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10/06/2014

Ces paysans français soignent leurs champs en musique

 

Ces paysans français soignent leurs champs en musique

(Crédit photo : DR)
 
Ils sont une centaine dans l'Hexagone, vignerons et maraîchers, à diffuser des mélodies particulières plutôt que des produits chimiques près de leurs cultures. Incroyable, ça fonctionne !
 
Deux millénaires que ce champignon parasite les vignes, et toujours aucun remède pour l’en retirer. L’esca, qui a la mauvaise manie de détruire les ceps de vignes depuis au moins l’époque romaine, a un temps été combattu avec l’arsénite de soude, jusqu’à ce que produit très toxique soit interdit en 2001. Depuis, les vignerons sont démunis. Mais, depuis 2009, une poignée d’entre eux tentent de résister à l’envahisseur... en diffusant de la musique. Pour comprendre d’où vient ce remède étrange, il faut remonter à la fin des années 1960, l’époque où une gloire éphémère de la chanson nommée Evariste lançait le tube « Connais-tu l’animal qui inventa le calcul intégral ? »

 

Avant d’être chanteur, Evariste - de son vrai nom Joël Sternheimer - est avant tout diplômé en physique de l’université américaine de Princeton. Les bénéfices engrangés avec la vente de ses disques vont l’aider à financer ses recherches et à découvrir des liens - très complexes pour qui ne connaît pas la physique quantique - entre les protéines, molécules de base pour tous les êtres vivants, et la musique. Pour comprendre, il faut savoir que les protéines sont composées de suites de composés chimiques appelés acides aminés. « On remarque que l’enchaînement des fréquences des acides aminés lors de la synthèse des protéines présente certaines régularités, et si on fait défiler ces séries de fréquences sur un appareil de musique pour les rendre audibles, ça raconte quelque chose, il y a une régularité mélodique et harmonique », nous explique par téléphone Joël Sternheimer, qui a donné aux mélodies des protéines le nom de « protéodies ». Des mélodies qu’il suffit de diffuser pour stimuler ou inhiber une protéine et donc les fonctions de certains organismes vivants. Le physicien a déposé en 1992 une demande de brevet européen pour sa méthode baptisée « génodique ». Ce brevet sera finalement validé en 2007 après quinze ans de controverses scientifiques et juridiques.

Ci-dessous une interview de Joël Sternheimer expliquant le principe des protéodies :

La musique plus forte que les pesticides

Mais revenons à nos pieds de vignes. Les travaux de Joël Sternheimer ont permis de décoder la bonne série de notes qui inhibe le fameux champignon esca, celui qu’aucun produit chimique ne parvient à éliminer. Depuis 2009, l’entreprise Genodics commercialise donc cette solution brevetée et diffuse à ce jour la mélodie chez près de 80 vignerons français. « Il suffit de sept minutes de diffusion, une à deux fois par jour pendant toute la saison de végétation pour freiner ce champignon », assure Michel Duhamel, président de Genodics, qui garantit : « On calcule entre 60% et 64% de baisse de mortalité des vignes dès la première année de traitement. [1] »

L’entreprise a élargi son répertoire et vend également ses solutions à des maraîchers, comme Christian Douillard, responsable de la culture du concombre dans la serre des Trois moulins, à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique) : « Les protéodies nous servent à lutter contre le champignon didymella depuis trois ans. On jette beaucoup moins de concombres et nos clients sont contents parce qu’ils voient des produits plus beaux. C’est difficile à quantifier mais on voit les résultats très vite, par exemple il y a quelques mois on a eu une panne d’un diffuseur de musique pendant trois jours et le didymella était déjà retour. »

La musique pour soigner les humains ?

Malgré ces résultats probants, la méthode ressemble encore pour beaucoup à de l’ésotérisme. « Les grands organismes scientifiques en France n’ont pour l’instant fait aucun effort pour valider nos travaux, ça ne leur semble pas sérieux », déplore Michel Duhamel. « Je me suis toujours intéressé aux méthodes alternatives donc j’étais prêt psychologiquement à essayer la musique. Mais beaucoup d’agriculteurs ne sont pas prêts. Au début, ça a fait pas mal rigoler mais aujourd’hui plusieurs personnes adhérentes du même centre technique que nous ayant vu nos résultats vont essayer aussi », confirme Christian Douillard. La suite des travaux de Genodics et Joël Sternheimer devrait encore bien plus étonner. De premiers essais sont en cours sur les maladies qui frappent les huîtres ou pour traiter les coliques mortelles qui suivent le sevrage des porcelets. Et Joël Sternheimer assure pouvoir aller plus loin encore : « La musique a des effets sur l’être humain, j’en suis convaincu. Je l’ai observé la première fois en diffusant la protéodie de l’hémoglobine pour une amie qui souffrait d’anémie, qui m’a dit qu’elle ressentait un bienfait. Et effectivement, son taux d’hémoglobine a augmenté. »




A voir aussi :

- Le reportage de France 3 Centre sur la génodique :

- « Les plantes bougent, sentent et réagissent mais nous ne sommes pas capables de le voir »

[1] Avec des variations importantes : 70% des parcelles traitées avec des protéodies ont une baisse de mortalité comprise entre 50% et 95%, mais les 30% restant ont des baisses inférieures à 50%.

 

par Thibaut Schepman

 

09/06/2014

Avis de parution : Le chasseur immobile de Fabrice Farre par l'association "Le Citron gare"

avec des illustrations de Sophie Brassart (avis de parution ci-joint Bondecommandelechasseurimmobile.pdf).
 
Si vous souhaitez vous procurer ce recueil, vous pouvez faire un tour sur le blog http://lecitrongareeditions.blogspot.fr et écrire à Patrice Maltaverne.
 
Vous trouverez également ci-joint, pour partage, des extraits du numéro 56 de Traction-Brabant désormais disponibles sur le Cloud d'Orange, avec des poèmes d'Alain Minighetti, Jean-Baptiste Pédini, Christophe Lévis, Marc Tison, Jan Bardeau, Cathy Garcia, Jacques Laborde, Karim Cornali,
 
 
 
 
 
 
 
 

Le prénom a été modifié de Perrine Le Querrec

 

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Lu par Jean Azarel

 

« C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout ». Ce mantra lourd de sens encore caché, comme pour toute première fois, ouvre chaque paragraphe-confession du dernier livre de Perrine Le Querrec.

 

Car ici, tout est poids. Poids du corps saccagé, poids des corps qui saccagent, poids du souvenir, poids de la vie, poids du passé, du présent, de l’avenir.

« Le prénom a été modifié » raconte six mois de viol collectif d’une adolescente de 15/16 ans par une vingtaine de fous de banlieue sans visage, dans une cité dont on ne s’échappe pas.

Avec « la mort à la main », « ils ont décidé de grandir en remplissant une fille de sperme en la gavant de coups. C’est comme ça qu’ils sont devenus adultes puissants respectés dans le grand ensemble ». Et quinze ans plus tard des pères de famille que la narratrice croise au hasard de ses rares sorties... . « Le prénom a été modifié » raconte le pendant. L’après. L’inoubliable pendant. L’inoubliable après. L’avant, le bienheureux avant, reste en filigrane : lui aussi a été modifié.

 

A chaque rendu/déglutition de sa descente aux enfers terrestres, l’héroïne (sic) « s’assoit par terre étourdie » et le lecteur aussi. Au fil de soixante dix pages nerveuses, l’innommable est nommé, découpé, déchiqueté, mâché, ingéré, péniblement digéré. Il n’y a pas d’échappatoire. La douleur est si forte qu’elle obture quasiment l’idée de vengeance. Si le désir de mourir s’insinue, le désir de tuer est mort-né par trop plein d’horreur, anesthésié par les médicaments, bouffi par la bouffe, rien qu’une ligne sans illusion.

 

Vous avez dit « désir ? ». D’une écriture courte, sèche, serrée comme le cœur, Perrine le Querrec poursuit une œuvre de témoignage rare, à façon, sans concessions. Qui nous colle aux tripes l’outrance de l’outrage. Qui se fout du tabou. Ce court récit, littéralement Dantesque, plaira aux féministes, mettra mal à l’aise les bobos bien pensants, plongera dans l’épouvante les jeunes filles de bonne famille, fera pleurer les hommes comme moi. S’il pouvait briser les barrières du silence littéraire, ce serait merveilleux. « La guerre on pense toujours que c’est bruyant. La guerre c’est aussi un silence total. »

 

A la fin, arrive-t-elle trop tôt ou trop tard, il reste une grande lassitude et l’impérieux besoin d’aimer.

 

Jean Azarel / 8 juin 2014.

 

« Le prénom a été modifié » de Perrine Le Querrec, éditions « Les doigts dans la prose », 13 € port compris.

 

 

05/06/2014

La revue Alimentation Générale devient collection !

 

Après la revue, Alimentation Générale devient une collection !

Alimentation Générale, c'était la revue de bandes dessinées d'humour des éditions Vide Cocagne, dirigée par Terreur Graphique. Aujourd'hui, la collection vient perpétuer l'esprit de la revue, qui pendant 3 ans et 5 numéros, a recueilli la crème de la BD indépendante et lui a donné carte blanche pour des histoires courtes ou à suivre, rassemblant auteurs confirmés ou en devenir sans discrimination et dans la bonne humeur.

Pixel Vengeur ouvre le bal dès juin 2014 avec "Le petit livre noir en couleur de Dominique", et sera suivi de Geoffroy Monde, Fabcaro...

À terme, deux à trois livres viendront enrichir la collection chaque année. Voici les trois premiers, sur lesquels porte cette souscription :

 

Le petit livre noir en couleurs de Dominique, de Pixel Vengeur
Le premier livre de la collection narre la vie de Dominique, le tapir des Sunderbans. Celle-ci aurait pu se résumer à peu de choses, si sa mère n'avait pas eu l'idée de mettre bas sur les ruines d'un vieux cimetière indien... Dès lors, sa vie va être truffée d'obstacles, de malchances et de catastrophes, racontées ici le long des 64 pages couleurs du livre.

Et en bonus, un extrait en avant-première !

sortie 12 juin 2014

 

Serge et Demi-Serge, de Geoffroy Monde
Serge est un vieil homme, Demi-Serge est une demi-tête de renard. Ces deux-là sont déjà apparus sur le blog Saco : Pandemino, et pour Alimentation Générale, Geoffroy Monde les réunit pour de nouvelles aventures absurdes et hilarantes !

Cliquez ici pour une présentation détaillée et inédite de Serge et Demi-Serge !

sortie automne 2014

 

Talk Show, de Fabcaro
Collectionneurs d'apéricubes, écrivains du dimanche, défenseurs des causes inutiles... Tous sont interviewés sur le plateau télévisé de Talk Show, le long des strips désopilants de Fabcaro, auteur du recent "Carnet du Pérou" (éd. Six pieds sous terre).

Cliquez ici pour lire d'autres extraits inédits de Talk Show !

sortie premier trimestre 2015

 

Quelque part entre ses cousins Mauvais Esprit ou Fluide Glacial, Alimentation Générale a accueilli dans ses pages : Geoffroy Monde, Jürg, Olivier Besseron, Jorge Bernstein, Fabrice Erre, Emilie Plateau, Fabcaro, David Ziggy Greene, Tib-Gordon, Bob, Abdel de Bruxelles, Gilles Rochier, Nicoby, Pixel Vengeur, Matt Dunhill, Joseph Safieddine, Vincent Lefebvre, Fabien Tê, Thibault Soulcié, Thomas Gochi, Half Bob, Boris Mirroir, Fritz Bol, Guillaume Carreau, Pinpin, Alexis Horellou, Drangiag, Laurent Houssin, Mo CDM, Cécily, Wassim Boutaleb, Elosterv, Wandrille, Vincent Lévêque, Jacqueline Lee, Fabien Grolleau, James, Delphine Vaute, Lionel Serre, Damien Froidboeuf, Terreur Graphique, Pochep, Thierry Bedouet, Aurélien Ducoudray, Olivier Texier, Guillaume Guerse, Quentin Faucompré, Max de Radiguès...

La bande-annonce du 5ème et dernier numéro de la revue :

 

A quoi va servir le financement ?

Le financement va servir à lancer la collection en préparant dès le départ les trois premiers titres, et en s'assurant de la faire dans les conditions optimales.

Avoir un financement en amont de l'impression nous permet d'avoir une marge de manœuvre plus grande et ainsi garder des prix de vente raisonnables (autour de 15 € chaque livre).

 

A propos du porteur de projet

Vide Cocagne est une maison d'édition BD nantaise, qui outre son activité éditoriale promeut la Bande dessinée et les arts graphiques par l'organisation de festivals, d'événements et d'ateliers.

En 2014, Vide Cocagne sort pas moins de 10 livres, inaugure les collections Alimentation Générale et Épicerie Fine, et se déplace dans toute la France.

 plus d'infos sur le site internet / facebook / twitter / youtube

Les premiers auteurs de la collection

Pixel Vengeur fait ses premières armes en bande dessinées dans les années 80 dans des journaux tels que Viper, le Petit Psikopat Illustré et Rigolo. Puis il devient graphiste en jeux vidéo et découvre l’ordinateur. Il recommence à apparaître en tant qu’illustrateur dans différents mensuels, puis par revenir définitivement en 2000 à la bande dessinée. Il travaille aujourd’hui pour Fluide Glacial, le Psikopat et Spirou.

                         Le site de Pixel Vengeur

 

Geoffroy Monde est magique depuis 2004 et a souvent été élu meilleur espoir. Il raconte tout ça dans des albums publiés aux éditions Lapin et Warum, et sur son blog Saco : Pandemino. Des fois, il ment.

Le site de Geoffroy Monde

 

Fabcaro poursuit depuis une dizaine d'années son exploration de la bande dessinée d'humour entre expérimentation, autobiographie et absurde, seul ou officiant au scénario pour d'autres, alternant les albums pour des éditions indépendantes avec notamment Le steak haché de Damoclès, L'album de l'année ou La clôture, et albums plus grand public, parmi lesquels Z comme Don Diego (avec Fabrice Erre) ou Amour, passion et CX diesel (avec James). Il a également collaboré à divers magazines ou journaux comme Tchô !, L'écho des savanes, Psikopat, ZOO, CQFD, Kramix ou Fluide Glacial pour lequel il travaille actuellement, ou des revues comme Jade et Alimentation générale. Il est aussi l'auteur d'un roman, Figurec, paru en 2006 aux éditions Gallimard.

 

 

 

Cyril C. Sarot - L’AD XVI / Ces traces laissées dans le sable

 

Une suite d’informations, d’observations ou de faits glanés au fil de mes lectures, de la vie et de ses hasards. Je les propose de manière brute, sans commentaires, car les choses me semblent parfois parler d’elles-mêmes, ou par les résonances et les échos provenant de leur simple mise en miroir.

Selon une étude de l’ONG Oxfam, les 67 personnes les plus riches de la planète détiendraient autant que les 3,5 milliards les plus pauvres.

Aux États-Unis, depuis le début de la crise, 95 % du peu de croissance créée a été accaparé par les 1 % les plus riches.

Lorsqu’ils collent un mot sur le rideau de fer du magasin afin d’expliquer une fermeture exceptionnelle, les propriétaires du petit bazar en bas de chez moi, qui ne sont que deux (mari et femme) prennent toujours le soin de signer « La direction ».

