Il ne s'agit pas de produire une quelconque unanimité, il s'agit de rassembler et de débattre, au-delà de tout «objet» et de tout spectacle, qui ne sont qu'autant de vecteurs pour nous permettre de parler ensemble de nos vies. C'est à ça que ça sert et on le comprend bien, même sans avoir toujours besoin de retourner aux sources Grecques. D'autres sources, (africaines par exemple) le font clairement apparaître.

Lorsque le courant passe, ce peuple qui se rassemble devant un geste artistique n'est pas uniquement composé d'individus prêts à défendre des intérêts privés ou de classe, il forme aussi un ensemble solidaire, et c'est ce geste, et le partage d'une émotion, qui lui en fait prendre soudain conscience. C'est en ce sens que l'art que personne ne peut comptabiliser, mesurer avec des chiffres, est un adversaire du néolibéralisme en marche, et un témoin d'une part indestructible de l'être humain qui nous retient de sombrer dans le transhumanisme. Car ce qu'il rappelle est essentiel et peut se résumer en quelques mots : l'humanité réellement «augmentée» c'est celle qui est dotée d'un imaginaire et d'une âme. Et cela passe par des outils, qui servent à créer des langages pour que cet imaginaire puisse vivre et être partagé.

Or beaucoup de gens savent cela, beaucoup le ressentent et le vivent dans une immense frustration face aux compartimentages qui visent à réduire les humains à leurs fonctions de consommateur/producteur. C'est un peuple d'artistes.
 

Un peuple sensible. Imaginatif. Parfois naïf et souvent juste. Infiniment plus nombreux qu'on ne veut le laisser croire, dense, intuitif, attentif et aimant, armée de l'âme, diffuse, chaque jour veillant, traversant notre ciel d'un coup d'aile comme un immense vol de consciences, nuée d'anges gardiens rieurs ou tristes, candides et blessés, veillant aux injustices qui ne cessent d'être commises et en souffrant, à la gravité dont parfois on aurait besoin, à la légèreté sensible qu'un rien pourrait briser, à la bêtise qui nous désole et qui nous navre, à la beauté qui manque, souvent tuée dans l'œuf mais pas toujours et qui devient violente (ou convulsive) lorsqu'elle a réchappé au meurtre.

Un peuple intelligent, souvent modeste, parfois génial quand on lui en laisse le temps et l'espace, constamment travaillé, malaxé, canalisé, broyé, divisé, dupé, violé, moqué, trituré comme une matière, par une hiérarchie épicière qui croit avoir compris comment ça marche parce qu'elle s'est débarrassée de l'essentiel, de ce qu'elle s'imagine être superflu. Un peuple qu'on a tort, si l'on est capable d'une pensée au long cours, de ne pas entendre, car il est fait, comme le dit Jack Ralite d'«experts du quotidien, de porteurs de connaissances en actes ». Ce peuple de plus en plus exsangue, assoiffé de savoir et de justice, qui ne cherche pas le pouvoir et devant qui l'on tend des pièges imbéciles. Celui-là même dont le député Hugo parlait devant l'Assemblée Nationale le 11 novembre1848.

Nicolas Roméas

http://www.horschamp.org/

 

 

 

 

29/09/2015

Poèmes politiques posthumes de Manuel José Leonardo Arce Leal, traduits par Laurent Bouisset

 

1. General

 
General
—no importa cuál,
da lo mismo,
es igual—:
Para ser General,
como usted, General,
se necesita
haber sido nombrado General.
Y para ser nombrado General,
como usted, General,
se necesita
lo que usted no le falta, General.
Usted merece bien ser General,
llena los requisitos, General.
Ha bombardeado aldeas miserables,
ha torturado niños
ha cortado los pechos de las madres
rebosantes de leche,
ha arrancado los testículos y lenguas,
uñas y labios y ojos y alaridos.
Ha vendido mi patria
y el sudor de mi pueblo
y la sangre de todos.
Ha robado, ha mentido, ha saqueado,
ha vivido
así, de esta manera, General.
 
General
—no importa cuál—:
para ser General,
como usted, General,
hay una condición fundamental:
ser un hijo de puta,
General.
 
