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23/02/2016

Le retour du néolibéralisme autoritaire en Argentine

 

mardi 23 février 2016, par Alfredo Calcagno

François Hollande se rend en visite officielle dans une Argentine qui est en train de prendre un virage à 180 degrés, de retour au néolibéralisme et l’autoritarisme. En à peine deux mois, le nouveau gouvernement de Mauricio Macri a pris des mesures qui réduisent les salaires réels, augmentent les revenus des grands exportateurs et des entreprises transnationales, renforcent le pouvoir des oligopoles et acceptent l’essentiel des demandes des fonds vautour. Le gouvernement cherche à conclure un accord avec ceux-ci afin d’accéder à de nouveaux crédits sur les marchés internationaux, le ré-endettement du pays étant un des piliers de la nouvelle politique économique.

La nouvelle politique envers le capital financier international est illustrée par le remplacement du chef de l’unité contre les crimes financiers par des avocats liés aux banques qui étaient justement poursuivies pour blanchiment et recel de capitaux non déclarés (dont HSBC ; le nouveau ministre des finances, d’ailleurs, figure en bonne place dans la « liste Falciani » du HSBC Genève).

Le nouveau gouvernement renforce son contrôle des médias, en annulant une loi qui fixait des limites à la concentration des moyens audiovisuels, par un décret taillé à la mesure d’un puissant oligopole qui a fait campagne pour lui, le Groupe Clarín. De plus, de nombreux journalistes critiques sont renvoyés de radios et chaînes de télévision publiques et privées. Le gouvernement cherche aussi à mieux contrôler le pouvoir judiciaire, qui lui est déjà largement acquis. Il a fortement réduit les fonctions de la Procuration Nationale dont la titulaire en a défendu l’indépendance, et a même essayé de nommer sans l’accord du Sénat deux nouveaux membres de la Court Suprême, avant de faire machine arrière.

Pour faire passer ces mesures au pas de charge, le gouvernement a fait un usage abusif des « Décrets d’Urgence » ; il a ainsi changé des lois en contournant le parlement, où il n’a pas de majorité.

Une chasse aux sorcières s’est déclenchée dans la fonction publique, avec plus de 25 000 employés mis à la porte du jour au lendemain en fonction de leur orientation politique. Ils sont stigmatisés comme étant des « militants » bénéficiant d’emplois fictifs, mais n’ont pas le droit à l’examen au cas par cas de leur situation qui montrerait le contraire. Les services s’occupant de la culture et des droits de l’homme sont particulièrement touchés.

Le nouveau gouvernement remet en cause la politique de non-répression des protestations sociales du précédent. Un cas emblématique est celui de Milagro Sala, une dirigeante sociale et députée au Parlasur (l’équivalent du Parlement Européen) : malgré son immunité parlementaire, elle a été arrêtée sous le chef d’accusation de « tumulte et appel au délit » pour avoir organisé un campement pacifique dans la place centrale de la ville de Jujuy (d’autres accusations ont été ajoutées depuis). Le message est clair : désormais, manifester pacifiquement est un délit. Des protestations pacifiques d’employés licenciés ont aussi été violemment réprimées, et un nouveau « protocole » pour l’intervention de la police dans de tels cas, sans l’intervention d’un juge, est actuellement élaboré. Le gouvernement de Macri cherche à “criminaliser” la contestation sociale que ses politiques économiques et sociales risquent de déclencher. Ce n’est pas la première fois que néolibéralisme et répression sévissent en même temps en Amérique Latine.

Répression contre des employés renvoyés de la Municipalité de La Plata, le 8 janvier 2016 (Alfredo Calcagno)
Répression contre des employés renvoyés de la Municipalité de La Plata, le 8 janvier 2016 (Alfredo Calcagno)

« En bio, on s'en sort ». Le témoignage d'Annie, productrice de lait

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  Annie Legoff mène avec son mari la ferme des Aulnays, à Évran.

 

23 février 2016 à 09h08 / Propos recueillis par Corentin Le Doujet / 

Source : Le Télégramme -  http://www.letelegramme.fr/

 

Brûler des pneus, très peu pour elle. Annie Legoff est productrice de lait bio, à Évran, et ne connaît pas la crise. Par ailleurs trésorière du syndicat minoritaire Confédération paysanne 22, l'agricultrice expose sa vision d'un système « au bout du rouleau ». 
Le Télégramme : vous ne participez pas aux manifestations de colère agricole. Pourquoi ?
Annie Legoff :  « Même si on n'y participe pas, on comprend la colère. Le métier d'éleveur est très prenant, c'est inadmissible de ne pas pouvoir vivre de sa production. En filière conventionnelle (non bio, NDLR), le lait n'a plus de valeur marchande, on dit qu'un litre vaut une demi-cigarette ! Par contre, les manifestations donnent une image catastrophique et contre-productive du métier. Ils brûlent leurs déchets, bâches, pneus, tôles... pendant des heures, alors qu'on parle d'intoxication aux particules fines. Ce n'est pas une bonne idée, ça complique la vie du citoyen, et surtout, ça ne débouche sur rien. Quant aux revendications sur l'origine des produits, on ne peut pas vider des rayons les produits étrangers et en même temps demander l'ouverture des frontières à l'export. Si on veut vendre dans d'autres pays, il faut accepter leurs produits ».

La crise, vous la ressentez ?
 « On est mal placé pour en parler : on est en bio, on s'en sort. On vend notre lait 420 € les 1.000 litres, alors que le lait conventionnel se vend autour de 260 €. En Bretagne, le choix a été fait de produire en masse un produit qui se banalise, devenu une matière première pour les industriels. Avec la fin des quotas laitiers, le 31 mars 2015, on a abandonné toute régulation publique. Les laiteries ont fait la réglementation elles-mêmes, favorisant la surproduction et entraînant la baisse des prix. Il y avait comme une sorte d'euphorie à la fin des quotas, les producteurs ont investi en bâtiments, matériel, automatisation... Mais il y a une différence entre améliorer ses conditions de travail et se lancer dans des investissements démesurés.  Dans la durée, " plus je produis et plus je gagne ", c'est faux. Ça reflète un manque de réflexion et d'esprit critique vis-à-vis d'un système qui arrive au bout du rouleau ».
 
 
Comment faites-vous pour vous en sortir ?  « On est installés depuis 1994, en bio, on produit du lait et on fait également du camembert. On maîtrise toute la chaîne : production, transformation et vente. On a toujours un risque commercial et sanitaire, mais on ne subit pas la crise de la filière longue. On essaie d'adapter l'offre à la demande, alors que les laiteries conduisent à une fuite en avant, en favorisant une production laitière de masse, suivant un grand choix industriel des années 1960. On dit qu'un excédent de 1 % sur le marché, c'est au moins 10 % de prix en moins. Par ailleurs, on produit nous-mêmes notre fourrage, on est autonome, c'est un avantage. Notre système est basé sur le pâturage, la solution la plus économique pour nourrir les animaux, alors qu'on voit de moins en moins de vaches dans les prés et de plus en plus de tracteurs sur les routes. Avec notre quarantaine de vaches Jersiaises et nos 62 hectares, on produit 150.000 litres de lait par an, dont 110.000 sont transformés en fromage. Quatre personnes travaillent sur la ferme ».

Que conseillez-vous à un producteur souhaitant sortir du système que vous critiquez ?
« À la Confédération paysanne, on favorise les circuits courts, pas forcément bio, mais on ne donne pas de leçons. Individuellement, pour un producteur, la seule marge est de réduire son coût de production, quitte à produire moins. Renouer les liens avec le sol, notamment en produisant son fourrage et en réduisant les importations de soja. Il y a sûrement aussi beaucoup de surmécanisation. Collectivement, il faut une régulation de la production à l'échelle européenne, on ne peut pas avoir et du prix, et du volume. Il ne faut pas laisser les laiteries gérer le système à titre privé ».

 

 

 

20/02/2016

Fuocoamare de Gianfranco Rosi, documentaire (2016)

 

Un article à son propos tiré du site Ecran noir :

Un festival de cinéma, ce ne sont pas seulement des stars, des paillettes et de belles histoires qui se succèdent sur grand écran. On le sait, les sujets graves, polémiques et douloureux y ont une place de choix, et Berlin s'est même fait une réputation (méritée) de festival politique présentant une part importante de films engagés.

C'était donc le lieu tout indiqué pour présenter Fuocoammare de l'Italien Gianfranco Rosi (lion d'or à Venise en 2013 avec Sacro gra), un documentaire dénué de voix-off qui montre en parallèle la vie tranquille de quelques habitants de Lampedusa et le drame des réfugiés qui se joue dans les eaux alentours.  L'île italienne (20km2 situés au sud de la Sicile, entre la Tunisie et Malte) est en effet la porte d'entrée privilégiée des migrants fuyant leur pays pour rejoindre l'Europe, et de multiples embarcations de fortune s'y échouent de plus en plus fréquemment depuis le début des années 2000.

Le film est ainsi construit comme le portrait des habitants de Lampedusa (notamment Samuele, un jeune garçon qui connaît chaque recoin de l'île, et sa famille) auquel répond en écho un témoignage sans fard sur la tragédie des réfugiés : appels désespérés envoyés depuis des embarcations de fortune, missions de sauvetage périlleuses, prise en charge quasiment militaire, récits édifiants des rescapés... Le coup de grâce étant porté par le médecin Pietro Bartolo, qui vient en aide aux migrants depuis les années 1990, et qui raconte la réalité à laquelle il est confronté :  les femmes qui accouchent sur les bateaux surchargés, les survivants déshydratés ou brûlés par l'essence, et bien sûr les innombrables corps sans vie auxquels il ne parvient pas à s'habituer.

Situation tragique, insupportable et absurde

Si l'on est tout d'abord surpris par la construction du documentaire, et par la part importante consacrée à Samuele et aux autres insulaires, il s'avère très vite indispensable d'avoir ce contrepoint plus léger, plus ancré dans un monde qui est aussi le nôtre, pour faire réaliser au spectateur l'absurdité tragique et insupportable de la situation. Le mettre froidement devant ce fait bien réel, et pourtant presque impossible à concevoir : que des enfants meurent à quelques kilomètres seulement du havre de vie "normale" auxquels ils aspiraient.

"Je crois que ce film est le témoignage d'une tragédie qui se déroule sous nos yeux", a déclaré Gianfranco Rosi lors de la conférence de presse qui a suivi la projection. "Je pense que nous sommes tous responsables de cette tragédie, peut-être la plus grande que nous ayons vue en Europe depuis l'Holocauste. Nous sommes complices si nous ne faisons rien."

Et Fuocoammare actionne sans l'ombre d'un doute la mauvaise conscience de tout un chacun, avec une sécheresse et une dureté salutaires, comme l'électrochoc que l'on attend en vain pour mettre fin à ce qui est un carnage évitable. "C'est le devoir de chaque être humain d'aider ces gens" déclare simplement Pietro Bartolo, dont la lassitude se lit sur le visage. Présent à Berlin, il confesse l'horreur et les "cauchemars" qui le poursuivent. "Parler de ces choses me fait mal à chaque fois" a-t-il notamment expliqué. "Mais j'accepte parce que j'ai l'espoir qu'à travers ces témoignages, on pourra sensibiliser des personnes" à ce qui est "devenu un problème dramatique, de portée universelle".

Une Berlinale ouverte aux réfugiés

Le documentaire de Gianfranco Rosi est à ce titre un document indispensable qui met toute l'intelligence, la force de conviction et la magie du cinéma au service de cette sensibilisation. Mais après la prise de conscience doit venir l'action, et c'est justement le moment où le spectateur doit prendre le relais de l'écran. Le Festival de Berlin l'a bien compris, qui incite festivaliers et professionnels à venir concrètement en aide aux réfugiés via des urnes récoltant les dons sur les lieux du festival. Plusieurs associations prenant en charge les réfugiés sont également mentionnées sur le site de la Berlinale.

Peut-être ne restera-t-il plus ensuite qu'à plébisciter le film afin de lui offrir la plus grande visibilité possible. Mais déjà, on ne voit pas comment le palmarès berlinois pourrait l'oublier.

 

Source : http://ecrannoir.fr/blog/blog/2016/02/13/berlin-2016-fuoc...

 

 

 

19/02/2016

Claire, témoignage, Calais

 

Claire est partie début février à Calais. Elle nous livre un témoignage et quelques photographies.
Elle y est en ce moment, et continue...