Vue à la télé, une adolescente expliquant que son seul rêve dans la vie serait de pouvoir dépenser sans compter.

Le traité de libre-échange transatlantique, en cours de discussion dans le plus grand secret entre les États-Unis et l’Union Européenne, prévoit la possibilité pour les investisseurs d’attaquer en justice les États qui prendraient des décisions nuisibles à leurs intérêts et à leurs profits (normes sanitaires trop lourdes, droit du travail trop contraignant, nouvelle législation environnementale, instauration d’un salaire minimum…).

Une enquête interne menée au début des années 2000 au sein de la Commission européenne aurait permis de déceler des traces de cocaïne dans 59 des 61 toilettes examinées.

Des logiciels malveillants introduits par la NSA dans des millions d’ordinateurs lui auraient permis d’en contrôler les caméras et les micros, sans que rien n’en témoigne, afin d’écouter les conversations et de prendre des photos dans la pièce où ils se trouvent.

Dès l’après-guerre, certains constructeurs automobiles américains ont travaillé le bruit de fermeture des portières afin qu’il soit « rassurant ».

Aux États-Unis, il existe des plages réservées à la pêche, surveillées par la police de la pêche, où le seul fait de s’asseoir sans pêcher constitue un délit.

Depuis 2011, en Allemagne, une loi protège le droit des enfants à faire du bruit, des crèches ayant dû fermer suite à la plainte de citoyens pour lesquels les cris des enfants créaient une souffrance, qui avait pour conséquence de déprécier leur bien immobilier.

En Belgique, une centaine de prisonniers volontaires (n’ayant commis aucun délit) a accepté de passer un week-end derrière les barreaux pour tester la nouvelle prison de Beveren.

Dans la rue, croisé un punk fumant une cigarette électronique.

*

Cette brève pensée d’Eric Chevillard : « Misérable, éphémère, de passage, bien peu de chose certainement ; je constate néanmoins qu’il faut tout un océan pour effacer la trace de mon pied sur le sable. »

*

Tout un océan, oui. Encore faut-il qu’il y ait la possibilité d’une trace. Encore faut-il qu’on puisse se projeter dans le monde pour y laisser son empreinte. Tant de gens semblent coupés d’eux-mêmes qu’elle paraît incertaine. Impossible, interdite, comme effacée d’avance. Il ne peut y avoir de projection dans le monde sans appartenance à soi : aucun moyen d’échapper à ce préalable. Rien ne peut être envisagé hors de ce regain d’être. Pour pouvoir être au monde, il faut d’abord être à soi.

*

Je relis rarement L’Autrement Dit. Non seulement parce que l’expérience m’est généralement peu agréable, mais surtout pour éviter de tomber dans certains pièges ; comme celui de vouloir sembler à tout prix cohérent. Si je me relisais trop souvent, je m’appuierais certainement sur les idées déjà formulées, m’en servant comme de jalons, incité à rester dans leurs sillons, privilégiant celles susceptibles de rester dans la ligne (il m’est déjà arrivé plusieurs fois de me censurer moi-même, sur le mode du « je ne peux tout de même pas dire ça après avoir écrit ça »), alors qu’il faut savoir lâcher la bride à la pensée et à ses éventuelles contradictions. Elles sont les reflets fidèles du tumulte intérieur dont elles sont aussi l’expression. L’écriture permet (entre bien d’autres choses) d’organiser la pensée, d’essayer, par la recherche du mot juste, d’être au plus près de ce que l’on pense. Mais la consistance qu’on cherche à lui donner ne doit pas masquer la part d’hésitations et de doutes dont elle est également constituée (il me faut passer par tant d’échecs et de tâtonnements avant de pouvoir accoucher d’une idée qui tienne un tant soit peu la route !). Ce que l’on pense n’est jamais absolument et définitivement ce que l’on pense ; la tentation d’une parfaite cohérence peut écarter de la discontinuité naturelle de la pensée, et de l’instabilité intérieure dont elle témoigne.

*

Ne pas se relire peut donc mener à se contredire, mais également à son contraire : se répéter. Cette redondance n’est d’ailleurs pas forcément un défaut : il peut m’arriver de me répéter volontairement, de manière à préciser ou à approfondir les choses ; sans compter les clous que l’envie me vient d’enfoncer. Ainsi l’ai-je déjà dit : l’emploi disparaît. Toujours sous l’effet des gains de productivité, des délocalisations et de la recherche de profits, de plus en plus en raison de la robotisation et du développement de l’économie de l’immatériel (une étude réalisée par deux chercheurs de l’université d’Oxford aboutit à la conclusion que lors des vingt prochaines années, 47 % des emplois actuels seront remplacés par des ordinateurs). On peut soit le regretter – voire s’en effrayer, réaction jusqu’à présent la plus commune – soit en profiter pour voir les choses autrement, se décidant enfin à prendre en compte les mutations en cours et les perspectives nouvelles que celles-ci pourraient offrir (nouveaux modes d’existence, plus grande appartenance à soi, revenus découplés du travail, temps libéré, esprit libéré, vie libérée…). Quoi qu’il en soit et en vertu de ce contexte, exiger des demandeurs d’emploi qu’ils trouvent à tout prix un travail semble garder peu de sens ; tout comme d’ailleurs exiger des entreprises qu’elles en créent.

*

Ce slogan relevé sur le site d’Yves Pagès : « Work in regress / Dream in progress », en écho à ce propos d’André Gorz : « Une perspective nouvelle s’ouvre ainsi à nous : la construction d’une civilisation du temps libéré. Mais, au lieu d’y voir une tâche exaltante, nos sociétés tournent le dos à cette perspective et présentent la libération du temps comme une calamité. Au lieu de se demander comment faire pour qu’à l’avenir tout le monde puisse travailler beaucoup moins, beaucoup mieux, tout en recevant sa part des richesses socialement produites, les dirigeants, dans leur immense majorité, se demandent comment faire pour que le système consomme davantage de travail – comment faire pour que les immenses quantités de travail économisées dans la production puissent être gaspillées dans des petits boulots dont la principale fonction est d’occuper les gens. »

*

Les occuper pourquoi ? Pour les distraire de quoi ? Les contraindre au néant qui les entoure ? Les contenir dans les filets du grand bizness globalisé ? Les conserver laborieux dans leur formol ? Je crois moins à une vaste opération de contrôle planifiée qu’à un enfermement de l’esprit généralisé, chez les dirigeants comme chez les dirigés. Tout le monde trempe dans le même bain. Chacun se noie dans un océan qui recouvre tout : plus d’ailleurs, plus d’issue, plus de rêve ; plus de sable, plus de plage, plus de grève. Ce ne sont plus les traces laissées sur le sable que cet océan-là efface, mais la possibilité même d’y laisser une trace. Le non-être plonge ses racines dans les eaux troublées du non-sens. Au point où l’on en est, penser, rêver, vivre, aimer paraît un engagement.

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De Flaubert : « Mais ne lisez pas comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non, lisez pour vivre. »

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Il suffit d’un beau vers, d’une belle phrase, d’une belle image pour que les larmes me viennent. Parfois d’un élément de pensée, saisissant et lumineux. J’ai alors l’impression que c’est le monde entier qui m’est offert. J’ai le sentiment aigu de ce qui m’est donné et j’en suis bouleversé. Mais ce sentiment dépasse de loin la simple volupté : il naît de la rencontre entre ce que je viens de lire ou d’entendre et quelque chose qui le dépasse. Comme si la beauté reçue était un écho à l’harmonie du monde. Comme si sa perception m’élevait à mon tour à sa hauteur. Tout à coup le présent s’élargit et je me sens transporté au cœur des choses. L’émotion est la conséquence et le moyen de ce transport ; je la sens qui se diffuse en moi, elle se déploie, s’écoule et se répand comme le jus d’un fruit dans lequel on vient de mordre. Je suis touché au plus profond et au plus précieux de ma sensibilité. Une multitude de choses entrent alors en résonance. Mes yeux s’embuent et l’émotion me serre la gorge. J’ai le cœur léger et lourd à la fois. Il m’arrive d’éclater en sanglots, sans plus savoir si c’est de tristesse ou de joie.

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Ces lignes d’Andreï Tarkovshi, extraites de son livre Le temps scellé : « Je ne parviens pas à croire qu’un artiste puisse créer uniquement pour « l’expression de soi ». Cette idée d’une expression qui ne tienne pas compte de l’autre est absurde. Chercher un rapport spirituel avec les autres est un acte éprouvant, non rentable, qui exige le sacrifice. Et tant d’efforts en vaudraient-ils la peine si ce n’était que pour entendre son propre écho ? »

*

Pour la première fois depuis bien longtemps, cette année, j’ai apprécié les décorations de Noël. Non qu’elles aient été fondamentalement différentes des années précédentes, mais cette fois, au moins, je me suis autorisé à les apprécier. C’est que, jusqu’ici, au nom de ce que représente cette période de fièvre mercantile, je refusais les sensations que me procuraient ces jeux de lumières et leurs couleurs. En vertu d’une lucidité glaciale et vaniteuse, je m’interdisais de retrouver un peu de l’émerveillement qui était le mien lorsque j’étais enfant. Quelle connerie de se mutiler ainsi ! Quelle plaie d’être à ce point dogmatique vis-à-vis de soi-même !

*

Faire preuve de lucidité : ok. Sonder les choses et ne pas se satisfaire des apparences : bien sûr. Mais le faire sans négliger son intériorité, sans la censurer, sans repousser l’équivoque au profit d’une conscience trop sûre d’elle et placée au-dessus de tout. Désolant de faire de sa raison la gardienne policière de ses émotions. En soi aussi, se méfier des instances supérieures.

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Le portrait type du parfait progressiste : prôner la tolérance, manger bio, être pour le mariage pour tous, ne pas croire en Dieu, détester Zemmour.

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Si je vous dis « j’ai compris votre douleur » et que je continue de vous appliquer les sévices qui sont à l’origine de cette douleur : je suis un menteur, un imbécile ou un pervers. Si je vous dis « j’ai compris votre message » et que je continue d’appliquer les programmes qui sont à l’origine de ce message : je suis un homme politique.

*

Une lectrice m’écrit pour me dire que mes textes, trop longs, lui parlent peu, qu’elle aimerait plus de concision, qu’elle s’y sent souvent perdue, qu’elle a du mal à voir où je veux en venir, qu’elle peine à me suivre dans la succession des thèmes qui y sont abordés, bref, que tout cela ne lui convient guère (point de vue oh combien respectable !), même si, m’écrit-elle, « politiquement nous sommes du même bord ». Elle semble par là me signifier qu’elle et moi sommes de gauche, ce qui pourrait compenser, du moins en partie, l’ennui qu’elle ressent à me lire et l’obscurité de mes textes. Mais est-elle si sûre de ce qu’elle avance ? Mes convictions politiques apparaissent-elles si nettement entre ces lignes incertaines et absconses ? S’il y a une chose dont je me fiche ici de témoigner, c’est bien de mon « bord » politique ! Qu’importe si vous et moi penchons du même côté, puisqu’il s’agit ici de nous rencontrer et non de piloter un side-car ? J’admets volontiers apprécier la plume d’auteurs estampillés de droite, comme Léon Bloy ou Bernanos, leur langue à vif, la tension de leurs textes, leur verve pamphlétaire née de leur détestation des valeurs établies, du conformisme, de la bien-pensance consensuelle et de la tiédeur des débats qui en découle. Ces lectures suspectes suffisent-elles à me faire changer de bord ? Remettent-elles en question mes tropismes de gauche ? D’ailleurs, de quelle gauche s’agit-il ? Celle du pacte de responsabilité ? Du maintient du cap ? Du gouvernement de combat ? Être de gauche, après tout pourquoi pas. Mais s’il me faut être de gauche, alors c’est d’une autre gauche, informelle et bien à moi. Parce que moi, ma gauche, c’est celle de mon pote Laurent, paysan, qui pratique une agriculture naturelle et dont la façon de travailler semble en adéquation totale avec la façon de penser ; celle de mon pote Nico, qui un jour a quitté son boulot et vendu sa voiture pour s’acheter un appareil photo et nous délivrer sa vision talentueuse et singulière du monde ; celle de Juliette, riche de son attention aux autres et des amitiés nombreuses qu’elle sait faire vivre et perdurer ; celle de Christelle, vibrante de sa faculté à mettre du jeu entre le monde et elle et toujours prête à lâcher la bride à son imaginaire ; celle de Virlo, dont la présence et la parole sont si pleines d’images et de poésie ; celle de Nicole, dont les difficultés de la vie n’ont en rien altéré la fraîcheur ; celle de Camille, à la finesse d’esprit si pétillante ; celle de Luc, dont la conversation vous rend plus riche de son amour de la littérature et de la langue ; celle de Max, à l’intelligence contagieuse, qui ose la pensée et le partage de son questionnement du sens ; celle de tous les autres, que je ne cite pas ici, mais qui par leur présence et leur façon d’être au monde me le rendent plus beau et plus vivable. La voilà ma gauche ! Une gauche sans parti, libre et sauvage. Une gauche « vécue », qui évolue et se construit d’elle-même. Une gauche faite de rencontres, d’amitié et de confiance, à côté de laquelle l’autre, l’officielle, l’institutionnelle, n’est rien.

*

Ce genre de gauche, chacun porte la sienne. Elle est unique et intime. Qu’on l’appelle gauche ou non a d’ailleurs peu d’importance. Ce qui importe, c’est qu’on s’y reconnaît par l’intensité des liens qui la composent, et non par son appartenance au clan. Ce qui compte, c’est la force de ses liens et la densité de ses échanges. Des communautés se forment dans le cœur de chacun, qui le plus souvent s’ignorent. Elles se croisent et se rencontrent, mais sans avoir conscience d’elles-mêmes. Pourtant elles sont là, fertiles, changeantes, vivantes, faites d’expériences sensibles et de présences au monde. C’est là qu’il se passe réellement quelque chose, sans qu’on puisse définir exactement quoi. Et c’est dans cet indéfinissable, dans cet impalpable, dans ce qui s’échange en dehors de toute organisation ou structure – tout cela qui n’est pas directement évaluable et observable – que réside leur plus grande force.

*

De Georges Picard, extrait de son Journal ironique d’une rivalité amoureuse : « Je pense parfois à tout ce qui se trame ici et ailleurs, aux innombrables histoires qui se nouent – d’amour, de haine, d’intérêt – et même aux combinaisons aléatoires de la vie. Cela doit former un complexe infini de relations, désirées ou subies, dans l’hyper-réseau du monde. Pourtant, je suis prêt à croire que chaque événement influence mystérieusement l’équilibre général comme entrent en résonance les échos des galaxies les plus éloignées. Si c’est le cas, chacun assume avec sa propre histoire un peu de la finalité globale : personne ne peut se prétendre entièrement détaché des autres. Drôle de pensée qui me rend attentif autant à moi-même qu’à ce qui m’entoure. »

*

États d’être et résonances dans l’écheveau des relations. Cela compte et cela pèse. Précieuses sont les traces ainsi laissées dans le sable. Il y a dans l’informel bien plus de potentialités qu’on croit.

