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04/01/2016

L’étrange bibliothèque de Haruki Murakami

traduit du japonais par Hélène Morita, illustrations de Kat Menschik

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Belfond, novembre 2015. 72 pages, 17 €.

 

Un jeune garçon qui voulait simplement emprunter des livres à la bibliothèque, se retrouve enfermé dans une cellule au fin fond d’un labyrinthe obscur, prisonnier d’un vieillard terrifiant, et sous la garde d’un homme-mouton passif et bienveillant qui fait de délicieux beignets. Comme un rêve qui bascule très vite dans le pire des cauchemars, cette histoire n’aurait pas déplu à Lewis Carroll. Avec pour ingrédients le mystère, le bizarre, l’absurde et une frontière très poreuse entre le poétique et l’épouvante, on y retrouve le goût immodéré de l’auteur pour les bibliothèques et les ambiances pesantes mais comme évaporées. Il y est question de nourriture de l’esprit et de nourriture pour le ventre et d’un menaçant mélange des deux. Il y est aussi question d’un chien féroce, d’un étourneau et d’une petite fille très belle. Bien que la fin puisse laisser le lecteur sur sa faim, très vite, celui-ci se rendra compte que son esprit est retourné dans le labyrinthe pour tenter de démêler le sens caché de cette histoire, et c’est là que tout l’art de Murakami opère. Il réussit à se frayer un chemin dans notre tête et à y déposer tout un tas de questionnements, comme une souris viendrait y déposer des souriceaux. L’ambiance noire et angoissante de L’étrange bibliothèque est formidablement mise en valeur par les vraiment superbes illustrations, en plein page, de l’artiste berlinoise Kat Menschik, qui font de cet ouvrage un très beau livre à glisser dans sa bibliothèque, en prenant garde à ne pas y glisser à son tour.

 

Cathy Garcia

 

 

Harukami.pngNé à Kyoto en 1949, Haruki Murakami est un des auteurs japonais contemporains les plus lus au monde. Pressenti pour le prix Nobel depuis 2006, il est traduit en cinquante langues. Fils d’enseignants en littérature japonaise, Haruki Murakami passe son enfance dans une ville portuaire, Kobe, entouré de livres et de chats. Plus tard, il poursuit des études de théâtre et de cinéma à l’université de Waseda. Son imagination est très tôt séduite et façonnée par la littérature américaine, notamment les romans de Raymond Carver, de Raymond Chandler ou de Scott Fitzgerald. Dès 1974, il ouvre un petit bar de jazz, le « Peter Cat », à Tokyo, qu’il va tenir pendant sept ans avant de devenir écrivain. C’est en regardant un match de base-ball, au moment précis où le joueur américain Dave Hilton frappe la balle, qu’Haruki Murakami eut l’idée d’écrire son premier roman, Écoute le chant du vent (1979 – non traduit en Français) qui remporte un succès immédiat et se voit couronné du Prix Gunzo des Nouveaux Écrivains. Premier tome d’une trilogie, ce roman est suivi du Flipper de 1973 (1980) et de La Chasse au mouton sauvage (1982). Haruki Murakami devient dès lors l’un des écrivains japonais les plus populaires au monde. Après la publication de plusieurs romans à succès, Haruki Murakami s’installe à l’étranger. De 1986 à 1989, il vit en Grèce, à Rome et enfin aux États-Unis, où il enseigne la littérature japonaise dans plusieurs universités, dont celle de Princeton. Mais la grave crise économique et sociale que traverse le Japon incite l’écrivain à retourner sur ses terres natales dès 1995. Très marqué par le tremblement de terre de Kōbe, qui lui inspire par la suite le recueil de nouvelles Après le tremblement de terre, Haruki Murakami s’intéresse également à l’attaque terroriste au gaz sarin dans le métro de Tokyo, perpétrée par la secte Aum. Cette tragédie fera l’objet d’un grand livre d’enquête, Underground, dans lequel l’auteur donne la parole aux témoins et aux victimes de l’attaque. Le thème de l’attentat dans le métro figure également dans 1Q84. La plupart des romans d’Haruki Murakami sont traduits en France chez Belfond et repris aux éditions 10/18, parmi lesquels les célèbres Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, Les Amants du Spoutnik, Kafka sur le rivage ou encore La Ballade de l'impossible. Haruki Murakami a reçu, tout au long de sa carrière, plusieurs distinctions littéraires prestigieuses, notamment le prix Yomiri Literary Prize, le prix Kafka 2006 et le prix Jérusalem de la liberté de l’individu dans la société. Après la trilogie 1Q84, qui a connu un immense succès planétaire, son nouveau roman L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, numéro un des ventes de livres en 2013 au Japon, paraît aux éditions Belfond à la rentrée 2014. En plus de son travail de romancier, Haruki Murakami est le traducteur en japonais de plusieurs écrivains anglo-saxons incontournables, dont Scott Fitzgerald, John Irving, J.D Salinger ou Raymond Carver. De ce dernier, Haruki Murakami affirme qu’il est le professeur le plus important de son existence, ainsi que son plus grand ami en littérature. Haruki Murakami est également journaliste et essayiste.

 

cette note a été publiée sur la Cause Littéraire.

http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

 

02/01/2016

La sauvage des Pyrénées

Histoire. Ils l'avaient surnommée la folle des Pyrénées

 

Cette incroyable histoire a inspiré de nombreux écrivains et des cinéastes. Michel Jourdain a réalisé «La sauvage des Pyrénées», un film diffusé sur France 3./photo © Les films figures libres.
Cette incroyable histoire a inspiré de nombreux écrivains et des cinéastes. Michel Jourdain a réalisé «La sauvage des Pyrénées», un film diffusé sur France 3./photo © Les films figures libres.
 

Elle aurait vécu dans les Pyrénées ariégeoises de 1801 à 1808. Entièrement nue. Cette sauvageonne âgée d’une trentaine d’années, qui au fil des années a vu son visage s’émacier, sa chevelure s’allonger, sa peau se matifier, ses ongles se transformer en longues griffes n’a jamais dévoilé son identité. Même lorsqu’elle fut arrêtée et enfermée à trois reprises. Victime de son mutisme, elle sera surnommée, à tort, la folle des Pyrénées.

 

L’Ariégeois René-Jean Pagès consacre un ouvrage fort documenté à l’histoire de l’énigmatique ermite du Vicdessos (lire ci-contre). «Cette femme aurait immigré en Espagne, en 1793, au moment de la Terreur. Elle aurait fui la France avec son mari», annonce l’auteur. Le couple aurait décidé au printemps 1801 de mettre un terme à leur séjour hispanique forcé et de rentrer en France en passant par l’Andorre. «Ils auraient franchi l’ancien Port d’Aula (actuel port de Rat)», poursuit René-Jean Pagès. «Au cours de ce périple, le couple aurait fait une mauvaise rencontre avec des brigands espagnols. Suite à ce malheureux incident, le mari aurait perdu la vie. La femme aurait été violée».

Elle vivait nue

Esseulée, dépouillée de ses vêtements et choquée, la pauvre malheureuse aurait décidé dans un premier temps de trouver refuge dans les montagnes de l’Est andorran. «Ce n’est qu’au printemps 1801, après la fonte des neiges, qu’elle décide de franchir le col pour se retrouver sans le savoir en France, dans la région du Vicdessos», ajoute l’auteur.

Au milieu de cette nature à l’état brut, elle vivait nue. Eté comme hiver. De quoi se nourrissait-elle ? De noix, noisettes, châtaignes, faines, glands… dont elle fait provision. De mûres, myrtilles, airelles, framboises, nèfles et prunelles. Du miel que dénichaient les animaux, de la sève sucrée des arbres, des poissons qu’elle pêchait, des lièvres, écureuils, insectes, oiseaux, marcassins qu’elle capturait… La sauvageonne aurait même fraternisé avec les ours qu’elle considérerait comme ses congénères. L’hiver, elle se réchauffait auprès d’eux dans leur antre d’hibernation. Elle mena cette vie sauvage et solitaire en toute quiétude pendant plusieurs années jusqu’à ce que des chasseurs de Suc la remarquent.

Repérée par des chasseurs

Nous sommes alors en 1807. Intrigués par cet animal farouche, ils signaleront sa présence à la communauté villageoise. «La nouvelle mit celle-ci en effervescence car elle alimenta toutes les conversations. Dès le lendemain, une véritable escouade de pâtres part à ses trousses dans la haute vallée de Suc», relate l’auteur. Ils eurent tôt fait de la repérer, de la capturer, de la ligoter et de la ramener au village où elle fut hébergée dans une chambre du presbytère de Suc. Interrogé par le curé du village, un certain Joseph Dandine, celui-ci remarqua «des restes de prestances et d’éloquence de sa haute hérédité». La sauvageonne avait «un esprit cultivé» et un «accent pur». Autrement dit, elle s’exprimait en langue française et non en occitan. Autrement dit, elle était tout, sauf folle.

Mise au cachot

Agile comme un isard, elle s’évade du presbytère en sautant par la fenêtre. Elle sera capturée à nouveau en juin 1808 sur ordre du juge de paix et envoyée dans la prison du château de Foix. Au bout de quelques semaines, la sauvageonne tombe malade. Elle sera soignée à l’Hospice de Foix par les Sœurs de Nevers à qui elle mena la vie dure car elle ne voulait pas se vêtir. Elle s’évada de l’hospice. Recapturée une dizaine de jours après, dans les environs de Foix, elle finira dans un des cachots de la tour ronde. La Belle s’éteignit dans ce lieu humide et ténébreux le 29 octobre 1808, à 1 heure du matin. Sans que personne ne s’en émeuve.


Incroyable mais vrai !

René-Jean Pagès s’est pris de passion pour l’incroyable histoire de «La folle des Pyrénées » et il en fait un livre au titre éponyme. «Je suis originaire de Saint-Girons. Ma famille est de Massat, situé derrière la vallée du Vicdessos. J’avais des ancêtres qui vivaient là au moment des faits.» René-Jean Pagès a mené l’enquête pendant 25 ans. «Je me suis référé principalement aux écrits de Bascle de Lagrèze, sous-préfet de l’Ariège en ce temps-là. J’ai trouvé des documents inédits qui sont publiés dans mon ouvrage.» Le résultat est passionnant !

«La folle des Pyrénées», par René-Jean Pagès, éditions Empreinte, 237 pages, 19, 50 €.

 

 

29/12/2015

Intelligence, savoirs et cohérence....

Les Indiens d'Amazonie renouvellent leurs traditions pour défendre la biodiversité

Deux indiennes waorani tiennent une fève de cacao, à Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
Deux indiennes waorani tiennent une fève de cacao, à Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
afp.com - PABLO COZZAGLIO
Des bananes dans une hutte d'Indiens waorani, à Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
Des bananes dans une hutte d'Indiens waorani, à Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
afp.com - PABLO COZZAGLIO
Vue de Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
Vue de Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
afp.com - PABLO COZZAGLIO
Une Indienne waorani tient une fève de cacao à Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
Une Indienne waorani tient une fève de cacao à Gareno, au sud-est de Quito, le 7 décembre 2015
afp.com - PABLO COZZAGLIO

Troquer la chasse pour le cacao en Equateur, protéger un poisson de rivière au Brésil, créer des autorités autonomes contre le pillage de richesses au Pérou: en cette année de l'accord climatique de Paris, des indigènes d'Amazonie ont misé sur la biodiversité.

Peu importe la chaleur humide pour les Indiens waorani de Gareno, un hameau de huttes de bois au milieu de la jungle, à 175 km de Quito. Chaque matin, pour se donner du cœur à l'ouvrage, ils entonnent des chants en waotededo, leur langue, puis rejoignent leurs plantations.

Soucieux de préserver leur environnement, ils ont en 2010 abandonné la chasse au profit du cacao, devenu leur principale source de subsistance.

Pour enrayer l'abattage du gibier qui se raréfiait, l'Association des femmes waorani de l'Amazonie équatorienne (Amwae) a créé un programme qui consiste à donner des plants de cacao à celles dont les conjoints cessent de chasser.

"Ainsi, ils ont arrêté de chasser des animaux sauvages. Mais nous ne déboisons pas" pour cultiver, a déclaré à l'AFP Patricia Nenquihui, présidente d'Amwae, basée à Puyo (est).

Dix communautés indigènes participent à ce programme, dont 70 familles qui cultivent 25 hectares de cacao dans les provinces de Pastaza et Napo (est).

L'association leur achète le cacao à 1,25 dollar la livre, soit 0,45 cents au dessus du cours habituel, et l'expédie à Quito où il est transformé en chocolat.

Au début, les hommes waorani se sont "offensés". Mais les anciens ont fini par admettre qu'il fallait marcher de plus en plus loin, jusqu'à une journée entière, pour trouver du gibier, selon Mme Nenquihui.

Ligia Enomenga, une veuve de 26 ans qui élève ses six enfants grâce aux revenus du cacao, se félicite que les Waorani aient "ouvert les yeux". "Avant, ils chassaient beaucoup. Mais maintenant qu'ils sont impliqués dans le programme du cacao, ils ont arrêté de tuer les animaux", explique-t-elle.