-

 

 
1. Général
 
Général
– et peu importe lequel,
ça ne change rien,
c'est parfaitement indifférent – :
Pour être Général
comme vous, mon Général,
il faut d'abord
avoir été nommé Général.
Et pour être nommé Général,
comme vous, mon Général,
il faut avoir en soi
ce dont vous ne manquez pas, mon Général.
Amplement, vous le méritez, d'être Général,
amplement, vous les remplissez, tous les critères.
Vous avez bombardé des hameaux misérables
vous avez torturé des enfants
vous avez tranché la poitrine des mères
qui débordaient de lait,
vous avez arraché les testicules et les langues,
les yeux, les ongles et lèvres et quantité de hurlements.
Vous avez vendu ma patrie,
la sueur de mon peuple
et notre sang à tous.
Vous avez volé, menti, pillé,
vous avez bel et bien vécu
ainsi, de cette manière, mon Général.
 
Général,
– et peu importe lequel – :
pour être Général,
comme vous, mon Général,
il est une condition fondamentale :
être un vrai fils de pute,
mon Général.
 
 
*
 
 
2. Sermón presidencial
 
Paso el Ejército
y del dulce pueblito que antes era
atractivo turístico
en las postales multicoloridas,
no quedo piedra sobre piedra
ni quien para contarlo:
se encontró los cadáveres de mujeres preñadas
con el feto asomado por la herida del vientre.
Se encontró a muchachitos de cinco años y menos
colgados de las tripas en las ramas de un árbol.
Los ancianos del pueblo,
venerables,
estaban decapitados en la plaza frente a la iglesia.
No quedaba ni quien para contarlo.
Ni los perros.
Y la prensa, la radio y la televisión
repetían, hoy lunes, el sermón del domingo
del Señor Presidente
—general y pastor evangelista—,
que comenzó diciendo:
"Dios es Amor, hermanos..."
 
-

 

 
2. Sermon présidentiel
 
L'armée passa
et du petit village paisible qui
séduisait avant ça les touristes
sur cartes postales multicolores,
il ne resta pas une pierre en l'état,
ni personne pour le raconter :
on retrouva les cadavres de femmes enceintes
avec leur fœtus s'échappant d'une blessure au ventre.
On retrouva des gosses de cinq ans et moins
pendus par les tripes aux branches d'un arbre.
Les anciens du village,
les vénérables,
avaient la tête tranchée sur la place de l'église.
Il ne restait plus même une voix pour raconter tout ça.
Plus seulement un chien.
Et la presse, la radio et la télévision
répétaient, aujourd'hui lundi, le sermon du dimanche
de sa Majesté Président
– général et pasteur évangéliste –
qui avait commencé en nous disant :
« Dieu est Amour, mes frères... »
 
 
*
 
 
3. Mapa con una piedra
 
Aquí queda el océano: los pesqueros que abandono Somoza.
Aquí, la costa: el algodón, bananos, caña de azúcar, caucho,
cacao, ganado y paludismo.
Mas acá, el altiplano, las fincas de café y de cardamomo.
Y mas acá, hasta arriba, se encuentran la montaña y las tierras
estériles.
Y en esta aldea miserable de indios
—de indios que en la cosecha bajan al altiplano o a la costa,
en camiones de vaca, con toda la familia, por salarios que ya
ni madre tienen.
a labrar los millones que se quedan
en bancos y burdeles de Miami;
de indios que van cargando a mecapal la historia—
en esta aldea, digo,
en este simple patio de tierra apisonada,
un niño juega con una piedra.
Con una piedra.
Con una sola piedra.
 
El silencio, de pronto, decapita la canción de los pájaros.
Y el niño sigue jugando con una piedra.
Los arboles presienten el peligro. El maíz se acongoja en la
mazorca.
Hay un temblor de muerte en los celajes. El agua se detiene
en el cauce del río.
Y los perros esconden el olfato. Pero el niño
en el patio
esta jugando con una piedra.
 
Es un ruido en pedazos que se oye desde lejos,
retaceado,
indeciso.
Viene como cortando con hachazos metódicos el aire.
 
Las mujeres levantan la mirada
y corren con un niño en el pecho, y otro niño en la espalda y
otro niño en el vientre,
y un niño mas colgando en cada brazo.
Los viejos sacan fuerzas de flaqueza, escarban en los reumas
hasta hallar los pedazos
de energía que quedan y corren o se arrastran mas bien.
 