 

Allez en découvrir plus dans l'Autrement dit, le blog de Cyril C. Sarot qui se présente ainsi :

« Je ne me considère pas écrivain. Ni poète ni penseur ni artiste. Ce serait futile et arrogant. Comme l’a écrit Van Gogh dans une lettre à son frère Théo : « Je ne suis pas un artiste, comme c’est grossier – même de le penser de soi-même. » Ce qui ne m’empêche pas d’avoir une activité de création, d’écrire et de le faire avec exigence. D’exprimer des éléments de pensée par l’écriture, versifiée ou non. Sans, je le répète, jamais me prendre pour un poète, un penseur ou un écrivain.

Donc ni penseur ni écrivain ni poète ni artiste. Ce qui ne m’empêche ni de penser ni d’écrire. Résolument et dans la conscience de mes limites. Lexicales, culturelles, intellectuelles.

Je fais avec mes pauvres moyens. Mais avec mes pauvres moyens, je fais. »

 

Ici : https://lautrementdit.wordpress.com/

 

 

04/06/2014

TAFTA, le mécanisme de protection des investisseurs

Vidéo édifiante du CEO sur le mécanisme de protection des investisseurs

 

 

 

 

 

 

L’Anthropocène et ses lectures politiques

 

vendredi 23 mai 2014, par Christophe Bonneuil

Bien plus qu’une crise environnementale (dont le marché, la croissance verte ou la technologie nous sauveraient), l’Anthropocène signale une bifurcation de la trajectoire géologique de la Terre causé non pas par l’« Homme » en général, mais par le modèle de développement qui s’est affirmé puis globalisé avec le capitalisme industriel [1].

L’Anthropocène, c’est – pour des siècles peut-être – notre époque, notre condition, notre problème. C’est le signe de notre puissance « géologique », mais aussi de notre impuissance politique. L’Anthropocène, c’est une Terre dont l’atmosphère est altérée par les 1400 milliards de tonnes de CO2 que nous y avons déversées. C’est un tissu vivant appauvri et artificialisé. C’est un monde plus chaud et plus lourd de risques et de catastrophes, avec un couvert glaciaire réduit, des mers plus acides et plus hautes, des climats déréglés..., avec son flot de souffrances humaines, de dérèglements et violences géopolitiques possibles. Habiter de façon plus sobre, moins barbare, plus équitable et solidaire la Terre est notre enjeu.

Plus encore que la « crise environnementale » des années 1970 – que les acteurs pouvaient encore voir comme récente et comme un bref moment de crise de quelques décennies –, l’Anthropocène interpelle aussi les mouvements se revendiquant de l’émancipation par son ampleur massive, tant passée que future. Par ses racines profondes dans le productivisme, l’extractivisme et l’industrialisme des deux derniers siècles, il questionne un rapport au « progrès », à la technique et à l’économie qui a trop longtemps dominé la gauche [2]. L’Anthropocène apporte une réfutation massive, géologique, au projet moderne d’émancipation-arrachement, au rêve d’un devenir humain et social coupé de toute détermination naturelle : les Modernes ont cru que leur liberté impliquait de s’arracher à toute détermination naturelle et ils se découvrent aujourd’hui liés à la Terre par mille rétroactions, rattrapés par le retour de Gaïa, avec ses lois, ses limites et sa violence, dans la sphère politique et sociale. L’Anthropocène matérialise enfin ce pourquoi l’altermondialisme ne saurait se limiter à la critique du néolibéralisme dans la nostalgie implicite du bon temps du productivisme keynésien d’après-guerre, dont la facture en terme de dette écologique et d’échange inégal s’avère immense.

1. Un constat scientifique aux enjeux anthropologiques

Cette nouvelle époque géologique, débutant avec la « révolution thermo-industrielle » (Alain Gras) ou encore le « capitalisme fossile » (Elmar Altvater), et succédant à l’Holocène, a été proposée à partir de 2000 par plusieurs scientifiques des sciences du système Terre, tels Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, spécialiste de la couche d’ozone. Depuis, le concept d’Anthropocène est devenu un point de ralliement entre scientifiques des sciences dures, intellectuels des sciences sociales et militants écologistes, pour penser cet âge dans lequel le modèle de développement actuellement dominant est devenu une force tellurique, à l’origine de dérèglements écologiques profonds, multiples et synergiques à l’échelle globale.

À la base, un constat scientifique incontestable. Premièrement, les activités humaines sont devenues la principale force agissante du devenir géologique de la Terre. Deuxièmement, en termes d’extinction de la biodiversité, de composition de l’atmosphère et de bien d’autres paramètres (cycle de l’azote, de l’eau, du phosphore, acidification des océans et des lacs, ressources halieutiques, déferlement d’éléments radioactifs et de molécules toxiques dans les écosystèmes…), notre planète sort depuis deux siècles, et surtout depuis 1945, de la zone de relative stabilité que fut l’Holocène pendant 11 000 ans et qui vit la naissance des civilisations. Dans l’hypothèse médiane de +4°C en 2100, la Terre n’aura jamais été aussi chaude depuis 15 millions d’années. Quant à l’extinction de la biodiversité, elle s’opère actuellement à une vitesse cent à mille fois plus élevée que la moyenne géologique, du jamais vu depuis 65 millions d’années. Cela signifie que l’agir humain opère désormais en millions d’années, que l’histoire humaine, qui prétendait s’émanciper de la nature et la dominer, télescope aujourd’hui la dynamique de la Terre par le jeu de mille rétroactions. Cela implique aussi une nouvelle condition humaine : les habitants de la Terre vont avoir à faire face, dans les prochaines décennies, à des situations auxquelles le genre Homo, apparu il y a deux millions et demi d’années seulement, n’avait jusqu’ici jamais été confronté, auxquelles il n’a pas pu s’adapter biologiquement et dont il n’a pu nous transmettre une expérience par la culture.

2. Récits et politiques de l’Anthropocène

Mais l’Anthropocène, méga-objet dramatique qui envahit l’espace public, n’est-il pas vecteur d’apathie et arme de dépolitisation ? Un discours surplombant, pensant les évolutions à l’échelle planétaire géologique ne fait-il pas perdre tout sens à l’engagement ? Puisque la crise écologique est désormais un problème d’ampleur géologique, alors cela nous dépasserait et il faudrait laisser le problème aux experts scientifiques ? Puisque le changement de trajectoire du système Terre est déjà quasi irréversible à l’échelle humaine [3], alors tout changement individuel, toute action collective serait inutile et il ne resterait (aux privilégiés) qu’à continuer cyniquement à « manger » la planète ? À « adapter » les sociétés aux changements globaux, en raillant la naïveté dérisoire des alternatives des militants, des décroissants, des « bio », des chasseurs-cueilleurs en extinction, des transitionneurs et autres colibris ?

On voit comment le sublime de l’Anthropocène pourrait désarmer toute velléité de changement radical des modes de production, de vie et de consommation. Pour sortir de la complaisance fataliste et post-démocratique, il s’agit de « repeupler les imaginaires » (Stengers), de nous approprier politiquement l’Anthropocène. Un pas en ce sens est de décoder les récits dominants, et de multiplier les récits alternatifs et féconds. Face à cette situation radicalement nouvelle dans l’histoire de la Terre et l’histoire humaine que représente l’Anthropocène, il existe au moins quatre visions du monde, quatre méta-récits de ce qui nous arrive, à nous et à notre Terre nourricière, quatre trames idéologiques invoquant l’Anthropocène en autant de discours et de « solutions » divergents. Les expliciter, les comparer, les critiquer, c’est déjà rouvrir le champ du politique.

2.1. L’Anthropocène naturaliste et technocratique des institutions internationales

Le premier type de discours, naturalisant, est celui qui domine dans les arènes scientifiques internationales. Les scientifiques qui ont inventé le terme d’Anthropocène n’ont pas simplement avancé des données fondamentales sur l’état de notre planète et promu un point de vue systémique sur son avenir incertain. Ils en ont aussi proposé une histoire qui explique « comment en sommes-nous arrivés là ? ». Ce récit peut être schématisé ainsi :

Nous, l’espèce humaine, avons depuis deux siècles inconsciemment altéré le système Terre, jusqu’à le faire changer de trajectoire géologique. Puis vers la fin du XXe siècle, une poignée de scientifiques nous aurait enfin fait prendre conscience du danger et aurait pour mission de guider une humanité égarée sur la mauvaise pente [4].

Ce récit du passé, qui met en avant certains acteurs (« l’espèce humaine » comme catégorie indifférenciée) et certains processus (la démographie, l’innovation, la croissance…), préconditionne une vision de l’avenir et des « solutions », qui place les scientifiques comme guides d’une humanité désemparée et ignorante et fait du pilotage du « système Terre » un nouvel objet de savoir et de pouvoir.

Mais qui est cet anthropos indifférencié ? Le Grand récit officiel de l’Anthropocène orchestre le retour en fanfare de « l’espèce humaine », unifiée par la biologie et le carbone, et donc collectivement responsable de la crise, effaçant par là-même, de manière très problématique, la grande variation des causes et des responsabilités entre les peuples, les classes et les genres : jusque récemment, l’Anthropocène fut un Occidentalocène ! La catégorie d’espèce ne peut servir de catégorie explicative qu’à des ours polaires ou des orang-outans qui souhaiteraient comprendre quelle est donc cette autre espèce qui menace ainsi leurs conditions de vie [5]… Et encore, il s’agirait là d’orangs-outans ou d’ours mal formés en « humanologie », qui ne sauraient discerner les « mâles dominants », les asymétries de pouvoir, le long de la chaîne qui relie le recul de la banquise aux sources majeures d’émission de gaz à effet de serre (seules 90 entreprises sont ainsi responsables de plus de 63 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1751 [6]), ou qui relie les bûcherons et travailleurs indonésiens des palmeraies, les consommateurs européens et les géants de l’agro-alimentaire.

Certes, la population humaine a grimpé d’un facteur dix depuis trois siècles, mais que signifie cette hausse globale impactant un « système Terre » lorsqu’on observe qu’un Américain du Nord possède une empreinte écologique 32 fois supérieure à celle d’un Éthiopien, que la consommation énergétique d’un soldat américain a été multipliée par 228 entre la première et la seconde guerre mondiale [7], ou que la moitié la plus pauvre de l’humanité ne détient que 1 % des richesses mondiales (contre 43,6 % pour les 1 % les plus riches) [8] ?

Et comment croire que ce n’est que depuis quelques décennies que nous « saurions » quels dérèglements nous imprimons à la planète ? Une amnésie sur les savoirs, les contestations et alternatives passées de l’industrialisme ne sert-elle pas une vision politique particulière, dépolitisante de la situation actuelle, qui place les scientifiques et leurs sponsors comme guides suprêmes d’une humanité, troupeau passif et indifférencié ? Or, l’histoire nous apprend au contraire que les alertes scientifiques sur les dégradations environnementales globales et les contestations des dégâts de l’industrialisme ne datent pas d’aujourd’hui, ni même des décennies post-1960 : elles sont aussi anciennes que le basculement dans l’Anthropocène. Il existait autour de 1800 une théorie largement partagée d’un changement climatique global causé par la déforestation alors massive en Europe de l’Ouest [9]. Certes, de telles théories sont aujourd’hui largement complétées et corrigées (de même que la science du climat du XXIe siècle corrigera celle du XXe) ; certes, les données scientifiques d’aujourd’hui sont plus denses, massives, globales, mais il est historiquement faux et politiquement trompeur de faire passer les sociétés du passé pour inconscientes des dégâts – environnementaux et sanitaires et humains – du capitalisme industriel. Ceux-ci furent contestés par mille luttes ; non seulement par les romantiques ou les classes assises sur la rente foncière, mais aussi par des lanceurs d’alerte scientifique, des artisans et ouvriers luddites, et par les multitudes rurales au Nord et au Sud qui perdaient alors les bienfaits des biens communs agricoles, halieutiques et forestiers appropriés, marchandisés, détruits ou pollués [10]. Ainsi, un précurseur du socialisme, Charles Fourier, écrivait en 1821 un essai sur « La détérioration matérielle de la planète » dont l’« industrie civilisée » (son terme pour désigner le nouveau capitalisme industriel libéral auquel il opposait un stade supérieur plus juste et harmonieux, l’« association ») était considérée comme la cause agissante.

Plutôt qu’un « on ne savait pas », nous devons donc penser l’entrée et l’enfoncement dans l’Anthropocène comme la victoire de certains intérêts qui ont fabriqué du non-savoir sur les dégâts du « progrès », comme le déploiement de grands dispositifs (idéologiques et matériels) et de « petites désinhibitions » [11] par lesquels les oligarchies productivistes de différentes époques ont pu jusqu’ici réprimer, marginaliser ou récupérer les contestations socio-écologiques.

Et, plutôt qu’une vision du monde où la société est passive et ignorante, attendant que les scientifiques sauvent la planète (avec la géo-ingénierie, les agro-carburants, la biologie de synthèse ou les drones-abeilles remplaçant la biodiversité naturelle, et autres « solutions » techno-marchandes « vertes »), il convient de reconnaître que c’est dans l’ensemble du tissu social et des peuples que se trouvent les savoirs, les initiatives et les « solutions » qui « sauveront la planète ».

En somme, ce premier récit de l’Anthropocène pose d’importants constats, mais surtout d’immenses obstacles à toute perspective d’éco-politique émancipatrice ; il s’apparente par son caractère technocratique et dépolitisant à ce qu’André Gorz avait appelé « éco-fascisme » ou à ce que Félix Guattari avait nommé « écologie machinique ».

2.2. Le « bon Anthropocène » piloté des post-environnementalistes technophiles

Un deuxième grand récit, post-environnementaliste , célèbre l’Anthropocène comme l’annonce (ou la confirmation) de la mort de la nature comme externalité. Ce récit est intéressant en ce qu’il questionne le dualisme nature/culture fondateur de la modernité occidentale et qu’il critique certaines idéologies de « protection de la nature » qui excluaient de fait les populations d’une nature supposée « vierge ». Il ouvre aussi le chantier philosophique d’une nouvelle pensée de la liberté qui ne soit pas l’illusion trompeuse d’un arrachement à tout déterminisme naturel ou d’une domination de la nature. Une pensée de la liberté qui assume ce qui nous attache et nous relie à notre Terre et qui réconcilie l’infini de nos âmes à la finitude de la planète.

Par contre, en célébrant l’ingénierie généralisée d’une techno-nature, les tenants de cette vision (de certains sociologues et philosophes post-modernes à certains idéologues du think-tank post-environnementaliste états-unien du Breakthrough Institute [12], en passant par certains écologues post-nature) prônent non pas une humilité à l’âge de l’Anthropocène, mais un nouveau « pilotage planétaire ». « Avant on a fait de la géo-ingénierie sans le savoir, mal », nous disent-ils en substance ; « mais, maintenant, on va gérer la planète avec toute notre technoscience » et forger un « bon Anthropocène ». Ainsi, pour Bruno Latour, qui a fortement inspiré cette pensée post-environnementale, le péché de Victor Frankenstein ne fut pas d’avoir créé un monstre, mais de l’avoir abandonné inachevé [13]. On va donc réparer le monstre de Frankenstein et, « promis juré », il va mieux fonctionner que le monstre initial et permettre à l’humanité d’accomplir plus avant son destin de pilote de la planète.