"Nous chassions énormément (...) singes, toucans, cerfs. Parfois nous en tirions jusqu'à cinq à six quintaux (230 à 276 kg - en Equateur un quintal vaut 46 kg) de viande pour vendre sur les marchés", raconte Moisés Enomenga, dont l'épouse cultive désormais du cacao.

- Au secours du pirarucu -

Dans le même esprit, au Brésil, qui abrite la majeure partie des 6,1 millions de km2 de forêt de la région, les Paumari du bassin du Tapaua (état d'Amazonas, nord) défendent le pirarucu, énorme poisson de rivière, qui peut atteindre les 200 kg.

Sa pêche a été totalement interdite. Mais au bout de sept ans de travail avec l'ONG Opération Amazonie Native (Opan), sa population a augmenté et les Paumari ont obtenu que la pêche redevienne légale et durable.

"Cela va au-delà de la commercialisation du poisson. Cela se traduit aussi par un renforcement de l'organisation de la communauté et de la ressource (...) La gestion et le contrôle qu'ils ont aujourd'hui sur leur territoire est fantastique", estime Gustavo Silveira, de l'Opan.

Ainsi, les prises de moins d'un mètre et demi sont relâchées. L'Institut brésilien de l'environnement (Ibama) procède à un recensement chaque année, tandis que les indiens surveillent les lacs alimentés par la rivière Tapaua.

- 'Protéger nos terres ancestrales' -

De leur côté, les Wampis du Pérou ont réagi face à la déforestation et la présence dévastatrice des compagnies pétrolières et minières. Ils ont constitué un gouvernement autonome pour préserver leur territoire.

"Nous ne voulons pas l'indépendance, mais protéger nos terres ancestrales et que soient reconnus nos droits sur 1,3 million d'hectares où vivent plus d'une centaine de communautés wampis", déclare par téléphone Wrays Perez Ramirez, président de ce gouvernement non reconnu officiellement. Et il souligne que "les nouvelles générations vont avoir besoin de ressources naturelles pour survivre".

En Colombie, les Ingas du département du Nariño (sud-ouest) ont eux aussi lutté pour préserver la biodiversité menacée cette fois par la guerre qui dévaste ce pays depuis les années 60.

Ils ont obtenu du gouvernement un fonds commun destiné à libérer 22.283 hectares de la culture du pavot (base de l'héroïne) qui abîmait l'éco-système et était cause d'affrontements entre groupes armés.

"La terre pleurait (...) et exigeait que nous prenions soin d'elle", affirme Hernando Chindoy, gouverneur de la réserve indigène d'Inga de Aponte.

 

 

La Méditerranée empoisonnée

Source : https://www.monde-diplomatique.fr/2015/05/LANDREVIE/52952

 

Mercredi 23 décembre 2015. Suite à la décision du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 22 décembre, l’usine de Gardanne, objet d’une enquête dans notre édition de mai 2015, bénéficie d’un nouveau sursis pour mettre en conformité ses rejets liquides, tandis que le problème du stockage sur site demeure entier.

Economie circulaire ou recyclage toxique ?

Voici l'article de Mai 2015 à ce sujet :

Au nom de la préservation de l’emploi, l’usine d’alumine des Bouches-du-Rhône a bénéficié d’un très long moratoire pour mettre fin aux rejets de boues rouges dans la Méditerranée. Vingt ans plus tard, la pollution perdure et l’emploi n’a jamais paru autant menacé, faute de solutions durables. Les documents que nous versons au dossier démontrent l’importance de l’enjeu sanitaire.

Arsenic, uranium 238, thorium 232, mercure, cadmium, titane, soude, plomb, chrome, vanadium, nickel : voilà quelques composants des « boues rouges » déversées chaque jour par centaines de tonnes dans la mer Méditerranée. Une canalisation construite en 1966 rejette ces déchets à sept kilomètres des côtes, au cœur d’un site remarquable par sa biodiversité, devenu en avril 2012 le parc national des Calanques. En un demi-siècle, près de trente millions de tonnes ont été répandues à deux cent cinquante mètres de profondeur. Elles dispersent leurs éléments toxiques du golfe de Fos à la rade de Toulon, s’ajoutant aux eaux polluées du Rhône.

Ces boues émanent de l’industrie de l’aluminium. Une histoire ancienne dans cette région : la bauxite, le minerai d’aluminium, fut découverte aux Baux-de-Provence en 1821. Le procédé Bayer, mis au point à Gardanne à partir de 1893, consiste à dissoudre l’alumine qu’elle contient avec de la soude, ce qui génère une grande quantité de résidus toxiques à forte coloration rouge. L’usine appartient aujourd’hui à la société Alteo, premier producteur mondial d’« alumines de spécialité », qui exporte chaque jour plus de mille deux cents tonnes de produits finis, en particulier pour la confection d’écrans plats à cristaux liquides et de tablettes tactiles. Sur un territoire où le travail devient rare, Alteo représente près de quatre cents emplois directs et plus d’un millier en comptant la sous-traitance.

De Marseille à Cassis, les marins remontent des filets teintés de rouge et des poissons chargés en métaux lourds. Certaines espèces ont totalement disparu. Le « crime » a pourtant été dénoncé dès 1963, au moment du projet de canalisation, par le célèbre biologiste Alain Bombard. Océanographe à la retraite, Gérard Rivoire s’inquiète aussi de l’exposition radiologique : « La radioactivité naturelle de la Méditerranée est de 12 becquerels par litre ; celle des boues à la sortie du tuyau dépasse les 750 Bq/l. C’est un risque majeur pour la faune marine et pour la chaîne alimentaire. »

Alteo conteste cette analyse. Certaines études — financées par l’entreprise — permettraient de conclure à une « absence d’impact notable des résidus sur les animaux aquatiques, y compris à forte profondeur (1) ». Les batailles d’experts et l’identité de leurs commanditaires mettent en évidence la difficulté de faire valoir l’intérêt public en matière d’environnement et de santé.

Visite chez Emmanuel Macron

« Cela fait vingt ans qu’ils auraient dû se mettre aux normes », s’insurge Mme Corinne Lepage. Ministre de l’environnement en 1995, elle avait donné à l’exploitant jusqu’au 31 décembre 2015 pour cesser les rejets. Elle ne faisait là qu’honorer la signature par la France de la Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre les pollutions, adoptée à Barcelone en 1976 et renforcée en 1995.

Jouant sur un compte à rebours désormais serré, l’exploitant espère aujourd’hui imposer sa solution : séparer les éléments solides et liquides de ces boues grâce à un système de filtres-presse qui permet la valorisation de ces déchets. Miracle de l’« économie circulaire », les boues rouges deviennent alors de la Bauxaline, une matière première étanche utilisée comme remblai. En mai 2014, la société Aluminium Pechiney, propriétaire de la canalisation, demande à la préfecture une nouvelle concession de trente ans pour l’ouvrage, tandis qu’Alteo réclame une modification des conditions d’exploitation de son usine de Gardanne : plutôt qu’un arrêt total de tout rejet, elle souhaite obtenir l’autorisation de déverser en mer quatre-vingt-quatre tonnes par an d’effluents liquides.

Le 8 septembre 2014, le conseil d’administration du parc national des Calanques suscite un vif émoi en donnant son feu vert par trente voix contre seize. Son avis est assorti de réserves : il demande notamment un contrôle continu des rejets par un comité indépendant et le suivi de l’état de la canalisation. Un avis non conforme aurait probablement conduit à la fermeture de l’usine, ce que les élus locaux redoutaient, mais sans s’être inquiétés lorsqu’il était encore temps ni des conséquences sanitaires ni des risques de délocalisation. Devant le tollé, la ministre de l’écologie Ségolène Royal commande trois expertises et, dans un communiqué du 19 septembre, rappelle qu’« il faut viser un objectif de zéro rejet d’arsenic et de métaux lourds en mer ».

Premier à rendre ses travaux, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) reconnaît que les effluents résiduels ne respecteraient pas, pour sept paramètres, les valeurs limites fixées en 1998 par l’arrêté ministériel sur les rejets liquides dans le milieu naturel des installations classées (2). Evoquant des solutions combinées qui réduiraient très fortement les rejets mais « nécessiteraient plusieurs années pour être mises en place », il conclut au sujet de la proposition d’Alteo : « C’est la seule solution opérationnelle à la fin 2015, qui ne remet pas en cause la continuité de l’activité industrielle. »

« On n’en attendait pas moins du BRGM », lance Mme Michèle Rivasi, eurodéputée du groupe Europe Ecologie - Les Verts (EELV), qui se mobilise depuis 2010 avec son collègue José Bové pour exiger l’arrêt des rejets. Le BRGM peut difficilement passer pour indépendant : il figure comme partenaire d’Alteo pour la commercialisation de la Bauxaline dans le cadre d’un projet européen baptisé « Bravo » (3) — ce que Mme Royal pouvait difficilement ignorer.

Pour sa part, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) indique que la Méditerranée « semble contaminée par le mercure avec la même amplitude que le reste des océans (4) », ni plus ni moins. L’étude note toutefois que le canyon sous-marin de Cassidaigne, où débouche la canalisation, présente des concentrations en mercure de « deux à huit fois la valeur de référence géologique » et recommande le recueil d’informations complémentaires dans la zone de rejet.

Alors que l’industriel se retranche derrière les enquêtes qu’il finance pour affirmer « l’innocuité générale des résidus collectés en mer », les conclusions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) apparaissent bien plus critiques à son égard. Selon elle, le nombre très limité de données fournies par Alteo rend les interprétations « très difficiles » (5). Les experts sanitaires recommandent de réaliser de nouvelles campagnes de pêche, de déterminer la composition réelle de l’effluent futur et de caractériser les concentrations en contaminants associés à la transformation de la bauxite. Le 7 avril dernier, au vu de ce rapport, Mme Royal a stoppé net l’enquête publique sur les projets d’Alteo et demandé de nouvelles analyses, cette fois sous le contrôle de l’Anses. Alarmée par les conditions d’entreposage des résidus miniers, la ministre demande aussi au préfet d’intervenir sur le site de production.

Car la mer, les baigneurs, les poissons et ceux qui les mangent ne sont pas les seuls concernés par les dangers de contamination. L’inquiétude monte aux abords du site de Mange-Garri, situé sur une commune voisine de Gardanne. Depuis des décennies, des déchets de fabrication viennent y échouer. Selon une autorisation préfectorale du 16 novembre 2012, la Bauxaline peut y être déposée jusqu’en 2021. En janvier dernier, coup de théâtre : le maire de Bouc-Bel-Air interdit aux riverains du site de boire l’eau de leur puits, ainsi que de l’utiliser pour l’arrosage ou même pour remplir leur piscine. Alteo vient de signaler une résurgence polluée, afin de « prévenir tout risque sanitaire éventuel ».

Faute d’expertise fiable, Le Monde diplomatique a fait analyser des prélèvements par le laboratoire de toxicologie biologique et pharmacologie de l’hôpital Lariboisière à Paris. L’eau a été recueillie le 31 janvier 2015 en trois points : au niveau de la résurgence, dans un puits privé et à la sortie du tuyau où l’usine déverse ses eaux pluviales dans la Luynes, la rivière la plus proche. On y retrouve les mêmes éléments que dans les boues rouges, y compris de l’uranium 238. Les analyses que nous avons commandées montrent des concentrations en aluminium bien supérieures à celles admises par la réglementation. Les taux mesurés se révèlent supérieurs à ceux d’un document provisoire concernant les prélèvements effectués les 3 et 4 février 2015 par Antea Group pour le compte d’Alteo. Les eaux pluviales charrient également de grandes quantités d’arsenic (6). Ce qui démontre l’absence d’étanchéité du dépôt de Mange-Garri.

Autre préoccupation : la radioactivité du site se révèle trois à cinq fois plus élevée que la radioactivité naturelle. En 2006, l’industriel avait missionné la société Algade pour étudier l’impact sur l’environnement (7). L’enquête avait conclu que l’exposition du public à cette radioactivité ne pouvait dépasser le dixième de la valeur admise par la réglementation française. Pour Alteo, ces résidus ne sont pas plus radioactifs que certaines roches comme le granit. Mais les effets sur la santé peuvent être très différents en cas d’inhalation de radionucléides via les poussières de boues rouges.

En novembre 2014, des prélèvements avaient été étudiés par un laboratoire indépendant, la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), qui indiquait (8) : « Dans les déchets analysés, on constate des teneurs nettement supérieures à la moyenne de l’écorce terrestre pour l’uranium 238 et ses descendants (environ 140 Bq/kg) ; le thorium 232 et ses descendants (environ 340 Bq/kg). » Certes, ces résultats ne sont guère éloignés des mesures faites par Algade. Mais la Criirad en tire des conclusions très différentes. Compte tenu des insuffisances méthodologiques concernant le type de radioéléments détectés et la non-prise en compte des ingestions de poussière, il n’y aurait aucune certitude sur l’innocuité de l’exposition des habitants : l’effet peut se combiner avec la contamination chimique, et l’on sous-estime les impacts à long terme. D’autre part, l’étude de l’Algade ne démontre pas l’absence de radon 222 dissous, ni de plomb et de polonium 210, très radiotoxiques en cas d’ingestion.