Los helicópteros están sobre los ranchos, las casas, las calles,
y los patios.
Las llamas de napalm roen los techos de amable paja,
el campanario de la iglesia estalla,
los perros cabalgados por el fuego revientan en aullidos,
el paisaje se borra en el humazón caliente.
 
Vuelven los helicópteros.
Esta vez se declara el aguacero torrencial de balazos,
las cortinas que vienen barriendo lo que queda de vida entre
las brasas
y acosando en seguida la montaña
donde los trajes imperiales de las mujeres sirven de objetivo
seguro.
—perseguido-encontrado-perseguido-encontrado y alcanzado—
por la eficacia de los artilleros.
 
Y el niño esta en el patio sin su piedra.
Termino el juego
cuando aun tuvo tiempo de lanzarla
contra los helicópteros.
 
En este mapa ardiente que describe mi patria
ya no existen niños:
desde que el hombre nace, nace adulto.
Adulto y combatiente.
 
-
 
3. Carte avec une pierre
 
Ici, l'océan : les bateaux de pêche qu'abandonna Somoza.
Ici, la côte : le coton, les bananes, la canne à sucre, le caoutchouc,
le cacao, le bétail et le paludisme.
Par là, l'altiplano, les exploitations de café et de cardamone.
Et par là, jusqu'en haut, les versants montagneux et terres stériles.
Et dans ce hameau misérable d'indiens
–d'indiens descendant récolter jusqu'à l'altiplano, ou même la côte,
la famille entière entassée dans des fourgons à bestiaux, pour des salaires
qu'ils finissent par ne toucher plus qu'en rêve.
tous à bûcher pour les millions qui resteront
dans les banques et bordels de Miami ;
d'indiens charriant sur leurs épaules fourbues l'histoire–.
dans ce hameau, vous dis-je,
dans ce simple patio de terre damée,
un enfant joue avec une pierre.
Avec une pierre.
Avec une seule pierre.
 
Le silence soudain décapite la chanson des oiseaux.
Et l'enfant continue à s'amuser avec une pierre.
Les arbres pressentent le danger. Le maïs se rétracte
dans l'épi.
Un tremblement de mort parcourt les cieux. L'eau s'immobilise
dans le lit de la rivière.
Et les chiens cachent leur flair. Mais l'enfant
dans le patio
continue à jouer avec une pierre.
 
Un bruit haché se fait entendre dans le lointain,
entrecoupé,
comme hésitant.
Il semble arriver taillant l'air à coups de hache méthodiques.
 
Les femmes lèvent les yeux au ciel
et prennent la fuite, un enfant collé à leur sein,
un autre enfant arrimé sur le dos, un autre encore
est dans le ventre, un de plus dans chaque bras.
Les vieux grappillent des forces à leur faiblesse, grattent leurs rhumatismes
jusqu'à dénicher les lambeaux
d'énergie subsistant et courent, ou non, plutôt ils rampent.
 
Les hélicoptères survolent les fermes, les maisons, les rues
et les patios.
Le napalm en feu ronge les toits de paille aimable,
le clocher de l'église éclate,
les chiens, chevauchés par les flammes, hurlent à la mort,
le paysage s'efface, envahi par la fumée chaude.
 
Retour des hélicos.
Début de la pluie torrentielle de balles.
Les rideaux maintenant balaient ce qui reste de vie entre
les braises,
puis ils vont ratisser, après ça, la montagne,
où les vêtements colorés des femmes servent aux
tireurs d'objectif sûr.
–traqué-trouvé-traqué-trouvé puis atteint–
par l'efficacité des artilleurs.
 
Et le gamin dans le patio n'a plus sa pierre.
Il a dû mettre un terme au jeu
après avoir quand même trouvé le temps
de la jeter sur les hélicoptères.
 
Sur la carte embrasée qu'est devenue ma patrie
il n'y a plus d'enfants :
sorti du ventre à peine, on est adulte.
Adulte et combattant.
 
 
*
 
 
4. La hora de la siembra
 
Y no nos han dejado otro camino.
Y esta bien que así sea.
Recibimos el golpe en la mejilla,
la patada en la cara.
Y pusimos la otra mejilla,
silenciosos y mansos,
resignados.
Entonces comenzaron los azotes,
comenzó la tortura.
Llego la muerte.
Llego noventa mil veces la muerte.
La labraban despacio,
riéndose,
con alegría de nuestro sufrimiento.
 