Prolongeant le techno-optimiste du premier grand récit, le post-environnementalisme s’éloigne de son naturalisme par son constructivisme radical. Il conçoit la nature, mais aussi l’espèce humaine, comme un construit socio-technico-économique, ouvrant la porte au trans-humanisme.

Cette vision prométhéenne et manipulatrice s’accommode également fort bien du capitalisme financier contemporain, de sa « croissance verte » et de la privatisation-marchandisation en cours des « services écosystémiques » de toute la planète. Quoi de plus constructiviste en effet que la marché, si habile à couper les objets et les sujets de leurs attachements sociaux et écologiques pour les reformater indéfiniment en marchandises circulant dans de nouveaux réseaux ? Mais que gagnera-t-on et que perdra-on à dénier toute altérité à la nature, toute antériorité engendrante à la Terre sur l’humanité ? Et à poursuivre le culte des monstres de laboratoire et à accélérer la déconstruction-reconstruction marchande du monde ? Cette idéologie post-environnementaliste et techno-béate de l’Anthropocène participe donc plus du projet néolibéral de faire du système Terre tout entier un sous-système du système financier que d’un projet d’émancipation des peuples de Gaïa et de transition juste et démocratique.

2.3. L’anthropocène comme effondrement et politique de décroissance

Une troisième lecture de l’Anthropocène, catastrophiste, insiste sur l’intangibilité des limites de la planète, à ne pas outrepasser sous peine de basculement. Cette lecture reprend les alertes des travaux des scientifiques [14] et leur appréhension non linéaire de l’évolution des systèmes complexes. On sort du régime d’historicité progressiste forgé par la modernité industrielle du XIXe siècle [15] : l’histoire n’est plus celle d’un progrès, d’une croissance indéfinie ou d’un fatum innovateur ; elle est discontinue et « désorientée » [16], faite de points de basculement et d’effondrements à anticiper collectivement (cf. l’importance des travaux sur la résilience, sur la pensée politique du mouvement des villes en transition et sur la permaculture). Cette vision fait également écho aux travaux de la « théorie politique verte » [17] et au projet politique de la décroissance, qui renouvellent la pensée de la démocratie et de l’égalité à partir du constat de la finitude. Si l’on prend au sérieux l’Anthropocène dans cette perspective, on ne peut plus penser la démocratie sans ses métabolismes énergétiques et matériels et l’on ne peut plus, dans un monde fini, différer la question du partage des richesses par le rêve d’un gâteau économique grossissant sans fin.

Si elle reprend les constats scientifiques des dérèglements écologiques globaux, cette troisième vision ne partage pas la foi en des « solutions » techno-scientifiques pour sauver la planète des deux premières visions. Elle insiste au contraire, pour éviter un anthropocène barbare, sur la nécessité de changements vers la sobriété des modes de production et de consommation : c’est donc d’initiatives alternatives, de savoirs et de changements dans tous les secteurs de la société, et non pas uniquement par en haut (techno-science, green business, ONU), que dépend l’avenir commun. Ce qui n’exclut pas la planification écologique démocratique, du local au global, d’une résilience et d’une décroissance assumée, équitable et joyeuse si possible, de l’empreinte écologique. [18]

2.4. L’Anthropocène de l’éco-marxisme comme échange écologique inégal

Une quatrième lecture de l’Anthropocène, éco-marxiste, consiste à relire l’histoire du capitalisme au prisme non seulement des effets sociaux négatifs de sa globalisation comme dans le marxisme standard (cf. la notion de « système-monde » d’Immanuel Wallerstein et celle d’« échange inégal »), mais aussi, simultanément, de ses métabolismes matériels insoutenables (fait de fuites en avant récurrentes vers l’investissement de nouveaux espaces préalablement vierges de rapport extractivistes et capitalistes) et leurs impacts écologiques.

Que nous apporte cette vision plus matérielle (comme la troisième et la première) et plus politique (comme la troisième) de l’Anthropocène ? Prenons tout d’abord la question du basculement dans l’Anthropocène au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle. Le récit institutionnel-naturaliste (1er) et le récit constructiviste-technophile (2e) mettent en avant l’inventivité d’un Watt créant des machines à vapeur plus puissantes, techniquement supérieures à toutes les autres sources d’énergie et qui les aurait donc « naturellement » supplantées, requérant alors des quantités croissantes de charbon. Pourtant, on peut opposer à ce récit simpliste un autre récit, plus empiriquement fondé et plus politique. Dans Une grande divergence, Kenneth Pomeranz explique pourquoi l’Angleterre, et non la région chinoise du delta du Yangzi, a pris la voie de l’industrialisation et l’hégémonie mondiale. Les deux sociétés qu’il compare montraient un niveau de « développement » économique et technologique équivalent vers 1750 et furent confrontées à des pressions analogues (plus forte en Angleterre) sur leurs ressources (terre, bois). Une double contingence favorable explique selon Pomeranz la voie anglaise : la proximité de gisement de charbon utilisable (alors qu’ils étaient distants de plus de 1500 km de Shanghai) et la situation de l’Europe au carrefour géographique de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Asie, situation qui avait permis une accumulation primitive aux XVIe et XVIIe siècle et qui, autour de 1800, permettait à l’Angleterre d’importer/capturer des ressources cruciales à son développement industriel : de la main-d’œuvre esclavagiste cultivant le coton (évitant ainsi des millions d’hectares de prairies pour des moutons pourvoyeurs de laine), du sucre (4 % de l’apport énergétique alimentaire en Angleterre en 1800), du bois, puis du guano, du blé et de la viande. Kenneth Pomeranz montre les liens – aux incidences écologiques majeures – entre essor industriel britannique et mise au travail d’« hectares fantômes » de la périphérie de l’empire. Ainsi en 1830, la consommation de sucre (antillais) du pays correspond à l’apport de 600 000 hectares de bonnes terres à céréale ou pomme de terre, celle de coton (américain) à 9,3 millions d’hectares de pâturages à ovins et celle de bois (Amérique et mer Baltique) à plus de 400 000 hectares de forêts domestiques. Au total, (bois, coton esclavagiste, sucre, etc.), une Angleterre maîtresse des mers. On atteint ainsi plus de 10 millions d’hectares (soit l’équivalent de la surface agricole utile anglaise) de production annuelle drainée vers l’Angleterre. [19]

C’est cet échange écologique inégal qui a placé la Grande-Bretagne au centre d’un flux de ressources qui permit son entrée dans l’ère industrielle. Ce basculement dans l’Anthropocène n’est pas sans lien, également, avec les guerres napoléoniennes qui inaugurèrent, en réponse au blocus continental, le transport massif à grande distance de bois d’Amérique du Nord, rendant ainsi possible en retour l’émigration de masse vers l’Amérique du Nord, autre facteur clé de l’augmentation de l’empreinte écologique humaine. Enfin, les guerres napoléoniennes jouèrent un rôle clé vers la dérégulation des pollutions qui permit la naissance d’un capitalisme chimique [20] qui joue depuis deux siècles un rôle « anthropocénique » considérable (acides, colorants, engrais chimiques, biocides, aérosols…).

Ainsi appréhendée, la « révolution industrielle » n’est pas le processus linéaire poussé par le génie technologique de quelques savants et entrepreneurs européens (premier récit), mais plutôt le nœud d’une configuration géopolitique globale. D’ailleurs, l’adoption des machines à vapeur n’avait rien d’évident ni de nécessaire. Au début du XIXe siècle, il n’existe que 550 machines à vapeur contre 500 000 moulins à eau en Europe, et le charbon est plus cher que l’énergie hydraulique. Ce n’est que lors de la récession de 1825-1848, couplée au métier à tisser automatisé comme réponse patronale aux « indisciplines » et aux revendications ouvrières, ainsi que dans une logique de concentration de la main-d’œuvre, que la machine à vapeur fut adoptée dans l’industrie textile. Plutôt que le produit abstrait et indifférencié d’une « entreprise humaine », l’Anthropocène résulte de choix technico-économiques faits par certains groupes sociaux, en vue d’exercer un pouvoir sur d’autres, qui souvent résistèrent [21]. Et ce basculement initié par une poignée de personnes (en 1825, la Grande-Bretagne est responsable de 80 % des émissions mondiales de CO2) entraîna l’humanité et la Terre dans un devenir anthropocénique par le jeu de la concurrence économique, de la guerre et de la domination impériale.

Prenons comme deuxième exemple la pétrolisation du monde au XXe siècle : elle est encore le résultat de choix politiques opérés pour maintenir et stabiliser le capitalisme. Tout au long du XXe siècle, le pétrole est plus cher que le charbon, qui passe pourtant de 5 % de l’énergie mondiale en 1910, à plus de 60 % en 1970. Cette pétrolisation est tout d’abord le fait de la suburbanisation et de la motorisation. Ce processus a été activement encouragé par les dirigeants américains conservateurs dès 1920. La maison de banlieue leur paraissait être le meilleur rempart contre le communisme en redéfinissant l’environnement politique et social du travailleur : elle casse les solidarités ethniques et sociales qui avaient été le support des solidarités ouvrières. La maison individuelle et la voiture qui l’accompagne jouent aussi un rôle essentiel de discipline sociale par l’intermédiaire du crédit à la consommation : dès 1926, la moitié des ménages américains sont équipés d’une voiture, mais les deux tiers de ces voitures ont été acquises à crédit.

À l’époque où dominait le charbon, les mineurs possédaient le pouvoir d’interrompre le flux énergétique alimentant l’économie (cf. le succès de la première grève générale anglaise de 1842). Acteurs clés du mouvement ouvrier, les mineurs et cheminots contribuèrent à l’émergence de syndicats et de partis de masse, à l’extension du suffrage universel et à l’adoption des lois d’assurance sociale. Dès lors, la pétrolisation de l’Amérique puis de l’Europe prend un sens politique : affaiblir les mouvements ouvriers et les luttes sociales. Le pétrole est beaucoup plus intensif en capital qu’en travail, le travail humain d’extraction se fait en surface (et en grande partie dans ce qui était le « tiers-monde »), il est donc plus facile à contrôler que les puissants syndicats de mineurs ou de cheminots. Un des objectifs du plan Marshall était ainsi d’encourager le recours au pétrole afin d’affaiblir les mineurs et leurs syndicats et d’arrimer ainsi les pays européens au bloc occidental [22].

Plus généralement, dans la lecture éco-marxiste, l’Anthropocène apparaît comme la « seconde contradiction » du capitalisme, son incapacité à maintenir les conditions écologiques d’une vie sur Terre. À condition de ne pas basculer dans un aplatissement de la question écologique dans le vieux cadre marxiste ni dans l’annonce prophétique (déjà faite par Lénine…) de l’auto-écroulement du capitalisme sous le poids de ses contradictions, cette perspective présente l’intérêt d’inscrire la matérialité des flux de matière et d’énergie et des processus écologiques dans une histoire critique du capitalisme.

Elle permet de repenser la croissance occidentale des deux derniers siècles en termes d’échange écologique inégal, selon lequel les économies dominantes du centre du système-monde capturent non seulement des heures de travail, mais aussi des hectares et des ressources finies à la périphérie tout en externalisant des dégâts écologiques et de l’entropie.

Elle permet aussi de sortir du fétichisme technologique (qui fut longtemps partagé et propagé par le marxisme) en reliant les gains de productivité technique au centre du système-monde à une dégradation environnementale et sociale au plan planétaire. Ainsi, pour un éco-marxiste comme Alf Hornborg, le développement technique est le produit d’une accumulation au centre du système-monde permis par un échange écologique inégal avec la périphérie (dans le cadre d’un « jeu à somme nulle » sur une planète finie) : dans le capitalisme fossile, le « progrès technique » au centre est la contrepartie d’une perte d’efficacité globale et d’une dégradation écologique et thermodynamique de la planète [23]. Cette lecture offre des convergences avec la troisième lecture, post-progressiste et technosceptique, de l’Anthropocène.

Enfin, la lecture éco-marxiste offre des prises théoriques et politiques pour décoder les stratégies actuelles de l’oligarchie mondiale pour « néolibéraliser » la nature et faire du système Terre dans son entier un sous-système du système financier (pénétration généralisée de l’action environnemental publique – nationale, européenne et onusienne – par les intérêts privés, durcissement de la propriété intellectuelle sur le vivant, approches néolibérales de la résilience et des « risques » environnementaux, green bonds, marchés du carbone, REDD, marchandisation-compensation écologique…).

Conclusion : multiplier les récits

Bien entendu, les troisième et quatrième lectures, les seules qui se réapproprient les alertes scientifiques dans des perspectives émancipatrices et qui pourraient se féconder l’une l’autre à travers de multiples lignes de convergences possibles, apparaissent comme les plus intéressantes pour un altermondialisme écologiquement conscient. Elles offrent une boîte à outils pour imaginer et construire collectivement des stratégies de résistance à la fuite en avant des grands projets inutiles et imposés du productivisme (dont le dernier en date est la géo-ingénierie), des alternatives systémiques au capitalisme industriel aujourd’hui financiarisé, des stratégies de résilience solidaire et de réorganisation en cas d’effondrement local (cf. la Grèce) ou global, une transition d’ambition trans-locale et trans-séculaire, mais sans posture démiurgique (acceptation d’un passé et d’un devenir communs avec notre matrice la Terre, dans l’humilité volontaire), vers une sortie de l’Anthropocène, vers un vivre ensemble dans une nouvelle époque géologique que l’on pourrait nommer « Écocène » puisque l’Oikos est la maison partagée.

Mais peut-être que même ces deux lectures, catastrophiste/décroissante ou éco-marxiste, restent encore trop surplombantes et occidentales pour prétendre constituer la base des discussions dans le mouvement « alter » au plan international. Peut-être sont-elles trop prisonnières d’une vision du monde « mono-naturaliste » de la modernité occidentale, trop prise dans un géo-savoir-pouvoir sur la Terre, héritier d’une posture de domination-extériorité, de l’entreprise coloniale et de la culture de la guerre froide. Le point de vue du long terme géologique et du « système » Terre, considéré de l’extérieur (au moyen de la technosphère spatiale notamment), ne tend-il pas à placer au pouvoir global certains groupes et à marginaliser certains peuples, certaines voix et certaines visions de la Terre ? Sans idéaliser les constructions complexes que sont la Pachamama ou le buen vivir, ni voir les peuples amérindiens en bon sauvages écologistes, il reste que le perspectivisme amérindien offre un contrepoint théorique essentiel au mononaturalisme (qui structure chacune des quatre grandes lectures discutées ici) et donne à penser d’autres perspectives possibles sur les problèmes écologiques planétaires [24].

Aussi importe-t-il de multiplier encore les récits, de permettre l’inscription/traduction des enjeux de l’Anthropocène dans une multiplicité de visions du monde et de permettre leur mise en discussion dans un dialogue interculturel ouvert au sein dans la nébuleuse « alter » (en évitant autant que possible les concepts flous aisément récupérables par le développementalisme gouvernemental comme le buen vivir menace de l’être). « Quelles paroles faut-il semer, pour que les jardins du monde redeviennent fertiles ? » se demandait la poétesse Jeanine Salesse. Sans doute, de multiples paroles plutôt qu’un seul récit du match de « l’espèce humaine (ou du capitalisme) face au système Terre » ; venant de voix multiples et ancrées dans des lieux tous uniques puisque l’hégémonie du global, de la mobilité et d’un regard dé-terrestré sur la Terre appelle au contraire à une réhabilitation du lieu et des liens.