Concernant le recyclage de la Bauxaline, il faudra tenir compte de la nouvelle directive européenne, en cours de transposition (9), qui oblige notamment à calculer les concentrations en thorium et en uranium. La Commission européenne autorise la commercialisation pour des concentrations ne dépassant pas un indice inférieur ou égal à 1. Selon la Criirad, l’indice de la Bauxaline serait compris entre 2 et 4. Pour la vendre à des constructeurs de routes ou d’ouvrages d’art, Alteo devra impérativement faire baisser la radioactivité en la mélangeant à d’autres substrats. Si l’on ajoute le coût du transport, le projet est-il seulement viable ?

En apprenant, début avril, la demande d’études complémentaires et le report de l’enquête publique — probablement à l’automne —, les dirigeants d’Alteo sont immédiatement allés plaider leur cause auprès du ministre de l’économie Emmanuel Macron. Au sortir de cette rencontre, M. Eric Duchenne, numéro deux de l’entreprise, affirmait que la fermeture de l’usine n’était pas à l’ordre du jour.

La Bauxaline séduit en tout cas les élus locaux. Quel que soit leur bord, ils se contentent généralement des études fournies par l’exploitant, pourtant dénoncées depuis des années par les associations écologistes ou les pêcheurs. L’un des élus les plus coopératifs se nomme François-Michel Lambert, député EELV des Bouches-du-Rhône. Le recyclage des boues en matériaux de construction devient une solution emblématique pour l’Institut de l’économie circulaire, qu’il préside. Et qu’a naturellement rejoint l’établissement de Gardanne, aux côtés de nombreuses autres entreprises comme EDF, Vinci ou Veolia.

« Au total, nous avons investi une trentaine de millions d’euros », souligne M. Duchenne. L’investissement dans les trois filtres-presse rassure aussi les syndicats, même si l’ambiance au sein de l’entreprise « n’est pas excellente », selon Mme Brigitte Secret, déléguée syndicale CFE-CGC : « Aujourd’hui, les gens de l’usine en ont un petit peu ras le bol de tout ça. C’est la meilleure technique connue actuellement sur le marché. L’usine a investi des sommes colossales pour réduire son impact environnemental. Alteo s’est équipé de nouvelles machines pour ramasser les poussières et on pratique des arrosages systématiques de nos produits pour qu’il n’y ait pas d’envolement. »

Ristourne sur la redevance de l’eau

Un salarié qui a souhaité rester anonyme se montre plus circonspect : « C’est très difficile de connaître la vérité. En tant qu’employés d’Alteo, on ne veut ni se mettre en danger ni devenir des pollueurs professionnels, c’est une évidence. Mais je pense que les salariés prennent le risque de ne pas connaître toute la vérité pour continuer à bosser. Ils n’ont pas envie qu’on dise qu’il faut fermer l’usine parce qu’il y aurait un danger pour notre santé. Parce que si on ferme l’usine, ça fait mille personnes au chômage, là, d’un seul coup ! »

En réalité, les trois filtres-presse destinés à déshydrater les boues ont été financés pour moitié par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. Un joli cadeau auquel s’ajoute une ristourne sur la redevance de l’eau, passée de 13 millions d’euros à seulement 2, 6 millions en 2014. Lorsqu’il était encore député, en 2012, l’actuel maire de Bouc-Bel-Air, M. Richard Mallié (UMP), a été à l’origine d’un amendement sur mesure permettant ce rabais dans la loi de finances rectificative. « Il fallait bien sauver l’usine », justifie-t-il aujourd’hui.

L’entreprise qui a su s’attirer tant de faveurs appartenait à l’origine à Aluminium Pechiney, qui est resté propriétaire des infrastructures. Après le rachat en 2003 de Pechiney par Alcan, lui-même racheté quatre ans plus tard par Rio Tinto, elle est tombée en 2012 dans l’escarcelle de l’américain HIG Capital. Celui-ci fait partie de la galaxie des fonds de placement qui ont activement soutenu la campagne du républicain Willard (« Mitt ») Romney contre M. Barack Obama lors de l’élection présidentielle américaine de 2012 (10).

En attendant les compléments d’enquête sur l’environnement demandés par la ministre de l’écologie, les questions de santé publique restent les plus difficiles à éclaircir. Les envols d’éléments toxiques inquiètent les riverains, qui suffoquent littéralement quand le mistral se lève. En visitant leurs maisons, on peut voir les traces de cette poussière rouge qui s’infiltre partout. D’après notre décompte, sur la vingtaine d’habitants vivant au plus près du dépôt de boue, huit souffrent de cancers, une de la maladie de Charcot et cinq ont des problèmes de thyroïde. Pressé par ses administrés depuis des mois, le maire de Bouc-Bel-Air vient de demander une enquête au ministère de la santé. L’Agence régionale de santé (ARS), quant à elle, refuse de livrer ses chiffres de morbidité par cancer pour les communes de Gardanne et de Bouc-Bel-Air. Et le médecin du travail qui s’occupe des salariés de l’usine n’est guère plus loquace…

Barbara Landrevie

Journaliste.
Monde Diplomatique
 

(1) Questions-réponses sur www.alteo-environnement-gard...

(2) « Usine d’alumines de spécialités d’Alteo Gardanne. Tierce expertise… » (PDF), rapport final du BRGM, Orléans, décembre 2014.

(3) Bauxite Residue and Aluminium Valorisation Operations, projet soutenu par la Commission européenne.

(4) Expertise sur la « Contamination significative historique en milieu marin en Méditerranée... » (PDF), Ifremer, Issy-les-Moulineaux, 23 janvier 2015.

(5) Appui scientifique et technique de l’Anses, saisine no 2014- SA-0223, Maisons-Alfort, 2 février 2015.

(6) L’aluminium est neurotoxique. L’arsenic est cancérigène, également responsable de troubles digestifs et de la reproduction.

(7) Algade émane de l’ancienne Cogema, aujourd’hui Areva.

(8) Rapport publié sur le site Hexagones.fr, décembre 2014.

(9) Directive 2013/59/Euratom.

(10) « Vote counting company tied to Romney », Free Press, 27 septembre 2012.

UE - Le Parlement dénonce les excès des brevets sur le vivant Eric MEUNIER

Source : http://www.infogm.org/5882-europe-parlement-denonce-exces-brevet-sur-le-vivant

décembre 2015

 

Le jeudi 17 décembre, les députés du Parlement européen ont adopté à une forte majorité [1] une résolution, non contraignante, qui demande à la Commission européenne de clarifier les règles légales pour que les produits (végétaux ou animaux) obtenus par des techniques de sélection reproduisant des phénomènes naturels [2] soient exclus de la brevetabilité.

 
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La brevetabilité du vivant est en pleine expansion dans l’Union européenne. Le 25 mars 2015, la Grande Chambre de l’Office européen des brevets (OEB) confirmait en effet qu’un produit végétal est brevetable même s’il a été obtenu par un procédé non brevetable qui « consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisements ou la sélection » [3] [4].

Par ailleurs, les nouvelles techniques de biotechnologie, brevetables, permettent, de facto, de breveter tous les produits qui en sont issus... et par ricochet, certains caractères des plantes dits « natifs » parce qu’ils existent ou peuvent exister naturellement. Le langage courant a consacré l’expression très approximative et réductrice de « gène natif ». Il ne s’agit en effet que très rarement d’un seul gène et la plupart du temps, aucune séquence génétique n’est clairement identifiée. Un caractère, « trait » ou « unité fonctionnelle d’hérédité » brevetable est dans les faits constitué de l’association d’une fonction (résistance à un insecte, tolérance à un herbicide, caractères nutritionnel...) à son support physique héréditaire qui n’est pas obligatoirement décrit avec précision et dont seule la présence est identifiée par des paramètres génétiques, moléculaires, chimiques ou physiques. Ces paramètres, dématérialisés pour pouvoir être compilés dans des bases de données informatiques, sont qualifiés d’« information génétique » ; « génétique » parce qu’elle identifie un support héréditaire, même en l’absence d’indication du moindre paramètre strictement génétique.

Des brevets sur les « gènes natifs » légalement possibles en Europe

L’Union européenne a réglementé son droit des brevets en adoptant en 1998 la directive 98/44. Selon cette directive, l’identification du lien entre une information génétique et une fonction exprimée par certaines plantes ou certains animaux peut être qualifiée d’invention brevetable dès lors qu’elle est nouvelle et susceptible d’application industrielle. Ce brevet s’applique alors à toutes les plantes, à tous les animaux et à leurs produits contenant l’information génétique et exprimant la fonction décrite dans le brevet, qu’ils soient ou non issus de la multiplication du produit breveté ou de l’utilisation du procédé breveté.

Pour les agriculteurs et les obtenteurs de nouvelles variétés, cela pose un sérieux problème : si une séquence génétique brevetée se trouve « naturellement » ou suite à une contamination « accidentelle » dans leurs semences, leur usage est de facto soumis à l’autorisation du détenteur du brevet. Pour les agriculteurs, cela les oblige tout simplement à acheter chaque année des semences brevetées afin de pouvoir amener la preuve qu’ils ont payé les droits de licence qui sont exigés dès qu’une rapide analyse de leur récolte révèle la présence du marqueur génétique d’un brevet. Pour les obtenteurs, cela remet en cause le régime de propriété intellectuelle portant sur les variétés de plantes adopté en Europe, le Certificat d’Obtention Végétale (COV). Ce COV prévoit en effet une exception pour les obtenteurs qui leur permet non seulement de sélectionner une nouvelle variété en utilisant une variété protégée par un COV, mais aussi de commercialiser la nouvelle variété ainsi obtenue sans rien devoir au propriétaire du COV. Ce qui n’est pas le cas pour le droit européen des brevets, pour lequel l’obtenteur doit obligatoirement obtenir une licence d’exploitation s’il veut travailler avec une plante portant un caractère breveté. D’où le problème qui se pose aujourd’hui aux agriculteurs et aux obtenteurs, qui de plus ne savent souvent même pas si les plantes qu’ils cultivent ou qui sont les bases de leur sélection variétale sont couvertes par des brevets ou non.

Les professionnels des semences, industries comme organisations de la société civile, se sont donc mobilisés [5]. Mais les objectifs ne sont pas les mêmes. En effet, de nombreuses organisations de la société civile réclament depuis longtemps une interdiction totale des brevets sur le vivant. Les industries souhaitent, elles, renforcer leur compétitivité.

À la demande des semenciers, certains pays européens [6] ont déjà introduit dans leurs lois nationales une exception de recherche permettant d’utiliser librement un produit breveté pour des travaux de recherche ou de sélection sans rien demander ni payer au titulaire du brevet. Il en est de même du futur brevet unitaire européen. Mais, sans le droit de licence correspondant, cette exception ne permet pas de commercialiser un nouveau produit s’il contient encore l’information génétique brevetée, ou s’il est issu de la multiplication, « sous forme identique ou différenciée », du produit du procédé initialement breveté. Le nouvel obtenteur peut par exemple élaborer un nouveau produit - contenant la même information génétique déjà brevetée par ailleurs - dès lors qu’il l’associe à une nouvelle fonction suffisamment différente de celle qui est décrite dans le premier brevet, ou composé de nouveaux indicateurs d’une même fonction, ou encore apporter un perfectionnement important au procédé initialement breveté... Mais l’exception de recherche ne l’autorise pas à commercialiser son nouveau produit sans obtenir un droit de licence du détenteur du premier brevet, contrairement à l’exception de l’obtenteur d’un COV qui n’impose pas cette obligation.

Pour pallier les risques de blocage de l’innovation sans renoncer à leurs brevets, certains semenciers se sont organisés au sein d’une plate-forme internationale de licences pour les végétaux dans laquelle ils s’assurent l’accès à leurs brevets respectifs [7]. Leur objectif est de rendre ce système obligatoire par la loi afin d’avoir accès aux brevets des grandes multinationales qui refusent d’y adhérer volontairement.

Un Parlement qui conteste l’interprétation d’une directive qu’il a lui-même votée

La résolution adoptée le 17 décembre 2015 au Parlement européen demande notamment que « la Commission [européenne] clarifie d’urgence les règles existantes - en particulier la directive sur les inventions biotechnologiques - […] afin de veiller à ce que les produits obtenus par une sélection conventionnelle ne puissent être brevetés ». Elle demande également que « l’UE et ses États membres (...) [garantissent] l’accès et l’utilisation du matériel obtenu à partir de processus [sic, le terme correct est en fait "procédé"] essentiellement biologiques pour la sélection végétale ». A toutes fins utiles, la résolution demande à la Commission de transmettre à l’OEB cette clarification qui devrait alors être mise en œuvre (l’OEB ne dépend pas de l’Union européenne mais doit, de facto, suivre la législation européenne puisqu’une majorité de ses membres y est soumise et qu’elle sert de référence pour l’interprétation de ses propres règles d’exécution).

Le Parlement européen précise également sa propre interprétation de la directive européen selon laquelle « les produits obtenus à partir de processus essentiellement biologiques, comme les plantes, les semences, les caractères ou les gènes natifs, devraient par conséquent être exclus de la brevetabilité ». Par cette interprétation, le Parlement, qui est chargé de co-rédiger les lois européennes, conteste frontalement l’application par le juge d’une directive qu’il a lui-même approuvée.