Ya no se trata solo de nosotros los hombres.
El saqueo constante de nuestras energías,
el robo permanente del sudor
—en cuadrilla, a mano armada, con la ley de su parte—.
Ya no se trata solo de la muerte por hambre.
Ya no se trata solo de nosotros los hombres.
También a las mujeres,
a los hijos,
a nuestros padres y a nuestras madres.
Los violan, los torturan, los matan.
También a nuestras casas,
las queman.
Y destruyen las siembras.
Y matan las gallinas, los marranos, los perros.
Y envenenan los ríos.
 
Y no nos han dejado otro camino.
Y esta bien que así sea.
 
Trabajábamos.
Trabajábamos mas allá de las fuerzas.
Empezábamos a trabajar cuando aprendíamos a caminar
y no nos deteníamos sino al momento de morirnos.
Nos moríamos de viejos a los treinta años.
Trabajábamos.
 
El sudor era un río que se bifurcaba:
de un lado se volvía miseria, fatiga y muerte para nosotros:
de otro lado, riqueza, vicio y poder para ellos.
Sin embargo,
seguimos trabajando y muriendo siglo tras siglo.
Pero ni aun así se ablandaban sus caras frente a nosotros.
Vinieron con sus armas
y sus armas vinieron a matarnos.
 
Y no nos han dejado otro camino.
Y hemos tenido que empuñar las armas
también nosotros.
 
Al principio eran las piedras,
las ramas de los arboles.
Luego, los instrumentos de labranza,
los azadones, los machetes, las piochas,
nuestras armas.
Nuestro conocimiento de la tierra,
el paso infatigable,
nuestra capacidad de sufrimiento,
el ojo que conoce y reconoce cada hoja,
el animal que avisa,
el silencio que aprieta las quijadas.
Esas fueron primero nuestras armas.
 
No teníamos armas.
Ellos si que tenían:
las compraban con nuestro trabajo
y luego las usaban contra nosotros.
 
Ahora tenemos armas:
las de ellos.
Cuando vinieron nocturnos a matarnos
les salimos al paso,
caemos como rayos
y tomamos las armas,
agarramos las armas.
 
Cada fusil cuesta muchas vidas.
Pero son mas las muertes que nos cuesta
si sigue en manos de ellos.
 
Y no nos han dejado otro camino.
Y esta bien que así sea.
Porque esta vez
las cosas
van a cambiar definitivamente.
Están cambiando.
Ya cambiaron.
Cada bala que disparamos lleva
la verdad del amor por nuestros hijos,
por nuestras mujeres y nuestros mayores
y por la tierra misma y por sus arboles.
 
Y por eso hay mujeres y niños combatiendo junto a nosotros.
 
Cuando sembramos el maíz,
sabemos que deberán pasar lunas y soles
hasta que la mazorca sonría con sus granos y se vuelva alimento.
Y cuando disparamos nuestras armas
es como si sembráramos
y sabemos
que deberá venir una cosecha.
Tal vez no la veamos.
Tal vez no comeremos nuestra siembra.
Pero quedan sembradas las semillas.
 
Las balas que ellos tiran solo llevan muerte.
Nuestras balas germinan,
se vuelven vida y libertad,
son metal de esperanza.
 
Las cosas han cambiado.
Y esta bien que así sea.
 
Hemos limpiado y aceitado el arma.
Echamos las semillas en la alforja y emprendemos la marcha
serios y silenciosos por entre la montaña.
Es la hora de la siembra.
 
-
 
4. L'heure de semer
 
Et ils ne nous ont pas laissé d'autre chemin.
Et c'est bien qu'il en soit ainsi.
Nous avons reçu le poing dans la joue,
le coup de pied dans la figure.
Et nous avons tendu l'autre joue,
silencieux et dociles,
résignés.
Alors ont commencé les coups de fouet,
puis la torture.
La mort est arrivée.
Quatre-vingt-dix mille fois la mort est arrivée.
Ils la distribuaient à petit feu,
en se marrant,
n'oubliant pas de jouir de notre souffrance.
 
Il n'est plus question seulement de nous les hommes.
Le pillage constant de nos énergies,
le vol permanent de la sueur
– en escadrons, la main armée, avec la loi de leur côté –.
Il n'est plus question seulement de mourir de faim.
Plus question seulement de nous les hommes.
Les femmes également,
les enfants,
nos pères et mères.
Ils les violent, ils les torturent, ils les tuent.
Nos maisons aussi,
ils les brûlent.
Et ils détruisent les plantations.
Et ils tuent les poules, les cochons, les chiens.
Et ils empoisonnent les rivières.
 