Claire D la jungle Calais février 2016_n.jpg

 

"Calais, arrivée de nuit, repas de frites sous la lune et les mouettes, monte une espèce d'allégresse d'être là, dans cet endroit historique. En arrivant nous avons croisé des cohortes de cars de flics, histoire de comprendre qu'on n’était pas n'importe où.
A l'auberge de jeunesse, il y a une réduction de deux euros par nuit pour les gens qui viennent faire de l'humanitaire, je me dis qu'il faudrait aussi parler des gens de Calais, ceux qui habitent là, ceux qui ont peur, ceux qui aident et qui ont compris que les temps changent.
Coucher tôt, lever tôt, dans le noir, j'ai l'impression que la nuit ne s'arrêtera jamais.
J'ai rencontré un homme qui me plaît, pétri d'intelligence, de sensibilité et de finesse. L'aventure c'est l'aventure, la Jungle « là ou ça se passe». L'endroit où les codes d'un monde soit disant organisé tombent en poussière, où tu devient X d'Utopia 56 ou de Pérou ou alors Y d’Afghanistan, d’Érythrée, ou Bédouin du Koweit.
En ville, attendant le bus n°2 pour aller dans la jungle, je discute avec une jeune fille dont la dentition témoigne qu'elle a abondamment sucé son pouce, le regard circonspect elle me dit qu'elle a peur, que sa cousine s'est fait agresser par trois types de la jungle qui ont essayé de la déshabiller, et qu'elle a passé sept mois à l'hôpital. Dans le bus, le conducteur me largue à un bon kilomètre de l'entrée, en m'indiquant du bout du menton que c'est « Par là ».
Je marche d'un bon pas, passe les usines de ciment à l'odeur nauséabonde, puis près du pont de l'autoroute, apparaissent les premiers tags, les premières baraques. Il est neuf heures.
On entend de la musique qui transperce la toile imperméable des tentes.
Bien sûr ce qui frappe d'abord ce sont les ordures et la boue, mais ce qui saute bien plus aux yeux c'est l'ingéniosité de ces gens qui s’abritent d'un rien : de la ficelle, du plastique, des vieilles couvertures, et l'émergence ici et là d'un art de rue, des dessins, des sculptures. Ici on a habillé une ronce de couleurs vives, là on a peint sur une bâche avec beaucoup de science, une cigogne en plein vol. certaines baraques sont empaquetées avec de la ficelle, pour d'autres on a maintenu le plastique avec des clous enfoncés dans des capsules de bière.
Je croise la distribution de pain, une centaine d'hommes se pressent, un camion à ordures avec des éboueurs en combinaisons blanches, passe, au loin, des volontaires principalement des anglais, ramassent des immondices avec des bâtons munis de pinces.
Des brosses à dents et des tubes de dentifrice glissés sous les liens des bâches témoignent du soin que leurs propriétaires apportent à leur hygiène corporelle. Ce n'est pas parce qu'on vit dans la boue qu'on est sale.
Fin de matinée, peu à peu le froid m'envahit, je pousse la porte d'un salon de coiffure Afghan comme il en existe deux ou trois sur la rue, une chaleur de hammam m'enveloppe, je me pose, enlève bonnet et anorak, gentiment on me propose du thé, une dosa, sorte de crêpe fourrée de haricots, je regarde autour de moi, je suis chez le coiffeur, et aux bains douches pour les hommes, certains, assis à côté de moi, remettent péniblement leurs chaussettes sur leurs pieds humides, un autre se coiffe compulsivement, de manière répétitive. Devant moi, le coiffeur joue avec les cheveux épais de son client, on sent qu'il en aime la texture. L'eau de la douche chauffe dans un grand fût de métal posé sur trois gros débris de roches, et on en extrait le liquide chaud qui est réparti dans de petits pots de peinture vides.
Je contemple et sirote mon thé les yeux mis clos, je suis là dans l'intimité de ces farouches afghans si accueillants et si corrects, l'un d'eux, un grand barbu qui a l'air d'être le chef, se fait apporter des galettes et une assiette de pois chiches avec de la sauce, sur l'estrade nous sommes assis face à face à tremper la galette dans la même assiette, il souffre d’un coup de baillonnette qui lui a transpercé la cuisse droite. Il me demande, très pragmatique, en saisissant ma main pour mieux regarder sous ma mitaine : « Married ?». En partant j'oublie mon bonnet. On me court après pour me rattraper, « CHANCE » me dit il avec son beau regard persan et ses dents écartées.
Cette journée là, j'aurais sillonné le camp de long en large à la recherche d'un hypothétique leader, on me dit, non tout le monde est indépendant, qu'il n'y a aucune organisation comme dans les slum classiques où les leaders réglementent tout et font régner un certain ordre.
Un peu plus tard, deux jeunes me font rentrer dans leur caravane, ils sont très jeunes, entre quinze et seize ans, là tous seuls, sans argent, sans parents.
Il y a un grand lit recouvert d'une fourrure orange, j'essaie d'ouvrir un compte internet sur mon Iphone à l'un d'eux, pour qu'il puisse communiquer avec sa famille, il a un bandage au bras, souvenir d'un coup de matraque de la police. L'autre, le menton à peine duveteux, s'assied très près de moi, comme un chiot qui aurait besoin d'un contact physique maternel. Je lui explique quand même que je suis grand-mère, et je m'en vais le cœur serré, ils sont bien jeunes loin de chez eux, sans personne. C'est pas facile.
Plus loin encore deux graffeurs franco-anglais dessinent sur un mur de bois, des mots choisis par les gens des slums. Il y a de la musique, un peu de bière, et de la vie, un concentré de vie.

Le lendemain, visite à l'auberge des migrants, c'est dans un grand entrepôt que sont déballés, triés consignés les vêtements, les couvertures, et la nourriture destinée aux migrants.
Ici, les volontaires, anglais en majorité, s'agitent pour gérer toute cette matière.
C'est l'univers du don de la gratuité, tout le monde est en ouverture, tu veux faire quelque chose, c'est simple tu le fais, tourné sur le besoin de l'autre, Tu le fais pour les autres mais tu le fais aussi pour toi. Tous ces sentiments positifs génèrent une atmosphère particulière. Les gens viennent s'installer pour plusieurs mois, avec leur camion ou leur caravane. Même si ce n'est pas toujours rose de côtoyer une population en état de choc.
Certains Érythréens semblent accéder à une certaine sérénité, tapent le carton sur une table recouverte d'une couverture, pendant qu'une bouteille en plastique posée contre le poêle chauffe l'eau du thé.
Voilà, tu arrives dans une cabane pour discuter, et on te donne, on te donne, il y a beaucoup d'attention des gens les uns pour les autres, c'est ce que j'ai vu.

Avec le recul on se rend compte qu'au travers de l'action humanitaire et l'action artistique qui se développe dans le camp chacun cherche sa place, ils sont nombreux ceux qui sont venus aider il y a six mois et se sont installés là pour construire, nourrir, réchauffer, instruire, divertir, parce que c'est une chance qu'il faut savoir saisir pour être utile, pour avoir l'occasion de déployer sa créativité, de façon simple et immédiate dans cet ilot à part, enclave particulière au cœur de notre société, policée, trop sophistiquée qui ne fait que contrôler, brider, compliquer la moindre initiative.
Alors oui, c'est sûr, même au cœur de l'action humanitaire, les égos et les rivalités s'expriment, et ça n'en est que plus dérisoire.
Ce qui compte c'est cette ouverture et cette fraternité qui se développe au jour le jour entre les volontaires qui donnent, et la gentillesse de manière de ces orientaux, ce désir d'ouverture et de communication de part et d'autre.
Dans la jungle, tu peux y voir la merde, la boue, la pourriture, la déchéance, mais regardes plutôt, l'ouverture, la solidarité, le désintéressement, l'empathie, la gentillesse, la bonté pure, la fraternité entre les peuples et les cultures. C'est ça la direction."

Cl@ire
Calais le 06 /02 /2016

 

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18/02/2016

Les instructions d'Ashraf Fayad

 

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On a tous entendu parler de ce poète et artiste palestinien, Ashraf Fayad, condamné à mort le 17 novembre dernier en Arabie saoudite pour ses poèmes 'apostats' et des propos "destructeurs" tenus dans un café d'Ahba, une ville du sud du pays. Après la mise en branle du Pen-club et d'intellectuels et particuliers du monde entier, l'Arabie saoudite a fait machine arrière en commuant le mardi 2 février 2016 la peine capitale en huit ans de prison et huit cents coups de fouet. Peine tout aussi atroce, jugement tout aussi inique contre lesquels il y a lieu de réagir une fois encore.
Une sélection des poèmes incriminés - ils ont naturellement été la pièce à charge pour les juges -, Instructions, à l'intérieur, publié par Far al-Farabi en 2007 paraît aujourd'hui en France. C'est en soutien à Ashraf Fayad que nous vous proposons de l'acquérir, en souhaitant que l'éditeur multiple les effets de son et de votre geste militant, un geste partagé par le traducteur, Abdellatif Laâbi, lui-même sorti des geôles marocaines en son temps (c'est lui qui a fait le choix des poèmes du recueil initial imprimé au Liban).
Né en 1980 à Gaza, Ashraf Fayad est le descendant d'une longue tradition de poètes arabes intempestifs et jouisseurs, audacieux et libres. Il est lui-même un poète parfois satirique, dont l’œuvre dit le désarroi de l'individu, ici en terre arabe, parmi les réfugiés ou couvert de pétrole.

Les globules noirs
du pétrole
se promènent entre tes cellules
Ils réparent
ce dont ta nausée
n'a pas réussi à te débarrasser



Ashraf Fayad Instructions, à l'intérieur. Poèmes traduits de l'arabe par Abdellatif Laâbi. — le Temps des Cerises-Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne, 2016, 80 pages, 10 €. (Pour toute commande groupée effectuée par une association, le prix à l'exemplaire : 6 euros).

 

Source : http://www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/index.php/post/2016/02/16/Ashraf-Fayad

 

 

 

 

Dans la jungle de Calais, ce jeune Afghan de 14 ans a été violemment agressé.

Son regard passe de la femme qui l’interroge en anglais à l’interprète qui lui traduit les questions, sans doute en dari, la langue la plus répandue en Afghanistan. Une lampe éclaire faiblement son visage, comme dans un tableau de Georges de La Tour. Ishak a 14 ans. Son père a été tué par les talibans, qui se sont saisis de l’adolescent pour le placer dans une « madrassa », une école religieuse et militaire. Son oncle l’en a sorti et l’a confié à un ami pour qu’il le conduise jusqu’à son frère, en Angleterre. Mais depuis trois mois, Ishak est coincé dans la jungle de Calais. C’est là que Christophe Ruggia, l’un des cinéastes de l’Appel de Calais, qui rapportent sans discontinuer des images pour témoigner, l’a filmé le 9 février. On peut visionner ce petit film sur la page Facebook de l’Appel de Calais.

Dans une première partie, Ishak raconte les conditions de son voyage, les coups reçus des passeurs, la peur, les tirs des policiers iraniens à la frontière (précise l’interprète, passé lui aussi par là), ses 14 jours de prison en Bulgarie. Puis on assiste à la déposition d’Ishak, en vue d’un dépôt de plainte contre X, car, trois semaines plus tôt, il s’est fait violemment agresser par une « milice » près du bidonville. Quatre hommes cagoulés, dont trois habillés en policiers, l’ont roué de coups avec des matraques, sur les jambes, les genoux, la tête, lui ont écrasé les mains et le visage. Ishak en garde encore des traces, des points de suture en haut du front, des douleurs dans les jambes, des migraines, des troubles auditifs.

Quelle est l’enfance d’Ishak ? Sa mère et sa sœur, dont il est sans nouvelles, sont restées en Afghanistan. Il est seul à Calais. Il a 14 ans. Et me fait penser à Jean-Pierre Léaud au même âge, devant la caméra de François Truffaut, pour des essais en vue du premier film de celui-ci, Les 400 coups. Dans la France de 1958, le jeune Léaud était un bourlingueur. Se débrouillant pour venir seul à Paris, fuguant de la pension où il était placé. Léaud était Antoine Doisnel. Dans la France d’aujourd’hui, Antoine Doisnel s’appelle Ishak, est afghan, exilé, démuni, roué de coups. Il est la lie de l’humanité.

 

http://www.politis.fr/articles/2016/02/les-400-coups-dishak-34128/

 

 

 

 

 

Paris : un célèbre herboriste condamné pour «exercice illégal de la pharmacie»

lamentable condamnation...

Source : Le Parisien

| MAJ :

 
 
 

Il affirmait pouvoir combattre 80% des maladies avec des plantes : l'herboriste Jean-Pierre Raveneau a été condamné ce mercredi à un an de prison avec sursis pour «exercice illégal de la pharmacie en récidive».

Le tribunal correctionnel de Paris l'a également condamné pour «commercialisation ou distribution de médicaments (...) dépourvus d'autorisation de mise sur le marché, ouverture d'un établissement pharmaceutique sans autorisation et contrebande de marchandises prohibées». Il a assorti la condamnation d'une mise à l'épreuve de trois ans.

Un an de prison ferme et 50.000 euros d'amende avaient été requis à son encontre.