Une résolution qui favorise les technologies génétiques et ignore les besoins des petits sélectionneurs et des paysans

Si cette résolution répond aux attentes des gros obtenteurs qui détiennent déjà de nombreux brevets qu’ils peuvent échanger pour avoir accès à ceux de leurs concurrents, sa portée est à relativiser car elle ne couvre pas les produits obtenus par les nouvelles techniques de biotechnologie, brevetables, et qui peuvent, par ailleurs, exister naturellement.
Ainsi, une séquence génétique qui a été modifiée par mutagenèse dirigée par oligonucléotide [8] n’est pas exclue de la brevetabilité par cette résolution alors même qu’une séquence ne pouvant pas en être distinguée peut exister à l’état naturel [9] et se retrouver de ce fait couverte par le brevet.

Préalablement au vote, la Confédération Paysanne et le Réseau Semences Paysannes avaient réagi à la proposition de résolution en soulignant l’insuffisance de la directive 98/44 à protéger les agriculteurs et les petits sélectionneurs [10]. Les deux organisations soulignaient ainsi, à la veille du vote au Parlement européen, que cette résolution « réclame certes l’interdiction des brevets sur les plantes issues de procédés naturels de sélection, mais qu’elle ne s’oppose pas à la brevetabilité de leurs gènes ou caractères natifs lorsqu’ils sont recopiés et ré-assemblés par les nouvelles techniques de modification génétique ». Pour elles, « si cette résolution devenait loi, toutes les plantes et tous les animaux contenant un gène ou un caractère natifs ainsi brevetés ne pourraient plus être cultivées ni élevés librement, y compris celles et ceux qui ne sont pas issus du procédé breveté, mais de procédés naturels de sélection ». En d’autres termes, les brevets sur les « gènes natifs » obtenus à partir de procédés essentiellement biologiques seraient peut-être interdits ; mais si l’obtention de ces mêmes « gènes » est possible par une nouvelle technique de biotechnologie brevetable, alors ces brevets resteraient autorisés dans les faits.

De même, la résolution du Parlement européen demande à l’Union européenne « d’autoriser la sélection avec des matières biologiques relevant de la portée d’un brevet ». Pour aller plus loin que cette exception de sélection déjà existante dans quelques lois nationales [11] et obtenir un accès libre et gratuit aux traits brevetés pour commercialiser les produits issus de leur modification par la nouvelle sélection, certaines associations de semenciers comme Plantum [12] revendiquent une « exception totale de sélection ». Mais le Parlement ne les a pas suivies. Sa résolution n’exclut en effet pas un accès payant. Elle renvoie au contraire aux articles de la directive qui définissent les procédures de licences obligatoires que le détenteur du brevet ne peut certes pas refuser d’accorder à ceux qui les demandent, mais qui restent sonnantes et trébuchantes.

Cette demande est jugée insuffisante par la Confédération Paysanne et le Réseau Semences Paysannes qui considèrent que l’application aux brevets de cette exception, qu’elle soit partielle ou totale, est sans intérêt pour les agriculteurs et les petits sélectionneurs. En effet, dDans le cas du droit de protection des obtentions végétale qui la définit, cette exception permet d’utiliser une variété protégée afin d’en sélectionner une autre. Cette utilisation peut se faire par des procédés qui s’effectuent naturellement comme le croisement et la sélection, à la portée d’un paysan ou d’un petit sélectionneur. Mais dans le cas du brevet, cette exception ne permet pas l’utilisation du trait génétique breveté pour l’intégrer par croisement dans une nouvelle variété, ni pour reproduire des semences contaminées ou contenant naturellement les gènes brevetés. Cela annulerait de fait le brevet qui protège toutes les plantes caractérisées par ce seul gène, ou trait, et non par l’ensemble du génotype des plantes qui caractérise une variété. Cette exception permet uniquement l’utilisation du trait génétique breveté pour en sélectionner un autre selon ces organisations qui expliquent donc que « seules les grandes entreprises de biotechnologie modifient les gènes pour en sélectionner d’autres. Les agriculteurs et les petits sélectionneurs ne pourraient jamais profiter d’une telle « exception totale de sélection ». Elle serait réservée au club fermé des biotechniciens qui se partageraient ainsi l’exclusivité totale de l’accès au patrimoine semencier et animal sélectionné et conservé par des centaines de générations de paysans ».

Les deux organisations appelaient donc les parlementaires européens à « refuser toute forme de brevet sur les plantes, les animaux, leurs composantes génétiques ou leurs caractères natifs obtenus ou pouvant être obtenus par des procédés naturels tels que le croisement et la sélection » et à « exiger une exception totale de l’agriculteur n’entravant d’aucune manière ses droits de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre ses propres semences et ses propres animaux de ferme, de vendre sa récolte, ses animaux et les produits qui en sont issus et d’accéder sans droit de licence à toutes les ressources génétiques dont il a besoin ». Définie par le droit des obtentions végétales, l’application de cette exception de l’agriculteur au droit des brevets serait, selon le Réseau Semences Paysannes, beaucoup plus forte que celle de l’exception de l’obtenteur. Contrairement à cette dernière qui ne permet d’utiliser le produit protégé par un droit de propriété intellectuelle que pour en sélectionner et en commercialiser un nouveau, l’exception de l’agriculteur permet de commercialiser un produit identique au produit protégé par le droit de propriété intellectuelle à partir du moment où il est issu de l’utilisation par les agriculteurs « à des fins de reproduction et de multiplication, sur leur propre exploitation, du produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture, sur leur propre exploitation » [13], de semences protégées par le droit de propriété intellectuelle. Les agriculteurs n’auraient ainsi pas besoin de modifier l’information génétique brevetée pour pouvoir utiliser leurs semences et commercialiser leur production.

La résolution adoptée par le Parlement européen est une résolution non législative, autrement dit un avis politique non contraignant pour la Commission européenne et l’Organisation européenne des brevets. Elle devient aussi un élément d’un possible débat à venir autour de la directive 98/44, même si elle ne demande pas explicitement que cette directive soit modifiée. Elle peut par contre constituer un argument de poids en cas de procédure auprès de la Cour européenne de justice, ou au cas où les États membres voudraient rouvrir la directive 98/44... Et les Pays-Bas ont déjà annoncé leur volonté de mettre à profit leur présidence de l’UE durant le premier semestre 2016 pour mettre ce sujet à l’ordre du jour du Conseil...

 

28/12/2015

Les Actions du Mouvement de L'Immigration et des Banlieues (MIB)

 

 

 

"30 ans que les banlieues réclament justice et que des revendications précises ont été formulées au travers de marches, de révoltes, de grèves de la faim, de manifestations et de réunions publiques. 15 ans que le Ministère de la Ville a été crée pour répondre à la relégation sociale et la ségrégation urbaine des cités. Les gouvernements passent avec leurs lots de sigles et de recettes miracles "politique de la ville, rénovation urbaine, cohésion sociale : DSQ, ZEP, ZUP, ZAC, ANRU....".

Nos quartiers servent de défouloir pour des politiques et des médias en mal de petites phrases assassines sur les "territoires perdus de la République", "parents irresponsables", "zones de non-droit" "mafiatisation" et autres "dérives islamistes". Les habitant-e-s, et notamment les jeunes, sont stigmatisé-e-s et désigné-e-s comme les principaux responsables des dérives de notre société. Ca ne coûte pas cher de donner des leçons de civisme et de montrer du doigt les "racailles" ou les "sauvageons" en les jetant à la vindicte populaire.

Les banlieues deviennent une problématique à part, dont on confie la gestion à la police et à la justice. Pourtant des révoltes des Minguettes (1981) à celles de Vaulx-en-Velin (1990), de Mantes-la-Jolie (1991) à Sartrouville (1991), de Dammarie-les-Lys (1997) à Toulouse (1998), de Lille (2000) à Clichy sous Bois (2005), les messages sont clairs :

Assez des crimes et des violences policières impunis, des contrôles aux faciès, des écoles au rabais, assez de chômage programmé, de sous-emplois, de logements insalubres, assez de la prison, assez de hagra et d'humiliations ! On s'habitue aux souffrances silencieuses de millions d'hommes et de femmes qui subissent au quotidien des violences sociales bien plus dévastatrices qu'une voiture qui brûle."

 

 

 

 

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27/12/2015

Réseau Gladio : l'armée secrète anticommuniste en Europe

Quand le passé peut éclairer le présent, pourtant très opaque...........

 

 

 

 

 

25/12/2015

Joyeux Noël ?!

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24/12/2015

Jean-Marc Le Bihan, à écouter ce soir !

"Tous ces politiciens menteurs qui se forgent un pouvoir sur le déséquilibre humain, jusqu'à devenir des assassins de l'ordre, ces religieux faux prophètes qui n'ont rien dans la tête et qui se croient plus grands que Dieu et Dieu lui-même qui se croit grand. Pourquoi faut-il souffrir et pourquoi faire souffrir ? Au royaume des hommes devenus masochistes, cette tendresse errante sans frontière, sans papiers, dérange l'ordre établi. Nous sommes tous des errants. Il n'y a pas d'élus. Les races ne sont que les vêtements du corps, la pensée mise en tendresse est de toutes les couleurs, elle ne se soumet pas à la connerie universelle, au troupeau. La pensée est poésie, elle voyage sans drapeau, sans pays. Elle solitude l'homme pour le rendre à lui-même. Elle n'est pas un numéro ni un compte en banque, elle ne s'agenouille pas devant le pouvoir de l'argent, elle déteste les puissants, elle sait que toute action qui conduit à la destruction de l'autre est une infamie Elle est émigrante, cela fait cent mille ans qu'elle émigre, qu'elle dépasse tout horizon, elle ne sert à rien d'autre qu'à nous faire rencontrer. Nous sommes la pensée. Ce petit livre, si tu le gardes, mets-le dans ta poche, lis-le de temps en temps, cela te rapprochera de moi, je n'ai ni tort ni raison, je cherche sans savoir quoi chercher. Sache que mes chansons sont des petites chansons qui ne servent à rien, mais si elles peuvent t'aider, je suis le plus heureux des hommes. Je ne suis qu'un porteur de chansons, un griot de l'espoir, inutile en tout, mon indépendance pour vérité. Je suis un chat de gouttière."

Jean-Marc Le Bihan

 

 

 

 

Turquie: le bilan du nouveau naufrage en Egée grimpe à 18 morts

C'était ce matin à l'aube, alors des pensées d'amour oui en ce jour où beaucoup sont occupés à préparer leur réveillon, et pardon pour la connerie humaine, je demande pardon à tous ces enfants qui n'ont même pas la joie de simplement rester en vie pour noël...

cg

 

 

AFP
24/12/2015

Dix-huit migrants, dont plusieurs enfants sont morts au large des côtes occidentales de la Turquie lors du naufrage à l'aube en mer Egée de leur embarcation qui se dirigeait vers l'île grecque de Lesbos, a rapporté l'agence de presse Dogan. Un précédent bilan faisait état de 8 morts, dont six enfants.

Le petit bateau surchargé qui a quitté la localité turque de Dikili (ouest), s'est renversé à deux miles marins au large de la côte, en face du hameau de Bademli, en raison d'une météo défavorable qui a produit une mer particulièrement houleuse, a précisé l'agence.

Vingt-et-un autres occupants de l'embarcation, dont un nourrisson âgé d'un an, ont été secourus par les gardes-côtes turcs qui recherchaient encore deux disparus, ajoute Dogan. La nationalité de ces candidats à l'immigration n'a pas été précisée.

Malgré les températures hivernales qui rendent la périlleuse traversée de l'Egée encore plus dangereuse, les migrants continuent d'emprunter, même si leur nombre a baissé, cette voie, porte d'entrée de l'Europe, selon les autorités.

En raison d'une baisse de la demande, les passeurs offrent désormais leur service à 500 dollars par personne alors qu'ils réclamaient 1.200 dollars pendant l'été, selon les médias turcs. Mais les naufrages sont toujours quasi-quotidiens.

Au moins 13 migrants, dont sept enfants, sont morts noyés au large de l'ilot grec de Farmakonissi lorsque leur embarcation a coulé dans la nuit de mardi à mercredi. Ce naufrage a eu lieu quelques heures après la publication d'un communiqué conjoint de l'Onu et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) indiquant qu'un million de migrants sont entrés en Europe cette année.
Et la veille 11 migrants dont trois enfants avaient perdu la vie dans un naufrage similaire au large de la Turquie.

Selon l'OIM, près de 3.700 migrants, pour la plupart fuyant les conflits en Syrie et ailleurs, sont morts ou portés disparus cette année en mer: environ 700 en tentant de traverser la mer Egée pour rejoindre la Grèce et près de 3.000 en Méditerranée en direction de l'Italie.

Ankara et Bruxelles ont conclu fin novembre un accord prévoyant une aide européenne de 3 milliards d'euros à la Turquie en échange de son engagement à mieux contrôler ses frontières et à coopérer dans la lutte contre les passeurs qui opèrent depuis son rivage. La Turquie accueille sur son sol 2,2 millions de réfugiés syriens.