Et ils ne nous ont pas laissé d'autre chemin.
Et c'est bien qu'il en soit ainsi.
 
Nous travaillions.
Nous travaillions au-delà de nos forces.
Nous commencions à travailler quand nous apprenions à marcher
et jamais ne nous arrêtions jusqu'à l'article de la mort.
Nous mourions de vieillesse à l'âge de trente ans.
Nous travaillions.
 
Le fleuve de la sueur se séparait en deux :
d'un côté, il devenait misère, fatigue et mort pour nous :
de l'autre, il devenait richesse, vice et pouvoir pour eux.
Cependant,
nous avons continué à travailler, siècle après siècle.
Mais leurs traits, face à nous, ne se sont pas adoucis pour autant.
Ils sont venus avec leurs armes
et leur armes sont venues pour nous tuer.
 
Et ils ne nous ont pas laissé d'autre chemin.
Et nous avons dû empoigner les armes aussi,
nous autres.
 
Au début il y avait les pierres,
les branches des arbres.
Les outils de travail du sol, bientôt.
Bêches, machettes et pioches,
nos armes.
Le savoir de la terre,
le pas infatigable,
notre capacité d'endurance,
l’œil qui connaît et reconnaît chaque feuille,
l'animal qui avertit,
le silence qui serre les mâchoires.
Voilà quelles ont été nos premières armes.
 
Nous n'avions pas d'armes.
Eux qui, par contre, en possédaient,
les achetaient à la sueur de notre travail
et les utilisaient, après ça, contre nous.
 
Maintenant nous avons des armes :
les leurs.
Quand ils sont venus nous tuer, en pleine nuit,
nous sommes passés à la contre-offensive,
nous surgissons comme des rayons
et nous prenons les armes,
nous empoignons les armes.
 
Combien de nos vies arrachées pour un fusil ?
mais le prix est plus grand encore en morts,
si l'arme demeure à leur poing.
 
Et ils ne nous ont pas laissé d'autre chemin.
Et c'est bien qu'il en soit ainsi.
Parce que cette fois-ci
les choses
vont changer définitivement.
Elles sont en train de changer.
Elles ont déjà changé.
Au fond de chacune des balles que l'on tire
vibre l'amour sincère de nos enfants,
de nos femmes et de nos anciens,
de la terre vénérée et de ses arbres.
 
C'est pour cela que des femmes, des enfants combattent à nos côtés.
 
Quand nous semons le maïs,
nous savons que passeront plusieurs lunes, plusieurs soleils,
avant que l'épi ne sourie avec ses grains, devenu pour nous aliment.
Et quand nous tirons des coups de feu,
c'est comme si nous semions,
et nous savons
que viendra forcément une récolte.
Peut-être que nous ne la verrons pas.
Peut-être que nous ne mangerons pas le fruit de nos semailles.
Mais les graines restent en terre, prêtes à éclore.
 
Leurs balles à eux apportent la mort.
Les nôtres germent,
deviennent vie et liberté,
sont métal d'espérance.
 
Les choses ont changé.
Et c'est bien qu'il en soit ainsi.
 
Nous avons lavé et huilé l'arme.
Nous jetons les graines dans nos sacoches et commençons la marche
sérieuse et silencieuse dans la montagne.
C'est l'heure maintenant de semer.
 
 
*
 
 
5. Equis-equis
 
- No, no es él.
- Sí, sí es él.
- No, no es él. No es posible que esto pueda ser él.
- Mira la cicatriz de la vacuna.
- No, no es él.
- Mira la corona de la muela que le puso Miguel
hace seis meses.
- No, no es él.
- Yo pienso que sí es él. Que esta vez si es él.
- No, no es él.
Como podría ser él si no tiene ojos.
Como podría ser él si no tiene sus manos laboriosas.
Como podría ser él si le han cortado sus semillas de hombre.
Como podría ser él sin su guitarra ni su canción,
sin aquel ceño duro ante el peligro, sin aquella sonrisa en el
trabajo.
sin su voz pronunciando el pensamiento, sin su tonta manía
de regalarme flores.
Como podría ser él.
No es él. Te digo que no es él.
No quiero que sea él.
 