Tisanes, huiles essentielles… dans cette célèbre herboristerie parisienne de la rue d'Amsterdam (VIIIe), près de la place Clichy, une des plus vieilles d'Europe, les amateurs pouvaient se fournir, entre balance en cuivre et pilon, en plantes médicinales en vrac et en mélanges préparés sur place dans un petit laboratoire.

Hypertension, virus H1N1, troubles de la prostate, psoriasis, paludisme, fibromes, herpès génital ou constipation extra-forte, Jean-Pierre Raveneau expliquait à ses clients pouvoir combattre 80% des maladies.

Un combat contre le «monopole pharmaceutique»

Problème, depuis 1941, la loi réserve aux seuls pharmaciens de l'ordre et à leurs officines le quasi-monopole de l'exploitation des plantes médicinales à l'exception de 150 d'entre elles, jugées non-toxiques. Le dernier herboriste diplômé a lui disparu en 2000 à 95 ans. Et Jean-Pierre Raveneau, bien que docteur en pharmacie, n'était plus inscrit à l'ordre et n'exerçait pas dans une officine.

«J'ai toujours estimé qu'il était possible avec un diplôme de pharmacien d'exercer dans l'herboristerie», avait justifié Jean-Pierre Raveneau à l'audience, expliquant avoir passé une bonne partie de sa vie à s'opposer au «monopole pharmaceutique» en obtenant la déclassification de la vitamine C, de minéraux et d'oligo-éléments, assimilés auparavant à des médicaments.

Mercredi, le tribunal a également condamné la propriétaire de l'établissement et d'une autre herboristerie parisienne, Nicole Sabardeil, à trois mois de prison avec sursis et 2000 € d'amende et sa société Pharma Concept à 50 000 € d'amende. Un revendeur, Mamadouba Camara, a écopé de 3000 € d'amende avec sursis. L'ensemble des prévenus devront en outre verser solidairement 2000 € de préjudice moral à l'ordre des pharmaciens qui s'était constitué partie civile.

«Mon but a toujours été d'apporter du bien-être»

«Pour vendre les produits retrouvés dans leurs herboristeries, M. Raveneau et Mme Sabardeil auraient dû être inscrits à l'ordre des pharmaciens», a jugé le tribunal. Leurs établissements ne sont pas des officines alors qu'ils dispensaient au détail «des médicaments» et qu'on y exécutait «des préparations magistrales ou officinales».

«M. Raveneau a constitué un circuit parallèle en suivant la mode des médecines alternatives», avait expliqué à l'audience un contrôleur de l'agence régionale de santé. «Les plantes, c'est l'origine du médicament. Elles ont des vertus mais peuvent aussi être du poison. En 2009, on avait dit à Raveneau qu'il exerçait une activité illégale, il n'en a pas tenu compte.»

«Je ne délivre pas d'ordonnances, rien que des conseils. J'ai vendu des plantes et des mélanges mais pas des médicaments. Mon but a toujours été d'apporter du bien-être. Quand je parle de combattre (une maladie), c'est s'y opposer mais je n'ai jamais prétendu guérir telle ou telle pathologie», avait plaidé le prévenu.

 

 

16/02/2016

« Le soufisme peut être un rempart à l’islam radical »

 

 

 

Un membre d'une confrérie soufie à Massin, non loin de Timimoun, dans le sud algérien.
Un membre d'une confrérie soufie à Massin, non loin de Timimoun, dans le sud algérien. Crédits : Zohra Bensemra / Reuters

Faouzi Skali est un chercheur qui conjugue ses travaux universitaires avec sa quête spirituelle. Docteur en anthropologie et sciences des religions, il est l’un des plus grands spécialistes du soufisme, tradition ésotérique de l’islam. Auteur entre autres de Jésus dans la tradition soufie (Albin Michel, 2013), il est lui-même adepte d’une confrérie, la Butchichya. Il a fondé et dirigé pendant vingt ans le célèbre festival des musiques sacrées dans sa ville natale de Fès. Depuis 2007, il préside un autre festival, celui de la culture soufie, dont la 9e édition se déroule du 18 au 25 avril à Fès.

 

À travers votre festival, vous défendez le soufisme. Est-il en péril ?

Dans l’ensemble du monde musulman, de l’Asie à l’Afrique, la culture soufie est très largement majoritaire. Pourtant, son patrimoine spirituel, artistique et littéraire demeure souvent absent de la vie publique.

« L’islam dans sa dimension spirituelle et culturelle, nous en entendons finalement peu parler. C’est pourtant le quotidien de centaines de millions de personnes »

Les tragiques événements récents, commis par des individus qui se revendiquent d’une idéologie wahhabite et d’une conception réductrice et extrémiste de la religion, monopolisent l’attention de l’opinion publique. Les musulmans eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans cet islam. Comment s’identifier à ces actes barbares perpétrés à Mossoul, au nord du Nigeria, à Paris ou ailleurs ? Il y a un effet d’optique qui inverse la réalité de l’islam vécu et pratiqué. Il me semble donc que le soufisme a besoin d’être soutenu, expliqué, débattu, pour faire valoir sa réalité dans le quotidien.

 

Cérémonie des derviches tourneurs au Caire, le 10 décembre 2009.
Cérémonie des derviches tourneurs au Caire, le 10 décembre 2009. Crédits : REUTERS

La spiritualité peut-elle faire face aux pulsions destructrices ?

Il est urgent de changer la perception de l’islam car certains musulmans peuvent finir par croire que la réalité est celle des écrans d’ordinateurs qui diffusent les crimes filmés par les extrémistes eux-mêmes.

Lorsqu’on dit que l’islam est tolérant et ouvert aux autres religions, cela peut sembler un discours minoritaire et un peu naïf. J’avais créé le festival des musiques sacrées de Fès pour en apporter une démonstration. Ce festival était en symbiose avec cette ville, en harmonie avec son histoire spirituelle, son héritage arabo-andalou et sa multi-culturalité.

Il me semble crucial de réveiller cette tradition de l’islam spirituel qui est le quotidien de centaines de millions de personnes. En témoigne par exemple la tradition soufie populaire, les rites du samâ (danse rituelle), les chants et les musiques. Ou encore la diffusion des œuvres du mystique persan Djalâl ad-Dîn Rûmî, du penseur Ibn Arabi, de l’émir Abdel Kader et de beaucoup d’autres. C’est loin d’être marginal. Mais si beaucoup connaîssent Ibn Arabi, combien le lisent vraiment ?

Vous entendez faire de Fès l’un des lieux majeurs d’une sorte d’internationale soufie pour contrer l’influence du wahhabisme très forte en Afrique ?

Ce serait trop restrictif de dire que c’est pour contrer le wahhabisme dont l’histoire, très récente [18e siècle], ne peut être comparée à la richesse du patrimoine soufi [né en même temps que l’islam au 8esiècle].

« Il faut voir le désarroi de nombreux musulmans qui ne comprennent pas le rapport de Daech avec l’islam »

Pour simplifier : de la même manière que l’Arabie saoudite est exportatrice du wahhabisme, le Maroc, qui est imbibé de soufisme, a vocation à contribuer à son rayonnement en Afrique.

Toutefois, les Marocains ne sont eux-mêmes pas épargnés par la pénétration d’autres courants islamiques et ils ont eux aussi besoin de repères. Fès est donc un lieu qui permet une réflexion et une expression libres. C’est un écrin de la civilisation islamique, face au désarroi dans lequel Daech plonge de nombreux croyants.

 

Un membre de la confrérie tijanya se recueille devant le tombeau du fondateur  Cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès le 14 mai 2014.
Un membre de la confrérie tijanya se recueille devant le tombeau du fondateur Cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès le 14 mai 2014. Crédits : AFP

Pour les non-initiés, le soufisme peut paraître confrérique et même fermé. C’est ce qui explique sa confidentialité ?

L’histoire du soufisme est d’abord populaire. Autrefois, le soufisme était culturel et naturellement intégré dans le quotidien des musulmans. Cette réalité est toujours très présente, mais elle est moins perceptible dans la culture moderne.

« Je pense et je veux croire qu’il y a un besoin de spiritualité chez les jeunes dont une partie est détournée par des groupes extrémistes. Il nous faut donc faire rempart, par la spiritualité »

Avec ce festival, par-delà les limites de telle ou telle confrérie, nous ramenons cette réalité sur la place publique. À Fès, des liens très forts existent avec la grande mosquée de la Qarawiyine, avec la Tariqa Tijanya dont le tombeau du fondateur Cheikh Ahmed Tidjane Chérif, se trouve dans la ville et donne lieu à un pèlerinage. L’islam soufi de rite malékite irrigue l’Afrique de l’Ouest et la relation historique est très profonde entre les confréries et les théologiens de part et d’autre du Sahara.

Je crois qu’aujourd’hui il faut aller au-delà du soufisme maraboutique et confrérique. En Afrique, je rencontre beaucoup d’érudits qui sont parfois gênés que l’islam ne soit réduit qu’à cela. Or il y a d’autres richesses dans notre civilisation en partage : la science, l’art…

Comment contrer le prosélytisme de groupes islamistes radicaux qui maîtrisent les moyens de communication modernes ?

Les islamistes radicaux sont au fond très matérialistes parce qu’ils proposent une consommation de l’extrémisme. Ils font du business, s’accaparent du pouvoir politique et économique au nom de la religion dont ils n’extraient que l’aspect matérialiste. Le djihadisme est le fils monstrueux de l’ultra-libéralisme.

Je pense et je veux croire qu’il y a un besoin de spiritualité chez les jeunes dont une partie est détournée par ces groupes. Un jeune qui ressent un besoin de quête spirituelle peut être embrigadé. Il nous faut donc faire rempart par la spiritualité.

 

Des soufis soudanais à Omdurman, en avril 2010.
Des soufis soudanais à Omdurman, en avril 2010. Crédits : Ahmed Jadallah / Reuters

Quid de l’instrumentalisation politique du soufisme par les Etats ?

Au Maroc, le roi Mohammed VI reconnaît et soutient le soufisme comme pilier de l’histoire du pays. En Algérie pendant longtemps, les autorités ont fait reculer le soufisme et le patrimoine de la pensée de l’émir Abdelkadder était presque ignoré. Aujourd’hui, le soufisme y est revalorisé. Est-ce une instrumentalisation ? En Tunisie aussi, le soufisme a été mis à mal mais on constate désormais un regain d’intérêt de la part des autorités. Défendre un patrimoine culturel soufi est une urgence qui échappe à des velléités d’instrumentalisation politique. Au fond, c’est une guerre culturelle.


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/04/le-soufisme-un-rempart-a-la-barbarie-des-extremistes_4587212_3212.html#Kb4Pi4gHbjgKdGqk.99
 
 
 
 

09/02/2016

Accepter la fragilité (José Manuel Torres Funes traduit en français par Laurent Bouisset)

Sourcehttp://fuegodelfuego.blogspot.fr/2016/02/accepter-la-frag...

 

 

Migration, toile photographique de Nicolas Guyot
 
 
 
Du Honduras maintenant, ou plutôt de Marseille, car il y habite maintenant, José Manuel Torres Funes nous a envoyé le manuscrit d'un essai intitulé Escribir la vida / Écrire la vie. Nul doute qu'il s'agit là d'une pièce majeure dans une œuvre comportant des poèmes, des nouvelles et aussi un roman sur le point d'être publié en France et en français par Jacques Aubergy des éditions L'Atinoir. Pièce majeure oui, car tentant une synthèse impressionnante entre de multiples expériences : journalistiques, politiques, littéraires, mais aussi et surtout personnelles, comme si ces éléments épars – tous d'une intensité exceptionnelle d'ailleurs – parvenaient peu à peu à s'agglomérer avec l'âge et osons le mot : la maturité. Les écrits à venir de cet auteur rigoureux s'annoncent passionnants. En attendant d'en lire bien plus, voici quelques fragments de son essai nous invitant à réfléchir au sens à donner à la fragilité, à l'heure où l'instinct de vengeance (qui n'est sans doute pas mort avec Sophocle) afflue et trompe.
 
Écrire en tant qu'Honduriens contre la haine
 
« Je voudrais t'offrir (…) le logis de mon crâne, lamentation déchirée, molécule de chair infime jamais humiliée (…). »
Clementina Suárez
 
Depuis l'âge de sept ans, je me demande pourquoi les discours de haine ont des racines si profondes au Honduras. Bien sûr, je ne le pensais pas en ces termes alors ; ma curiosité se limitait à savoir pourquoi certains de mes camarades de classe avaient autant d'aptitude à humilier les autres – n'hésitant pas à me choisir moi-même comme victime dans certaines occasions.
 
Les réflexions ne manquent pas sur la violence comme phénomène, mais l'ignorance est assez grande quant aux impacts de la haine qui, je le crains, nous est inoculée et reste imperceptible à nos regards superficiels.
 