Les grottes souterraines : nouvelle forme d'habitat à Hama (Syrie)

Source : http://blog.francetvinfo.fr/expressions-syriennes/2015/12/21/les-grottes-souterraines-nouvelle-forme-dhabitat-a-hama.html

Hama, novembre 2015. Photo M. Hamwi pour Rozana

L'article qui suit reproduit des entretiens menés par le journaliste Mouhammad Al-Hamwi et publiés dans leur version audio sur le site de Radio Rozana le 11 décembre 2015. Dans les environs de la ville syrienne de Hama, le journaliste a rencontré des habitants qui ont dû s'entraider pour créer un abri permanent leur permettant de se protéger, et de protéger les populations les plus vulnérables surtout. Ainsi, une forme d'habitat très ancien, mais tout nouveau pour les habitants, est née dans cette ville.

En raison de la fréquence de plus en plus importante des frappes sur leur région, les habitants des environs du nord de Hama ont opté pour des moyens plus efficaces pour se protéger contre les frappes du régime syrien et de l’aviation russe. Abou Ahmad, l’un des habitants des environs de Hama, explique à Rozana comment les habitants se sont installés dans des grottes souterraines.

« Et bien, mon frère, on a creusé cette cave à cause des frappes quotidiennes que ce soit de la part de l’aviation militaire ou des hélicoptères, et à cause des barils explosifs que le régime nous jette dessus. On a été obligés de creuser des tunnels et des grottes, des sortes de cavernes si tu veux, pour protéger les enfants des environs et pour protéger les femmes du village. C’est surtout pour les enfants et les femmes que nous avions le plus peur, peur qu’ils ne soient touchés par les frappes de l’aviation et des hélicoptères. Personne et aucun membre de la communauté internationale n’a pensé à nous, par exemple en imposant un blocus aérien, une zone d’exclusion aérienne. On a donc dû creuser des cavernes souterraines pour nous y installer au lieu de rester dans nos maisons. On a laissé tomber nos gagne-pain et nos logements et on est descendus vivre dans des caves. »

Abou Ahmad ajoute que pour creuser une petite caverne, cela revenait très cher dans les conditions de vie difficiles que traverse le pays.

« Bien-sûr, mon frère, creuser une petite "cave" est devenu très coûteux avec la hausse des prix. Le coût nécessaire pour creuser une seule cave s’élève à peu près à 75.000 lires syriens. Par contre, il n’existe aucun revenu pour les familles ni pour les habitants présents. On a été obligés de les creuser à la main ces petites grottes souterraines. Et en économisant ces frais, on a pu garantir de quoi nourrir les petits et de quoi fournir les besoins quotidiens, aux enfants et aux femmes. Et c’est comme ça qu’on a pu survivre ici. »

Hama, novembre . Photo M. Hamwi pour Rozana

Hama, novembre 2015. Photo M. Hamwi pour Rozana

Abou Omar, l’une des personnes qui ont participé à creuser, explique que l’un des facteurs qui alourdissent la tâche de ceux qui travaillent dans ce contexte est la coupure du courant électrique ce qui constitue une charge supplémentaire et prolonge le temps nécessaire au travail.

« Ca fait plus de deux ans que je travaille dans ce domaine et que je creuse des caves. Nous sommes toujours confrontés à des problèmes et des difficultés qui nous rendent la tâche plus compliquée. Essentiellement, parce que nous creusons dans un terrain rocheux. Notre plus grand problème ici, c’est la coupure du courant électrique de manière continue et pour de longues heures. Et donc, nous nous trouvons obligés de travailler avec des outils traditionnels destinés à l’usage manuel, comme le marteau et le burin. Ca se répercute clairement sur la rapidité avec laquelle nous travaillons et sur l’effort plus important que nous devons fournir. »

Selon Aou Omar, la plupart des régions des environs de Hama, au nord, se sont trouvées de nouveau propulsées dans l’âge de pierre en raison du siège imposé par les forces du régime et à cause des frappes continues. En effet, les gens ont réintégré des caves comme modes d’habitat et la cuisine se fait à même le feu.

« Je t’assure, mon frère, que la plupart des régions du nord de Hama se retrouvent de nouveau à l’âge de pierre à cause des coûts de vie très élevés, du siège qui nous est imposé par les forces du régime et des frappes que nous subissons au quotidien de la part de l’aviation, de l’artillerie et de toutes sortes d’armes dont dispose l’armée. Et où loge-t-on maintenant ? Dans les caves, sous la terre ! Et la cuisine, c’est à même le feu qu’on doit la faire à présent. Et pourquoi ? A cause des prix du gaz et des combustibles, et en raison de leur rareté ! Et si tu les trouves, tu les payes très cher ! Nous voilà donc de nouveau en plein âge de pierre, dans tous les sens du terme ! »

Ceci étant dit, la dégradation des conditions de vie humaine et la poursuite des frappes de la part du régime sur la plupart des régions dans les environs de Hama, n’ont cependant pas empêché les gens de rechercher tout moyen efficace pour les protéger.


Rozana-YT

Lancée en 2013, Radio Rozana est diffusée à partir de Paris et de la ville de Gaziantep proche de la frontière syrienne (en Turquie). Cette radio est apolitique et areligieuse, et s’efforce de représenter une variété d’opinions, de sensibilités et de communautés en Syrie. Elle est diffusée à l’intérieur de la Syrie sur les ondes FM et sur internet. Hors de Syrie, cette radio est accessible sur internet

Noël plus triste que jamais dans le sultanat de Brunei pro-charia

Source : http://www.lorientlejour.com/

Le sultan de Brunei est propriétaire entre autres de la chaîne d'hôtels Dorchester Collection, qui possède le Plaza Athénée à Paris et d'autres établissements de prestige à Londres, Milan et Rome, ainsi que le Bel-Air et le Beverly Hills Hotel à Los Angeles. AFP PHOTO / BEN STANSALL

Selon les autorités les décorations de Noël risquaient de détourner les musulmans du droit chemin.

OLJ/AFP
24/12/2015

Ni guirlandes ni éclairages de fêtes: Noël s'annonce plus triste que jamais dans le sultanat de Brunei où les célébrations ont été interdites conformément à la charia appliquée dans ce riche petit Etat pétrolier d'Asie du Sud-Est. Le tout puissant sultan Hassanal Bolkiah, l'un des hommes les plus riches du monde, avait annoncé l'an passé l'introduction progressive de la loi islamique (charia) prévoyant à terme de lourdes sanctions comme la mort par lapidation ou les amputations.

Ce mois ci, les autorités de ce pays de quelque 430.000 habitants dont les deux tiers sont musulmans ont mis en garde contre la stricte interdiction des célébrations de Noël, arguant que les décorations pour cette fête célébrée le 25 décembre par les chrétiens risquaient de détourner les musulmans du droit chemin. Les contrevenants s'exposent à de sévères sanctions allant jusqu'à cinq ans de prison, et des habitants observent que la loi a été appliquée plus strictement cette année. "Pour moi, ça va être un Noël plus triste que jamais", a confié à l'AFP un expatrié malaisien qui a requis l'anonymat. "Ce qu'il y a de mieux le jour de Noël, c'est de se réveiller et d'avoir le sentiment que c'est Noël, mais il n'y a rien de tout ça ici, et on se sent démuni", dit-il.

Les sociétés qui ont mis des décorations de Noël ont été priées de les retirer, et les contrôles se sont multipliés dans la capitale Bandar Seri Begawan. Des hôtels populaires accueillant des touristes occidentaux sont désormais privés de guirlandes électriques et sapins de Noël qui égayaient naguère leur établissements en fin d'année. "Tout ça seulement parce que le sultan le veut", déplore un expatrié chrétien interrogé par téléphone. "En 2013, j'ai vu de nombreux musulmans et chrétiens passer de bons moments pendant les fêtes chez eux. Tout se passait bien", dit-il.

La plupart des habitants ont peur de parler ouvertement de cette interdiction, redoutant des sanctions des autorités, et n'ont d'autre choix que de s'y accoutumer. "Je vais travailler à Noël après la messe. Nous devons tout simplement nous y faire", raconte une serveuse philippine contactée par téléphone. Certains n'ont cependant pas hésité à publier des images de fête de Noël sur les réseaux sociaux.

 

Ni croix, ni bougies
Des Brunéiens musulmans critiquent l'offensive anti-Noël: "Cette interdiction est ridicule. Elle renvoie l'image d'un islam qui ne respecte pas les droits des autres religions pour célébrer leur foi", estime une mère de famille musulmane qui a requis l'anonymat. "L'islam nous apprend à nous respecter les uns les autres, et je crois que cela commence par le respect des autres religions, même si ce qui est interdit sont des ornements", dit-elle à l'AFP.

D'autres disent comprendre l'interdiction de toute forme de célébrations de Noël dans les lieux publics, qui vise selon les autorités de Brunei à éviter la conversion des musulmans, tandis que des leaders religieux ont affirmé que l'attirail de Noël était contre l'islam. "Au cours des célébrations de Noël, les musulmans qui suivent les préceptes de la religion chrétienne -- en utilisant des symboles comme la croix, les bougies allumées, les sapins de Noël et les chants religieux agissent contre la foi islamique", ont déclaré des responsables musulmans lors d'une prière du vendredi ce mois, selon le Bulletin de Bornéo.

Le sultan, dont la fortune est estimée à 20 milliards de dollars, est propriétaire entre autres de la chaîne d'hôtels Dorchester Collection, qui possède le Plaza Athénée à Paris et d'autres établissements de prestige à Londres, Milan et Rome, ainsi que le Bel-Air et le Beverly Hills Hotel à Los Angeles. La stricte application de la charia avait provoqué l'an passé des appels au boycott d'hôtels appartenant au sultan.

Certains Brunéiens affirment que l'interdiction des célébrations de Noël est un pas dangereux vers l'intolérance religieuse à Brunei, le seul pays d'Asie du Sud-Est à appliquer strictement la charia.
"Dans l'ère de la mondialisation, de nombreux pays essayent d'unir des gens différents et des religions différentes, mais cela ne semble pas être le cas ici", déclare à l'AFP un étranger catholique.
"Ici, les chrétiens sont écartés de la communauté musulmane majoritaire", déplore-t-il.

Moustafa Jacoub - Nuit de Noël

Moustafa Jacoub Nuit de Noël.jpg

Cloîtrés et tremblants, les Kurdes de l'Est de la Turquie pris au piège des combats

Source : http://www.lorientlejour.com/

Les forces de sécurité turques ont lancé la semaine dernière une offensive d'envergure dans plusieurs villes du sud-est à majorité kurde du pays, notamment Cizre et Silopi, dans la province de Sirnak. AFP / BULENT KILIC

Turquie

Dix mille soldats et policiers pourchassent des jeunes partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

OLJ/AFP/Fulya OZERKAN
24/12/2015

Son stock de vivres s'épuise à vue d’œil, mais Bahattin Yagarcik n'a pas le choix: tant que les obus pleuvront sur son quartier de Cizre, théâtre de violents combats entre l'armée turque et les rebelles kurdes, il ne pourra quitter sa cave. "Des chars ont été déployés sur les collines qui surplombent la ville et mon immeuble de trois étages a pris feu après un bombardement la semaine dernière. Il est inhabitable", a raconté à l'AFP M. Yagarcik, joint par téléphone depuis Ankara.

Les forces de sécurité turques ont lancé la semaine dernière une offensive d'envergure dans plusieurs villes du sud-est à majorité kurde du pays, notamment Cizre et Silopi, dans la province de Sirnak. Dix mille soldats et policiers, selon la presse, appuyés par des chars et des hélicoptères, pourchassent dans les rues de ces villes placées sous couvre-feu de jeunes partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Comme M. Yagarcik, les habitants qui n'ont pu fuir se cloîtrent. "Nous -quatre famille, 26 personnes au total, dont quatre bébés- avons trouvé refuge dans un sous-sol de deux pièces", raconte-t-il. "Nous sommes frigorifiés. Très peu d'électricité. Nous utilisons à peine nos téléphones car les batteries s'épuisent, tout comme la nourriture".

Après plus de deux ans de cessez-le-feu, des combats meurtriers ont repris l'été dernier entre Ankara et le PKK, faisant voler en éclats les pourparlers de paix engagés en 2012 pour mettre un terme à un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984. Les militants du PKK, mais aussi les jeunes milices du YDG-H (Mouvement des patriotes révolutionnaires, proche du PKK), ont profité de deux ans d'accalmie pour s'implanter dans les villes "libérées", creusant des tranchées et érigeant des barricades pour empêcher l'entrée des forces de sécurité. Une nouvelle stratégie qui a paralysé ces villes.

En se déplaçant des traditionnelles zones rurales aux centres urbains, les combats ont provoqué l'exode de quelque 200.000 personnes. "Nous sommes désespérés", soupire M. Yagarcik, "il n'y a pas de chauffage, les bébés pleurent. Vingt-quatre obus se sont écrasés dans le quartier en moins d'une minute, j'ai compté."

 

(Lire aussi : « En Turquie, il y a vraiment des gens atteints du syndrome de Stockholm »)

 

Cloîtrés dans la cave ou sous l'escalier
Après le triomphe de son parti aux législatives du 1er novembre, le président Recep Tayyip Erdogan a promis d'"éradiquer" le PKK, qui, dit-il, "empoisonne la paix de notre pays par ses actes". L'armée turque a accusé les rebelles kurdes d'utiliser des écoles comme postes de tir et de cibler des hôpitaux. "N'ayez aucun doute", a déclaré lundi le chef de l'Etat, "l'organisation terroriste sera ensevelie dans les tranchées qu'elle a creusées".