-
 
5. Double x (corps non-identifié)
 
- Non, c'est pas lui.
- Si, c'est lui.
- Non, c'est pas lui. C'est pas possible que ce soit son corps, là.
- Regarde, on voit la cicatrice de son vaccin.
- Non, c'est pas lui.
- Mais si, c'est la couronne que Miguel lui a mise, il y a six mois.
- Non, c'est pas lui.
- Moi, je crois bien que, cette fois, si, c'est lui.
- Non, c'est pas lui.
Comment tu peux dire que c'est lui, s'il n'a même plus ses yeux.
Comment tu peux dire que c'est lui, s'il a perdu ses mains de travailleur.
Comment tu peux dire que c'est lui, sans sa guitare et ses chansons,
sans son sourcil durci face au danger, sans le sourire qui
lui venait en travaillant.
sans le son de sa voix prononçant sa pensée, sans sa manie stupide
de m'offrir des fleurs.
Comment tu veux que ce soit lui.
C'est pas lui. Je te le dis : non, c'est pas lui.
Je ne veux pas que ce soit lui.
 
 
Textes posthumes de Manuel José Leonardo Arce Leal.
Traduction de Laurent Bouisset.
 
(Merci à José Manuel Torres Funes et Anabel Serna Montoya pour leurs critiques constructives sur la traduction.)
Le texte en castillan a été trouvé sur le site Literatura guatemalteca à l'adresse suivante : http://www.literaturaguatemalteca.org/arce2.htm
Il est à noter que d'autres textes du même auteur (ainsi que de nombreux autres auteurs guatémaltèques) sont disponibles sur le même site.
 
 
 
 
Merci à Laurent Bouisset !
 
 
 