Notes

[1Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.

[2Pour une critique de la colonisation des résistances anti-industrielles des mouvements ouvriers et socialistes par une gauche bourgeoise et progressiste tout au long du XIXe et du XXe siècle, voir Jean-Claude Michéa, Les Mystères de la gauche, De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Paris, Climats, 2013.

[3Même dans l’hypothèse d’un arrêt immédiat des émissions de gaz à effet de serre, il faudrait des siècles pour retrouver une trajectoire climatique préindustrielle.

[4Cette synthèse carricature à peine les positions exprimées dans : Paul J. Crutzen, «  Geology of mankind  », Nature, vol. 415, 3 janv. 2002, p. 23  ; Will Steffen, Jacques Grinevald, Paul Crutzen et John McNeill, «  The Anthropocene : conceptual and historical perspectives  », Philosophical Transactions of the Royal Society A, vol. 369, n° 1938, 2011, 842–867.

[5Cf. Andreas Malm and Alf Hornborg, «  The geology of mankind  ? A critique of the Anthropocene narrative  », The Anthropocene Review, published online 7 January 2014.

[6Richard Heede, «  Tracing anthropogenic carbon dioxide and methane emissions to fossil fuel and cement producers, 1854-2010  », Climatic Change 122 (2014), pp. 229-241. Pour une ébauche d’histoire différenciée et politique des émissions de gaz à effet de serre, voir Bonneuil et Fressoz, op. cit., p. 115-140.

[7Pour les données, voir Fressoz et Bonneuil, op. cit., 2013, p. 89 et 166-167.

[8Rapport Global Wealth Databook du Crédit Suisse, 2012, p. 89, consulté le 15 avril 2013.

[9Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, «  Le climat fragile de la modernité, Petite histoire climatique de la réflexivité environnementale  », La Vie des idées, 20 avril 2010.

[10François Jarrige, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2014.

[11Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse, Paris, Seuil, 2012.

[13Bruno Latour, «  Love your monsters  », dans M. Shellenberger et T. Nordhaus (dir.), Love your monsters, Post-environmentalism and the Anthropocene, Breakthrough Institute, 2011, 16-25.

[14A. Barnosky et al., «  Approaching a state shift in Earth’s biosphere  », Nature, vol. 486, 7 juin 2012, 52-58.

[15François Hartog, Régimes d’historicité, Présentisme et Expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003  ; Marcel Gauchet, L’Avènement de la démocratie, I : La révolution moderne, Paris, Folio, 2013, 163-198.

[16Cf. le dernier n° de la revue Entropia, «  L’histoire désorientée  », 2013.

[17Cf. les travaux d’Andrew Dobson, Bruno Villaba, Luc Semal, Mathilde Szuba...

[18Agnès Sinaï (dir.), Penser la décroissance, Politiques de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2013  ; Michel Lepesant (dir), L’antiproductivisme : un défi pour la gauche  ?, Lyon, Parangon, 2013  ; Paul Ariès, Le socialisme gourmand, Paris, La Découverte, 2013.

[19Kenneth Pomeranz, Une grande divergence, La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel, 2010.

[20Fressoz, 2012, op. cit.

[21Andreas Malm, Fossil Capital, The rise of steam power in the Brittish cotton industry, c. 1825-1848, and the roots of global warming, Lund Univ., 2014.

[22Timothy Mitchell, Carbon Democracy, Paris, La Découverte, 2013.

[23Alf Hornborg, Global ecology and unequal exchange, London, Routledge, 2013.

[24Eduardo Viveiros de Castro, Métaphysiques Cannibales, Paris, PUF, 2005  ; Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

À propos de l'auteur

Membre de la commission Écologie et société du Conseil scientifique d’Attac.

 

https://france.attac.org/

 

 

Thomas Coutrot : « 59% de la dette publique est illégitime »

Qu’est-ce que la dette publique ? A qui profite-t-elle ? Et comment peut-on vraiment la résorber ? le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique publie un audit précis de la dette française. Thomas Coutrot nous éclaire sur cette dette qui sert parfois de prétexte aux pires décisions politiques.

 

 

Cette étude a été réalisée par un groupe de travail du Collectif pour un Audit citoyen de la dette publique. Elle se veut une contribution au nécessaire débat public sur des questions cruciales : d’où vient la dette ? A-t-elle été contractée dans l’intérêt général, ou bien au bénéfice de minorités déjà privilégiées ? Qui détient ses titres ? Peut-on alléger son fardeau autrement qu’en appauvrissant les populations ? Les réponses apportées à ces questions détermineront notre avenir.

 

Résumé du rapport

59% de la dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêt excessifs

Tout se passe comme si la réduction des déficits et des dettes publiques était aujourd’hui l’objectif prioritaire de la politique économique menée en France comme dans la plupart des pays européens. La baisse des salaires des fonctionnaires, ou le pacte dit « de responsabilité » qui prévoit 50 milliards supplémentaires de réduction des dépenses publiques, sont justifiés au nom de cet impératif.

Le discours dominant sur la montée de la dette publique fait comme si son origine était évidente : une croissance excessive des dépenses publiques.

Mais ce discours ne résiste pas à l’examen des faits. Dans ce rapport nous montrons que l’augmentation de la dette de l’État – qui représente l’essentiel, soit 79%, de la dette publique – ne peut s’expliquer par l’augmentation des dépenses puisque leur part dans le PIB a chuté de 2 points en trente ans.

Si la dette a augmenté c’est d’abord parce que tout au long de ces années l’État s’est systématiquement privé de recettes en exonérant les ménages aisés et les grandes entreprises : du fait de la multiplication des cadeaux fiscaux et des niches, la part des recettes de l’État dans le PIB a chuté de 5 points en 30 ans.

Si l’État, au lieu de se dépouiller lui-même, avait maintenu constante la part de ses recettes dans le PIB, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de 24 points de PIB (soit 488 milliards €) à son niveau actuel.

C’est ensuite parce que les taux d’intérêt ont souvent atteint des niveaux excessifs, notamment dans les années 1990 avec les politiques de « franc fort » pour préparer l’entrée dans l’euro, engendrant un « effet boule de neige » qui pèse encore très lourdement sur la dette actuelle.

Si l’État, au lieu de se financer depuis 30 ans sur les marchés financiers, avait recouru à des emprunts directement auprès des ménages ou des banques à un taux d’intérêt réel de 2 %, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de 29 points de PIB (soit 589 milliards €) à son niveau actuel.

L’impact combiné de l’effet boule de neige et des cadeaux fiscaux sur la dette publique est majeur : 53% du PIB (soit 1077 milliards €). Si l’État n’avait pas réduit ses recettes et choyé les marchés financiers, le ratio dette publique sur PIB aurait été en 2012 de 43% au lieu de 90 % comme le montre le graphique ci-contre.

Au total, 59% de l’actuelle dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêts excessifs.

La hausse de la dette publique provient pour l’essentiel
des cadeaux fiscaux et des hauts taux d’intérêt

Source : Insee, comptabilité nationale ; calculs CAC



Le rapport d’audit propose aussi une évaluation des impacts des paradis fiscaux ainsi que de la crise financière de 2008 dans l’envolée de la dette publique.

Au total, il apparaît clairement que la dette publique a été provoquée par des politiques économiques largement favorables aux intérêts des créanciers et des riches, alors que les sacrifices demandés aujourd’hui pour la réduire pèsent pour l’essentiel sur les salariés, les retraités et les usagers des services publics. Cela pose la question de sa légitimité.

Le rapport se conclut par une série de propositions destinées à alléger le fardeau de la dette (près de 50 milliards d’euros d’intérêts par an et plus de 100 milliards de remboursements) pour rompre avec le cercle vicieux des politiques d’austérité et financer les investissements publics dont l’urgence sociale et écologique n’est plus à démontrer.

La réalisation d’un audit de la dette publique effectué par les citoyens ou sous contrôle citoyen, devrait permettre d’ouvrir enfin un véritable débat démocratique sur la dette publique. Ce débat devrait amener à déterminer quelle partie de cette dette est jugée par les citoyens comme illégitime. Les premières évaluations ici proposées par le groupe de travail du Collectif pour un audit citoyen se veulent une contribution à ce débat.

Ont participé à l’élaboration de ce rapport : Michel Husson (Conseil scientifique d’Attac, coordination), Pascal Franchet (CADTM), Robert Joumard (Attac), Evelyne Ngo (Solidaires Finances Publiques), Henri Sterdyniak (Économistes Atterrés), Patrick Saurin (Sud BPCE)

Lire le rapport complet : https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rappor...

 

 

Brésil - 1999

 

Et encore une fois, le Brésil...

 

 

Aéroport de Sao Paulo sous la pluie, escale avant Rio, et l'avion redécolle. Musique latino sur les oreilles. Je ne sais pas encore que je suis au Brésil. Appréhension. Manque de sommeil, angoisse, je suis presque maussade. Non, je n'ai vraiment pas encore réalisé que ce que je vois là en bas, à travers le hublot, c'est le Brésil. Pour la quatrième fois !

  

Chaud le Brésil, une chaleur qui dilate le cœur, qui enfièvre les regards, une chaleur lourde et lascive qui ruisselle entre les cuisses. Bouffées douces de maconha, frisson vert acidulé des caïpirinhas, déloyales et délicieuses. Chaud et le temps s'étire tout en longueur, en langueurs moites et palpables, traversé de violents éclairs qui déchirent l'atmosphère imprégnée de sensualité. Le cœur est à l'orage.

 

Chaud et pourtant demeure le qui-vive, l'urgence, le vacarme des rues, le grondement des moteurs, les cris, les sifflements, le crissement des pneus sur l'asphalte. Au coin d’une rue, sur le trottoir, des fleurs, des bougies dont la cire a coulé, des fruits… Rituels macumba. Les postes de radio égrainent leur musique, rythmes salsa qui font danser des oreilles aux orteils. Poussière humide, friture et jasmin, étalages bariolés de fruits charnus et sucrés. Le son des voix se confond avec le reste, séduction de la langue, musique de vie.

 

La magie suinte de la terre et des murs fendillés, magie blanche, magie noire, magie du sang mêlé. Mulato, caboclo, cafuzo… Petits chats sauvages, rapazes, pivetes, enfants des favelas. La vie est à ce point tordue qu’on va jusqu’à donner aux bidons-villes un nom de fleur sauvage. La favela est une fleur qui poussait sur les mornes… Y fleurit-elle encore entre les entassements d’ordures, de tôles et les coulées de boue ? Favela da Rocinha, Morro da Babilônia... Multitude d'enfants aux corps têtus et fragiles. Leurs peaux crasseuses gorgées de soleil. Leur regard fier et farouche, brûlant de hardiesse, de curiosité. Ces enfants me fascinent et la violence de leur enfer encore une fois me révolte.

 

Je vois le vaste océan là-bas, qui lèche et sanctifie le rivage de ses langues d'écumes, raconte en boucle sa longue histoire, ses peines infinies. Le vieil océan qui pour combler sa solitude, à l’heure où le soleil chavire, berce la lumière moribonde, pendue aux flots de la baie de Guanabara. C’est Iemanja la déesse, qui nous protège et charrie nos débris, nos ordures, nos scories. Une fois l’an, pour l’honorer, les fidèles vêtus de blancs de l’umbanda, jette dans ses bras bleus des brassées de glaïeuls et plantent des milliers de petits soleils sur ses flancs ensablés. Il se peut qu’au même moment, certains finissent sous un bus, écrasés, en robes blanches ensanglantées. A Rio, le drame est un fait divers. 31 décembre 1994, minuit moins cinq. Ceux qui étaient avec moi s’en souviennent encore. Jamais encore je n’ai pu raconter ça par écrit. Heureusement après, il y a eu Paraty, puis Sao Paolo, 1995, Belo Horizonte et Ouro Preto, 1998 et aujourd’hui Rio encore. La boucle est bouclée, mais ici je n’écris pas. Ici je vis, je vis à fond.

 

 

Chaud… et la chaleur boit à même les corps, en extrait les plus intimes parfums pour les répandre ensuite, huiles saintes sur la terre. Terre de feu, de sang, qui rend fou, vivant, obscène et entier, tellement la mort est omniprésente ! Une terre où les sans-terres luttent sans arme, une terre où l’enfant sans père, ni mère, voudrait bien pouvoir laisser couler des larmes. Trop grandes richesses côtoient trop grande détresse.

 

Terre de bois rouge, ma terre-aimant ! C'est encore toi que je vois à travers le hublot, mais c'est déjà le retour et comme à chaque fois, je n'ai pu que vivre, vivre vite et beaucoup, même trop parfois. Et maintenant en escale à Sao Paulo, sans quitter l'avion, je pense à quoi ? Je sais que je reviendrai un jour, dans six mois, dans un an, je n'en sais rien et cela n'a aucune importance.

 

 

Cathy Garcia, janvier 1999

 

 

 

Brésil : des « street artist » ont réalisé des graffitis anti coupe du mode un peu partout dans le pays, en voici quelques-uns

 

Source : http://www.demotivateur.fr/article-buzz/des-graffitis-ant...

 


Non, je n'irai pas à la Coupe du Monde au Brésil #ChangeBrazil

 

Cette coupe 2014 semble être l'occasion d'un réveil global des consciences, la situation n'est pas nouvelle au Brésil, loin loin loin de là, elle est même meilleure qu'il y a 20 ans d'une certaine façon, puisque classe moyenne augmentant, conscience sociale et politique semblent avoir augmenté aussi... de même chez nous ? Espérons-le ! Le Brésil et l'Amérique latine est un formidable réservoir d'énergies à changer le monde... Soutenons-les !

cg, 4 juin 2014

 

 

 

01/06/2014

Microbe 83 et Grovisse de forme

 

Microbe 83.jpgLe 83e numéro du Microbe est sorti (depuis un moment) !

Au sommaire :
Jean-Marie Alfroy
G
abrielle Burel

Grégoire Damon
Sandrine Davin
Xavier Frandon
Cathy Garcia (et on m'offre la quatrième de couv !)
Paul Guiot
Cédric Landri
Catfish McDaris
Fabrice Marzuolo
Louis Mathoux
Bénédicte Montjoie
Raymond Penblanc
Morgan Riet
Basile Rouchin
Les illustrations sont de Matt Mahlen

 

avec en prime pour ceusses qui...

Couverture Grovisse.jpgGROVISSE DE FORME
par André Stas & Éric Dejaeger

Il devait paraître en juillet, mais comme les éditions Microbe sont toujours à l’avance sur les autres, il a été envoyé avec le Microbe 83 de mai.

Au départ, une idée de Dédé sur une règle de grammaire très pointue du plus célèbre grammairien francophone autant que belge. À l’arrivée, la règle illustrissimée par des dizaines d’exemples multiclastes, entortitordus, calemboufoireux et pires.

Les zauteurs sont certains que personne ne fera mieux. Sauf eux !