Militants et responsables kurdes reprochent à l'armée d'agir avec impunité en réduisant des quartiers entiers en ruines. Et dans un rapport publié mardi, l'ONG Human Rights Watch exhorte la Turquie à "mettre un terme à l'usage disproportionné de la force". Des images partagées par les habitants de Cizre et Silopi sur les réseaux sociaux montrent des bâtiments calcinés et des villes secouées par les impacts d'obus.

Plus de 100 "terroristes" ont été "neutralisés" dans la seule ville de Cizre depuis la semaine dernière, a assuré l'état-major turc, un bilan impossible à vérifier dans l'immédiat. "Mon quartier à Silopi est pratiquement assiégé", confie à l'AFP Sehmus Baran, joint par téléphone. "Les fenêtres de notre appartement ont volé en éclats. Il gèle à l'intérieur. Nous nous sommes abrités sous les escaliers de l'immeuble". Pas d'eau courante pendant trois jours, "l'électricité va et vient", ajoute cet étudiant qui rêve de devenir fonctionnaire, se demandant si "les Nations unies sont en train de faire quelque chose".

Murat Oktar, un responsable municipal du quartier de Nur, à Cizre, a fui vers un village voisin la semaine dernière. "Le bombardement est ininterrompu. Tout le monde a peur. L'Etat utilise tant de force, c'est comme si un pays ennemi nous bombardait", a-t-il déploré. "Les boutiques sont fermées, les gens font des réserves de fromage et de blé", a-t-il poursuivi. "Certains ont été blessés, ils ont appelé des ambulances, mais pas de réponse. Nous ne sommes pas en sécurité".

 

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23/12/2015

« Comment la mafia du tabac nous manipule », un ouvrage saisissant sur les coulisses du lobby du tabac

 

Publiée mardi 18 août

Sorti il y a quelques semaines en librairies, l’ouvrage de Marc Lomazzi, journaliste et rédacteur en chef adjoint du Parisien-Aujourd’hui en France révèle, témoignages de cadres importants de l’industrie du tabac à l’appui, les coulisses du puissant lobby du tabac et ses méthodes dignes de la mafia.

Trafic d’influence, infiltration des hautes sphères de l’Etat, entente sur les prix, évasion fiscale, pots-de-vin, circuits parallèles de ventes, ciblage systématique des jeunes, l’auteur enquête au sein d’une industrie qui « tue en quinze jours autant que la route en un an »

 

Une petite idée de ce qui vous attend dans ce livre qu’il faut absolument lire !

Profession lobbyiste – L’auteur décrit le profil du lobbyiste dans cette industrie pas comme les autres, dont les 3 commandements sont de faire obstacle aux lois, peser sur la politique fiscale du gouvernement, influencer la fixation des prix du tabac. Via de multiples méthodes d’influence allant du pantouflage, en passant par la création d’études fantômes jusqu’à l’intimidation.

Députés enfumés – Elus mobilisés par les industriels du tabac pour monter au créneau, reprenant mots pour mots argumentaires, rapports parlementaires rédigés de A à Z par les lobbyistes de l’industrie du tabac, chantages aux élections, pseudo vote de fumeurs présentés comme hostiles aux mesures de santé, instrumentalisation du réseau des buralistes, attaques contre les élus pro-santé, Marc Lomazzi revient sur les relais de cette industrie et leurs techniques efficaces.

Affaires d’Etat – Impératifs budgétaires de Bercy versus ceux de la santé publique, quand la lutte contre le tabagisme devient une tactique politique, le chapitre décrit comment gouvernements de droite comme de gauche font le choix de protéger les revenus du tabac.

Arnaque sur les prix – Le journaliste y démontre le fonctionnement en cartel de l’industrie du tabac qui, avec l’administration de Bercy, fixe les prix leur permettant d’assurer des marges bénéficiaires pour cigarettiers et buralistes, et un certain niveau de recettes fiscales, pour l’Etat, sans réduire la consommation de tabac. La fiscalité, sujet d’une telle complexité et d’une telle opacité que peu s’y aventure…

Un allié aux Douanes – Le journaliste revient sur le cas de Galdéric Sabatier, ce haut fonctionnaire des Douanes pris en flagrant délit de conflit d’intérêt chez Françoise lors d’un déjeuner des fumeurs de havanes organisé par British American Tobacco, filmé par le magazine d’enquête Cash Investigation. Un chapitre pour mieux comprendre les méthodes hors-la-loi du portrait du numéro 3 des Douanes…

Hold-up fiscal – Le livre revient sur les pratiques d’optimisation fiscale des cigarettiers, en s’appuyant sur le témoignage de l’ancienne directrice financière d’un géant du tabac. Un sujet qui ne semble préoccuper aucun élu, depuis qu’un certain Thomas Thévenoud, saisi du dossier, a laissé celui-ci inachevé suite à sa démission.

Contrebande et trafics illicites – Le livre rappelle comment l’industrie du tabac après avoir été reconnue coupable de complicité avec les réseaux mafieux, de corruption et de blanchiment d’argent a réussi à retourner la situation et redorer son blason, grâce à des « accords » avec les autorités européennes.  

Complot à Bruxelles – La puissance du lobby se traduit au-delà des frontières au niveau de Bruxelles, avec l’affaire « Dalli », ancien Commissaire européen à la santé John Dalli forcé de démissionner au moment même où devait être discutée la nouvelle directive tabac déterminant les politiques antitabac des pays. Affaire liée à un pacte secret ? On y apprend notamment qu’une clause particulière serait incluse dans la transaction passée avec l’industrie du tabac dans le cadre de poursuites engagées contre les fabricants pour organisation de la contrebande. Cette clause prévoirait que le versement des sommes à régler par les fabricants soit conditionné à l’absence de durcissement de la réglementation antitabac.                                                                                               

Les petits génies du marketing –  Comment cette industrie multirécidiviste (condamnée 450 fois par le CNCT) « qui a toujours un coup d’avance » contourne aujourd’hui l’interdiction de la publicité ? A découvrir dans l’ouvrage…

Dessous-de-table à tous les étages – Le journaliste aborde la question des rémunérations illicites et autres cadeaux, contrepartie de primes à la commande de cartouches de cigarettes, de la mise en avant des paquets de tabac dans les linéaires, de publicités dans les débits pour les lancements de nouvelles marques et pourcentages sur les ventes. Système de pots-de-vins, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale chez des commerçants, préposés de l’administration qui sont censés ne rien percevoir en dehors de la redevance liée à la vente des produits du tabac.

Le ciblage des enfants et des ados ou comment ces derniers sont l’objet d’une guerre commerciale sans merci entre cigarettiers en raison d’un enjeu de business juteux pour producteurs et vendeurs de tabac : cartographie des déplacements des jeunes par ville, sélection des buralistes en fonction du potentiel « jeune », démarchages des débits par les commerciaux des fabricants de tabac, mise en place de système de primes pour les buralistes (plus le débit de tabac est proche d’un lycée, plus la prime sur la vente d’un produit est importante, les buralistes les plus performants pouvant mettre de côté entre 6000 et 8000 euros par an de pots-de-vin). Interdiction de vente aux mineurs non respectée, contrôles inexistants, justice laxiste, le chapitre rappelle pourquoi la France constitue un des pays d’Europe avec la consommation de tabac une des plus élevées d’Europe.

La guerre du paquet sans logo – Le chapitre détaille les coulisses de l’arbitrage autour de la mesure du paquet neutre - comment Marisol Touraine a travaillé son plan de réduction du tabagisme en secret jusque la dernière minute (la haute administration étant infiltrée par l’industrie du tabac) - et la bataille des acteurs du tabac contre la mesure pour la faire capoter..

Sea, sex and fun – Orgies, alcool à flot, embrigadement sectaire, bonus importants, le journaliste dévoile enfin les mœurs et pratiques en interne pas toujours très orthodoxes de l’industrie du tabac pour souder les équipes et éviter les cas de conscience.

 

Source : http://www.cnct.fr/dernieres-actus-59/comment-la-mafia-du-tabac-nous-manipule-un-ouvrage-saisissant-139.html

 

 

 

22/12/2015

La liberté est le plus difficile des devoirs

 

Le Monde.fr | • Mis à jour le

 

Par Amandine

 

Le 13 novembre, j’étais à un concert avec une amie quand des hommes armés sont entrés dans la salle et ont tiré dans le public. Nous sommes toutes les deux sorties vivantes. Elle a pu s’échapper au bout de vingt minutes, à la faveur d’un chargeur vide. Moi, au bout d’une heure trente durant laquelle je me suis cachée. Je suis allée à un concert et j’en suis sortie en ayant vécu une scène de guerre.

Depuis, j’écris beaucoup. J’ai écrit pour mes proches, pour leur dire ce que j’avais vécu. J’écris pour moi, pour tenter de m’apaiser en mettant des mots sur cette parenthèse barbare qui balafre désormais ma vie. Pour ne jamais oublier toutes les émotions par lesquelles je passe : choc et sensation d’irréalité face à cette violence inouïe et soudaine, joie d’être en vie, tristesse immense en pensant aux personnes blessées et tuées. Mais aussi colère et solitude. Colère contre la classe politique, solitude vis à vis de mes concitoyens qui plébiscitent dans leur grande majorité l’état d’urgence prolongé.

Aujourd’hui, j’écris pour dire pourquoi je ne me sens pas représentée en tant que victime, mais aussi en tant que citoyenne. Car je me sens insultée par les décisions sécuritaires et liberticides qui sont prises, en mon nom, depuis le 13 novembre, sous le coup de l’émotion. Le temps politique n’est pas le même que le temps émotionnel ou que le temps médiatique. Je ne jette pas la pierre à ces millions de Français sidérés, comme moi, par cette violence. Par contre, j’accuse nos responsables politiques d’avoir abusé de l’état de choc de la population pour faire voter précipitamment un ensemble de mesures inadaptées et dangereuses pour notre démocratie.

Tout d’abord, les frappes en Syrie. En quoi une réponse guerrière, des poses viriles, pourraient nous protéger ? Posture infantile et dangereuse, qui ne fait qu’ajouter de la confusion et du danger au lourd bilan des morts. Comment pourrais-je me sentir en sécurité tant que nous serons « en guerre » ? Frappes en Syrie et fermetures des frontières européennes aux réfugiés : un bel exemple de décisions dictées par l’émotion… Comme celles prises en septembre dernier, quand la photo d’un enfant mort sur une plage avait suscité une vague d’émotion en Europe. Hollande et Merkel avaient alors appelé à « la responsabilité de chaque État membre et à la solidarité de tous »., Trois mois après, il y a toujours autant de bambins qui meurent noyés en Méditerranée, toujours autant de Syriens qui fuient la guerre. Mais depuis le 13 novembre, ces réfugiés sont passés du statut de victimes à accueillir à celui de terroristes potentiels. Exit les engagements de septembre, on cadenasse l’Europe et on bombarde la Syrie.

Ensuite, l’état d’urgence prolongé : Une réponse totalitaire et liberticide à l’attaque d’un groupe terroriste, totalitaire et liberticide. En quoi l’interdiction de manifester et la restriction des libertés individuelles et collectives m’apporteraient t plus de sécurité ? En quoi l’autorisation de porter une arme hors service à des policiers exténués depuis janvier pourrait me rassurer ? Comment la déchéance de nationalité permettrait de dissuader des individus qui n’ont pas peur de perdre leur vie ? Nous pouvons déjà tirer un bilan de l’inclusion du « comportement », et non plus seulement des « activités », qui autorise des mesures privatives de liberté sur simple suspicion : intrusions violentes, hors de tout contrôle judiciaire, chez des particuliers aux activités politiques ou religieuses (quand la police ne se trompe pas tout simplement de porte) ; surveillances et assignations à résidence de militants écologistes sans rapport avec le djihad et les armes à feu ; bavures policières… Nous avons désormais le droit de nous rassembler dans un centre commercial, dans un stade, dans un marathon, mais pas de manifester.

Les attentats du 13 novembre se sont déroulés dans un contexte déjà hautement sécuritaire suite aux attentats du 7 janvier. La loi sur le renseignement, votée en mars dernier, copie du Patriot Act, semblait déjà aller beaucoup trop loin. Cet événement dont j’ai été victime pose pourtant la question de l’efficacité des renseignements généraux (RG), de leur incapacité à changer de paradigme depuis les années 1980 (extrême gauche = terroriste). Doit-on rire jaune du pathétique de perquisitionner chez des maraîchers bios, ou au contraire se demander si ce type d’action ne se fait pas au détriment de la lutte contre le djihadisme ? Que dire aux victimes du Bataclan et à leurs proches en apprenant qu’un des tireurs, Ismaël Mostefaï, dans les radars des RG depuis 2009, disparu en 2012, avait été signalé en 2014 par les autorités turques comme djihadiste potentiel ? De retour en France, il ne fera l’objet d’aucune surveillance jusqu’au 13 novembre.

La question de la sortie de l’état d’urgence doit également se poser. Évidemment, la « guerre » conte l’organisation Etat islamique ne sera pas gagnée en trois mois. Alors sur quel motif, François Hollande compte-t-il mettre fin à l’état d’urgence le 26 février prochain ? A moins qu’il ne décide de maintenir une situation d’exception jusqu’à la fin de son mandat, au mépris de nos libertés ? C’est le sens de l’avant-projet de loi constitutionnelle « de la protection de la nation », qui sera examiné en conseil des ministres le 23 décembre.