Sa dégradation la plus brutale et la plus évidente se manifeste dans le mépris systématique et flagrant pour la vie humaine, cependant par-delà même cette violence – qui un jour trouvera son terme – la haine marque le pays comme une espèce de vérole dont les cratères et les cicatrices ne disparaîtront jamais.
 
Cela n'a ni commencé ni terminé avec les massacres ou le coup d’État de 2009, « ce sont de vieilles rancœurs », comme dirait Juan Rulfo.
 
A la différence de la violence, qui est explosive, la haine dévore les entrailles en attaquant en premier le plus précieux : l'intérieur. Et nous autres, comme société, nous avons toléré qu'elle nous dévore les tripes et souille nos idées avec son eau contaminée.
 
Nous nous sommes habitués à vivre avec elle et quand il lui arrive, pour une raison ou une autre, de s'absenter, nous nous demandons où elle est et nous la cherchons jusqu'à la retrouver.
La haine indigne, germine, se ramifie, se transforme, se cache, contamine ; la violence agresse et quand elle explose chargée de haine, elle est plus dure encore.
 
Dans nos sociétés (j'étends cette notion jusqu'à parler du monde entier) la haine occupe une fonction spécifique. Pour commencer, c'est un leitmotiv politique et économique efficace qui profite des résistances et des obstacles qui nous empêchent d'observer les problèmes comme résultant d'une totalité (observable sous différents angles) en nous amenant à conclure qu'il conviendrait plutôt de les aborder de manière séparée et indépendante.
 
Cette vision a ôté tout espoir aux désirs de pluralité, parce qu'en lieu et place d'un processus d'intégration et de lutte contre les inégalités, nous avons toléré que cet amas de haine, en théorie qui devrait se dissoudre au sein d'un développement humain authentique, au contraire s'accumule, pire encore : se transmute.
 
Dès l'enfance, nous apprenons que la vie, comme droit fondamental, est une loi qui peut ou même doit, « à titre exceptionnel », être ébranlée. Le simplisme des discours implacables banalisant la vie – et la mort aussi dans le même temps – s'apprend très tôt.
 
Pas plus l'école que la famille (quand ces deux entités ne font pas simplement défaut) n'ont la force d'octroyer à l'individu les outils nécessaires pour identifier et repousser ces mécanismes sociaux qui détruisent le concept d'être humain. A temps complet, nous sommes exposés à l'inégalité et à traiter les autres ou à être traités par les autres comme des sous-hommes. Dans cette perspective, nous sommes un pays sauvage, où le respect de l'intégrité humaine passe au deuxième ou troisième plan. La première responsabilité de cette faille en incombe à l’État et son système judiciaire désastreux, la deuxième à nous-mêmes.
 
Nous avons à disposition – malgré toutes les limites de nos capacités à produire un raisonnement – un corpus théorique qui explique et nous met en garde en permanence contre les ramifications de la haine, qui fouille les obscures profondeurs de « l'hondurénité » et qui a cherché, du fond de sa marginalité, à déchiffrer la rudimentaire machine discursive – infaillible – qui a perfectionné ces discours. Sans aucun doute, divers travaux en sciences sociales ou artistiques ont donné des clés permettant de comprendre nos drames, cependant, nous n'avons pas encore entamé le projet nécessaire d'une « archéologie du savoir » qui les reconstitue pour les rendre plus visibles.
 
La pensée contre la haine est manifeste dans l’œuvre d'un Ezequiel Padilla Ayestas, qui constamment dévoile ces deux fissures, même si la partie la plus intéressante de son œuvre est celle qui nous dépeint comme des êtres fragiles et nus.
 
Nous sommes nus parce que la brutalité de la haine supprime nos idées, écrase notre pensée, nous met à mal comme êtres humains, pour qu'une fois foutus en l'air nous nous vendions pour quelques miettes.
 
Si nous n'avons pas conscience de notre fragilité, nous ne pourrons nous défaire de l'emprise de la haine et deviendrons les porte-parole de ce qui nous paraît aujourd'hui injustifiable.
 
Notre fragilité, nous devons l'assumer comme un exercice permanent, sans jamais nous situer comme victimes, mais comme victimes potentielles, susceptibles de se convertir en bourreaux. Il faut imaginer le mal, comme le disait Hannah Arendt, ou sinon nous nous tournons vers lui sans le savoir.
 
Les premiers vers du poème « La parole » de José Rivas décrivent un cheminement métaphysique qui s'avère être aussi celui de ce penseur méprisé qui, malgré toute sa profondeur, n'est pas, n'a pas été et craint de ne jamais être écouté suffisamment.
 
« Poète ? Non. En vérité, je ne crois pas.
Visionnaire ? Non plus. Je sens déjà
Qu'au rythme où dans l'oubli je tombe
L'éternité me vole ce que je vois. »
 
 
Deux questions
 
Je propose une lecture de la haine partant de deux questions qui nous aident à nous élever jusqu'à une vision plus claire de nos racines.
 
La première question est la suivante : peut-on ou doit-on tuer un ennemi pour libérer le peuple ? Je m'interroge ici sur le raisonnement à la base des processus révolutionnaires (qu'ils aient échoué ou non), depuis la construction du concept de république aux origines de notre fondation nationale, jusqu'à la rhétorique qu'emploient de manière très fréquente les nouveaux représentants de la « gauche ».
 
A pareille question, on peut répondre en empruntant aux processus et idéologies produits par les expériences de guérilla dans notre pays (au Honduras) et dans les pays voisins (surtout), étant entendu qu'il s'agit là de mécanismes de pensée n'ayant pas connu la moindre évolution – positive – depuis près de quarante ans. D'ailleurs, ce n'est que la silhouette de cette pensée qui s'est maintenue, et non le fond. La réponse habituelle, dans cette perspective, est oui : on peut tuer au nom d'un processus de « libération », il s'agit même d'un « trésor philosophique », certes réservé aux seuls pauvres, mais leur assurant la prise du pouvoir. En d'autres termes : les pauvres se « libèrent », ou bien nous les « libérons », non pas pour qu'ils deviennent des « citoyens » mais des hommes « libres », comme si l'objectif final – et non initial – était de les sortir de l'esclavage. Désir brûlant de « liberté » en somme, et non de « citoyenneté ».
 
La deuxième question, je la propose depuis l'autre camp : Peut-on, doit-on tuer pour protéger notre liberté ?
 
La « liberté », dans ce sens-là, n'est pas un concept philosophique, c'est une invention juridique qui repose sur l'acceptation d'un « état des choses » validé par une inégalité assumée et acceptée. Nous revenons jusqu'aux origines du maintien et de la répartition de la propriété, quand certains sont devenus les heureux bénéficiaires et la majorité la main d’œuvre d'un système féodal qui continue à se reproduire de nos jours, appuyé par des structures qui se sont avérées inébranlables. C'est-à-dire que se sont transformées les lois du marché et non les structures du pouvoir. Le libéralisme, le militarisme ou le bipartisme en gestation, ainsi que le néolibéralisme actuel protègent et garantissent cette « liberté ». La réponse est oui : on peut, on doit tuer si notre « liberté » – c'est-à-dire nos biens – se voient tout à coup menacés.
 
Dans notre cas, sans exclure le fait que la première question a généré de la haine, c'est plutôt la seconde qui a prédominé au long de notre histoire. Les massacres commis par le crime organisé peuvent d'ailleurs également s'interpréter dans cette perspective.
 
Cela semble évident de dire que, si nous n'introduisons pas dans nos dynamiques politiques, culturelles et sociales un autre type de questionnement, nous continuerons ainsi, sans jamais changer notre histoire. L'idée serait plutôt d'entrer en rupture avec elle, non ?
 
Tuerons-nous pour qu'ils ne nous tuent pas ? Tuerons-nous pour qu'ils ne nous ôtent pas ce que nous sommes ? Tuerons-nous pour obtenir ce que nous n'avons jamais eu ? Nous tuerons-nous nous-mêmes pour qu'ils ne nous tuent pas ? Les tuerons-nous pour ne pas qu'ils nous tuent ? Les tuerons-nous pour qu'ils ne se tuent pas entre eux ? Nous tuerons-nous nous-mêmes pour ne pas nous tuer nous-mêmes ?...
 
 
Un « je » qui se questionne
 
Adolescent, je rêvais du Che, je me demandais ce qu'il avait bien pu voir, ce qu'il avait bien pu penser au cours de sa vie, comment il avait nourri son idéal révolutionnaire. A l'occasion d'un voyage en Argentine, je suis allé interviewer un vieil ami à lui, Rogelio Garcia Lupo, l'auteur du Métier secret de Che Guevara, ancien ami également de Rodolfo Walsh, grand journaliste dont m'a toujours parlé mon père et qui est mort un pistolet à la main...
 
Je lui ai demandé : « Quelles étaient, d'après vous, les limites que le Che imposait aux idées, non pas à ses idées en particulier, mais aux idées en général ? Jusqu'où, jusqu'à quel point les idées pouvaient-elles légitimer ses actes ? »
 
Il a évité ma question avec amabilité, me disant qu'il était fatigué. Je pouvais voir sur son visage le rictus de l'ancien qui craint d'être questionné, pas forcément à cause de moi, peut-être en raison de son âge et de son état de santé qui l'empêchaient d'atteindre son plus haut niveau de réflexion. Mon intention n'était pas de le gêner pourtant, je ne cherchais pas non plus à entacher son parcours ou celui du Che.
 
Cela m'intéressait simplement d'écouter l'opinion de quelqu'un qui, en plus d'avoir écrit sur lui, avait connu son visage, sa voix, ses yeux, éléments tout sauf anodins qui, face à la personne, aident à mieux découvrir de quoi sont faites ses erreurs et ses réussites.
Je crois que je comprends mieux, maintenant, à quel point le Che, avant de croire en ses idées, s'en éprenait, chose qui, à la lumière de ma propre évolution intellectuelle, me paraît une erreur.
 
Quand il m'arrive de m'imaginer en train de marcher à ses côtés, je me rends compte que je le respecte, que j'admire son courage, sa volonté, son amour, mais en apercevant le fusil que je tiens dans mes mains, je me demande si je suis vraiment disposé à tuer quelqu'un qui s'oppose en tout point à mes idées, quelqu'un que je considère comme mon « ennemi », quelqu'un que peut-être je ne hais pas – ou peut-être si – mais qu'en raison de cette cruauté de la vie, je dois éliminer si je ne veux pas mourir moi-même ; quelque chose de plus fort que les idées me rend incapable de tirer : la peur et la douleur de ma victime, dont le visage face à moi est tordu d'angoisse.
 
 
Accepter la fragilité.
 
Je me dis que la simple vision d'un visage en train de mourir m'empêcherait d'être la personne que je suis, ébranlerait tout en moi, à commencer par mes idées, parce qu'elles cesseraient d'être le complément de ma vie, pour devenir le carburant m'aidant à combattre ma propre mort. Ce n'est pas la même chose.
 
Ce n'est pas tant que j'aime le visage de l'autre d'une manière évangélique, encore moins que je sois sujet à la compassion, aucun sentiment chrétien ne doit être relié à ça.
 
Il s'agit de quelque chose d'intérieur, de profond, leçon à la fois parallèle et opposée à celle de « l'exceptionnalité » de l'assassinat, dont je ne peux non plus arracher les racines en moi, parce que cette fragilité est également brutale et simple. Je ne peux supporter de percevoir l'humiliation sur le visage de quelqu'un.
 
Et mourir entre les mains de quelqu'un d'autre, c'est mourir humilié, parce que toute idée ayant pour finalité d'entraîner la mort humiliera toujours la vie d'une manière irréparable, or la vie représente ce qu'à mes yeux nous avons de plus respectable et d'incommensurable.
 
Jusqu'à quel point peut-on, dès lors, tolérer l'humiliation qu'un être humain inflige à un autre ? Jusqu'à quel point, avant « d'entrer en action », avant de « châtier », avant de « revendiquer », avant de salir à jamais le manteau des idées, avant donc tout cela qu'il faut écrire en guillemets, doit-on supporter l'injustice ?
 
Personne ne peut prétendre, après avoir ôté la vie à un de ses semblables, quand bien même ce geste aurait visé à éviter une autre mort, qu'il restera le même, intact. Il faut pouvoir l'assumer, cela. Pour ce qui est des autres questions, je ne saurais m'aventurer à y répondre.
 
Rester debout après avoir tué, continuer à avancer, devenir même plus fort, tout cela ne proviendra jamais du simple instinct vital ; après avoir tué nous apprenons à vivre en nous nourrissant de la mort.
 
On ne dit pas sans raison que les soldats les plus forts sont ceux qui ont une expérience de terrain, une expérience directe du champ de bataille, parce que ce sont ceux-là qui ont provoqué la mort.
Mais ce que l'on ne peut nier, c'est que ce soldat fort ne peut être poussé exclusivement par un instinct vital, bien au contraire, si c'était le cas, il serait incapable de faire la guerre.
 