Éditions Microbe (2014)
Tirage numéroté et limité à 130 exemplaires
28 pages
ISBN : néant
et certainement qu'à cette heure, y'en a plus...dommage, parce que ça fait bien marrer, ça détend les orpions et même que parfois ça fait réfléchir (un peu)

 

http://courttoujours.hautetfort.com/

31/05/2014

La Trilogie Nostradamus de Mario Reading

La Trilogie Nostradamus, traduit de l’anglais par Florence Mantran, T. 1, Les Prophéties perdues, septembre 2013, 576 pages, 14 € ; T. 2, L’Hérésie maya, septembre 2013, 640 p. 21 € ; T. 3, Le Troisième Antéchrist, février 2014, 592 pages, 21 €

Edition: Le Cherche-Midi

 

LesProphétiesperdues_TrilogieNostradamus_ChercheMidi.gif

    

 

Difficile de résumer une telle trilogie, tellement elle est dense, mais ce qui est certain c’est que le premier tome nous embarque pour une aventure des plus captivantes où se retrouvent impliqués, parfois bien malgré eux, des personnages de milieux qui a priori n’ont rien à voir entre eux. Ainsi Adam Sabir, un écrivain franco-américain, spécialiste de Nostradamus, arrive à Paris sur les traces de 52 prophéties inédites dont nul n’a eu connaissance, des prophéties perdues.

Légende ou réalité ? Toujours est-il qu’il se retrouve aussitôt mêlé à une sombre histoire de meurtre, celui d’un gitan surnommé Babel Samana qui semblait savoir quelque chose à leur propos. Adam Sabir est le principal suspect de cet assassinat plutôt sauvage. À la fois en fuite et toujours sur les traces des prophéties perdues, il a sur ses propres traces le policier Calque, qui tient plus de l’érudit fou d’histoire que du policier, et son adjoint bien moins érudit, mais plus zélé. Le tueur de Babel Samana aussi est sur ses traces, Adam Sabir n’est pas le seul à rechercher ces prophéties.

Après avoir frôlé la mort dans le camp de gitans où il recherche la sœur de Babel, Yola Dufontaine, il se retrouve contre toute attente désigné comme frère de sang de cette dernière et tous deux seront impliqués ainsi que Calque, jusqu’au cou et jusqu’au bout de cette trépidante trilogie, mêlant intrigue et suspens à la sauce policière, thriller ésotérique, amour et aventure multiculturelle à travers la France, l’Europe et le Mexique, d’abord la piste des Vierges Noires, puis entre autres les crânes de cristal et la prophétie des Mayas pour finir par trouver le troisième antéchrist et la parousie, au fin fond de la Roumanie, et avec continuellement aux trousses un obscur et redoutable Corpus Maleficus, chargé de protéger le monde en provoquant le chaos…

Et tout ça, sans jamais tomber dans un délire new-âge, mais au contraire très documenté, drôle, intelligent, poétique, pure fiction mais des plus crédibles, passionnante. Cela dit le premier tome étant si prenant, il est difficile de tenir sur la longueur un rythme aussi haletant, et la fin peut sembler du coup un peu décevante, mais à vrai dire elle n’importe pas tant que ça, l’essentiel s’étant passé avant. A lire donc sans hésiter, il y a à boire et à manger.

 

Cathy Garcia

 

 

 

mario_reading_-_credit_claudia_reading.jpgGlobe-trotter insatiable, Mario Reading a vécu en Autriche et en Afrique du Sud. Expert en livres anciens, il est considéré comme l’un des grands spécialistes de Nostradamus. Après Les Prophéties perdues, paru une première fois en 2009 aux éditions First, L’Hérésie maya et Le Troisième Antéchrist viennent compléter La Trilogie Nostradamus.

 

Note paru sur le site de la Cause Littéraire

 

 

 

 

 

 

 

30/05/2014

Bernard Laponche : “Il y a une forte probabilité d'un accident nucléaire majeur en Europe”

 

Quelle énergie pour l'avenir ? | Physicien nucléaire, polytechnicien, Bernard Laponche est formel : la France est dans l'erreur. Avec le nucléaire, elle s'obstine à privilégier une énergie non seulement dangereuse mais obsolète. Alors que d'autres solutions existent, grâce auxquelles les Allemands ont déjà commencé leur transition énergétique.

Le 18/06/2011 à 00h00- Mis à jour le 27/06/2011 à 11h24
Propos recueillis par Vincent Remy - Télérama n° 3205

 Bernard Laplonche - Photo : Pierre-Emmanuel Rastoin pour...

Bernard Laplonche - Photo : Pierre-Emmanuel Rastoin pour Télérama

Il est des leurs. Enfin, il était des leurs. Polytechnicien, physicien nucléaire, Bernard Laponche a participé, dans les années 1960, au sein du Commissariat à l'énergie atomique, à l'élaboration des premières centrales françaises. La découverte des conditions de travail des salariés de la Hague sera pour lui un choc : il prend conscience du danger de l'atome, qu'il juge moralement inacceptable. Dès les années 1980, Bernard Laponche, désormais militant au sein de la CFDT, prône la maîtrise de la consommation énergétique et le développement des énergies renouvelables. Les décennies suivantes lui ont donné raison. Mais la France, seul pays au monde à avoir choisi l'option du tout-nucléaire, s'obstine dans l'erreur, déplore-t-il, et s'aveugle : énergie du passé, sans innovation possible, le nucléaire ne représente pas seulement une menace terrifiante, pour nous et pour les générations qui suivront ; il condamne notre pays à rater le train de l'indispensable révolution énergétique.

 On présente toujours l'énergie nucléaire comme une technologie très sophistiquée. Vous dites qu'il s'agit juste du « moyen le plus dangereux de faire bouillir de l'eau chaude » (1) . C'est provocateur, non ?
Pas vraiment... Un réacteur nucléaire n'est qu'une chaudière : il produit de la chaleur. Mais au lieu que la chaleur, comme dans les centrales thermiques, provienne de la combustion du charbon ou du gaz, elle est le résultat de la fission de l'uranium. Cette chaleur, sous forme de vapeur d'eau, entraîne une turbine qui produit de l'électricité. L'énergie nucléaire n'est donc pas ce truc miraculeux qui verrait l'électricité « sortir » du réacteur, comme s'il y avait une production presque spontanée...

Pourquoi cette image s'est-elle imposée ?
Les promoteurs du nucléaire ne tiennent pas à mettre en avant la matière première, l'uranium. C'est lié au fait qu'à l'origine le nucléaire était militaire, donc stratégique. Et puis en laissant penser que l'électricité est produite directement, ils lui donnent un côté magique, ainsi qu'une puissance trois fois plus élevée, car c'est la chaleur produite que l'on évalue, pas l'électricité. Or les deux tiers de la chaleur sont perdus, ils réchauffent l'eau des fleuves ou de la mer qui sert à refroidir les réacteurs.

La centrale de Grafenrheinfeld, en Allemagne. - Photo : J&uu

La centrale de Grafenrheinfeld, en Allemagne. - Photo : Jürgen Nefzger

 

Parlons donc du combustible...
Ce sont des crayons d'uranium, de l'uranium légèrement enrichi en isotope 235, pour les réacteurs français. La fission est une découverte récente (1938) : un neutron tape un noyau d'uranium qui explose, produit des fragments, donc de l'énergie, et des neutrons, qui vont taper d'autres noyaux – c'est la réaction en chaîne. La multiplication des fissions produit de la chaleur. Or les fragments de la fission sont de nouveaux produits radioactifs, qui émettent des rayons alpha, bêta, gamma... A l'intérieur des réacteurs, vous produisez donc de la chaleur, c'est le côté positif, mais aussi des produits radioactifs, notamment du plutonium, le corps le plus dangereux qu'on puisse imaginer, qui n'existe qu'à l'état de trace dans la nature. On aurait dû s'interroger dès l'origine : ce moyen de produire de l'eau chaude est-il acceptable ?

Cette réaction en chaîne, on peut tout de même l'arrêter à chaque instant, non ?
Dans un fonctionnement normal, on abaisse les barres de contrôle dans le cœur du réacteur : elles sont constituées de matériaux qui absorbent les neutrons, ce qui arrête la réaction en chaîne. Mais il faut continuer de refroidir les réacteurs une fois arrêtés, car les produits radioactifs continuent de produire de la chaleur. La nature même de la technique est donc source de risques multiples : s'il y a une panne dans les barres de contrôle, il y a un emballement de la réaction en chaîne, ce qui peut provoquer une explosion nucléaire ; s'il y a une fissure dans le circuit d'eau, il y a perte de refroidissement, la chaleur extrême détruit les gaines du combustible, certains produits radioactifs s'échappent, on assiste à la formation d'hydrogène, cet hydrogène entraîne des matières radioactives et peut exploser.

“Puisque le point de départ, c'est la création
de produits radioactifs en grande quantité, la catastrophe
est intrinsèque à la technique. Le réacteur fabrique
les moyens de sa propre destruction.”

Mais on multiplie les systèmes de protection...
Vous avez beau les multiplier, il y a toujours des situations dans lesquelles ces protections ne tiennent pas. A Tchernobyl, on a invoqué, à juste titre, un défaut du réacteur et une erreur d'expérimentation ; à Fukushima, l'inondation causée par le tsunami. Au Blayais, en Gironde, où la centrale a été inondée et où on a frôlé un accident majeur, on n'avait pas prévu la tempête de 1999. Mais on a vu des accidents sans tsunami ni inondation, comme à Three Mile Island, aux Etats-Unis, en 1979. On peut aussi imaginer, dans de nombreux pays, un conflit armé, un sabotage... Puisque le point de départ, c'est la création de produits radioactifs en grande quantité, la catastrophe est intrinsèque à la technique. Le réacteur fabrique les moyens de sa propre destruction.

Y a-t-il eu des innovations en matière nucléaire ?
Aucun progrès technologique majeur dans le nucléaire depuis sa naissance, dans les années 1940 et 1950. Les réacteurs actuels en France sont les moteurs des sous-marins atomiques américains des années 1950. En plus gros. Les réacteurs, l'enrichissement de l'uranium et le retraitement, sont des technologies héritées de la Seconde Guerre mondiale. On a juste augmenté la puissance et ajouté des protections. Mais parce que le système est de plus en plus compliqué, on s'aperçoit que ces protections ne renforcent pas toujours la sûreté.

On a du mal à croire qu'il n'y ait eu aucune innovation majeure...
Si, le surgénérateur ! Avec Superphénix, on changeait de modèle de réacteur. Et heureusement qu'on l'a arrêté en 1998, car il était basé sur l'utilisation du plutonium. Le plutonium est un million de fois plus radioactif que l'uranium. Comment a-t-on pu imaginer faire d'un matériau aussi dangereux le combustible d'une filière de réacteurs exportable dans le monde entier ?

Nicolas Sarkozy affirme que si l'on refuse le nucléaire, on doit accepter de s'éclairer à la bougie. Qu'en pensez-vous ?
Il est lassant d'entendre des dirigeants qui n'y connaissent rien continuer à dire n'importe quoi. Nicolas Sarkozy ne croit pas si bien dire ; un jour, et pourquoi pas dès cet été, les Français s'éclaireront à la bougie : comme nous sommes le seul pays au monde à avoir choisi de produire 80 % de notre électricité avec une seule source, le nucléaire, et une seule technique, le réacteur à eau pressurisée, si nous sommes contraints d'arrêter nos réacteurs, nous retournerons à la bougie ! Pas besoin d'une catastrophe, juste un gros pépin générique, ou une sécheresse et une canicule exceptionnelles. Car on ne peut pas faire bouillir l'eau des rivières. En revanche, si l'on décidait de sortir du nucléaire en vingt ans, on pourrait démultiplier notre inventivité énergétique pour justement éviter la bougie.

Les défenseurs du nucléaire disent qu'en France, avec notre nouveau réacteur, l'EPR, que l'on construit à Flamanville, on arrive à un risque quasi nul...
Chaque pays assure que ses réacteurs sont mieux que les autres. Avant Fukushima, le discours des Japonais était le même que celui des Français. On en est déjà à cinq réacteurs détruits (Three Mile Island, Tchernobyl, et trois réacteurs à Fukushima) sur quatre cent cinquante réacteurs dans le monde, des centaines de kilomètres carrés inhabitables. La probabilité théorique, selon les experts de la sûreté nucléaire, devait être de un pour cent mille « années-réacteur » [une année-réacteur, c'est un réacteur fonctionnant pendant un an, NDLR], voire un million d'années-réacteur pour un accident majeur, type Tchernobyl ! La réalité de ce qui a été constaté est trois cents fois supérieure à ces savants calculs. Il y a donc une forte probabilité d'un accident nucléaire majeur en Europe.

Une innovation majeure pourrait-elle vous conduire à revoir votre jugement ?
Je ne vois pas de solution dans l'état actuel, non pas de l'ingénierie, mais de la connaissance scientifique. Je ne dis pas qu'un jour un savant ne trouvera pas un moyen d'utiliser l'énergie de liaison des noyaux de façon astucieuse, qui ne crée pas ces montagnes de produits radioactifs. Mais pour le moment, il n'y a pas !

Pourquoi vous opposez-vous à Iter, expérience sur la fusion menée à Cadarache, sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ?
La fusion, c'est l'inverse de la fission. On soude deux petits noyaux, deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium (un proton et un neutron) et le tritium (un proton et deux neutrons), et cette soudure dégage de l'énergie. Mais il faut arriver à les souder, ces noyaux ! Dans le Soleil, ils se soudent du fait de la gravitation. Sur Terre, on peut utiliser une bombe atomique, ça marche très bien. L'explosion provoque la fusion des deux noyaux, qui provoque une seconde explosion beaucoup plus forte : c'est la bombe à hydrogène, la bombe H. Pour une fusion sans bombe, il faut créer des champs magnétiques colossaux afin d'atteindre des températures de cent millions de degrés. Iter, à l'origine un projet soviétique, est une expérience de laboratoire à une échelle pharaonique, des neutrons extrêmement puissants bombardent les parois en acier du réacteur, ces matériaux deviennent radioactifs et doivent d'ailleurs être remplacés très souvent. Je ne suis pas spécialiste de la fusion, mais je me souviens que nos deux derniers Prix Nobel français de physique, Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak, avaient dit qu'Iter n'était pas une bonne idée. Ils prônaient les recherches fondamentales avant de construire cet énorme bazar. Personne n'a tenu compte de leur avis, et nos politiques se sont précipités, sur des arguments de pure communication – on refait l'énergie du Soleil – pour qu'Iter se fasse en France.

Pourquoi ?
Parce que les Français veulent être les champions du nucléaire dans le monde. Les Japonais voulaient Iter, mais leur Prix Nobel de physique Masatoshi Koshiba a dit « pas question », à cause du risque sismique. Je pense que ce projet va s'arrêter parce que son prix augmente de façon exponentielle. Et personne ne s'est posé la question : si jamais ça marchait ? Que serait un réacteur à fusion ? Comme disent les gens de l'association négaWatt, pourquoi vouloir recréer sur Terre l'énergie du Soleil puisqu'elle nous arrive en grande quantité ?