Je vois dans les choix de ces dernières semaines un président acculé, qui préfère s’octroyer les pleins pouvoirs et faire entrer l’état d’urgence dans la Constitution, plutôt que de faire son examen critique. J’y vois une gauche affaiblie, qui utilise les événements pour braconner sur les terres de la droite et de l’extrême droite. Stratégie électoraliste, indigne des victimes, qui s’est révélée pour le moins peu payante. J’y vois la mise en péril des valeurs fondatrices de notre république (liberté, égalité, fraternité), la fragilisation des solidarités et du collectif, l’appel à l’individualisme, voire à la délation. J’y vois la copie des erreurs américaines du début de ce siècle - fichage global de la population, baisse des libertés et envoi de forces armées à l’étranger - qui ont pourtant participé à la déstabilisation du monde. Cette réponse court-termiste ne prend pas la mesure des causes et des enjeux.

« A terme, le véritable enjeu est la mise en place d’un modèle de développement social et équitable, là-bas et ici », dit Thomas Piketty. On en est loin. En ayant validé, à six élus près, ces choix guerriers, liberticides et simplistes, la classe politique, dans son ensemble, n’est pas à la hauteur et n’assume pas ses responsabilités. Car il me semble que ce 13 novembre pose un certain nombre de questions : quid du financement du terrorisme, des paradis fiscaux ? Quid des relations économiques avec des régimes dictatoriaux ? Quid d’un modèle économique ultralibéral qui laisse trop de monde sur le bord du chemin ? Quid des équilibres mondiaux dictés par les énergies fossiles ?. A un problème multifactoriel et complexe, la classe politique propose une réponse simpliste. Au Bataclan, ce sont de jeunes Français qui sont venus tirer sur d’autres jeunes Français. Nos représentants politiques ne devraient-ils pas considérer ceci comme un constat d’échec ? J’attends d’eux d’avantage de réserve et d’analyse.

Le 13 novembre, des hommes armés nous ont tirés dessus. Aujourd’hui mes convictions sont inchangées, voire renforcées. Je suis convaincue qu’affaiblir la démocratie et les libertés fondamentales est une dangereuse erreur. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. Forcément, je pense à la majorité silencieuse de cette sombre période. Aujourd’hui, dans l’état d’urgence, le simple fait de descendre dans la rue pour exprimer son mécontentement est répréhensible pénalement. Donc devenu un acte de résistance.

Amandine, 34 ans, rescapée du Bataclan

http://mobile.lemonde.fr/idees/article/2015/12/21/la-liberte-est-le-plus-difficile-des-devoirs_4835935_3232.html?xtref=http%3A%2F%2Fm.facebook.com

 

 

 

 

 

Turquie. Erdogan massacre les populations kurdes

Source : L'Humanité

Pierre Barbancey
Jeudi, 17 Décembre, 2015

 

Photo : Sertac Kayar/Reuters
De violents affrontements ont opposé lundi la police à des manifestants prokurdes qui dénonçaient le couvre-feu imposé à Diyarbakir, la grande ville à majorité kurde du sud-est de la Turquie.
Photo : Sertac Kayar/Reuters
 
Dans le silence assourdissant des chancelleries occidentales qui ne refusent rien à leur allié, membre de l’Otan, Ankara a lancé ses troupes au Kurdistan. Les couvre-feux sont imposés dans de nombreuses villes. Les forces spéciales sont en action contre le PKK, faisant de nombreux morts.

Qui ou quoi pourrait arrêter la Turquie de Reçep Erdogan ? S’abritant derrière son statut de membre de l’Otan, fort d’une reprise des négociations en vue d’une possible adhésion à l’Union européenne, satisfait du silence assourdissant des chancelleries occidentales, Ankara hausse la duplicité au rang de règle diplomatique. Mais pour l’heure, ce sont d’abord les populations du sud-est de la Turquie, c’est à dire essentiellement les Kurdes, qui font les frais de cette politique terrible, qui n’est pas sans rappeler les heures sombres de l’Empire ottoman et du génocide opéré contre les Arméniens.

Il est vrai qu’Erdogan et son premier ministre, Ahmet Davutoglu, ont annoncé la couleur depuis plusieurs mois. Utilisant les critiques de plus en plus fortes adressées au pouvoir turc sur, au minimum, la complicité avec les djihadistes de l’organisation dite de l’État islamique (EI, plus connu sous son acronyme de Daech), les deux hommes ont lancé une guerre contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui, à leurs yeux, représente « le » terrorisme. Entre le mois de juin et le 1er novembre, entre les deux élections législatives – manipulation visant à renforcer leur pouvoir –, ils n’ont eu de cesse de relancer une guerre contre les représentants du peuple kurde. D’un point de vue militaire contre la formation d’Abdullah Öcalan en multipliant les bombardements contre les bases du PKK, en Turquie même mais également dans les montagnes du Kurdistan d’Irak ou au Rojava (Kurdistan de Syrie) où les combattants du PKK sont venus prêter main forte pour libérer Kobané et une partie, en Irak, des Yézidis, soumis à la vengeance terrible de l’« EI ». Sur le plan politique, la répression s’est opérée en deux temps. D’abord en utilisant tous les moyens constitutionnels pour rendre le pays ingouvernable et en convoquant de nouvelles élections parce que le HDP (Parti démocratique des peuples) avait réussi à envoyer 80 députés au Parlement, en manipulant des groupes islamistes pour provoquer des attentats en Turquie même, à Suruç puis à Ankara, contre le mouvement kurde mais également contre la gauche turque.

L’Humanité, au mois d’août, avait rendu compte des premiers massacres perpétrés par l’aviation turque qui, en bombardant des villages du Mont Kandil (Irak), sous prétexte de bases PKK, tuait en réalité des dizaines de civils. Depuis la fin de l’été, dans nombre de villes du Sud-Est, la résistance s’est organisée. A Diyarbakir, par exemple, la grande ville kurde, le quartier de Sur s’est organisé pour empêcher la police, la gendarmerie et les forces armées d’entrer. Ailleurs, comme à Cizre, l’autonomie a été décrétée, provoquant la fureur répressive du pouvoir. Déjà ce qui, au départ, s’apparentait à des heurts s’était traduit par des morts, des blessés, des arrestations, des destructions de maisons. Le bâtonnier de Diyarbakir a été assassiné en pleine rue. Des militants ont disparu. Dans ces mêmes villes où nous nous étions rendus au mois de novembre, la population témoignait des exactions des forces dites de « sécurité », de l’imposition de couvre-feux, de la peur des enfants et même des massacres en cours.

Depuis quelques jours, les opérations militaires se sont aggravées. Diyarbakir est en état de siège. « Nous ferons tout pour faire de Cizre, de Silopi et de chaque portion de notre patrie une zone de paix, de stabilité et de liberté », a mis en garde mardi le premier ministre Ahmet Davutoglu. « Les terroristes seront éliminés de ces districts. Quartier par quartier, maison par maison, rue par rue », a-t-il ajouté. En 2011, lorsque le président libyen Mouammar Kadhafi avait lancé des menaces similaires, mot pour mot, les pays occidentaux avaient décidé de lancer une offensive militaire contre Tripoli. Aujourd’hui, de Paris à Berlin, de Londres à Washington, c’est le silence radio. Lui et l’ensemble de ses ministres parlent de « nettoyage », ce qui n’est pas sans rappeler les sommets de la répression coloniale aux quatre coins du monde. Ils ont ainsi fait voler en éclats les pourparlers de paix engagés à la fin de 2012 par le gouvernement islamo-conservateur d’Ankara avec le PKK, pour tenter de mettre un terme à un conflit qui a fait plus de 40 000 morts depuis 1984.

Huit membres du PKK ont été tués. Ces rebelles kurdes ont été « neutralisés » mardi à Cizre, dans la province de Sirnak (Sud-Est), a affirmé l’état-major dans un communiqué publié sur son site Internet. D’importants effectifs de l’armée et des forces spéciales de la police ont investi plusieurs villes soumises au couvre-feu, notamment Cizre, Silopi, Diyarbakir, Nusaybin et Dargeçit. De violents combats les opposent à de jeunes partisans du PKK et ont transformé des quartiers entiers en zones de guerre. Joints au téléphone, des habitants de Silopi et Cizre ont fait état de la présence de chars de l’armée et signalé des explosions et des colonnes de fumée. Député du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), Ferhat Encu a posté sur son compte Twitter des photos de soldats enfonçant la porte de l’immeuble dans lequel il se trouvait à Silopi. « Nous ne sommes pas en sécurité », a-t-il écrit. Selon l’agence de presse Firat News, un enfant de 11 ans a été tué lors d’une opération de l’armée à Cizre. Après plus de deux ans de cessez-le-feu, d’intenses combats ont repris l’été dernier entre policiers et soldats turcs et le PKK, faisant de nombreuses victimes. Trois policiers ont été tués et trois autres blessés mardi à Silvan dans une attaque à l’explosif attribuée au PKK, qui a visé un véhicule blindé. La veille, deux jeunes manifestants sont morts par balle lors d’affrontements avec la police alors qu’ils dénonçaient le couvre-feu en place depuis le 2 décembre dans le district de Sur, à Diyarbakir. Hier, dans ces villes, les images étaient terribles. Des centaines de personnes tentaient de fuir les combats et les centres-villes. Ceux qui ont décidé de rester, par impossibilité de départ mais souvent par volonté politique de ne pas céder à la pression militaire du pouvoir central, commençaient à stocker des provisions en prévision d’un siège qui s’annonce long et rude. Selon des données recueillies par la Fondation des droits de l’homme de Turquie, 52 couvre-feux ont été mis en place depuis la mi-août, dans sept provinces du sud-est de la Turquie. Ces mesures concernent au total 1,3 million d’habitants.

Bagdad a protesté contre 
une violation du territoire

Comment ne pas mettre en parallèle cette offensive d’Ankara avec l’entrée de troupes turques au nord de l’Irak et positionnées près de Mossoul ? Officiellement il s’agit d’entraîner des milices sunnites. Outre le fait que Bagdad a protesté contre ce qui s’apparente à une violation du territoire national (la Ligue des États arabes doit d’ailleurs se réunir le 24 décembre pour prendre un certain nombre de positions), il semble incontestable que le pouvoir turc cherche l’épreuve de force à l’heure où son rôle dans le renforcement de Daech apparaît de plus en plus clairement aux yeux du monde. L’Humanité avait déjà témoigné de la venue de troupes djihadistes à Kobané en provenance de Turquie. La destruction d’un avion russe il y a quelques semaines montre également combien Ankara préfère s’en tenir à une ligne de confrontation. D’autant que certains observateurs se 
demandent si le positionnement des troupes turques près de Mossoul ne masque pas, en réalité, la tentative de créer un corridor 
de sortie pour les combattants islamistes positionnés à Mossoul, alors que le siège de la ville est en train de s’organiser.

 

 

15/12/2015

L'élevage made in US...................

 

 

Le Jihad Revisité – Hakim Bey

 

Au milieu des années 90 j’ai été invité à une grande conférence philosophique en Libye. J’ai écrit une courte intervention sur l’influence du néo-soufisme sur le colonel Kadhafi et son Livre Vert[1]. Je me demandais alors si les Libyens m’accorderaient l’autorisation de le lire. Après tout, Kadhafi était arrivé au pouvoir en 1969 en destituant un roi qui était aussi un maître soufi. Peut-être avait-il rejeté l’influence du soufisme sur sa propre vie & pensée ?

Il s’est avéré que les Libyens ont adoré mon papier & qu’ils m’ont dit qu’il était correct : en un certain sens, la révolution libyenne avait été dirigée, au nom du soufisme réformé, contre le soufisme corrompu. Malheureusement, Kadhafi lui-même ne s’est pas présenté à la conférence pour confirmer ou infirmer ce fait, mais je suis sûr qu’ils avaient raison malgré tout.

Le néo-soufisme est né au 19e siècle en réponse au soufisme autoritaire & corrompu de l’époque coloniale, & en partie en réponse au colonialisme lui-même. La résistance anti-française en Algérie fut menée par le grand Émir Abdel Kader[2], chef de la guérilla & brillant cheikh de l’école d’Ibn Arabi.

Les néo-soufis se distancièrent du concept médiéval du « maître » tout-puissant. À sa place, ils recherchaient l’initiation par les rêves & les visions. En Afrique du nord, l’Ordre Senussi[3] & l’Ordre Tijani, parmi d’autres, furent fondés par des chercheurs ayant été initiés dans leurs rêves par le Prophète Mahomet lui-même.

Les ordres néo-soufis furent également conçus & organisés en tant que mouvements réformateurs au sein de l’Islam, en concurrence avec le modernisme & le sécularisme d’un côté, & l’islamisme puritain salafiste/wahhabite de l’autre. L’éducation & la santé & les alternatives économiques au colonialisme étaient mises en avant par l’ordre Senussi en Libye. Lorsque la révolte armée contre la domination italienne éclata, les fuqara (derviches) senussi prirent sa tête.