Ce que cette époque funeste est en train de détruire, c'est cet instinct vital, cette idée de la vie innée dans toute société, pour imposer la pulsion de mort, comme si nous étions en guerre, parce que nous sommes en guerre. Notre société se convertit en une nécropole qui s'alimente de la mort pour continuer, bien qu'il y en ait aussi pour croire honnêtement qu'en rendant la mort publique on la supprimera.
 
Comme je résidais en France au moment des attentats terroristes qui l'ont secouée en 2015, j'ai pu observer comment les discours de haine s'imposent, en nous poussant à tout prix à choisir la mort comme la meilleure issue pour régler les problèmes (tant du côté officiel que des terroristes).
 
Les villes se construisent dans la haine. Les campagnes se dépeuplent à cause de ce phénomène de migration qui traverse l'horreur pour échapper à la misère et à la souffrance, alors même que le seul gain d'une telle fuite, où que l'on aille, est davantage de destruction et encore moins de vie. La terre sent le départ, la fumée, la faim.
 
Quand j'ai commencé à écrire de la littérature, la confrontation brutale avec la réalité que nous découvrons en devenant adultes a commencé à souder mes premières images littéraires. La première chose qui est apparue dans ma tête, c'est l'odeur de la guerre. Peu à peu, j'ai commencé à découvrir, alors que je m'étais glissé dans la peau d'un survivant qui parcourait un champ jonché de débris humains, que j'étais le témoin d'un génocide.
 
Nous avions presque tous été exterminés. Dans cette œuvre de fiction, je sortais un pistolet et je tirais en l'air, dans l'espérance que quelqu'un me réponde par un autre coup de feu. « J'ai besoin que quelqu'un me tue ! » m'exclamais-je, et je continuais à tirer jusqu'à épuiser les balles de mon pistolet, sans que personne, pas même un oiseau, ne se manifeste à l'horizon.
 
José Manuel Torres Funes, fragments tirés de l'essai encore inédit Escribir la vida, 2016
Traduction de Laurent Bouisset
 
 

L’essence du monde

 

 

Des diplodocus broutent

Les racines des bao-

babs morts vingt mille lieues sous

Le trajet du pétro-

lier qui s’est échoué dans

l’Atlantique en première

page du Monde à la caisse

de la station essence

 

 Perrin Langda

 

 

Lieu du larcin : in Quelques microsecondes sur terre

Les Tilleuls du Square/Gros Textes 2015. 77 pages, 7 €.

 

08/02/2016

Lettres à ma génération de Sarah Roubato

 

Michel Lafon, 28 janvier 2016

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140 pages, 10,95 €.

 

 

Je fais partie des personnes dont Sarah Roubato parle dans sa deuxième lettre, qui raconte l’histoire de la première, Lettre à ma génération, celle qui donne son titre à l’ensemble du livre. C’était juste après les attentats de novembre 2015 à Paris, le choc, les réactions à chaud, les récupérations à tout va, le grand bombardement médiatique, et ce besoin de prendre une bolée d’air au-dessus de la mêlée, ne pas se laisser entraîner par cette grande vague émotionnelle, dont Naomi Klein parle si bien dans son livre La stratégie du choc.

 

Légitime cette vague, cette indignation, mais trop uniforme, trop vite canalisée, avec des couloirs de pensée obligatoire, ne laissant pas le temps de la réflexion, de la dignité même, ne serait-ce que par égard pour les familles des victimes. Bref, c’est dans ce grand tohu-bohu que je suis tombée sur la lettre de Sarah, publiée sur Médiapart, et cet article comme quelques autres, m’a fait un bien fou car il résonnait déjà avec mes propres réflexions et avait justement cette sorte de recul, de lucidité à contre-courant du tsunami de la pensée unique, cette lettre « c’était une réaction à la réaction » et cette réaction m’a tellement plu que je l’ai relayée aussitôt. C’est comme ça que je suis entrée en contact avec Sarah Roubato, dont la démarche et le travail découvert dans la foulée et surtout la façon dont elle les définissait, m’ont paru des plus intéressants. Et puis voilà que cett lettre réapparait dans un livre, « ruminée par l’écriture littéraire (…) pétrie et reposée de l’urgence ».

 

«  je ne suis qu’une lettre d’opinion, pas un essai. Je suis juste une petite lampe de poche qui essaie d’éclairer ce qui était trop souvent laissé dans l’ombre », et cette fois, elle est suivie de tout un ensemble de lettres, dont l’originalité tient, en plus de la personnalité bien marquée de leur auteur, à leurs destinataires : la deuxième donc est une lettre à internet, qu’elle interpelle ainsi « Machin, ça fait longtemps qu’on se connait et pourtant, je ne te comprends pas toujours » et c’est dans cette lettre qu’elle raconte le buzz, comme on dit, qui avait suivi la publication en ligne de Lettre à ma génération. Et puis on découvre d’autres lettres, comme celle à certains marchands parisiens, qui aborde de façon un peu inattendue, les questions d’identité, d’origine et de faciès, inattendue en tout cas pour ceux qui n’auraient pas cette bonne habitude de chercher à voir les choses depuis tout un tas de points de vue différents.

 

Ce qui est vraiment très appréciable chez Sarah Roubato, c’est qu’elle n’hésite pas à tout interroger, tout remettre en question, un peu comme une enfant qui aurait échappé au formatage, dont la pensée serait restée libre et fonctionnant à plein régime, des facultés intactes où la connexion entre cœur et esprit n’est pas altérée. C’est sain et c’est jouissif de voir que cela existe encore. Une enfant avec une vieille âme, dotée d’une intelligence vive, un regard aiguisé, une belle curiosité issue d’un véritable intérêt pour les autres. Et du courage aussi, car il en faut pour rester soi-même et aller à contre-courant de la pensée unique, de la pensée qui se croit forte parce qu’affranchie de ce qu’elle taxe d’humanisme arriéré, comme si c’était une tare d’être sensible à la bonté, à la souffrance, de respecter tous les êtres vivants, et surtout les plus fragiles.

 

Ainsi Sarah écrit aussi à son indifférence, celle qui permet de passer « à travers de ce satané monde », d’échapper à l’afflux permanent et intenable d’informations. « Les Lumières sont en train d’avorter de leur idéal. Le savoir accessible et universel est en train de se vomir dessus ». Cette indifférence, parfois nécessaire, mais qui nous empêche de voir que « la société est comme la peau d’un tambour ; chacun de nos gestes - ceux qu’on fait et même ceux qu’on ne fait pas - résonne partout. ».

 

Et puis Sarah écrit à des personnes chères, comme sa maîtresse de CE1, à Jessie, musicienne des rues, à Martin, adolescent cassé passé par la case prison, des personnes qui l’ont touchée comme Pierrot, « le vagabond céleste », mais aussi à des personnes qui ont croisé sa route d’une autre façon, comme Émile Zola, Denise Glaser ou le docteur Louis Leakey, lui qui a « permis à toute une génération de primatologues de naître », en faisant confiance à trois femmes qui n’avaient aucune formation pour cela, mais en ayant « l’intuition que les femmes pouvaient développer de nouvelles méthodes d’observation ». Cette lettre là est un hommage à tous les passeurs, sans qui d’innombrables talents pourriraient sous la terre sans jamais germer, et elle met le doigt sur quelques chose de vraiment important, et qui manque cruellement aujourd’hui, de ces personnes sachant donner leur chance à d’autres, en leur faisant confiance tout simplement, quel que soit le terreau dont elles sont issues, quelles que soient leur formation ou non-formation initiale, en faisant confiance à leurs qualités humaines et au talent qui peut émerger de la passion et de l’originalité propre à chaque individu.

 

Sarah écrit aussi à Echo, l’éléphant le plus filmé au monde, la matriarche du Parc National d'Amboseli, au Kenya, « une grande dame » et à Blanche-Neige qui s’est transformée en complexe et qui ouvre une réflexion sur la beauté conservée dans les musées. Elle écrit encore à des objets : à un piano, à une cassette, cet objet du siècle dernier et les souvenirs qu’elle fait remonter, à un carnet perdu…

 

Et nous découvrons l’amoureuse des mots au travers de toutes ces lettres, l’écrivain qui ne sait « rien faire d’autre » et surtout, n’ayons pas peur des mots justement, nous découvrons et apprécions une belle âme.

 

Cathy Garcia

 

 

sarah roubato.jpgSarah Roubato se définit comme " pisteuse de paroles, chercheuse en trans-écritures, écouteuse à temps plein ". Ses champs de réflexion et d'action vont de l'anthropologie à l'écriture, en passant par la musique, avec toujours une même base, le terrain. Elle vit actuellement au Québec et voyage sans cesse, mais Paris reste sa ville de cœur. Sa "Lettre à ma génération", écrite à la suite des attentats du 13 novembre dernier et publiée par Médiapart, y a trouvé un écho retentissant. Son site : http://www.sarahroubato.com/

 

 

 

 

 

07/02/2016

Économie de l’attention : comment résister à l’accaparement de nos cerveaux par les entreprises

 

par Florent Lacaille-Albiges

Écrans publicitaires dans la rue, à la télévision, sur le smartphone jusqu’à l’intérieur d’un article. Courriels et alertes en tout genre, suggestions des moteurs de recherches, conceptions des rayonnages de supermarchés… Commerciaux et services marketing se livrent une guerre sans merci avec pour territoire à conquérir l’attention que l’on accorde à telle ou telle information : notre temps de cerveau disponible. Face à ces sollicitations de tous les instants, de grands principes pour une écologie de l’attention émergent. Réflexions.

Si vous n’avez jamais été dans une école de commerce, il y a de fortes chances pour que vous n’ayez jamais eu de cours intitulés « Psychologie du consommateur et stratégies de persuasion ». En revanche, si vous avez été à l’Institut des hautes études économiques et commerciales (Inseec), ce type d’enseignements, dispensés aux marketeurs, commerciaux et publicitaires, vous apprend quelles sont les « variables qui influencent [la] perception [du consommateur] ».

Quelle part d’attention accorde le consommateur à un produit en fonction de sa place sur un rayonnage ? Comment concevoir et utiliser le storytelling afin de « capter l’attention du consommateur et créer une connexion émotionnelle avec la marque » ? Comment mettre en place un e-mail marketing « afin d’être bien perçues et ainsi susciter l’attention des internautes » ? Telles sont les questions existentielles abordées dans les grandes écoles et les universités, de HEC à Paris Dauphine, en passant par l’École supérieure de publicité.

Apprentis publicitaires et marketeurs en herbe apprennent ainsi comment capter notre temps de cerveau disponible. Il faut dire qu’ils ont du travail ! Dans notre environnement saturé de publicités, d’informations, d’alertes et de notifications en tous genres, une minute d’attention est très difficile à obtenir et... commence à coûter très cher. Deux ouvrages relativement récents aident à comprendre comment fonctionne cette « économie de l’attention » : L’économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme [1] et Pour une écologie de l’attention, un manifeste pour une alternative à la sur-occupation de notre esprit.

Yves Citton, professeur de littérature à l’université de Grenoble, a coordonné le premier et écrit le second. « Un modèle économique comme celui de Google repose essentiellement sur le fait de vendre notre attention à des annonceurs. Et quand Patrick Le Lay disait que le travail de TF1 était de vendre du temps de cerveau disponible, c’était la même chose. Notre attention est une ressource rare. Il y a toute une économie qui s’est constituée pour la vendre. Globalement, comme le dit Georg Franck (économiste et urbaniste), les mass media offrent de l’information pour moissonner de l’attention. Un média comme Google offre une information apparemment gratuite, mais en fait il s’agit pour lui de récolter et packager l’attention afin de la revendre ensuite à des annonceurs », explique-t-il.

Trop d’informations disponibles

Cependant il n’y a pas que TF1 et Google pour s’intéresser à l’économie de l’attention. Des chercheurs travaillent aussi la question. Bien qu’on puisse trouver d’autres précurseurs, on attribue assez souvent la paternité de ce concept au sociologue et économiste Herbert Simon. Dans une conférence de 1969, il affirme : « La richesse d’informations entraîne une pénurie d’autre chose, une rareté de ce que l’information consomme. Or ce que l’information consomme est assez évident : elle consomme l’attention de ceux qui la reçoivent. » Neuf ans plus tard, il reçoit le prix de la banque de Suède – le « prix Nobel » d’économie – pour son travail sur le processus de décision au sein de l’institution économique. Reconnaître les limites de l’attention est aussi une manière de questionner la rationalité des choix économiques.