Que répondez-vous à ceux qui pensent que l'impératif du réchauffement climatique, donc la nécessaire réduction des émissions de CO2, nous impose d'en passer par le nucléaire ?
Tout d'abord, on ne peut pas faire des émissions de CO2 le seul critère de choix entre les techniques de production d'électricité. Faut-il accepter qu'au nom du climat, tous les cinq ou dix ans, un accident de type Fukushima se produise quelque part dans le monde ? Ensuite, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a montré que si l'on voulait tenir nos objectifs de réduction des émissions de CO2, la moitié de l'effort devait porter sur les économies d'énergie. Pour l'autre moitié, le recours aux énergies renouvelables est essentiel, la part du nucléaire n'en représentant que 6 %. Il faut donc relativiser l'avantage du nucléaire.

“Comme on a fait trop de centrales, il y a eu
pression pour la consommation d'électricité,
en particulier pour son usage le plus imbécile, le
chauffage, pour lequel la France est championne.”

Vous avez commencé votre carrière au CEA et avez été un artisan de cette énergie. Que s'est-il passé ?
J'ai même fait une thèse sur le plutonium, et je ne me posais aucune question. Tout est très compartimenté au CEA, je faisais mes calculs sur la centrale EDF 3 de Chinon, n'avais aucune idée des risques d'accident ni du problème des déchets. Je travaillais avec des gens brillants. Et puis j'ai commencé à militer à la CFDT, après 68, et on s'est intéressé aux conditions de travail des travailleurs de la Hague. Je me suis aperçu que, moi, ingénieur dans mon bureau, je ne connaissais rien de leurs conditions de travail, et que les gens de la Hague ne savaient pas ce qu'était un réacteur nucléaire. On a donc écrit, en 1975, un bouquin collectif qui a été un best-seller, L'Electronucléaire en France. Le patron du CEA de l'époque a d'ailleurs reconnu la qualité de ce travail. Pour cela, j'ai travaillé pendant six mois à partir de documents américains, parce qu'en France il n'y avait rien. La CFDT a alors pris position contre le programme nucléaire. J'ai commencé à travailler sur les alternatives au nucléaire et, en 1982, je suis entré à l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie.

Cela fait trente ans... Que prôniez-vous à l'époque ?
Mais la même chose qu'aujourd'hui : économies d'énergie et énergies renouvelables ! Les principes de l'électricité photovoltaïque, donc des panneaux solaires, étaient déjà connus. Aujourd'hui, on ne parle que de l'électricité, mais ce qu'il faudrait d'abord installer partout, c'est des chauffe-eau solaires ! Rien de plus simple : un fluide caloporteur circule dans un tube sous un panneau vitré, et permet d'obtenir de l'eau à 60 degrés. L'Allemagne, pays moins ensoleillé que la France, a dix fois plus de chauffe-eau solaires. Dans le Midi, il n'y en a pas, ou si peu !

Cela ne demande pas beaucoup d'innovation...
L'innovation permet avant tout de réduire les coûts. L'éolien, sa compétitivité face au nucléaire est acquise. En ce qui concerne le photovoltaïque, les Allemands anticipent des coûts en baisse de 5 % chaque année. Il y a beaucoup de recherches à faire sur les énergies marines, les courants, l'énergie des vagues, la chaleur de la terre avec la géothermie. Les énergies renouvelables, sous un mot collectif, sont très différentes, et peuvent couvrir à peu près tous les besoins énergétiques. Les Allemands estiment qu'elles couvriront 80 % des leurs d'ici à 2050. C'est plus que crédible, à condition de toujours rechercher les économies d'énergie.


Photo : CC by HeyRocker (www.flickr.com/photos/heyrocker)

Photo : CC by HeyRocker (www.flickr.com/photos/heyrocker)

 

Le fait qu'on ait produit de l'électricité à partir du nucléaire à un coût modique, ne prenant pas en compte les coûts du démantèlement et de la gestion à long terme des déchets radioactifs, a-t-il pénalisé les énergies renouvelables ?
Oui, et comme on a fait trop de centrales nucléaires, il y a toujours eu pression pour la consommation d'électricité, et en particulier pour son usage le plus imbécile, le chauffage électrique, pour lequel la France est championne d'Europe. On construit des logements médiocres, l'installation de convecteurs ne coûte rien, cela crée du coup un problème de puissance électrique globale : en Europe, la différence entre la consommation moyenne et la pointe hivernale est due pour moitié à la France ! Résultat, l'hiver, nous devons acheter de l'électricité à l'Allemagne, qui produit cette électricité avec du charbon… Hors chauffage, les Français consomment encore 25 % de plus d'électricité par habitant que les Allemands. Qui n'ont pas seulement des maisons mieux isolées, mais aussi des appareils électroménagers plus efficaces, et qui font plus attention, car l'électricité est un peu plus chère chez eux.

“Les Allemands étudient des réseaux
qui combinent biomasse, hydraulique, éolien,
photovoltaïque. Ils réussissent la transition
énergétique. Parce qu'ils l'ont décidée.”

Quelles sont les grandes innovations à venir en matière d'énergie ?
Les « smart grids », les réseaux intelligents ! Grâce à l'informatique, on peut optimiser la production et la distribution d'électricité. A l'échelle d'un village, d'une ville ou d'un département, vous pilotez la consommation, vous pouvez faire en sorte, par exemple, que tous les réfrigérateurs ne démarrent pas en même temps. Les défenseurs du nucléaire mettent toujours en avant le fait que les énergies renouvelables sont fluctuantes – le vent ne souffle pas toujours, il n'y a pas toujours du soleil – pour asséner que si l'on supprime le nucléaire, il faudra tant de millions d'éoliennes... Mais tout change si l'on raisonne en termes de combinaisons ! Les Allemands étudient des réseaux qui combinent biomasse, hydraulique, éolien, photovoltaïque. Et ils travaillent sur la demande : la demande la nuit est plus faible, donc avec l'éolien, la nuit, on pompe l'eau qui va réalimenter un barrage qui fonctionnera pour la pointe de jour... C'est cela, la grande innovation de la transition énergétique, et elle est totalement opposée à un gros système centralisé comme le nucléaire. Le système du futur ? Un territoire, avec des compteurs intelligents, qui font la jonction parfaite entre consommation et production locale. Small is beautiful. Les Allemands réussissent en ce moment cette transition énergétique. Parce qu'ils l'ont décidée. C'est cela, le principal : il faut prendre la décision. Cela suppose une vraie prise de conscience.

Comment expliquez-vous l'inconscience française ?
Par l'arrogance du Corps des ingénieurs des Mines, d'une part, et la servilité des politiques, de l'autre. Une petite caste techno-bureaucratique a gouverné les questions énergétiques depuis toujours, puisque ce sont eux qui tenaient les Charbonnages, puis le pétrole, et ensuite le nucléaire. Ils ont toujours poussé jusqu'à l'extrême, et imposé aux politiques, la manie mono-énergétique.

Cela vient de notre pouvoir centralisé ?
Complètement ! Dans les années 1970, un chercheur suédois a écrit une étude sur le fait que le nucléaire marche dans certains pays et pas dans d'autres. Et il en a conclu qu'une structure politico-administrative autoritaire et centralisée avait permis qu'il se développe dans deux pays : l'URSS et la France. Pour de fausses raisons – indépendance énergétique, puissance de la France –, on maintient le lien entre le nucléaire civil et militaire – le CEA a une branche applications militaires, Areva fournit du plutonium à l'armée. Ce complexe militaro-étatico-industriel fait qu'ici on considère madame Merkel comme une folle. Au lieu de se dire que si les Allemands font autrement, on pourrait peut-être regarder… Non, on décide que les Allemands sont des cons. Nos responsables claironnent qu'on a les réacteurs les plus sûrs, que le nucléaire c'est l'avenir, et qu'on va en vendre partout. C'est l'argument qu'on utilise depuis toujours, et on a vendu péniblement neuf réacteurs en cinquante ans, plus les deux qui sont en construction en Chine. Ce n'est pas ce qui était prévu… En dix ans, les Allemands, eux, ont créé près de 400 000 emplois dans les énergies renouvelables.

En dehors des écologistes, personne, y compris à gauche, ne remet en cause le nucléaire...
Les choses évoluent vite. Fukushima ébranle les pro-nucléaire honnêtes. Je pense que la décision allemande aura une influence, pas sur nos dirigeants actuels, mais sur nos industriels et aussi sur les financiers. Ils doivent se dire : vais-je continuer à mettre mes billes dans un truc comme ça ? Il y avait jadis l'alliance Areva-Siemens pour proposer des réacteurs EPR, mais Siemens en est sorti depuis des années. On peut toujours se rassurer en pensant que les Allemands se trompent, mais on peut difficilement soutenir qu'ils aient fait ces dernières décennies de mauvais choix et que leur industrie soit faiblarde...

Les écologistes peuvent-ils peser sur les socialistes ?
Bien sûr. Déjà, en 2000, tout était prêt pour l'EPR, mais Dominique Voynet, ministre de l'Environnement, a dit à Lionel Jospin : « Si tu fais l'EPR, je démissionne. » C'est la seule fois où elle a mis sa démission dans la balance et l'EPR ne s'est pas fait à l'époque. Je travaillais auprès d'elle comme conseiller sur ces questions, j'ai pondu trois cent cinquante notes. Il y avait une bagarre quotidienne entre le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Industrie, qui se moquait complètement de la sécurité. Malheureusement, l'EPR est reparti avec Chirac en 2002. Et il va nous coûter très cher. En un demi-siècle, on a gaspillé l'énergie, on a fait n'importe quoi. Il est urgent de choisir une civilisation énergétique qui ne menace pas la vie.

(1) Titre d'une contribution dans les pages Rebonds de « Libération » (24 mars 2011).


En savoir plus sur http://www.telerama.fr/monde/bernard-laponche-il-y-a-une-forte-probabilite-d-un-accident-nucleaire-majeur-en-europe,70165.php#y797RtQBcyMCYT2y.99

23:44 Publié dans NUCLEAIRE | Lien permanent | Commentaires (0)

Au Chiapas, on a assassiné Galeano, ange gardien zapatiste et maestro ès démocratie

 

La tension est vive au Chiapas après l’attaque contre le centre régional zapatiste de La Realidad, dans la forêt Lacandone, au Mexique. C’est le cœur d’une expérience d’autonomie rebelle, d’une ampleur qui n’a guère d’équivalent, qui est ainsi visé.

Comme des dizaines de milliers de zapatistes, Galeano, sauvagement assassiné, était un maestro, de ceux qui partagent avec humilité leur expérience, un maître dans l’art trop rare de pratiquer une démocratie véritable, un artisan ordinaire et modestement héroïque des utopies réelles.


Galeano, assassiné le 2 mai au Chiapas (DR)

Attaque contre La Realidad

Le 2 mai dernier, en effet, un groupe de choc de la CIOAC-H (Centrale indigène d’ouvriers agricoles et paysans – branche historique), une organisation manipulée par les autorités, a attaqué le caracol de La Realidad, l’un des cinq centres régionaux où siègent les Conseils de bon gouvernement zapatistes (instaurés en 2003 afin de mettre en pratique des Accords de San Andrés, signés par le gouvernement fédéral mais jamais transformés en norme légale).

Le solde est une école et une clinique détruites, une quinzaine de blessés et l’assassinat prémédité du « compañero Galeano », l’un des responsables régionaux de la « Petite école » zapatiste, dernière initiative en date de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale).

Il faut bien comprendre qu’au Chiapas de nombreuses organisations non zapatistes sont incitées par les gouvernements à entrer en conflit avec les membres de l’EZLN (on vient de mettre au jour une correspondance de 2010 entre l’un des assassins présumés de Galeano et Luis H. Alvarez, ancien président de la Commission nationale pour le développement des peuples indigènes).

On leur promet, par exemple, de financer leurs projets productifs, à condition qu’ils reprennent aux zapatistes des terres, des hangars, bloquent leur accès aux ressources en eau, en sable, etc.

« Affrontements intracommunautaires » ?

Les cas ne manquent pas où les familles zapatistes, voire des hameaux entiers, sont chassés, les armes à la main. Il s’agit là d’une stratégie de contre-insurrection, plus discrète que le recours à l’armée fédérale et qui permet de mettre la violence sur le compte des « affrontements intracommunautaires », stratagème déjà amplement mis à profit lors du massacre d’Acteal, en décembre 1997.

C’est cela qui vient de se passer à La Realidad. Pour faire monter la tension, les membres de la CIOAC ont prétendu interdire aux zapatistes l’accès à une carrière de sable dont l’usage était de longue date collectif et se sont emparés, plusieurs mois durant, d’une camionnette du Conseil de bon gouvernement.

Au moment même où un processus de dialogue était en cours entre des envoyés de la CIOAC et le Conseil de bon gouvernement de La Realidad, avec la médiation du Centre des droits de l’homme Fray Bartolomé de Las Casas, et semblait pouvoir aboutir, les dirigeants de la CIOAC ont envoyé un groupe armé afin d’attaquer le caracol de La Realidad.

C’est alors que l’école et la clinique ont été détruites, tandis que Galeano, pris en embuscade par une vingtaine d’hommes en armes, a été sauvagement frappé puis transpercé de trois balles assassines.

Recours à l’armée zapatiste

Face à la violence de cette attaque, qui vise l’un des centres les plus symboliques des territoires zapatistes, le Conseil de bon gouvernement, instance civile, a décidé d’en appeler à l’EZLN pour faire face à la situation dérivant de cette agression.

C’est la première fois depuis leur création, en 2003, que l’un des cinq Conseils de bon gouvernement s’en remet ainsi à l’Armée zapatiste.

Aussitôt, l’EZLN a annoncé la suspension de toutes ses activités publiques, notamment une importante rencontre nationale avec les peuples indiens rassemblés dans le Congrès national indigène et un Séminaire international qui devaient se tenir fin mai et début juin et au cours desquelles devaient être annoncées et discutées les initiatives de la prochaine étape de la lutte zapatiste.

Les récents communiqués du sous-commandant Marcos rendaient palpable le climat à La Realidad : le temps était à la douleur et à la colère, au deuil et à l’hommage à Galeano (qui lui sera rendu, sur place, et un peu partout au Mexique et à travers le monde, le samedi 24 mai), mais aussi à la mobilisation et à la vigilance, face aux rumeurs évoquant une attaque pour « prendre le caracol » de La Realidad.

« Justice pour Galeano »

Solidarité
Des dizaines et des dizaines de messages de dénonciation de cet assassinat et de soutien à la lutte zapatiste sont envoyés, rassemblant de nombreuses organisations, collectifs, syndicats, en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Canada et en Amérique latine, ainsi que l’adhésion de personnalités parmi lesquelles Noam Chomsky, John Berger, Angela Davis, Naomi Klein, Arundhati Roy, Michael Hardt, Immanuel Wallerstein, Eric Hazan, Serge Latouche, Michael Löwy, Jean Robert et bien d’autres. [Une lettre solidaire peut être signée jusqu’au 25 mai en envoyant son nom à chiapas@solidaires.org (texte de la lettre sur http://cspcl.ouvaton.org/spip.php ? article986].

Une campagne mondiale, « Justice pour Galeano. Halte à la guerre contre les communautés zapatistes », se développe. Les mobilisations se multiplient dans de nombreux pays.

S’en prendre à Galeano, c’était viser la Petite école zapatiste, et on le comprend, car celle-ci a pour objet de faire connaître largement le bilan concret de vingt ans de construction de l’autonomie dans les territoires rebelles du Chiapas.