Après l’indépendance, le chef de l’Ordre devint le Roi Idris 1er. Le jeune Mouammar Kadhafi, né dans un village senussi, de parents senussi, fréquenta les écoles senussis. En Angleterre pour un entraînement militaire dans les années 60, le jeune officier lut The Outsider de Colin Wilson & il se pénétra de certaines idées de la nouvelle gauche, comme les « conseils communistes » & la notion du Spectacle (confer le Livre Vert et la section sur le sport).

L’Islam libyen n’est pas fondamentaliste ainsi que le croient certains américains. En fait, il est anti-fondamentaliste. Les islamistes haïssent Kadhafi comme hérétique, innovateur & crypto-soufi. Les oulémas libyens (les autorités religieuses) ont déclaré les Hadith (les paroles traditionnelles du Prophète) comme étant non canoniques, ce qui est une position extrêmement « libérale ». Un Conseil des Ordres Soufis existe encore aujourd’hui en Libye & l’Ordre Senussi est encore en activité (« Sauf la branche royale » ainsi que me le rapporta un délégué libyen).

Partout ailleurs dans le monde islamique, cependant, le néo-soufisme a largement échoué à fournir un paradigme pour la politique ou la spiritualité contemporaine. « L’occidentalisation » & son jumeau réactionnaire, l’islamisme, ont rempli ce vide. Les anciens idéaux soufis de tolérance, de différence, de culture, d’art & de paix – ainsi que l’affirme le poète tunisien Abdelwahab Meddeb dans son The Malady of Islam (Basic Books, 2003) – sont méprisés à la fois par les modernistes séculiers & par les néo-puritains fanatiques.

Meddeb souligne également qu’en aucun cas les islamistes n’adhèrent aux « valeurs antimatérialistes ». Ils adorent la technologie & le Capital avec autant de ferveur que les occidentaux – pour autant que ce soit de la technologie « islamique » & de l’argent « islamique », bien sûr.

La synthèse du mysticisme & du socialisme, telle qu’envisagée par les penseurs anticapitalistes/antisoviétiques des années 60 & 70, comme Ali Shariati[4] en Iran & le colonel Kadhafi, semble être une cause perdue – tout comme le « socialisme du tiers monde » en général & le « neutralisme du tiers monde » également. Les termes eux-mêmes expriment leur vide historique : comment se pourrait-il qu’il y ait un troisième monde alors que le « second monde » a implosé & a disparu ?

La conférence à Tripoli s’est révélée comme un curieux cirque des « causes perdues », avec deux anarchistes de New York (nous avons été salués comme des héros pour avoir outrepassé l’interdiction de voyage vers la Libye), d’innombrables fronts de libération africains, l’intéressant philosophe de la nouvelle droite Alain de Benoît & quelques mecs rouge/brun australiens, deux charmants écolos turcs, un anarchiste slovène, une clique de maoïstes parisiens, etc. & une phalange de libyens hospitaliers, tout ce beau monde propulsé par de trop nombreuses tasses de café fort. Un docteur allemand a donné une conférence sur l’uranium épuisé en Irak. Un délégué néozélandais a raconté d’horribles histoires sur la privatisation de l’eau ; etc.

À un certain moment j’ai entendu un des maoïstes parisiens dire que l’unique & réel ennemi objectif de l’humanité n’était pas le capitalisme néolibéral ou global mais les USA. Sur le coup, j’ai considéré cette vision comme imprudente, en partie à cause de mon enthousiasme pour le Zapatisme, en partie parce que la ligne maoïste me semblait démodée. À cette époque, le néo-libéralisme était en pleine progression & une réponse globale nuancée me semblait plus vitale qu’un anti-américanisme de l’ère du Vietnam.

Dans une collection d’essais, Millenium[5], je m’interrogeais sur le besoin de trouver de nouvelles manières d’exprimer des stratégies anti-capitalistes dans une situation post-spectaculaire. Si le Zapatisme pouvait se baser tout autant sur la spiritualité Maya que sur l’anarchisme, peut-être que quelque chose de similaire pourrait advenir avec le soufisme. L’Islam contient un potentiel pour le socialisme dans sa condamnation de l’usure & dans son idéalisme communautaire (selon Ali Shariati). Le soufisme « sans loi » (bishahr) & certaines formes d’hérésies islamiques revêtent des aspects anarchistes. À cette époque je pensais que l’Islam était sur le déclin.

Le soufisme lui-même est parfois défini comme le « grand jihad » tandis que la guerre sainte est appelée « petit jihad ». La lutte afin de « vaincre qui vous êtes » devient prééminente. Mais l’ésotérisme n’est pas toujours quiétiste en Islam. Des soufis ont lancé des révolutions, dont les luttes anti-colonialistes/impérialistes des 19e & 20e siècles. Je fantasmais peut-être qu’il était alors temps qu’un zapatisme islamique émerge. Je l’ai d’ailleurs proposé dans la préface de la traduction turque de mon vieux livre, TAZ : Zone Autonome Temporaire[6].

Depuis 1996, deux changements ont eu lieu dans ce que l’on appelle la Fin de l’Histoire. Tout d’abord est apparu un néolibéralisme néoconservateur, c’est-à-dire les USA en tant qu’unique superpuissance & hegemon du triomphe final du Capital Global – en d’autres termes, l’Empire. Ensuite, il s’est avéré que l’islamisme puritain a été revitalisé par le gotterdamerung soviétique en Afghanistan. Les services secrets américains ont découvert une lampe magique & l’ont frottée – une fois, deux fois, trois fois – & alors le génie s’est échappé pour devenir le Vieil Homme de la Montagne. Les USA ont alors envahi l’Afghanistan & l’Iraq & se sont alliés à la droite israélienne. L’Islamisme devint d’une certaine manière l’Empire du Mal de la Pure Terreur. Il devint également l’anti-américanisme.

Peu de gens m’ont imprudemment complimenté pour avoir « prédit » ce Nouveau Jihad. Touts ceux qui ont jamais écrit un mot sur l’islamisme avant le 11 septembre sont aujourd’hui accablé par ce linceul. En fait, le jihad que j’ai « prédit » (ou plutôt imaginé) n’est pas encore advenu. Aujourd’hui, il est sans doute trop tard.

Du point de vue de l’Empire US, l’islamisme est le parfait ennemi car il n’est pas réellement anticapitaliste ou antitechnocratique. Il peut être subsumé en une grande image du Capital en tant que Loi de la Nature &, simultanément, être utilisé comme croque-mitaine afin de discipliner les masses par la peur & d’expliquer le pourquoi des misères d’un réajustement néolibéral. En ce sens l’islamisme est une fausse idéologie ou une « Simulation » comme le dit Baudrillard.

L’Amérique est l’ennemi parfait de l’islamisme car l’américanisme n’est pas non plus une véritable idéologie. La force brute, la kultur Macdisney, un « Marché Libre » orwellien & une économie « postindustrielle » effervescente basée sur les délocalisations de la misère de la production vers le tiers monde – tout ceci est bien loin d’atteindre le statut même terni de l’idéologie – tout cela n’est que simulation. « L’argent fait tout » comme le dit la sagesse populaire. L’argent est le seul maître de la parole ici & l’argent ne parle que pour lui-même. La « démocratie » est aujourd’hui un nom de code pour la coca-colonisation par bombes à fragmentation – « l’Islam » comme peste émotionnelle. C’est là un faux jihad.

Aujourd’hui (mai 2004), l’Empire s’étouffe dans une overdose de sa propre addiction à l’image, aux mensonges stupides, aux mass médias, à la politique en tant que porno minable. Rester en Iraq ou en « sortir » : les deux semblent tout aussi impossibles à imaginer – syndrome du Vietnam complété par les photos d’atrocités commises.

Si le régime actuel des USA change, au mieux nous pouvons nous attendre à un retour au globalisme néolibéral des années 90. Mais cela peut se révéler impossible & il n’est pas évident que les démocrates aient l’intention d’une telle retraite[7]. Comment se retirer avec grâce de l’impérialisme ?

Ce maoïste parisien avait-il raison en fin de compte ? Les USA semblent s’être mis dans une telle position de manière délibérée en s’aliénant l’Europe & en horrifiant le monde musulman. Ils se sont empressés d’embrasser le rôle d’ennemi de l’humanité & de rejeter ce qu’il restait de leur popularité en tant que défenseurs de la liberté.

Mais l’islamisme ne fournira jamais une négation dialectique à l’Empire car l’islamisme lui-même n’est rien d’autre qu’un empire de la négation, du ressentiment & de la réaction. L’islamisme n’a rien à offrir à la lutte contre le globalisme si ce n’est des spasmes de violence théofascistes stériles.

Américanisme & islamisme : que la peste soit de vos deux maisons[8]. Pour ce qui est du véritable jihad, il y a plus à attendre de ce qui se passe en Amérique du sud ou au Mexique que partout ailleurs.

Peut-être que lorsque le président Tweedledee & que l’imam ibn Tweedledum[9] s’égorgeront l’un l’autre sur CNN, quelque chose d’intéressant aura une chance d’émerger des barrios d’Argentine ou du Venezuela ou encore des jungles du Chiapas.

Hakim Bey, « JIHAD REVISTED », 5 juin 2004.

Traduction française par Spartakus FreeMann, octobre 2009 e.v.


[1] Le Livre vert est un livre publié pour la première fois en 1975, où le colonel et, de fait, dirigeant Mouammar Kadafi expose sa vision de la démocratie et de la politique. Le livre est divisé en trois parties : 1-Partie politique: l’autorité du peuple; 2- Partie économique: le socialisme; 3- Bases sociales de la troisième théorie universelle.

 

[2] Né en 1808 près de Mascara, Algérie, décédé le 26 mai 1883 à Damas, Syrie. Homme politique, chef militaire et chérif idrisside qui résista longtemps à l’armée coloniale française lors de sa conquête de l’Algérie et fut également écrivain, poète, philosophe et théologien soufi dans la lignée d’Ibn Arabi. Il est considéré le symbole de la résistance algérienne contre le colonialisme et l’oppression française.

[3] Confrérie religieuse musulmane fondée à la Mecque en 1837 par le Grand Senussi Sayyid Muhammad ibn Ali as-Senussi (1791–1859) qui s’est implanté en Libye, au Tchad, en Algérie, au Soudan, au Niger et en Égypte.

[4] Al Shariati est un sociologue, philosophe et un militant politique iranien né près de Sabzevar le 23 novembre 1933 et mort à Southampton le 19 juin 1977. Il est surtout connu pour ses études sociologiques sur les religions.

[5] Autonomedia, 1996.

[6] Autonomedia, 1985.

[7] En 2009, après la victoire d’Obama à la présidence américaine, les prévisions de Bey se vérifient à nouveau. Les démocrates, même si leur intention ont pu être de se retirer de l’Iraq, ne le peuvent pas : ni face à leur opinion publique ni face aux « faucons » des lobbies militaro-industriels.

[8] Citation de William Shakespeare, Roméo et Juliette, III, 1.

[9] Tweedledum et Tweedledee sont des personnages d’une comptine britannique écrit par le poète John Byrom, et popularisés par De l’autre côté du miroir (1872) de Lewis Carroll. En français, ils sont aussi appelés Bonnet Blanc et Blanc Bonnet.

 

 

 

12/12/2015

"Leur écologie et la nôtre", rappel d'un entretien avec André Gorz

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« Une politique écologiste est une politique nécessairement anticapitaliste. » Dès le début des années 1970, André GORZ, le père spirituel de l’écologie politique, dénonçait la récupération de l’écologie par la puissance capitaliste.

 

Il y a quarante ans André Gorz écrivait : « Quand l’impasse écologique sera devenue inéluctable, le capitalisme intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres. »

Sauf que le climat n’est pas une impasse, c’est une catastrophe. D’abord pour les pauvres et les damnés de la terre mais aussi pour les guerres que le dérèglement climatique engendre. Penseur de l’écologie politique, André Gorz n’a eu de cesse de poser les fondamentaux de la place du travail et de l’individu dans le monde capitaliste. Le productivisme même repeint en vert s’oppose au développement humain. La COP 21 montre que la question du climat ne peut être séparée des questions politiques et sociales fondamentales. L’environnement est aujourd’hui la priorité politique mondiale Et si, bien sûr, Gorz n’a pas inventé l’écologie, il lui a donné sa dimension politique dés le début des années 70 notamment dans « Ecologie et politique »en 1975.

Comme aujourd’hui, sur les questions du nucléaire, du gaz de schiste, de l’industrie automobile et chimique, André Gorz pose la question de « leur écologie et la nôtre ». En clair, le philosophe se positionne contre l’écologie de marché et en opposition frontale à cette sphère aussi restreinte que néfaste, celle qu’il nomme « l’expertocratie verte ».

André Gorz où comment comprendre et mettre en œuvre une écologie émancipatrice et clairement anti-capitaliste.

(Première diffusion : juin 2011)

 

La COP21 a montré la totale domination des grandes entreprises sur les États. On dit merci à EDF, Exxon, BNP-Paribas, Chevron et tous leurs amis qui ont financé la conférence. Grâce à vous désormais, les tigres ne mangeront que de la salade verte. Pour ceux qui en douteraient, nous vous proposons une heure avec André GORZ.

Un entretien de Daniel MERMET avec Christophe FOURNEL [50’51], à écouter ici : la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/andre-gorz-leur-eco...