C’est peut-être pour cette raison que les travaux sur les limites de l’attention n’ont pas fait beaucoup de chemin en économie depuis Herbert Simon. Un économiste cependant se détache du lot : Josef Falkinger, professeur à l’université de Zurich, travaille sur les limites de l’attention et la différence entre économie réelle et économie financière. « Josef Falkinger est obligé de faire la distinction entre sociétés pauvres en informations et sociétés riches en informations, explique Yves Citton. Une société pauvre en information, pour lui, est une société où une information pertinente va circuler. Lorsque quelque chose d’important arrive, on va le savoir. Alors que dans les sociétés riches en informations, il doit reconnaître cette évidence : il y a beaucoup plus d’informations disponibles pour nous que ce que nous pouvons ingurgiter. »

La publicité a plus d’importance que la qualité réelle du produit

Quand nous achetons une voiture ou un ordinateur, nous prenons souvent le temps de comparer les caractéristiques : le prix, les capacités… Mais nous n’avons quasiment jamais l’occasion de regarder le lieu de fabrication, le salaire moyen des ouvriers, les dégradations environnementales liées à la production. Ce n’est pas tant que ces informations sont indisponibles. Nous n’avons tout simplement pas assez de temps à consacrer au choix d’un ordinateur pour compulser l’ensemble des articles qui pourraient influencer notre choix. Il est donc impossible d’avoir le meilleur équilibre entre prix, qualité, respect de l’environnement … Moi qui tape cet article sur un ordinateur Samsung, je n’ai pas pensé aux conditions de production de mon ordinateur [2] pendant que je comparais les prix et les capacités en magasin.

Yves Citton poursuit : « Dans une société riche en informations, les choix ne sont pas du tout optimaux. La publicité notamment a beaucoup plus d’importance que la qualité réelle du produit. C’est pourquoi Falkinger propose une taxe sur la publicité pour redresser la distorsion de concurrence que produit la publicité. » Si la plupart des économistes orthodoxes négligent l’économie de l’attention et préfèrent supposer que les individus disposent de toute l’information pour prendre la meilleure décision, c’est peut-être aussi parce qu’ils ne sont pas prêts à proposer qu’on interdise ou qu’on taxe la publicité.

Internet, télé, radio, journal : la guerre de l’attention

Cependant une question insidieuse fait son chemin : la publicité et les médias de masse existent depuis longtemps. Alors pourquoi ne s’intéresser qu’aujourd’hui à la question de l’économie de l’attention ? Malgré plusieurs précurseurs, ce n’est qu’à partir de 1995 que les travaux sur l’économie de l’attention se développent véritablement. Probablement parce qu’il a fallu attendre l’avalanche d’Internet pour qu’on se rende compte de la pression qui pesait sur notre attention. En effet, même si le temps disponible pour lire, discuter avec ses amis ou regarder les petits oiseaux a toujours été limité, les sociétés riches en informations ont été profondément restructurées par l’arrivée des nouvelles technologies.

Yves Citton identifie ainsi trois évolutions liées aux nouveautés numériques. La première évolution tient à l’augmentation de l’immediacy (l’impact immédiat). Notre attention est d’autant plus captée que les technologies récentes de communication nous font entrer dans un contact plus sensible et réaliste avec le flux d’information. Facile de constater en effet que SMS et notifications vous détournent de la télé, dont l’image en perpétuel mouvement attire davantage notre attention qu’une radio, qui nous fait oublier à quel paragraphe d’un journal ou d’un livre nous étions. Dans le cadre de l’économie de l’attention, la course au réalisme et le développement des outils de réalité augmentée prennent un sens particulier.

L’attention dictée par les algorithmes

La seconde évolution est certainement celle qui impacte le plus le choix des objets auxquels nous sommes attentifs. Il s’agit de l’utilisation de « condensateurs d’informations », tels que nos moteurs de recherche, qui compulsent à notre place les gigantesques stocks d’informations stockées sur le Web. On pourrait trouver bien des façons de condenser l’information, même dans les médias « classiques », mais il ne fait pas de doute que les moteurs de recherche ont de bien plus grandes capacités que les journaux dans ce domaine.

Les techniques de Google, en situation de quasi-monopole, pour faire le tri dans des montagnes de données influencent donc le choix des sujets auxquels nous accordons de l’importance et notre attention. Les algorithmes de recherche, qui attribuent davantage de visibilité à une page consultée fréquemment, focalisent forcément notre attention sur les mêmes résultats que nos voisins. Jusqu’à ce que, dans le domaine des vidéos, quelques vidéos « virales » concentrent l’essentiel des clics, malgré un choix parmi des milliards de possibles.

Enfin, Yves Citton pointe également le changement profond de notre « environnement attentionnel ». Dans notre univers de machines et de multiples filtres, la façon dont notre attention se construit est très différente de celle qu’ont pu connaître les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire ou les paysans du Moyen-Âge. « Il faut donc s’attendre à ce que notre subjectivité évolue en conséquence », conclut-il.

Choisir ses aliénations ou s’émanciper de toute attention ?

Alors faut-il se protéger contre les changements qui bouleversent la gestion de notre temps de cerveau disponible ? Chacun peut apprécier les avantages et inconvénients des impacts sur notre attention causés par les nouvelles technologies. Mais il est important de garder un minimum de contrôle. Pour cela, Yves Citton propose, à la fin de son ouvrage Pour une écologie de l’attention, « douze maximes d’écosophie attentionnelle ». Parmi ces quelques principes, il encourage ses lecteurs à saisir les conséquences du filtrage de l’information et à se soustraire au régime médiatique de l’alerte. Puisque l’attention est destinée à être prêtée, il incite également à choisir ses aliénations plutôt que d’essayer de s’émanciper de toute attention à ce qui se fait autour de nous.

Pour les consommateurs qui souhaitent être plus attentifs à leurs achats, la solution n’est donc pas forcément de se bourrer le crâne de tous les articles disponibles. Il est sûrement préférable de trouver un bon label auquel faire confiance. Mais comme pour tous les « condensateurs d’informations », il ne faut pas oublier de garder un œil sur les critères de sélection de ces labels, ainsi qu’éventuellement sur les individus, associations ou entreprises qui les contrôlent.

« Déclaration des droits attentionnels »

Il semble cependant nécessaire de ne pas se contenter de quelques principes individuels et de se diriger vers une véritable politique de l’attention, afin de ne pas laisser à quelques entreprises le soin de décider de la façon dont nos capacités attentionnelles doivent être gérées. L’entrepreneur américain Tom Hayes, connu dans la Silicon Valley et pour ses chroniques dans le Wall Street Journal, s’est ainsi essayé à une sorte de « déclaration des droits attentionnels ». Les sept articles sont :

« 1.Je suis le seul propriétaire de mon attention. 2.J’ai droit à une compensation pour mon attention, valeur pour valeur. 3.Les exigences portant sur mon attention doivent être transparentes. 4.J’ai le droit de décider de quelles informations je veux et de quelles informations je ne veux pas. 5.Je suis propriétaire de mes séquences de clics (click streams) et de toutes les autres représentations de mon attention. 6.Ma boîte de courriel est une extension de ma personne. Personne n’a de droit intrinsèque à m’envoyer des courriels. 7.Le vol d’attention est un crime. » Ces grands principes doivent permettre à chacun de garder le contrôle de son attention. Et d’en éviter la pénurie à l’heure où les flux d’information risquent davantage d’abrutir que de développer le sens critique.

Florent Lacaille-Albigès

— 
Image : CC Stephen Coles

À qui profite le virus Zika?

 

 
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Ce lundi 1er février, l’Organisation Mondiale de la Santé a déclaré que les cas récents de microcéphalie et autres troubles neurologiques signalés au Brésil -  symptômes liés au virus Zika – constituent une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI). L’organisation n’a pas fourni plus d’informations sur ce virus. En attendant plus de précisions sur le sujet, signalons ici que le virus fut découvert en 1947. Nous savons aujourd’hui qu’il est d’une part transmis sexuellement et d’autre part qu’il est mis sur le marché mondial par deux sociétés: LGC Standards (siège social en Angleterre) et ATCC (siège social aux États-Unis).

Le Groupe LGC est:

“…l’institut désigné en Grande Bretagne comme le National Measurement Institute pour les mesures chimiques et bioanalytiques, leader international dans les services de laboratoire, les normes de mesure, les matériaux de référence, la génomique, et les marchés de tests d’aptitude.”

L’une de ses branches, LGC Standards, se définit comme:

“…un producteur et distributeur mondial des matériaux de référence et des systèmes d’essais d’aptitude. Basée à Teddington, Middlesex, Royaume-Uni, l’entreprise dispose de 30 années d’expérience dans la distribution de matériaux de référence et d’un réseau de bureaux de vente dédiés dans 20 pays, 5 continents. Ces produits et services de haute qualité sont essentiels pour la mesure analytique précise et le contrôle de qualité, ce qui permet d’assurer que les bonnes décisions sont prises en fonction d’une base de données fiables. Nous produisons un nombre inégalé de matériaux de référence accrédités par le Guide ISO 34 dans des installations sur 4 sites à travers le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne.”

LGC Standards a formé un partenariat avec ATCC, se définissant pour sa part comme:

“…la ressource et l’organisme qui normalise des matériaux biologiques mondiaux de premier plan dont la mission se concentre sur l’acquisition, l’authentification, la production, la conservation, le développement et la distribution de micro-organismes classiques de référence, des lignées cellulaires, et d’autres matériaux. Tout en conservant les matériaux traditionnels de collecte, l’ATCC développe des produits de haute qualité, des normes et des services pour soutenir la recherche et les développements scientifiques qui améliorent la santé des populations mondiales » .

Le partenariat ATCC-LGC vise à faciliter:

“la distribution des cultures d’ATCC et des produits bio à des chercheurs en sciences de la vie à travers l’Europe, l’Afrique et l’Inde et [...] à rendre plus facilement accessibles les ressources importantes d’ATCC aux communautés scientifiques européennes, africaines, et indiennes en détenant localement des stocks de plus de 5000 articles de culture particulière soutenus par notre réseau de bureaux locaux qui délivrent le plus haut niveau de service au client et de support technique.”

Cela dit, qui détient le brevet pour le virus? La Fondation Rockefeller!

Pourquoi la question de la propriété des brevets du virus Zika n’a-t-elle pas fait l’objet d’une couverture médiatique?

Rappelons-nous les paroles prononcées par David Rockefeller à une réunion de la Commission Trilatérale en Juin 1991:

“Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New York Times, Time Magazine et d’autres grandes publications dont les directeurs ont assisté à nos réunions et respecté leurs promesses de discrétion depuis presque 40 ans. Il nous aurait été impossible de développer nos plans pour le monde si nous avions été assujettis à l’exposition publique durant toutes ces années. Mais le monde est maintenant plus sophistiqué et prêt pour un gouvernement mondial. La souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l’autodétermination nationale pratiquée dans les siècles passés”.

L’appropriation du virus Zika par la Fondation Rockefeller, ne ferait-elle pas partie  d’un tel projet de domination, au prétexte de la lutte contre la maladie?

De plus, il est important de noter que le virus Zika est une marchandise qui peut être achetée en ligne via le site de l’ATCC-LGC pour 599.00 euros. Les redevances vont à la Fondation Rockefeller.

Guillaume Kress

04/02/2016

Le pyromane adolescent suivi de Le sang visible du vitrier, James Noël

 

Points Seuil, novembre 2015

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160 pages, 6,90 €

 

Le pyromane adolescent porte bien son nom, pour l’effusion de mots dans l’élan d’un printemps qui déborde, chaque poème semble être un premier jet, que le poète laisse derrière lui, sans se retourner, une poésie qui tient autant du chien fou que du félin sautant de toit en toit, agile séducteur.

Aussi c’est surtout l’énergie qu’on en retiendra, une énergie sincère, désordonnée, fougueuse

 

de beaux fruits qui exploseront de rire

dans le jus de la bouche

 

L’urgence de mettre un flux incessant et fiévreux de mots sur le désir comme sur les plaies, car

c’est l’encre qui fait que

le poète

trouve dans l’horizon

domicile fixe

 

Éros donc pour un pyromane adolescent tout entier dans sa dévotion aux filles de feu aux innombrables prénoms, de Montréal, de Rome ou de Bahia, filles des îles et de partout où elles incendient le regard. Pyromane papillonnant de l’une à l’autre, impossible pour ce « buveur de kérosène » de résister à l’appel des flammes.

 

« si je viens nu

ouvre ta nuit

portes et fenêtres »

 

Une légèreté trop rageuse cependant pour ne pas voir à travers le sang du vitrier, son pays « cette mine d’oubli » où « les rafales raturent », son île écartelée et « le beau naufrage du vivre ».