28/09/2015

LETTRE OUVERTE À NADINE MORANO par Nicolas Huguenin

 
Madame,
Je n'ai pas regardé votre prestation télévisuelle hier soir. Je sortais d'un concert où de magnifiques artistes avaient interprété des œuvres de Liszt, de Brahms et de Chopin, et, après tant de beauté sonore, l'idée de vous entendre débiter vos âneries avec une voix de poissonnière lepénisée me répugnait légèrement. Non, complètement, en fait. Mais ce matin, j'ai quand même pris sur moi et j'ai regardé huit (longues) minutes de votre intervention. Et permettez-moi de vous dire, madame, que la maladie dont vous souffrez – dite « maladie de la bouillie de la tête » – vous fait dire n'importe quoi.
Vous parlez de « race blanche » et de religion, en associant l'une et l'autre. Passons sur le fait que la « race blanche » n'existe pas, et que plus personne n'en parle depuis que les derniers théoriciens nationaux-socialistes ont été pendus à Nuremberg. Mais associer une religion à une couleur de peau, là, il fallait le faire ! Les Albanais sont blancs et musulmans. Desmond Tutu est noir et chrétien. Le pays musulman le plus peuplé du monde est l'Indonésie, habitée par... des jaunes. Ah, c’est compliqué, hein ! D'ailleurs, si on ne peut pas changer de couleur de peau, à part Mickael Jackson, on peut toujours sans modifier son teint abandonner une religion ou en changer. Tenez, moi j'ai renoncé à la mienne et je ne suis pas devenu transparent pour autant – sauf quand j'essaie de draguer un grand brun aux yeux bleus dans un bar gay, mais ceci est une autre histoire. Et, au passage, en affirmant que la France est « de race blanche », vous laissez entendre que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion et Mayotte, ce n'est pas la France. C'est bien les patriotes en peau de lapin d'extrême-droite, ça ! Ça nous rebat les oreilles avec la France, mais ça raye de la carte cinq départements d'un coup.
Vous expliquez ensuite que la France a une identité judéo-chrétienne. Et là, pour une fois, vous n'êtes pas allée assez loin – sans doute parce que vous ne connaissez pas mieux l'histoire de la France que sa géographie. Non, madame, la France n'est pas judéo-chrétienne. Elle est catholique. Et elle l'est parce que, pendant mille trois cents ans, on n'a pas permis aux Français d'être autre chose. Juifs, cathares, vaudois et protestants le savent bien. Entre 496, date à laquelle Clovis a (selon la formule célèbre) embrassé le culte de son épouse, et 1790-1791, date à laquelle on s'est résolu à considérer les juifs et les protestants comme des citoyens à part entière, la religion n'a pas été une affaire de choix personnel. Ni même collectif. Les Français n'ont pas voulu être catholiques. Ils ont été contraints de l'être. Ce que les libéraux appellent « la concurrence libre et non faussée » n'est appliquée, en matière de religion, que depuis deux siècles. Le chevalier de la Barre était déjà mort. Jean Calas aussi. Et tous ceux qu'on avait massacrés au nom de Dieu, avant eux ; rançonnés par Philippe Auguste, marqués de la rouelle par Saint Louis, expulsés du royaume par Philippe le Bel, massacrés par toutes sortes de croisés, immolés par l'Inquisition, trucidés par Charles IX, pourchassés par les dragons de Louis XIV... Au passage, je trouve parfaitement dégueulasse votre tentative minable de récupérer les Juifs et les protestants pour alimenter votre petit commerce de la haine. Quand on sait ce qu'ils ont subi en France pendant des siècles... Il fallait une sacrée persévérance pour ne pas être catholique en France, alors. Heureusement, ce n'est plus le cas. Et moi, contrairement à vous, je m'en réjouis. En laissant les Français librement choisir leur religion, ou choisir de ne pas en avoir, on a des surprises. Et alors ? Cela porte un beau nom, madame Morano. Cela s'appelle la liberté de conscience.
Et c'est enfin la troisième et dernière remarque que je voulais vous faire, madame. Vous vous plaignez que, dans certains quartiers, on ne célèbre plus que 5 baptêmes, là où il s'en célébrait 250 il y a encore quelques décennies. Mais la faute à qui ? Aux musulmans, qui « envahissent » nos villes, ou aux catholiques, qui renoncent à l'être et n'obligent plus leurs enfants à fréquenter le catéchisme ? Et vous ne vous demandez pas pourquoi l'Église faisait fuir les fidèles ? Non ? Vraiment, vous n'avez pas une petite idée ? Ne serait-ce pas, je ne sais pas, moi, par exemple, parce qu'elle condamne encore les femmes qui prennent la pilule, et les hommes qui emploient un préservatif ? Ou parce qu'il est devenu insupportable d'affirmer, comme le font certains évêques, qu'une femme violée qui avorte est plus coupable que son violeur ? Ou parce que ça commence à se savoir, que certains curés tripotent les enfants de choeur dans les sacristies ? Ou parce que répéter que le mariage est un sacrement indissoluble, dans un pays où un tiers des couples divorcent, ça fait un peu “ringard” ? Ou parce que le double discours d'une Église riche à milliards en faveur des pauvres n'est plus tout à fait pris au sérieux ? Ou, tout simplement, parce que la foi, dans notre monde moderne, n'apporte plus de réponses suffisantes aux masses ? Et d'ailleurs, rassurez-vous, les catholiques ne sont pas les seuls concernés. Tenez, je vous parie que, dans deux ou trois générations, les musulmans de France ne mettront pas plus souvent les pieds dans une mosquée que moi dans une église... ou que vous dans une bibliothèque. C’est dire... Déjà, un tiers d'entre eux ne fait plus le ramadan.
Tout cela pour vous dire, madame, que votre vision d'une France réduite à ses seuls habitants « de souche » est non seulement insupportable moralement, mais aussi sacrément dépassée. Et que votre peur panique de tout changement, de toute modernité, est pathétique. Et presque risible. « Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu'on ne rallumera plus », disait le député René Viviani en 1906. Et ce n'est pas en allumant les feux d'une guerre civile que vous ferez croire aux électeurs que vous brillez, madame. Tout le monde le sait : vous n'êtes pas une lumière.
 
 
Nicolas Huguenin, professeur d'histoire et géographie
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

14/09/2015

SALVADOR ALLENDE : EXTRAITS DU DISCOURS PRONONCÉ DEVANT L'ONU LE 4 DÉCEMBRE 1972

  

 
 
 
 
(saleté d'obscénités publicitaires !) 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

12/09/2015

Hugo Fontaine - "Les pluies" sur une musique de Erik Satie

 

 

07/09/2015

Art Bohème Des Périphéries - Marcel Hognon (Djungalo Theatre)

 

Pour en savoir plus sur ce projet : https://artbohemedesperipheries.wordpress.com/