C’est ainsi qu’au cours des trois cessions réalisées entre août 2013 et janvier 2014 plus de 5 000 personnes, venues de plusieurs continents, ont pu séjourner dans des familles zapatistes, partager leurs tâches quotidiennes et mieux comprendre le fonctionnement des instances de gouvernement zapatiste, de la santé et de l’éducation autonomes, patiemment construites à partir des besoins réels des communautés indiennes.

Galeano, qui outre son rôle dans l’organisation de la Petite école au niveau régional, avait été l’un des milliers de Votan (gardien, en langue maya), chargé d’accompagner personnellement chaque participant de la Petite école, de veiller sur lui et de lui fournir toutes les explications souhaitées, en a expliqué lui-même la portée, quelques semaines avant son assassinat :

« Je considère que la Petite école est très importante ; c’est un moyen pour que nous puissions communiquer avec les gens de la ville, pour que nous puissions partager nos expériences, partager les avancées de l’autonomie.

Les “ élèves ” ont pu venir jusqu’à nos territoires ; ils sont venus pour partager avec les familles, pour apprendre. Ils ont pu connaître nos manières d’agir, nous les zapatistes, nos manières de nous organiser, nos moyens d’autoproduction, et comment nous construisons notre propre système de gouvernement […]

La chose la plus grande, c’est qu’ici le gouvernement ne dirige plus ; ici, c’est le peuple qui dirige. C’est le peuple qui décide comment il souhaite que soient les choses. C’est ça qui doit être clair pour les gens : ils avaient entendu dire que, chez nous, le peuple dirige et le gouvernement obéit.

Maintenant, ils sont venus voir de leurs propres yeux comment le peuple gouverne depuis les villages, au niveau des communes et au niveau régional, avec les Conseils de bon gouvernement. C’est ça le plus important, qu’ils viennent connaître ce qu’est l’autogouvernement des zapatistes. »


Hommage à Galeano (DR)

Le rêve partagé d’un autre monde

En lisant ces lignes, je pense à Galeano, dont la photo récemment publiée montre le regard étincelant de conviction généreuse et de force sereine.

Mais je pense aussi à Maximiliano, que j’ai eu l’honneur d’avoir pour votan durant la Petite école, en août 2013. Il y a en ce moment, à travers le monde, plus de 5 000 « élèves » de la Petite école zapatiste, et chacun d’eux, chacune d’elles, a sans doute dans le cœur son propre votan, qui aurait pu être Galeano.

Qui, comme Galeano, comme Maximiliano, l’a accompagné chaleureusement, a mis le meilleur de lui-même pour répondre à ses interrogations sur l’autonomie zapatiste, a nourri une réflexion commune sur le rêve partagé d’un monde libéré de la tyrannie capitaliste.

Un votan qui, comme Galeano, pourrait être mort aujourd’hui, assassiné pour avoir engagé sa vie dans la construction de la seule démocratie qui mérite véritablement ce nom. C’est-à-dire une démocratie qui ne se limite pas au choix rituel de gouvernants qui ne sont finalement rien d’autre que les courroies de transmission des contraintes découlant des logiques productivistes du capitalisme, mais qui consiste en une réappropriation effective des tâches de gouvernement, afin de mettre en œuvre des options de vie collectivement élaborées et débattues.

Je pense à cette incroyable expérience qu’est la Petite école zapatiste.

  • Incroyable effort d’organisation collective.
  • Incroyable ouverture aux autres et bouleversante générosité.
  • Incroyable invention d’une forme si singulière de partage de l’expérience populaire, au plus près de sa pratique et très loin de la rigidité des exposés théoriques et des rationalisations productrices de prétendus modèles.
  • Incroyable imbrication de l’expérimentation politique, du lien sensible et de l’intensité de la rencontre interpersonnelle.
  • Incroyable force d’humanité qui se dégage des êtres ordinaires (que nous sommes tous) lorsqu’ils brisent la chape de plomb de la résignation et de la passivité, acquièrent le goût de la liberté et commencent à se gouverner eux-mêmes.

C’est tout cela que, comme chaque votan de la Petite école zapatiste, Galeano symbolise maintenant. C’est cela qu’on a voulu assassiner. C’est cela – cet autre monde non seulement possible mais tangible, réel, de chair et d’os, et nourri de dignité rebelle – que l’on peut souhaiter faire nôtre et défendre.

 

Jerôme Baschet | chercheur à l'EHESS

http://rue89.nouvelobs.com/2014/05/21/chiapas-a-assassine...

 

 

Espagne : parc naturel à vendre

 

Pour tenter de renflouer ses caisses et de rembourser sa dette publique, l'Etat espagnol met en vente 30% de son patrimoine public. Des Hôpitaux, des petits palais, des milliers de logements, des casernes militaires, et même, un parc naturel protégé : celui des Alcornocales, en Andalousie. Le plus grand d'Europe, et l'un des plus riches. Pour villas et hôtel de luxe, aérodrome pour jets privés, golfs... Le reportage de Sandrine Mercier et Joseph Gordillo.

 

 

Il était une fois un pays, l’Espagne qui, grâce au dieu marché néolibéral, devint “l’Espanistan”

plus que jamais d'actualité...ça continue...

16 novembre 2013
Par

espanistan2 espanistan4Courte vidéo satirique en langue espagnole, avec sous-titrage en français, qui retrace avec beaucoup d’à-propos, les fondements politiques de la faillite bancaire et immobilière espagnole. Document proposé pour CHAIRECOOP par Alejandro Muchada. « Màs que una casa ». Architecte et membre de la chaire.espanistan7

espanistan5

 

 

 

 

 

 

  1.  Il était une fois un pays, l’ESPAGNE qui, grâce au dieu marché néolibéral, devint “l’ESPANISTAN“…

 

     2.« ESPANA EN VENTA ». Film documentaire en langue espagnole de Jordi Evola & Ramon Lara. (Novembre 2013 ) proposé pour CHAIRECOOP par Alejandro Muchada. « Màs que una casa ». Architecte et membre de la chaire.

  • En 2013, la communauté d’agglomération de Madrid vend la totalité d’un ensemble locatif social public (« vivienda de protecciónofficial ») dénommé « Ensanche de Vallegas », soit 3000 logements sociaux. Cette vente intervient au bénéfice de deux fonds de pension américains, pour un montant de 201 millions d’€.

espana1espana3Les fonds de pension et organismes bancaires désormais propriétaires de cet ensemble immobilier sont Blackstone et Goldman Sachs. En conséquence, les locataires en place ont perdu leur statut de locataire social et le patrimoine immobilier public financé par l’impôt, relève désormais du marché libre.

Cette vente immobilière qui a été décidée par la communauté urbaine de Madrid sans aucune concertation auprès des populations concernées, intervient au moment même où s’achève la période de versement des aides au logement. Ce qui place les locataires concernés dans une situation de totale incertitude.

Ainsi que l’on peut en prendre connaissance dans un extrait de la profession de foi de Goldman Sachs : «We stress creativity and imagination in everything we do. While recognizing that the old way may still be the best way, we constantly strive to find a better solution to a client’s problems. We pride ourselves on having pioneered many of the practices and techniques that have become standard in the industry.”[1] espana4

Le marché financier est en effet à même de se renouveler en permanence, dans sa recherche d’invention illimitée de nouveaux “produits”, qui sauront générer pour son propre compte, les plus grands profits.

espana2En réalité, il s’agit de remettre en perspective sur un temps long, ce processus de privatisation du logement social public en cours en Espagne.  Cette démarche de marchandisation de biens publics n’est pas un phénomène isolé. Elle intervient à l’inverse, comme une lame de fond et ce, du nord au sud du continent européen. Portée par le courant de pensée néo-libéral, Margareth Thatcher initie le processus en Grande Bretagne dès le début des années, 1980 avec le « Right to Buy » (2 millions de logements sociaux publics vendus entre 1979 et 1999)[2]. Thatcher imprime ainsi sa vision du monde de la ” ownership society” (société de propriétaires).

Aux Pays-Bas, sur la seule année 2000, ce sont 20.000 logements sociaux publics propriété des sociétés publiques de logements (« woning corporaties »), qui sont vendus sur le marché immobilier.

En 2001 en Italie, le gouvernement Berlusconi crée un consortium bancaire international – la SCIP [3]- ayant en charge la vente de 100.000 logements publics, propriété des entreprises de prévoyance publiques (« Ente previdenziali ») pour un montant évalué à plus de 4 milliards d’€.

espana8En 2004, la municipalité social-démocrate de Berlin vend d’un coup 70.000 logements sociaux publics propriété de la société communale “GSW”, au fonds de pension américain CERBERUS, pour un montant de 2 milliards d’€. La ville de Berlin efface ainsi du même coup sa dette publique estimée à 1,6 milliards d’€…espana7 

Cette tendance générale à l’œuvre en Europe, où toute aide publique est considérée comme une entrave avérée à la sacro-sainte règle de la “concurrence libre et non faussée“,  peut au fond être traduite de la manière suivante : le logement social peut rapporter gros. A une condition toutefois, s’en débarrasser…

Yann Maury. Chairecoop. Décembre 2013.

Pour des analyses complémentaires, consulter infra le chapitre CHAIRECOOP. ESPAGNE. ”Surproduction immobilière et crise du logement en ESPAGNE “.


[1] « Nous insistons sur la créativité et l’imagination dans tout ce que nous faisons. Tout en reconnaissant que la manière traditionnelle peut-être encore être la meilleure, nous nous efforçons constamment de trouver une meilleure solution aux problèmes du client. Nous nous glorifions d’avoir initié de nombreuses pratiques et techniques qui sont devenues la norme dans l’industrie ».

[2] Cf. Yann Maury. 2006. « Le logement social dans quatre métropoles européennes. (Londres, Rome, Barcelone, Berlin) ». Les cahiers du CPVS. N° 66.

[3] Societa di cartolarizzazione degli immobili publici.

Ateliers au Centre d'accueil des demandeurs d'asile par Brigitte Giraud (2011)

 

"Ce film retrace plusieurs séquences de rencontres de parole et d'écriture que j'ai menées en 2011 au CADA. On arrive ici, "poète" de rien. Juste humble. Juste humble !

Il me semble qu'aujourd'hui, je peux montrer ce documentaire. Puisque, s'agissant d'images du réel, d'un réel qui parle, c'est un documentaire. 


J'ai filmé des fragments de ces ateliers pour les résidents du Centre d'Accueil des Demandeurs d'Asile, des êtres en détresse et en espoir, en exil, le plus souvent broyés par leur histoire.

Ce film, je l'ai fait pour ces hommes et ces femmes, mes frères de cœur, une trace  d'existence, durant ce moment de précarité de leur vie. Ils écrivent, apportent avec eux leurs poètes, font résonner leur musique, disent l'angoisse qui les tient sans cesse, et oublient un peu, pour un moment, un moment seulement, la désespérance de leur vie de guingois. Parfois, leurs lèvres s'étonnent d'un sourire.


Ces rencontres ont fait liens, ont été très importantes pour moi. De l'émotion brute et vive. Des tendresses aussi. Pour tous ceux qui également sont entourants, et bénévoles, totalement engagés pour la cause humaine et la vie libre.


On écoute, on est présent, on apporte sa petite pierre à un édifice incertain,  son cœur ouvert. On voudrait édifier des Tours Eiffel pour chacun.
Mais il y a les lois, ...et sa colère. On se dit qu'on écoutera sa justesse. On se dit aussi qu'on est si peu, mais que peut-être, quelquefois, on pourra beaucoup.


Ainsi, à présent que quelques années ont passé, et sous le choc du score du FN de dimanche soir dernier, je crois que ce film témoignage peut être destiné à tous. "

 

Brigitte Giraud

http://paradisbancale.over-blog.com/

 

 

 

 

Alexandre Jardin - Des gens très bien

 
"Dès que les gens très biens rejoignent les fous, c'est la fin du monde..."

 

 

 

 

27/05/2014

Revue Agone n° 54 : Les beaux quartiers de l'extrême droite

Coordination Samuel Bouron et Maïa Drouard
http://agone.org/revueagone/agone54

« Sur la base des qualités de naissance des membres de la noblesse, l'Association d'entraide de la noblesse française, présidée par un membre du Club de l'horloge, dispense un certain nombre d'aides matérielles aux plus démunis d'entre eux : "Ces bourses vont soit à des familles dans le besoin, soit à des familles nombreuses. Une deuxième forme d'entraide pour nos jeunes et nos moins jeunes concerne la recherche d'emploi sous toutes ses formes : méthodologie, conseils, recours, rédaction de CV, etc. Une autre forme d'entraide, souvent oubliée, est constituée par le vestiaire, qui distribue chaque année plusieurs tonnes de vêtements. »

Le Front national en particulier et l’extrême droite en général aiment à se présenter comme les porte-parole de la colère des « sans-grades ».
Ce leitmotiv est parfois repris tel quel par les journalistes et sondeurs qui dressent volontiers des classes populaires un portrait réactionnaire.
Ce racisme de classe journalistique occulte un point essentiel. Se réclamant d’une légitimité « par en bas », les réactionnaires d’aujourd’hui opèrent un important travail de normalisation qui prend appui sur différentes fractions du champ du pouvoir avec la complicité d’une partie de la grande bourgeoisie et des élites.
On connaît mal les alliances que certains leaders et militants tissent dans ces lieux : la haute fonction publique, les fondations culturelles d’utilité publique, la philosophie ou la sociologie académique, le monde des lettres dont les œuvres de quelques auteurs sont inscrites au panthéon de l’édition… Prenant appui sur les codes de la sociabilité mondaine, se diffusant dans les « clubs », les vernissages, les salons académiques, ces entrepreneurs en réaction assurent un mélange souvent imprévisible de références de droite et de gauche qui entretient toutes les confusions sans nuire, hélas, à l’efficacité.
Ce numéro explore quelques aspects d’une nébuleuse qui, plus ou moins formellement, mais objectivement, constitue le terreau qui permet à l’extrême droite de commencer à jouer un rôle social dont elle a longtemps été privée.

Au sommaire

— Alain Bihr, « L’extrême droite à l’université : le cas Julien Freund », avec une introduction de Sylvain Laurens
— Maïa Drouard, « Le patrimoine pour tous. Étude d’une contribution de l’extrême droite au maintien des classes dominantes »
— Samuel Bouron, « Un militantisme à deux faces : stratégie de communication et politique de formation des Jeunesses identitaires »
— Sylvain Laurens, « Le Club de l’Horloge et la haute administration : promouvoir l’hostilité à l’immigration dans l’entre-soi mondain »
— Stéphanie Chauveau, « Au-delà du cas Soral : corruption de l’esprit public et postérité d’une nouvelle synthèse réactionnaire »
— Michel Vanoosthuyse, « Ernst Jünger, itinéraire d’un fasciste clean : dernières publications, derniers masques »
— Évelyne Pieiller, « Céline mis à nu par ses continuateurs, même »
— Thierry Discepolo, « À l’abri de la religion littéraire française. L’"affaire Millet" comme erreur d’ajustement d’un consensus hégémonique
apolitique »

La leçon des choses
— « Alfred Döblin et la littérature comme activité politique. “État et écrivain” », textes traduits de l’allemand par Michel Vanoosthuyse et introduits par Marie Hermann

À paraître le 13/06/2014
208 pages (15 x 21 cm) 20.00 €
ISBN : 9782748902112