 

une terre sur pilotis

avec du sang dans son parterre

terre ligotée

 

par l’ombre de Thanatos,

 

le couteau

par malheur

détient un sens aiguisé

des entrailles

de la vie

 

Chaque poème ou presque de la seconde partie, y est cependant dédié à une personne précise, souvent un poète, peut-être pour contrer justement par les vivants et la mémoire de ceux qui ont vécu, cette drôle de bête que

 

la mort

qui nous colle à la peau

jusqu’à nous déboussoler

pour nous faire tomber

dans le domaine public

des astres et des trous noirs

 

Éros contre Thanatos, faire l’amour à mort et sans vainqueur, car comme le dit la passante qui avait du chien, ce qui compte poète, c’est que « t’as le cœur qui sent bon ! »

 

Le poète qui nous dit

 

je rends les armes

et vous recommande

une seule bombe sous le manteau

le mot d’amour

 

Cathy Garcia

 

 

1201838154.jpgJames Noël, né en 1978, est un écrivain, chroniqueur et poète prolifique. Il occupe une place emblématique dans les lettres haïtiennes contemporaines. Cofondateur de la luxuriante revue IntranQu’îllité, James Noël écrit régulièrement pour Mediapart et a coordonné plusieurs anthologies, dont Anthologie de poésie haïtienne, disponible en Points Poésie.

 

Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

 

Dévore l’attente, Laurent Bouisset

 

avec des images d’Anabel Serna Montoya,

Édition Le Citron Gare, novembre 2015

http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/

 

CouvertureDévorel'attenteLaurentBouisset.jpg

 

85 pages, 10 €.

 

 

Avec Dévore l’attente, le ton est donné, l’auteur a les crocs, il a faim, il en veut. Il exulte, ressent et aspire le monde par tous les pores, autant qu’il en recrache venin et sueur. Il en veut le poète et il en veut aussi à ceux qui commettent l’indifférence.

 

Comment ils font pour faire ?

Comment ils actionnent, eux ?

Et ils actionnent quoi ? Du chiffre

encore ? Et du numéralisable ?

 

Alors il balance, il crache, il tempête, il fait claquer les mots, la rage, va se perdre pour mieux se retrouver, entre banlieue lyonnaise, Guyane et Guatemala, entre Mostar, Mexique et Marseille. Il fonce vers le suicide de son je-cage.

 

Dévore l’attente, c’est de l’impatience brute, des poèmes en désordre chronologique rassemblant une bonne dizaine d’années de vie, soulignés par de belles photos en noir et blanc et des peintures d’Anabel Serna Montoya, une énergie difficile à contenir, même les mots n’y suffisent pas, M’emmerdent les mots ! Je jette la feuille ! Explose mon Bic !, le cri peut-être mais alors quelle solitude car crier c’est tout seul

 

L’énergie du poète là elle est physique, adolescente au meilleur sens du terme, elle a les yeux trop ouverts pour ne pas voir, elle grimpe aussi haut qu’elle dégringole aussi vite, le spleen et l’idéal, toute en pulsions, répulsions, impulsions, alors elle cherche un exutoire, écrire comme crier, ou partir dribbler, ou partir tout court, loin, très loin et là l’énergie elle trouve des combats à mener. Car partout et surtout loin, il y a la beauté mais aussi l’injustice, la misère, la violence… et un monumental sentiment d’impuissance. Ce choc que tout voyageur ne peut éviter, le vrai voyageur, à nu.

 

On voudrait le foutre à poil le monde et puis on réalise à quel point il est déjà nu et si maigre par endroit, on lui voit les os et le cœur aussi, qui bat boum boum jusqu’à exploser et on ne peut l’oublier cette explosion là, bien loin des tympans du Paris chic qui au passage en prend plein la gueule dans un long poème nommé La explosión del fruto gigantesco.

 

Dévore l’attente ne fait pas dans la dentelle, c’est un peu oui, l’explosion d’un fruit gigantesque presque trop mûr et ça gicle de partout, férocement, mais la vie dans laquelle on a beau mordre, persiste à demeurer intacte, alors

 

Accroupis face à l’œuf intact

À l’âge mûr

 

Nous rêvons sidérés l’éclat

D’un hiver lent.

 

Mais nulle résignation cependant chez Laurent Bouisset, il ne lâche rien, les crocs bien plantés dans la chair du vivre, Il ne partage pas ce défaut d’enthousiasme, dit il dans un poème nommé Coltrane et on y croit volontiers.

 

Ah si le monde pouvait n’être qu’un grand festin sans barbelés

 

Cathy Garcia

 

 

Laurent Bouisset.jpgLaurent Bouisset est né à Lyon en 1981. Après avoir chanté et joué dans divers groupes de rock, il a décidé de se consacrer à l'écriture poétique et romanesque au début des années deux mille. Plusieurs de ses textes sont parus dans les revues Traction-brabant, Verso, Décharge, Nouveaux Délits, Pyro, Fureur et mystère, Incertain regard... Co-fondateur, en compagnie du peintre guatémaltèque Erick González, du blog de création collective http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ où sont publiées ses réécritures et traductions de poètes latino-américains : Il lit régulièrement ses textes sur les ondes de Radio Galère, à Marseille (dans l'émission « DATAPLEX, RESISTANCES MUSICALES), et travaille à leur mise en musique (et en voix) en compagnie du musicien-photographe Fabien de Chavanes (https://soundcloud.com/ecriture-pentue/). Enfin nu le silence, son deuxième long poème (après Java dans Chaoïd n°10) est paru dans l'anthologie Triages 2014 des éditions Tarabuste.

 

Des extraits lus par l'auteur :

 

 

 

 

 

 

03/02/2016

Cash investigation - Produits chimiques : nos enfants en danger en replay pendant 30 jours

 Elles s’appellent Syngenta, Monsanto, Bayer ou Dow, vous ne les connaissez peut-être pas. Ce sont des multinationales de l’agrochimie qui fabriquent les pesticides utilisés dans l’agriculture. Leurs produits se retrouvent dans les aliments, dans l’eau du robinet et même dans l’air que l'on respire. Certains sont cancérigènes ou neurotoxiques, d’autres sont des perturbateurs endocriniens particulièrement dangereux pour les enfants. "Cash Investigation" a eu accès à une base de données confidentielles sur les ventes de pesticides en France, produit par produit, département par département, entre 2008 et 2013. En moyenne, ce sont près de 65 000 tonnes de pesticides purs qui sont épandues chaque année sur notre territoire. Aujourd’hui, l’Hexagone est le premier consommateur de produits phytosanitaires en Europe.
 
 
à voir ici :
 
partagez le lien !
 
 
Les journalistes Martin Boudot et Antoine Dreyfus publient Toxic, aux éditions Les Arènes, une enquête sur l'étendue des dommages causés par l'industrie des pesticides.
 
 
 
 
 
 
 

29/01/2016

Francine NEAGO, primatologue de renommée mondiale, 85 ans, privée du minimum vieillesse

L'engagement n'a pas d'âge : FRANCINE NEAGO, 85 ans toujours dans l'action pour les Orangs-outans.

La primatologue spécialiste mondiale des Orangs-outans est réfugiée au Samu social à Paris et lance un appel à l'aide pour sauver sa fondation à Sumatra (Indonésie)

L'engagement n'a pas d'âge : FRANCINE NEAGO, 85 ans toujours dans l'action pour les Orangs-outans
 

Francine NEAGO est une grande dame Française née à Paris en 1930, médecin et primatologue, spécialiste mondiale de l'étude et de la protection des Orangs-outans avec une bibliographie riche de 11 ouvrages références sur le sujet. Après 55 années passées sur le terrain en Amérique du sud, en Indonésie et en Malaisie, où elle a créé deux fondations pour la préservation de la flore et de la faune, Francine NEAGO est de retour en France pour tenter de préserver sa retraite et sauver sa fondation de Sumatra : Noah and his Ark (Noé et son arche).

Seule à Paris, démunie et privée de toutes ressources financières depuis fin 2015 (mais en parfaite santé physique et mentale), elle est actuellement hébergée par le SAMU Social de Paris à l'hôpital Jean Rostand et lance un appel à l'aide pour la soutenir et tenter de sauver sa fondation.



En décembre 2015, alors âgée de 85 ans et résidente à Sumatra dans la réserve naturelle de Bukit Lawang qu'elle a créée avec sa fondation Noah and his Ark, Francine NEAGO est contrainte de revenir en France à Paris afin de rétablir ses droits à l'ASPA (allocation de solidarité) ou au minimum vieillesse qu'elle touchait jusqu'alors (800€/mois), mais qui semblent-ils lui imposent désormais de justifier d'une résidence en France d'au moins la moitié de l'année (6 mois/an). A 85 ans, la petite retraite à laquelle elle avait droit constituait son unique ressource pourtant suffisante à Sumatra. Aujourd'hui, démunie, âgée, isolée et sans ressources elle est hébergée par le Samu social de Paris à l'hôpital Jean Rostand.

 

Source de l'article : http://www.capgeris.com/actualite-349/l-engagement-n-a-pas-d-age-francine-neago-85-ans-toujours-dans-l-action-pour-les-orangs-outans-a37629.htm

 

 

07:58 Publié dans AGIR | Lien permanent | Commentaires (31)

27/01/2016

Jan Bardeau & compagnie

 

illustration Seb Russo, mgv2>publishing, août 2015

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40 pages, 5€ (plus frais de port)

 

 

Jan Bardeau s’empare des mots, les triture, les malaxe, les lance contre les murs, d’où ils rebondissent, l’écho parfois est effrayant, car ce jeu faussement léger, non exempt de plus ici d’autocontraintes, c’est pour révoquer le vide, la solitude crasse, « la hideur abrupte », le dur « qui courbe & brise & broie, bousille le beau » et gripper les mécanismes froids et déshumanisants d’un système entonnoir qui se gave de lui-même. 

 

Jan Bardeau & compagnie, c’est un duo : Jan Bardeau et Seb Russo. Jan avec ses mots, Seb avec ses dessins, ses corps d’encre qui se tordent, se vident, se déforment, dégoulinent, étirés, vrillés, enchaînés. Et le poète est comme ce clodo au nez de clown. Clodo ou ouvrier ? C’est un peu du pareil au même non ? Un pas de trop et hop, à la casse.

 

« petites mains jusqu’à ce qu’ils les prennent sur leur tronche, les petites mains »

 

Nous sommes tellement nombreux à être des clowns plus ou moins fatigués. Nous amusons parfois la galerie des portraits poudrés, cette basse haute-cour où « les uns parlent d’importance, les autres s’imprègnent de l’art de picorer » et « s’évertuant à favoriser la guerre de chacun contre tous ».

 

Et chacun « se toise, arrondit le jarret sans arrêt ».

 

Nous sommes nés, nous petites gens, comiques muets accrochés à nos barreaux à l’image de ce Buster Keaton qui nous interpelle en couverture et surtout en quatrième, derrière, là où on range les oubliés et où on peut lire :

 

« Gerber le nœud qui me suffoque, abandonner toute réalisation, m’épargner l’uniformité des lendemains, m’extraire du passé stratifié, enfin choisir, choisir enfin, puisque le limon des possibles s’assèche, que ne demeure que l’attente. »

 

Alors Jan Bardeau choisit des mots (c’est ce qu’il nous reste non ?), et sous un air nonchalant, l’air de ne pas y toucher, il en fait des tableaux, des trouées dans la ville. L’insatisfaction chronique peut aussi être un bon lubrifiant pour le moteur, les sens restent en alerte, et « les vaches, queue en balancier ponctuent la rondeur des collines. »

 

Insatisfaction, c’est la moindre des choses non, vous avez vu la gueule du monde où « les caddies s’agglomèrent » ?

 

« Cette civilisation va clamser sous ses déchets, d’avoir becqueté comme une truie insatiable. »

 

Alors l’ouvrier résigné, complice malgré lui, produit toujours plus et encore ce qui le dépossède et de son verbe de poète retourne le quotidien, ce « somnambulisme insane »  comme un gant, on en voit alors battre les veines et le cœur à nu qui s’emballe pour un rien, car « seuls nos cuirs durcissent & se racornissent ».

 

« Je me gorge et regorge de lyrisme, dégorge le cynisme, mes crocs réclament la viande du concret pour emplir le vide qui ravine un univers édifié sur la carence. »

 

Le poète est un pauvre comme les autres, mais il respire encore, et ce trop clairvoyant, ce trop respirant, offre à qui veut les fruits de ce souffle, il tend ses mots à ses alter-egos et se demande « comment pulvériser les cailloux incrustés sous leurs paupières. » ? Cependant le poète est un solitaire aussi, pas forcément par goût, mais plutôt de l’autodéfense.

 

« Sollicités à l’entr’aide par la nécessité, sans doute désapprendrions-nous nos balivernes & nous guiderions-nous mutuellement vers la bonté, sans doute, mais je crains mon semblable, ce salopard, & le déteste. »

 

 

Cathy Garcia

 

Pour commander :

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Jan Bardeau_n.jpg« Il lui a demandé d'écrire les biographies des deux auteurs qui nous occupent ci-devant, ceux-là, oui, Russo, Bardeau, Barreau, Dusso, voilà, eux, lui il veut bien écrire des biographies, qu'il lui a répondu, mais il ignore s'il en est capable et il ne connaît pas forcément si bien leurs vies, aux deux, là, oui, ceux-là, alors tant pis il s'y colle quand même mais qu'il ne se plaigne pas si c'est loupé. Le premier, là, lui, est un anglo-berrychon, et l'autre issu de l'immigration ritalienne de Sicilie, du sud, en bas, toc, pile vers la mer, boum ; lui, il écrit des trucs mais souvent plus souvent il ne les écrit pas, et c'est plutôt mieux comme ça, lui, par contre, il dessine des trucs, et souvent il les dessine, et bon, bof, des fois c'est bien, des fois c'est pas bien. ». Jan Bardeau a commis aussi Nocturne intra-neural (UPNT n° 6, mai 1998), et plus récemment Jardin de poussières (non signé) et une plaquette avec son complice Seb Russo encore, Le voyage somnambule. Patrice Maltaverne en parle ici : http://poesiechroniquetamalle.centerblog.net/rub-jan-bard.... Le site de Seb Russo, c’est ici : http://www.seb-russo.com/seb-graphiste/

 

26/01/2016

La violence de nos modes de vie - Discours de Vinay Gupta lors du Festival Black Mountain en 2010, à Llangollen, au Pays de Galles

 

 

24/01/2016

Jaron Lanier: l’Internet ruine la classe moyenne

l'article date de 2013 mais n'en est que plus d'actualité encore..

    Il fait partie de ces gens inclassables, qui gravitent dans l’univers de la high tech, aux confluences de l’informatique, la physique et les neurosciences. Un pionnier de la Silicon Valley mais ses dreadlocks le rangent plutôt parmi les techno-utopistes de Berkeley, et d’ailleurs c’est là qu’il réside, dans une maison-atelier assez grande pour entreposer sa collection d’instruments de musique traditionnelle (instruments à vent, cithares asiatiques), l’une des plus vastes du monde. Il est aussi compositeur, mais c’est une autre histoire qu’il n’a pas l’intention de raconter aujourd’hui.

En 2010, le magazine Time l’a rangé dans les 100 personnalités les plus influentes du monde. Le New Yorker lui a consacré un long portrait : Jaron Lanier « le visionnaire ». Il est régulièrement invité à Davos (« Je me suis trouvé dans l’ascenseur entre Newt Gingrich et Hamid Karzai »). Mi-septembre, il était à New York (où nous l'avons rencontré) pour donner une conférence aux Nations Unies sur l’avenir des économies. Suivie d’une autre sur celui des bibliothèques. Tout le monde veut avoir son avis sur l’avenir. Il est vrai que c’est le titre de son dernier livre : « Who owns the future ?» (Simon&Schuster). Qui possède -aujourd’hui- le monde de demain ?

Il y a une trentaine d’années, Jaron Lanier a été l’un des pionniers de la réalité virtuelle –la création d’univers numériques dans lesquels de vrais humains peuvent se mouvoir et échanger. C’est même lui qui a inventé le terme: « virtual reality ». Il a inventé le jeu video Moondust, développé des prototypes, dont le premier simulateur chirurgical. Il a vendu des start-up à Google, Oracle, Adobe, Pfizer. Fait fortune grâce au Kinect, une caméra en 3D qui a vendu à plus de 18 millions d’exemplaires. Depuis 2006, il est chercheur à Microsoft Research.

  Jaron Lanier a participé aux débats à San Francisco qui ont abouti à la création de l'Electronic Frontier Foudation (EFF), l'organisation qui mène la lutte contre les programmes d'espionnage de la NSA. Mais il n'a pas donné suite: ce n'est pas le combat qui lui parait le plus important. Pour lui, l'important n'est pas "qui a accès à l'information" mais "ce que l'on fait avec ces données". Comme il l'explique dans son livre (et dans l'interview ci-dessous), les micro-détails collectées sur chacun grâce à l'Internet sont en train de devenir un puissant moyen de manipulation.

    Jaron Lanier, 53 ans, a grandi au Nouveau-Mexique, où ses parents, des artistes new yorkais avaient décidé qu’ils seraient plus en sécurité que sur la côte est  (sa mère, rescapée de camp de concentration, avait émigré de Vienne à l’âge de 15 ans.  Elle est morte dans un accident de voiture alors qu’il n’avait que dix ans). Il a écrit deux livres. L’un (“You’re not a gadget”) est une critique des réseaux sociaux qu’il qualifie « d’agences d’espionnage privatisées » n’ayant plus aucun intérêt à protéger la vie privée des utilisateurs.  Dans “Who owns the future” (non traduit), il décrit un phénomène qu’il n’avait pas anticipé: la concentration des richesses dans un univers qui était censé aplanir les inégalités. L’économie, dit-il, repose de plus en plus sur l’information et celle-ci n’étant pas suffisamment monétisée, la richesse collective se dilue. Bref, le tout-gratuit est en train de détruire la classe moyenne et l’économie de marché.

Interview (en partie publiée dans Le Monde du 22 octobre)

Q:  En quoi l’internet détruit-il la classe moyenne  ?
JL: L’automatisation commence à détruire l’emploi, comme si la vieille peur du 19ème siècle devenait réalité. A l’époque, il y avait cette inquiétude énorme que l’emploi des gens ordinaires était menacé par le progrès des machines. Quand les voitures ont remplacé les chevaux, les gens pensaient que cela devenait tellement facile de conduire qu’il n’y aurait plus de raison de payer pour le transport. Tous ceux qui travaillaient avec les chevaux allaient perdre leur emploi. Mais les syndicats étaient puissants. Ils ont imposé qu’il est normal de payer quelqu’un même si le travail est moins pénible et qu’il est plus facile de conduire un taxi que de s’occuper de chevaux.
Avec l’Internet, les choses deviennent tellement faciles que les gens rejettent cet arrangement payant. C’est une erreur. Cela a commencé avec Google, qui a dit : on vous donne un moteur de recherche gratuit. En contrepartie, votre musique, vos photos, vos articles vont aussi être gratuits. L’idée est que ça s’équilibre : vous avez moins de revenus mais vous avez accès à des services gratuits. Le problème est que ce n’est pas équilibré. Bientôt, les consommateurs vont accéder aux produits grâce aux imprimantes 3D. Graduellement toutes les choses physiques deviennent contrôlées par les logiciels et tout devient gratuit.

Q : Mais certains s’enrichissent.
JL:  L’idée au début de l’Internet était que l’on donnerait du pouvoir à tout le monde parce que tout le monde aurait accès à l’information. En fait, Google et tous ceux qui collectent les informations au sujet des autres parce qu’ils offrent ces services gratuits, deviennent de plus en plus puissants. Plus leurs ordinateurs sont gros, plus ils sont puissants. Même si vous regardez la même information que Google, Google en retire beaucoup plus de pouvoir que vous.
L’autre remarque à faire, c’est que dès que quelqu’un prétend avoir une technologie qui peut remplacer les gens, c’est faux. Exemple : la traduction automatique. Vous pouvez prendre un document en anglais, l’entrer dans un ordinateur et le ressortir en français. Cela ne va pas être du très bon français mais quelque chose va ressortir.

Q : Et c’est gratuit. Quel est le problème ?
JL : Les compagnies qui font de la traduction automatique collectent des millions et des millions d’exemples de documents qui ont été traduits par des vraies personnes. Ils repèrent des morceaux de phrases qui sont semblables à ceux de votre document et ils traduisent un peu à la fois et assemblent le patchwork. Cela ressemble à un cerveau électronique gigantesque mais en fait, il s’agit du travail de tonnes de gens qui ne sont pas payés et ne savent même pas qu’ils sont utilisés.
Pour chaque nouvelle technologie qui prétend remplacer l’humain, il y a en fait des gens derrière le rideau. Ce que je dis, c’est qu’il y a une solution : il faut garder trace des gens qui fournissent un vrai travail et avoir une option qui leur permette d’être indemnisés. L’automatisation dépend systématiquement de ce que nous appelons « big data » ou informations produites par un nombre élevé de gens. Ces données ne viennent pas des anges ou de phénomènes surnaturels. Elles viennent des gens. Si on les payait pour ces données, on pourrait soutenir l’emploi.

Q : Quelles sont ces données qui ont tant de valeur ?
JL : Les compagnies qui possèdent les gros ordinateurs créent des modèles pour chacun d’entre nous. Google a un modèle de vous. Pareil pour la NSA (agence de la sécurité nationale), Facebook, et même certaines organisations criminelles. Elles collectent des données sur vous et les utilisent pour faire des projections. L’idée, c’est de modifier le comportement.

Q : Comment ça, manipuler ?
JL : Les manipulations sont très petites. Cela peut être trouver le moyen de vous faire accepter un prêt qui n’est peut être pas aussi intéressant qu’un autre. Comment vous inciter à faire tel ou tel achat. C’est un système froid, basé seulement sur les statistiques. Il travaille très lentement, comme les intérêts composés. Sur la durée, cela fait beaucoup d’argent. C’est comme cela que Google est devenu si riche : les gens qui paient Google peuvent obtenir un tout petit peu de modification du modèle de comportement. C’est un système géant de modification comportementale.
Il faut comprendre que c’est différent du modèle traditionnel de publicité. La publicité a toujours été une forme de rhétorique, de persuasion, de style. Ici, il n’est pas question de style. C’est placé au bon moment. C’est purement pavlovien. Il n’y a aucune créativité. C’est une forme de manipulation sans esthétique mais c’est très graduel et très fiable, parce que c’est juste des statistiques.
Il s’agit aussi du type d’informations vous recevez. Si vous allez en ligne, vous ne voyez plus les mêmes informations que quelqu’un d’autre. Les informations sont organisées spécifiquement pour vous par ces algorithmes. C’est un monde où tout est ouvert et en même temps la plupart de ce que les gens voient est manipulé. Ce qui n’est possible que parce que les gens qui manipulent ont des ordinateurs plus puissants que les gens ordinaires.

Q: Qui a les plus gros ordinateurs ?
JL:  Personne ne le sait. Ils sont conservés dans des cités gigantesques d’ordinateurs. Ils sont généralement placés dans des endroits isolés près de rivières qui permettent de refroidir les systèmes . Peut-être c’est Google, peut-être la NSA. Personne ne sait. En Europe, la plupart sont en Scandinavie.

Le problème n’est pas qui a accès à l’information mais ce qu’ils font de l’information. Si vous avez des ordinateurs beaucoup plus puissants, cela ne peut pas créer une société équitable. Au lieu d’essayer de plaider pour la transparence et le respect de la vie privée, nous devrions nous préoccuper de ce qui est fait avec les données accumulées. Nous vivons à une époque où il y a deux tendances contradictoires. D’un côté, tout le monde dit : n’est-ce pas formidable cette décentralisation du pouvoir, grâce à Twitter etc. De l’autre côté, la richesse est de plus en plus centralisée. Comment est-il possible que le pouvoir soit décentralisé et la richesse de plus en plus centralisée ? En fait le pouvoir qui est décentralisé est un faux. Quand vous tweetez, vous donnez de vraies informations aux gros ordinateurs qui traquent vos mouvements

Q : Comment monnayer nos tweets ?
JL :  Je préconise un système universel de micro-paiements. Tout le monde toucherait une  rémunération –fût-elle mimine- pour l’information qui n’existerait pas s’ils n’existaient pas.
Cette idée circulait déjà dans les années 1960, avant même que l’internet soit inventé. C’est juste un retour aux origines. Si on arrivait à savoir combien les compagnies sont prêtes à payer pour avoir des informations, cela serait utile.
Les gens pensent que le montant serait infime. Mais si on regarde en détail, c’est faux. Les données concernant l’homme de la rue ont beaucoup de valeur. Le potentiel est là pour soutenir une nouvelle classe moyenne. Chaque donnée individuelle aurait une valeur différente. Certaines seraient plus cotées parce qu’elles sortent de l’ordinaire.

Q : Vous êtes devenu anti-technologies ?
JL: Pas du tout ! J’ai aidé à mettre en place ce truc que je critique maintenant ! Mais il faut regarder les résultats dans le monde réel. J’avais pensé que pendant l’âge de l’Internet on verrait une augmentation fantastique de richesse et d’options. A la place, on voit une concentration intense des richesses. Et c’est un phénomène mondial. Si c’est cela la tendance, si la technologie concentre les richesses, la technologie va devenir l’ennemie de la démocratie, peu importe le nombre de tweets. Je refuse de faire l’autosatisfaction quand je vois tous ces gens ordinaires qui perdent pied alors que leur situation ne devrait faire que s’améliorer grâce aux progrès technologiques.

 

Source : http://clesnes.blog.lemonde.fr/2013/10/22/jaron-lanier-linternet-ruine-la-classe-moyenne/